Article original
LA PRISE EN CHARGE CHIRURGICALE DES
METASTASES OSSEUSES VERTEBRALES
SURGICAL MANAGEMENT OF VERTEBRAL METASTASIS
E.A Enkaoua
Service de Chirurgie Orthopédique et Traumatologique,
Pr.G.Saillant, Hôpital de la Pitié-Salpétrière, Paris.
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DOSSIER
RACHIS - Vol. 14, n°4, Octobre 2002.
Bien trop souvent pour les différents praticiens
l’apparition d’une ou plusieurs métastases
rachidiennes est un sentiment d’échappement
complet de la maladie cancéreuse et donc “d’abandon
thérapeutique”. Ce comportement doit changer. En
effet, une bonne compréhension du stade de la maladie
générale, l’identité du cancer primitif si possible et le
but que doit atteindre le traitement spécifique de ou
des métastases rachidiennes améliore le plus souvent
la qualité de “survie” des patients et dans certains cas
parfois aide à retrouver une rémission.
La prise en charge des métastases vertébrales doit
donc être multidisciplinaire, pour que les différents
traitements soient adaptés au mieux pour le
patient.
Ce traitement doit être le plus efficace en étant le
moins traumatisant, chez ces patients présentant un
taux élevé “d’hospitalisme”.
Examens complémentaires
pré-thérapeutiques
En cas de non-urgence, un bilan systématique doit être
toujours entrepris pour mieux comprendre le stade de
l’évolution cancéreuse et donc le pronostic de survie
du patient.
Ce bilan doit être général à la recherche d’autres
métastases, et local, pour mieux définir l’envahisse-
ment vertébral.
Le bilan général recherche des :
Métastases pulmonaires, avec une radiographie et si
possible un scanner (plus performant dans la décou-
verte de métastases de petites tailles).
Métastases hépatiques, avec une échographie du foie
et/ou un scanner abdomino-pelvien (qui donne un
champs d’investigation plus large).
Métastases osseuses, avec une scintigraphie corps
entier et une IRM de tout le rachis allant de C0 à S5.
(L
’IRM est un examen beaucoup plus sensible au
niveau rachidien que la scintigraphie osseuse.)
Métastases cérébrales, avec un scanner cérébral.
Le bilan local comprend :
Des radiographies standard centrées sur la vertèbre
atteinte de face et de profil. Cet examen est essentiel,
montrant la présence ou non d’une fracture tassement
associée parfois à une luxation vertébrale, stade ultime
de la déstabilisation mécanique tumorale. Le signe
radiologique le plus fréquent est la disparition d’un ou
de deux pédicules vu de face donnant un aspect “bor-
gne ou aveugle” à la vertèbre (figure 1).
Un scanner centré sur la vertèbre atteinte, définis-
sant au mieux l’atteinte vertébrale des différents arcs
(antérieur, moyen ou postérieur). Il montre la présence
d’un envahissement endo-canalaire et/ou d’une épidu-
rite (figure 2).
Le scanner étudie mieux la destruction osseuse corti-
cale tumorale que l’IRM.
L’IRM centrée sur la vertèbre atteinte donne une
meilleure visualisation de l’atteinte sus et sous jacen-
te tumorale et montre mieux l’état de la moelle épi-
nière ou du fourreau dural selon l’étage rachidien
(figure 3).
Une artériographie médullaire est parfois deman-
dée, en préopératoire, pour situer l’artère vertébrale
en cas d’atteinte cervicale ou l’artère d’Adamkiewicz
en cas d’atteinte dorsale ou dorsolombaire. Cet exa-
men peut donc faire changer de stratégie chirurgicale.
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Figure 1 : Radiologie standard de face montrant une vertèbre “borgne”
avec le pédicule droit détruit par la métastase.
Figure 2 : Scanner montrant un envahissement canalaire métastatique.
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La prise en charge chirurgicale des métastases osseuses vertébrales
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Parfois même un “blush tumoral” peut faire découvrir
une métastase qui est passée inaperçue lors de la scin-
tigraphie ou de l’IRM.
Biopsie tumorale
Cet acte est essentiel et indispensable avant tout geste
thérapeutique, s’il s’agit d’une métastase “découverte”,
le cancer primitif n’étant pas connu.
Lors de ce temps, un examen bactériologique est
demandé à titre systématique.
Biopsie sous scanner (3).
Le radiologue doit alors discuter du trajet biopsique
avec le chirurgien qui fera l’exérèse tumorale, pour
que le trajet coïncide avec la cicatrice de résection chi-
rurgicale.
Elle est faite à l’aide d’un trocartqui ramène une
carotte tumorale. L’avantage de cette technique est d’ê-
tre simple et peu invasive. Par contre le trocart ne
ramène que peu de matériel tumoral, parfois non suf-
fisant pour typer la tumeur de façon certaine. La voie
d’abord peut-être fait par voie latérale ou par voie
transpédiculaire.
Biopsie chirurgicale.
Elle doit être systématiquement effectué par le chirur-
gien qui doit faire la résection tumorale. Il faut préci-
ser alors à l’anatomopathologiste si la métastase a été
embolisée en préopératoire, cela entraînant une nécro-
se tumorale importante gênant parfois au diagnostic.
Stratégie thérapeutique
Elle dépend de :
-la nature histologique de la tumeur.
-la localisation tumorale au niveau du rachis.
-la localisation sur la vertèbre qui fera décider alors de
la technique chirurgicale.
L’histologie a déjà été discutée lors du temps biop-
sique.
Deux types de chirurgies peuvent êtres pratiqués :
-la chirurgie palliative en cas de métastases ou de
tumeurs au-delà de toutes ressources curatives. Elle a
pour but de décomprimer le fourreau dural et de stabi-
liser le rachis. Elle peut se faire par voie postérieure ou
antérieure selon les cas.
-la chirurgie carcinologique ou curative ayant pour but
de réséquer toute la tumeur soit en monobloc (carci-
nologique) soit par morcellement (curative).
La décision thérapeutique doit se faire de façon multidis-
ciplinaire pour aider au mieux le patient. Certains scores
tels que celui de Tokuhashi (2, 7) ou le score ICBM (8)
peuvent aider à prendre une décision thérapeutique.
Celle-ci dépend de nombreux facteurs :
l’unicité ou la multiplicité de la métastase vertébra-
le, conditionnant l’agressivité thérapeutique ;
la présence ou non de métastases viscérales, la pré-
sence de ces dernières diminuant l’espoir de survie ;
la localisation au niveau du rachis (cervical, dorsal
ou lombaire). Selon l’étage rachidien, la survenue de
déficit neurologique est à haut risque comme le seg-
Figure 3 : IRM montrant un envahissement corporéal avec un bombement
du mur postérieur faisant une compression canalaire.
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Les traitements locaux des
métastases vertébrales
Les traitements “neuro-radiologiques” :
La vertébroplastie est une technique d’injection de
ciment dans le corps vertébral sous contrôle scopique
et sous neuroleptanalgésie. Pour que le ciment soit
bien visible, on le mélange à de la poudre de tantale
qui le rend radio opaque. Cette technique stabilise la
vertèbre et donc diminue le risque de déstabilisation
en entraînant une analgésie. Cette méthode percuta-
née, par un praticien bien entraîné, doit se faire sous
scopie pour avoir un contrôle parfait du ciment pour
éviter qu’il ne file dans le canal vertébral, entraînant
une compression neurologique iatrogénique.
L’embolisation tumorale par cathétérisme sélectif ou per-
cutané est parfois bien utile pour la sédation des douleurs.
Cette technique est souvent employée en préopératoi-
re pour diminuer le saignement, ce qui permet au chi-
rurgien d’effectuer un bon geste de résection tumorale
ou de libération médullaire. La diminution du saigne-
ment per-opératoire donne de meilleures suites chez
ces patients en général fatigués.
Le traitement chirurgical :
Le traitement carcinologique.
Le traitement peut être “carcinologique” en cas de
métastase unique (1). Depuis que l’on effectue une IRM
de C0 à S5 en préopératoire, la métastase unique est
devenue très rare. La nature du cancer primitif est très
importante dans la décision de pratiquer cette chirurgie
lourde car il ne faut voir apparaître quelques mois plus
tard une autre métastase osseuse ou viscérale. Il est pru-
dent de faire cette chirurgie pour des cancers primitifs
d’évolution lente telle que le cancer de la thyroïde qui en
plus dispose d’un traitement spécifique (iodothérapie).
Conditions pour réaliser une chirurgie réséquant
“en bloc” la tumeur.
Au niveau rachidien, il n’est pas possible d’envisager
une résection qui répondrait aux critères habituels de la
carcinologie. Les rapports de voisinage sont trop étroits
pour autoriser des gestes larges et forcément déla-
brants. Respecter le caractère purement extra tumoral
est, par contre, parfaitement réalisable grâce à des ges-
tes adaptés à chaque siège tumoral sur la vertèbre.
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ment dorsal et en particulier la partie haute. Par cont-
re les segments lombaire ou cervical est plus volon-
tiers susceptible d’une déstabilisation tumorale ;
la présence ou non de signes neurologiques, déter-
minant l’urgence ou non thérapeutique ;
la nature du cancer primitif est un élément essentiel
dans le choix du traitement de la métastase (5), en effet
cela conditionne la survie du patient ainsi que les
résultats fonctionnels et carcinologiques d’une éven-
tuelle chirurgie ;
l’état général du patient, en effet si le score
Karnofski (score évaluant l’autonomie du patient) est
inférieur à 50% (patient pratiquement grabataire), la
chirurgie est alors contre-indiquée car le patient ne
pourra pas la supporter.
Le véritable problème décisionnel est le déficit médul-
laire. Bien sûr, dans ce cas-là, le bilan général ne peut-
être fait faute de temps. Pour décider de la technique
chirurgicale, seules les radiographies standard sont
indispensables, un scanner,s’il peut être obtenu rapi-
dement, est d’une grande aide. Le reste des examens
locaux est superflu.
En cas de déficit partiel, il ne faut pas se poser trop de
questions. Le patient doit être mis en urgence sous cor-
ticoïdes à dose adaptée et opéré le plus rapidement
possible.
Il faut être conscient que la compression tumorale
n’est pas mécanique mais avant tout vasculaire.
C’est pourquoi même le fourreau dural totalement
libéré en cas de déficit médullaire complet le patient
n’aura que d’infimes chances de recouvrer un état
neurologique satisfaisant.
En cas de déficit complet, le problème est beaucoup
plus épineux.
Si le déficit s’est installé de façon très progressiveen
plus de 72 heures, la chance de récupération neurolo-
gique après chirurgie est certes infime mais possible.
Si le déficit s’est installé de façon très rapide en 24 à 48
heures, on peut toujours tenter une intervention chirur-
gicale si on est dans un délai de 6 heures depuis l’ins-
tallation du déficit complet, sans avoir trop d’espoir. Par
contre si le patient présente un état général très altéré
(score de Karnofsky inférieur à 50 %) il est plus raison-
nable de ne pas intervenir chirurgicalement.
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La prise en charge chirurgicale des métastases osseuses vertébrales
Chaque fois que possible, le geste chirurgical doit emporter
la tumeur dans son ensemble sans ouvrir celle-ci et en pas-
sant à distance de ses limites. Une telle résection ne peut
qu’exceptionnellement s’étendre très loin de la coque tumo-
rale. Dans quelques cas, une résection associée de la dure-
mère, de la plèvre, voire du parenchyme pulmonaire est
réalisable. Dans d’autres cas, il faut accepter le sacrifice
d’un élément noble tel que racine nerveuse ou artère verté-
brale. L’ensemble de ces facteurs explique la terminologie
de vertébrectomie “totale” plutôt que “carcinologique”.
Les possibilités de résection sont fonction du siège de la
tumeur sur l’arc vertébral, mais aussi fonction du niveau
rachidien et de la localisation de l’artère nourricière de la
moelle. Les indications et les limites de la vertébrecto-
mie ont été bien décrites par R. Roy-Camille (4).
Auniveau du rachis cervical supérieur (C1-C2).
Aucun geste monobloc extra tumoral n’est techniquement
réalisable en dehors de quelques exceptionnelles lésions
localisées dans la partie tout antérieure du corps de C2.
Au niveau du rachis inférieur (C3-C7).
Une lésion isolée du corps vertébral est accessible à
une vertébrectomie subtotale réalisée par un abord
antérieur pré-sterno-cléïdo-mastoïdien. Ses limites
sont de chaque côté les foramens et le canal vertébral
qui ne doivent pas être envahis. Elle peut nécessiter le
contrôle uni ou bilatéral des artères vertébrales. Elle
passe dans les disques sains adjacents.
Dès qu’il existe une atteinte du pédicule et du canal ver-
tébral, le geste de résection nécessite une résection de
l’artère vertébrale et de la racine nerveuse correspon-
dante. La section radiculaire est décidée bien sûr en pré-
opératoire. Le chirurgien doit expliquer auparavant au
patient, les conséquences fonctionnelles que cela entraî-
ne, ainsi que les possibilités ultérieures de chirurgie pal-
liative des paralysies du membre supérieur. Cette expli-
cation de la chirurgie au patient est primordiale, per-
mettant d’instaurer une confiance du patient vis-à-vis
de son chirurgien, et aussi dans un but médico-légal.
La limite d’extension postérieure, permettant de réaliser de
façon satisfaisante une telle résection dans une lésion uni-
latérale, est le massif articulaire. A ce stade, un contrôle
simultané antérieur et postérieur est indispensable. L
’abord
est donc fait en décubitus latéral autorisant les deux inci-
sions et le passage rapide de l’une à l’autre. Dès que la
lame est atteinte, il faut morceler tout ou une partie de l’arc
postérieur perdant ainsi le bénéfice d’une exérèse extra
tumorale. En cas d’atteinte bilatérale sans lésion de l’arc
postérieur,la vertébrectomie totale extra tumorale est enco-
re concevable, mais avec une résection bilatérale des artè-
res vertébrales qui devront êtres préalablement dérivées.
Au niveau du rachis dorsal.
La vertébrectomie totale par voie postérieure permettant
un abord bilatéral élargi (6) est préférée à un abord anté-
rieur ou antéro-latéral isolé qui ne permet pas le contrô-
le de la face du corps vertébral controlatéral à l’abord,
ni l’exérèse du pédicule de ce même côté. Au contraire,
l’abord postérieur autorise une résection complète du
corps vertébral après résection de l’arc postérieur. Il
permet également une résection monobloc en cas d’at-
teinte unilatérale d’un pédicule, voire d’une côte adja-
cente ou au maximum d’un massif articulaire (figure4).
L
’atteinte de deux pédicules et/ou des lames est
comme à l’étage cervical, la limite, puisque celle-ci
impose le morcellement tumoral.
La présence de l’artère d’Adamkiewicz au niveau d’un
trou de conjugaison correspondant à la lésion tumorale
contre-indique toute résection complète de la tumeur
surtout par voie postérieure élargie.
Figure 4 : Résection monobloc vertébrale par une voie postérieure élargie
avec reconstruction par cage, plaque et agrafe.
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