Cryothérapie : cinétique des températures cutanées et musculaires

Ann. Kinésithér., 1987, t. 14, nO 6, pp. 267-279
©Masson, Paris, 1987
Cryothérapie : cinétique des températures cutanées et
musculaires lors de différentes applications de froid
M. NIRASCOU
Directrice de l'École Cantonale Vaudoise de Physiothérapeutes, 2, avenue de la Sallaz, 1005 Lausanne, Suisse.
MÉMOIRE
Après avoir rappelé quelques notions physio-
logiques l'auteur cite lesprincipales indications
et contre-indications de la cryothérapie. Plu-
sieurs modalités d'application sont décrites.
Leur efficacité est discutée d'après les varia-
tions des températures cutanées et musculaires
enregistrées lors de leur application.
La cryothérapie est une méthode thérapeuti-
que ancienne (Hippocrate) employée au-
jourd'hui comme moyen adjuvant à de nom-
breux traitements médicaux, chirurgicaux ou de
physiothérapie (11,31).
En physiothérapie, les modalités d'application
et les indications sont nombreuses (15,24,34).
Les protocoles de traitement actuellement éta-
blis sont souvent basés sur des critères empiri-
ques (2,4).
La littérature rapporte de nombreuses études
sur les modalités d'application (5,29) et l'abaisse-
ment des températures cutanées et musculaires
pendant une application de froid (3,19). Les
travaux sur les cinétiques de réchauffement des
températures cutanées et musculaires sont plus
rares (20).
Le but de ce travail est, après avoir rappelé
quelques notions de thermorégulation, de citer
les effets physiologiqu_es du froid, de discuter
Remerciements pour leur collaboration au Dr O. Dériaz et à
l'Institut de Physiologie de l'Université de Lausanne.
Tirés àpart: M. NIRASCOU, à l'adresse ci-dessus.
diverses modalités d'application d'après les
variations de températures cutanées et mus-
culaires qu'elles provoquent et d'en préciser les
principales indications.
Rappel physiologique
ÉQUILIBRE THERMIQUE
L'homme doit maintenir sa température cor-
porelle à37° C environ. Certains facteurs
tendent à l'abaisser, ce sont les pertes de chaleur
qui s'effectuent principalement àla surface du
corps. D'autres facteurs, les gains de chaleur dus
entre autres à l'activité métabolique et aux
chaleurs ambiantes extrêmes, tendent à élever
cette température.
Différents mécanismes existent pour mainte-
nir constante la température corporelle dans
toutes les situations.
PERTES DE CHALEUR
Le corps dissipe la chaleur par (fig. 1) :
convection, conduction, radiation et évapora-
tion.
La convection est la transmission de chaleur
d'un endroit à un autre grâce au déplacement
d'une substance chauffée (par exemple un
éventail, le bras à la fenêtre d'une voiture ...). La
quantité de chaleur dissipée dépend de la vitesse
et de la température de l'air qui passe àla surface
du corps.
La conduction est la transmission de chaleur
entre deux objets de températures différentes qui
268 Ann. Kinésithér.,1987, t. 14, n° 6
RADIATION
\.~ EVAPORATION
CONDUCTION
FIG. 1. - Pertes de chaleur.
se touchent. La chaleur se déplace toujours du
corps le plus chaud vers le plus froid.
La radiation représente environ 60 %de la
perte de chaleur d'une personne couchée dans
une pièce à20° C. Le principe de la radiation
repose sur le fait que les molécules à l'intérieur
du corps se déplacent constamment et que de
la chaleur sous forme d'ondes électromagnéti-
ques se dissipe constamment.
L'évaporation de la sueur à la surface de la
peau participe, même au repos, à l'élimination
de la chaleur.
LA THERMORÉGULATION (1)
Le rôle de la thermorégulation est de mainte-
nir à un niveau relativement constant la tempé-
rature interne du corps au repos et à l'exercice.
Ce mécanisme d'ajustement met en jeu les
principaux éléments suivants :
- les récepteurs thermiques,
- les effecteurs thermiques,
- un centre de la régulation de la température
situé dans le système nerveux central.
Les récepteurs thermiques
Ces récepteurs centraux ou périphériques sont
sensibles au chaud et au froid. Ils sont reliés par
des fibres nerveuses au cortex, ainsi qu'au centre
de régulation situé dans l'hypothalamus.
Les récepteurs de l'hypothalamus sont sensi-
bles aux petites variables de température (0,1
à0,20 C) de sang artériel qui les irrigue.
Les terminaisons libres de la peau réparties
sur toute la surface du corps sont sensibles aux
variations de l'environnement. Il n'est pas
certain que les terminaisons nerveuses spéciali-
sées (Krause sensible au froid ou Ruffini au
chaud) servent aussi de récepteurs thermiques.
Il est intéressant de noter que pour une
température supérieure à 45° C, les récepteurs
au froid sont ànouveau stimulés (16).
Les effecteurs thermiques
Ils réagissent aux stimuli perçus par les
récepteurs et produisent les changements
régulateurs.
Les organes effecteurs thermiques sont les
muscles squelettiques, les muscles lisses entou-
rant les artérioles qui irriguent la peau, les
glandes sudoripares et certaines glandes
endocrines.
Un centre hypothalamique
Situé dans l'hypothalamus, il coordonne les
informations provenant des récepteurs avec
l'action régulatrice des organes effecteurs.
LE DÉBIT SANGUIN CUTANÉ
La peau est le seul organe dont le débit
sanguin n'est pas lié aux besoins métaboliques
locaux. L'apport sanguin à la peau est déterminé
par les nécessités de la régulation thermique.
Quand le corps est trop chaud, les vaisseaux de
la peau se dilatent. Du sang est envoyé àla peau
pour que la chaleur puisse être évacuée à
l'extérieur. Quand le corps est trop froid, les
vaisseaux cutanés sont en état de vasoconstric-
tion : le sang est tenu à l'écart de la peau et
donc de l'extérieur. Ceci permet de conserver
la chaleur et de maintenir la température du
corps (13).
Cette modification du débit sanguin est
provoquée en partie par l'action indirecte de la
chaleur sur les vaisseaux cutanés et en partie
par le centre de régulation de la température qui
modifie le tonus sympathique des vaisseaux
sanguins cutanés. Avec la chaleur le tonus
sympathique est réduit et les vaisseaux se
dilatent. Avec le froid le tonus sympathique est
accru et les vaisseaux se contractent.
Vasodilatation paradoxale
Quand la température cutanée descend en
dessous de 15°C, une vasodilatation apparaît et
le flot sanguin augmente localement entraînant
une augmentation des pertes de chaleur. Cette
réaction est qualifiée de paradoxale.
Si l'exposition au froid est prolongée, des
périodes de vasodilatation et de vasoconstriction
s'alternent. Ce phénomène est appelé «hun-
ting» ou «échappement». Cette vasodilata~
tion est aussi provoquée par les vaisseaux
sanguins musculaires. Elle a pour but d'éviter
une gelure des tissus cutanés et sous-cutanés
(13,16).
Effets physiologiques (8,9,10,12,23,25)
EFFETS SENSITIVO-MOTEURS:
analgésie, relaxation musculaire
Les récepteurs à la douleur (terminaisons
libres) sont probablement rapidement sensibles
à l'application du froid. L'action exacte de la
cryothérapie sur ces récepteurs n'est pas encore
parfaitement établie (dépolarisation membra-
naire ?). Le froid exerce aussi un effet inhibiteur
central (<< gate control theory ») sur la douleur
transmise par des fibres de petit calibre.
Un ralentissement de la vitesse de conduction
nerveuse intervient lorsque la température tissu-
laire peut être abaissée en dessous de 15°C. La
sensibilité au froid dépend du calibre et du taux
de myélinisation des fibres nerveuses transmet-
tant l'information. Les petites fibres myélinisées
transmettant la douleur sont les plus sensibles
à l'action du froid.
Une application efficace du froid complète
l'effet analgésiquepar une diminution de l'excita-
bilité des fuseaux neuromusculaires et conduit
par au relâchement d'une éventuelle contrac-
ture musculaire.
EFFETS VASOMOTEURS :
vasoconstriction, diminution de l'œdème,
diminution de l'inflammation
Le refroidissement tissulaire s'accompagne
d'une très rapide vasoconstriction artériollaire
Ann. Kin ésithér., 1987, t. 14, 6 269
et capillaire démontrée par capillaroscopie et
recherchée en cas de processus hémorragique.
Cet effet est cependant suivi dans un délai
variable selon l'endroit et la durée du traitement
d'un échappement avec vasodilatation des vais-
seaux plus profonds.
L'abaissement de la température locale va
ralentir le métabolisme tissulaire et diminuer les
besoins en 02 cellulaire. Il entraîne également
une augmentation de la perméabilité membra-
naire avec amélioration de l'absorption des
liquides intersticiels.
L'utilisation du froid permettra par son
application locale immédiate de limiter les
dégâts en cas de traumatisme tissulaire localisé
en diminuant l'hémorragie locale, en limitant
l'œdème et le métabolisme cenulaire du tissu
lésé.
EFFETS NEUROMUSCULAIRES :
diminution de la spasticité (22,27)
Le froid modifie la spasticité d'un groupe
musculaire en diminuant l'excitabilité neuro-
musculaire (boucle gamma). Il facilite d'autre
part le motoneurone alpha.
Indications - contre-indications
Sans être exhaustif, nous rapportons quelques
indications cliniques à la cryothérapie en réabili-
tation, médecine sportive et rhumatologie.
INDICATIONS
Traumatismes abarticulaires aigus (entorses,
déchirures musculaires, traumatismes des par-
ties molles)
Les effetsprincipaux recherchés ici par le froid
sont l'analgésie, l'hémostase et la lutte anti-
œdème.
Pathologie abarticulaire subaigué' ou chronique
(tendinites, ténosynovites, bursites, périar-
thrites)
Les effets principaux recherchés ici sont
l'analgésie et la lutte anti-inflammatoire.
270 Ann. Kinésithér., 1987, t. 14, nO6
Pathologie algoneurodystrophique (Südeck du
poignet, de la cheville, du genou, capsulite
rétractile de l'épaule)
La glace trouve ici et particulièrement à la
phase initiale de la maladie de Südeck un champ
d'application utile dans la lutte contre la douleur
et l'oedème.
Contractures musculaires (cervico-dorso-Iombal-
gies, contractures musculaires sur processus
dégénératif)
Les effets recherchés sont alors l'analgésie et
la relaxation.
Les arthrites
La glace reste un traitement·.adjuvant jde .
l'immobilisation et des mesures médicales ou
chirurgicales de toutes arthrites infectieuses.
La cryothérapie est aussi préconisée en cas
d'arthrite post-traumatique et d'hémathrose.
Son utilité sera plus discutable et sa tolérance
moins bonne en cas d'arthrite inflammatoire et
surtout de polyarthrite rhumatoïde.
La spasticité (hémiplégie)
Diminuant l'excitabilité du fuseau neuromus-
culaire et facilitant l'activité motoneuronale
alpha, l'utilisation du froid est indiquée chez les
patients spastiques sur hyperactivité gamma.
Un test àla glace doit donc être réalisé pour
déterminer l'utilité du froid comme adjuvant à -
d'autres traitements (Bobath, Kabat..).
CONTRE- INDICATIONS
Il existe des patients qui présentent une
intolérence personnelle (14) et non prévisible à
la glace. Au début d'un traitement la glace peut
être ressentie comme désagréable, voire doulou-
rese (sensation de brûlure).
Les principales contre-indications médicales
sont les cas de cryoglobulinémie, d'urticaire au
froid, de syndrome de Raynaud, d'insuffisance
vasculaire périphérique et d'hémoglobinurie pa-
roxystique a frigore.
Modalités d'application
Les techniques d'utilisation de la cryothérapie
sont multiples et peuvent aller de l'application
locale d'une source réfrigérante à l'immersion
du corps entier ou d'un membre. Le glaçage
local exerce un refroidissement tissulaire qui
varie selon le site d'application, la température
locale initiale de la peau, le type de source froide
utilisée et la durée de l'application.
MASSAGE AVEC UN CUBE DE GLACE (6) (fig. 2)
Le colonel Grant et le Brook Army Medical
Center sont les précurseurs de cette technique.
Leur but était de permettre aux soldats de
reprendre au plus vite leur entraînement.
Le thérapeute tient un cube de glace par
l'intermé~iaire d'unpapieL ou d'un. morceau
d'étoffe. Le massage est effectué sur la zone
douloureuse par un mouvement de balayage sans
arrêt et sans pression des tissus.
Le massage est poursuivi jusqu'à ce que le
patient ait une impression d'abord de brûlure
puis de douleur et ensuite d'engourdissement.
Il est recommandé d'avoir à portée de main un
linge pour essuyer la glace fondante.
Le massage au glaçon s'utilise aussi dans le
but de stimuler une activité musculaire. Rood
préconise cette forme de màssage sur le trajet
tendineux des muscles extenseurs des doigts ou
sur les zones cutanées sus-jacentes aux muscles
releveurs des pieds.
FlG. 2. - Massage au cube de glace.
POCHE A GLACE (fig. 3)
Ce mode de refroidissement est le plus utilisé.
La glace pilée est fournie par une machine à
FIG. 3. - Poche à glace en linge éponge.
FIG. 4. - Application d'une poche à glace.
glace et placée dans un sachet. Elle est préconi-
sée dans tous les cas l'on ne recherche pas
seulement un effet ponctuel (fig. 4).
Dans un premier test, nous avons enregistré
les cinétiques des températures cutanées et
musculaires sous application de glace pilée
fondante contenue dans un linge éponge mouillé.
Ces mesures ont été faites sur huit sujets sains,
de sexe masculin, entre 23 et 46 ans. Après
anesthésie locale, une thermistance musculaire
(fig. 5) est introduite dans le muscle vaste
externe du quadriceps par l'intermédiaire d'une
aiguille péridurale. Cette aiguille graduée permet
de connaître la profondeur de la mesure
musculaire (3 cm). Des thermistances cutanées
sont placées sous et àdistance de la source de
froid (fig. 6). Quand les valeurs enregistrées sont
stables, la glace pilée fondante placée dans un
linge éponge mouillé est appliquée (fig. 8) durant
Ann. Kinésithér., 1987, t. 14, 6 271
FIG. 5. - Thermistance musculaire YS 520.
FIG. 6. - Mise en place des thermistances cutanées.
FIG. 7. - Pose de la glace.
20 minutes. Elle est maintenue par une bande
élastique (fig. 9). L'enregistrement est poursuivi
3 heures et demie après le retrait de la glace,
les sujets restant toujours assis sans activité
musculaire.
1 / 13 100%

Cryothérapie : cinétique des températures cutanées et musculaires

La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !