L'HISTOIRE
L'HISTOIRE
La Revue de
de
NUMÉRO 65
NOS AMIS
LES CROATES
Voici la Croatie 3
L'armée serbe et ses snipers étaient encore à Zagreb. Les premiers
grands blessés venaient d'être opérés. On en avait mis trois
dehors, sur des chaises médicales. C'étaient trois retraités. Un
homme et deux femmes. Ils n'avaient plus de jambes. Ce qui frappa un
visiteur étranger, ce fut que ces pauvres gens parlaient avec animation.
Visiblement, ils se racontaient des potins. Leurs visages étaient animés,
presque paisibles. À l'intérieur de l'hôpital, un homme était resté
allongé sur son lit. C'étaient ses voisins de la même chambre qui l'ai-
daient à bouger. Il proposa gentiment, très poliment, un café à ce visi-
teur étranger. Il lui raconta son histoire. C'était un paysan catholique
dont la ferme était à proximité d'une enclave serbe. Lorsque l'armée
yougoslave l'avait expulsé avec tous les habitants de son village, un
avion serbe était venu les mitrailler un peu plus loin sur la route.
Il avait reçu une balle dans la colonne vertébrale. Sa femme, sa sœur et
sa fille avaient été tuées devant lui. Il disait tout cela avec beaucoup de
calme. Il tenait le coup.
En revanche, dans un couloir, une grand-mère, la vraie baba d'Europe
centrale, pleurait à grosses larmes. Elle aussi avait perdu sa ferme. Et
elle ne savait où étaient ses fils et ses petits-enfants. Elle tremblait de
tous ses membres.
Le visiteur réalisa quelque chose, alors. Dans cet hôpital, où se mêlaient
aux blessés des réfugiés valides, les seules personnes debout étaient des
femmes et des enfants. Tous les hommes en état de marche, à partir de
15 ans, étaient dans les bois, en train de résister à la pire des choses :
la destruction d'un peuple.
Et ce peuple a gagné sa guerre. Et maintenant il est entré dans l’Union
Européenne. Tolstoï avait raison. Guerre et paix sont intimement liées,
comme les deux versants d'une colline où l'on meurt.
Matthieu Delaygue
Guerre et
Paix
4Nos amis les Croates
« Nos amis les Croates » de Matthieu Delaygue.
Extrait de La Revue de l’Histoire n° 65 – été 2012, réactualisé été 2013.
Éditions J.C.L. COMMUNICATION
Nos sincères remerciements à Monsieur Zvonimir Frka-Petesic, de nous
avoir offert ces cartes dont il est l’auteur. Elles nous expliquent brillamment
toute l’histoire politique et militaire de la Croatie sur dix-sept siècles.
Voici la Croatie, tellement inconnue. En inversé, ce
titre a été celui d’un festival croate en France fin
2012. Car tout est à connaître, à raconter sur ce pays
qui vient rejoindre l'Europe en pleine crise économique.
Croatie, la voici, c'est comme une prédestination : la
Croatie connaît la notion de crise, elle sait où cela peut
mener, son histoire est celle d'une nation, d'un peuple,
qui se bat pour survivre dans les Balkans,dans un
espace situé entre l’Europe centrale et la Méditerranée.
Et qu'est-ce que la question des Balkans pour un
Français qui n'a pas fait de sciences-politiques ? C'est
assimilé à une montagne, avec des jeunes soldats en
treillis et des paysans qui cultivent une terre lointaine.
À LA RECHERCHE DE LA VÉRITÉ
C'est ainsi que l'Europe a raisonné depuis près d'un
siècle, qu'elle se trompa dans ses analyses, et
qu'elle fut incapable d'éviter la Première Guerre mon-
diale, et les génocides commandités par le Président
serbe Milosevic à Vukovar, à Srébénizca, ou ailleurs,
dans ces Balkans ignorés par les Français de Paris ou
de Vesoul .
Et pourtant si, à Vesoul, on connaissait la Croatie. Au
moins un jeune garçon de vingt ans, lors de l'année
1991. Il avait compris que les Croates étaient un peuple
injustement décrié. Il était idéaliste. Il partit les aider, il fut
volontaire, il alla combattre dans un des endroits les plus
dangereux, Vukovar. Il s'appelait Jean-Michel Nicolier.
Ce fut une grande bataille, à une époque où l'armée
serbe se disait toujours marxiste et se battait avec
l'étoile rouge sur son drapeau. C'était la fin du commu-
nisme, et le Président Milosevic avec son état-major
croyaient encore au partage du monde selon Yalta, et à
cette fiction de la Yougoslavie, décidée par la Troisième
République et le Parlement anglais au Traité de
Versailles, et approuvée par Staline quelques années
plus tard. Jean-Michel Nicolier se battit à Vukovar, pour
défendre un terrain qu'il ne pouvait voir de Vesoul, mais
qu'il avait deviné semblable au sien : un monde de gens
honnêtes et courageux qui rêvaient d'un monde libre.
Blessé, il se retrouva à l'hôpital, la Croix-Rouge lui pro-
posa de se faire évacuer en tant que Français. Il ne vou-
lut point abandonner ses camarades. L'armée de
Milosevic les fusilla tous, et envoya dans des maisons
closes des centaines de jeunes filles de la ville. Quelques
milliers de volontaires avaient fait une hécatombe des
chars de l'armée yougoslave. Le désir de vengeance
créa le crime de guerre. Le général serbe qui ordonna ce
crime est mort dans son lit, sans jamais avoir été
inquiété par la justice internationale. Voici quelques
mois, Jean-Michel Nicolier a été décoré à titre posthume
par le gouvernement croate d'une de ses plus glorieu-
ses distinctions militaires, sa mère et l’ambassadeur de
France étaient présents.
LES CHEMINS DE L'HISTOIRE
C'est vrai que l'Europe existe, et qu'il vaut mieux
l'apaisement des passions de guerre. Mais cette
Europe, elle s'est faite à coups de passions, d'amours,
d'engagements où l'on risque sa vie, sinon elle ne vau-
drait pas plus qu'une maison de jeux ou un réseau de
supermarchés. Les nations de l'Union Européenne ont
accueillis au mois de juillet 2013 la Croatie dans leurs
Voici la Croatie 5
Nos amis les Croates
1 / 100 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !