Mosaïcisme et Chimérisme chez le Chat domestique Thèse pour le Doctorat Vétérinaire Par Ambre JARAUD-DARNAULT Sélection des paragraphes et résumés réalisés par le Dr Pascal Pasquini Di Barbieri Président : M. Professeur à la Faculté de Médecine de CRÉTEIL Membres Directeur : Mme Marie ABITBOL Maître de conférences à l'ENVA Assesseur : M. Philippe BOSSE Professeur à l'ENVA En génétique, et d'après Le Larousse, une chimère est un organisme constitué de deux, ou plus rarement de plusieurs variétés de cellules ayant des origines génétiques différentes. Le mosaïcisme, c'est lorsque cohabitent au sein d'un individu des cellules aux contenus génétiques différents mais issues d'un seul zygote (cellule issue de la fécondation d'un ovule par un spermatozoïde). Ainsi, une chimère est issue de plusieurs zygotes alors qu’une mosaïque n’est issue que d’un seul zygote. Normalement, chaque individu possède un matériel génétique unique (à l’exception des jumeaux vrais, issus de la scission précoce d'un zygote) et identique dans chaque cellule.Chez les chimères et les mosaïques, il existe plusieurs populations cellulaires qui se distinguent par leur matériel génétique différent. Le but de cette étude est d'expliquer les mécanismes particuliers qui permettent l'apparition de chats chimères ou de chats mosaïques. I Généralités sur la génétique du Chat. 1 Généralités. Le Chat est un Mammifère qui possède 38 chromosomes, qui vont par paires (19 paires, donc) triées par taille et par type lorsqu'on réalise un caryotype Il y a 18 paires d'autosomes et une paire de chromosomes sexuels, XX pour la femelle, XY pour le mâle. Cette dernière paire est appelée gonosome. Dans chaque paire de chromosomes, un chromosome provient de la mère, un chromosome provient du père. L’étude du caryotype permet de détecter des anomalies chromosomiques : on parle de monosomie lorsqu'il manque un chromosome et de polysomie lorsqu'il y a des chromosomes surnuméraires. Une cellule qui contient un nombre anormal de chromosome est dite aneuploïde. Les aneuploïdies les plus étudiées chez le Chat sont celles qui concernent les chromosomes sexuels, car elles sont généralement responsables de trouble de la reproduction chez les individus qui en sont atteints. Chaque chromosome est constitué d’ADN (acide désoxyribonucléique) et comporte des unités de structure et de fonction appelés gènes (de façon simplifiée, un gène est une séquence d’ADN qui va permettre la synthèse d’une protéine). Chaque gène possède un emplacement exact et invariable sur un chromosome. Cet emplacement est appelé le locus du gène. Un même gène peut se rencontrer sous différentes formes que l’on appelle les allèles du gène. Ces variations sont à la base des différences qui existent entre les individus. Les chromosomes maternel et paternel d’une même paire portent les mêmes gènes mais pas forcément les mêmes allèles. Ainsi un individu peut posséder 2 allèles différents du même gène. On qualifie d’homozygote un individu possédant le même allèle sur le chromosome d’origine paternelle et sur le chromosome d’origine maternelle, et d’hétérozygote un individu possédant 2 allèles différents. On appelle génotype la combinaison des allèles de tous les gènes d’un individu. On appelle phénotype l’aspect actuel de l’individu, qui résulte de l’expression de son patrimoine génétique, donc de l’expression de son génotype. De façon générale, lorsqu’un individu possède 2 allèles différents, seule l’expression de l’allèle dominant est visible. L’autre allèle (dont l’expression reste invisible) est alors appelé récessif. Causes des anomalies caryotypiques. a La non disjonction des chromosomes sexuels lors de la méiose Par méiose, les cellules germinales diploïdes (à 2n chromosomes) produisent des gamètes haploïdes (à n chromosomes). Chacun reçoit la moitié du patrimoine génétique. Si les chromosomes sexuels restent "collés", un gamète sera disomique (de "di"=2) (XX, XY, ou YY) et le second asomique (de "a" privatif) c'est à dire dépourvu de chromosome sexuel. Lors de la fécondation avec un gamète normal (portant soit X soit Y), le zygote sera aneuploïde car soit trisomique ("tri"=3) : XXX, XXY, XYY, soit monosomique ("mono"=1) : Xo (les cellules Yo ne sont pas viables). b Fusion du deuxième globule polaire avec le zygote ou une cellule du blastomère. Les cellules germinales produisent des ovogonies ou des spermatogonies qui par mitose (le nombre de chromosomes est inchangé) donnent des ovocytes ou des spermatocytes qui par méiose produisent des ovules ou des spermatozoïdes. Chez le mâle, une cellule germinales produit quatre spermatozoïdes, mais chez la femelle seul un ovule est produit, les autres cellules, haploïdes, au nombre de deux ou trois, appelées globules polaires sont normalement expulsées. Les premières cellules issues de la division par mitose du zygote sont appelées blastomères. Une fusion anormale du deuxième globule polaire avec le zygote aboutit à une trisomie 3n (2n+n), et avec une cellule du blastomère à une mosaïque 2n (pour les cellules issues de blastomères normaux) /3n (pour la descendance de la fusion anormale). c Dispermie. La dispermie est la fécondation d'un ovule par deux spermatozoïdes : le zygote est donc triploïde. Son devenir est variable (d'après Ian Valerievitch Golubovsky, les zygotes 3n issus de la fusion avec le second globule polaire évoluent de même). Lors de la prophase de la mitose, la chromatine s'agrège en chromosomes distincts, qui sont dupliqués en deux chromatines sœurs reliées par un centromère. Les chromatines se séparent puis lors de l'anaphase, migrent chacun vers un pôle de la cellule grâce aux microtubules, c'est le fuseau bipolaire. Si la cellule produit une fuseau tripolaire, alors il y a stabilisation possible et formation d'un embryon 3n (25 % des cas). Certaines cellules peuvent évoluer en 2n, d'où la formation de populations cellulaires mixploïdes 2n/3n. Expulsion d'un génome haploïde pendant la métaphase de la première mitose, ce qui aboutirait à la constitution de blastomères diploïdes (2n), de mosaïques 2n/3n, de mosaïques 1n/2n, voire de mosaïques 2n/2n (14 à 32 % des cas). Formation d'un fuseau tripolaire avec répartition anarchique de chromosomes (de 50 à 60 % des cas), aboutissant à des morts cellulaires ou à la survie occasionnelle d'individus trisomiques. d Non disjonction des chromatides sexuels lors d'une mitose. Si ce processus apparaît chez un mâle XY, les cellules résultantes seront XXY et Yo (non viable). Par mitoses successives, l'individu sera une mosaïque 38XY/39XXY. La proportion de chaque lignée sera fonction de la précocité de l'apparition de cette erreur. e Un retard à l'anaphase lors d'une mitose. Lors de migration trop lente, les chromosomes retardataires ne seront pas inclus dans une cellule fille et seront détruits par le cytoplasme. Si ce retard concerne les chromosomes sexuels, la cellule fille sera Xo; l'individu sera mosaïque, XX/Xo pour une femelle, XY/Xo pour un mâle. Pour un individu trisomique 2n+1, on peut obtenir un individu mosaïque 2n/2n+1. f La fusion d'au moins deux populations cellulaires dont la composition en chromosomes sexuels est différente. Cet individu présentera alors deux caryotypes différents. Si les cellules fusionnées proviennent d'un même zygote, il s'agit d'une mosaïque ; si les cellules fusionnées proviennent de deux ou plusieurs zygotes, il s'agit d'une chimère Les anomalies caryotypiques les plus fréquentes. a Syndrome de Klinefelter 38XY/39XXY ou 38XX/39 XXY. Ce sont des individus mosaïques, dont l'aspect (phénotype) mâle ou femelle et le degré de stérilité dépendent des régions anatomiques touchées par cette anormalité. Le syndrome de Klinefelter est retrouvé en majorité chez les mâles tricolores. b Syndrome Triple X 39XXX. Ces individus sont de phénotype femelle mais stérile. c Syndrome de Turner 37Xo. Ce sont des individus femelles, souvent plus petits que la normale, mais stériles du fait d'un hypodéveloppement de l'appareil génital. d Syndrome de Turner en mosaïque 38XX/37Xo. Le phénotype et la stérilité dépent des régions anatomiques affectées par la monosomie. e Autres anomalies caryotypiques 38XY/38XX. Le phénotype et la stérilité de tels individus dépendant de la répartition des cellules XX et XY, notamment au niveau de l'appareil génital. D'autres anomalies polysomiques très rares ont été observées, comme des individus présentant des tétrasomies des chromosomes sexuels (XXXX , XXXY), possibles lorsque le zygote est issu de la fécondation de gamètes anormaux ou d'une éventuelle dispermie. 2 Le génome du Chat. Le génome (ensemble du matériel génétique) d'un Chat Abyssin a été séquencé (décodé) en 2007 par le National Human Genome Rersearch Institute. 20285 gènes ont été identifiés, mais il subsiste encore de nombreuses zones manquantes et des portions importantes d'ADN n'ont pas encore été associées aux chromosomes correspondants. A ce jour, 318 caractères d’intérêts et maladies héréditaires ont étés identifiés chez le Chat, dont au moins 82 sont à transmission simple (un seul gène en cause). 3 Génétique de la couleur de la robe chez le Chat. La pigmentation des poils et de la peau est assurée par les mélanocytes (cellules pigmentaires spécialisées), qui possèdent des organites intracellulaires appelés mélanosomes qui synthétisent des pigments bruns à noirs (appelés eumélanines) et des pigments clairs, jaunes à rouge (appelés phéomélanines). Les mélanosomes chargés de pigments sont transférés des mélanocytes aux kératocytes, cellules qui forment la peau et le poil. Ainsi peau et poils sont colorés. Principaux gènes régissant la couleur de la robe chez le Chat. Chez le Chat, le locus Brown (B) détermine la couleur foncée; trois allèles B (black), b (brown) et bl (brown light) déterminent respectivement les couleurs noir, chocolat et cannelle Le locus Agouti (A) en modifiant les proportions d'eumélanines et de phéomélanines dans le poil, détermine la présence ou l'absence de poils agoutis dans les robes. Si des poils agoutis sont présents, le chat est dit tabby. S’il n’y a pas de poils agoutis (que des poils unis), le chat est dit uni (ou solid ou self en anglais). Le locus Orange (O) apporte le roux. Dilution de la couleur de base. L’expression de ces gènes peut être modifiée par le gène situé sur le locus de Dilution (D). Le gène sauvage (pas de dilution) est dominant; son allèle qui apporte la dilution est nommé d et un individu "dilué" est obligatoirement homozygote d/d (un "non-dilué" est D/D ou D/d). Ainsi les couleurs noire, chocolat, cannelle, et rousse par dilution donnent respectivement le bleu, le lilas, le faon et le crème Marques blanches : Le locus Agouti détermine si le poil est agouti (couleur de base composé de phéomélanine avec alternance de bandes noires) ou non agouti (poil uni). Les loci Tabby (Ta) ou Ticked (Ti) déterminent le type des patrons des robes agoutis (tiquetée, classique ou tigrée). La présence de taches blanches dans la robe est déterminé par le locus White spotting (S) qui induit la formation de panachures.L’allèle responsable des tâches blanches est dominant. Cas particulier du locus Orange (O) lié au chromosome X. Un caractère muté porté par le chromosome X peut être transmis sur un mode dominant ou récessif chez les femelles, alors que la question ne se pose pas chez le mâle qui ne possède qu'un seul X (dans le cas de caryotypes normaux). Le caractère muté est donc plus fréquemment exprimé chez le mâle que chez la femelle qui doit être obligatoirement homozygote. Autre conséquence, le mâle ne transmet ce caractère qu'à ses filles. Pour qu'une fille soit atteinte, son père est forcement atteint et sa mère est homozygote (atteinte) ou hétérozygote (porteuse saine). Dans le cas du gène Orange, l'allèle sauvage o permet la synthèse d’eumélanine, alors que l'allèle muté O provoque sa suppression au profit d'un pigment jaune-orangé. En outre, le gène Orange interagit sur le locus S : une femelle hétérozygote O/o et homozygote s/s ont un phénotype écaille de tortue (petites plages noires et rousses imbriquées en un aspect marbré); les femelles O/o et S/s (ou S/S) ont un phénotype tricolore (grandes plages noires et rousses, bien délimitées et panachures blanches). Le gène Orange masque également les effets de l'allèle Agouti, : ainsi un pelage roux a le même aspect qu'il soit A/A, A/a ou a/a. Enfin, le gène de dilution porté par un chromosome non sexuel agit sur le gène Orange et la couleur de base : si elle était noire, le Chat est bleu et crème II Mosaïcisme génétique et chimérisme complet. 1 Mosaïcisme génétique. Une mosaïque est un individu au sein duquel cohabitent deux ou plusieurs populations cellulaires dont les génotypes sont différents mais qui proviennent du même zygote. La mosaïque résulte d'une différence dans la structure ou dans le nombre de chromosomes (mosaïcisme chromosomique) ou dans la séquence d'ADN nucléaire. Il peut affecter les lignées somatiques (cellules du corps, excepté les cellules de la reproduction) ou germinales (cellules de la reproduction : spermatozoïdes chez le mâle et ovules chez la femelle), ou les deux. Si le mosaïcisme n'atteint que la lignée somatique , les effets sur le phénotype dépendent du nombre et du type de cellules touchées. Il n'y a pas de possibilité de transmission à la descendance. Si le mosaïcisme n'atteint que la lignée germinale, il n'y aura pas d'effet sur le phénotype, mais les descendants peuvent hériter du second génotype. Dans le cas où les deux lignées cellulaires sont atteintes, le chat peut exprimer le mosaïcisme et le transmettre à sa descendance. Le mosaïcisme chromosomique peut apparaître à la faveur d'une anomalie de répartition de chromosome(s) lors d'une mitose (voir plus haut), mais aussi lors de remaniements chromosomiques (duplications, insertions, translocations etc). Elle peut concerner un seul gène, cohabiteront alors des lignées cellulaires normales et des lignées contenant l'allèle muté. L'impact sur l'individu dépent de nombreux facteurs : type de mutation (chromosomique ou ponctuelle), les gènes ou loci impliqués (structurels, régulateurs...), les tissus impliqués, le fait que la mutation conduit à une hétérozygotie ou à une homozygotie pour l'allèle considéré. Plus elle intervient tôt dans le développement, plus les conséquences peuvent être importantes car elle va toucher beaucoup plus de cellules. Chez l'Homme, certains auteurs estiment qu'un mosaïcisme intervenant précocement dans le développement peut influer sur la survenue de certains cancers, hématologiques en particulier, ou favoriser des neuro-dégénerescences avec l'âge. Par exemple, dans le cas particulier d'une mutation reverse, où l'allèle d (responsable de la dilution) retourne à l'état originel D, le phénotype peut être impacté. Certaines cellules de la peau et du poils seraient d/d et d’autres seraient D/d, le chat aurait alors des plages de couleur diluée et des plages de couleur non diluée. Les causes d'un mosaïcisme germinal sont les mêmes, mais les conséquences sont très différentes. Elles peuvent provoquer des doutes sur des filiations, ou des erreurs d'interprétations ou de prédictions d'apparition de maladie génétique d'autant plus que la proportion de cellules mutées dans les gonades est inconnue. la résurgence de certaines maladies génétiques dans certaines familles peut s'expliquer par un mosaïcisme germinal. 2 mosaïcisme épigénétique. Rappelons en premier lieu que l'épigénétique est l'étude des influences environnementales qui modifient l'expression du code génétique. Un mosaïcisme épigénétique est un mosaïcisme avec altération de l'expression d'un gène sans changement dans la séquence nucléotidique. Le plus souvent, il s'agit d'un mosaïcisme lié au chromosome X chez la femelle, mais il peut également être autosomique (concerner un chromosome non sexuel). Chez les Mammifères, et donc la Chatte, un état inactivé de l'un des deux chromosomes X dans chaque cellule via des mécanismes épigénétiques conduit à produire un mosaïcisme fonctionnel naturel et physiologique. Le chromosome X est beaucoup plus grand et comporte beaucoup plus de gènes que le chromosome Y. Cette disparité est compensée par l'inactivation d'un des deux chromosomes X (phénomène de lyonisation). Au cours du développement embryonnaire, un des deux X (apporté soit par le père, soit par la mère , mais élu aléatoirement dans chaque cellule) devient génétiquement inactif. Une fois cette sélection opérée, chaque cellule fille conservera ce choix définitif. Ainsi chaque individu femelle possède deux lignées distinctes : la lignée où le X paternel est inactivé, et celle où c'est le X maternel. La proportion de chaque lignée est totalement aléatoire chez chaque individu (sauf chez les Marsupiaux) et même chez les jumeaux issus par scission du même zygote. Il en résulte un mosaïcisme fonctionnel qui concerne toutes les hétérozygoties liées au chromosome X. En conséquence, dans le cas d'une chatte rousse hétérozygote O/o, l'aspect tricolore et écaille de tortue résulte pour chaque plage colorée, de l'inactivation soit du chromosome X porteur du Orange, soit du chromosome X non porteur. Le mâle qui ne porte qu'un seul X hérité de sa mère n'est donc pas concerné théoriquement par ce mosaïcisme. Or, un Chat tricolore sur 3000 est un mâle, généralement stérile, mais certains individus mâle tricolore sont féconds. Comment est ce possible ? Il y a plusieurs alternatives : Syndrome de Klinefelter en mosaïque (XXY) La présence de deux X conduit à un phénomène d'inactivation comparable à celui rencontré chez les femelles. La stérilité dépend de la répartition cellulaire des différents caryotype. Dans le cas d'un Chat mâle 38XY/39XXY, si les organes sexuels sont de type 39XXY, il est stérile; si les organes sexuels sont de type 38XY, il est fécond. Cependant, chez ces individus, un hypo-développement possible de l'appareil génital est responsable aussi de stérilité. Mosaïsme chromosomique 38 XY/XX Mêmes explication : il s'agit à la fois d'un mosaïcisme épigénétique par inactivation d'un X et mosaïcisme chromosomique. Il est donc nécessaire de procéder à un examen caryotypique des Chats tricolore ou écaille de tortue destinés à la reproduction, en sachant que l'infertilité n'est pas nécessairement liée à une anomalie du caryotype (si les cellules prélevées par exemple sur un chat mosaïque 38XY/39XXY font partie de la lignée normale 38XY, on ne détectera pas l'anomalie du caryotype), et que la stérilité peut être due à une cause indépendante du phénotype tricolore ou écaille de tortue. D'autres explications sont avancées pour expliquer comment des Chats à caryotype anormal sont néanmoins féconds. En premier lieu, cela peut dépendre du nombre et du type de cellules concernées par l'anomalie. Par exemple, Gregson et Ishmael décrivent en 1971 un Chat 38XX/57XXY (avec 57=3x19) tout à fait fertile. D'autre part, la mosaïque peut ne concerner que des cellules somatiques, les cellules germinales étant normales et l'appareil génital normalement développé. En dernier lieu, le mosaïcisme ne peut concerner qu'un seul gène. Ainsi un Chat mâle écaille sans anomalie caryotypique peut être issu de la mutation de l'allèle O vers o , ou le contraire. Si la mutation a lieu à un stade précoce du développement, la proportion des plages rousses et eumélaniques tendront vers l’équilibre; inversement, en cas de mutation tardive, beaucoup moins de cellules seront concernées et les plages mutées seront peu nombreuses, petites voire difficilement visibles. Une dernière hypothèse est qu'il s'agit d'une chimère, donc issue de zygotes différents, que le caryotype soit normal 38 XY ou non 38 XX/38XY. III le chimérisme. Une chimère est un individu au sein duquel cohabitent des cellules issues de deux ou plusieurs zygotes différents. Une chimère peut être naturelle, ou créée artificiellement. 1 Les différents types de chimères. Une chimére est complète lorsque le chimérisme touche l'ensemble de l'organisme. Il se produit lors de fusion précoce de deux embryons. L'individu qui en est issu est donc tétra-parental (tétra=quatre). Bien qu'une dispermie donne un zygote unique et donc potentiellement une mosaïque, certains auteurs évoquent ce phénomène pour expliquer l'apparition de chimères complètes. La fécondation de l'ovocyte et du second globule polaire correspondant est appelée parfois dispermie, mais il s'agit dans ce cas de deux zygotes, et l'individu résultant est donc une chimère. Plusieurs cas de chimères naturelles ont étés décrits chez l'Homme et le chien, chez des individus fertiles et souvent découverts fortuitement. Micro-chimérisme et chimérisme foeto-maternel. On parle de micro-chimérisme lorsque la population génétiquement étrangère représente moins de 5% des cellules nucléées d'un individu ou d'un organe. On le définit donc par la quantité de cellules touchées, ou par leur durée de vie (par exemple lors de transfusion sanguine). Le chimérisme foeto-maternel est un cas particulier observé couramment lors de transfert bidirectionnel de cellules entre la mère et le fœtus Ces échanges ont lieu chez la femme à partir des 4-5 premières semaines de grossesse jusqu'à la naissance. Ce chimérisme peut persister des décennies chez des femmes, elles mêmes mères. On distingue micro-chimérisme fœtal (présence de cellules fœtales chez la mère) et micro-chimérisme maternel (présence de cellule de la mère chez le fœtus). Chimérisme de la lignée sanguine et free-martinisme. Il s'agit de la coexistence dans le compartiment hématopoïétique de cellules d'origines génétiques différentes. Il peut être temporaire (transfusion) ou permanent (greffe de moelle osseuse, ou de cellules souches étrangères). Le free-martinisme est la forme d'intersexualité le plus souvent rencontrée chez les Bovins. Un free-martinisme apparaît lorsque des connections vasculaires (anastomoses) se créent dans l’utérus entre deux embryons de sexe différent (92% des cas !). Un chimérisme XX/XY se développe alors. La plupart du temps, la lignée sanguine est une chimère, avec échanges et implantations pérennes de cellules souches hématopoïétiques. Les génisses XX possédant un jumeaux XY souffrent de troubles de la reproduction par masculinisation de leur appareil génital, à cause de l'influence des hormones mâles que les gonades du cojumeau synthétisent avant l’apparition des hormones femelles de la génisse. La plupart du temps, les ovaires sont fonctionnels mais l’appareil génital est intersexué. Dans certains cas, la structure des ovaires peut être masculinisée. L'incidence du free-martinisme lors de grossesse gémellaire inter-sexuée est estimé à 5% chez la Chèvre, 1% chez les Ovins. Des cas ont étés décrits chez le Cheval et chez l'Homme, ce phénomène est rare, mais certains auteurs estiment qu'il pourrait être favorisé par les techniques de procréation assistée, la fécondation in vitro en particulier. Chimérisme de la lignée germinale. Lors de chimère complète, cellules somatiques et germinales sont touchées. Chez l'Homme, ces anomalies peuvent être découvertes lors de test génétique en recherche de paternité, ou de test génétique en vue de greffe. Chez le Ouistiti de Bahia, il existe un chimérisme germinal naturel : des allèles du reste de la portée peuvent être acquis par anastomoses placentaires entre les jumeaux et transmis lors de reproduction future : le parent génétique est alors différent du parent attendu... Les chimères expérimentales et iatrogènes (provoquées par le traitement médical). Dans les années soixante, la fabrication de chimères expérimentales a permis d'explorer davantage le développement humain (rappelons que la chimère a quatre parents, à distinguer de l'hybride comme le bardot, issu d'un étalon et d'une ânesse qui a deux parents). Dans les années quatre-vingt, une chimère interspécifique mouton-chèvre a été créée. Les techniques utilisées sont soit par injection (de noyaux totipotents) ou par agrégation de blastomères. Certains chercheurs ont créés des souris fertiles possédant six ou huit parents. Ces lignées permettent des études approfondies des mécanismes intimes du développement embryonnaire et de la différentiation cellulaire. Les chimères iatrogènes : des personnes recevant des greffes de cellules souches hématopoïétiques sont considérées comme chimères, mixtes si cohabitent les cellules d'origines et les cellules greffées, totales si la lignée sanguine exogène remplace complètement, après irradiation médicale par exemple, les cellules d'origines. Ces études sont à l'origines des techniques médicales de greffes, rénales ou hépatiques par exemple. Deux phénomènes sont observés : soit une tolérance de l'organisme receveur pour les cellules greffées (chimérisme induit) en association avec les molécules empêchant le rejet, soit une colonisation de l'organe par les cellules greffées (chimérisme spontané). A noter que les chimères Homme-animal, si elle sont aujourd'hui techniquement réalisables, sont très controversées et interdites dans le Monde au nom de l’éthique bio-médicale. IV Étude expérimentale du cas d'Harmonie L'auteur de la thèse Mlle Ambre Jaraud-Darnault s'est intéressée à quatre cas, nous n'en retiendrons qu'un seul, Harmonie des Persans de Rose, Persane tabby blanche noire et bleue. Comme nous l'avons expliqué précédemment, le locus Dilution (D) agit sur l'ensemble des locus de couleur et la dilution n'apparaît que si le Chat est homozygote d/d (l'absence de dilution est D/D ou D/d). Si la base de la couleur est noire, alors l'apparition de plages diluées et de plages non diluées est théoriquement impossible. Or Harmonie a présenté dès sa naissance cette incongruité, qui a persisté à l'âge adulte. Analysons son ascendance et sa descendance : Du coté paternel : le grand père est bleu (d/d); la grand mère est bleue écaille tabby (d/d); leur fils est donc obligatoirement dilué, ses parents lui ayant transmis chacun l'allèle d. Il transmet obligatoirement à chacun de ses descendant l'allèle d. Du coté maternel : le grand père est noir et blanc, donc D/d ou D/D; la grand mère est crème et blanche, c'est à dire roux diluée donc d/d. Leur fille est noire écaille et blanche , donc D (base noire qui vient du père) et possède un allèle dilué maternel d. Elle est donc D/d. Les couleurs attendues dans la portée dont est issue Harmonie sont donc : phénotype dilué de genotype d/d (50%) et phénotype non dilué de génotype hétérozygote D/d (50%). Les frères et sœurs d'Harmonie sont Harry Beau (mâle crème, donc d/d), Hermès (mâle bleu et blanc donc d/d), et Hermione (femelle écaille bleue crème, donc d/d). Harmonie qui possède au moins des cellules somatiques d/d et D/d a reproduit avec son frère Harry Beau et a donné naissance à cinq chatons, dont un mâle décédé rapidement, tous de phénotype dilué. Harmonie a transmis exclusivement sur cette portée un allèle dilué. Harmonie a eu une seconde portée avec un mâle crème (d/d) d'une lignée différente de la sienne : six chatons sont nés, tous de phénotype dilué. Quelles sont les hypothèses pouvant expliquer le phénotype très particulier d'Harmonie ? La première est une mutation de l'allèle d : une réversion de d vers D expliquerait l'apparition de poils non dilués; cette mutation aurait eu lieu à un stade précoce, car les plages noires sont étendues ce qui signifie que de nombreuses cellules portent cette mutation. Dans cette hypothèse, le statut du locus Dilution des parents et ascendants n'intervient pas car la mutation est fortuite et peut se produire dans n'importe quelle lignée, même si elle ne comporte que des phénotypes dilués depuis plusieurs générations. Harmonie est alors un chat mosaïque. La deuxième hypothèse intègre l'ascendance d'Harmonie : son père ne produit que des spermatozoïdes "d", mais sa mère est hétérozygote D/d et produit donc des ovules "D" ou "d". Par fusion précoce de deux embryons , un embryon homozygote d/d et un autre embryon hétérozygote D/d dans l’utérus de la mère d’Harmonie, il peut en résulter un embryon constitué de deux populations cellulaires d/d et D/d. Dans ce cas Harmonie est une chimère. On voit donc dans cet exemple qu'il est difficile lors de l'analyse seule des phénotypes des ascendants et descendants d'Harmonie de déterminer quelle hypothèse est la bonne. Le fait qu'Harmonie produit que des chatons à phénotype dilué n'est pas un élément probant, car l'anomalie ne peut toucher que les cellules somatiques, où un nombre peu important de cellules germinales : statistiquement, sur un nombre restreint de descendants, l'anomalie peut ne pas avoir été transmise si très peu de cellules germinales sont touchées. Des analyses génétiques ont étés effectuées : l'ADN d'Harmonie a été prélevé à partir de cellules buccales et de cellules sanguines; des échantillons de poils noirs et de poils bleus ont également été arrachés (pour obtenir le bulbe qui contient l'ADN). Des échantillons de cellules buccales ont également étés collectés chez les parents d'Harmonie, chez chacun de ses chatons vivants et chez son frère Harry Beau. A l’aide de ces prélèvements ADN, des profils génétiques ont été réalisés. Il s’agit de déterminer le génotype (les 2 allèles) des chats pour une quinzaine de régions chromosomiques très variables (que l’on appelle des marqueurs). Cela sert à contrôler les filiations par exemple. Les profils ADN des parents d'Harmonie et de ses chatons n'ont pas montré d'anomalie. En revanche, les profils réalisés à partir du sang et des poils d’Harmonie ont montré des anomalies : trois allèles étaient présents pour 6 des 15 marqueurs analysés alors que normalement il ne peut y en avoir que 2 : un allèle hérité du père et un allèle hérité de la mère. L'allèle d a été observé dans l’ADN issu des poils bleus et des poils noirs d'Harmonie. L'allèle D a été trouvé dans l’ADN extrait à partir de son sang. La présence de 3 allèles pour des marqueurs respectivement présents sur six chromosomes différents démontre que l'anomalie se retrouve au delà du seul locus D. Harmonie possède une double composition génétique. Elle est donc indubitablement une chimère, complète ou quasiment complète. Agrégation ou dispermie ? En comparant les marqueurs tri alléliques d'Harmonie, de son père et de certains de ses descendants, on peut conclure qu'Harmonie à transmis deux allèles différents pour le même marqueur, ce qui indique une double contribution du père et donc une probable dispermie. Cependant, l'étude d'autres marqueurs est compatible avec l'hypothèse d'une agrégation. Peut être pourrait on définitivement trancher la question en accomplissant une analyse plus exhaustive de plus nombreux autres marqueurs. En dernier lieu, le génotype d/d des poils noirs d'Harmonie s'explique vraisemblablement par une contamination des prélèvements par des poils bleus et des cellules de la peau (kératinocytes) dont le génotype pouvait être d/d alors que les cellules pigmentaires (mélanocytes) auraient été D/d. Conclusion. Chez le Chat, la plupart des individus écaille de tortue ou tricolore sont des femelles dont le phénotype est géré par un mosaïcisme naturel épigénétique, l'inactivation d'un des deux chromosomes X. L'existence de rares mâles, dont certains fertiles, portant ces robes sont expliqués par deux phénomènes génétiques, chimérisme et mosaïcisme. Jusqu'à présent, seules les analyses des arbres généalogiques ou des caryotypes étaient disponibles pour tenter d'expliquer ces phénomènes. Aujourd'hui, ces outils sont complémentés par les progrès du séquençage et l’étude spécifique de certains marqueurs génétiques. La généralisation de prélèvements simples à réaliser pourrait aider les praticiens à conseiller les propriétaires et éleveurs confrontés à des individus à phénotypes atypique ou non attendus. Glossaire (Wikipedia) et 5 planches de la thèse d’Ambre JARAUD-DARNAULT ADN : Acide désoxyribonucléique : molécule support de l'hérédité. Allèle : une des multiples versions différentes qu'un même gène ou qu'un même locus peut connaître. Caryotype : arrangement standard des chromosomes d'une cellule à partir d'une prise de vue microscopique. Chromosome : structure constituée d'ADN. Génotype : c'est l'ensemble ou une partie donnée de l'information génétique d'un individu. Locus : emplacement physique précis et invariable sur un chromosome. Méiose : division cellulaire qui aboutit à la production de cellules sexuelles (ou gamètes) pour la reproduction sexuée. Mitose : division cellulaire qui concerne les cellules somatiques (cellules du corps à l'exception des cellules reproductrices, dites germinales) et produit des cellules identiques à la cellule mère lors de la multiplication asexuée. Phénotype : ensemble des caractères observables d'un individu Présenté dans la thèse : Le phénotype unique de Venus (Source : Venus's Page - Facebook Présenté dans la thèse : La répartition des plages de couleur noire et diluée chez Harmonie (Source : Chatterie des Persans de Rose) Des plages de couleur noires sont majoritairement visibles sur la tête, sur le haut et le milieu du dos et sur le flanc gauche d'Harmonie. La distinction entre le bleu et le noir semble cependant plus difficile sur d'autres zones du pelage. Le Cat Club d’Occitanie, affilié à la Fédération Féline Française tient à féliciter Ambre JARAUDDARNAUL pour ce magnifique travail de Recherche. Ce résumé réalisé par le Docteur Pasquini di Barbieri avec l’autorisation du Docteur Arbitbol, maître de conférences à Alfort et directeur de Recherche, nous le rappelons, a été adressé à tous nos éleveurs, présidents de clubs FFF en France et au bureau de la FFF afin que chacun puisse apprécier. Merci encore à M. et Mme Moreau éleveurs de la Chimère Harmonie et aux autres éleveurs cités dans la thèse d’avoir participé à ce haut niveau de Recherche.