1. L`archéologie française et les épaves d`époque moderne

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DE LÉTUDE ARCHÉOLOGIQUE APPLIQUEE AUX SITES DÉPOQUE MODERNE:
LEXEMPLE DES EPAVES DE LA HOUGUE
1. Larchéologie française et les épaves d’époque moderne. Réflexions
Née en 1966 de la volonté novatrice darchéologues spécialistes de lhis-
toire de lAntiquité, larchéologie sous-marine française a tout naturellement
montré à ses origines une prédilection fortepour les épaves antiques. Ce fut
même jusqu’à la fin des années 70 une mono-passion qui na guère laissé de
place à l’étude des épaves plus récentes. Le rapprochement quon peut faire
entre les destinées bien différentes réservées à deux passionnants gisements
découverts dans les années 60, lun du Ier s. av. J.C., l’épave dite de la Madra-
gue de Giens, lautre du XVIe s., l’épave Chrétienne E, offre une illustration
certes schématique mais significative de cette première phase de la discipline.
Alors que la fouille de l’épave de Giens, menée entre 1968 et 1982 par une
équipe du CNRS et de lUniversité dAix-en-Provence simposait comme lar-
chétype dune fouille archéologique sous-marine et étayait dans le monde
entier la réputation de la France dans ce secteur nouveau de la recherche,
l’épave Chrétienne E retombait, après deux brèves opérations de sondage en
1962 et 1963, dans un oubli trentenaire doù seuls des archéologues bénévo-
les ont tenté en 1992 de la sortir. On ne s’étonnera donc pas quau moment
où les problématiques de recherche attachées aux gisements d’époque mo-
derne se développaient et saffinaient dans le monde anglo-saxon, la France
soit restée, comme lItalie, très en retrait de ce secteur de la recherche. Con-
séquence évidente et grave de ce désintérêt des spécialistes français pour les
épaves modernes, la formation même des jeunes archéologues français aux
problématiques de recherche attachées à ces épaves a le plus généralement
été délaissée. Cest donc le plus souvent sur le terrain et dans lindifférence
générale de leurs ainés que de jeunes chercheurs, souvent eux-mêmes de for-
mation antiquisante, se sont lentement initiés, au début des années 80, aux
arcanes de la recherche appliquée aux épaves d’époque moderne.
Parallèlement à cette timide évolution de la recherche professionnelle,
on a vu se développer à cette époque lintérêt des archéologues amateurs
pour les épaves modernes. Souvent venus aux épaves post-antiques par le
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biais de la recherche en archive, ces derniers ont ainsi accompagné et même
souvent précédé la recherche officielle. Si leurs travaux ont quelquefois con-
tribué à des publications majeures, on ne peut en revanche pas dissimuler la
faiblesse, pour ne pas dire linanité, des données scientifiques livrées par beau-
coup dautres opérations conduites pendant de nombreuses années sur ces
gisements. Menées par des équipes de faible niveau scientifique qui éprou-
vaient les plus grandes difficultés à établir un véritable distinguo entre la
justification scientifique dune fouille archéologique et le simple attrait de la
découverte dun mobilier, les activités dune multitude dassociations, dites
darchéologie sous-marine, se sont ainsi longtemps résumées à un ramassage
plus ou moins ordonné de mobilier archéologique sur des épaves considérées
encore avec indifférence par beaucoup darchéologues professionnels.
Il reste que ces projets de fouilles ont eu le grand mérite dalerter les
responsables de larchéologie française sur lintérêt scientifique des sites d’épo-
que moderne et la nécessité dassurer au même titre que les épaves antiques
leur protection et leur mise en valeur. La passion hégémonique des cher-
cheurs français pour les épaves antiques sest ainsi infléchie peu à peu et de
nombreux projets de recherches ambitieux se sont développés sur les épaves
post-antiques jusqualors négligées. La fouille de l’épave Arles 1 (1714), celle
de la Lomellina (1516), puis l’étude du navire de la Compagnie des Indes
hollandaises Mauritius (1609), et enfin celle de l’épave Aber Wrach 1 (1ère
moitié du XVe s.) ont ainsi jalonné les années 80 et marqué lirruption de
larchéologie française dans des thématiques de recherche jusqualors déser-
tées par ses spécialistes.
Au terme de cette évolution, la reconnaissance par la communauté scien-
tifique de lintérêt de ces opérations a finalement abouti au début des années
90 à un équilibre plus harmonieux de la recherche française entre les épaves
antiques et post-antiques. La meilleure preuve en est que les deux grands
chantiers professionnels qui ont marqué en France les années 90 à 95 ont eu
pour objet, lun les épaves antiques de la Pointe Lequin, à lest de Toulon,
lautre les épaves de cinq vaisseaux de ligne français perdus en 1692 à Saint-
Vaast-La-Hougue, en Normandie. Cest précisément ce dernier exemple que
nous souhaitons évoquer ici pour illustrer limportance et lintérêt des re-
cherches menées depuis 15 ans en France sur les épaves post-antiques.
2. Les épaves de la Hougue : de lHistoire à la fouille
2.1 LE CONTEXTE HISTORIQUE
Il y a déjà quatre ans que lEurope se consume dans la guerre dite de la
Ligue dAugsbourg lorsque, le 29 mai 1692, une flotte française de 44 bâti-
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ments rencontre dans la Manche, à quelques milles de Cherbourg, une armée
navale anglo-hollandaise forte dune centaine de vaisseaux de ligne. Réunie
sur la côte nord du Cotentin à linitiative de Louis XIV et du roi dAngleterre
Jacques II pour y embarquer des troupes dinvasions destinées à chasser de
Londres lusurpateur protestant Guillaume III dOrange, la flotte française
de lAmiral Tourville livra à la flotte coalisée dEdward Russell, Lord Amiral
de Guillaume III, un combat acharné mais trop inégal pour que la victoire lui
sourit. Au soir du 29 mai, les vaisseaux français furent en conséquence con-
traints à battre en retraite. Si nombre dentre eux purent rejoindre les côtes
bretonnes, quinze des plus grands bâtiments de Tourville, repoussés par les
courants de marée, furent en revanche amenés à chercher refuge près du lieu
du combat. Cest ainsi que douze vaisseaux se présentèrent devant Saint-
Vaast La Hougue. Pénalisés par leur très fort tirant deau, les cinq plus gros
bâtiments de cette escadre s’échouèrent à proximité immédiate de l’île Tatihou,
qui jouxte le continent (Fig. 1), cependant que les autres, à lexception dun
seul qui se perdit sur une barre rocheuse, entraient dans une baie proche dite
du Cul de Loup. Cernés par la flotte anglaise et abandonnés par leurs équipa-
ges trop épuisés pour les défendre, tous ces vaisseaux de ligne furent finale-
ment détruits les jours suivants par des incendies allumés par des brûlots
anglais. On déplora ainsi la perte à Tatihou de lAmbitieux, du Merveilleux,
du Saint-Philippe, du Foudroyant et du Magnifique, cependant que disparais-
saient dans la baie du Cul de Loup les deux vaisseaux de 76 canons, le Fier et
le Tonnant, ainsi que le Gaillard (68 canons), le Bourbon (64 canons), le
Saint-Louis et le Fort (60 canons).
La très faible profondeur de la baie conjuguée à limportance des vais-
seaux incendiés expliquent que les années suivantes furent marquées par de
très actives campagnes de récupération directement organisées par ladmi-
nistration royale. Ce qui pouvait encore être sauvé fut à cette occasion récu-
péré puis les épaves sombrèrent pour près de trois siècles dans un quasi-
oubli.
2.2 ELABORATION DUN PROJET DE FOUILLE
Il fallut en fait attendre 1985 pour quun plongeur normand, Christian
Cardin, fasciné par lhistoire de la Hougue recherche et découvre les épaves
des vaisseaux incendiés auprès de l’île Tatihou. Or, cest à cette même épo-
que que le Conseil Général du département de la Manche décida la réhabili-
tation de cette île dont il souhaitait faire un pôle touristique et culturel et un
lieu muséographique consacré au monde maritime. Dans le cadre de ce pro-
jet global, il proposa donc fin 1989 de financer un premier diagnostic ar-
chéologique des épaves proches de l’île. Conduit par Michel LHour, un son-
dage réalisé dès 1990 conclut à lintérêt archéologique des épaves. Avec lap-
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Fig. 1 Localisation des épaves devant l’île Tatihou.
pui du Conseil Général de la Manche fut donc développé en 1991 un vaste
programme d’étude pluri-annuel qui sest poursuivi jusquen 1995.
Preuve de lintérêt que les chercheurs accordent désormais aux épaves
d’époque moderne, le chantier de la Hougue, qui avait été initialement envi-
sagé comme un simple diagnostic, a finalement réuni en six campagnes près
de cent trente fouilleurs venus de 15 pays différents et totalisé en six ans plus
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de 30000 heures de travail, dont 5000 heures de travail sous-marin et 2000
heures de restauration. Par l’étendue et la diversité de son recrutement et le
nombre dheures de travail salariées auquelles il a donné lieu, ce chantier
archéologique est donc devenu au fil des années le plus important sans doute
des chantiers de fouille sous-marins européens de la décennie.
2.3 REPRÉSENTATIVITÉ DU SITE ET PROBLÉMATIQUE DE LÉTUDE
Les archives nous enseignent que les cinq épaves de Tatihou présentent
un faciès homogène puisquil sagit dans tous les cas de vaisseaux de premier
rang, en fait les plus puissants de la flotte française de l’époque (1). Du Saint-
Philippe, construit à Toulon en 1664, à lAmbitieux, lancé à Rochefort en
1691, en passant par le Magnifique, mis en chantier à Toulon en 1683 ou le
Merveilleux et le Foudroyant, armés à Brest en 1691, les épaves de Saint-
Vaast La Hougue constituent ainsi une source matérielle unique, un témoin
fiable et irremplaçable de l’évolution de la construction des vaisseaux en
France au cours du dernier tiers du XVIIème siècle.
LES EPAVES DE TATIHOU
daprès lEstat abrégé de la marine du Roy de janvier 1692 (An, Marine, Grobis)
Bâtiment Port de Artillerie Lieu de Charpentiers Mise Achevé
tonneaux construction en chantier en
Le Saint-Philippe 1500Tx 84 Toulon Gédéon Rodolphe 1661 1665
Le Magnifique 1800 Tx 84 Toulon François Chapelle 1683 1685
LAmbitieux 1529 Tx 96 Rochefort Honoré Malet 1691 1692
Le Foudroyant 1600 Tx 82 Brest Blaise Pangalo 1690 1691
Le Merveilleux ———— 94 Brest Blaise Pangalo 1691 1692
Matérialisation architecturale du savoir-faire technique de quatre char-
pentiers différents, dont Gédéon Rodolphe, Honoré Malet ou Blaise Pangalo
qui ont littéralement marqué de leur empreinte la période, les vaisseaux de
Tatihou nillustrent cependant pas seulement plus dun quart de siècle de
construction navale dans les trois plus grands arsenaux du royaume, lun au
Levant, Toulon, les deux autres au Ponant, Rochefort et Brest, mais ils pré-
sentent aussi la singularité davoir été lançés au cours dune phase primor-
(1) Inspiré par lexemple anglais, le classement des vaisseaux de ligne sest imposé en
France après 1670. Fondé sur la puissance de feu des bâtiments, ce regroupement des navires
en 5 rangs de puissance décroissante est une conséquence directe de lapparition de la ligne
de file dans le combat naval. Cette pratique imposait en effet de ne conserver dans la ligne de
bataille que des navires suffisamment puissants pour soutenir l’échange.
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