Synthèse La lignée germinale dans la différenciation ovarienne : un équilibre subtil entre présence nécessaire et disparition programmée Solange Magre hez la femme comme pour l’ensemble des femelles de mammifères, la fertilité est strictement dépendante de la taille du stock d’ovocytes, établi dès la période fœtale, mais aussi du bon déroulement de la folliculogenèse tout au long de la vie reproductive. En l’absence de cellules souches permettant la régénération du stock d’ovocytes, toute atteinte d’ordre génétique ou environnementale (facteurs nutritionnels, xénobiotiques ou abiotiques), entraînant une perturbation de ces différentes étapes, aura une répercussion directe sur la fertilité pouvant aller d’une insuffisance ovarienne précoce à une stérilité immédiate. Toutefois, physiologiquement, tout au long de la vie reproductive de la femelle, on assiste à une déperdition continue des cellules de la lignée germinale que ce soit durant la vie fœtale, Université Paris Diderot, Sorbonne Paris Cité Biologie Fonctionnelle et Adaptative EAC CNRS 4413 Physiologie de l’Axe Gonadotrope 4 rue MA Lagroua Weill-Hallé 75205 Paris cedex 13, France E-mail : solange.magre@ univ-paris-diderot.fr Mots-clés : ovaire, folliculogenèse, apoptose ovocytaire. Aspect histologique de l’ovaire Différenciation du lignage Granulosa Blastème Cordons ovigères Follicules Corps jaunes Indifférenciées Pregranulosa Granulosa du cumulus 3 Lutéales 1 2 4 Différenciation du lignage Germinal Murales 5 Ovogonies Ovocytes Figure 1. Principales étapes de la différenciation ovarienne et contribution du lignage germinal à la différenciation du lignage granulosa. La présence des ovogonies n’est pas nécessaire à la différenciation des cordons ovigères (étape 1). Les ovocytes sont indispensables à la formation des follicules (étape 2) et à l’établissement du gradient de différenciation des cellules de la granulosa : cellules du cumulus vs cellules murales (étapes 3 et 4). A la suite de l’expulsion de l’ovocyte lors de l’ovulation, les cellules de la granulosa se différencient en cellules lutéales (étape 5) (modifié d’après [4]). avant ou après leur entrée en méiose, ou dès leur incorporation dans le follicule, au cours du phénomène d’atrésie folliculaire. Ainsi, les cellules germinales au nombre de 7 millions à 5 mois de vie intra utérine ne sont plus que 1 million à la naissance et sur les 400 000 follicules présents à la puberté, seuls 400 d’entre eux atteindront le stade préovulatoire [1, 2]. On estime que plus de 99 % des ovocytes seront soumis à divers processus de dégénérescence [3]. La différenciation, la maturation et la fonction ovarienne dépendent d’un équilibre précis entre présence et disparition des cellules germinales et cela à toutes les étapes du développement ovarien (Figure 1). Différenciation ovarienne et histogenèse folliculaire Les gonades se différencient à la surface du mésonéphros, rein embryonnaire (disparaissant à la fin du deuxième mois). Tout d’abord identiques dans les deux sexes, elles forment un blastème cellulaire qui se distingue des territoires avoisinants par la colonisation des cellules germinales primordiales (CGP) provenant de territoires extra embryonnaires (la base de l’allantoïde), via le mésentère dorsal. La migration des CGP dans le territoire gonadique se produit dans la 4ème semaine chez le fœtus humain [4]. Parmi les différents facteurs impliqués dans la migration et la multiplication des PGC, citons le facteur Kit-ligand (appelé aussi Steel factor ou Stem cell factor) exprimé par les cellules somatiques présentes le long des voies de migration et son récepteur à tyrosine kinase c-Kit, exprimé par les CGP. Les gènes codant ces deux protéines Médecine Clinique endocrinologie & diabète • n° 52, Mai-Juin 2011 SynyhèseMagre.indd 37 37 11/07/11 18:22 Synthèse sont situés respectivement dans les loci Sl et W dont les mutations ont été décrites au milieu de siècle dernier chez les souris Steel et White spotting, stériles à l’état homozygote [5, 6]. Après leur migration dans les crêtes génitales, les cellules germinales devenues ovogonies chez les femelles et spermatogonies chez les mâles présentent une forte activité mitotique. C’est au cours de cette période que les cellules germinales atteignent leur nombre maximum chez la femelle. Le premier événement caractéristique de la différenciation ovarienne est l’entrée en prophase de première division méiotique des ovogonies, appelées dès lors ovocytes (rappelons que l’entrée en méiose se produit à la puberté chez les mâles). Elle débute dès la 12 ème semaine. Les ovocytes progressent à travers les stades de la prophase méiotique : leptotène, zygotène, pachytène, jusqu’au stade diplotène dans lequel ils vont rester bloqués (noyau dyctié) jusqu’à la reprise de la méiose, déclenchée par le pic préovulatoire de LH (hormone lutéinisante). L’entrée en méiose des ovogonies correspond à une phase intense d’apoptose, en particulier au stade pachytène, faisant chuter d’un tiers le nombre de cellules germinales. Au cours du développement fœtal de l’ovaire les ovogonies puis les ovocytes sont intégrés dans des structures épithéliales qui s’organisent au sein du blastème. Ces structures délimitées par une membrane basale continue qui les isolent du tissu mésenchymateux sont appelés cordons ovariens ou cordons ovigères. Outre les cellules germinales, les cordons ovigères sont formés par des cellules épithéliales qui deviendront les cellules folliculaires, les cellules de la prégranulosa (Figures 2 et 3). Il est intéressant de noter que cette étape de morphogenèse épithéliale peut se faire indépendamment de la présence des cellules germinales (Figure 1). Si celles ci sont absentes soit par exemple chez les souris mutantes steel ou white spotting ou détruites par un traitement antimitotique (busulphan) ou à la suite d’une irradiation, les structures épithéliales stériles sont présentes [7, 8]. Elles vont toutefois progressivement dispa38 SynyhèseMagre.indd 38 Membrane basale Cellule prégranulosa Ovocyte en apoptose Ovocyte cellule mésenchymateuse invasion des cellules mésenchymateuses Figure 2. Schéma récapitulatif des étapes nécessaires à la formation des follicules. (modifié d’après [8]) (I) : cordon ovigère ; (II) et (III) : apoptose ovocytaire et fragmentation du cordon ovigère. Figure 3. Aspect histologique de la différenciation ovarienne (chez la ratte à 1 jour postnatal). La morphogenèse des follicules s’établit selon un gradient du centre vers la périphérie de l’ovaire. Les follicules (primordial, primaire et secondaire) sont visibles au centre de l’ovaire. A la périphérie, on observe les différentes étapes de la morphogenèse folliculaire schématisées dans la figure 2. (I) : cordon ovigère ; (II) et (III) : apoptose ovocytaire et fragmentation du cordon ovigère. (o : ovocyte ; pg : cellule prégranulosa ; m : cellule mésenchymateuse) raître et l’ovaire régresser pour devenir une bandelette fibreuse ou streak gonad. En effet, l’étape suivante de la différenciation ovarienne, la formation des follicules ou histogénèse follicu- laire, est strictement dépendante de la présence des ovocytes (Figure 1), en leur absence, les follicules ne se différencient pas. Toutefois, d’une manière paradoxale, c’est au cours de cette phase Médecine Clinique endocrinologie & diabète • n° 52, Mai-Juin 2011 11/07/11 18:22 que l’on assiste une nouvelle fois à une vague d’apoptose massive des ovocytes. En conséquence le ratio entre le nombre de cellules de la lignée germinale et le nombre de cellules de la lignée granulosa se modifie en faveur de ces dernières (Figure 2). Chaque ovocyte survivant est entouré progressivement par les cellules épithéliales de la prégranulosa. Il se forme ainsi un follicule délimité par une membrane basale continue le séparant du tissu mésenchymateux qui s’insinue entre les follicules en formation, ce qui a pour conséquence la fragmentation et donc la disparition du cordon ovigère (Figures 2 et 3). L’histogenèse folliculaire débute à partir de la 16ème semaine chez le fœtus humain. Les follicules qui se sont formés au cours de cette étape sont des follicules primordiaux caractérisés par une assise de cellules de la granulosa aplaties (ou squameuses). La grande majorité d’entre eux va rester à l’état quiescent et constituer la réserve folliculaire qui assurera l’intégralité de la vie reproductive de la femelle. Folliculogenèse A partir de la puberté, la maturation ovocytaire se fait en étroite relation avec la folliculogenèse, processus regroupant les étapes de sélection et de croissance folliculaire depuis le stade follicule primordial jusqu’au stade préovulatoire. La folliculogenèse dont la durée chez la femme est estimée à 200 jours [9] est classiquement subdivisée en deux étapes, la folliculogenèse basale et la folliculogenèse terminale. Au cours de la folliculogenèse basale, les follicules initient leur croissance et passent successivement du stade primordial, au stade primaire jusqu’au stade petit antral. Cette phase de croissance n’est pas contrôlée par les hormones gonadotropes hypophysaires mais par des facteurs locaux agissant de manière autocrine ou paracrine. L’hormone anti-Müllerienne (AMH) sécrétée par les follicules en croissance régule la croissance folliculaire en inhibant le recrutement des follicules de la réserve [10]. Plus directement dans le cadre des interactions entre ovocyte et cellules de la granulosa, certains facteurs de croissance ainsi GDF9 (Growth Differentiation Factor 9) et BMP15 (Bone Morphogenetic Protein 15) sécrétés par l’ovocyte stimulent la croissance du follicule [11, 12]. Réciproquement le Kit-ligand sécrété par les cellules de la granulosa intervient sur la croissance ovocytaire [13]. La folliculogenèse terminale qui aboutit à l’ovulation est sous le contrôle des hormones gonadotropes hypophysaires LH et FSH et se déroule en 3 phases successives : recrutement de follicules qui entrent en croissance, sélection du ou des follicules destiné(s) à ovuler et dominance, étape au cours de laquelle les follicules non sélectionnés vont devenir atrétiques. A partir de la formation de l’antrum et au cours de la croissance du follicule antral, les cellules de la granulosa vont se subdiviser en deux populations : les cellules du cumulus proches de l’ovocyte et les cellules murales, à la périphérie du follicule, proches de la membrane basale. Ces populations cellulaires se distinguent par leurs caractéristiques morphologiques et fonctionnelles, ainsi dans le follicule préovulatoire l’expression des récepteurs de LH est forte dans les cellules murales et faible dans les cellules du cumulus ; ces dernières synthétisant l’acide hyaluronique, glycosaminoglycane participant à l’expansion du cumulus, nécessaire à l’ovulation. Le rôle de l’ovocyte dans le contrôle de la différenciation des cellules de la granulosa a été mis en évidence par des expériences déjà anciennes d’ovocytectomie (chez le lapin ou le rat). La suppression par microchirurgie de l’ovocyte d’un follicule préovulatoire entraîne la lutéinisation des cellules de la granulosa et la production de progestérone normalement observées après l’ovulation [14] (Figure 1). Cet effet est réversible si, en culture in vitro, un ovocyte est ré-associé aux cellules de la granulosa [15]. Ces approches expérimentales au cours desquelles sont réalisées des co-cultures d’ovocytes et de cellules de la granulosa ont confirmé l’importance de l’ovocyte dans la différenciation des cellules de la granulosa Médecine Clinique endocrinologie & diabète • n° 52, Mai-Juin 2011 SynyhèseMagre.indd 39 et spécifiquement dans l’établissement de la différence fonctionnelle entre cellules du cumulus et cellules murales [16, 17] (Figure 1). En l’absence d’ovocyte, les cellules de la granulosa, sous le contrôle des hormones gonadotropes, suivraient une voie de différenciation « par défaut » qui les transformerait en cellules murales puis en cellules lutéales, alors que la présence de l’ovocyte induirait la différenciation des cellules du cumulus [18, 19]. L’ensemble des étapes nécessaires à la différenciation ovarienne et au bon déroulement de la folliculogenèse fait appel à un dialogue étroit entre cellules de la lignée germinale et de la lignée granulosa, dialogue qui, a cependant la particularité de s’établir alors que près de 99 % des cellules de la lignée germinale disparaissent tout au long de la vie reproductive. L’identification de nouveaux facteurs contrôlant les interactions entre lignage germinal et lignage granulosa (oocyte-granulosa cell regulatory loop [18]), aussi bien que ceux intervenant dans l’établissement du stock d’ovocytes est un objectif majeur qui permettra de progresser dans le domaine des recherches fondamentales sur la physiologie ovarienne mais aussi dans la perspective de recherches appliquées sur la fertilité humaine. Références 1. Baker TG, Proc R Soc Lond B 1963 ; 158:417. 2. Gougeon A, Endocr Rev 1996 ; 17:121. 3. Hsueh AJ et al, Endocr Rev 1994 ; 15:707. 4. 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