Jean-Pierre Minaudier. Lycée La Bruyère, Versailles, octobre 17, 2004. Rs 1.1
Chapitre 1:
La Russie à la veille de la révolution de 19171
Note liminaire importante: ce cours est un cours engagé. Il est tout entier un
grand fragment d'idéologie; il faut donc le manier avec précaution, notamment
dans l'optique des concours. Les faits sont exacts évidemment, sauf étourderies
(je travaille sur des sources de seconde main); en revanche leur sélection, leur
interprétation, l'analyse, le ton surtout peuvent choquer: en France, pour des
raisons que j'analyse au chapitre 6, certains, de moins en moins nombreux il est
vrai en ce début de XXIe siècle, trouvent encore des excuses ou des circonstances
atténuantes au communisme, considèrent qu'il s'est agi d'un épisode au moins en
partie progressiste de l'Histoire humaine, sauvent les bonnes intentions des
calamiteux résultats; même certaines personnes qui reconnaissent les dangers des
méthodes léninistes, et les excès du bolchevisme, tiennent à souligner les aspects
positifs du bilan de l'U.R.S.S. — pour moi, c'est aussi obscène que de rappeler
qu'en Allemagne sous Hitler, quand même, les trains arrivaient à l'heure et, au
moins, il n'y avait pas de chômeurs.
Cet exposé, comme l'ensemble de mes cours, part des principes suivants, que
vous êtes libres de partager ou non (je ne vous demande pas d'être d'accord avec
moi mais de comprendre la logique de mon approche de l'Histoire, pour vous
forger votre propre réflexion): la liberté est la valeur la plus précieuse car elle est
ce qui distingue la vie de la mort, l'homme de l'animal, ce qui permet à l'homme
de progresser, de devenir meilleur; tout ce qui s'y oppose est mauvais, en
particulier il n'y a pas d'égalité véritable sans liberté, l'égalité n'a d'intérêt que si
elle permet le développement de la liberté (N.B. Liberté ne veut pas dire loi de la
jungle, ni anarchie! Il n'y a pas de liberté sans lois); la politique doit être l'art du
consensus et non une entreprise de destruction de l'adversaire; on n'a pas à faire
le bonheur des gens malgré eux, rien, pas même l'avenir de l'humanité, ne justifie
nulle violence volontairement excercée (N.B. Bien entendu, en revanche une
violence est légitime quand elle est la seule réaction possible à une autre
violence); un massacre perpétré au nom du progrès est aussi inexcusable qu'un
1 Note formelle: du fait de mon absolue méconnaissance du russe et de la totale incohérence de mes
sources, je ne suis pas arrivé à unifier la transcription des mots russes. En principe, il faut tout lire à la française
(les "j" notamment!); "i" et "y" transcrivent deux sons différents dont le second, dit "i dur", n'existe pas en
français. En apprenant, prêtez une attention particulière aux nombreuses sifflantes et chuintantes, qu'il ne
faut pas confondre (s, z, ts, dz, ch, j, tch, dj, et même chtch qui est une seule lettre en cyrillique). Le "kh" russe
se lit comme le "j" espagnol ou le "ch" dur allemand. Pour les noms de lieux, qui ont pas mal varié, j'ai utilisé
pour chaque époque, sauf distraction, le nom sous lequel ils étaient connus: ainsi "Saint-Pétersbourg" devient
"Petrograd" en juillet 1914 et "Leningrad" en janvier 1924; en particulier, je donne les noms de lieux ukrainiens
sous leur forme russe, qui est celle sous laquelle on les trouvait couramment mentionnés à l'époque (et largement
encore aujourd'hui). Cependant, lorsque le lieu a été désigné de noms complètement différents (comme
Tsaritsyne/Stalingrad/Volgograd), à la première occurence dans le texte j'ai essayé de penser à donner la liste des
appellations successives. Pour les noms de personnes, j'ai simplifié les pseudonymes (ainsi j'appelle Staline
"Staline" même aux époques où il était connu sous d'autres noms); en revanche, j'ai essayé de respecter au
maximum l'usage russe des patronymes, sans lesquels l'identité d'un Russe est mutilée: je vous rappelle qu'entre
leur prénom et leur nom les Russes portent le prénom de leur père, suffixé en général par "-ovitch" pour les
hommes et par "-ovna" pour les femmes. Vous n'êtes pas obligés, vous, de vous surcharger la mémoire avec
cela… Pour les prénoms, gardez en mémoire que Nicolas et Nikolaï, c'est la même chose, de même qu'Alexis et
Alexeï, Lev et Léon, Piotr et Pierre, Iouri/Georgui et Georges, etc. J'ai éliminé tous les diminutifs, qui sont la
plaie des traductions de romans russes, sauf pour Pavlik (= Pavel) Morozov, mort à treize ans, qui n'est connu
que sous ce petit nom.