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Dans un texte de 1984 Agamben avait posé très clairement la question de la tâche 
propre à la philosophie, en disant : « La tâche de l’exposition philosophique est de 
venir, avec la parole, en aide à la parole, pour que, dans la parole, la parole même ne 
reste pas présupposée à la parole, mais, en tant que parole, vienne à la parole »
.  
Dans cette curieuse formulation, la référence est au βοηθεῖν du Phèdre (278 c 6). 
Dans  le  passage  platonicien,  y  est  dit  « savant »  seulement  celui  qui  sait  rendre 
raison, avec son propre discours, du discours même, même s’il est écrit. Ça veut dire, 
avec des termes qu’Agamben définie comme « contemporains » : rendre compte du 
fait même de parler. C’est-à-dire : se rendre compte, parvenir à la connaissance du 
« fait même du langage » (ibid.) – de ce présupposé qui demeure comme un apriori 
de chaque acte linguistique.  
Mais, parce que cette présupposition précède encore et toujours l’homme qui parle 
et  l’acte  même  de  la  parole,  elle  en  est  le  fondement  proprement  « indicible », 
inexprimable
. La question est alors la suivante : concevoir philosophiquement et 
essayer d’exprimer cet avoir-lieu du langage, cette impossibilité originaire. 
La  formulation  est  certes  proche  de  la  maxime  wittgensteinienne  selon  laquelle 
« was gezeigt werden  kann,  kann nicht gesagt  werden »  (Wittgenstein,  Tractatus 
4.1212) :  il  n’est  pas  possible  avec  le  langage  de  dire  le  langage  même.  Et  la 
médiation de Martin Heidegger n’est pas non plus cachée : il avait assigné à cet avoir-
lieu, qu’on ne peut pas exprimer dans ni avec le langage, l’ouverture du Dasein à soi-
même : « Die primäre Entdeckung der Welt » (Heidegger, Sein und Zeit, p. 138). « Non 
pas comme le monde est, mais », dit Agamben, « que le monde est » – non pas ce 
qu’on  dit  « dans  des  propositions  à  l’intérieur  du  langage,  mais  que  le  langage 
soit »
. 
Mais si la question est un caractère propre à la pensée contemporaine, le mérite de 
la  recherche  agambenienne  consiste,  surtout,  en  le  développement  de  la  trace 
archéologique : la découverte de la matrice de cette exigence, propre au vingtième 
siècle,  dans  ce  que  déjà  Platon  avait  indiqué  comme  la  marque,  dit-il,  « de 
l’authentique exposition philosophique », mais que seulement le Stoïcisme, selon sa 
lecture originale, serait arrivé à exprimer d’une façon exemplaire. 
Dans le pressentiment d’une impossibilité, Agamben s’adresse en fait une première 
fois aux Stoïciens. Il s’agit de la théorie stoïcienne des passions, avec une inédite 
participation à la théorie du Dasein heideggérien. Le Dasein, nous rappelle Agamben, 
se pose face à l’ouverture – qui est une ouverture au langage – avec Angst, angoisse 
 
 En italien : « compito dell’esposizione filosofica è quello di venire con la parola  in aiuto alla parola, 
perché,  nella  parola, la  parola  stessa  non  resti  supposta  alla parola,  ma venga,  come  parola,  alla 
parola », dans La cosa stessa,  texte d’une conference à Forlì en 1984,  publié dans  La  potenza  del 
pensiero, 2010, p. 18. 
 Cfr. Agamben, L’idea di linguaggio, dans La potenza del pensiero, p. 30-34. 
 « Non come il mondo è, ma che il mondo è », - non pas ce qu’on dit « in proposizioni all’interno del 
linguaggio, ma che il linguaggio sia », dans Vocazione e voce, texte d’une conference à Pavia en 1980, 
dans La potenza del pensiero, p. 80.