CRITERES D'EFFICACITE DU TRAITEMENT D'UNE HYPOVOLEMIE P. Bruelle, E. Nouvellon, J.Y. Lefrant, J.E. de La Coussaye, J.J. Eledjam, Fédération Anesthésie Réanimation, Urgence Douleur, CHU, 30006 Nîmes. INTRODUCTION L'hypovolémie traduit une baisse de la masse sanguine circulante. Elle se rencontre au décours de situations très variées. Sa gravité tient au fait qu'il s'y associe une altération de la capacité de transport en oxygène, favorisant ainsi le risque d'hypoxie tissulaire. Les conséquences sont d'autant plus importantes que l'hypovolémie survient chez un sujet préalablement fragilisé, qu'elle est importante et qu'elle se pérennise. Son diagnostic est parfois difficile. Les moyens mis en œuvre pour son dépistage varient suivant la cause et la symptomatologie clinique. Les buts du traitement sont quant à eux bien codifiés. Il s'agit dans un premier temps de restaurer la masse sanguine circulante et de la maintenir. Ainsi, dans la plupart des cas, la normalisation de la symptomatologie clinique (pouls, pression artérielle, diurèse) constitue l'objectif à atteindre. Néanmoins, dans un second temps, il convient de s'assurer que la perfusion tissulaire est optimale, et que les tissus, notamment mésentériques, ne souffrent pas. On se trouve ainsi confronté soit à un risque de MAPAR 1997 sous-compensation, ou à l'inverse à une sur-compensation dont les conséquences, notamment pulmonaires, sont source d'une morbidité accrue. Il serait donc nécessaire d'utiliser des moyens de surveillance plus invasifs qui seront en règle associés au monitorage clinique habituel. Cependant, le délai nécessaire à la mise en œuvre de ce monitorage le rend incompatible avec l'urgence que nécessite le contrôle d'une hémorragie. Le traitement étiologique doit donc être pris en compte, et ne doit en aucun cas être retardé par la mise en œuvre d'un monitorage. 1. CRITERES CLINIQUES D'EFFICACITE DU TRAITEMENT DE L'HYPOVOLEMIE 1.1. LA CORRECTION DE L'HYPOTENSION ARTERIELLE L'hypotension artérielle est classiquement décrite au cours de l'hypovolémie. Cependant, chez le sujet sain, conscient, la baisse de la pression artérielle moyenne ne s'observe que pour des pertes sanguines majeures [1]. Les mêmes constatations ont été faites chez l'animal. Ainsi, chez le chien éveillé, la baisse de la PAM est bien corrélée à l'importance des pertes sanguines, lorsque celles ci sont supérieures à 25 ml/kg [2]. A l'inverse, pour des pertes moindres, on ne retrouve aucune corrélation entre la baisse de la PAM et l'importance de la spoliation sanguine. Paradoxalement, l'anesthésie ne semble pas améliorer la corrélation entre la baisse de la PAM et l'importance de l'hypovolémie. En effet, Perel et al [3] constatent qu'une réduction de 30 % de la masse sanguine chez le chien anesthésié au Thiopental et à l'Halotane ne s'accompagne que de très faibles variations de la PAM et de la fréquence cardiaque. Au-delà, la baisse de la PAM est proportionnelle à l'importance de l'hypovolémie. A l'inverse, la normalisation de la PAM survient en règle avant la restitution complète du volume sanguin spolié [3]. Ceci s'explique notamment par la persistance de l'hyperactivité sympathique. En conséquence, la normalisation de la PAM ne signifie pas pour autant que l'hypovolémie soit corrigée. 1.2. LA NORMALISATION DE LA FREQUENCE CARDIAQUE La tachycardie, bien qu'évocatrice, n'est pas spécifique de l'hypovolémie, et témoigne en règle d'une hyperactivité sympathique. Ce signe n'est cependant pas constant et peut même être remplacé par une bradycardie. Cette dernière a été décrite essentiellement lors d'hypovolémie majeure et constitue un critère de gravité [4]. Elle témoigne de l'activation des mécano-récepteurs présents au niveau de la paroi postérieure du ventricule gauche et permet de préserver le remplissage ventriculaire [5]. Enfin, d'autres facteurs sont susceptibles d'influencer les variations de la fréquence cardiaque chez les patients hypovolémiques. Il s'agit notamment de la douleur, de l'existence d'une dysautonomie (diabétique), ou de l'utilisation de produits ayant un effet bradycardisant (bêta-bloquant, agent anesthésique...). En fait, les modifications de la fréquence cardiaque sont d'autant plus évocatrices d'une 372 Hypovolémie hypovolémie qu'elles accompagnent une hypotension artérielle et qu'elles sont corrigées par des manœuvres dynamiques [6]. Ainsi, après la mise en Trendelenburg, la normalisation de la fréquence cardiaque associée à une élévation de la PAM signe en règle l'hypovolémie. Ce signe bien qu'inconstant doit être considéré comme autorisant la poursuite du remplissage vasculaire [6]. La surveillance du traitement peut alors se faire par le monitorage de la fréquence cardiaque et de la pression artérielle. En situation aiguë, chez le sujet à cœur sain, la normalisation de ces signes témoigne en règle de l'efficacité du traitement. Paradoxalement ils ne permettent pas d'apprécier de façon exacte la correction de l'hypovolémie. En effet, la normalisation de la PAM et de la fréquence cardiaque surviennent avant la restitution complète du volume sanguin spolié. En conséquence, seule une mesure des pressions de remplissage peut permettre d'optimiser le volume nécessaire à la compensation de l'hypovolémie. 1.3. LA CORRECTION DE L'OLIGURIE L'oligurie ne survient que pour des hypovolémies profondes et/ou prolongées. Dans ce dernier cas, elle est en règle précédée par des anomalies biologiques associant augmentation de l'osmolalité urinaire et baisse de la natriurèse. En conséquence, la restauration d'une diurèse supérieure à 0,5 ml/kg/h ne signifie pas pour autant que l'hypovolémie soit corrigée [7]. On doit en effet s'assurer que la normalisation de la diurèse est associée à une normalisation de la natriurèse et de l'osmolalité urinaire. La persistance de l'oligurie malgré la correction de l'hypovolémie traduit en règle une altération de la fonction rénale quel qu'en soit la cause. En conséquence, la normalisation de la fonction rénale et de la diurèse ne peuvent pas constituer les seuls objectifs à atteindre lors du traitement d'une hypovolémie. 2. INTERET DE LA MESURE DES PRESSIONS DE REMPLISSAGE 2.1. LA MESURE DE LA PRESSION VEINEUSE CENTRALE (PVC) Chez les sujets à cœur sain, l'élévation progressive de la PVC jusqu'à 10 cm H2O associée à la disparition des signes cliniques traduit en règle la correction de l'hypovolémie [8]. En effet, sur cœur sain, les variations de la PVC sont théoriquement corrélés à la pression télédiastolique du ventricule gauche (PTDVG) [1]. Cependant cette corrélation n'existe que chez les sujets dont la fraction d'éjection est supérieure à 0,6 et si aucune contrainte n'est imposée à l'un des ventricules [9]. A l'inverse, aucune corrélation ne peut être établie entre la PVC et la PTDVG chez le patient dont la fraction d'éjection est inférieure à 0,5 [9]. Chez le patient ventilé en pression positive les variations de la PVC s'avèrent être moins bien corrélées au volume sanguin que les variations de la pression artérielle systolique [1]. De plus, les mesures de la PVC sont difficiles à interpréter lorsqu'une contrainte est exercée sur le thorax ou sur l'abdomen. Enfin, la baisse de la PVC 373 MAPAR 1997 n'est pas un indicateur fiable pour préciser l'importance de l'hypovolémie. Ainsi, chez le chien anesthésié en hémorragie contrôlée, il n'existe aucune corrélation entre le volume de sang perdu et la baisse de la PVC [3]. Les mêmes constations ont été faites chez le chien éveillé. Dans ce cadre la baisse de la PVC s'avère même être un moins bon indicateur que la baisse de la PAM [2]. Aussi, l'intérêt de cette mesure doit-il être réévaluée dans le cadre de l'hypovolémie. 2.2. MESURE DES PRESSIONS PAR CATHETERISME DE SWAN-GANZ Le remplissage vasculaire constitue la base du traitement de l'hypovolémie. Son effet bénéfique sur la fonction ventriculaire gauche s'explique par le principe de Franck Starling qui indique qu'une élévation de la précharge ventriculaire gauche se traduit par une élévation du volume d'éjection systolique. Chez les patients présentant une dysfonction ventriculaire gauche, les variations de la PVC ne reflètent plus les variations de la pression capillaire pulmonaire ou de la pression télédiastolique du ventricule gauche (PTDVG) [10]. Dans cette situation, le cathétérisme de Swan Ganz reste donc indispensable. Ainsi, il a été démontré qu'une Pression Artérielle Pulmonaire d'Occlusion (PAPO) comprise entre 15 et 20 mmHg permettait d'obtenir le niveau le plus élevé de débit cardiaque (Qc) chez les patients à la phase aiguë d'un infarctus du myocarde [11]. Ces patients présentent en effet un ventricule gauche peu compliant. La même étude réalisée chez des patients à la phase aiguë d'un choc septique a permis de constater un niveau de PAPo optimal à 12 mmHg [12]. Cependant, dans cette étude, l'âge moyen des patients est supérieur à 80 ans [12]. Ceci laisse supposer que la compliance ventriculaire gauche de ces patients peut déjà être altérée par de nombreuses pathologies (HTA, insuffisance coronaire...). En conséquence, on ne peut pas définir un chiffre absolu de PAPO signant la fin de l'hypovolémie. L'intérêt du cathétérisme de Swan Ganz réside surtout dans la possibilité d'effectuer une mesure couplée PAPO/Qc [8]. Ainsi, suivant le principe de Franck Starling, la PAPO optimale peut être définie comme celle qui permet d'obtenir le meilleur débit cardiaque et au-delà de laquelle on n'observe plus d'élévation du Qc. L'intérêt pour ce cathéter doit cependant être tempéré par la difficulté à obtenir des mesures exactes des pressions au niveau de la petite circulation [13]. En effet, les sources d'erreur à ce niveau sont nombreuses et ont fait l'objet d'une revue récente [1]. De plus, la plupart des paramètres obtenus à l'aide de ce cathéter sont mesurés de façon sporadique et parfois de façon non synchrone aux thérapeutiques utilisées. Ainsi, la normalisation des pressions de remplissage, du débit cardiaque et de la SVO 2 peut être proposée comme but thérapeutique. Cependant une telle pratique n'a jamais permis d'améliorer la survie des patients [14]. Néanmoins, la mesure du débit cardiaque de façon continue reste à évaluer dans ce cadre. 374 Hypovolémie 2.3. L'ECHOGRAPHIE TRANSŒSOPHAGIENNE (ETO) Cet examen peut faciliter l'évaluation rapide des performances cardiaques. L'incidence la plus communément utilisée pour le monitorage de la fonction VG est la coupe du petit axe ventriculaire gauche passant par les piliers de la valve mitrale [1]. La précharge du ventricule gauche est évaluée en règle par la mesure de la surface télédiastolique mesurée à ce niveau. Ainsi, la baisse de la surface télédiastolique du ventricule gauche est directement proportionnelle à la baisse de la volémie et s'avère dans ce cadre, supérieure au dépistage des hypovolémies obtenues à l'aide des cathéters de Swan Ganz [15]. Chez le sujet dont la fonction VG est normale, il est ainsi possible de définir qu'un seuil de surface télédiastolique inférieur à 5 cm2/m 2 signe l'hypovolémie [16]. A l'inverse, ce seuil ne peut être défini dans l'absolu chez les patients dont la fonction systolique du VG est altérée. Cependant, dans tous les cas, l'augmentation de la volémie s'accompagne d'une élévation de la surface télédiastolique du ventricule gauche [17]. Il est donc possible de visualiser les effets du remplissage. La mesure du débit cardiaque par cette technique n'est possible que si l'on a accès aux surfaces des orifices et aux vitesses circulatoires [16]. Néanmoins, les mesures sont discontinues et longues à réaliser. Sur le plan théorique, l'ETO peut être considéré comme un moyen de monitorage intéressant. Par contre son intérêt thérapeutique reste à démontrer. Son coût, et surtout la nécessité d'un apprentissage long, en limite grandement la diffusion. De plus, les mesures effectuées en ETO ne renseignent que sur l'adéquation contenantcontenu et la fonction VG. A l'inverse, le retentissement tissulaire lié à l'hypovolémie ne peut pas être appréhendé par cette méthode. 2.4. LES VARIATIONS DE LA PRESSION ARTERIELLE SYSTOLIQUE (VPS) Au cours de l'hypovolémie, la précharge du ventricule gauche est dépendante des variations du débit cardiaque et de la pression artérielle. Chez le patient ventilé, les VPS s'effectuent autour d'un zéro de référence obtenu par la mesure de la pression artérielle systolique en fin d'expiration. L'élévation de la pression artérielle au-dessus de cette ligne défini le Delta-Up. Il correspond à l'augmentation du débit cardiaque par compression des vaisseaux pulmonaires. Les baisses de la pression artérielle au-dessous de cette ligne mesurent le Delta-Down et correspondent à la diminution du retour veineux cave. L'amplitude des variations de la pression artérielle systolique dépend des compliances thoraciques et pulmonaires, du volume courant, de la fonction cardiaque et de la volémie [1]. Bien que non spécifiques, les VPS et les variations du Delta Down mesurées au cours du choc hémorragique sont des indicateurs très sensibles de la volémie. Ainsi au cours de l'hémorragie, les variations du Delta-Down sont parfaitement corrélées au volume sanguin spolié, alors qu'aucune corrélation n'est retrouvée entre l'importance de l'hémmoragie et la fréquence cardiaque, la pression artérielle moyenne et la PVC [3]. Néanmoins ces mesures sont inopérentes chez le sujet en ventilation spontannée [18]. Ceci s'explique en grande partie par les relations qui relient les VPS au volume courant. 375 MAPAR 1997 Néanmoins si cette mesure est une aide précieuse au dépistage de l'hypovolémie son intérêt dans le traitement est moins bien documentée. Ainsi, chez les patients ayant bénéficié d'une chirurgie de l'aorte, une expansion volémique réalisée à l'aide d'albumine est associée à une diminution du Delta-Down et à une augmentation de la surface télédiastolique du ventricule gauche (STDVG) et du débit cardiaque mesuré à l'ETO [19]. Cependant, pour Rooke, la normalisation de la VPS et du Delta-Down constatée lors de la restauration du volume sanguin spolié au cours de l'hémorragie survient avant restitution complète du volume perdu [18]. Il n'en reste pas moins que les VPS peuvent aider à suivre le traitement des patients hypovolémiques sous ventilation contôlée. Ainsi, on peut considérer que la disparition du Delta-Down traduit l'inutilité de poursuivre un remplissage. Ce signe n'est cependant pas univoque car il s'observe lors d'une défaillance du ventricule gauche, et lors de l'hypervolémie [20]. De plus, l'hypervolémie et, à un degré moindre, la défaillance cardiaque, s'accompagnent d'une augmentation du Delta-Up [21]. Cette méthode permet donc de discriminer les hypovolémies avec diminution du débit cardiaque de celles à débit cardiaque conservé et s'avère, dans ce cadre, supérieur à la PAPO et à la PVC. Sa facilité de mise en place la rend plus accessible que le cathéter de Swan-Ganz, mais son intérêt comparé reste à démontrer. 3. CRITERES METABOLIQUES DE L'EFFICACITE DU TRAITEMENT La restauration d'un débit cardiaque et d'une pression artérielle ne peuvent pas être considérées comme les seuls objectifs à atteindre. Ainsi, lorsque la normalisation de la pression artérielle et du débit cardiaque sont utilisées comme finalité thérapeutique lors du traitement d'une hypovolémie, on constate la persistance d'une vasoconstriction splanchnique. La baisse de la capacitance veineuse observée dans les suites d'une hypovolémie est l'un des mécanismes compensateurs facilitant le maintien du débit cardiaque [22]. Malheureusement, cette baisse du flux sanguin splanchnique et mésentérique persiste dans les heures qui suivent une hémorragie malgré la restitution du volume sanguin perdu. Ceci explique probablement que la normalisation de la symptomatologie clinique et des pressions de remplissage soit insuffisante pour permettre de diminuer la mortalité et la morbidité associée à l'hypovolémie. La baisse des flux mésentérique et splanchnique doit être considérée comme le stigmate d'une souffrance tissulaire qui persiste au décours de l'hypovolémie. Si l'on considère que la baisse de la mortalité est l'objectif à atteindre pour témoigner de l'efficacité d'un traitement, ce but ne peut être atteint que si l'on restaure une perfusion tissulaire optimale. Cependant, la mesure des débits mésentériques ne peut pas être obtenue en pratique clinique courante. Par contre, les anomalies de la perfusion tissulaire s'accompagnent en 376 Hypovolémie règle de modifications métaboliques qui peuvent être mesurées et corrigées au décours de l'hypovolémie. 3.1. TRANSPORT ET CONSOMMATION EN OXYGENE : MESURE Le but est ici de mesurer les variables physiologiques qui reflètent au mieux l'oxygénation tissulaire. La mesure simultanée des gaz du sang artériel et veineux mêlé, ainsi que celle du taux d'hémoglobine, permet de calculer le contenu artériel et veineux en oxygène. La mesure du débit cardiaque, du transport et de la consommation en oxygène, peut alors être indexée afin de déterminer l'index cardiaque et les index de transport et de consommation en oxygène. L'augmentation de ces index est associée à une amélioration de la survie des patients au décours de différents états de choc chez des patients graves de réanimation [23]. De plus, dans un certain nombre d'études cliniques prospectives, les investigateurs ont utilisé les valeurs observées de façon empirique chez les survivants comme finalité thérapeutique. Ainsi, pour Moore et al [24], l'obtention d'un index de transport en oxygène de 600ml/min/m2 et d'une consommation en oxygène de 150ml/min/m2 le plus tôt possible après l'admission des patients, permet de diminuer la morbidité. En effet, seuls 17 % des patients chez qui ces valeurs ont pu être obtenues, développent une défaillance multi-viscérale. Cette dernière survient par contre chez 80 % des patients chez qui les objectifs ne sont pas atteints. Aboukhalil et al [25] ont monitoré 39 patients jeunes victimes d'un traumatisme pénétrant ayant motivé la transfusion de plus de 6 culots globulaires en peropératoire. Dans cette étude, les auteurs cherchent à réanimer les patients jusqu'à obtenir une baisse des lactates et une consommation d'oxygène indépendante du transport. Ils constatent que la mortalité n'est que de 7 % lorsque les objectifs sont atteints et qu'à l'inverse les patients décèdent lorsque les buts fixés ne peuvent être obtenus. Bishop et al [26] constatent chez 90 patients consécutifs victimes d'un traumatisme sévère, que les patients survivants ont un index cardiaque et des index de transport et de consommation en oxygène plus élevés que les non-survivants. De plus, la mortalité est d'autant plus basse que les valeurs observées chez les survivants sont obtenues avant la 24ème heure. Ceci a conduit cette équipe à réaliser une étude clinique chez les patients victimes de traumatisme sévère afin de tester l'intérêt d'obtenir des valeurs supra-normales d'index cardiaque et de transport et de consommation en oxygène [24]. Deux groupes de patients sont sélectionnés. Dans le premier groupe contrôle (n = 67), le but est de rétablir une fréquence cardiaque, une pression artérielle et une diurèse normale. Dans le deuxième groupe de patients porteurs d'une Swan Ganz (n = 50), les buts sont d'obtenir un index cardiaque > 4,5l/min/m2, un transport en oxygène > 670ml/min/m2, et une consommation d'oxygène > 166ml/min/m 2 dans les 24 h qui suivent le traumatisme et de les maintenir 48 h après l'admission. L'objectif thérapeutique est atteint chez tous les patients du groupe contrôle. Par contre, seuls 70 % des patients satisfont les objectifs thérapeutiques définis dans le groupe Swan Ganz. A l'inverse, la mortalité 377 MAPAR 1997 est plus élevée dans le groupe contrôle que dans le groupe Swan Ganz (37 % vs 18 %). De plus, les auteurs constatent que les patients inclus dans le groupe Swan Ganz, ont moins de défaillance viscérale et ont des durées moindres de ventilation mécanique et d'hospitalisation en réanimation que les patients du groupe contrôle [24]. Dans tous les cas, la morbidité et la mortalité observées chez des patients victimes de traumatisme sévère sont d'autant plus importantes que le temps nécessaire à la correction de l'hypovolémie et à la réalisation des objectifs thérapeutiques est long. Ces résultats, bien qu'intéressants, restent discutés. Ainsi, pour Gattinoni et al [27], l'obtention d'un index cardiaque et d'un transport en oxygène supra normal ne suffit pas à diminuer la mortalité des patients en réanimation. De plus, les risques inhérents à l'utilisation du cathéter de Swan Ganz, et le délai nécessaire à son exploitation sont parfois difficilement compatibles avec la notion d'urgence extrême observée lors des hypovolémies aiguës [28, 29]. 3.2. MESURES DU PH TISSULAIRE Les anomalies de la circulation hépato-splanchnique s'accompagnent en règle d'une baisse du pH intra-gastrique (pH-ig). Cette baisse du pH-ig semble être corrélée à une plus grande mortalité et une plus grande morbidité lorsqu'elle persiste dans les douze heures qui suivent l'admission des patients en réanimation [30]. La normalisation du pH-ig pourrait donc être un objectif à atteindre, lors du traitement d'une hypovolémie. Cependant, cette finalité thérapeutique ne peut être retenue en première intention. En effet, les difficultés inhérentes aux techniques de mesure (délai de stabilisation de 30 minutes, mesure couplée du pH artériel et du CO2 gastrique) font que la mesure du pH-ig ne peut être mise en œuvre qu'une fois l'équilibre hémodynamique atteint. Dès lors, l'obtention d'un pH-ig supérieur à 7,32 permet de diminuer la mortalité des patients en unité de soins intensifs [30]. La mesure du pH intra-rectal à l'aide d'une électrode tissulaire à pH permettrait des mesures plus rapides et plus fiables que celles obtenues par la mesure du pHig à l'aide d'un tonomètre gastrique [31]. Cependant cette technique n'a été décrite que dans le cadre de travaux expérimentaux et restent à évaluer chez l'homme. Enfin, la baisse du pH tissulaire est un reflet de l'ischémie tissulaire observé dans les suites du traitement d'une hypovolémie [2]. Cette baisse du pH tissulaire s'observe également de façon plus fréquente au cours des acidoses lactiques qui témoignent d'une diminution globale de la perfusion tissulaire. Pour Aboukhalil et al [25], la normalisation rapide de cette acidose lactique permet de diminuer la mortalité des patients jeunes victimes de traumatismes sévères. Pour ces auteurs, seule une prise en charge agressive associant remplissage vasculaire et inotrope positif sous couvert d'un monitorage par cathéter de Swan Ganz permet d'optimiser le traitement et d'accélérer la clairance des lactates. Paradoxalement, Waisman et al [2], sur un modèle de chiens éveillés ne retrouvent aucune corrélation entre l'importance de l'acidose lactique et l'intensité de l'hypovolémie. Par contre, ces auteurs constatent une relation étroite entre le déficit en base mesuré au niveau artériel et l'importance de l'hypovolémie. Ceci peut être expliqué en partie par l'accélération du 378 Hypovolémie métabolisme oxydatif des lactates en pyruvate au cours de l'hypovolémie. Cependant, d'autres explications restent possibles. Ainsi, le déficit en base mesuré au niveau artériel peut résulter de l'accumulation d'autres molécules que les lactates. Ces molécules libérées au cours de l'hypoperfusion tissulaire participent également à l'acidose métabolique. La correction, ou la non-aggravation du déficit en base, mesurée en niveau artériel peut donc constituer un indice d'efficacité ou de nonaggravation d'hypovolémie. Cependant ceci reste à démontrer en clinique humaine. 4. TRAITEMENT ETIOLOGIQUE Toutes ces mesures ne peuvent pas être réalisées facilement dans l'urgence. Le temps nécessaire à leur réalisation doit donc être pris en compte et ne doit en aucun cas retarder le traitement étiologique de l'hypovolémie. Ainsi, au cours de l'hémorragie, la restauration d'une perfusion tissulaire au niveau des organes vitaux est un objectif prioritaire. Le remplissage vasculaire permet dans ce cadre le maintien d'une perfusion tissulaire. Il peut donc aider à la réalisation des procédures diagnostiques et à l'orientation thérapeutique. Cette attitude longtemps préconisée a été récemment débattue. Ainsi, Bickel et al [32] ont montré chez l'animal que le remplissage vasculaire réalisé avant l'hémostase chirurgicale est associé à une majoration du saignement et à une diminution de la survie. La même équipe a comparé l'intérêt du remplissage vasculaire réalisé avant ou après une chirurgie d'hémostase chez des patients victimes de lésions pénétrantes du tronc [33]. Elle constate une mortalité et une morbidité moindres chez les patients qui ont bénéficié de la chirurgie avant le remplissage vasculaire. Cette étude a cependant fait l'objet de nombreuses controverses. Une des critiques majeures concerne le fait que des patients devant bénéficier d'un remplissage vasculaire différé ont bénéficié d'un remplissage avant l'acte chirurgical. De plus, cette attitude ne peut être préconisée lorsqu'une hypotension artérielle majeure met en jeu le pronostic vital immédiat. Néanmoins, il convient de rappeler, au vu de cette étude, qu'une chirurgie d'hémostase réalisée précocément doit permettre d'améliorer la survie des patients, victimes de choc hémorragique. CONCLUSION Les critères d'efficacité du traitement d'une hypovolémie sont donc difficiles à établir. La mesure des paramètres hémodynamiques sert de guide au traitement. Cependant la normalisation de la pression artérielle et des pressions de remplissage sont insuffisantes pour permettre de diminuer la mortalité des patients victimes d'une hypovolémie. L'intérêt comparatif des différentes méthodes reste cependant à établir. Parmi elles, seul le cathéter de Swan Ganz permet une mesure combinée des 379 MAPAR 1997 paramètres hémodynamiques et métaboliques. Sa place est donc indispensable pour suivre l'évolution des patients victimes d'une hypovolémie puisque seule la normalisation des paramètres métaboliques témoins de la souffrance tissulaire permet de diminuer la mortalité des patients hypovolémiques. Néanmoins, le délai nécessaire à sa mise en place rend son utilisation impossible losqu'un geste d'hémostase chirurgicale doit être réalisé en urgence. Le traitement étiologique rapide restant l' un des meilleurs garant de la survie des patients. 380 Hypovolémie REFRENCES BIBLIOGRAPHIQUES [1] Baron JF. Monitorage de la volémie au cours de l'anesthésie. 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