CRITERES D'EFFICACITE DU TRAITEMENT
D'UNE HYPOVOLEMIE
P. Bruelle, E. Nouvellon, J.Y. Lefrant, J.E. de La Coussaye, J.J. Eledjam, Fédération
Anesthésie Réanimation, Urgence Douleur, CHU, 30006 Nîmes.
INTRODUCTION
L'hypovolémie traduit une baisse de la masse sanguine circulante. Elle se
rencontre au décours de situations très variées. Sa gravité tient au fait qu'il s'y
associe une altération de la capacité de transport en oxygène, favorisant ainsi le
risque d'hypoxie tissulaire. Les conséquences sont d'autant plus importantes que
l'hypovolémie survient chez un sujet préalablement fragilisé, qu'elle est importante
et qu'elle se pérennise.
Son diagnostic est parfois difficile. Les moyens mis en œuvre pour son dépistage
varient suivant la cause et la symptomatologie clinique. Les buts du traitement sont
quant à eux bien codifiés. Il s'agit dans un premier temps de restaurer la masse
sanguine circulante et de la maintenir. Ainsi, dans la plupart des cas, la
normalisation de la symptomatologie clinique (pouls, pression artérielle, diurèse)
constitue l'objectif à atteindre. Néanmoins, dans un second temps, il convient de
s'assurer que la perfusion tissulaire est optimale, et que les tissus, notamment
mésentériques, ne souffrent pas. On se trouve ainsi confronté soit à un risque de
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sous-compensation, ou à l'inverse à une sur-compensation dont les conséquences,
notamment pulmonaires, sont source d'une morbidité accrue. Il serait donc
nécessaire d'utiliser des moyens de surveillance plus invasifs qui seront en règle
associés au monitorage clinique habituel. Cependant, le délai nécessaire à la mise en
œuvre de ce monitorage le rend incompatible avec l'urgence que nécessite le
contrôle d'une hémorragie. Le traitement étiologique doit donc être pris en compte,
et ne doit en aucun cas être retardé par la mise en œuvre d'un monitorage.
1. CRITERES CLINIQUES D'EFFICACITE DU TRAITEMENT DE
L'HYPOVOLEMIE
1.1. LA CORRECTION DE L'HYPOTENSION ARTERIELLE
L'hypotension artérielle est classiquement décrite au cours de l'hypovolémie.
Cependant, chez le sujet sain, conscient, la baisse de la pression artérielle moyenne
ne s'observe que pour des pertes sanguines majeures [1]. Les mêmes constatations
ont été faites chez l'animal. Ainsi, chez le chien éveillé, la baisse de la PAM est bien
corrélée à l'importance des pertes sanguines, lorsque celles ci sont supérieures à
25 ml/kg [2]. A l'inverse, pour des pertes moindres, on ne retrouve aucune
corrélation entre la baisse de la PAM et l'importance de la spoliation sanguine.
Paradoxalement, l'anesthésie ne semble pas améliorer la corrélation entre la baisse
de la PAM et l'importance de l'hypovolémie. En effet, Perel et al [3] constatent
qu'une réduction de 30 % de la masse sanguine chez le chien anesthésié au
Thiopental et à l'Halotane ne s'accompagne que de très faibles variations de la PAM
et de la fréquence cardiaque. Au-delà, la baisse de la PAM est proportionnelle à
l'importance de l'hypovolémie. A l'inverse, la normalisation de la PAM survient en
règle avant la restitution complète du volume sanguin spolié [3]. Ceci s'explique
notamment par la persistance de l'hyperactivité sympathique. En conséquence, la
normalisation de la PAM ne signifie pas pour autant que l'hypovolémie soit
corrigée.
1.2. LA NORMALISATION DE LA FREQUENCE CARDIAQUE
La tachycardie, bien qu'évocatrice, n'est pas spécifique de l'hypovolémie, et
témoigne en règle d'une hyperactivité sympathique. Ce signe n'est cependant pas
constant et peut même être remplacé par une bradycardie. Cette dernière a été
décrite essentiellement lors d'hypovolémie majeure et constitue un critère de
gravité [4]. Elle témoigne de l'activation des mécano-récepteurs présents au niveau
de la paroi postérieure du ventricule gauche et permet de préserver le remplissage
ventriculaire [5]. Enfin, d'autres facteurs sont susceptibles d'influencer les variations
de la fréquence cardiaque chez les patients hypovolémiques. Il s'agit notamment de
la douleur, de l'existence d'une dysautonomie (diabétique), ou de l'utilisation de
produits ayant un effet bradycardisant (bêta-bloquant, agent anesthésique...). En fait,
les modifications de la fréquence cardiaque sont d'autant plus évocatrices d'une
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hypovolémie qu'elles accompagnent une hypotension artérielle et qu'elles sont
corrigées par des manœuvres dynamiques [6]. Ainsi, après la mise en
Trendelenburg, la normalisation de la fréquence cardiaque associée à une élévation
de la PAM signe en règle l'hypovolémie. Ce signe bien qu'inconstant doit être
considéré comme autorisant la poursuite du remplissage vasculaire [6]. La
surveillance du traitement peut alors se faire par le monitorage de la fréquence
cardiaque et de la pression artérielle. En situation aiguë, chez le sujet à cœur sain, la
normalisation de ces signes témoigne en règle de l'efficacité du traitement.
Paradoxalement ils ne permettent pas d'apprécier de façon exacte la correction de
l'hypovolémie. En effet, la normalisation de la PAM et de la fréquence cardiaque
surviennent avant la restitution complète du volume sanguin spolié. En
conséquence, seule une mesure des pressions de remplissage peut permettre
d'optimiser le volume nécessaire à la compensation de l'hypovolémie.
1.3. LA CORRECTION DE L'OLIGURIE
L'oligurie ne survient que pour des hypovolémies profondes et/ou prolongées.
Dans ce dernier cas, elle est en règle précédée par des anomalies biologiques
associant augmentation de l'osmolalité urinaire et baisse de la natriurèse. En
conséquence, la restauration d'une diurèse supérieure à 0,5 ml/kg/h ne signifie pas
pour autant que l'hypovolémie soit corrigée [7]. On doit en effet s'assurer que la
normalisation de la diurèse est associée à une normalisation de la natriurèse et de
l'osmolalité urinaire. La persistance de l'oligurie malgré la correction de
l'hypovolémie traduit en règle une altération de la fonction rénale quel qu'en soit la
cause. En conséquence, la normalisation de la fonction rénale et de la diurèse ne
peuvent pas constituer les seuls objectifs à atteindre lors du traitement d'une
hypovolémie.
2. INTERET DE LA MESURE DES PRESSIONS DE REMPLISSAGE
2.1. LA MESURE DE LA PRESSION VEINEUSE CENTRALE (PVC)
Chez les sujets à cœur sain, l'élévation progressive de la PVC jusqu'à 10 cm H2O
associée à la disparition des signes cliniques traduit en règle la correction de
l'hypovolémie [8]. En effet, sur cœur sain, les variations de la PVC sont
théoriquement corrélés à la pression télédiastolique du ventricule gauche
(PTDVG) [1]. Cependant cette corrélation n'existe que chez les sujets dont la
fraction d'éjection est supérieure à 0,6 et si aucune contrainte n'est imposée à l'un
des ventricules [9]. A l'inverse, aucune corrélation ne peut être établie entre la PVC
et la PTDVG chez le patient dont la fraction d'éjection est inférieure à 0,5 [9]. Chez
le patient ventilé en pression positive les variations de la PVC s'avèrent être moins
bien corrélées au volume sanguin que les variations de la pression artérielle
systolique [1]. De plus, les mesures de la PVC sont difficiles à interpréter lorsqu'une
contrainte est exercée sur le thorax ou sur l'abdomen. Enfin, la baisse de la PVC
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n'est pas un indicateur fiable pour préciser l'importance de l'hypovolémie. Ainsi,
chez le chien anesthésié en hémorragie contrôlée, il n'existe aucune corrélation entre
le volume de sang perdu et la baisse de la PVC [3]. Les mêmes constations ont été
faites chez le chien éveillé. Dans ce cadre la baisse de la PVC s'avère même être un
moins bon indicateur que la baisse de la PAM [2]. Aussi, l'intérêt de cette mesure
doit-il être réévaluée dans le cadre de l'hypovolémie.
2.2. MESURE DES PRESSIONS PAR CATHETERISME DE SWAN-GANZ
Le remplissage vasculaire constitue la base du traitement de l'hypovolémie. Son
effet bénéfique sur la fonction ventriculaire gauche s'explique par le principe de
Franck Starling qui indique qu'une élévation de la précharge ventriculaire gauche se
traduit par une élévation du volume d'éjection systolique. Chez les patients
présentant une dysfonction ventriculaire gauche, les variations de la PVC ne
reflètent plus les variations de la pression capillaire pulmonaire ou de la pression
télédiastolique du ventricule gauche (PTDVG) [10]. Dans cette situation, le
cathétérisme de Swan Ganz reste donc indispensable. Ainsi, il a été démontré qu'une
Pression Artérielle Pulmonaire d'Occlusion (PAPO) comprise entre 15 et 20 mmHg
permettait d'obtenir le niveau le plus élevé de débit cardiaque (Qc) chez les patients
à la phase aiguë d'un infarctus du myocarde [11]. Ces patients présentent en effet un
ventricule gauche peu compliant. La même étude réalisée chez des patients à la
phase aiguë d'un choc septique a permis de constater un niveau de PAPo optimal à
12 mmHg [12]. Cependant, dans cette étude, l'âge moyen des patients est supérieur à
80 ans [12]. Ceci laisse supposer que la compliance ventriculaire gauche de ces
patients peut déjà être altérée par de nombreuses pathologies (HTA, insuffisance
coronaire...). En conséquence, on ne peut pas définir un chiffre absolu de PAPO
signant la fin de l'hypovolémie. L'intérêt du cathétérisme de Swan Ganz réside
surtout dans la possibilité d'effectuer une mesure couplée PAPO/Qc [8]. Ainsi,
suivant le principe de Franck Starling, la PAPO optimale peut être définie comme
celle qui permet d'obtenir le meilleur débit cardiaque et au-delà de laquelle on
n'observe plus d'élévation du Qc.
L'intérêt pour ce cathéter doit cependant être tempéré par la difficulté à obtenir
des mesures exactes des pressions au niveau de la petite circulation [13]. En effet,
les sources d'erreur à ce niveau sont nombreuses et ont fait l'objet d'une revue
récente [1]. De plus, la plupart des paramètres obtenus à l'aide de ce cathéter sont
mesurés de façon sporadique et parfois de façon non synchrone aux thérapeutiques
utilisées. Ainsi, la normalisation des pressions de remplissage, du débit cardiaque et
de la SVO2 peut être proposée comme but thérapeutique. Cependant une telle
pratique n'a jamais permis d'améliorer la survie des patients [14]. Néanmoins, la
mesure du débit cardiaque de façon continue reste à évaluer dans ce cadre.
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2.3. L'ECHOGRAPHIE TRANSŒSOPHAGIENNE (ETO)
Cet examen peut faciliter l'évaluation rapide des performances cardiaques.
L'incidence la plus communément utilisée pour le monitorage de la fonction VG est
la coupe du petit axe ventriculaire gauche passant par les piliers de la valve
mitrale [1]. La précharge du ventricule gauche est évaluée en règle par la mesure de
la surface télédiastolique mesurée à ce niveau. Ainsi, la baisse de la surface
télédiastolique du ventricule gauche est directement proportionnelle à la baisse de la
volémie et s'avère dans ce cadre, supérieure au dépistage des hypovolémies
obtenues à l'aide des cathéters de Swan Ganz [15]. Chez le sujet dont la fonction VG
est normale, il est ainsi possible de définir qu'un seuil de surface télédiastolique
inférieur à 5 cm2/m2 signe l'hypovolémie [16]. A l'inverse, ce seuil ne peut être
défini dans l'absolu chez les patients dont la fonction systolique du VG est altérée.
Cependant, dans tous les cas, l'augmentation de la volémie s'accompagne d'une
élévation de la surface télédiastolique du ventricule gauche [17]. Il est donc possible
de visualiser les effets du remplissage. La mesure du débit cardiaque par cette
technique n'est possible que si l'on a accès aux surfaces des orifices et aux vitesses
circulatoires [16]. Néanmoins, les mesures sont discontinues et longues à réaliser.
Sur le plan théorique, l'ETO peut être considéré comme un moyen de monitorage
intéressant. Par contre son intérêt thérapeutique reste à démontrer. Son coût, et
surtout la nécessité d'un apprentissage long, en limite grandement la diffusion. De
plus, les mesures effectuées en ETO ne renseignent que sur l'adéquation contenant-
contenu et la fonction VG. A l'inverse, le retentissement tissulaire lié à
l'hypovolémie ne peut pas être appréhendé par cette méthode.
2.4. LES VARIATIONS DE LA PRESSION ARTERIELLE SYSTOLIQUE (VPS)
Au cours de l'hypovolémie, la précharge du ventricule gauche est dépendante
des variations du débit cardiaque et de la pression artérielle. Chez le patient ventilé,
les VPS s'effectuent autour d'un zéro de référence obtenu par la mesure de la
pression artérielle systolique en fin d'expiration. L'élévation de la pression artérielle
au-dessus de cette ligne défini le Delta-Up. Il correspond à l'augmentation du débit
cardiaque par compression des vaisseaux pulmonaires. Les baisses de la pression
artérielle au-dessous de cette ligne mesurent le Delta-Down et correspondent à la
diminution du retour veineux cave. L'amplitude des variations de la pression
artérielle systolique dépend des compliances thoraciques et pulmonaires, du volume
courant, de la fonction cardiaque et de la volémie [1].
Bien que non spécifiques, les VPS et les variations du Delta Down mesurées au
cours du choc hémorragique sont des indicateurs très sensibles de la volémie. Ainsi
au cours de l'hémorragie, les variations du Delta-Down sont parfaitement corrélées
au volume sanguin spolié, alors qu'aucune corrélation n'est retrouvée entre
l'importance de l'hémmoragie et la fréquence cardiaque, la pression artérielle
moyenne et la PVC [3]. Néanmoins ces mesures sont inopérentes chez le sujet en
ventilation spontannée [18]. Ceci s'explique en grande partie par les relations qui
relient les VPS au volume courant.
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