Revue de chirurgie orthopédique et traumatologique (2011) 97, 869—876
Disponible en ligne sur
www.sciencedirect.com
PRATIQUE PROFESSIONNELLE
Checklist «sécurité du patient au bloc opératoire »:
suffit-il de la mettre en place pour améliorer la
sécurité ? État des lieux après six mois d’utilisation
Patient safety in the operating room: Is the ‘‘checklist’’ implementation
sufficient to improve safety? A survey at 6 months follow-up of routine
enforcement
E. de Thomassona, H. Bonfaita, C. Delaunaya,b,, O. Charroisa, Orthorisqa
a56, rue Boissonade, 75014 Paris, France
bClinique de l’Yvette, 91160 Longjumeau, France
Acceptation définitive le : 6 juillet 2011
MOTS CLÉS
Checklist ;
Sécurité des patients
au bloc opératoire ;
Gestion des risques
Résumé
Introduction. — La checklist (C/L) sécurité au bloc opératoire a montré son efficacité pour
réduire les complications chirurgicales. Après l’avoir mise en place autoritairement dans le
cadre de la certification des établissements, la Haute Autorité de Santé a réalisé une enquête,
en 2010, afin d’analyser le ressenti des chirurgiens vis-à-vis de cette procédure. Nous présentons
les réponses obtenues auprès de 559 chirurgiens orthopédistes engagés dans l’accréditation et
membres d’Orthorisq.
Résultats. — Quatre-vingt-sept pour cent des chirurgiens estiment qu’il s’agit d’un outil utile
à la sécurité des patients, 28,4 % n’y participent jamais et deux sur trois demandent que la
C/L soit modifiée en raison de l’imprécision des questions. Trente pour cent estiment ne pas
avoir rec¸u le soutien nécessaire pour sa mise en place et 40 % soulignent les difficultés qu’ils
rencontrent pour réunir l’ensemble des acteurs au moment du «temps de partage ». Si aucune
de ces difficultés n’a pu être rapportée statistiquement au mode d’exercice (libéral ou public)
Cet article est consultable sur www.sciencedirect.com et sur www.emc-consulte.com/produit/rcot.
Auteur correspondant.
Adresse e-mail : [email protected] (C. Delaunay).
1877-0517/$ – see front matter © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
doi:10.1016/j.rcot.2011.10.016
870 E. de Thomasson et al.
ou au mode d’activité (sur une ou plusieurs salles), le manque d’implication du chirurgien est
apparu comme un facteur majeur dans la démobilisation des équipes (p< 1,1 10—5).
Discussion. — Bien que son utilité soit reconnue par les chirurgiens pour la sécurité des patients,
l’utilisation de la C/L reste encore limitée. Son contenu doit s’adapter aux conditions de tra-
vail et au type de chirurgie. Cette réflexion doit être orchestrée par la commission médicale
d’établissement à qui le législateur a donné un rôle majeur dans la conduite de la politique de
gestion des risques.
© 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Introduction
Le rapport de la Banque Mondiale de 2002 sur les activités
chirurgicales à travers le monde et plus particulièrement
sur les complications inhérentes à ce type d’activité, avait
montré que la moitié de celles-ci pourraient être évitées.
À partir de ces travaux, l’Organisation mondiale de la santé
(OMS) a publié, en 2008, des recommandations de pratiques
susceptibles d’améliorer la sécurité de la prise en charge
chirurgicale des patients. Ces recommandations ont abouti
à la rédaction d’une checklist (C/L) «sécurité au bloc
opératoire »qui a été testée dans huit hôpitaux à travers le
monde. Elle y a démontré son efficacité avec une réduction
significative de la morbimortalité, et ce, quel que soit le
niveau de développement des pays concernés. Dans l’étude
phare qui a lancé la mondialisation de la pratique de la C/L,
le taux de mortalité était passé de 1,5 à 0,8 % et le taux de
complication de 11 à 7 % [1]. Depuis d’autres études [2—6]
ont confirmé cette tendance, ce qui conduisit la Haute
Autorité de Santé (HAS) à imposer, dans le cadre de la certi-
fication des établissements, la mise en place dans les blocs
opératoires, d’une C/L «à la franc¸aise »qu’elle a élaborée
(Annexe A). Si le caractère obligatoire de la démarche a
assuré sa diffusion dans presque tous les blocs opératoires
franc¸ais, cette démarche garantit-elle pour autant une
utilisation optimale de l’outil se traduisant in fine par une
diminution significative de la morbimortalité postopéra-
toire. Nous nous proposons dans cet article de présenter les
résultats d’une enquête effectuée, en juillet 2010, auprès
de chirurgiens orthopédistes membres de l’organisme de
gestion des risques de la spécialité, Orthorisq. Elle concer-
nait le ressenti des professionnels face à ce nouvel outil et
visait en priorité à rechercher les difficultés auxquelles ils
pouvaient se trouver confrontés tant du point de vue de sa
compréhension que de son mode d’emploi.
Matériel et méthode
Un questionnaire (Annexe B) a été envoyé par mail aux
8771 médecins adhérents des organismes de gestion de
risques reconnus par la HAS et dont les missions sont définies
à l’article D. 4135-5 code de la Santé Publique. Ce question-
naire était composé exclusivement de questions fermées
avec, pour certaines, la possibilité de réponses multiples.
Un chapitre portait sur le mode et les conditions
d’exercice des chirurgiens ainsi que sur l’état de certifica-
tion des établissements. Un chapitre concernait la manière
dont était utilisée au quotidien la C/L ainsi que les limites de
la procédure telles qu’elles étaient ressenties par le chirur-
gien. En conclusion, les chirurgiens étaient appelés à donner
leur sentiment sur l’utilité générale de la procédure et sur
la nécessité ou non de la faire évoluer.
Les adhérents ont eu un mois pour retourner leur ques-
tionnaire avant d’être analysés. Les analyses statistiques ont
été effectuées à l’aide du logiciel Sigmastat. La comparaison
des moyennes s’est effectuée à l’aide d’un test de Student.
En cas de distribution non normale, les calculs statistiques
ont utilisé un test de Mann Whitney. La comparaison de deux
populations a été effectuée à l’aide d’un test de Chi2,en
appliquant les corrections de Yates pour les petits effectifs.
Une valeur de p< 0,05 a été considérée comme statistique-
ment significative.
Résultats
Parmi les 1900 réponses obtenues (Tableaux 1—7), 599
(31,5 %) provenaient de chirurgiens orthopédistes,
soit 40 % des praticiens membres d’Orthorisq (1495 au
1er juillet 2010). Soixante-dix-sept pour cent des répondants
exerc¸aient dans une structure libérale et 42,5 % travaillaient
régulièrement sur deux salles d’opération ou plus, facteur
considéré, a priori, comme limitant pour une bonne réali-
sation de la checklist. Tous les chirurgiens ayant répondu
avaient mis en place la C/L dans leur bloc opératoire. Cinq
cent trente-six chirurgiens (89,5 %) déclaraient déléguer
la réalisation de la C/L à l’infirmière de bloc opératoire
(IBODE), mais y participaient personnellement pour 416
(69,4 %). En revanche, 170 (28,4 %) n’y participaient jamais.
Enfin, un suivi régulier de la C/L n’avait été organisé que
dans 77 structures (12,8 %). Alors que sa réalisation est
obligatoire pour la certification des établissements depuis
le 1er janvier 2010, l’accompagnement nécessaire ne semble
toujours pas avoir été mis en place et 27,5 % des chirurgiens
répondants estimaient ne pas avoir rec¸u le soutien de
l’équipe médicochirurgicale pour implémenter la procé-
dure. De même, environ 40 % soulignaient les difficultés
qu’ils rencontraient habituellement pour réunir l’ensemble
des acteurs au moment du temps de partage, «time
out »des anglosaxons. Si aucune de ces difficultés n’était
Tableau 1 Lieu d’exercice et nombre de salles utilisées.
CH/CHU 122 1 salle 344
Cliniques privées 463 2 salles 224
PSPH 14 Plus de 2 salles 31
Checklist «sécurité du patient au bloc opératoire »871
Tableau 2 Comportement vis-à-vis de la checklist.
Déléguez-vous sa réalisation Participez-vous personnellement
Pas de réponse 12 Ne se prononcent pas 28
Ne se prononcent pas 5 Non 170
Non 46 Oui 416
Oui, parfois 120
Oui, toujours 416
statistiquement corrélée ni avec le mode d’exercice (public
ou libéral) (p> 0,09), ni avec les modalités de l’activité
chirurgicale (sur une ou plusieurs salles d’intervention)
(p> 0,1), le manque d’implication du chirurgien est apparue
comme le facteur majeur de la démobilisation des équipes
(p> 1,1 10—5). Enfin, un quart des répondants (23,4 %)
estimaient que cette procédure devrait se cantonner aux
interventions les plus longues. Ce souhait était plus marqué
chez les chirurgiens ne participant pas à la C/L (p= 9 10—9)
et, dans une moindre mesure, chez ceux en délégant la
réalisation (p= 0,04).
Quatre-vingt-sept pour cent des chirurgiens répondants
estimaient que la C/L est un outil utile à la sécurité
de la prise en charge des patients, mais 64,1 % considé-
Tableau 3 Suivi de la checklist.
Jamais 199
Régulièrement (audit) 77
Que quand ilyaunproblème 312
Pas de réponse 11
raient qu’elle devrait subir des modifications en raison de
l’imprécision des questions (38,7 %) ou de leur caractère
jugé inadapté (28,4 %). Enfin, 66,1 % estimaient que la réa-
lisation de la checklist ne ralentissait pas leur activité, mais
ce sentiment était essentiellement celui des chirurgiens
opérant habituellement sur une seule salle (p= 9,6 10—11).
Tableau 4 Limites à la checklist.
Résultats selon le lieux et le mode d’exercice
CHU/CH 33/122 Travaillent sur 1 salle 95/344
Clinique privée 129/463 Travaillent sur 2 salles 60/224
PSPH ESPIC 3/11 Travaillent sur plus de 2 salles 6/31
p> 0,7 p> 0,4
Résultats selon le comportement par rapport à la checklist
Ne délèguent pas 11/46 Ne participent pas personnellement 72/170
Délèguent parfois ou toujours 154/536 Participent personnellement 93/416
p> 0,5 p= 1,7 10—6
Absence de soutien de l’équipe : 165.
Tableau 5 Limites à la pratique de la checklist.
Résultats selon le mode d’exercice
CHU/CH 23/122 Travaillent sur 1 salle 72/344
Clinique privée 114/463 Travaillent sur 2 salles 58/224
PSPH ESPIC 3/11 Travaillent sur plus de 2 salles 10/31
p> 0,4 p> 0,2
Résultats selon le comportement par rapport à la checklist
Ne délèguent pas 5/46 Ne participent pas personnellement 68/170
Délèguent parfois ou toujours 135/536 Participent personnellement 71/416
p= 0,04 p= 6 10—9
Réticence à une tâche administrative supplémentaire : 160
La checklist doit être limitée aux interventions longues : 140.
872 E. de Thomasson et al.
Tableau 6 Limites à la réalisation de la checklist.
Résultats selon le mode d’exercice
CHU/CH 54/122 Travaillent sur 1 salle 131/344
Clinique privée 178/463 Travaillent sur 2 salles 95/224
PSPH ESPIC 3/11 Travaillent sur plus de deux salles 9/31
p= 0,35 p= 0,28
Résultats selon le comportement par rapport à la checklist
Ne délèguent pas 13/46 Ne participent pas personnellement 83/170
Délèguent parfois ou toujours 222/536 Participent personnellement 122/416
p= 0,11 p= 1,1 10—5
396 (66,1 %) pensent que cela ne ralentit pas la procédure
Travaillent sur une salle (344) Travaillent sur 2 salles ou plus (255)
Ne ralentit pas 265 (77 %) 131 (51,4 %)
p= 9,6 10—11
Nécessité de présence simultanée de toutes les équipes : 235.
Tableau 7 Limites concernant la forme de la checklist.
Critères confus 120 (20 %)
Critères inadaptés 170 (28,4 %)
Réponse trop binaire ou rigide 112 (18,7 %)
La forme de la checklist est à modifier : 384 (64,1 %).
La forme est inadaptée : 237 (39,6 %).
Discussion
L’efficacité des procédures «C/L »dans l’aviation a été clai-
rement démontrée et c’est assez logiquement qu’à la suite
des travaux de l’OMS, cet outil a été proposé pour sécuriser
les interventions chirurgicales. Les premières expériences
sont encourageantes car elles montrent une amélioration
certaine de la qualité de la prise en charge des opérés par
une diminution des taux de complications [2—6], ce qui per-
mettrait en plus de réaliser des économies de santé [7].
Bien que la C/L soit reconnue comme un élément effi-
cace pour améliorer la sécurité de la prise en charge des
patients, sa seule mise en place ne suffit pas à créer de fait
une culture sécurité dans un bloc opératoire. Sa diffusion est
en règle bien acceptée par les professionnels de santé [8,9]
mais son utilisation efficace reste plus difficile à obtenir et le
retour d’expérience des chirurgiens orthopédistes franc¸ais
confirme les données de la littérature. Sur la forme, il faut
distinguer, ce qui appartient à la concertation entre les
professionnels sur les procédures de prise ne charge, de
ce qui relève de processus formalisés par les critères de la
checklist à proprement parler et susceptibles de conduire
à un arrêt de l’intervention chirurgicale (no go)[10].Le
«time out »(temps de partage) à voix haute est consi-
déré par beaucoup [10,11] comme le temps fort de la C/L,
incontournable pour garantir l’efficacité de la procédure.
Par ailleurs, le contenu de la C/L doit être soigneuse-
ment étudié pour s’adapter aux conditions de travail et au
type de chirurgie [11—13]. Cette adaptation est considé-
rée par Haynes et al. [14] comme un facteur primordial de
réussite. La C/L doit être, pour Lingard et al. [8], le fruit
d’une concertation préparatoire entre les représentants de
tous les métiers intervenant lors de la procédure chirur-
gicale. Il est important de noter que la mise en place
d’une C/L ne peut résoudre des problèmes organisation-
nels complexes. Ainsi, Weiser et al. [3] recommandent aux
équipes de discuter préalablement des éventuelles solutions
et de leur acceptabilité avant de mettre en place une C/L.
Cela souligne l’importance de la formation à l’utilisation
de la checklist. Elle doit être menée par les plus impliqués
dans le projet et permettre de sensibiliser les personnels
aux finalités et aux limites de cet outil [11,13,15]. Comme
le montre cette enquête mais aussi certaines données de la
littérature [9,12], deux points apparaissent prépondérants
dans la dynamique de la mise en place de la procédure :
l’esprit de collaboration au sein de l’équipe chirurgicale et
le rôle du chirurgien. Il est important de rappeler qu’une C/L
mal utilisée ou mal préparée peut aggraver les dissensions
existantes [11] ou aboutir à un faux sentiment de sécurité
[15]. Les résultats de notre étude montre que ces éléments
ne sont pas encore acquis dans la réalité quotidienne. Dans
une étude portant sur la capacité à travailler ensemble des
membres d’une équipe chirurgicale, Makary et al. [10] sou-
lignent les résultats médiocres enregistrés aussi bien pour
les anesthésistes que pour les chirurgiens, plus attachés à
l’excellence de leur travail qu’à celui de l’équipe. Ce tra-
vers pourrait être aggravé par notre culture latine, plus
individualiste et frondeuse, et Haynes et al. [1] n’excluent
pas le rôle favorisant que pourrait jouer la culture anglo-
saxonne, plus policée et disciplinée, dans l’acceptation de
la procédure.
Conclusion
En imposant la mise en place de la checklist «sécurité au
bloc opératoire », la HAS a souhaité doter les établisse-
ments de soins d’un outil jugé essentiel pour la prévention
des risques liés à l’activité chirurgicale. Comme toute
Checklist «sécurité du patient au bloc opératoire »873
nouvelle procédure mise en place dans un monde peu habi-
tué à ce type de démarche, son application ne peut se
concevoir qu’adaptée à l’environnement dans lequel elle
sera utilisée et accompagnée lors de son déploiement. Son
intérêt ne doit pas se focaliser au seul temps de partage.
La C/L doit être considérée comme le contrôle ultime de
procédures multiples (identité, matériel, risques infectieux,
etc.) qui se succèdent au long du circuit de prise en charge
et débutent bien en amont du bloc opératoire. Cela sup-
pose une réflexion de tous les acteurs sur des objectifs de
réduction des risques accessibles ainsi que sur la définition
de situations pouvant conduire à l’arrêt de la procédure
chirurgicale, éventualité dont le patient devra avoir été
préalablement informé. Enfin, alors que notre étude montre
les difficultés rencontrées par les praticiens pour mettre
en place cette C/L, le fait qu’elle soit disponible sur un
site public, celui de la HAS, peut le faire considérer par les
magistrats comme une directive administrative et la rendre
opposable.
Si sa mise en place trop récente et l’absence de
jurisprudence ne permettent pas aujourd’hui d’évaluer
précisément son impact sur les décisions de justice, sa
réalisation ne doit en aucun cas être assimilée à une protec-
tion juridique. Ces considérations renforcent l’impérative
nécessité d’une réflexion organisée par les médecins des
établissements sur son déploiement dans les blocs opéra-
toires et les responsabilités que pourraient entraîner sa
non-application en cas de dommage causé au patient. Cette
réflexion doit, à notre avis, être initiée et orchestrée par
les Commissions ou Conférences médicales d’établissement
(CME) à qui le législateur a donné un rôle majeur dans la
conduite de la politique de gestion des risques au sein des
établissements de soins (Décret du 30 avril no2010-439 et
Décret du 5 novembre no2010-1325).
Déclaration d’intérêts
Tous les auteurs sont experts de l’organisme agréé Ortho-
risq et rec¸oivent une rémunération pour leurs activités
d’expertise.
Remerciements
Les auteurs remercient les docteurs Bruno Bally et Philippe
Cabarrot de la HAS pour la communication des résultats de
l’enquête nationale et Maître Maroussia Galberine pour sa
participation à l’évaluation de l’impact juridique de la che-
cklist.
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