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Guérir de la syphilis
E
n 1495, une maladie inconnue, la syphilis, décima les armées de Charles viii, à la conquête
du royaume de Naples. Agressive et très contagieuse, elle se répandit comme une trainée
de poudre dans toute l’Europe. Elle contamina à l’âge de 20 ans l’humaniste allemand
Ulrich von Hutten (1488-1523), dont le long supplice connut un étonnant répit en 1518, grâce au
bois de gaïac, nouvellement importé de Saint-Domingue. Pour célébrer sa résurrection, Hutten
rédigea immédiatement un magnifique petit traité, superbement traduit et présenté ici par Brigitte
Gauvin. Malgré sa grande culture médicale, le livre de Hutten n’est pas un ouvrage de médecin,
mais bien celui d’un malade qui veut faire profiter les autres victimes de la maladie de son expérience positive du gaïac.
Indépendamment des hypothèses astrologiques (une conjonction défavorable de planètes) ou
religieuses (une punition divine) avancées pour expliquer son apparition, les médecins, fidèles
à la théorie des humeurs, estimaient que le poison syphilitique initialement lié à une corruption
de l’air, mais transmis désormais surtout « lors du commerce charnel », avait pour effet de
corrompre le sang des malades, d’où la nécessité de tout entreprendre pour l’expulser du corps.
Pour ce faire, les patients étaient enfermés dans des étuves, à de très fortes températures, afin
de provoquer une sudation incessante, tandis qu’on leur appliquait ou faisait ingérer de fortes
quantités de mercure (utilisé depuis longtemps dans de nombreuses dermatoses), ce qui entraînait une salivation intense jugée bénéfique. Les effets indésirables gravissimes du mercure en
faisaient un traitement redouté. Aussi, quand le gaïac apparut, avec la réputation de guérir la
syphilis, ce bois aux propriétés singulières apparut comme une alternative inespérée. L’isolement
pendant plusieurs semaines dans une pièce chauffée et calfeutrée, avec des lavements, une
ingestion minimale de nourriture et de boissons et des décoctions régulières de gaïac eut, ainsi
qu’il le raconte, un effet miraculeux (et encore mal expliqué) sur Hutten qui se crut guéri. Il
s’empressa de relater son expérience, afin d’éviter aux autres malades qu’un aussi précieux
traitement ne soit mal utilisé par des médecins incompétents, plus soucieux de ruiner le patient
par des régimes ou des potions extravagantes que de le guérir avec un simple morceau de bois.
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La vérole et le remède
du gaïac
Par Ulrich Von Hutten
Texte présenté et traduit du latin
par Brigitte Gauvin
Les Belles Lettres, Paris, 2015,
322 pages, 29 €
Par Jérôme Fracastor
Texte traduit du latin
et présenté par
Jacqueline Vons
Les Belles Lettres,
Paris, 2011,
168 pages, 37 €
Rongé par la maladie
La syphilis ou
le mal français
Hutten, qui remercie Dieu de l’avoir sauvé d’une maladie qu’il ne considère jamais comme une
punition, explique que ses souffrances étaient telles qu’un de ses amis lui avait même conseillé le
suicide. Il fait une description impressionnante des lésions que le gaïac a guéries : « j’avais perdu
l’usage de mon pied gauche, rongé par la maladie depuis plus de huit ans, et au milieu de
la jambe (…) se trouvait des plaies enflammées, boursouflées, infectées, sources d’une
terrible douleur (…) elles étaient très nombreuses, repandues partout sur le corps (….)
par-dessus se trouvait une gomme, devenue si dure qu’on aurait cru de l’os, et c’était le
siège d’une douleur lancinante, qui ne connaissait pas de répit, intense et terrible ; et tout
près sur le talon droit, un abcès qui avait aussi la dureté de l’os. Ma hanche et mon genou
étaient totalement paralysés (…) de même que mon épaule gauche (…) au milieu du bras
se trouvait une gomme de la taille d’un œuf (…). Et sur le flanc droit, juste au-dessous de
la dernière côte, se trouvait une plaie qui n’était pas douloureuse, certes, mais repoussante,
qui dégouttait de pus ainsi que d’une immonde sanie (…) et au-dessus de cette plaie se
trouvait encore une autre gomme, comme si un os avait poussé à cette place, sur la côte ».
En 1968, on constata sur son squelette qui avait été exhumé que les lésions observées correspondaient parfaitement à celles qu’il avait décrites. Mais alors qu’il écrivait n’avoir aucune atteinte
dans la bouche, on découvrit une large lésion du palais témoignant que l’effet du gaïac (ou la
rémission spontanée de la maladie) n’avait été que de courte durée puisqu’il mourut seulement
4 ans après cet hymne magnifique à sa guérison ! • J. D.
Ceux que l’histoire de la syphilis
passionne pourront lire également
cette belle traduction du poème
de Fracastor. La maladie eut
à son début de nombreux noms,
les Européens se rejetant les uns
sur les autres la responsabilité
de ce fléau, tantôt nommé mal
français, mal napolitain, mal
allemand, mal russe… mais c’est
le grand médecin italien Fracastor
qui lui donna, en 1530, son nom
définitif dans ce long poème qui
décrit la maladie et raconte l’histoire
du berger Syphile. Ce dernier
ayant outragé les dieux et le Soleil
déclencha leur colère et se vit atteint
d’une horrible maladie qui le couvrit
d’ulcères humides et suintants :
« C’est de lui, parce qu’il fut le
premier malade, que la maladie tire
son nom : les paysans l’appelèrent
syphilis, du nom de Syphile ».
LA REVUE DU PRATICIEN VOL. 65
Mars 2015
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