Codex Xolotl et espace au Mexique central

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Revue interdisciplinaire d’études hispaniques médiévales et modernes
14 | décembre 2012
Historia legionensis (llamada silensis) | Écriture de l'histoire
Ecriture de l’espace, écriture de l’histoire : mondes ibériques XVIe–XIXe siècles
Le Mexique central à travers le
Codex Xolotl et Alva Ixtlilxochitl :
entre l’espace préhispanique et
l’écriture coloniale
P L
https://doi.org/10.4000/e-spania.22033
Résumés
Français Español
Les planches du Codex Xolotl constituent une référence majeure pour l’histoire préhispanique du
Mexique central. On y trouve l’espace mis en glyphes au moyen de conventions pictographiques, mais
aussi la représentation d’un espace suprarégional pouvant correspondre, éventuellement, à l’empire
chichimèque. Les scribes indiens utilisent la distorsion de l’espace pour écrire l’histoire : l’espace peut
être surdimensionné, rapproché ou dupliqué. Cet espace est mis en mots avec les gloses alphabétiques et
les premiers chroniqueurs indiens ou métis. Alva Ixtlilxochitl se l’appropriera à sa façon. On y relève à la
fois une précision géographique stupéfiante et une possible censure de certains espaces sacrés.
Las láminas del Códice Xolotl son una referencia mayor para la historia prehispánica del centro de
México. Se halla en ellas el espacio puesto en glifos por el sesgo de convenciones pictográficas, pero
también la representación de un espacio suprarregional que puede corresponder con el imperio
chichimeca. Los escribas indígenas utilizan la distorsión del espacio para escribir la historia : el espacio
puede ser sobredimensionado, acercado o duplicado. Este espacio se pone en palabras con las glosas
alfabéticas y los primeros cronistas indígenas o mestizos. Alva Ixtlilxóchitl se lo apropiará a su manera. Se
encuentra en él a la vez una precisión geográfica asombrosa y una posible censura de espacios sagrados.
Entrées d’index
Mots-clés : Mexique central, Codex Xolotl, Tezcoco, Aztèques, Chichimèques, chroniques, Ixtlilxochitl
Palabras claves: México central, Códice Xolotl, Tezcoco, Aztecas, Chichimecas, crónicas, Ixtlilxóchitl
Texte intégral
Les planches du Codex Xolotl1 constituent une référence majeure pour l’histoire
préhispanique du Mexique central. On y trouve l’espace mis en glyphes au moyen de
conventions pictographiques, mais aussi la représentation d’un espace suprarégional pouvant
correspondre éventuellement à l’empire chichimèque. Les scribes indiens utilisent la distorsion
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L’espace mis en glyphes : codex Xolotl et
empire chichimèque
Codex Xolotl et conventions pictographiques de base
Fig. 1. Date de la conquête de Tezcoco,
Codex Xolotl
, pl. 72
de l’espace pour écrire l’histoire : l’espace peut être surdimensionné, rapproché ou dupliqué.
Cet espace est mis en mots avec les gloses alphabétiques et les premiers chroniqueurs indiens
ou métis. Alva Ixtlilxochitl se l’appropriera à sa façon. On y relève à la fois une précision
géographique stupéfiante et une possible censure de certains espaces sacrés.
Avant de brosser à grands traits le contenu géographique du Codex Xolotl, il convient d’en
signaler les conventions pictographiques, qui en font un recueil cartographique original à plus
d’un titre.
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Le Codex Xolotl est un manuscrit pictographique tezcocan constitué de 9 planches historico-
géographiques (de 42 x 48,5 cm), dont une double (planche finale numérotée 9 et 10), qui a
conditionné l’identité mexicaine coloniale et contemporaine. Il s’agit d’un écho de mémoire
dynastique préhispanique. Ces planches (hormis la 8 et la 10) représentent toutes la vallée
centrale de Mexico, élargie aux provinces environnantes. La vallée centrale a été simplifiée :
seules quelques grandes villes sont représentées (Mexico, Tlatelolco, Azcapotzalco, Tenayuca
pour la rive ouest ; Tezcoco, Huexotla, Coatlichan, Coatepec pour la rive est) avec parfois
l’adjonction de villes moins importantes (Huitzilopochco, Iztapaluca, Chapultepec, etc.).
L’orientation place l’Est en haut de la carte, ce qui équivaut à renverser la vallée centrale. On
retrouve cette orientation dans des cartes coloniales.
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Un fragment de ce document (planche 2c fragment 1) dans lequel le scribe n’emploie
quasiment aucun toponyme (hormis Culhuacan et Cuitlahuac) et cherche à rendre la Vallée
Centrale à travers son relief (lagune, montagnes, chaînes, etc) permet d’observer que le
procédé ne peut s’employer qu’à une échelle limitée, car la planche tend à devenir illisible en
l’absence de toponymes. Il y a donc bien une mise en glyphes qui, tout comme la mise en mot,
domestique l’espace et le rend lisible.
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En tant que document cartographique amérindien le Codex Xolotl se caractérise par le
mélange des informations, étroitement imbriquées les unes aux autres : il n’y a pas de
séparation des données et dans un même espace sont consignés des anthroponymes, des
toponymes, des évènements historiques et des dates, parfois très précises (jusqu’au jour près).
Un tel fourmillement d’informations permet de présenter un espace occupé sous tous les
fronts, sauf à la première planche il est délibérément quasiment vide pour justifier son
occupation. On trouve donc des évènements historiques (pl. 7 la chute de Tezcoco en 1418 et la
fuite de ses habitants) consignés avec indication d’années (pl. 4 mort du souverain de Tezcoco
en 8 Calli, 1357 ; arrivée de migrants en 4 Acatl, 1379 ; pl. 6 mort du souverain de Tezcoco en 6
Calli, 1409 ; pl. 7 la chute de Tezcoco en 4 Tochtli 1418, cf. Fig. 1) ou parfois du jour (pl. 7 mort
du souverain de Tezcoco Ixtlilxochitl le jour 10 Cozcacuauhtli cf. Fig. 3, pl. 9 fuite de
Nezahualcoyotl le jour 1 Cuetzpallin, reconquête de Coatlichan le jour 1 Ollin). On relève aussi
des indications de durée, le plus souvent de règnes (cf. pl. 4 Quinatzin ayant vécu ou régné 80
ans ; pl. 8 Tezozomoc ayant vécu ou régné 188 ans, etc.) mais qui peuvent parfois remplacer
une date (pl. 10 Nezahualcoyotl reprenant le pouvoir 11 ans après la mort de son père cf. Fig. 2)
ou concerner des jours (pl. 8 complot de Tayatzin 5 jours après les funérailles de Tezozomoc).
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Fig. 2. Durée (temps écoulé entre la mort d’Ixtlilxochitl et l’intronisation de son fils
Nezahualcoyotl), Codex Xolotl, pl. 9-10
Fig. 3. Jour de la mort d’Ixtlilxochitl (10 vautour) et ethnonymes de ses assassins (tépanèques
d’Otumba et de Chalco),
Codex Xolotl
, pl. 7
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Fig. 4. Exemple de phrase complexe concernant le tribut textile réclamé par les Tépanèques aux
villes acolhuas,
Codex Xolotl, pl. 7
On trouve surtout des informations généalogiques (la provenance des femmes, la
descendance des souverains sont indiquées), dynastiques (pl. 4 enfants de Huetzin, futurs
gouvernants de villes importantes) ou administratives (pl. 5 liste des villes tributaires et de
celles constituant le « Dauphiné » du prince héritier de Tezcoco). Au total, Charles Dibble a
comptabilisé 185 noms pour la généalogie de Xolotl, fondateur de la lignée acolhua : auxquels
on peut ajouter plusieurs centaines de noms concernant les dynasties de Puebla-Tlaxcala, de
Mexico-Tenochtitlan, Azcapotzalco, Tlatelolco ou Culhuacan.
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Il y a parfois des indications d’appartenance ethnique pour différencier les combattants ou
les trahisons : traîtres otomis ou chalcas partisans des Tépanèques mais aussi appartenance
ethnique du serviteur fidèle qui procède à la crémation du souverain de Tezcoco (pl. 7 cf.
Fig. 3), guerriers huexotzinca et tlaxcaltèques alliés de Nezahualcoyotl (pl. 9). Par endroits on
relève même des sortes de phrases constituées de rébus, qui semblent une tentative coloniale
de résister à l’introduction de l’écriture alphabétique : c’est en effet le seul manuscrit
pictographique à présenter ce type de phrases. Certaines sont simples, réduites à un seul
glyphe (pl. 9 les soldats tépanèques réclament Nezahualcoyotl) voire deux ou trois glyphes (le
souverain de Tlatelolco pl. 8 déplore la mort de Chimalpopoca et déclare vouloir se rendre à
Tezcoco chez Nezahualcoyotl). D’autres sont réellement complexes, comme le long discours
pour indiquer que Tezcoco doit payer un tribut textile (pl. 7 cf. Fig. 4) ou qu’il faut tuer
Chimalpopoca à Tenochtitlan (pl. 8).
7
Mais si ces différentes informations sont étroitement imbriquées dans une même planche,
on relève cependant qu’il n’y a pas d’orientation multiple : la planche est parfaitement lisible,
contrairement à certains codex cartographiques préhispaniques il faut l’orienter dans
différents sens pour pouvoir lire différentes informations. Ce simple fait semble signaler une
influence coloniale ou peut correspondre à une école stylistique acolhua, différente du reste du
Mexique.
8
Il suffit de prendre la même portion de territoire d’une planche à l’autre pour voir son
évolution historique, depuis l’arrivée des Chichimèques après la chute de Tula au XIIe siècle,
jusqu’à la reconquête de Tezcoco en 1427, juste avant la fondation de l’empire aztèque. Ainsi
pour la portion supérieure correspondant à la rive est de la lagune de Tezcoco (et donc au
royaume acolhua avec ses principales villes), on observe comment cette zone est abandonnée,
sans âme qui vive à l’arrivée des Chichimèques (justifiant ainsi leur occupation légitime de
cette zone), puis peu à peu peuplée, avec un habitat initial dans des cavernes (encore
représentées pl. 4 puis réduites pl. 5 à de simples toponymes
3
partir de la planche 6). L’introduction de la pratique de l’agriculture est indiquée pl. 3 par des
rectangles (surmontés d’un huictli ou bâton à fouir) qui parsèment le paysage. Le royaume de
Tezcoco est représenté à l’apogée de sa puissance, juste avant sa chute, pl. 6 : la Vallée centrale
et les régions avoisinantes sont alors en équilibre politique stable, comme le dessin parvient à
l’indiquer. Le désordre de la planche 7 indique que Tezcoco est brutalement conquise en 1418 :
on voit ses habitants fuir la ville et se réfugier dans la montagne, voire dans la province de
Huexotzinco. Elle est occupée pendant neuf ans, puis libérée en 1427 (pl. 9).
9
On constate que les glyphes anthroponymiques et toponymiques sont les plus nombreux et
structurent en quelque sorte chaque planche. Ainsi la planche 6 (vallée de Mexico avant la
guerre tépanèque de 1418) concentre les informations anthroponymiques pour les dynasties de
la Vallée centrale de Mexico et pour quelques rares souverains qui attirent l’attention. Elle
comprend un total de 89 noms de personnes4.
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Pour les toponymes la même planche contient un total de 80 noms de lieux (dont deux
exprimés sans glyphe toponymique).
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Parfois on observe un repentir du scribe dans le tracé des contours de la lagune5 (planche 1) :
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Fig. 5. Cuitlahuac comme lieu de bataille contre les Chichimèques, Codex Xolotl, pl. 4 (le
toponyme est indiqué, comme Fig. 5, par un excrément, cuitlatl, flottant dans l’eau)
Empire chichimèque et espace suprarégional
à une lagune trop étroite dont on devine encore les contours à l’intérieur de l’eau, le scribe a
préféré une lagune plus large et tenté de masquer son repentir par l’ajout d’indication de
courants, seule occurrence dans tout le manuscrit.
On constate aussi parfois une compétition entre le scribe qui a tracé les contours des glyphes
et des paysages et le peintre qui a colorié le peu d’entre eux (ou une évolution dans le travail de
la même personne, si le scribe se charge à la fois des contours et des couleurs). Ainsi planche 4
on voit que le peintre en appliquant la couleur bleu turquoise a rectifié le contour de la lagune
en plusieurs endroits (si son pinceau a débordé, il est alors anormalement maladroit pour un
peintre indien en général scrupuleux d’un travail impeccablement fait) cf. Fig. 6. Les rares
couleurs employées le sont surtout pour le paysage : bleu pour la lagune (pl. 1 à 4, 9-10), vert
pour les montagnes (pl. 1-2, 9-10).
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Sans chercher à représenter le Mexique d’un océan à l’autre6, le Codex Xolotl présente
toutefois l’énorme intérêt de ne pas se limiter à la rive orientale de la lagune de Tezcoco, ni à la
seule Vallée de Mexico, mais s’ouvre à la province de Puebla-Tlaxcala et au nord-est (Meztitlan
dans l’actuel état d’Hidalgo, Tulantzinco ou Tulancingo, Quauhchinanco) ou au sud-ouest
(Quauhnahuac ou Cuernavaca dans l’actuel état de Morelos).
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La première caractéristique géographique du Codex Xolotl est qu’il ne consigne pas la seule
mémoire du royaume de Tezcoco (l’une des trois capitales de l’empire aztèque et sans doute
celle considérée comme la capitale culturelle) : il couvre l’ensemble de la Vallée centrale de
Mexico et donc la rive ouest (Azcapotzalco) et Mexico-Tenochtitlan (artificiellement placée sur
la terre ferme par convention pour ne pas avoir à dessiner la lagune de Tezcoco de façon trop
réaliste pour y placer la capitale mexica et la ville de Tlatelolco). Ainsi la fondation de la ville de
Mexico est représentée sur la terre ferme planche 4 et non au milieu de la lagune comme à
l’habitude. Il y a donc simplification, voire déformation, de l’espace géographique pour faciliter
la compréhension d’ensemble. Et surtout la mise en page est impitoyable pour les prétentions
de grandeur des Mexica : la fondation de Mexico est réduite à un simple épiphénomène7.
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Le simple fait de représenter l’ensemble de la Vallée Centrale de Mexico signifie déjà, pour
les auteurs du
Codex Xolotl, un effort de synthèse historique régionale qui les oblige à indiquer
les souverains et parfois les alliances matrimoniales, les généalogies ou quelques événements
marquants de villes aussi diverses que Colhuacan, Xochimilco, Mexico, Tlatelolco,
Azcapotzalco. Ce qui oblige à insérer les histoires colhua, xochimilca, mexica, tlatelolca,
tépanèque et autres dans un document tezocan qui fait déjà l’effort de suivre l’évolution
historique du royaume de Tezcoco. Certes, ces données sont parfois simplifiées à l’excès (ainsi
Tezozomoc, le tyran d’Azcapotzalco responsable de la chute de Tezcoco en 1418 est censé vivre
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