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chrétienne ne pense pas Dieu à partir de la causa sui, parce qu’elle ne le pense pas à partir de la
cause, ni à l’intérieur de l’espace théorique défini par la métaphysique, ni même à partir du concept,
mais à partir de Dieu seul […] » (57).
Marion fait donc une distinction nette entre Dieu et tout concept de « Dieu ». C’est pourquoi
il met dos à dos théisme et athéisme, l’un affirmant et l’autre niant ce qui n’est en fait qu’une idole
conceptuelle de « Dieu » qui, de Platon et Aristote, en passant par les scolastiques, culmine dans
le Dieu « causa sui » de Descartes et de ses descendants jusqu’à Hegel; cette idole conceptuelle,
métaphysique, de « Dieu » subit un inévitable « crépuscule » avec le nihilisme, qui est finalement
peut-être plus près du véritable « Dieu divin » que tout théisme, suggère Marion. Par cette
thématique du « Dieu divin » et de la causa sui, Marion est dans la lignée de Heidegger, dont il cite
ce passage célèbre :
Ce Dieu, l’homme ne peut ni le prier, ni lui sacrifier, il ne peut, devant la causa
sui, ni tomber à genoux plein de crainte, ni jouer des instruments, chanter et
danser. Ainsi la pensée sans-dieu, qui se sent contrainte d’abandonner le Dieu
des philosophes, le Dieu comme causa sui, est-elle peut-être plus proche du Dieu
divin (54-55)
Mais si Marion reçoit la critique heideggérienne de la métaphysique et son ouverture à un « Dieu
divin », il s’en sépare parce que Heidegger demeurerait malgré tout dans l’empire de l’idolâtrie
conceptuelle. En effet, comme nous le verrons, Marion se distingue d’Heidegger en affirmant qu’il
n’est pas suffisant de « rétrocéder de la métaphysique » pour « libérer Dieu de l’idolâtrie » (58).
Marion cite ici Martin Heidegger, « Identité et différence » dans Questions I, Paris, Gallimard, 1968, p. 306.