La Porte du Paradis: Enseignements de Maharaj et Balsekar

Telechargé par pierrealberthayen
LA PORTE DU
PARADIS
GAUTAM SACHDEVA
(Chapitre extrait de ‘’Explosion of love’’)
Nisargadatta Maharaj n'était pas favorable à la création d'un samadhi en sa mémoire après sa
mort. Il aurait été ironique qu'il le soit, car tout son enseignement tournait autour du concept
suivant lequel "vous n'êtes pas votre corps". Maharaj disait souvent : "Vous n'êtes pas votre
corps-mental. Tant que vous vous identifiez au corps-mental, vous êtes vulnérable au chagrin
et à la souffrance". Sa position était que nous ne sommes pas des corps dotés d'une
conscience, mais que c'est la Conscience qui se manifeste dans et via des corps différents.
Quand des visiteurs venaient poser des questions, il leur disait de ne pas poser des questions
d'un individu à l'autre, mais de Conscience à Conscience. "Je m'adresse à la Conscience et
non à un individu". C'est pourquoi il encourageait les chercheurs à lire la Bhagavad Gita du
point de vue de Krishna - la Conscience impersonnelle - et non d'Arjuna - la Conscience
identifiée.
Il y a quelques années, je rendis visite à S. Mullarpattan chez lui, dans le sud de Mumbai. Il
avait été le traducteur de Maharaj pendant quelques années. Au cours de cette première
rencontre, je demandai à Mullarpattan s'il existait encore des entretiens de Maharaj qui
n'avaient pas été publiés. Il devait certainement y avoir des cassettes de nombreux
enregistrements. Si c'était le cas, ne serait-il pas merveilleux de les publier sous la forme d'un
livre ? Il était sceptique. C'était la première fois que nous nous rencontrions. À quoi bon, me
dit-il ? N'y a-t-il pas assez d'entretiens publiés ? Tout ce que Maharaj dit, c'est de ‘’demeurer
dans son Être’’. ‘’C'est juste’’, répondis-je. C'était un argument valable. Pour autant, je
maintins ma proposition, car je croyais qu'il serait utile de publier toutes les transcriptions
inédites de Maharaj pour le bénéfice de tous ceux qui s'intéressent à l'enseignement. On ne
sait jamais ce qui peut faire tilt, où et quand, et pour qui. Un mot par-ci, une phrase par-là... et
un changement profond pourrait s'opérer chez un lecteur. En ce qui me concerne, même sans
porter la casquette d'un éditeur pratique, je considérerais qu’il s’agirait là d’un effort
méritoire, quand bien même il n'aurait d'incidence que sur une seule personne.
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La fois suivante où je rendis visite à Mullarpattan, il me demanda : "Dites-moi une phrase de
Maharaj qui vous a interpellé, et dites-la-moi tout de suite - sans réfléchir. Choisissez juste
une seule phrase dans tout ce que vous avez lu et savez sur Maharaj". ''Seuls les morts
peuvent mourir'', répondis-je du tac au tac. Il me considéra pendant quelques secondes, puis,
en mindiquant une boîte poussiéreuse posée sur un rebord au-dessus de la porte, il me
demanda de bien vouloir l'apporter, ce que je fis. Il me dit qu'elle contenait dix cassettes
d'entretiens inédits et qu'il m'appartenait de les publier sous forme de livre, si je le souhaitais.
Ce sont ces dix cassettes qui plus tard prirent la forme du livre Beyond Freedom - Talks with Sri
Nisargadatta Maharaj Je poussai un soupir de soulagement en lisant dans les transcriptions de
l'un de ces entretiens que Maharaj avait dit : "Je parle différemment aujourd'hui. En fait, ceci
aussi devrait être publié, car c'est plus détaillé et cela souligne d'autres aspects."
Seuls les morts peuvent mourir, pas les vivants. Dès la première lecture de cette phrase, je l'ai aimée.
Elle m'a frappé en plein cœur. Je n'avais aucune idée de ce qu'elle signifiait et je ne voulais pas
le savoir. Néanmoins, je savais que c'était la vérité la plus profonde, en dépit de l'absurdité
apparente de l'affirmation. C'est ce que j'aimais : de prime abord, elle n'avait aucun sens pour
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C’est aussi le point de vue de ce seva de traduction et du contenu en général du site partage-pdf.webnode.fr,
qui propose par ailleurs d’excellents auteurs et autrices qui semblent ne pas avoir trouvé grâce dans le monde
de l’édition conventionnelle. Par ailleurs, la Bhagavad Gita précise bien ceci :
‘’Faire l’offrande de la connaissance (la connaissance spirituelle du vrai Soi, etc.) comme sacrifice surpasse
n’importe quelle offrande matérielle. Le but de tout ton travail et de toutes tes actions n’est pas de multiplier
tes biens au-delà de toutes proportions (ce qui ne fait que t’enchaîner à la terre), mais de te conduire à la
sagesse spirituelle (jnana), à la connaissance intuitive du vrai Soi intérieur. Tu es en vie uniquement pour
atteindre l’illumination et t’unir à Dieu.’’ (BG 4.33), NDT. https://www.fichier-pdf.fr/2016/07/21/la-
bhagavad-gita-revisitee-pour-les-occidentaux/
le mental. C'était là du Maharaj tout craché - il envoyait du lourd avec ses répliques. Et s'il
parle de la Conscience à la Conscience, et non d'un individu à un autre, alors qui se soucie de
savoir si on comprend une telle déclaration ? C'était toujours un plaisir de lire Maharaj.
Que voulait dire Maharaj par "demeurer dans son Être", comme le mentionnait
Mullarpattan ? Il disait : "’Lorsque tout le reste change, ce qui ne change pas, c'est le
sentiment constant de Présence, le sentiment que vous existez, le sentiment que Je suis".
Demeurer dans ce "Je Suis’’, voilà ce qu'il entendait par là. En d'autres termes, il ne s'agit pas
de "Je suis Gautam", mais simplement de la Présence consciente - "Je suis". Nous sommes
cette Présence consciente et pas notre corps, qui n'est qu'un objet grâce auquel la Conscience
opère. Nous ne sommes pas la Conscience identifiée que nous pensons être - identifiée par un
nom et par une forme comme une personne distincte, séparée des autres - nous sommes
plutôt le "Je suis" impersonnel. Ramesh donnait une description appropriée pour expliquer le
"Je suis" : Si toute votre mémoire était effacée, il ne vous resterait que la Conscience
impersonnelle d'être "Je suis".
Je n'ai pas eu la bonne fortune de rencontrer Maharaj, mais j'ai eu la chance de rencontrer et
de passer pas mal d'années avec son disciple, Ramesh Balsekar, qui devint à son tour un
enseignant de renom. Les premiers livres écrits par Ramesh étaient un hommage à
l'enseignement de Maharaj. Cependant, Ramesh se rendit compte que, bien que beaucoup de
chercheurs aient été profondément touchés par l'enseignement de Maharaj, certains
n’arrivaient pas à "’saisir’’ ce que disait Maharaj. La raison en était claire : même si Maharaj
avait l'habitude de dire qu'il parlait de la Conscience à la Conscience, il n'en restait pas moins
que toutes les questions que les gens se posaient les concernaient en tant qu'individus
distinct(if)s. Alors que Maharaj renvoyait constamment au "Je suis", certains étaient
tellement identifiés à "moi et mon histoire" qu'ils ne trouvaient tout simplement pas de
réconfort dans les paroles de Maharaj. Le fait est qu'à l'état de veille, c'est la Conscience
identifiée - identifiée par un nom et par une forme en tant qu'entité distinctive - qui opère.
Pour certains egos, le fait de se voir dire de ne pas poser de questions en tant qu'individus
était un peu dur à digérer. Après tout, l'ego est l'individu distinct. Ils ne pouvaient tout
simplement pas se résoudre à l'"acte de foi" demandé par Maharaj, car le mental et l'intellect
ne pouvaient tout simplement pas se défaire de cette identification.
C'est là que l'enseignement de Ramesh contribua à résoudre le dilemme de certains de ces
chercheurs. Le conditionnement de Ramesh - il a été banquier pendant trente-sept ans - lui
permit de présenter ses concepts basés sur l'enseignement de Maharaj d'une manière
pragmatique et échelonnée pour le bénéfice de "l'individu" assis devant lui. Ramesh était clair
par rapport au fait que l'on ne pouvait pas éluder le fait qu'il s'adressait à l'"ego", identifié par
un nom et une forme, en tant que corps séparé, à l'état de veille. Il ne s'adressait pas à la
Conscience impersonnelle, qui prévaut dans l'état du sommeil profond (lorsque vous existez,
mais que vous ne savez pas que vous existez), ni au "Je suis" - la Conscience impersonnelle de
l’Être, identifiée à un corps distinct, mais pas en tant qu'"individu". Il s'adressait clairement à
l'ego : "Je suis Gautam".
Le nœud du problème est donc de savoir comment rapprocher le plus possible la Conscience
identifiée de la paix de la Conscience impersonnelle (figurativement parlant), qui est la paix
du sommeil profond, à l'état de veille. À l'état de veille, c'est le mental de l'individu qui n'est
pas en paix. Comment amener le "moi", l'ego, l'individu, le plus près possible du
fonctionnement impersonnel à l'état de veille pour goûter à cette paix ? Selon Maharaj, la voie
d'accès à ce fonctionnement impersonnel doit passer par la Conscience impersonnelle de
l'Être - "Je suis".
Ramesh était très clair sur le fait que ce n'était pas l'ego qui devait être tué, pour la simple
raison que l'ego est l'élément fonctionnel de l'état de veille, et qu'en tant que tel, il est de toute
évidence nécessaire pour que la "vie" puisse se produire. C'est plutôt le sentiment d'être
l'auteur de l'action de l'ego qui doit être déraciné. Et comment déracine-t-on ce sentiment
d'être l'auteur de l'action ? Par la pleine compréhension du fait que toutes les actions sont des
événements divins qui doivent se produire exactement comme ils le font, et que nous ne
sommes que de simples instruments via lesquels opère la même énergie qui produit ces
mêmes événements - la Conscience. C'est la même énergie qui opère via chacun d'entre nous,
tout comme l'électricité fonctionne dans tous les appareils de la cuisine. Si on comprend
parfaitement que personne ne "fait" vraiment quoi que ce soit - puisque nous sommes tous
"programmés" par nos gènes et par notre conditionnement, et que nous n'avons aucun
contrôle sur eux - on réalise alors que tout arrive et que tout doit arriver conformément à la
volonté de la Source - que certains appellent Dieu. Si cette compréhension prévaut, il peut y
avoir du plaisir, mais ni orgueil, ni arrogance (ce n'est pas "mon" action), et des regrets, mais
ni culpabilité, ni honte (ce n'est pas "mon" action non plus). L'absence d'orgueil, d'arrogance,
de culpabilité ou de honte est synonyme de paix de l'esprit.
Il s'agit bien sûr d'une simplification excessive des enseignements de Ramesh et de Maharaj.
Il existe de nombreux ouvrages sur le sujet et il n'est pas nécessaire d'en rajouter.
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Ce texte a
été rédigé afin d’établir une corrélation entre les deux. C'est le résultat d'un souvenir qui a
resurgi. Il y a de nombreuses années, un moine bouddhiste rendit visite à Ramesh et il déclara
qu'il trouvait son enseignement didactique et différent de celui de Maharaj. Je savais ce qu'il
voulait dire, mais je ne partageais pas son point de vue. Comment quelqu'un dont
l'enseignement est que "personne ne fait rien", ou qui dit que "la vision est la seule action
nécessaire", pourrait-il être didactique ? Pour moi, ce que Ramesh disait n'était même pas un
élargissement de l'enseignement de Maharaj - c'était le même enseignement exprimé avec
d'autres mots et d'un point de vue différent. Ce qui reliait les enseignements entre eux, c'était
"Je suis".
Le principe de l'enseignement de Maharaj était "vous êtes Cela", celui de Ramesh étant
plutôt ‘"Cela est vous". Il y a pourtant une différence subtile. Maharaj s'adressait à Cela et non
à l'individu (de la Conscience à la Conscience). Ramesh s'adressait à "vous", l'individu, en
tant que personne distincte. Dans un cas comme dans l’autre, le "moi" était en difficulté.
Maharaj se contentait de le contourner. Et Ramesh, en supprimant le sentiment d'être
l'auteur de l'action du "moi", se rapprochait le plus possible d'un fonctionnement
impersonnel à l'état de veille. La combinaison des enseignements de Maharaj et de Ramesh
est comme un fantastique jugalbandi
3
où le "moi", identifié comme une entité séparée,
s'évanouit dans l'oubli.
Au cours des entretiens de Ramesh, des chercheurs connaissant l'enseignement de Maharaj
venaient poser des questions, en citant des phrases que Maharaj avait prononcées. Ils
n'étaient pas ouverts à ce qui était dit dans l'instant, car ils avaient apporté avec eux leur
bagage conceptuel de l'idée qu'ils se faisaient de l'enseignement de Maharaj. L'ironie de la
chose, c'est que c'est précisément ce contre quoi Maharaj mettait en garde les chercheurs !
Ramesh leur disait : "Oubliez ce que Maharaj a dit, vous êtes ici maintenant... pourquoi ne pas
discuter de ce que je dis ?" Naturellement, il ne voulait pas manquer de respect à Maharaj. Il
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Sur Partage-pdf.webnode.fr, on pourra trouver ‘’Comment est-ce que je vis ma vie ?’’, de Ramesh S. Balsekar,
ultime chapitre de son livre, Enlightened living The Self-realized state, NDT.
3
Interprétation de deux duettistes dans la musique classique indienne, où les musiciens jouent ensemble sur
des instruments différents.
répondait simplement au besoin de faire éclater le mur rigide et renforcé d'une
compréhension intellectuelle de l'enseignement de Maharaj qui avait emprisonné le
chercheur. Il n'est par conséquent pas étonnant que Maharaj ait spécifiquement dit à Ramesh
que lorsqu'il enseignait, il ne devait pas se contenter de répéter ses paroles, comme un
perroquet.
Il faut bien comprendre que s'il existe une différence subtile entre les deux approches, elle ne
se situe qu'au niveau de la présentation de l'enseignement. En effet, il n'y a pas de différence
entre les deux. Pourquoi ? Tout simplement parce qu'il n'y a pas de "différence"’, en tant que
telle, entre le "Je Suis" (la Conscience impersonnelle de l'Être) et le "moi" (la Conscience
identifiée). Le "moi" est le "Je Suis", recouvert du voile de l'identification, en tant
qu’’"auteur/acteur" distinct(if). Cela signifie qu'à chaque fois que ce "moi et son histoire"
évoluent dans l'état de veille, le "Je Suis" est toujours présent, en tant que Témoin. Vous ne
pouvez pas fonctionner en tant que "moi" sans le "Je Suis" - comment pourriez-''vous'' être
conscient, sans avoir conscience d'exister préalablement ?
Tout ce qui existe, c'est la Conscience. Dans le sommeil profond, c'est la Conscience
impersonnelle ; à l'état de veille, c'est la Conscience identifiée. Cette Conscience identifiée est
en fait la Conscience impersonnelle de l'Être - "Je Suis" - bien qu'elle soit maintenant
identifiée à un être distinct - "Gautam". Ils ne sont différents qu'en termes d'"états", pour
ainsi dire.
Cette Conscience impersonnelle qui prévaut dans l'état du sommeil profond ne disparaît pas
au réveil. En réalité, dans l'état de veille (comme dans l'état de rêve), l'identification se
superpose à la Conscience impersonnelle. Elles ne sont pas distinctes et n'existent ainsi pas
indépendamment l'une de l'autre. Ce qui signifie que la paix du sommeil profond est
inhérente à l'état de veille - c'est juste que l'on a planté sur ce terrain de paix le chapiteau du
"moi" rempli d'espoirs, de désirs, de frustrations, d'attentes, et ainsi de suite. Ramana
Maharshi a toujours dit : "Le sommeil profond est votre état naturel.’"
Il n'est pas nécessaire de tuer ou de supprimer l'ego pour demeurer dans le ‘’Je Suis’’, puisque
vous êtes déjà ce "Je Suis", qui ne va nulle part et qui ne peut aller nulle part. Comme le disait
Ramesh : ‘’A qui dit-on de tuer l'ego ? L'ego est invité à se tuer lui-même. Comment l'ego
pourrait-il accepter ça ?"
Pour autant, ce qui recouvre le "Je Suis’’, c'est l'implication dans "moi et mon histoire". Plus
l'implication et le "faire" sont importants et plus on s'éloigne du "Je Suis", même si en vérité,
il n'y a aucune distance entre les deux. Je suis ce que je suis. C'est un saut dans l'inconnu. Le
seul souci étant qu'il n'y a aucune distance à franchir ! Tout ce dont "vous" avez besoin pour
accomplir ce saut dans l'inconnu, c'est d'être tranquille - de demeurer dans votre essence
d'être. Restez tranquille et sachez que je suis Dieu.
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Ce "Je Suis" est la porte d'accès à la paix du sommeil profond à l'état de veille. En effet, dans
l'état de veille, vous savez que vous existez - "Je Suis". Le "Je Suis’’ est ce qui est antérieur au
‘’moi" et à ce qui lui arrive à l'état de veille, "antérieur" n'étant qu'une indication - il n'y a
aucune durée linéaire entre les deux. Avant qu'il ne puisse arriver quelque chose au "moi", il
doit y avoir quelque chose pour que cet événement se produise. Cette chose, c’est le "Je Suis’’.
Le "moi" est ce qui s’implique dans l'événement, le "Je Suis", ce qui en est le Témoin.
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Bible, Psaume 46 : 10
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