Cours de Droit administratif 2022 2023 2

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DROIT ADMINISTRATIF
(1er semestre)
Cours du professeur Martin BLEOU
Professeur titulaire des Universités
(année universitaire 2022-2023)
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INTRODUCTION
L’introduction doit tendre à cerner la matière, à la circonscrire. Cela se fera à
travers l’examen d’un certain nombre de considérations préliminaires.
1- La position du droit administratif
Le droit administratif appartient au droit public, compte tenu de son objet
qui est de régir l’Administration, c’est-à-dire de soumettre l’Administration au
droit, à des règles de droit. Le droit administratif est pour l’Administration ce
qu’est le droit constitutionnel pour le pouvoir politique, c’est-à-dire le pouvoir
dont l’Etat est le titulaire. L’Administration, que le droit administratif régit,
apparaît comme l’ensemble des institutions ou des services publics concourant,
sous l’autorité du pouvoir exécutif, à la satisfaction des besoins d’intérêt général.
Le doit administratif présente des points communs avec le droit
constitutionnel en ce sens que ces deux branches du droit régissent le pouvoir,
l’un, le pouvoir politique, et l’autre, le pouvoir administratif, qui est un pouvoir
assujetti au pouvoir politique.
D’autre part, l’on retrouve, au niveau du droit administratif comme au niveau
du droit constitutionnel, des acteurs communs. C’est le cas du président de la
République et du gouvernement. Mais, ces acteurs interviennent dans des cadres
différents et sont régis par des règles distinctes, selon qu’ils interviennent en droit
constitutionnel ou en droit administratif, dans le domaine politique ou dans la
sphère administrative. C’est dire que par-delà les traits communs le droit
administratif et le droit constitutionnel présentent des différences à bien des
égards.
2- L’origine du droit administratif
Le droit administratif ivoirien doit beaucoup au droit administratif français, et
cela pour des raisons tenant au passé colonial de la Côte d’Ivoire. Il suit de que
l’origine du droit administratif ivoirien est à rechercher du côté de l’histoire du
droit administratif français. Le droit administratif français, duquel procède le droit
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administratif ivoirien, est d’un principe qui est le principe de la séparation des
autorités administratives et judiciaires. Ce principe est lui-même de la volonté
de l’Etat de briser les sistances qu’opposaient les tribunaux, à l’époque, au
projet de réforme et de modernisation de l’Administration. Ainsi, la Constituante
va édicter la loi des 16-24 août 1790 qui dispose : « Les fonctions judiciaires sont
distinctes et demeureront toujours séparées des fonctions administratives. Les
juges ne pourront, à peine de forfaiture, troubler, de quelque manière que ce soit,
les opérations des corps administratifs ni citer devant eux les administrateurs pour
raison de leurs fonctions. »
Cette interdiction sera itérée cinq ans plus tard par le décret du 5 fructidor
an III (1795, l’an I correspondant à 1793) dans les termes suivants : « Défenses
itératives sont faites aux tribunaux de connaître des actes d’administration de
quelque espèce qu’ils soient, aux peines de droit. » Ce principe signifie que
l’Administration est soustraite à toute justiciabilité devant les tribunaux de
l’époque, qu’on qualifiait improprement de tribunaux judiciaires. Ces tribunaux,
qui étaient les seuls à l’époque, ne pouvaient plus connaître des actes des
autorités administratives ni de la responsabilité de l’Administration.
De la situation que voilà il résultait que l’Administration n’était plus soumise
au juge puisqu’il n’existait pas, à l’époque, de juridictions autres que les
juridictions dites judiciaires. L’Administration deviendra, alors, son propre juge :
les affaires intéressant l’Administration étaient, désormais, portées devant
l’Administration elle-même. C’est ce que l’on a appelé le système du ministre-juge
ou de l’administrateur-juge. L’Administration était ainsi devenue son propre juge,
c’est-à-dire juge et partie. Dans ce système, l’Administration sera épaulée par des
instances placées auprès d’elle. C’est le cas des conseils de préfecture,
compétents pour régler certaines affaires limitativement définies, sous la
présidence du préfet. Mais, l’élément le plus important sera l’avènement du
Conseil d’Etat, créé par la Constitution de l’an VIII (1800). Initialement, le Conseil
d’Etat avait été conçu comme une instance placée auprès de l’Administration pour
instruire les affaires mettant en cause l’Administration, et faire à celle-ci des
propositions de solution. Le pouvoir de décision appartenait, alors, à
l’Administration elle-même. Toutefois, il avait été constaté que les solutions
proposées par le Conseil d’Etat étaient toujours suivies. En outre, la procédure
suivie devant le Conseil d’Etat était une procédure contradictoire, c’est-à-dire une
procédure semblable à celle suivie devant les tribunaux.
La situation, que voilà, allait évoluer, car l’Etat avait ressenti le besoin de
faire coïncider le droit et le fait. C’est ainsi que le Conseil d’Etat devient une
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véritable juridiction statuant de façon indépendante. Ainsi est née la dualité de
juridictions.
Le principe de séparation, affirmé par les textes, sera confirmé en 1873 par
un arrêt célèbre du Tribunal des Conflits : l’arrêt Blanco. Aux termes de cet arrêt,
les tribunaux judiciaires ne peuvent connaître de la responsabilité de
l’Administration lorsque celle-ci assume une mission de service public. D’autre
part, énonce l’arrêt Blanco, les règles applicables à l’Administration ne sont pas et
ne doivent pas être celles du droit privé, lesquelles sont des règles faites pour régir
les rapports de particulier à particulier.
Positivement, l’Administration a ses règles propres, distinctes de celles du
droit privé. Ces règles sont autonomes, spéciales, dérogatoires au droit commun.
Elles tiennent compte de la nécessité de concilier les droits de l’Etat avec les
droits des personnes privées. Ce droit administratif est un droit qui était, au
départ, fondamentalement jurisprudentiel, avant de devenir, aujourd’hui, un droit
largement légiféré. C’est donc un droit à l’élaboration duquel le juge administratif,
et notamment le Conseil d’Etat ainsi que le Tribunal des Conflits, juge répartiteur
des compétences, ont joué et continuent de jouer un rôle essentiel. Les grands
principes du droit administratif sont l’œuvre du juge administratif, éclairée par les
brillantes conclusions des Commissaires du gouvernement dont voici quelques
noms : David, Romieu, Pichat, Léon Blum, Guy Braibant, Ségalat, Matter, Corneille,
Chardenet, Rivet, Latournerie, Chenot, Odent, Letourneur, Gazier, Long, Fournier,
Heumann, Kahn.
Ainsi, le droit administratif se présente comme un droit qui doit beaucoup à la
juridiction administrative autant qu’à la doctrine qui a joué un rôle éminent dans
l’élaboration du droit administratif. A l’apport des Commissaires du gouvernement,
il convient donc de joindre celui des professeurs de droit qui, par leurs travaux,
leurs critiques, leurs propositions et leurs suggestions, ont influencé aussi bien
l’œuvre du juge que celle des autorités chargées de légiférer en matière
administrative. On peut citer, à cet égard, Edouard Laferrière, Maurice Hauriou,
Léon Duguit, Gaston Jèze, André de Laubadère, Georges Vedel, Marcel Waline,
Jean Rivero, Charles Eisenmann...
Le droit administratif français, ainsi présenté, va pénétrer l’espace ivoirien au
moyen des institutions établies par le colonisateur. En effet, pendant la période
coloniale, un Conseil du contentieux administratif avait été créé pour l’Afrique
occidentale française (AOF). Son siège était fixé à Dakar. Ce Conseil du contentieux
administratif avait compétence pour connaître de certains litiges administratifs
auxquels il appliquait les règles et principes du droit administratif, contenus, soit
dans des décrets coloniaux pris par le président de la République française,
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législateur colonial par excellence, soit dans des lois françaises rendues applicables
aux colonies et territoires d’outre-mer par le président de la République, soit
encore dans les lois spécialement faites pour les colonies et territoires d’outre-
mer. Le Conseil d’Etat français était juge d’appel des cisions rendues par le
Conseil du contentieux administratif, et juge de droit commun du contentieux
administratif ; le Conseil du contentieux de l’AOF n’avait, alors, qu’une
compétence d’attribution.
Le Conseil d’Etat, connaissant des litiges nés dans les colonies et territoires
d’outre-mer, appliquait les règles et principes consacrés par les textes ci-dessus
cités, ainsi que les principes qu’il avait lui-même gagés. L’on peut, à cet égard,
mentionner quelques exemples : en tout premier lieu, les droits de la défense ;
c’est le principe en vertu duquel toute personne poursuivie doit être mise à même
de fournir des explications pour sa défense ; ensuite, le principe de la non-
rétroactivité des actes administratifs ; c’est le principe selon lequel les actes pris
par les autorités administratives ne peuvent rétroagir, c’est-à-dire produire des
effets à une date antérieure à leur édiction ; il y a, également, le principe des
droits acquis, qui interdit à l’Administration de rapporter ou de retirer un acte
administratif créateur de droits au-delà d’un certain temps ou d’une certaine date
parce que le retrait affecterait la sécurité juridique.
L’indépendance de la Côte d’Ivoire acquise, la législation coloniale est
reconduite au moyen de l’article 76 de la Constitution du 03 novembre 1960, qui
dispose : « La législation actuellement en vigueur en Côte d’Ivoire reste applicable,
sauf l’intervention de textes nouveaux, en ce qu’elle n’a rien de contraire à la
présente Constitution. »
A l’avènement de la IIe République, la Constitution du 1er août 2000 reprend
et reconduit en tous points cette disposition à travers son article 133. Ce à quoi est
restée fidèle la Constitution de la IIIe République, celle du 08 novembre 2016.
La question qui se pose ici est celle de savoir ce que recouvre le terme de
législation, employé par la Constitution. En d’autres termes, la question est de
savoir si les principes dégagés par le juge français et applicables dans les colonies
et territoires d’outre-mer doivent être compris comme faisant partie de la
législation.
A cet égard, il convient de noter que le souci du constituant ivoirien, lorsqu’il
s’était agi de doter l’Etat de Côte d’Ivoire d’une nouvelle Constitution, était
d’éviter le vacuum juris (le vide juridique), incompatible avec la vie en société.
Cette préoccupation commande d’avoir du terme de législation une acception, non
pas stricte, non pas étroite, mais plutôt large. Ainsi, la législation doit être
entendue comme désignant l’ensemble des règles juridiques en vigueur au moment
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où la Côte d’Ivoire accédait à l’indépendance. Il suit de là que les principes
dégagés par le juge français antérieurement à l’accession de la Côte d’Ivoire à
l’indépendance, et alors applicables dans les colonies et territoires d’outre-mer,
doivent être considérés comme partie intégrante de la législation, dans la mesure
ils ne sont pas contraires à la Constitution. Cette interprétation s’impose, car si
l’on envisageait la question autrement, on laisserait de côté bien des règles et
principes. Ce qui ne manquerait pas de provoquer, en partie, le vide juridique que
le constituant a justement voulu éviter.
Ce point admis, il y a lieu d’observer que, par cela seul que la Côte d’Ivoire
est sormais un Etat souverain, la jurisprudence française intervenue ou
intervenant postérieurement à l’accession de la Côte d’Ivoire à l’indépendance
n’est pas applicable en Côte d’Ivoire. Par conséquent, elle ne saurait être
envisagée comme faisant partie de la législation au sens l’entend le constituant
ivoirien. Toutefois, rien ne s’oppose à ce que le juge ivoirien s’en inspire comme il
le fait parfois.
3- Le contenu du droit administratif
Le droit administratif se présente comme un droit autonome. Ce droit
comprend essentiellement des règles spéciales, dérogatoires aux règles du droit
privé. En effet, à des problèmes juridiques semblables à ceux que l’on rencontre
dans les rapports entre personnes privées, le droit administratif apporte des
solutions spécifiques. Il en va ainsi, par exemple, en matière contractuelle comme
en matière de responsabilité extra-contractuelle.
La spécificité des règles du droit administratif vient de ce que
l’Administration poursuit un but d’intérêt général alors que les particuliers ou,
d’une manière générale, les personnes privées (physiques ou morales) poursuivent,
dans leur action, un but d’intérêt personnel, privé ou catégoriel. Il apparaît, dès
lors, indispensable de soustraire l’Administration aux gles prévues pour les
personnes privées. Il apparaît, en conséquence, normal que l’Administration se
voie appliquer des règles qui tiennent compte des objectifs qu’elle poursuit. Tel
est le fondement du droit administratif.
A côté des gles spéciales que l’on ne retrouve pas dans les rapports entre
personnes privées, il existe des règles empruntées au droit privé, et notamment au
droit civil, applicables à l’Administration. C’est le cas du principe de la non-
rétroactivité, emprunté au droit civil. Il y a lieu de préciser que l’emprunt au droit
privé n’entame pas l’autonomie du droit administratif, car le juge administratif,
empruntant des règles au droit privé, leur imprime un esprit nouveau par quoi se
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