1-8-Physiologie-de-lappareil-digestif-et-métabolisme

Telechargé par Mardochée Esli
8
PHYSIOLOGIE DE L’APPAREIL
DIGESTIF ET MÉTABOLISME
1
MÉTABOLISME ÉNERGÉTIQUE ET AZOTÉ
B. Beaufrère (†), X. Leverve, D. Attaix
La succession de réactions biochimiques qui caractérisent la vie
repose sur des successions de transferts d’énergie qui paraissent une
exception aux lois de la thermodynamique. En effet, l’objectif de
tout processus biosynthétique est d’augmenter le degré d’ordre de la
matière ce qui va à l’encontre du second principe qui veut que le
degré de désordre de l’univers augmente. En fait, les processus
biosynthétiques permettent de transformer l’énergie qu’ils puisent
dans le milieu extérieur : lumière pour les plantes ou matière orga-
nique pour les autres. Différents éléments doivent être également
extraits du milieu extérieur, et donc proviennent de l’alimentation.
Il s’agit de l’azote et de différents éléments minéraux et vitamini-
ques. L’azote tient une place à part car nous ne pouvons pas l’utiliser
directement sous forme minérale comme c’est le cas pour les plantes
et il doit nous être apporté sous une forme chimique organique :
c’est l’apport protéique réalisé par les acides aminés.
BIOÉNERGÉTIQUE
ASPECTS CELLULAIRES
ÉNERGIE
L’énergie est une propriété de la matière lui permettant de se
transformer en générant un travail, ou à l’inverse de se transformer
comme résultat d’un travail. L’énergie existe sous de nombreuses
formes, et dans le cas d’organismes vivants (bioénergétique) elle
correspond principalement à de l’énergie chimique, mécanique ou
électrique. La réalisation des processus biosynthétiques repose sur
des couplages énergétiques : ce qu’un système perd un autre le
gagne; la somme algébrique de l’ensemble étant toujours négative.
Comme la synthèse de saccharose à partir de glucose et de fructose
absorbe de l’énergie, cette réaction ne peut se produire spontané-
ment. Elle n’est possible que si elle est couplée à une autre réaction
comme l’hydrolyse d’ATP en ADP fournissant l’énergie nécessaire à
la synthèse. Mais le bilan étant forcément négatif, il est très impor-
tant de réaliser que l’énergie libérée dans une réaction dépend du
milieu. Ainsi, l’ATP « monnaie énergétique » de la cellule a un taux
de change variable : la quantité d’énergie fournie par son hydrolyse
dépend des concentrations d’ADP ou de Pi, produits de la réaction.
Une même quantité d’ATP peut ainsi libérer plus ou moins d’énergie
selon le potentiel phosphate (ou rapport ATP/(ADP ×
Pi)) de
l’environnement.
En pratique pour effectuer la synthèse d’ATP, la seule forme
d’énergie utilisable provenant de nos aliments est l’énergie d’oxydoré-
duction, contenue dans les atomes d’hydrogène. Plus précisément, il
s’agit de l’énergie contenue dans l’électron de l’atome d’hydrogène. Le
catabolisme des nutriments permet de récupérer l’énergie redox qu’ils
contiennent grâce à l’action successive de différentes déshydrogé-
nases. Au cours d’une séquence enzymatique particulière, le cycle de
Krebs (propriété des mitochondries au même titre que la chaîne respi-
ratoire), le métabolite final (acétylcoenzyme A) commun aux trois
types de substrats est totalement dégradé en CO
2
et hydrogène. Toute
l’énergie redox contenue dans l’acétylcoenzyme A est transférée sur
des transporteurs spécifiques : le NAD
+
qui se réduit en NADH
+
H
+
(noté simplement NADH), ou le FAD qui se réduit en FADH
2
. Plus les
rapports NADH/NAD
+
et FADH
2
/FAD sont élevés, plus le niveau de
l’énergie redox transportée est important.
1. Ce chapitre a été coordonné par J.-M. Boles.
OXYDATION PHOSPHORYLANTE
La capacité d’utiliser l’énergie redox contenue dans nos
aliments est liée à l’équipement enzymatique de la mitochondrie.
Un complexe multi-enzymatique spécifique, la chaîne respiratoire,
catalyse la réaction :
NADH
+
+ H
+
+
1
/
2
O
2
H
2
O + NAD
+
+ énergie
La plus grande partie de cette énergie est utilisée pour la
synthèse d’ATP. L’énergie libérée lors de la combustion (oxydation)
de l’hydrogène est utilisée par la chaîne respiratoire pour expulser
des protons de la matrice vers le cytosol conduisant à la création de
part et d’autre de la membrane d’un gradient de concentration en
protons.
Si le rendement de l’oxydation phosphorylante (rapport entre
la quantité d’ATP produite et la quantité d’oxygène consommée :
ATP/O) est admis comme étant de 3, différents processus peuvent le
modifier : variation de l’imperméabilité de la membrane mitochon-
driale aux protons, présence de protéines découplantes (uncoupling
protein [UCP]), variation du couplage des pompes membranaires
(chaîne respiratoire et ATP synthase). Si au premier abord une baisse
du rapport ATP/O représente une perte d’efficacité, la possibilité de
dissocier respiration et phosphorylation peut cependant offrir diffé-
rents avantages. Le premier d’entre eux est la production de chaleur,
comme cela a été bien mis en évidence dans le tissu adipeux brun
[1]. La diminution du rapport ATP/O pourrait avoir également des
effets antiradicalaires. En effet, si l’oxygène est le substrat de choix
pour la synthèse aérobie d’ATP, son pouvoir oxydant considérable
peut devenir un inconvénient majeur en cas de réactions d’oxyda-
tion incontrôlées (excès de production de radicaux libres). Le
maintien d’une pression partielle d’oxygène cellulaire « faible »
(favorisée par une consommation élevée d’oxygène due au
« découplage » des mitochondries) pourrait jouer un rôle dans cette
protection antiradicalaire [2, 3].
MÉTABOLISME ÉNERGÉTIQUE ANAÉROBIE
Classiquement on admet qu’un sujet adulte utilise quotidienne-
ment sa propre masse d’ATP. En supposant que celui-ci provienne
exclusivement du glucose, on peut calculer que l’oxydation
complète de 650 g de glucose permet la synthèse de 70 kg d’ATP. En
l’absence de mitochondrie, et donc d’oxydation phosphorylante, il
faudrait utiliser environ 13 kg de glucose pour obtenir la même
quantité d’ATP. On voit bien l’avantage considérable de la produc-
tion aérobie d’ATP, la présence de mitochondries permettant une
économie considérable de substrat. Si la production extramitochon-
driale d’ATP est mineure (environ 5 %), elle joue un rôle qualitatif
important de mieux en mieux reconnu. En effet, du fait des phéno-
mènes de compartimentation cellulaire, certaines fonctions
dépendent plutôt de l’ATP glycolytique et d’autres de l’ATP mito-
chondrial. La glycolyse ne libère que 7 % environ de l’énergie
contenue dans une molécule de glucose (47 kcal. mol
–1
) conduisant
à la production de deux molécules d’ATP par molécule de glucose, et
ceci sans utiliser d’oxygène. Cette source d’énergie est la seule
possible pour les hématies qui sont dépourvues de mitochondries.
D’un point de vue quantitatif, ce métabolisme n’est pas négligeable
à l’échelle de l’organisme dans son ensemble, si l’on considère que
les hématies représentent un « organe » anaérobie de 2,5 kg environ.
Les cellules transparentes de la cornée sont également dépourvues de
mitochondries et, de ce fait, dépendent également d’un métabo-
lisme strictement anaérobie. Enfin, certains tissus très peu
vascularisés comme les cellules de la médullaire rénale ou transitoi-
rement hypoxiques par déséquilibre entre demande et offre comme
le tissu musculaire, à la phase initiale du mouvement et au cours des
exercices intenses, sont également largement dépendants de la
production anaérobie d’ATP. Parallèlement à la synthèse d’ATP, la
glycolyse libère des équivalents réduits et la réduction du pyruvate
en lactate, bien que non directement liée à production d’énergie, est
indispensable pour que la glycolyse se poursuive.
ASPECTS
IN VIVO
Le métabolisme basal est difficile à déterminer de manière
rigoureuse, on lui préfère le métabolisme de repos qui est de l’ordre
de 40 kcal.m
–2
.h
–1
chez l’adulte
2
. Pour comparer différents individus,
le métabolisme de repos doit être normalisé à la masse totale, à la
masse maigre, à la surface corporelle, ou encore à la masse élevée à la
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Physiologie de l’appareil digestif et métabolisme
169
puissance 0,75. Chacune de ces expressions peut faire l’objet de criti-
ques et ceci limite les comparaisons entre individus très différents.
Ainsi, chez les sujets très dénutris, la perte de masse corporelle, prin-
cipalement aux dépens du tissu adipeux et de la masse musculaire,
tissus à faible dépense énergétique de repos, a pour conséquence de
surreprésenter les tissus à haute dépense énergétique. Ceci peut
conduire à une conclusion erronée d’hypermétabolisme. Le foie, le
cœur, les reins et le cerveau consomment environ 60 % de l’énergie
totale alors que la somme de leurs masses ne représente que 5,5 %
environ de la masse corporelle totale. De très nombreux facteurs
influencent la dépense énergétique : l’âge (55 kcal.m
–2
.h
–1
chez le
nourrisson en phase de croissance et 35 kcal.m
–2
.h
–1
chez le sujet
âgé), le sexe (10 % supérieurs chez l’homme que chez la femme), la
masse de tissu cellulaire actif, la température (10 % d’augmentation
par degré Celsius), la prise alimentaire, l’état de veille… et, bien sûr,
l’activité physique [4].
MÉTABOLISME AZOTÉ
Le terme de métabolisme azoté recouvre deux métabolismes
étroitement intriqués : celui des acides aminés (AA) et celui des
protéines.
MÉTABOLISME DES AA
Structurellement, tous les AA ont en commun l’existence d’une
fonction amine située en alpha d’une fonction carboxylique. Les AA
diffèrent entre eux par leur radical carboné (noté R) dont la structure
est très variable et peut donner son nom à un groupe d’AA (par
exemple les AA « aromatiques » ou « branchés »). Seuls vingt AA sont
incorporés dans les protéines, mais il existe de nombreux autres AA,
tels que taurine, ornithine, citrulline, hydroxyproline dont les rôles
sont tout aussi importants.
Comme pour tout substrat, la concentration d’un AA donné
résulte d’un équilibre dynamique entre sa production et son utilisa-
tion. La production dépend de :
l’apport exogène par l’alimentation qu’elle soit orale, entérale ou
parentérale;
• la dégradation des protéines de l’organisme par la protéolyse (pour
les AA constitutifs des protéines);
• la synthèse de novo des AA qui n’est possible que pour les AA dits
« non indispensables » (cf. infra).
L’utilisation des AA comporte elle aussi trois possibilités :
la synthèse des protéines (pour les AA constitutifs de ces
dernières);
• la dégradation oxydative en CO
2
et en urée;
l’incorporation dans des composés autres que les protéines, tels
que les bases nucléotidiques, des hormones ou des médiateurs.
Quantitativement bien inférieures à la synthèse protéique, ces voies
ont néanmoins des rôles physiologiques importants.
DÉGRADATION ET SYNTHÈSE DES AA
Il n’est pas question de décrire ici le métabolisme complexe de
chaque AA, détaillé dans les traités de biochimie [5, 6]. Quelques
règles générales sont cependant valides pour la plupart des AA.
Les AA circulent sous forme libre dans le plasma. Leur
métabolisme est exclusivement intracellulaire : il existe donc des
systèmes de transport de part et d’autre de la membrane cellulaire.
Ces transporteurs sont spécialisés par « groupe » d’AA, selon la struc-
ture de ces derniers (AA neutres, cationiques, anioniques, etc.) [5].
La dégradation oxydative des AA comporte deux
grandes étapes. La première est la désamination ou perte de la fonc-
tion alpha aminée qui conduit à un cétoacide. Cette étape est en
règle générale réversible (transamination) sauf pour la lysine. Par
conséquent, au moins sur le plan biochimique, sinon clinique, un
cétoacide peut en théorie se substituer à l’AA correspondant d’un
point de vue nutritionnel. L’étape suivante est la perte de la fonction
carboxylique (décarboxylation), irréversible, suivie de la dégradation
ultérieure du radical carboné. Les AA peuvent ainsi contribuer à la
fourniture d’énergie soit en produisant directement de
l’acétylcoenzyme A, soit en produisant du glucose par la néoglucoge-
nèse. Cette dernière voie, possible pour de nombreux AA, n’est
quantitativement significative que pour peu d’entre eux, notam-
ment l’alanine. L’élimination de l’azote excédentaire s’effectue sous
forme d’urée, molécule atoxique synthétisée par le foie et, minoritai-
rement, sous forme d’ammoniaque.
La synthèse de novo des AA correspond en fait à la
synthèse de la chaîne carbonée puisque la transamination est
comme nous l’avons vu, réversible (à l’exception de la lysine). Cette
synthèse n’est pas possible chez l’homme pour huit AA dits indis-
pensables (leucine, valine, isoleucine, phénylalanine, méthionine,
lysine, thréonine et tryptophane) qui doivent donc être amenés par
l’alimentation pour compenser les pertes oxydatives. Cependant, le
critère d’indispensabilité dépend de la situation physiopathologique.
La synthèse de novo peut être insuffisante et/ou l’utilisation (le
« besoin ») peut augmenter, conduisant certains AA à devenir
« conditionnellement indispensables » dans une situation donnée,
alors même que les voies biochimiques de synthèse de novo existent
bien. Le « cas » le plus célèbre est sans aucun doute celui de la gluta-
mine [5].
RÔLES DES AA
Bien entendu, le rôle essentiel des AA est la synthèse des
protéines. Mais les AA ont de nombreuses autres fonctions.
Ce sont des substrats énergétiques qui prennent toute
leur importance pendant le jeûne court (cf. infra). De plus, pour
certaines cellules (entérocytes, cellules immunitaires, etc.), la gluta-
mine est un substrat énergétique habituel et important.
Les AA sont des précurseurs d’hormones (par exemple,
phénylalanine pour les hormones thyroïdiennes), de bases puriques
et pyrimidiques, de molécules « protectrices » (cystéine pour le gluta-
thion) et de médiateurs. Dans ce domaine, la découverte la plus
considérable est certainement celle du monoxyde d’azote radicalaire
(NO
.
) dont l’arginine est le précurseur.
De nombreux AA ont des rôles d’homéostasie
métabolique :
– alanine et glutamine sont essentielles pour les transferts de
carbone et d’azote entre muscle, foie, intestin et rein [8]. Par
exemple, la modulation des transferts et d’utilisation de la gluta-
mine entre, d’une part, le muscle (production de glutamine), et
d’autre part le foie (uréogenèse) et le rein (ammoniogenèse), joue un
rôle important dans l’équilibre acide base;
– les AA branchés et la glutamine ont des effets spécifiques sur la
modulation de la synthèse protéique et de la protéolyse;;
la glutamine joue sans doute un rôle dans le contrôle du volume
cellulaire [9].
Cette liste non exhaustive des effets métaboliques des AA est à
la base du concept actuel de pharmaconutrition azotée. La simple
augmentation quantitative des apports azotés a fait la preuve de son
inefficacité pour lutter contre les pertes azotées du patient agressé.
On s’attache plus désormais à moduler une fonction affectée (par
exemple l’immunité) à l’aide d’un substrat spécifique [10].
MÉTABOLISME DES PROTÉINES
Les protéines sont composées d’une suite d’AA reliés entre eux
par des liaisons peptidiques (CO-NH). Chez les mammifères, il existe
au moins 10 000 protéines différentes par leurs tailles, leurs struc-
tures et leurs fonctions. Ainsi, à côté des protéines de structure (type
collagène ou kératine), on peut distinguer des protéines enzymati-
ques (la quasi-totalité des enzymes sont des protéines), hormonales,
motrices (actine, myosine), de transport (albumine), de transduction
du signal (protéines G, récepteurs, etc.) et de l’immunité, de régula-
tion de l’expression du génome (facteurs de transcription). D’un
point de vue nutritionnel, les protéines sont d’abord le constituant
de l’organisme dont la perte signe la dénutrition. Cette vision
globale ne doit pas faire perdre de vue qu’une modification de la
masse protéique totale est le reflet des altérations des protéines indi-
viduelles de l’organisme, et des fonctions leur correspondant.
RENOUVELLEMENT DES PROTÉINES AU NIVEAU DE L’ORGANISME ENTIER
Quelle que soit leur structure, toutes les protéines ont en
commun le fait d’être renouvelées en permanence [11-13]. Ce renou-
vellement (turn-over) a deux composantes :
• la synthèse protéique, à partir des AA libres;
le catabolisme protéique, ou protéolyse, qui produit des AA libres
par hydrolyse des liaisons peptidiques.
C’est de l’équilibre entre synthèse et protéolyse que dépend
l’évolution de la quantité de protéines (ou masse protéique). Ceci est
2. La surface en cm
2
étant donnée par la formule :
S = 71, 84 5 H
0,725
5 M
0,425
, avec H : taille en cm et M : poids en kg
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Principes essentiels de physiologie
vrai aussi bien au niveau du corps entier (masse maigre ou muscu-
laire) que pour chaque protéine prise individuellement (par
exemple, concentration d’albumine ou d’enzyme, etc.). Au niveau
du corps entier, la masse protéique représente 15 % du poids. Elle
augmente en phase de croissance (synthèse supérieure à protéolyse)
et diminue lors d’une dénutrition (protéolyse supérieure à synthèse).
Cette évolution peut être mesurée par la balance azotée qui est égale
à la différence entre apports et pertes azotées. Cet examen, de
concept simple, est de réalisation pratique difficile. À ce sujet, on
peut schématiser deux situations :
pour une surveillance nutritionnelle de routine, une balance
azotée approximative et simplifiée, calculée sur l’urée urinaire, rend
de précieux services en clinique;
dans le cadre d’une étude clinique, il faut s’astreindre à des
contraintes sévères (durée de trois jours minimum, recueils parfaits
des selles et urines, dosage de l’azote total, etc.). Les résultats sont
habituellement surestimés en azote quelles que soient les précau-
tions prises [14].
Malgré une balance azotée qui est par définition proche de zéro
chez l’adulte en situation nutritionnelle stable, le renouvellement
protéique se fait à un débit d’environ 300 g.j
–1
chez l’adulte sain. En
d’autres termes, ce sont 300 g de protéines qui sont synthétisées et
dégradées quotidiennement. Ce renouvellement, dont dépendent
les fluctuations de la masse protéique, est étroitement couplé à celui
des AA. Ce couplage étroit entre les deux métabolismes permet
d’évaluer le renouvellement protéique à partir de celui des AA par
des méthodes de dilution isotopique. La leucine et la phénylalanine
marquées avec des isotopes stables (
2
H et
13
C) sont les traceurs les
plus utilisés [15]. Ces méthodes restent réservées à la recherche de
par leur lourdeur analytique.
Le renouvellement protéique « corps entier » est la résultante
des renouvellements de multiples tissus, eux-mêmes comportant
d’innombrables protéines de rapidité de renouvellement très
variable. En règle générale, une protéine de structure sera renouvelée
lentement et une protéine à fonction régulatrice très rapidement.
Ainsi la demi-vie (fonction inverse de la vitesse de renouvellement)
de certaines enzymes n’excède pas quelques minutes, ce qui permet
à leur concentration de varier très rapidement. La participation
d’une protéine au renouvellement protéique total dépend de sa
vitesse de renouvellement mais aussi de sa masse. Globalement le
muscle, le foie et l’intestin sont les principaux tissus impliqués,
contribuant au renouvellement protéique total pour respectivement
1/3, 1/4 et 1/5 [11].
Chez le sujet en croissance, le renouvellement protéique
rapporté au kg de poids corporel est élevé (approximativement
8 g.kg
–1
.j
–1
chez le nouveau-né humain, pour 4 g.kg
–1
.j
–1
chez
l’adulte). Il diminue modérément au cours du vieillissement. Dans
les pathologies aiguës (agression en général), le renouvellement
protéique s’élève, de façon globalement proportionnelle à la sévérité
de l’agression. Il peut être ainsi multiplié par deux ou trois chez le
grand brûlé [16]. Par contre, au cours de malnutritions chroniques et
de jeûne prolongé, le renouvellement protéique s’abaisse de 10 à
30 %. Il est important de réaliser que les variations du renouvelle-
ment protéique et du gain protéique peuvent être dissociées. Les
résultats d’un renouvellement élevé identique (par kilogramme de
poids) chez un nouveau-né et un patient sévèrement agressé sont
diamétralement opposés en termes de balance azotée.
Enfin, on peut s’interroger sur la finalité du processus complexe
très coûteux en énergie (cf. infra) que constitue un renouvellement
protéique aussi rapide : ceci permet bien sûr l’élimination des
protéines anormales ou vieillies, et donc moins ou non fonction-
nelles. Surtout, ceci confère au métabolisme protéique une extrême
flexibilité lui permettant de réguler rapidement les transferts de
matière et d’énergie.
SYNTHÈSE PROTÉIQUE
L’expression du code génétique sous forme de protéines
comporte deux étapes [6] :
• la transcription est la synthèse d’ARN messager (ARNm) à partir de
l’ADN;
la traduction de l’ARNm est la synthèse protéique stricto sensu à
partir des AA précurseurs.
De façon très schématique, la transcription se fait dans le noyau
à l’aide de l’ARN polymérase qui « lit » l’ADN. La totalité de l’ADN est
transcrite (transcrit primaire) mais seules certaines régions, les
exons, seront exprimées dans l’ARNm final. Cette étape est finement
régulée par l’interaction entre des séquences régulatrices de l’ADN et
des macromolécules protéiques, les facteurs de transcription. Ce
contrôle étroit de l’expression du gène représente une partie du
contrôle cellulaire de la synthèse protéique. Pour cette raison, la
détermination de l’expression d’un gène, c’est-à-dire de la quantité
d’ARNm spécifique (northern blot, RT-PCR) d’une protéine dans un
tissu donné, est un témoin de la synthèse de cette protéine dans le
tissu. Cette mesure est un outil précieux dès lors que l’on s’intéresse
au métabolisme d’une protéine dans un tissu donné. Toutefois, la
variation de l’expression d’un gène donné ne permet pas d’exclure
d’éventuelles modifications traductionnelles ou posttraductionnels
et le lien entre expression du gène et activité finale de la protéine
n’est pas absolu.
La traduction nécessite des AA, l’ARNm à traduire, plus d’une
centaine de macromolécules interagissant de façon complexe (les
principales étant les ARN de transfert (ARNt), différents enzymes et
facteurs de traduction et les ribosomes) et enfin, de l’énergie sous
forme d’ATP et de GTP. Elle se déroule dans le cytoplasme et
comporte successivement :
l’activation des AA (fixation d’un AA sur un ARNt). Cette étape de
reconnaissance est capitale et sous la dépendance des AA-ARNt
synthétases qui doivent identifier d’une part l’AA, d’autre part son
ARNt spécifique. De sa précision dépend l’exactitude de la séquence
primaire de la protéine;
• l’initiation qui consiste en la fixation sur le codon initiateur d’une
méthionine-ARNt, au sein du ribosome;
l’élongation qui va permettre la synthèse du polypeptide sur le
ribosome;
• enfin, la terminaison qui voit la libération du polypeptide.
La traduction se déroule sur des ribosomes libres ou accolés à
des structures membranaires (réticulum endoplasmique rugueux).
L’existence de polyribosomes est un témoin morphologique de
l’existence d’une synthèse protéique active dans un tissu et a parfois
été utilisée en recherche.
La chaîne polypeptidique va ensuite acquérir sa conformation
spatiale et subir des modifications, indispensables à la fonction de la
protéine. Les plus classiques sont les glycosylations se déroulant
dans l’appareil de Golgi. Finalement, le « circuit» intracellulaire
nécessaire aux modifications posttraductionnels et à l’arrivée à bon
port de la protéine repose sur un système « d’adressage »
intracellulaire.
Pour conclure, on rappellera deux éléments d’importance en
termes nutritionnels concernant la synthèse protéique :
la spécificité du code génétique explique pourquoi la disponibilité
limitée d’un seul AA suffit à ralentir la synthèse protéique. Il s’agit là
d’une des bases du concept d’indispensabilité des AA;
la synthèse protéique est un processus énergétiquement coûteux.
Les GTP et les ATP sont indispensables à de multiples étapes. Ce
besoin élevé, supérieur au coût énergétique de la seule liaison pepti-
dique, constitue le « prix à payer » pour garantir la fidélité de la
traduction : en effet, de multiples facteurs de traduction, assurant
cette fidélité, appartiennent à la famille des protéines G (c’est-à-dire
activées en présence de GTP). Cette relation étroite entre métabo-
lismes énergétique et protéique explique la nécessité d’un apport
énergétique suffisant pour positiver une balance azotée [7, 17] (cf.
infra).
Les mesures de la synthèse protéique sont possibles au niveau
du corps entier en utilisant les méthodes de dilution isotopique
mentionnées plus haut. Les index de synthèse protéique ainsi
obtenus sont semi-quantitatifs et ne permettent pas de préjuger de
modifications de la synthèse dans un tissu donné [18] (une synthèse
protéique corps entier inchangée peut refléter des variations de sens
opposés dans différents tissus). Au niveau des tissus, la mesure
directe d’une synthèse protéique nécessite l’utilisation d’un AA
marqué dont on détermine l’incorporation dans la protéine d’intérêt
au cours du temps [19]. La quantité incorporée est directement
proportionnelle à la synthèse protéique. Cette méthode, classique in
vitro, est plus délicate à mettre en œuvre in vivo. Elle requiert en effet
l’accès direct à la protéine. Chez l’homme ne sont « facilement »
accessibles que les protéines musculaires (par biopsie) et les
protéines hépatiques exportées circulantes (albumine, fibrinogène,
apolipoprotéines, etc.) [20, 21]. Plus récemment, quelques mesures
ont été réalisées sur des biopsies hépatiques [22], en peropératoire ou
de jéjunum. Malgré ces difficultés, ces techniques, conceptuellement
supérieures aux mesures corps entier, sont actuellement en plein
développement chez l’homme.
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Physiologie de l’appareil digestif et métabolisme
171
PROTÉOLYSE
Les mécanismes régissant la protéolyse sont moins bien connus
que ceux régulant la protéosynthèse, en raison de la complexité des
différents systèmes protéolytiques, de leur spécificité tissulaire, et de
difficultés méthodologiques. La protéolyse n’intervient pas unique-
ment dans le renouvellement basal des protéines tissulaires. Elle
assure des fonctions de « ménage cellulaire » et l’élimination des
protéines anormales ou produites en excès. Elle est également impli-
quée dans la genèse des peptides antigéniques provenant de
protéines endogènes ou exogènes, dans divers mécanismes de régu-
lation (par exemple dégradation et élimination des cyclines lors de
phases spécifiques de la mitose, hydrolyse ménagée de certains
facteurs de transcription), dans la prolifération cellulaire et les
processus de cancérisation [23, 24]. Contrairement à la synthèse
protéique dont le mécanisme est univoque, il existe au moins trois
principales voies de la dégradation des protéines, présentes dans tous
les tissus, mais contribuant de façon variable à la protéolyse totale
selon le tissu considéré.
La voie lysosomiale joue un rôle majeur dans la dégradation des
protéines hépatiques [25] mais faiblement à la protéolyse muscu-
laire. En effet, les cathepsines, qui sont les principales protéases
lysosomiales, ne semblent pas impliquées dans la dégradation des
protéines contractiles majeures (actine et myosines).
La voie calcium-dépendante fait intervenir deux protéases acti-
vées par les ions calcium [26]. Elle joue un faible rôle dans le
renouvellement basal des protéines, et semble surtout impliquée
dans l’hydrolyse ménagée de certains substrats spécifiques comme la
protéine kinase C.
La voie ubiquitine-protéasome-dépendante est extrêmement
complexe, car régulée par au moins une soixantaine de gènes. Elle
fait intervenir deux étapes distinctes, l’ubiquitination des substrats,
puis leur dégradation par le protéasome [27]. L’ubiquitine est une
petite protéine qui se fixe de façon covalente à des protéines cibles
destinées à être dégradées par le protéasome. Cette ubiquitination
des substrats est réalisée par une série de réactions mettant en jeu
plusieurs enzymes et nécessite de l’énergie. Ensuite, le protéasome
26S dégrade les conjugués ubiquitinés. Il est constitué du protéa-
some 20S, porteur des activités protéolytiques, et d’un complexe
régulateur 19S [28]. Le protéasome 20S est composé de nombreuses
sous-unités formant un cylindre creux. Le complexe 19S comprend
des sous-unités ATPasiques fournissant vraisemblablement l’énergie
nécessaire à la protéolyse et des sous-unités reconnaissant les conju-
gués ubiquitinés. Le protéasome a un rôle prépondérant dans le
muscle squelettique en dégradant très probablement les protéines
contractiles majeures. L’hyperexpression des gènes de plusieurs sous-
unités du protéasome est observée au cours de pratiquement tous les
états cataboliques aigus chez les rongeurs (jeûne, atrophies induites
par dénervation, apesanteur simulée, sepsis, brûlures, diabète,
acidose, cancers, et traitement par les glucocorticoïdes), et chez
l’homme (traumatismes crâniens et infections bactériennes) [21, 29,
30].
L’une des questions clés de la protéolyse est de savoir pourquoi
une protéine auparavant stable est dégradée à un instant et en un
site donné. Ce problème très complexe fait vraisemblablement inter-
venir les changements de conformation des protéines. Il existe
cependant différents motifs moléculaires (séquences d’AA) ou
signaux (nature de l’AA N-terminal) dont la présence semble diriger
une protéine vers une voie protéolytique donnée.
Enfin, il est important de noter que la plupart des systèmes
protéolytiques (et notamment le système ubiquitine protéasome,
parfois appelé « ATP-dépendant ») nécessitent de l’énergie.
L’étude de la protéolyse est délicate. In vivo, au niveau du corps
entier chez l’homme, les méthodes de dilution isotopique sont utili-
sées. Il faut ici mentionner également la 3-méthylhistidine, issue
d’une modification posttraductionnelle de l’histidine dans les
protéines myofibrillaires et non réincorporée. Son excrétion urinaire
est en principe un indicateur de la protéolyse musculaire [14]. Par
contre, la mesure de la protéolyse dans un tissu donné (ou pour une
protéine spécifique) est difficile. Les différentes techniques sont
toutes indirectes et présentent des inconvénients majeurs, notam-
ment une faible précision. La présence de plusieurs systèmes
protéolytiques complique la situation, en obligeant à travailler en
présence d’inhibiteurs plus ou moins spécifiques.
La connaissance du rôle des différents systèmes protéolytiques
progresse rapidement en raison de l’émergence des techniques de
biologie cellulaire et moléculaire. De nombreux points restent
cependant à résoudre. Par exemple, les substrats exacts des protéases
ne sont pas encore clairement identifiés dans un tissu donné. De
même, il n’est pas encore fermement établi si les différents systèmes
protéolytiques agissent de façon individuelle ou coordonnée. En
tout état de cause, la protéolyse, qui était généralement considérée
comme un processus non-spécifique, apparaît être hautement
régulée. Différentes voies pharmacologiques d’inhibition de la
protéolyse, dans le but par exemple de préserver la masse muscu-
laire, sont également à l’étude.
RÉGULATION HORMONALE ET NUTRITIONNELLE
DU MÉTABOLISME AZOTÉ
Il est commode de séparer les effets des hormones et des nutri-
ments, bien que leurs actions soient étroitement coordonnées. De
même, il est habituel de classer ces facteurs en « anabolisants » (qui
augmentent la masse protéique) et « catabolisants » (qui la
diminuent).
HORMONES ET CYTOKINES
L’insuline est l’hormone anabolisante par excellence. Elle agit à
la fois en stimulant la captation intracellulaire des AA, en stimulant
la synthèse protéique et en inhibant la protéolyse [31-33]. Les
facteurs de croissance, GH et IGF, et les stéroïdes sexuels sont bien
sûr anabolisants. Les catécholamines, classiquement, et à tort, consi-
dérées comme catabolisantes, ont en fait un effet d’épargne
protéique [34] (ce qui ne remet pas en cause leurs effets lipolytiques
et glycogénolytiques). Cet effet, modeste en valeur absolue au cours
d’une imprégnation aiguë, est parfaitement illustré par l’utilisation
intensive des agonistes de type clembuterol dans de multiples et illé-
gales applications. On peut noter que d’un point de vue finaliste, cet
effet est logique si l’on considère qu’une hormone de stress a pour
but de préserver la masse protéique.
L’action des hormones thyroïdiennes est plus complexe vis-à-
vis du métabolisme protéique. Les hormones thyroïdiennes stimu-
lent la synthèse protéique mais l’hyperthyroïdie provoque une
importante fonte musculaire, attribuable essentiellement à la stimu-
lation de la protéolyse.
Les glucocorticoïdes constituent de loin la plus puissante des
hormones catabolisantes, au moins sur le muscle et le corps entier
[11, 13]. Ils inhibent la synthèse protéique et augmentent la protéo-
lyse. Leur effet est particulièrement marqué sur le muscle. De façon
plus modeste, le glucagon a également un effet catabolique. Enfin,
les cytokines sont globalement catabolisantes, mais leurs effets
varient selon le tissu et la cytokine considérée : indiscutablement
catabolisantes dans le tissu musculaire, elles augmentent au
contraire la synthèse de protéines positives inflammatoires par le
foie. Dans tous ces cas, il est essentiel de tenir compte des multiples
interactions entre les hormones, par exemple une combinaison de
« stress » de type cytokines plus cortisol a un effet synergique majeur,
notamment sur la fonte musculaire.
RÉGULATION NUTRITIONNELLE
On peut schématiquement distinguer l’effet des apports azotés
de celui des apports énergétiques glucidoprotidiques.
L’élévation des AA est globalement anabolisante par stimula-
tion de la synthèse protéique et, dans une moindre mesure,
inhibition de la protéolyse [5, 11]. Toutefois, les AA stimulent égale-
ment leur propre oxydation. Un effet anabolique maximal est
obtenu en combinant AA et insuline, ce qui correspond à la situa-
tion postprandiale. L’effet d’une augmentation de l’apport protéique
n’est cependant que transitoire. En d’autres termes, il est illusoire de
penser accroître une masse protéique par augmentation isolée des
apports protéiques chez le sujet sain, les AA en excès étant oxydés.
Cette augmentation ne peut être observée que si elle est associée à
un facteur anabolisant autre (tel que l’exercice physique). L’effet
anabolisant des AA relève sans doute majoritairement de certains
AA. Indiscutablement, les AA branchés ont fait in vitro la preuve d’un
effet stimulant spécifique de la synthèse protéique [35]. Cet effet n’a
pu trouver une traduction clinique convaincante in vivo. L’effet
anabolisant de la glutamine, démontré lorsque celle-ci est limitante
en situation d’agression, n’est mis en évidence en situation normale
qu’à des apports extrêmement élevés.
On a vu plus haut le lien étroit existant entre métabolismes
protéique et énergétique. Ainsi, un apport énergétique minimum est
indispensable à l’obtention d’un gain azoté [36-37]. Un déficit éner-
gétique s’accompagne donc d’une balance azotée négative. Si, dans
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Principes essentiels de physiologie
cette situation, on augmente alors l’apport énergétique, ceci
améliore spectaculairement la balance azotée (+ 8 mg d’azote par
kcal supplémentaire). Par contre, l’augmentation de l’apport énergé-
tique au-delà du besoin n’augmente que faiblement le gain
protéique (+1 mg d’azote par kcal). Ce caractère biphasique de la
relation apport énergétique-gain protéique souligne l’une des limites
du rapport calorico-azoté : une augmentation de ce rapport est
surtout efficace en situation de déficit énergétique.
L’effet spécifique des différents substrats sur le métabolisme
protéique reste controversé [38]. À apport énergétique bas, l’effet
d’épargne azotée des glucides est classiquement supérieur à celui des
lipides, ceci n’étant pas universellement admis. Par contre, à apport
énergétique suffisant, glucides et lipides partagent la même efficacité
en termes d’épargne azotée, certaines études suggérant même un
effet supérieur des lipides.
En termes de mécanisme d’action, les substrats énergétiques
agissent de façon indifférenciée sur la synthèse protéique par la
simple fourniture d’énergie. De plus, glucose et acides gras limitent
tous deux l’oxydation irréversible des AA par compétition entre
substrats (par exemple, par action directe inhibitrice sur la décar-
boxylase des AA branchés). Enfin, et bien sûr, une partie de leurs
effets est à médiation hormonale (en particulier par le biais de l’insu-
linosécrétion pour les glucides).
PHYSIOLOGIE DU JEÛNE
La caractéristique particulière de l’adaptation au jeûne prolongé
observée chez l’homme, mais également chez certains oiseaux
(migrateurs et pingouins) ou certains mammifères au cours de
l’hibernation par exemple (ours), est principalement liée à la capa-
cité d’épargne des protéines corporelles. Cette épargne azotée est
rendue possible par différents mécanismes physiologiques responsa-
bles d’une modification des priorités de l’organisme et de
l’utilisation des substrats. Cette facilité à résister pendant plusieurs
semaines à l’absence d’apports alimentaires exogènes est très liée à
l’évolution même de l’homme, du fait des caractéristiques métaboli-
ques et physiologiques imposées par le développement de son
cerveau. Il est intéressant de noter que la faculté de stocker des
réserves avec un maximum d’efficacité, conjuguée à l’utilisation très
efficiente de ces substrats, a permis à l’homme de survivre et même
de se développer dans des conditions alimentaires très peu
favorables.
Dès la naissance, l’importance du stockage lipidique et la
faculté d’oxyder les corps cétoniques par le cerveau, caractéristiques
du nouveau-né, jouent un rôle déterminant dans sa survie [39-41].
En effet, l’importance de la dépense énergétique cérébrale (environ
80 % de la dépense totale à la naissance) et le risque de dommages
cérébraux irréversibles en cas de déficit prolongé fragilisent l’espèce
humaine au moment de la naissance. L’importance du stockage lipi-
dique au cours du dernier trimestre de la grossesse et l’existence de
voies métaboliques permettant la cétogenèse et l’oxydation des
corps cétoniques a sans doute conditionné la survie de l’espèce
humaine. L’intérêt de l’étude des mécanismes d’adaptation au jeûne
repose sur des considérations cliniques de première importance : des
conséquences morbides de la dénutrition et de ses liens avec diffé-
rents états pathologiques aigus ou chroniques jusqu’aux
conséquences à distance d’adaptations génétiques imposées par des
situations de carences sévères, avec par exemple la survenue
d’obésités et de diabète de type II lorsque s’installent des périodes de
grande abondance nutritionnelle [42-44].
Une privation protéinoénergétique suffisamment prolongée
peut aboutir au décès par défaillance cardio-respiratoire, à laquelle se
surajoutent des processus infectieux liés à l’altération des défenses
immunitaires. En termes métaboliques, ces phénomènes correspon-
dent à la perte des protéines assurant les fonctions vitales, qu’il
s’agisse des enzymes, transporteurs, protéines de l’immunité ou
protéines musculaires. Classiquement, on considère qu’une réduc-
tion de 50 % de la masse protéique est incompatible avec la vie.
Exprimé en terme d’index de masse corporelle (IMC), une valeur infé-
rieure à 12-13 kg.m
–2
est en principe synonyme de décès [45] encore
que des récupérations aient été décrites chez des patients adultes
jeunes dénutris présentant des IMC de l’ordre de 8 à 9 kg.m
–2
[46].
MODÈLES ANIMAUX
Certaines adaptations physiologiques dans le monde animal
sont des modèles d’étude très intéressants, l’adaptation au jeûne
étant un moyen de contourner une autre difficulté. Ainsi, chez
certains oiseaux (manchot par exemple) l’adaptation au jeûne dans
des conditions d’extrême inhospitalité (banquise) permet
d’échapper aux prédateurs lors de la reproduction. Chez d’autres
animaux l’enclenchement d’un processus physiologique particulier,
l’hibernation, permet de survivre malgré l’absence de disponibilité
alimentaire exogène au cours de l’hiver. Chez certaines espèces cette
adaptation passe par un effondrement des besoins grâce à une réduc-
tion importante de la température corporelle (écureuils et
marmottes); d’autres au contraire ne sont pas le siège de modifica-
tions thermiques importantes sans doute du fait de leur masse (ours)
mais ils sont le siège de modifications métaboliques importantes. En
particulier l’ours au cours de son hibernation est capable pratique-
ment d’annuler sa balance hydrique et protéique grâce à une
réabsorption de l’urine contenue dans la vessie, l’hydrolyse (bacté-
rienne) de l’urée dans le tube digestif et la réutilisation de
l’ammoniaque ainsi produite pour la synthèse d’AA. L’eau métabo-
lique provenant de l’oxydation des graisses suffisant à compenser les
faibles déperditions hydriques.
JEÛNE DANS L’ESPÈCE HUMAINE
L’existence de réserves énergétiques est l’élément primordial de
l’adaptation au jeûne. On peut évaluer que les réserves lipidiques
d’un sujet moyen lui permettent de couvrir ses dépenses énergéti-
ques pendant une période de deux mois environ [47, 48]. Il est
intéressant de souligner que les lipides sont les nutriments les plus
stockés, alors que les glucides semblent au premier abord les plus
indispensables au métabolisme énergétique de nombreux tissus.
JEÛNE COURT
Cette période succède à l’état postabsorptif (durée la plus
longue séparant deux repas, habituellement 12 h après le dernier
repas) et correspond à un jeûne d’un à trois jours environ. Sa princi-
pale caractéristique métabolique est l’obligation absolue de fournir
du glucose au cerveau, glucose synthétisé par néoglucogenèse à
partir des radicaux carbonés des AA principalement, mais aussi du
glycérol.
Ainsi, l’organisme se retrouve dans une situation paradoxale :
ses réserves lipidiques sont importantes, mais elles ne deviendront
que progressivement le substrat énergétique privilégié voire exclusif
de nombreux tissus, tandis que les faibles réserves glucidiques étant
épuisées, il doit faire face à des besoins de synthèse nette de glucose
(et coûteuse en AA) qui sera oxydé, principalement au niveau du
cerveau. Au niveau du corps entier, les pertes azotées urinaires
restent élevées, équivalentes à celles observées lors d’une alimenta-
tion normale (soit 12 g.j
–1
d’azote environ). Elles seront d’autant
plus importantes que l’apport protéique antérieur était élevé. Elles
correspondent aux classiques protéines « labiles ». En l’absence
d’apport azoté, la balance est donc très négative, traduisant une
rapide perte protéique [48-50]. Au cours de cette période, les seuls AA
dont les concentrations plasmatiques augmentent sont les AA rami-
fiés (leucine, valine et isoleucine). La concentration plasmatique des
autres AA, qu’ils soient essentiels ou non, baisse modérément.
L’élévation de la production d’AA par le muscle s’explique en partie
par l’augmentation marquée de la protéolyse musculaire : les diffé-
rents systèmes protéolytiques musculaires, en particulier le système
ATP-ubiquitine-dépendant du protéasome, sont activés [51, 52].
C’est à cette période (trois à cinq jours de jeûne) que l’excrétion
urinaire de 3-méthylhistidine est maximale. La synthèse protéique
musculaire est parallèlement réduite [53, 54], ce qui contribue à une
moindre réutilisation des AA issus de la protéolyse et contribue à la
fonte musculaire rapide.
La principale modification hormonale responsable de ces adap-
tations est la diminution de l’insulinémie qui explique en particulier
très bien l’augmentation de la protéolyse. On peut également
évoquer la moindre disponibilité en AA, contribuant à la réduction
de la synthèse protéique (et à l’augmentation de la protéolyse).
JEÛNE PROLONGÉ
Cette période commence chez l’homme vers le cinquième à
septième jour de jeûne et peut durer plusieurs semaines. Elle se
caractérise par une réduction de la perte azotée quotidienne (de
l’ordre de 4 g.j
–1
d’azote vers la deuxième semaine), la balance azotée
devenant moins négative [48, 50, 55-58]. La principale modification
est l’élévation importante de la concentration plasmatique des corps
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