Physiologie de l’appareil digestif et métabolisme
171
PROTÉOLYSE
Les mécanismes régissant la protéolyse sont moins bien connus
que ceux régulant la protéosynthèse, en raison de la complexité des
différents systèmes protéolytiques, de leur spécificité tissulaire, et de
difficultés méthodologiques. La protéolyse n’intervient pas unique-
ment dans le renouvellement basal des protéines tissulaires. Elle
assure des fonctions de « ménage cellulaire » et l’élimination des
protéines anormales ou produites en excès. Elle est également impli-
quée dans la genèse des peptides antigéniques provenant de
protéines endogènes ou exogènes, dans divers mécanismes de régu-
lation (par exemple dégradation et élimination des cyclines lors de
phases spécifiques de la mitose, hydrolyse ménagée de certains
facteurs de transcription), dans la prolifération cellulaire et les
processus de cancérisation [23, 24]. Contrairement à la synthèse
protéique dont le mécanisme est univoque, il existe au moins trois
principales voies de la dégradation des protéines, présentes dans tous
les tissus, mais contribuant de façon variable à la protéolyse totale
selon le tissu considéré.
La voie lysosomiale joue un rôle majeur dans la dégradation des
protéines hépatiques [25] mais faiblement à la protéolyse muscu-
laire. En effet, les cathepsines, qui sont les principales protéases
lysosomiales, ne semblent pas impliquées dans la dégradation des
protéines contractiles majeures (actine et myosines).
La voie calcium-dépendante fait intervenir deux protéases acti-
vées par les ions calcium [26]. Elle joue un faible rôle dans le
renouvellement basal des protéines, et semble surtout impliquée
dans l’hydrolyse ménagée de certains substrats spécifiques comme la
protéine kinase C.
La voie ubiquitine-protéasome-dépendante est extrêmement
complexe, car régulée par au moins une soixantaine de gènes. Elle
fait intervenir deux étapes distinctes, l’ubiquitination des substrats,
puis leur dégradation par le protéasome [27]. L’ubiquitine est une
petite protéine qui se fixe de façon covalente à des protéines cibles
destinées à être dégradées par le protéasome. Cette ubiquitination
des substrats est réalisée par une série de réactions mettant en jeu
plusieurs enzymes et nécessite de l’énergie. Ensuite, le protéasome
26S dégrade les conjugués ubiquitinés. Il est constitué du protéa-
some 20S, porteur des activités protéolytiques, et d’un complexe
régulateur 19S [28]. Le protéasome 20S est composé de nombreuses
sous-unités formant un cylindre creux. Le complexe 19S comprend
des sous-unités ATPasiques fournissant vraisemblablement l’énergie
nécessaire à la protéolyse et des sous-unités reconnaissant les conju-
gués ubiquitinés. Le protéasome a un rôle prépondérant dans le
muscle squelettique en dégradant très probablement les protéines
contractiles majeures. L’hyperexpression des gènes de plusieurs sous-
unités du protéasome est observée au cours de pratiquement tous les
états cataboliques aigus chez les rongeurs (jeûne, atrophies induites
par dénervation, apesanteur simulée, sepsis, brûlures, diabète,
acidose, cancers, et traitement par les glucocorticoïdes), et chez
l’homme (traumatismes crâniens et infections bactériennes) [21, 29,
30].
L’une des questions clés de la protéolyse est de savoir pourquoi
une protéine auparavant stable est dégradée à un instant et en un
site donné. Ce problème très complexe fait vraisemblablement inter-
venir les changements de conformation des protéines. Il existe
cependant différents motifs moléculaires (séquences d’AA) ou
signaux (nature de l’AA N-terminal) dont la présence semble diriger
une protéine vers une voie protéolytique donnée.
Enfin, il est important de noter que la plupart des systèmes
protéolytiques (et notamment le système ubiquitine protéasome,
parfois appelé « ATP-dépendant ») nécessitent de l’énergie.
L’étude de la protéolyse est délicate. In vivo, au niveau du corps
entier chez l’homme, les méthodes de dilution isotopique sont utili-
sées. Il faut ici mentionner également la 3-méthylhistidine, issue
d’une modification posttraductionnelle de l’histidine dans les
protéines myofibrillaires et non réincorporée. Son excrétion urinaire
est en principe un indicateur de la protéolyse musculaire [14]. Par
contre, la mesure de la protéolyse dans un tissu donné (ou pour une
protéine spécifique) est difficile. Les différentes techniques sont
toutes indirectes et présentent des inconvénients majeurs, notam-
ment une faible précision. La présence de plusieurs systèmes
protéolytiques complique la situation, en obligeant à travailler en
présence d’inhibiteurs plus ou moins spécifiques.
La connaissance du rôle des différents systèmes protéolytiques
progresse rapidement en raison de l’émergence des techniques de
biologie cellulaire et moléculaire. De nombreux points restent
cependant à résoudre. Par exemple, les substrats exacts des protéases
ne sont pas encore clairement identifiés dans un tissu donné. De
même, il n’est pas encore fermement établi si les différents systèmes
protéolytiques agissent de façon individuelle ou coordonnée. En
tout état de cause, la protéolyse, qui était généralement considérée
comme un processus non-spécifique, apparaît être hautement
régulée. Différentes voies pharmacologiques d’inhibition de la
protéolyse, dans le but par exemple de préserver la masse muscu-
laire, sont également à l’étude.
RÉGULATION HORMONALE ET NUTRITIONNELLE
DU MÉTABOLISME AZOTÉ
Il est commode de séparer les effets des hormones et des nutri-
ments, bien que leurs actions soient étroitement coordonnées. De
même, il est habituel de classer ces facteurs en « anabolisants » (qui
augmentent la masse protéique) et « catabolisants » (qui la
diminuent).
HORMONES ET CYTOKINES
L’insuline est l’hormone anabolisante par excellence. Elle agit à
la fois en stimulant la captation intracellulaire des AA, en stimulant
la synthèse protéique et en inhibant la protéolyse [31-33]. Les
facteurs de croissance, GH et IGF, et les stéroïdes sexuels sont bien
sûr anabolisants. Les catécholamines, classiquement, et à tort, consi-
dérées comme catabolisantes, ont en fait un effet d’épargne
protéique [34] (ce qui ne remet pas en cause leurs effets lipolytiques
et glycogénolytiques). Cet effet, modeste en valeur absolue au cours
d’une imprégnation aiguë, est parfaitement illustré par l’utilisation
intensive des agonistes de type clembuterol dans de multiples et illé-
gales applications. On peut noter que d’un point de vue finaliste, cet
effet est logique si l’on considère qu’une hormone de stress a pour
but de préserver la masse protéique.
L’action des hormones thyroïdiennes est plus complexe vis-à-
vis du métabolisme protéique. Les hormones thyroïdiennes stimu-
lent la synthèse protéique mais l’hyperthyroïdie provoque une
importante fonte musculaire, attribuable essentiellement à la stimu-
lation de la protéolyse.
Les glucocorticoïdes constituent de loin la plus puissante des
hormones catabolisantes, au moins sur le muscle et le corps entier
[11, 13]. Ils inhibent la synthèse protéique et augmentent la protéo-
lyse. Leur effet est particulièrement marqué sur le muscle. De façon
plus modeste, le glucagon a également un effet catabolique. Enfin,
les cytokines sont globalement catabolisantes, mais leurs effets
varient selon le tissu et la cytokine considérée : indiscutablement
catabolisantes dans le tissu musculaire, elles augmentent au
contraire la synthèse de protéines positives inflammatoires par le
foie. Dans tous ces cas, il est essentiel de tenir compte des multiples
interactions entre les hormones, par exemple une combinaison de
« stress » de type cytokines plus cortisol a un effet synergique majeur,
notamment sur la fonte musculaire.
RÉGULATION NUTRITIONNELLE
On peut schématiquement distinguer l’effet des apports azotés
de celui des apports énergétiques glucidoprotidiques.
L’élévation des AA est globalement anabolisante par stimula-
tion de la synthèse protéique et, dans une moindre mesure,
inhibition de la protéolyse [5, 11]. Toutefois, les AA stimulent égale-
ment leur propre oxydation. Un effet anabolique maximal est
obtenu en combinant AA et insuline, ce qui correspond à la situa-
tion postprandiale. L’effet d’une augmentation de l’apport protéique
n’est cependant que transitoire. En d’autres termes, il est illusoire de
penser accroître une masse protéique par augmentation isolée des
apports protéiques chez le sujet sain, les AA en excès étant oxydés.
Cette augmentation ne peut être observée que si elle est associée à
un facteur anabolisant autre (tel que l’exercice physique). L’effet
anabolisant des AA relève sans doute majoritairement de certains
AA. Indiscutablement, les AA branchés ont fait in vitro la preuve d’un
effet stimulant spécifique de la synthèse protéique [35]. Cet effet n’a
pu trouver une traduction clinique convaincante in vivo. L’effet
anabolisant de la glutamine, démontré lorsque celle-ci est limitante
en situation d’agression, n’est mis en évidence en situation normale
qu’à des apports extrêmement élevés.
On a vu plus haut le lien étroit existant entre métabolismes
protéique et énergétique. Ainsi, un apport énergétique minimum est
indispensable à l’obtention d’un gain azoté [36-37]. Un déficit éner-
gétique s’accompagne donc d’une balance azotée négative. Si, dans
44200_Volume1 Page 171 Jeudi, 12. février 2009 11:31 11