Chirurgie ambulatoire : le point de vue des usagers.

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Chirurgie ambulatoire : le point de vue des usagers.
Contribution de Christian Saout, Président du CISS,
à l’occasion de la Journée nationale de chirurgie ambulatoire organisée par l’Association française de chirurgie ambulatoire,
Paris, Salons de l’Aveyron, 13 janvier 2011.
Madame, Monsieur,
Vous avez sollicité le Collectif interassociatif sur la santé pour présenter, à l’occasion
de votre Journée nationale 2011, le « point de vue des usagers ».
Nous en sommes très heureux, mais permettez moi de vous présenter brièvement le
Collectif interassociatif sur la santé qui est une structure regroupant 34 associations
venant d’horizons différents (famille, handicap, patients, consommateurs, personnes
âgées) mais toutes intéressées au sujet de la santé dans son acception la plus large :
depuis la prévention jusqu’au soin, du financement jusqu’à l’organisation, et du droit
jusqu’à l’éthique.
Comme vous le voyez, nous ne craignons pas d’embrasser largement, et j’appelle
d’emblée votre clémence sur les propos que je vais tenir car ils ne sont évidemment
pas ceux d’un spécialiste.
Lors de mes premiers échanges avec Madame Corinne Vons, j’avais proposé de me
servir de la ligne téléphonique « Santé Info Droits » pour conduire une sorte de
sondage illustratif, sans prétention exhaustive, mais la période s’y prêtait mal.
Je ne viens donc pas vers vous avec des indicateurs chiffrés mais plutôt avec des
éléments qualitatifs, autour de l’organisation, de la stratégie et pour tout dire de la
politique de chirurgie ambulatoire, à partir de notre approche globale du système de
santé, telle que je viens de l’indiquer.
Il me semble que notre point de vue se décompose en deux plans.
Tout d’abord, les usagers relèvent des avantages à l’existence et au développement
de la chirurgie ambulatoire (I) mais ils estiment que des progrès restent à accomplir
pour réduire les freins au développement de la chirurgie ambulatoire (II).
*
**
I.
UNE SERIE D’AVANTAGES POUR LE PATIENT POUSSE A SOUTENIR L’EXISTENCE ET LE
DEVELOPPEMENT DE LA CHIRURGIE AMBULATOIRE.
Au sein du Collectif interassociatif sur la santé, nous aimons assez voir les questions
d’un point de vue individuel comme du point de vue de l’intérêt général. Cette
approche me permettra, si vous le voulez bien, de dégager les intérêts de chacun mais
aussi les raisons que nous pouvons partager collectivement en tant qu’usagers pour
trouver des avantages à la chirurgie ambulatoire.
11. Les avantages individuels sont certains.
C’est évidemment la brièveté de l’hospitalisation qui est l’avantage immédiat ressenti
par les patients. Entrer le matin dans un service et en sortir le soir constitue du point
de vue de la qualité de vie du patient un avantage certain face à une hospitalisation
classique pour le même acte qui durerait plusieurs jours.
Sous cette brièveté se dissimule un second avantage qui est le droit au choix. A
condition bien évidemment que les deux branches de l’alternative quand elles sont
possibles fassent l’objet d’une proposition au patient. Le droit à l’information et le droit
au consentement confirmés par le législateur en 2002 trouvent alors toute leur
expression.
Dans un domaine qui est celui de chirurgie programmée, la chirurgie ambulatoire
permet de convenir d’une date d’intervention, ce qui en fonction des contraintes de
chacun, familiales ou d’activité professionnelle, ajoute à l’appréciation que l’on peut
avoir de ce choix.
Enfin, l’avantage supplémentaire que l’on peut trouver à la chirurgie ambulatoire, c’est
celui de la sécurité. Selon les éléments de littérature scientifique auxquels on se
réfère, les risques de développer une infection nosocomiale sont réduits d’environ
cinq fois par rapport à une hospitalisation classique. C’est un avantage considérable.
12. Les avantages collectifs ne sont pas douteux.
Le Collectif interassociatif sur la santé est attaché à l’équilibre des comptes de
l’assurance maladie car c’est une des conditions du sauvetage d’un système de santé
solidaire protecteur pour le plus grand nombre et salvateur pour la santé publique. Or,
un certain nombre de travaux d’économistes montrent que la chirurgie ambulatoire est
source d’économie dans la dépense de santé.
Par ailleurs, la chirurgie ambulatoire peut apporter aussi un nouveau regard sur
l’exercice chirurgical. En effet, la nécessité de sélectionner le patient susceptible de
bénéficier d’un acte de chirurgie ambulatoire est une façon de centrer la réponse sur
le patient, le risque étant plus grand en chirurgie classique de conserver une attitude
organo-centrée au détriment de l’approche globale du patient. La chirurgie
ambulatoire apparaît donc comme une méthode nouvelle porteuse d’évolution dans
l’approche du patient.
Enfin, d’un certain point de vue la chirurgie ambulatoire a des effets systémiques utiles
dans la mesure où elle repose sur une coordination indispensable de la ville et de
l’hôpital, ce qui est encore largement perfectible dans un système de santé français où
les acteurs de ville et hospitaliers ont tant de difficultés à travailler ensemble.
II.
CEPENDANT DES PROGRES RESTENT A ACCOMPLIR POUR REDUIRE LES FREINS AU
DEVELOPPEMENT DE LA CHIRURGIE AMBULATOIRE.
21. Avec un tel bilan, on s’étonne du faible développement de la chirurgie ambulatoire.
En effet, les chiffres communiqués récemment par l’Assurance maladie, même s’ils
révèlent un taux de croissance des actes traçants, ne signent pas une progression
comparable à ce que l’on peut observer dans les pays au développement économique
voisin. Des chiffres de plus de 60 % des interventions chirurgicales réalisées en
ambulatoire en Allemagne jusqu’à plus de 90 % aux Etats-Unis, en passant par 78 % au
Danemark, sont affirmés. Cependant la situation française, selon la dernière
communication de l’Assurance maladie1, ne marquerait pas un retard aussi critique :
le taux de chirurgie ambulatoire serait variable selon les régions. Ainsi, l’Assurance
maladie cite le chiffre de 63 % en Franche-Comté et de 79 % en Languedoc-Roussillon
et en Provence-Alpes-Côte d’Azur. Chiffres exprimés sur 17 gestes traçants. C’est
aussi cette dispersion régionale que confirme la Direction générale de l’offre de soins
dans son instruction2, opportunément rendue publique à la fin de l’année 2010 à
quelques jours donc de votre manifestation.
Pourtant, les progrès réalisés en médecine offrent de nouvelles possibilités :
interventions complexes sans grosses incisions, techniques d’anesthésie moins
lourdes, par exemple. Des techniques nouvelles vont venir renforcer l’indication et
l’exercice de la chirurgie ambulatoire.
Probablement, la politique volontariste consistant à ajouter 10 nouveaux gestes
marqueurs en 2011 permettra encore d’enregistrer des progrès.
22. Ce retard est d’autant moins compréhensible que l’acceptabilité sociale de la
chirurgie ambulatoire est élevée.
Ainsi une enquête de la Caisse nationale d’assurance maladie menée en 2005 montrait
que 90 % des patients opérés en ambulatoire étaient satisfaits.
Non seulement la satisfaction est forte, mais l’attente l’est tout autant : dans une autre
enquête de l’Assurance maladie, en février 2007, il est indiqué qu’une très large
majorité de Français, plus de 80 %, serait prête à recourir à la chirurgie ambulatoire.
Et parmi eux, il n’y a guère de déception puisque selon une autre enquête de
l’Assurance maladie, 96 % des personnes ayant eu une intervention chirurgicale
ambulatoire, l’accepteraient à nouveau.
Mais, il y a encore des progrès à accomplir. Dans une enquête précédente, toujours de
l’Assurance maladie3, en 2002, qui commence donc à dater un peu, 22 à 59 % des
patients hospitalisés à temps complet auraient refusé la chirurgie ambulatoire s’ils
avaient eu le choix.
1
Mise en ligne le 1er décembre 2010 sur www.ameli.fr
Instruction du 27 décembre 2010 relative à la chirurgie ambulatoire
3
En 2002.
2
23. Un certain nombre de freins pourraient donc être levés.
231. L’information du patient, tout d’abord doit être plus claire et plus forte.
Car il n’apparaît pas clairement que la chirurgie ambulatoire est un mode
d’intervention comme un autre, en l’espèce la chirurgie classique, mais comme une
chirurgie alternative, parfois même qualifiée de substitution4. Il n’est alors pas
étonnant, qu’ainsi présentée, elle donne, à tort, le sentiment de moindre garantie de
sécurité et de qualité. Il s’est installé dans l’esprit du patient, l’idée que la chirurgie
ambulatoire était surtout un mode de régulation économique de la dépense
hospitalière. Il y a donc nécessité de « requalifier » la chirurgie ambulatoire dans
l’esprit du public.
La chirurgie ambulatoire doit être approchée comme une chirurgie de première
intention, la chirurgie classique ne s’imposant en second recours que dans les
situations qui l’exigent. C’est d’ailleurs ce que dit en d’autres termes l’instruction
récente de la Direction générale de l’offre de soins.
232. L’information du patient doit être totale.
Ainsi, il faut garantir partout que la procédure à observer en cas de problème
rencontré lors du retour au domicile a bien être explicitée au patient. L’observation
des prescriptions de l’article D 6124-304 du code de la santé publique doit être
absolue. Ces dispositions prévoient que le patient a bien un bulletin de sortie
mentionnant notamment des recommandations sur les conduites à tenir en matière de
surveillance post-opératoire ou anesthésique et les coordonnées de l'établissement de
santé assurant la permanence et la continuité des soins.
233. L’affirmation d’un droit au choix de sa chirurgie quand l’option est ouverte.
La chirurgie ambulatoire ne doit pas être imposée. Elle doit résulter d’un choix, car
certains patients peuvent se sentir dans l’insécurité avec ce mode de chirurgie. La
chirurgie ambulatoire devrait donc être présentée comme un mode d’intervention
plein et entier, mais au choix du patient.
234. Une autre exigence réside dans la sécurisation du malade à domicile.
Un des critères d’acceptabilité est celui de la prise en charge de la douleur à domicile.
Non seulement, cette prise en charge doit être garantie mais l’ensemble de la
coordination de la prise en charge en amont et en aval doit être « tracée » auprès de la
personne bénéficiaire de la chirurgie ambulatoire. Des efforts peuvent être accomplis
pour donner une meilleure visibilité et lisibilité au parcours de soins afin de rassurer
les personnes, notamment pour donner l’alerte en cas de difficulté.
Il est capital que le bilan de capacité du patient à relever de la chirurgie ambulatoire
soit conduit de façon rigoureuse. Il ne s’agit pas de tenir un objectif à tout prix. On
peut d’ailleurs se demander si un objectif chiffré de chirurgie ambulatoire est
compatible avec l’examen attentif des capacités des patients. Si le critère d’entrée en
chirurgie ambulatoire est qualitatif on voit mal comment on peut fixer, à coup sûr, un
objectif quantitatif.
4
C’est le cas dans le document relatif à l’élaboration du SROS-PRS soumis à la concertation par la
DGOS en janvier 2011.
D’ailleurs, j’observe que l’on poursuit la procédure de mise sous entente préalable des
établissements en cas de constat d’une « proportion élevée de prestations
d’hospitalisation avec hébergement qui auraient pu donner lieu à des prises en charge
sans hébergement », adoptée par l’article 37 de la LFSS pour 2008, qui peut permettre
une politique incitative modulée.
Sur ces quatre points, et sur d’autres vraisemblablement, encore plus dans le
contexte de la nouvelle instruction qui réclame l’élaboration de plans régionaux, il est
indispensable qu’un référentiel actualisé soit produit par la Haute autorité de santé ou
les sociétés savantes, le dernier état des recommandations étant celui de l’ANAES,
publié en 1997.
235. L’analyse de motifs de renoncement à la chirurgie ambulatoire doit permettre des
enseignements.
En effet, il faudrait s’intéresser à connaître les raisons pour lesquelles ceux qui ont eu
recours une fois à la chirurgie ambulatoire ne souhaitent pas renouveler cette
expérience. Cela serait utile à résoudre les freins potentiels au développement de la
chirurgie ambulatoire. Malheureusement, peu ou pas d’études sont menées dans ce
domaine. Comme à l’accoutumée, les sciences sociales ne sont pas mobilisées pour
l’analyse de la demande de soins, comme l’a déjà déploré la Conférence nationale de
santé5.
24. Il faut prendre garde à ce que des obstacles au développement de la chirurgie
ambulatoire ne s’élèvent.
241. D’abord, avec la concentration de la réponse hospitalière dans les nouvelles
communautés hospitalières de territoire va éloigner la possibilité de conduire la
chirurgie ambulatoire dans les critères prévus, notamment celui de l’éloignement
d’une heure du domicile du patient, sauf à estimer que l’on développera des unités de
chirurgie ambulatoire (UCA) dans les hôpitaux généraux de proximité ou dans les
regroupements d’exercices pluridisciplinaires.
242. Les résistances à la coordination des soins par les professionnels de santé
pourraient limiter le développement de la chirurgie ambulatoire qui nécessite parfois
des interventions pluridisciplinaires au domicile du patient pendant une durée plus ou
moins longue. La chirurgie ambulatoire doit impliquer une coordination parfaite entre
les acteurs de la ville et de l’hôpital. Le lien avec les coopérations de professionnels
prévues par l’article 51 de la loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à
la santé et aux territoires doit, le cas échéant, être activé à cet effet dans le cadre des
nouveaux projets régionaux de santé.
243. La progression de ce que l’on appelle les déserts médicaux peut priver certaines
zones de professionnels de santé de référence pour assurer le filet de sécurité de
proximité indispensable à la progression de la chirurgie ambulatoire.
244. Il convient également de souligner que le problème de l'isolement social est un
frein extrêmement important au développement de la chirurgie. De la capacité de nos
sociétés à résoudre ce défi dépend aussi la progression de la chirurgie ambulatoire.
Relever ce défi ne dépend pas que de l’Etat ou des soignants, il nécessite aussi des
mobilisations sociales, ce qui ne va pas sans difficulté quand on constate qu’elles ne
sont pas soutenues.
5
Avis du 22 mars 2007 relatif aux voies d’amélioration du système de santé.
245. Enfin, la faiblesse des ressources financières d’un nombre de plus en plus élevé
de nos concitoyens peut les éloigner de ce type d’intervention dans la mesure où à
l’hôpital elles ont la garantie d’une prise en charge financière intégrale des dépenses
de soins alors qu’avec un retour rapide au domicile elles peuvent être amenées à
exposer des frais de maintien au domicile.
246. Il faut prendre garde à ce que cette nouvelle approche, comme l’introduction des
nouvelles technologies de l’information et de la communication, d’ailleurs mises en
œuvre dans le cadre de la chirurgie ambulatoire, ne génère pas des inégalités
supplémentaires, en raison de la fracture numérique notamment. En effet, on peut
parier qu’une part du développement de la chirurgie ambulatoire sera adossée au
développement de ces nouvelles technologies dont la diffusion est loin d’être égale sur
le territoire et selon les catégories sociales.
247. L’absence de stratégie publique clairement identifiée dans le domaine de la
chirurgie ambulatoire dessert la promotion de cet outil.
C’est ce qui ressort notamment du colloque récemment organisé par l’ANAP, la HAS
et l’AFCA dont les conclusions militent en faveur de reconsidérer la conception de
l’hôpital de demain en tant qu’organisation moins centrée sur l’hébergement que
comme une organisation privilégiant une gestion optimisée des flux des patients
autour du plateau technique interventionnel.
Dans ces conditions, il est proposé de consacrer le régime juridique des centres de
chirurgie ambulatoire, d’adapter les pratiques professionnelles, et de prévoir une
rémunération et des modes de contractualisation adaptés et durables.
Ces orientations ne font pas l’objet d’une orientation publique claire. En tout cas, je ne
l’ai pas trouvée dans l’instruction récente que j’ai abondamment citée. En quelque
sorte, nous disposons d’un signal, mais pas des moyens de le maintenir.
*
Dans une étude publiée en 19936, deux spécialistes de la chirurgie ambulatoire
s’expriment ainsi : « D’ici la fin de ce siècle, la question ne sera plus de savoir si le
patient est susceptible d’être pris en chirurgie ambulatoire plutôt qu’en chirurgie
hospitalisée, mais de savoir s’il justifie d’une quelconque indication pour une prise en
charge avec un séjour à l’hôpital ». Le siècle dont ils parlent tous deux est évidemment
dépassé, sans que la prophétie se soit réalisée pour ce qui concerne la situation
française.
Nous devrions pouvoir rattraper ce retard, notamment parce que les nouvelles
technologies du soin, comme les nouvelles technologies de l’information et de la
communication permettent de gagner en sécurité dans ces chirurgies ambulatoires.
Nous devons le faire aussi pour permettre une meilleure allocation des ressources
dans un système de soin qui peine à redéployer ses moyens vers les innovations.
Une telle stratégie réclame de l’acceptabilité sociale. Sujet qui me semble quant à lui
peu exploré. Mais une journée comme celle-ci, à laquelle vous avez aimablement invité
le CISS a sans doute pour objectif d’y concourir.
6
Paul E. Jarret et Bernard V. Werchler, Editorial d’Ambulatory Surgery, Vol 1, N° 1, Mars 1993.
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