collective – et a, de ce point de vue, un « côté décapant » (p.107) des plus bénéfiques – que
d’en expliquer la formation. Les pistes suggérées par l’auteur quant à ce dernier point
annoncent les développements les plus récents de la sociologie des mouvements sociaux. En
effet, en insistant d’une part sur le rôle de l’identité collective et des « orientations de l’action
qui ont toujours une composante culturelle et qui peuvent à ce titre être traitées comme
culturellement définies » (p.106), et d’autre part sur la « facilitation sociale et politique » de la
mobilisation, François Chazel annonce les réflexions sur la dimension cognitive et sur les
opportunités politiques, qui sont au cœur du renouvellement de la réflexion sur la mobilisation
à partir des années 1990. Ces dimensions font l’objet des deux autres textes de cette partie sur
la mobilisation. Dans « La place du politique dans les mobilisations contestataires : une
découverte progressive » (1993), l’auteur souligne l’importance de la dimension politique des
mouvements contestataires, notamment analysée par McAdam, McCarthy, Tilly et Zald, et
encore plus par Tarrow et Kitschelt à travers leur analyse du rôle de l’Etat. Il conclut en
soulignant la nécessité de doubler la prise en considération de la dimension politique d’une
analyse des « processus symbolico-cognitifs » accompagnant les mobilisations. Cette
recommandation est immédiatement mise en œuvre dans « Les ajustements cognitifs dans les
mobilisations collectives », où l’auteur choisit de s’intéresser à la dimension cognitive de la
mobilisation. À l’encontre du concept de « libération cognitive » proposé par McAdam en
1982
, François Chazel défend l’idée selon laquelle les processus cognitifs jouent sur le mode
de l’ajustement plutôt que de la rupture, comme le suggère par exemple le concept
d’alignement des cadres proposé par Snow et ses collaborateurs
- à qui il reproche toutefois
d’être trop centrés sur l’organisation de mouvement social, négligeant son interaction avec les
publics cibles.
A la lecture de ces textes, le souci de penser conjointement les dimensions politiques et
cognitives de la mobilisation apparaît bel et bien comme un fil conducteur essentiel de la
réflexion de François Chazel. A ce titre, il peut être mis en regard d’auteurs qui estiment
préférable de « choisir son camp » en matière de modèles explicatifs des mobilisations, entre
mobilisation des ressources, aspects cognitifs et opportunités politiques
. François Chazel se
refuse à de telles alternatives ; il ne s’agit pas pour lui d’additionner des facteurs, mais bien de
saisir finement les modalités d’articulation entre dimensions politiques et cognitives de la
D. McAdam (1982), Political process and the development of Black insurgency, 1930- 1970, Chicago:
University of Chicago Press, viii, 304 p.
D. A. Snow, E. B. Rochford, S. Worden et R. D. Benford (1986), "Frame alignment processes,
micromobilization, and movement participation", American Sociological Review, 51 (4): 464-481.
C’est par exemple la position défendue par R. Koopmans (1995), Democracy from below. New social
movements and the political system in West Germany, Boulder: Westview Press, 282 p.