Mémoire de Master présenté à la Faculté des Lettres de l’Université de Fribourg (CH)
Chaire d’Histoire Contemporaine Générale et Suisse
Sous la direction de la Professeure Irène Herrmann
Le Croissant-Rouge, outil de modernisation ou reflet
d’un empire à la dérive ?
Des débuts difficiles aux guerres balkaniques
1868-1913
Derya Üregen
Gölbaşı, Adıyaman / Grimisuat, Valais juin 2010
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Avant tout, je tiens à remercier toutes les personnes qui ont contribué à la réalisation de ce
mémoire de Master. Je pense tout d’abord à ma directrice de mémoire, la Professeure Irène
Herrmann, qui a bien voulu suivre et corriger ce travail. Ma reconnaissance va également au
personnel des différents établissements que j’ai fréquentés, et plus particulièrement à
Monsieur Daniel Palmieri et à Monsieur Fabrizio Bensi, responsables des archives de la
Croix-Rouge à Genève. Je voudrais par ailleurs remercier la chaire d’Histoire Contemporaine
Générale et Suisse pour le cadre professionnel qu’elle m’a offert et qui m’a permis de mener à
bien mes études universitaires.
Je tiens également à adresser mes plus sincères remerciements à Patrick et Léa, ainsi qu'à
Madame Claude Pellaton, pour la relecture attentive et précieuse de ce travail ainsi que pour
leurs encouragements.
Mes pensées vont aussi à mes autres amis, Sandrine, Jonathan, Emmanuel, Hortense, Jelena et
Caterina, qui m’ont encouragée et soutenue moralement tout au long du chemin dactionnel
qui a abouti à ce mémoire.
Je tiens enfin et surtout à remercier de tout mon cœur ma famille : mes frères, Taylan et
Özgür, ma sœur, Şule, et mes parents Müslüm et Sebahat, pour leurs soutien et
encouragements, sans lesquels je n'aurais pu achever ce travail. J’espère que leurs sacrifices
ne seront pas vains.
Pour finir, je souhaite dédier ce travail universitaire à Sebahat Üregen-Doğan, ma maman,
ainsi qu’à toutes celles qui, comme elle, se sont vues ou se voient encore refuser le droit à une
éducation de base ou à une formation pour la seule et unique raison qu’elles sont des femmes.
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Introduction
Suite à la révolte des paysans chrétiens de la Bosnie et de l’Herzégovine, territoires ottomans,
en août 1875, c’est toute la péninsule balkanique qui s’embrase durant près de trois ans.
L’intervention des Serbes, des Monténégrins, des Bulgares et plus tard des Russes aboutit à
une nouvelle carte de la région par le traité de Berlin en 1878. Ce conflit représente non
seulement un nouveau défi pour l’empire ottoman, qui fait face aux revendications
nationalistes de ses minorités depuis le début du XIXe siècle, mais également pour Genève et
le Comité international de secours aux militaires blessés le futur Comité international de la
Croix-Rouge (CICR) - dont les fondements ont été posés lors des conférences diplomatiques
de 1863 et 1864, au terme desquelles est digée une convention mère dite la Convention de
Genève. Ce texte est inspiré des deux idées majeures formulées par Henry Dunant dans Un
souvenir de Solférino : susciter, dans chaque pays, la création d’une société volontaire de
secours aux militaires blessés, et provoquer l’établissement d’une convention protégeant les
blessés et ceux qui s’efforcent de leur venir en aide. En juillet 1865, cette Convention est
signée par l’empire ottoman qui s’engage ainsi à créer une société nationale. Les principes de
la Croix-Rouge arrivent à Constantinople dans un cadre favorable. En effet, l’empire vit à
l’heure des changements et des réformes. Cette période, appelée les Tanzimat, voit affluer des
innovations européennes de toutes sortes. Le premier chapitre de ce travail porte justement sur
ce cadre favorable. Cette période d’ouverture à l’Occident semble néanmoins avoir été
grandement favorisée par deux autres facteurs, à savoir l’intervention grandissante des
grandes puissances occidentales ainsi que l’émergence des nationalismes dans la région des
Balkans, véritables outils de déstabilisation de l’empire ottoman.
Cependant, après avoir décidé d’adopter cette nouvelle institution, les Ottomans vont
souhaiter l’adapter. En novembre 1876 en effet, durant la troisième crise orientale, ils
avertissent Berne, dépositaire de la Convention de Genève, qu’ils ont changé d’emblème : à
Constantinople, l’organisation sera symbolisée par un croissant et non par une croix. La
requête ottomane va-t-elle à l’encontre d’un universalisme prôné à Genève ? Le CICR se
considère-t-il vraiment comme universel ? Quelle attitude doit adopter Genève face à cette
demande ? Le deuxième chapitre traite de la naissance de l’organisation de la Croix-Rouge à
Genève ainsi que les liens qu’elle tisse avec l’empire ottoman. Comment est-elle arrivée sur
les bords du Bosphore ? Par qui ? Grâce à qui ? Comment l’organisation, e dans le milieu
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feutré bourgeois protestant genevois, s’est-elle développée dans un empire à majorité
musulmane et en proie à des agitations ethniques, religieuses, politiques ? La demande
ottomane est également l’occasion de définir la perception des Turcs par les puissances
occidentales.
Quant au troisième chapitre, il aborde la gestion du problème par Genève dans les années qui
ont suivi la troisième crise orientale. En effet, le croissant rouge a continué d’être utilisé dans
les conflits qui ont suivi. Peut-on donc considérer que le CICR a trouvé une solution à la
demande ottomane ? Si tel n’est pas le cas, que doit-on penser du regard que porte le CICR
sur le symbole de la société de secours ottomane ? Et comment qualifier les liens existants
entre Genève et le Croissant-Rouge durant les conflits qui ont suivi la crise balkanique de
1875-1878 ?
Le présent travail traite essentiellement de la période s’étalant de l’année 1868, date officielle
de la création du Croissant-Rouge, d’ailleurs actuellement utilisée par l’organisation en
Turquie, aux guerres balkaniques de 1912-1913. Néanmoins, il aborde aussi les années 1863-
1864 afin dexaminer la création de l’œuvre de la Croix-Rouge à Genève et les liens qu’elle a
entretenus dès ses débuts avec l’empire ottoman.
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I. La Question d’Orient et les Tanzimat
La Question d’Orient est un ensemble d’événements qui se sont déroulés entre 1774, année de
la promulgation du traité de Kütchük-Kaynardja qui met fin à la guerre russo-turque de 1768-
1774, et 1923, année de la création de la Turquie moderne, établie par le traité de Lausanne.
Durant cette longue période, perdant de la crédibilité, l’empire ottoman devient la proie des
ambitions des puissances occidentales. La rivalité entre les grandes puissances s’accroît en
vue d’établir leur contrôle ou leur influence sur l’Europe balkanique et les pays riverains de la
Méditerranée orientale (jusqu’au golfe Persique et à l’océan Indien) et méridionale.
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Face à
cette situation, les Ottomans sont obligés de se réformer afin de rattraper leurs retards sur tous
les plans et revenir dans le concert des grands empires européens. Ce sera la période des
Tanzimat.
L’intervention des grandes puissances est accentuée, sinon facilitée, par l’émergence des
nationalismes, surtout au milieu du XIXe siècle, dans cet empire mosaïque. La quasi totalité
des guerres menées par les Ottomans durant ce siècle seront perdues, les poussant à chaque
fois un peu plus au second rôle sur le plan international et abandonnant à chaque fois un peu
plus l’Europe. Leur retrait de cette région avait certes commencé bien avant ces années-là et
leurs dépouilles seront partagées à la fin de la première guerre mondiale. Mais le XIXe siècle
reste le siècle de l’amputation occidentale pour l’empire ottoman. Scandé par des guerres
meurtrières, l’empire s’asphyxie. Il y a, d’une part, le contact avec les grandes puissances qui
le pousse à se rénover, et, de l’autre, ses composantes intérieures qui le poussent à se réformer
sinon à changer. Tiraillé des deux côtés, l’empire court au bord du gouffre. Néanmoins, si
l’empire ottoman se maintient jusqu’au début du XXe siècle, c’est non seulement grâce à ses
tentatives de réformes, mais également à la protection des Anglais et Français, qui préfèrent la
survie d’un empire faible qu’un éparpillement de petits États. Ces deux puissances auront un
comportement contradictoire vis-à-vis d’une autre puissance qui ne partage pas la même
vision sur l’empire ottoman : l’empire russe. Tantôt elles le laisseront faire, tantôt elles
contrecarreront ses projets expansionnistes.
Quant à l’empire ottoman, conscient de son retard, il commence à entreprendre des réformes.
Cette période de réformes, dite les Tanzimat, voit alors une importation massive aussi bien
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MANTRAN, Robert (sld) : Histoire de l’empire ottoman, Fayard, 1989, p. 421.
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