LA GUERRE : N’A-T-ON VRAIMENT PAS LE CHOIX ? STEPHEN FULDER Stephen Fulder est le fondateur de l'Israel Insight Society (Tovana), et il figure parmi les enseignants spirituels les plus éminents d'Israël. Fort de 40 ans d'expérience personnelle approfondie de la méditation vipassana/mindfulness et de la pratique du dharma, il a guidé des milliers de personnes dans l'exploration des enseignements bouddhistes, la pratique de la méditation et la redécouverte de la magie de l'instant présent durant ces 20 dernières années. Il est également l'auteur d'une quinzaine de livres sur des sujets en rapport avec la santé. J'écris ces lignes en juillet 2014, alors qu'un grand nombre de personnes sont tuées ou blessées et se retrouvent sans abri à Gaza et que les roquettes du Hamas pleuvent sur Israël. Mais la plus grande partie de ce texte a été écrite avant, en août 2006, pendant la guerre entre Israël et le Hezbollah au Liban. Et la tragédie, c'est que le texte de ce chapitre est le même, parce que rien n'a changé. Les guerres se succèdent, entrecoupées de répits temporaires. Chaque frénésie de violence prépare le terrain pour la suivante. Pendant la guerre du Liban, je me trouvais en première ligne. Les journées étaient constamment rythmées par les explosions des roquettes Katioucha qui atterrissaient par intermittence, au hasard, soudainement et n'importe où. J'avais renoncé à me mettre à l'abri systématiquement. Pendant ce temps-là, l'artillerie israélienne pilonnait sans relâche, jour et nuit. Hier comme aujourd'hui, je ressens ces explosions dans tout mon être, leur violence et les tragédies et les souffrances terribles qui en résultent. J’éprouve une immense tristesse et de la compassion à l’égard de cette souffrance qui ne connaît pas de frontières et qui ne prend pas parti. Hier comme aujourd'hui, tous les participants puisent leur motivation dans un consensus selon lequel "nous avons raison", "nous n'avons pas le choix" et "nous devons nous défendre". Ce point de vue conditionne la plupart des guerres et des conflits, et l'encouragement de ce point de vue par des groupes ou par des dirigeants prépare le terrain pour la guerre en fournissant la justification nécessaire. La défense de la "liberté" servit de justification à la guerre du Vietnam, et les "armes de destruction massive" justifièrent la guerre en Irak. "Nous devons les tuer avant qu'ils nous tuent" est une ritournelle qui déclenche les massacres, comme celui de la Première Guerre mondiale. Et il en résulte toujours la conviction de ne pas avoir le choix. Ce consensus permet ainsi d'infliger énormément de mal et de souffrance à une multitude d'hommes, de femmes et d'enfants. Il est donc crucial de se demander si ceci a du sens. Une approche éthique consisterait à dire qu'une autodéfense légitime est possible, mais uniquement en dernier recours, en utilisant la violence pour se défendre, lorsque toutes les autres options ont été explorées. Elle exige également que nous n'utilisions que le minimum de force nécessaire pour mettre l'agresseur hors d'état de nuire ou le maîtriser, et rien de plus. La tradition bouddhiste, par exemple, n'interdit pas l'autodéfense, et elle a développé des techniques d'arts martiaux comme le kung-fu et l'aïkido qui protègent la personne agressée sans faire du mal à l'agresseur, ce qui n’est clairement pas le cas avec les morts et les destructions considérables causées par les guerres qui se déroulent en ce moment même au Yémen, au Congo, en Syrie, etc. En fait, les cas de légitime défense sont extrêmement rares et, dans pratiquement tous les cas de conflit, il existe des solutions sages et sincères qui ne sont ni vues, ni adoptées. "Nous n'avons pas le choix" signifie généralement "Nous n'avons pas la sagesse d'agir autrement". La plupart des guerres, y compris celle qui se déroule à Gaza au moment où j'écris ces lignes ou celles qui se déroulent à l'heure où vous lirez ces lignes, sont alimentées par la peur, l'insécurité, la colère ou la vengeance. Mais il s'agit là d'émotions individuelles et nationales souvent attisées par les médias et les dirigeants politiques. Ces émotions provoquent un aveuglement national, où les voisins sont diabolisés et étiquetés comme étant "l'ennemi". Il devient alors impossible de communiquer réellement avec "l'autre" et de régler les problèmes ensemble. La peur et l'insécurité sont dangereuses, parce qu’il est dans la nature humaine de vouloir détruire l'objet ou la source de l’angoisse et de la peur, qui sont des émotions inconfortables. La plupart des guerres se font au nom de la paix, mais en réalité, elles ont comme objectif le confort, et plutôt que de remédier intérieurement aux peurs, on vise à détruire leur source, extérieurement. Si on voit clairement ces émotions qui envahissent la sphère sociale, on peut en assumer la responsabilité, s’en occuper et ne pas permettre qu'elles se transforment en bombes et en roquettes. Si on ne s'identifie pas à ces émotions et si on ne croit pas aux positions qui en découlent, tout semble différent. Tout à coup, le soi-disant terroriste devient un jeune Palestinien qui a beaucoup souffert et qui a besoin d'être entendu, et le prétendu agresseur sioniste devient un père de famille israélien, dont les grands-parents périrent dans l'Holocauste. Le soldat israélien et le militant du Hamas peuvent tous deux être vus comme des jeunes patriotes pleins de ressentiment, mais qui souffrent également en infligeant et en subissant la violence. Si nous ne sommes pas capables de voir les choses ainsi, nous avons radicalement limité notre vision et notre liberté d'agir de manière sensée. Sans se mettre à la place de l'autre, sans l’écouter et sans comprendre la peur, la colère et la douleur qui le poussent à se battre, tout comme nous le faisons nous-mêmes, comment pourrions-nous savoir ce que nous pouvons faire pour éviter les conflits ? Comment peut-on dire qu'il n'y a pas d'autre choix ? Il est possible de choisir de voir les choses tout à fait différemment. De nous rendre compte que "nous et eux" n’est qu’une habitude de pensée et non une réalité, de constater combien nous sommes liés et non séparés, alors même que nous nous battons ensemble, et surtout, que nous vivons ensemble sur cette même Terre. La peine et la joie, l'amour de la vie et la peur de la mort ne connaissent pas de frontières. Les deux camps opposés peuvent se réveiller, nous pouvons nous rendre compte que notre bonheur dépend de celui de nos voisins et que notre véritable sécurité réside dans l'union et non dans un conflit irréductible. Dans le cas de la guerre de Gaza, les Israéliens pensent qu'il a commencé, lorsque le Hamas a tiré des roquettes sur Israël. Il est clair que ce n'était pas le commencement. Le Hamas a tiré des roquettes après qu'Israël ait emprisonné des membres du Hamas à la suite du meurtre de trois jeunes Israéliens en Cisjordanie, ce qui pourrait être lié à des années de siège de Gaza par Israël, à la suite de la précédente guerre de Gaza, et la chaîne remonte ainsi de génération en génération. La violence s'enchaîne. Chaque acte de violence engendre un autre acte de violence. Chaque acte de violence crée les conditions, en particulier le climat émotionnel, pour le suivant. Chaque acte de violence rend plus difficile d'initier des actes de paix. Chaque acte de violence conditionne la conscience collective à penser que la paix est impossible et qu'il ne reste que la violence. Il ne faut pas beaucoup de sagesse pour voir comment opère ce processus et comment le faire avancer dans une autre direction. Il est possible de créer des réseaux de pacification, de convertir les actes d'agression en actes de guérison, de rechercher des fenêtres d'opportunité pour la communication, le dialogue et la compréhension de "l'autre". Si on ne le fait pas, on ne peut pas dire qu'il n'y a pas d'autre choix. Il y en a un. Celui de rompre l'enchaînement. De prendre une autre route. Dans la plupart des cas, "l'autre" sera soulagé et souhaitera s'asseoir avec vous autour d'une tasse de café. La non-violence ne signifie pas ne rien faire. Elle implique une tentative énergique de créer un autre climat. Cela demande de la force et de la détermination, des qualités dont font preuve les véritables artisans de la paix. Le Mahatma Gandhi a dit : "La non-violence est l'arme des forts". Nous pouvons toujours faire ce choix. Pendant de nombreuses années, j'ai emmené des groupes d'Israéliens passer des weekends avec des Palestiniens dans la ville palestinienne de Naplouse, dans le cadre d'un programme soutenu par "People to People", faisant partie des accords de paix d'Oslo. Le programme s'appelait "La transformation de la souffrance" et reposait sur une idée simple et profonde tirée des enseignements bouddhistes, d’après laquelle la reconnaissance, l'expression et le partage de nos souffrances constituent le moyen le plus rapide de créer de l'empathie et de nous mettre à la place de l'autre. Cela marcha de manière puissante et spectaculaire. Les étiquettes de "terroriste" et d'"occupant brutal" disparurent et des êtres humains comme nous apparurent à leur place. Les larmes aux yeux, un jeune Palestinien confia : "J'ai grandi dans la peau d'un enfant terrifié par les bruyants soldats israéliens qui contrôlaient les rues, la nuit. Maintenant que je vous rencontre, je sais enfin qu'il y a de la bonté dans le cœur humain". Ce qu'il faut, c'est la volonté de s'engager sérieusement dans le rétablissement de la paix. Ce qui soulève une autre question : Quelles sont nos intentions réelles, quelle est notre vision réelle de l'avenir ? Les réactions habituelles et les hypothèses de base visent-elles la paix ou le conflit ? Aspirons-nous véritablement et profondément à la paix ou nous contentons-nous de le dire ? Chaque partie doit se demander : essayons-nous vraiment de faire la paix ? Si nous aspirions à la paix, notre discours, nos motivations et nos actions seraient pacifiques et la guerre n'éclaterait pas. Nous entamerions tous un processus de dialogue, de guérison et de soutien avec les mêmes ressources et avec la même détermination que celles avec lesquelles nous faisons la guerre. Il serait tout simplement impossible pour un Israël désireux de faire la paix de s’accaparer la terre et l'eau des Palestiniens, de s'installer sur tout leur territoire et de construire une barrière de béton sur leurs terres entre leurs villages. Les Palestiniens qui ont soif de paix et qui sont prêts à oublier les blessures du passé décourageraient totalement la folie des kamikazes et des roquettes et diffuseraient dans les médias et dans les écoles des messages amicaux et de bienveillance à l'égard des Israéliens. Dans un tel climat, aucune des deux parties n'aurait à cœur de bombarder qui que ce soit. Si nous voulions la paix, nous l'aurions et la région serait une lumière pour le monde. Une fois, à l'occasion d'une marche pour la paix1 avec des Juifs et des Arabes dans la ville d'Acre, organisée par une association pacifiste que j'ai fondée, Middleway, le rabbin d'Acre demanda à un chef bédouin qui marchait avec nous : "Grand-père, dites-moi donc, comment entendez-vous faire la paix ?'' Le vieil homme répondit : "Voyez-vous, rabbin, si nous marchons ensemble dans la rue et si quelqu'un me crie " Dégage, l'Arabe ! " parce que je suis Arabe, je ne réponds pas, j'absorbe sa violence et je la laisse retomber, et de cette façon, j'ai contribué un peu à la paix". - Chapitre extrait de son livre, ‘’What’s beyond mindfulness ? Waking up to this precious life’’ Partage-pdf.webnode.fr 1 Sur ce thème et dans le même ordre d’idées, voir également cet excellent article de Radio Sai Global Harmony : https://studylibfr.com/doc/10178807/la-marche-pour-les-valeurs-touche-le-coeur-de-toronto---m... (Radio Sai Global Harmony : La marche pour les valeurs touche le cœur de Toronto), NDT