La guerre au XIX° et au XX° siècle

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La guerre au XIX° et au XX° siècle
Introduction.
Les hommes ont toujours entretenu un rapport ambivalent à la guerre : elle a toujours
été redoutée mais elle a aussi toujours nourri notre imaginaire. Quel petit garçon n’a pas joué
aux soldats de plomb ou à la guerre ? Les trois Français les plus populaires, en France et dans
le monde ne sont-ils pas : Napoléon Bonaparte, Jeanne d’Arc et Charles de Gaulle, trois
« hommes » de guerre ? La guerre a toujours accompagné voire façonné notre histoire :
pendant longtemps l’étude de celle-ci ne s’est-elle pas résumée à ce que Fernand Braudel et
les historiens de l’école des Annales ont appelé l’histoire-bataille ?
On a cependant assisté dans le monde occidental à une rupture dans la perception de la
guerre depuis le XX° siècle et notamment depuis 1914. En raison de l’ampleur des pertes, les
poilus sont revenus généralement pacifistes d’une guerre à laquelle ils avaient très
majoritairement consenti : « plus jamais ça », la « der des der » sont autant d’expressions nées
dans la boue et le sang des tranchées. L’expérience de 1939/45 ou celle de la Guerre Froide
ont cependant montré que malgré la SDN puis l’ONU, le monde restait régi par les rapports
de force et que le vieil adage des Romains si vis pacem para bellum, restait d’actualité.
L’historien anglais Liddell Hart écrivait pour sa part si tu veux la paix il faut apprendre à
connaître la guerre : les Français ont connu en 1940 la plus grave défaite de leur histoire faute
d’avoir compris les règles de la guerre moderne, notamment l’emploi combiné des chars et
des avions pour réaliser des percées en profondeur, condition de la guerre de mouvement. La
capacité à conjurer la guerre ou à en sortir vainqueur repose sur ce que Boris cyrulnik appelle
la résilience, des nations à surmonter les épreuves. Cette capacité repose sur la connaissance
du passé, sur la volonté de défense et aussi sur un effort financier.
Nous verrons d’abord que guerre et paix ont toujours été intimement liées, la guerre
ayant souvent servi à imposer ou préserver la paix tandis que la dignité des citoyens a
longtemps été liée au service des armes. On s’intéressera ensuite à l’évolution de l’art de la
guerre en fonction des mutations techniques (armes blanches, puis armes à feu, puis armes
atomiques et missiles…) mais aussi de l’organisation des sociétés : armées de citoyens en
armes, armées de métier ont alterné au cours de l’histoire. Enfin nous montrerons que la
perception de la guerre par les hommes a elle aussi évolué : la guerre a longtemps été à la fois
désirée et redoutée ; désirée car liée à un imaginaire héroïque et crainte car apportant la mort
et la destruction. Cependant à partir du XX° siècle, la « guerre juste » se limite à la guerre
défensive tandis que depuis trois ou quatre décennies elle tend à devenir illégitime en soi pour
une partie de l’opinion, du moins dans le monde occidental.
I)
Guerre et paix
A) De l’Antiquité aux temps modernes : la guerre au centre de la vie.
1) La guerre chez les Grecs et les Romains est au centre de la vie de la
Cité : le citoyen est un soldat, c’est l’impôt du sang qui fonde les droits civiques. C’est ainsi
qu’à Athènes, les 4 classes censitaires correspondent à des fonctions différentes durant la
guerre. Les plus riches (pentacosiomédimnes) arment à leurs frais les trières, les Hippéis
servent dans la cavalerie, ceux de la troisième classe sont les Hoplites et les derniers, les
Zeugites servent de marins dans la flotte. Il en va de même à Rome au temps de la
république : avant l’expansion romaine, l’armée devient permanente et professionnelle, mais
les légionnaires qui s’engagent pour 20 ans sont toujours des citoyens romains, quant aux
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officiers supérieurs ce sont des membres de la classe sénatoriale qui, au cours du cursus
honorum exercent alternativement des fonctions civiles ou militaires. La vie de la Cité antique
c’est le plus souvent la guerre. S’y préparer est la tâche des hommes libres, des citoyens (à
Athènes lors de l’éphébie). La politique et la guerre ne se distinguent pas, celle-ci, comme le
dira Clausewitz plus tard n’est que la continuation de la politique par d’autres moyens : le
magistrat est autant chef de guerre que chef politique.
C’est cette conception civique de l’armée que redécouvriront les hommes
des Lumières et notamment les républicains français ou américains avec les Soldats de l’An II
lors de la levée en masse de 1793 ou les minutemen de la guerre d’indépendance en 1776. La
conscription universelle instaurée par la III° République en remplacement du service par
tirage au sort s’inscrit dans la même logique : le citoyen est d’abord un homme prêt à mourir
pour la Patrie.
2) Au Moyen-Âge, avec la fin de la cité antique et les « invasions
barbares », la guerre cesse d’être l’affaire des citoyens de cités qui d’ailleurs n’existent plus
pour devenir une affaire de guerriers qui se transforment au fil des siècles en aristocratie
militaire. Au Moyen-Âge, la guerre devient l’apanage d’une élite sociale, d’une caste, celle
des chevaliers (bellatores). Comme l’écrivait vers l’an mil l’évêque Adalbéron de Laon : « les
uns prient, les autres combattent, les autres enfin travaillent ». C’est dans le cadre d’un contrat
entre seigneurs et paysans que s’effectue cette dissociation entre travailleurs et milites : les
seigneurs assurent une fonction politique (justice, police, défense) que l’Etat n’assure plus,
puisqu’il a disparu. L’Eglise donne son onction à cet ordre féodal. Pour les hommes de Dieu,
la providence veut que les chevaliers protègent les clercs et les paysans. Cette vision
chrétienne se superpose à la vision guerrière issue des sociétés germaniques : être un guerrier
est donc un état, renvoie à l’appartenance à un ordre. Le chevalier se distingue donc par le
sang mais aussi par une éthique (chevaleresque) faite de courage, d’honneur et de générosité
(prouesse, fidélité, largesse) : il doit être un preux comme le comte Roland à Roncevaux. Pour
autant la conception antique du citoyen soldat survit dans les cités, les villes libres qui doivent
leur franchise à leurs milices bourgeoises : le bourgeois/citoyen se doit d’être aussi un soldat.
Exclu du service des armes, les paysans parfois se mettent à faire la guerre mais c’est une
guerre civile ou sociale telle la jacquerie de 1358 en Île de France, due justement à la présence
de troupes de chevaliers qui vivaient sur le pays.
3 ) Vers l’armée de métier aux Temps Modernes. A la fin du Moyen-Âge
et aux Temps Modernes, la guerre devient peu à peu un métier pour lequel on est « soldé » : le
chevalier laisse la place au « soldat ». L’ost féodale, et ses preux, Du Guesclin ou Bayard
s’effacent devant les condottieri et leurs mercenaires, reîtres ou lansquenets. De nombreux
soldats sont désormais de condition vile ou recrutés chez des populations au tempérament
belliqueux tels les Suisses qui louent leurs services aux armées pontificales lors de la bataille
de Marignan. En effet, l’affirmation de l’Etat moderne amène les princes à vouloir se doter
d’armées permanentes : la figure du condottiere se substitue à celle du chevalier
accomplissant l’ost (40 jours) et les grandes compagnies remplacent les armées de chevaliers.
La Guerre de Trente Ans (1618-1648) qui dépeupla une partie de l’Allemagne et les gravures
de Jacques Callot ont pour longtemps fixé dans l’imaginaire européen l’effroi qu’inspiraient
ces armées de soudards, terreur des paysans qui pillaient, violaient et massacraient sur leur
passage à l’image des groupes armées qui dévastent aujourd’hui l’Afrique des Grands Lacs…
Beaucoup de ces soldats de fortune restent cependant de petits nobles (les
reîtres allemands). Les cadres sont souvent eux-mêmes issus de la noblesse dont ils
perpétuent la fonction militaire médiévale et les chefs de ces armées, les condottieri
deviennent généralement des princes, à l’image des Montefeltre devenus ducs d’Urbino après
avoir combattu pour le Pape. Cependant la noblesse se détache de plus en plus de sa fonction
militaire pour devenir aussi une noblesse d’Etat en raison de la montée en puissance de la
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noblesse de robe : les « officiers royaux » (au sens de fonctionnaires). Le soldat de son côté
devient un type social à part et l’on assiste à l’apparition d’une société militaire distincte de
la société civile.
Parmi les condottieri restés fameux, il y a bien sûr les chefs de guerre du
XV° siècle italien : Malatesta à Rimini, les Sforza devenus duc de Milan, et aussi les généraux
de la Guerre de Trente Ans. Si l’on met de côté Gustave Adolphe, le roi de Suède, ceux-ci
étaient généralement de véritables entrepreneurs de guerre qui louaient leurs services au plus
offrant et passaient d’un camp à l’autre. C’était le cas de Tilly ou de Wallenstein : Jean
t’Serclaes comte de Tilly commandait l’armée de la ligue catholique au service de l’Empereur
et vainquit les Tchèques à la Montagne Blanche en 1618. Albrecht Wenzel Eusebius von
Wallenstein, catholique d’origine tchèque, combattit également pour l’Empereur. L’un et
l’autre menaient la guerre comme on conduit une entreprise. Liés à des banquiers qui leur
avançaient les fonds et à des fournisseurs qui assuraient la logistique, ils dirigeaient de
véritables armées privées qu’ils recrutaient eux-mêmes. En mer, c’était également le cas des
corsaires : Francis Drake ou Walter Raleigh en Angleterre sous Elisabeth I° ou Jean Bart sous
Louis XIV.
Voici l’exemple du Capitan Alonso de Contreras (document 1) dont les
mémoires ont été éditées en 1900 par Don Manuel Serrano y Sanz. Alonso de Contreras a
écrit ses mémoires vers 1633. Celles-ci couvrent les années 1595-1633 : il a donc servi au
temps de Philippe III et de Philippe IV d’Espagne. Né dans une famille modeste, orphelin de
père, il s’engage comme enfant soldat à 14 ans alors que sa mère l’avait placé en
apprentissage chez un orfèvre. Il devient enfant de troupe dans l’armée du cardinal Albert, qui
part prendre son poste de vice-roi des Pays-Bas. Marmiton puis jeune soldat, il déserte et
rejoint Naples où il s’engage comme matelot sur des navires corsaires qui combattent les
Turcs et les Barbaresques en Méditerranée. Il devient bientôt un capitaine corsaire réputé, puis
l’un des capitaines des galères de course de l’ordre des chevaliers de Malte, dont il devient
frère servant puis chevalier, bien qu’il soit noble de naissance. Il sert aussi comme capitaine
pour le roi d’Espagne notamment lors d’une expédition aux Indes occidentales où il combat le
corsaire anglais Walter Raleigh. Revenu en Europe il est gouverneur de Lampedusa et
Pantelleria, deux îles appartenant aux Chevaliers de Malte puis sert dans le royaume de
Naples au service de son vice-roi espagnol, le comte de Monterrey. Ses mémoires rédigées
dans un style simple et précis représentent un témoignage exceptionnel sur la guerre au début
du XVII° siècle : comme l’écrit Jean Dutourd « il surgit de cette succession d’épisodes un des
tableaux les plus saisissants du XVII° siècle. D’un bout à l’autre du livre, le lecteur a
l’impression de ses promener dans une gravure de Callot. Il y a des habits déchirés, des
feutres à plume, des forêts de hallebardes, des gueules patibulaires, des miquelets (soldats de
la garde des gouverneurs espagnols) avec l’arquebuse sur l’épaule, des pendus qui se
balancent aux arbres, des maisons qui brûlent. La guerre de Trente Ans est partout.». Extrait
(document 1)
B) Pax romana et Paix de Dieu : la dynamique de pacification
Si les hommes de l’Antiquité aux Temps Modernes ont adoré la guerre, ils
l’ont aussi redoutée et ont aussi aspiré à la paix. La Paix romaine d’Auguste à Marc Aurèle ou
les assemblées de la paix de Dieu vers l’An mil témoignent de la volonté de l’Etat (à Rome)
ou de l’Eglise catholique (universelle) de pacifier les mœurs.
1) La Paix romaine. Après 50 années de guerre civile, le triomphe d’Octave
sur Marc Antoine et Cléopâtre à Actium en 31 av. J.-C. lui permet de rétablir la paix : la Pax
deorum d’Auguste ouvre deux siècles de « pax romana » (d’Auguste à Marc Aurèle) qui
coïncident avec l’apogée de la civilisation romaine et avec l’extension maximale de l’empire.
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C’est cette restauration de la paix autant que sa victoire à la guerre qui légitime la divinisation
d’Auguste (divus filii) : Auguste est à la fois celui restaure la concorde, qui fait fermer les
portes du temple de Janus, il est aussi celui qui célèbre avec faste ses triomphes (13,14 et 15
août 29 av. J.-C.). Il est donc imperator, c’est-à-dire le général victorieux auquel le Sénat
décerne un triomphe : le droit de pénétrer dans l’enceinte sacrée de Rome (pomerium) en
arme, avec ses troupes et son butin, ses captifs : homme de guerre et pacificateur à la fois. La
guerre sert donc à imposer la paix comme l’écrit Virgile : « souviens toi Romain que tu es
fait pour commander aux peuples. Imposer les règles de la paix, pardonner aux vaincus et
châtier les superbes, ce sont là tes beaux-arts » (Tu regere imperio romane, memento.
Pacisque imponere morem, parcere subjectis et debellare superbos , hae tibi artes erunt).
Cette paix est aussi une paix armée : la guerre est repoussée au limes, mais les légions veillent
toujours sur Rome en poursuivant des opérations militaires aux confins de l’Empire…
2) La paix de Dieu et le rôle pacificateur de l’Eglise. Au Moyen-Âge,
l’idéal chevaleresque de la guerre entre aussi en contradiction avec l’idéal chrétien de non
violence (tu ne tueras point), d’autant que les guerres féodales (la faide) menacent parfois les
grands domaines ecclésiastiques, ceux des monastères. D’où les serments de paix étudiés par
Dominique Barthélémy dans L’An mil et la paix de Dieu (Fayard, 1999) et le mouvement de
la paix de Dieu qui interdit la guerre du vendredi au dimanche et demande aux chevaliers de
protéger les biens de l’Eglise, les hommes de Dieu ainsi que la veuve et l’orphelin. Le
mouvement de la paix de Dieu a incontestablement pacifié la société féodale mais a aussi
contribué à rejeter le guerre au-delà de la Chrétienté et a nourri l’esprit de croisade qui se
développe avec l’appel de Clermont d’Urbain II (1095) et la première croisade (1099). Mais à
la guerre privée se substitue, avec la formation des Etats, les guerres entre rois. Par exemple,
les guerres entre la monarchie française et les rois d’Angleterre : guerres entre Philippe
Auguste et Jean Sans Terre puis Richard Cœur de Lion, guerre de Cent ans de 1337 à 1453…
Celles-ci s’avèrent bientôt plus dévastatrices que les guerres féodales car elles reposent sur la
mobilisation d’armées de professionnels de la guerre (les « grandes compagnies » du XIV°
siècle français) qui vivent sur le pays dès qu’elles sont « débandées ». Facteur de guerre à ses
débuts, l’Etat moderne va cependant progressivement se faire pacificateur
3) L’Etat pacificateur. Avec la renaissance de l’Etat, au XV° et XVI°
siècle, c’est de plus en plus le roi qui garantit la paix. Ainsi au terme de trente ans de guerres
de religion, c’est l’édit de tolérance de Nantes (1598) du « bon roi Henri IV » qui instaure la
paix religieuse entre catholiques et huguenots. Un demi siècle plus tard, Richelieu démantèle
les châteaux forts. Après la Fronde, Louis XIV, roi de guerre par excellence (37 années de
guerre sur 44 années de règne personnel !), pacifie l’intérieur du royaume. La guerre est alors
rejetée aux frontières, au-delà de la « ceinture de fer » des forteresses royales construites par
Vauban. Certes, pendant les deux tiers du règne de Louis XIV la France est en guerre, mais,
hormis quelques brèves périodes d’invasion à la fin du règne (victoire de Villars à Denain,
1712), la guerre a lieu à l’extérieur ou aux frontières du royaume. Roi de guerre en Europe,
Louis XIV est paradoxalement celui qui fait respecter l’ordre intérieur et assure la paix civile
dans le royaume… Les conséquences des guerres sont essentiellement économiques et
démographiques : les prélèvements fiscaux combinés aux aléas climatiques (Grand Hiver
1709) aboutissent à une catastrophe démographique. La France perd 2 millions d’habitants
sur 20 entre le début des années1690 et 1715. Néanmoins durant tout le XVIII° siècle, l’Etat
assure la paix intérieure : la guerre est une affaire lointaine, elle se déroule sur mer ou aux
frontières (Guerre de Sept Ans). Durant la Révolution, la guerre civile réapparaît notamment
durant la terreur : Vendée, chouannerie, soulèvement fédéraliste… C’est justement parce qu’il
a restauré la paix civile (notamment par le Concordat, mais aussi en créant la gendarmerie
nationale) que Bonaparte est resté aussi populaire. La légende napoléonienne se nourrit aussi
bien sûr de l’épopée militaire popularisée par les vieux grognards dont on trouve la trace dans
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la littérature du XIX° ainsi dans Le médecin de campagne de Balzac, le grognard Goguelat
raconte aux paysans de son village du Dauphiné, à la veillée, « le Napoléon du peuple »
autrement dit la légende napoléonienne et l’épopée de la Grande Armée (document n°3). Mais
la popularité de l’empereur chez les paysans vient aussi du souvenir du retour des cloches
confisquées par la Convention et de la fin des « chauffeurs » traqués par la maréchaussée :
l’ordre et la gloire ont fait oublier « l’ogre corse » qui prenait les hommes pour les faire tuer à
la guerre (1 million de morts en 23 ans de guerres incessantes de 1792 à 1815).
Au fond, avec la mise en place de l’Etat moderne, la guerre a été projetée
hors du territoire tandis que l’Etat s’est arrogé le monopole de la violence. L’Etat a apporté la
paix intérieure et a fait de la guerre la continuation de la diplomatie par d’autres moyens, une
affaire de politique extérieure. A l’intérieur de ces sociétés pacifiées, la guerre est devenue
l’affaire de la société militaire, l’affaire d’une institution, l’armée. Celle-ci est composée d’un
encadrement qui s’est peu à peu professionnalisé tandis que les hommes du rang, l’infanterie
de ligne, sont des sujets mobilisés. La milice et l’inscription maritime, première étape vers
l’instauration du service militaire sont mises en place sous Louis XIV. Le siècle des Lumières
et la période révolutionnaire accentuent cette évolution : l’armée devient « nationale » avec la
levée en masse des soldats de l’an II et l’institution de la conscription. Les chevaliers ou les
aventuriers, les Bayard et les Contreras ont laissé la place à des experts, les officiers, formés
dans des académies (Saint-Cyr, Ecole navale), tandis que les reîtres, lansquenets et autres
suisses ont été remplacés par les conscrits. Avec la professionnalisation de l’encadrement et
les progrès de la logistique, les troupes ne vivent plus guère sur le pays même en cas de
guerre, tandis que des règles sont adoptées concernant le traitement des prisonniers, le respect
des civils : lors des guerres du XIX° siècle, les exactions contre les civils sont assez rares, du
moins elles semblent être l’apanage d’une humanité en retard, non civilisée, à l’image des
« horreurs bulgares » commises par les Bachi-bouzouks ottomans contre les chrétiens…ou
alors elles sont le fait des armées coloniales qui se lancent à la conquête de l’Afrique ou de
l’Asie : c’est le cas des « enfumades » de Bugeaud lors de la conquête de l’Algérie.
Avec le triomphe des Lumières, au XIX° siècle les règles de la guerre sont
codifiées. C’est ainsi que l’on assiste à l’apparition de la Croix-Rouge, fondée par le suisse
Henri Dunant au lendemain de la bataille de Solférino (juin 1859) qui laissa sur le champ de
bataille 38 000 morts et blessés. Dunant avait assisté un peu par hasard à cette bataille entre
les Français et les Autrichiens (il était venu plaider auprès de Napoléon III la cause de ses
établissements en Algérie). Effaré par l’ampleur des souffrances, il organise l’aide aux blessés
et consacrera sa vie à la mise en place de la première organisation humanitaire, la Croix
Rouge. C’est aussi Henri Dunant qui est à l’origine de la Convention de Genève en 1864, ce
qui lui vaudra d’être le premier lauréat du prix Nobel de la paix, lors de la création du prix en
1901. L’idée, chère au XIX° siècle positiviste, que la guerre est en voie d’humanisation dans
un Occident qui croit au progrès est cependant démentie par la tragédie de 1914-18 et plus
encore par la seconde guerre mondiale.
Avec la convention de Genève, la fondation de la Croix Rouge ou encore le
prix Nobel de la Paix on assiste donc à l’apparition d’une dynamique partiellement
contradictoire. La première dynamique consiste à humaniser la guerre en permettant de porter
assistance aux blessés ou respectant les prisonniers, il s’agit au fond de la naissance des
organisations humanitaires; l’autre dynamique est le pacifisme, c’est-à-dire la volonté
d’interdire la guerre. En raison de l’ampleur des pertes de la Grande guerre, le pacifisme
connaît un élan spectaculaire au lendemain de la première guerre mondiale.
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C) La guerre hors la loi ? les limites du pacifisme
1) L’échec de la SDN et de l’esprit de Locarno. L’effroyable bilan de la
Grande Guerre amène les Etats occidentaux a rechercher les moyens d’éviter celle-ci. Puisque
la diplomatie traditionnelle avait échoué en août 1914 à empêcher ce qui apparaît 4 ans plus
tard comme une catastrophe, la recherche de nouveaux outils domine les années d’aprèsguerre. L’idée de fonder un ordre international sur le droit est notamment due au président
américain Woodrow Wilson : droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, fondation d’une
société des nations destinée à arbitrer les conflits… L’esprit de la sécurité collective domine
les années vingt et coexiste avec le vieux droit des vainqueurs : cette contradiction entre les
principes libéraux et le droit du plus fort apparaît nettement dans le traité de Versailles plutôt
inspiré par les préoccupations sécuritaires des Français (l’Allemagne paiera) que par l’esprit
wilsonien de réconciliation entre les peuples. Néanmoins, les traités de désarmement ou la
diplomatie d’Aristide Briand, inlassable ministre des Affaires étrangères jusqu’en 1931,
tenteront d’interdire le recours à la guerre en liant les Etats par des accords internationaux…
Mais l’idéalisme wilsonien et l’esprit de Locarno, cette contractualisation des
relations internationales, ne pouvait fonctionner qu’entre des partenaires partageant les mêmes
valeurs. Or l’entre-deux-guerres est marqué par l’émergence des totalitarismes. Les Etats
totalitaires n’obéissent qu’à leurs objectifs idéologiques (Grande Allemagne pour le Reich,
révolution mondiale pour l’URSS) et ne respectent que la force comme le montrent le
réarmement allemand entre 1933 et 1939 puis l’annexion de l’Autriche et le démembrement
de la Tchécoslovaquie en 1938 et enfin le partage de l’Europe de l’Est lors du pacte germanosoviétique en 1939. Comment expliquer l’attentisme des deux grandes démocraties
européennes le Royaume uni et la France face au bellicisme des Etats totalitaires et à cette
évidente marche à la guerre ?
2) L’échec de la guerre défensive de Pétain, Weygand, Gamelin : « la
stratégie introuvable » de la France dans les années trente. La réponse réside dans le
pacifisme profond des opinions publiques. Le « plus jamais ça » des poilus tétanise les
autorités civiles et militaires qui, face au révisionnisme des nazis, face à un réarmement
allemand toujours plus menaçant, ont toujours privilégié une stratégie défensive, totalement
contradictoire avec les traités qu’avaient imposés les vainqueurs en 1919. Jean-Baptiste.
Duroselle montre comment ce postulat d’une stratégie purement défensive face à un
adversaire qui ne respecte pas les règles a conduit la France en 7 ans de la sécurité totale à la
débâcle (1940 : La France sans stratégie, L’Histoire n° 20, février 1980). En 1933 l’armée
allemande est limitée à 100 000 hommes, sans aviation, ni char ni sous marin ou flotte de
haute mer. 7 ans plus tard en juin 1940, au terme de 6 semaines de guerre éclair, la
Wehrmacht envahit la France dont les troupes avaient attendu l’arme aux pieds derrière la
Ligne Maginot depuis septembre 1939 que les Allemands les attaquent ! Jamais l’adage « si tu
veux la paix prépare la guerre » n’a été aussi vrai : tandis que les nazis préparaient
l’Allemagne à la guerre offensive, la Blitzkrieg qui allait leur permettre de conquérir l’Europe
continentale, les Français ne se préparaient pas à la guerre. Les Français ne se donnaient pas
les moyens de soutenir leurs alliés de la « Petite Entente » (Pologne, Tchécoslovaquie,
Roumanie et Yougoslavie), les abandonnant aux Allemands et à leurs alliés et ils se
complaisaient dans l’illusion que la Ligne Maginot était infranchissable… elle qui ne couvrait
pas la frontière belge. Plus encore les stratèges, Pétain le premier, ne voyaient pas
l’importance de l’emploi combiné des chars et de l’aviation dans la prochaine guerre malgré
les avertissements d’un De Gaulle. Cette faillite n’est pas seulement celle des généraux, elle
est aussi celle de la classe politique et de l’opinion publique, favorables presque jusqu’au bout
à la négociation avec Hitler. Le pacifisme profond des Français, toutes classes sociales et tous
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bords politiques confondus, est le principal responsable de ce naufrage et porte une lourde
part de responsabilité dans le bilan humain de la seconde guerre mondiale : comme quoi le
pacifisme peut être l’ennemi de la paix !
3) la querelle des euromissiles : Mitterrand « les pacifistes sont à l’ouest
mais les missiles sont à l’Est ». La même myopie a traversé les opinions publiques
européennes lors de la querelle des euromissiles au début des années 1980, mais cette fois
face à des opinions publiques travaillées par un pacifisme instrumentalisé par le bloc de l’Est
(« plutôt rouges que morts » criaient les pacifistes lors des manifestations en Allemagne de
l’ouest contre l’installation des missiles américains Pershing II). Les chefs d’Etats et de
gouvernements ont tenu bon, de la conservatrice Margaret Thatcher aux socialistes Helmut
Schmidt et François Mitterrand. C’est ainsi que Mitterrand appuie publiquement lors d’un
fameux discours devant le Bundestag le 20 janvier 1983 la décision du chancelier allemand
précédent Helmut Schmidt de demander l’installation de missiles américains Pershing II en
RFA. Mitterrand déclare plus tard à Bruxelles dans une formule restée célèbre : « je constate
que les pacifistes ont à l’Ouest mais les missiles à l’Est », s’opposant ainsi au Labour
britannique de Michael Foot et à l’aile gauche du SPD allemand qui soutenaient les
manifestations pacifistes. La décision des Etats membres de l’OTAN de rétablir la parité
stratégique en installant des missiles américains intermédiaires Pershing en Europe de l’Ouest
en réplique au déploiement par l’URSS des SS20, missiles intermédiaires ne menaçant que
l’Europe de l’Ouest, a ainsi permis d’éviter le découplage entre une Amérique tentée par
l’isolationnisme et une Europe dès lors menacée de « finlandisation ». Elle a par ailleurs
montré aux Soviétiques que la course aux armements qu’ils avaient relancée dans les années
Brejnev ne les menait à rien, sinon à transformer l’URSS en Haute Volta avec des fusées,
selon le mot d’un général soviétique, c’est-à-dire à ruiner leur économie, asphyxiée par le
poids croissant des dépenses militaires (au moins 25% du PIB contre 4 à 7 % à l’Ouest). Les
décisions prises à ce moment ont probablement joué un rôle décisif dans le changement de
politique des dirigeants soviétiques, c’est-à-dire le passage à la perestroïka en 1985. De ce
point de vue, si l’entre-deux-guerres avait vu un fatal affaissement de l’esprit de défense
collectif dans les démocraties, il n’en a pas été de même durant la guerre froide, ce qui montre
que les démocraties sont aptes à se défendre.
II)
Faire la guerre
Pour comprendre les représentations de la guerre et l’attitude des
populations à son égard, il est nécessaire de comprendre à quel point la manière de combattre
a changé. D’une guerre circonscrite dans le temps et l’espace on est passé au XX° siècle à une
guerre totale, menaçant presque autant les civils que les combattants, puis durant la guerre
froide la guerre est devenue virtuelle, elle a été remplacée par la dissuasion, c’est-à-dire une
non-guerre par crainte d’un anéantissement mutuel, une guerre improbable selon l’expression
de Raymond Aron. Si la dissuasion nucléaire a probablement évité que la guerre froide ne
devienne une troisième guerre mondiale avec les conséquences dramatiques qu’on imagine,
elle n’a cependant pas évité les conflits dits de basse intensité à la périphérie des blocs (guerre
du Vietnam, Angola ou Afghanistan dans les années 1980) ni les conflits Sud-Sud. (Inde
Pakistan, Irak-Iran) ou les crises régionales relevant des deux logiques (les 4 guerres israéloarabes de 1956, 67, 73 et 82, ou la guerre en Angola). Avec l’écroulement du bloc soviétique,
le risque de guerre nucléaire généralisée s’est pour longtemps éloigné. Mais dans un monde
devenu plus instable, le risque de conflit régionaux s’est accru tandis que se développent les
conflits asymétriques opposant des Etats puissants à des mouvements de guérillas ou des
groupes terroristes .
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A) D’Austerlitz à août 1914 : le champ de bataille
1) La guerre limitée dans le temps et l’espace
Jusqu’en 1914, la guerre reste un affrontement relativement limité dans le
temps et dans l’espace. Elle reste saisonnière et limitée pour l’essentiel au champ de bataille,
c’est-à-dire aux lieux où s’affrontent les armées lors de quelques batailles. On « part en
campagne » à la belle saison puis on prend ses « quartiers d’hiver » : pour n’avoir pas pu le
faire à Moscou, incendié par les Russes, la Grande Armée de Napoléon doit affronter le
« général Hiver » lors de la fameuse retraite de Russie en 1812 marquée par le passage de la
Bérézina. Contrairement à une idée reçue selon laquelle les progrès de l’armement à l’époque
industrielle auraient rendu la guerre plus meurtrière, ces batailles du passé sont très sanglantes
et peuvent faire des dizaines de milliers de morts en une journée. C’est le cas des batailles de
Cannes ou du lac Trasimène au III° siècle avant J-C entre les romains et Hannibal, ou au
XIX° siècle d’Eylau, du siège de Sébastopol lors de la guerre de Crimée, ou comme on l’a vu
des batailles de Solférino et Magenta dont le caractère meurtrier joue un rôle décisif dans la
décision d’Henri Dunant de fonder la Croix Rouge. Les soldats combattent en formations
compactes, on ne sait pas soigner les blessés qui meurent très souvent des suites de leurs
blessures (infections, gangrène). Mais en dehors de ces affrontements paroxystiques les
combats sont assez rares, ils sont surtout relativement localisés. La guerre peut encore se voir
de loin comme on le voit dans Guerre et paix de Léon Tolstoï où Bezoukov assiste au
déroulement de la bataille d’Austerlitz depuis une colline.
2) Des pertes cependant très lourdes
La présence des troupes, qui vivent en grande partie sur le pays jusqu’au
XIX° siècle, est une catastrophe pour les civils (Guerre de Trente Ans : la population de
l’Allemagne a baissé d’un tiers, 2/3 dans certaines régions) et la guerre, si elle se prolonge,
peut entraîner la famine. Par exemple, les famines durant la guerre de la Ligue d’Augsbourg
et la guerre de succession d’Espagne ont pendant le Grand hiver 1709 amputé la population de
la France de 10%, soit 2 millions d’habitants. Les guerres de la Révolution et de l’Empire ont
fait, entre 1792 et 1815, sans doute un million de morts en France : autant qu’en 1914 (à
population égale, car il n’y a que 28 millions d’habitants), mais sur 23 ans. La saignée est
certes beaucoup moins durement ressentie qu’en 1914-18, d’autant plus qu’il n’y a ni
statistiques ni journaux : la sensibilité aux pertes est d’autant plus faibles qu’elles sont étalées
dans le temps, qu’on n’en connaît pas les chiffres précis et que l’information circule très
mal… toutes choses qui auront changé en 1914.
B) De 1914 à 1945 : la guerre totale
1) Le choc de 1914.
On a l’habitude d’évoquer l’horreur des tranchées, mais la phase la plus
meurtrière de la Grande Guerre est la guerre de mouvement de l’été 1914 : 27000 morts le
samedi 27 août « le jour le plus sanglant de notre histoire » (Henri Contamine). 400 000 morts
en 1914 soit plus que pour les quatre autres années de guerre mais en 5 mois seulement !
L’horreur de la Grande Guerre est liée dans nos mémoires aux fameuses tranchées, mais
celles-ci sont d’abord une parade contre la puissance de feu des armes nouvelles du siècle de
l’industrie : depuis le milieu de XIX° sont successivement apparus l’obus explosif, les armes
à répétition (Colt, Winchester, fusils Lebel ou Mauser) les mitrailleuses. C’est ce
développement spectaculaire de la portée, de la puissance explosive, de la cadence de tir qui
fait de l’artillerie (et des armes automatiques) la « reine des batailles », conduisant les
combattants à s’enterrer, à ne progresser que par sauts de puces, ou par des percées
8
extrêmement meurtrières. La guerre de mouvement est donc provisoirement impossible. La
guerre de position, qui est aussi une guerre d’usure et une guerre industrielle, durera 4 ans
jusqu’aux offensives franco-anglo-américaines de l’été 1918. Le front se substitue à la
« campagne », à la manoeuvre. Dans le même temps, les combattants découvrent une guerre
longue et très meurtrière reposant sur la mobilisation de l’arrière, sur l’étatisation de
l’économie
2) Le front et l’arrière
a) Le front : l’esprit des tranchées et la querelle du consentement Le
front durant la Grande Guerre c’est bien sûr les tranchées, les attaques à l’aube, les
préparations d’artillerie interminables, les alertes au gaz. Toute une littérature de guerre
d’Henri Barbusse (Le feu) et de Roland Dorgelès (Les croix de bois) jusqu’à Céline ou Erich
Maria Remarque a témoigné de la violence des combats de la Grande Guerre. Les tranchées
sont le lieu d’une expérience unique : jamais l’idée de nation en arme, de peuple en arme n’a
été aussi vraie. C’est toute une nation qui se retrouve mobilisée au profit de l’effort de guerre.
Mais ceux qui partent au front sont généralement les hommes jeunes de vingt à trente cinq
ans, au total la majorité d’une génération d’hommes nés entre 1880 et 1900 a connu
l’expérience du feu et des tranchées que ce soit en Allemagne, dans l’Empire austro-hongrois,
en France, en Italie ou au Royaume-Uni. Cette expérience a profondément transformé la
psychologie des Européens, donnant naissance à l’esprit des tranchées. Ces hommes ont
appris dans les tranchées la fraternité d’arme, la valeur de la solidarité, du courage, les
tranchées ont été le creuset de la nation, brassant les milieux, les provinces… Jamais sans
doute les Français n’ont eu aussi profondément conscience de leur identité nationale. Mais les
tranchées ont aussi été le laboratoire de l’antiparlementarisme : les poilus y ont contracté
l’accoutumance à la violence, la méfiance à l’encontre de l’arrière, des « bavards » et des
généraux qui parlent et les envoient au feu, des femmes qui ne les comprennent pas voire les
trahissent (le scandale provoqué par le diable au corps de Raymond Radiguet en 1923).
Beaucoup de soldats ont ramené du front le mépris pour les institutions parlementaires et le
culte du chef, du héros qui reste debout sous la mitraille et les conduit à la victoire, du meneur
d’homme ou du général économe de la vie des soldats (Pétain opposé à Nivelle). Mussolini ou
Hitler sont des combattants des tranchées.
b) La mémoire de la Grande Guerre c’est-à-dire sa perception par les
Français a profondément changé depuis une quarantaine d’années : nous sommes passés de la
célébration de la Victoire et du culte des héros à une vision essentiellement émotionnelle
voire compassionnelle ne voyant dans les combattants que des victimes et dans cette guerre
une tragédie incompréhensible, une sorte de guerre civile européenne. Cette évolution est liée
évidemment à la pacification des sociétés européennes depuis 1945 et à la construction
européenne. Elle s’exprime dans le film Joyeux Noël de Christian Carion (2005) ou encore
dans le roman de Marc Dugain, La chambre des officiers, porté lui aussi à l’écran par
François Dupeyron en 2001. Cette mémoire obscurcit aujourd’hui la compréhension de
l’événement : comme l’écrit Jean-Yves Le Naour dans un article, Le champ de bataille des
historiens, paru en 2008 sur le site La vie des idées.fr, hier considérés comme des héros les
poilus sont considérés comme des victimes, de la chair à canon. Il évoque le rouleau
compresseur d’une mémoire victimisante qui ne veut retenir que la souffrance. On assiste
même à un renversement de la figure du héros avec les « sur-victimes » que sont les fusillés
prenant le pas sur les autres soldats qui ont suivi le troupeau jusqu’à l’abattoir quand
d’autres ont le courage de dire non. En somme les vrais héros dans cette vision qui s’impose
depuis une vingtaine d’années seraient les quelque cent fusillés et les 40 000 mutins de 1917,
tandis les 1 300 000 morts au combat ne seraient que des victimes passives. Il nous incombe,
en tant que professeurs d’histoire, de réagir contre ce travestissement de l’histoire par la
9
mémoire et de faire comprendre à nos élèves que les combattants de la Grande Guerre
croyaient pour la plupart profondément à la justesse de leur combat. Ils pensaient pour la
plupart qu’ils défendaient leur patrie contre une invasion étrangère, la troisième en un siècle ;
Ce qui ne signifie pas qu’ils n’étaient pas critiques ou révoltés par les erreurs de
commandement, les offensives inutiles ou mal dirigées. Mais leur pacifisme profond n’était
nullement de l’antimilitarisme, du moins dans la plupart des cas. A propos du film Joyeux
Noël, J-Y Le Naour parle de dimension pathologique de cette mémoire émotionnelle!
c) La compréhension de la Grande Guerre par les historiens a beaucoup
évolué. Jusque dans les années 1970, les historiens s’étaient surtout intéressés à l’histoire
militaire puis aux causes de la guerre, la recherche des causes opposant l’école nationaliste
qui insistait en France sur la responsabilité allemande et l’école marxiste qui imputait la
responsabilité de la guerre au capitalisme et mettait l’accent sur les rivalités entre
impérialismes. Ces deux analyses ont été disqualifiées l’une par la réconciliation franco
allemande depuis les années 1960 et la construction européenne, l’autre par la faillite du
communisme en URSS et la crise du marxisme qui l’a accompagnée de sorte que l’intérêt
pour la Grande Guerre semble s’effacer : Antoine Prost affirmait lors d’un colloque récent à
Lyon qu’il pensait dans les années 1980 que ce champ de l’histoire était désormais clos.
Pourtant la fondation de l’Historial de la Première Guerre Mondiale à Péronne en 1992 par
Annette Becker, Stéphane Audoin Rouzeau et Jean-Jacques Becker, a relancé l’intérêt pour
cette période en mettant l’accent sur la guerre « vue d’en bas », la vie des combattants et
surtout la manière dont ils ont eux-mêmes perçu cet événement. Les historiens de l’école de
Péronne ont mis l’accent sur le consentement des poilus et la dimension eschatologique du
conflit perçu par eux comme un affrontement du Bien contre le Mal, de la civilisation
(française) contre la barbarie (allemande). Cette adhésion profonde à la légitimité de la guerre
explique que les Français aient supporté durant quatre années les épreuves de la guerre. Mais
les historiens de l’école de Péronne ont aussi insisté sur la mise en place d’une culture de
guerre sur « l’ensauvagement » des sociétés européennes, rejoignant en cela les travaux de
l’historien américain George Lachman Mosse dans Fallen soldiers, traduit en français par De
la Grande Guerre au totalitarisme. La brutalisation des sociétés européennes. Mosse voyait
dans l’extrême violence de la Grande Guerre la matrice des totalitarismes de l’entre-deuxguerres.
A l’idée développée par l’école de Péronne d’un consentement très largement
majoritaire des soldats à l’effort de guerre s’expliquant par le poids du patriotisme et du
nationalisme dans les sociétés européennes, s’oppose toutefois une autre vision développée
par Frédéric Rousseau (La guerre censurée, 1999) ou Nicolas Offenstadt et d’autres historiens
regroupés depuis 2006 dans le CRID (Collectif de Recherche International et de Débat sur la
Grande Guerre), organisation à vrai dire plus militante que scientifique puisqu’elle ne doit son
existence qu’à la volonté de réviser les travaux de l’école de Péronne à la lumière d’une
vision idéologique insistant sur les divisions de la société française, la lutte entre
« dominants » et « dominés ». Les historiens du CRID insistent sur la contrainte exercée par
la hiérarchie militaire: pour eux les soldats auraient au fond fait la guerre un revolver dans le
dos et, dans une vision un peu complotiste, les travaux des historiens auraient
systématiquement occulté les traces de la « résistance » des soldats. Le caractère finalement
limité des mutineries de l’année 1917 consécutives à l’échec sanglant des offensives de
Nivelle au Chemin des Dames montre cependant que si le consentement n’était pas sans
limite et pouvait souvent n’être que de la résignation, la grande majorité des soldats a accepté
la guerre et a adhéré aux buts de guerre.
d) L’Arrière : la guerre totale. Pour la première fois, l’arrière (c’est-à-dire
les civils) entre dans la guerre. Jusqu’alors la guerre ne les concernait qu’en cas d’invasion.
Désormais les choses changent, d’abord en raison du caractère industriel de la guerre
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moderne. Celle-ci nécessite des réquisitions de chevaux, de charrettes. Elle est surtout grosse
consommatrice de munitions, ce qui oblige à mobiliser les populations civiles au bénéfice de
la production d’armes. Voici l’exemple des « munitionnettes » de l’usine Citroën du quai de
Javel. Durant la Grande Guerre André Citroën, ingénieur polytechnicien, fils d’un immigré
hollandais israélite, Limoenman, et archétype du self made man, de l’homme d’affaires
entreprenant, dirige l’une des plus importantes usines de munitions. André Citroën est blessé
au front où il a aussi perdu son frère. Il a l’intuition que la victoire se jouera aussi dans les
usines de munitions. Il transforme son entreprise d’engrenage en une énorme usine où 13 000
« munitionnettes » fabriquent à la chaîne 10 000 obus par jour. Il a été l’un des premiers
industriels à appliquer les méthodes fordistes qu’il avait découvertes avant la guerre lors d’un
voyage à Dearborn près de Detroit aux usines Ford (où l’on fabrique à la chaîne la Ford T
depuis 1910). La guerre est donc aussi économique, elle cherche à produire plus que
l’adversaire car la guerre est devenue une guerre d’usure où la logistique et l’industrie de
guerre jouent un rôle décisif dans la victoire. La victoire passe aussi par la capacité à
asphyxier l’économie adverse ou à briser le moral de l’ennemi en l’affamant : c’est l’objet du
blocus très sévère imposé par l’Entente aux empires centraux et du contre-blocus sous-marin
des U-boot allemands, la « guerre sous marine à outrance » décrétée par l’Allemagne qui
précipitera les Etats-Unis dans le conflit en avril 1917.
3) 1939/45 : le théâtre des opérations étendu à tout le territoire et la
guerre contre les civils.
a) La révolution de la guerre aérienne. L’innovation majeure de la
première moitié du XX° siècle est la guerre aérienne. Les usages de l’aviation restent encore
limités lors de la première guerre mondiale à la zone des combats où les avions servent
surtout à l’observation. Même s’ils sont déjà utilisés pour des raids aériens, leur faible rayon
d’action et leur faible capacité d’emport ainsi que l’imprécision des bombes en font une arme
marginale. Vingt ans plus tard, lors du second conflit mondial, l’aviation joue au contraire un
rôle décisif, sur mer comme sur terre. La bataille d’Angleterre, en donnant la supériorité
aérienne à la RAF, a permis aux Anglais d’éviter l’invasion, ce qui a constitué le premier
coup d‘arrêt aux succès de l’Axe. Sans cette même supériorité aérienne, le débarquement de
Normandie le 6 juin 1944 n’aurait pu avoir lieu. De même dans le Pacifique, les porte-avions
ont été l’instrument décisif de la suprématie navale : pour avoir acquis dès la bataille de
Midway, à l’été 1942, une supériorité sur la flotte japonaise, les Américains ont pu
progressivement reconquérir les archipels du Pacifique et s’approcher en 1945 des côtes
japonaises. L’arme aérienne a par ailleurs été massivement utilisée dans des frappes « anticités » visant délibérément les populations civiles.
b) Les bombardements massifs contre les villes. Durant la Première
Guerre Mondiale, en dehors du cas particulier de l’Empire ottoman et du génocide des
Arméniens, les civils n’avaient que rarement été pris pour cibles. On peut bien sûr citer les
massacres de Dinant (600 civils belges fusillés par les Allemands sur la foi de rumeurs,
étudiées par Marc Bloch) ou encore les raids de l’aviation allemande sur Paris en 1918 et les
tirs de l’artillerie à longue portée. Au contraire, durant la Seconde Guerre Mondiale, les civils
sont massivement pris pour cibles. Les Allemands avaient les premiers utilisé l’aviation
contre les populations civiles en Espagne lors du raid contre Guernica puis au début de la
Seconde Guerre Mondiale avec le bombardement de Rotterdam ou les raids sur les civils lors
de l’exode en juin 1940. Avec le Blitz lors de la bataille d’Angleterre, une nouvelle étape
avait été franchie : il s’agissait de briser la capacité de résistance des Britanniques par des
raids visant les Londoniens ou les habitants d’autres villes d’Angleterre (Coventry). Les
Alliés ont employé à leur tour et à plus grande échelle ces méthodes avec les raids aériens sur
l’Allemagne ou le Japon (Dresde, Tokyo).
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c) La guerre de partisans constitue une autre caractéristique de la Seconde
Guerre Mondiale et illustre là encore son caractère total. Les populations civiles des pays
occupés par l’Allemagne ont été systématiquement considérées comme ennemies dès lors que
les Allemands s’y heurtaient à une résistance armée. Certes la guerre de partisans n’étaient
pas une nouveauté radicale. Les Français y avaient été confrontés en Espagne à partir de 1809
lors des guerre napoléoniennes, et les Prussiens avaient dû affronter des francs tireurs lors de
la guerre franco-allemande de 1870. Néanmoins les atrocités perpétrées contre les civils ont
atteint un caractère systématique dans l’Europe occupée, notamment en Pologne, en URSS ou
en Yougoslavie. Cela est dû au caractère idéologique de cette guerre qui a pris, en Europe de
l’Est notamment, l’aspect d’une véritable guerre d’anéantissement destinée à détruire
massivement les populations civiles pour permettre la mise en place du Lebensraum, l’espace
vital. L’extermination des juifs s’inscrivait en particulier dans cette perspective.
C) Dissuasion et guerres asymétriques : la non-guerre et la sale guerre
La nouveauté radicale de 1945 est bien sûr l’apparition de l’arme nucléaire à la suite du projet
Manhattan : les raids aériens des 6 et 9 août 1945 contre Hiroshima et Nagasaki ouvrent une
ère nouvelle marquée par la possibilité de l’anéantissement total de l’adversaire. Les raids
anti-cités, déjà pratiqués massivement à la fin du second conflit mondial, deviennent dès lors
potentiellement des raids d’extermination. On entre dans l’équilibre de la terreur dès lors
qu’après une brève période de monopole américain de l’arme nucléaire, les Soviétiques
accèdent à la bombe en 1949. Si cet équilibre a assuré durant 40 ans une paix armée, il n’a
cependant pas empêché les conflits dits périphériques aux limites des aires d’influence des
blocs… Le nucléaire n’a jamais dissuadé que du nucléaire… ce qui est déjà cependant
beaucoup !
1) l’équilibre de la terreur.
Avec l’arme atomique, on entre dans un nouvel âge de la guerre : celui de
la « non guerre », de la guerre virtuelle. La possibilité de détruire l’adversaire et celle d’être
soi-même détruit transforme la guerre en une réalité virtuelle à laquelle on se prépare pour
n’avoir jamais à la faire. Dissuader consiste à se préparer à combattre pour ne pas combattre,
la guerre sanctionnant l’échec de la dissuasion. La dissuasion entre les deux blocs reposait sur
la capacité de dissuasion mutuelle assurée (MAD), c’est-à-dire sur la capacité à détruire la
totalité du territoire adverse par des frappes nucléaires massives, Etats-Unis et Union
soviétique disposant chacun de plus de 10 000 têtes nucléaires stratégiques. Les USA
disposent dès la fin des années cinquante de plusieurs centaines de bombardiers stratégiques
B52 pouvant atteindre le territoire soviétique et emportant chacun 8 bombes H. Ce monstre de
30 tonnes propulsées par 8 réacteurs est affectueusement surnommé BUFFY (Big Ugly Fat
Fella) par les aviateurs du Strategic Air Command. A cette flotte de bombardiers stratégiques
s’ajoutent bientôt les sous marins nucléaires porteurs de missiles Polaris, à raison de 16
missiles embarqués à bord de chacun de leurs 40 sous-marins nucléaires lanceurs d’engins et
les missiles stratégiques ICBM (InterContinental Balistic Missile) minuteman (plusieurs
centaines) basés dans des silos sur le territoire américain. Dès les années 1970, ces missiles
sont dotés de têtes multiples, dites « mirvées » (MIRV : Multiple Independant Re-entry
Vehicle) : chaque missile emportant de 6 à 10 têtes à guidage indépendant. Les Soviétiques
disposent d’un arsenal équivalent. Autrement dit, chacune des deux superpuissances dispose
de la capacité d’overkilling : elle peut détruire virtuellement plusieurs fois l’adversaire. La
dissuasion est devenue une affaire de balance (équilibre des moyens) et repose sur le fait qu’il
n’y a aucune parade contre les missiles balistiques en dehors d’une frappe préventive, ellemême rendue vaine par l’énormité des moyens dont dispose l’adversaire. Cette stratégie est
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confortée par l’interdiction, par accord entre les deux grands des armes anti-missiles (traité
ABM, 1972) dont la fiabilité est à cette époque de toute façon hautement illusoire. L’homme
dispose donc pour la première fois de la capacité de détruire toute vie sur terre : la peur de
l’apocalypse nucléaire hante alors l’inconscient collectif, notamment le spectre d’une guerre
déclenchée par erreur ou par un fou. Le syndrome de la guerre presse-bouton déclenchée par
un paranoïaque est illustré par le film Docteur Folamour, de Stanley Kubrick, 1964. La peur
de l’anéantissement total de la terre par Chroniques martiennes de Ray Bradbury… Cette peur
a aujourd’hui disparu, relayée il est vrai par celle du « collapse », de la catastrophe écologique
due au réchauffement climatique, mais il faut se souvenir que lors de la crise de Cuba
notamment, on s’est dangereusement rapproché d’un conflit nucléaire !
2) La variante française : la « dissuasion du faible au fort » : A son retour
au pouvoir en mai 1958, le général De Gaulle est désireux de « rendre à la France son rang ».
Dans le contexte de la Guerre Froide et de la décolonisation, cela signifie d’abord la rendre
moins dépendante du « parapluie atomique » américain. Or les Etats-Unis avaient refusé de
protéger les franco britanniques lorsque les Soviétiques les avaient menacés de représailles
nucléaires lors de la crise de Suez en 1956 . Ensuite cela signifie donner à la France le « feu
nucléaire », devenu depuis Hiroshima le symbole par excellence de la puissance d’un Etat, se
substituant à un empire colonial condamné par l’histoire. De Gaulle décide en 1958 de doter
la France de l’arme nucléaire, contre l’avis des Américains, ce qui l’amènera à retirer les
troupes françaises du commandement intégré de l’OTAN en 1966 (que la France vient de
réintégrer pleinement au terme d’un processus engagé par J. Chirac voici plus de 12 ans).
Contrairement à la dissuasion britannique dont l’engagement ne peut se faire qu’en
concertation avec les USA (les SNLE britanniques sont équipés de missiles américains
Trident), la force de frappe française est totalement indépendante, depuis la conception et la
fabrication des charges ou des vecteurs jusqu’au guidage. Elle repose sur le principe de la
« dissuasion du faible au fort », c’est-à-dire que la France doit disposer d’une capacité de
destruction suffisante pour rendre l’invasion ou la destruction de son territoire contreproductive. Avec environ 300 charges nucléaires pouvant être envoyées dans des délais très
brefs -c’est les cas depuis la fin des années 1970-, aujourd’hui cette force de dissuasion repose
principalement (à 80%) sur la Marine nationale et notamment les 4 SNLE de la FOST, (force
océanique stratégique) : au moins un de ces 4 SNLE est en permanence en patrouille au fond
de l’Atlantique et peut envoyer 96 charges à guidage indépendant (16 missiles M45 à 6 têtes)
sur des objectifs pré-désignés (voir document 12). Le reste de la capacité de dissuasion repose
sur une soixantaine de chasseurs bombardiers Mirage 2000 (ou Rafale pour l’aéronavale)
dotés d’un missile de croisière, l’ASMP (Air Sol à Moyenne Portée).
« Pointe de diamant de la dissuasion » comme le disait François Mitterrand,
« assurance vie de la nation » comme l’a réaffirmé Nicolas Sarkozy, la Force océanique
stratégique et la dissuasion en général font aujourd’hui l’objet d’un consensus assez large de
l’UMP au PS. Cela n’avait pas été le cas lorsque De Gaulle avait lancé cet ambitieux
programme qui a monopolisé un tiers des crédits de la Défense pendant une trentaine
d’années : à cette époque les socialistes étaient pour le maintien dans l’OTAN et contre la
ruineuse « bombinette » selon le mot du Canard enchaîné. Aujourd’hui, le débat semble avoir
lieu à front renversé. Le PS, rallié depuis l’élection de Mitterrand en 1981 à la dissuasion,
critique le retour au sein du commandement intégré de l’OTAN comme un « abandon » de
souveraineté.
3) Les guerres asymétriques : L’autre caractéristique des conflits de la
seconde moitié du XX° siècle est la prolifération des conflits asymétriques, c’est-à-dire
opposant une armée conventionnelle disposant de la puissance de feu à des mouvements de
guérilla employant le terrorisme. Ces conflits ont d’abord pris la forme de conflits coloniaux :
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les mouvements nationalistes dans les colonies optant pour la lutte armée ont eu recours à la
« guerre révolutionnaire » théorisée par Mao ou le général vietnamien Giap. L’insurrection
doit compenser son infériorité en termes de puissance de feu par sa capacité à se fondre dans
la population civile, à « être dans le peuple comme un poisson dans l’eau » comme le disait
Mao. Dès lors les civils sont des otages ou des boucliers humains plus ou moins consentants
pour les uns, derrières lesquels s’abrite la guérilla… Ils deviennent progressivement des
ennemis pour l’armée conventionnelle extérieure au pays, ce qui a été l’origine de graves
dérives, voire de crime de guerre de part et d’autre, en particulier lors de la guerre d’Algérie :
utilisation systématique de la torture par l’armée française (la fameuse bataille d’Alger en
1957), assassinats de civils ou attentats contre des objectifs civils par le FLN de l’autre. Les
films ou romans consacrés à la guerre d’Algérie montrent tous cette réalité, depuis les
centurions de Mark Robson d’après Jean Lartéguy et la bataille d’Alger de Gillo Pontecorvo
jusqu’au remarquable film L’ennemi intime de Florent Emilio Siri sorti en 2007.
Si historiquement ces guerres asymétriques sont apparues dans le cadre de
guerres de décolonisation (Indochine et Algérie notamment), elles se sont rapidement
étendues à d’autres types de conflits, la guerre du Vietnam notamment ou plus récemment un
certain nombre de conflits du proche Orient. La configuration est toujours la même : les
insurgés, en se fondant parmi les civils, s’en servent comme de boucliers humains et
cherchent à provoquer la bavure, c’est-à-dire à amener leur adversaire, l’armée
conventionnelle, à tuer, délibérement ou non, des civils afin d’exploiter ces pertes civiles à
deux niveaux : au niveau interne afin de souder la population contre l’ennemi extérieur et au
niveau international en cherchant à prouver grâce aux « images globales », qui font le tour de
la terre sur CNN, Al Jazirah ou internet, que l’adversaire est mauvais puisqu’il tue les civils.
L’armée conventionnelle pour sa part doit arbitrer en permanence entre le soucis d’éviter au
maximum les « dommages collatéraux » désastreux en termes d’image et la recherche de
l’efficacité qui l’amène à décider des tirs en sachant que des civils risquent d’être tués. Les
forces de l’OTAN sont aujourd’hui confrontées à une guerre asymétrique de ce type en
Afghanistan, les forces américaines et britanniques l’ont été en Irak de 2003 à 2008, ou encore
l’armée israélienne au Liban en 2006 ou à Gaza en décembre 2008.
III)
Guerre et société : les figures de la guerre
A) La guerre héroïque
Stendhal : la chartreuse de Parme : Fabrice del Dongo à Waterloo
Balzac : Le médecin de campagne : le grognard Goguelat contant « le Napoléon du peuple »
B) L’horreur de la guerre
1) Les Temps modernes
Alonso de Contreras, Mémoires : la guerre de course en Méditerranée contre les Turcs …
2) La guerre au XIX° siècle
Emile Zola, La débâcle : la bataille de Sedan.
3) La Grande Guerre
Ephraïm Grenadou, Alain Prévost, Grenadou paysan français : les tranchées
Conclusion : la guerre au XXI° siècle, risque nucléaire, l’illusion de la « guerre propre » et
« la guerre spectacle »
Au début du XXI° siècle, plusieurs figures de la guerre coexistent.
L’apocalypse nucléaire, la guerre d’anéantissement, s’est éloignée de nous avec la fin de la
Guerre Froide mais la perspective d’une guerre nucléaire limitée qui serait tout de même
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effroyablement meurtrière subsiste. Il suffit pour s’en persuader d’écouter les déclarations du
président iranien Ahmadinejad qui souhaite « rayer Israël de la carte ». Les démocraties
occidentales, hantées par la peur d’une troisième guerre mondiale puis, depuis les années
soixante et soixante-dix, par les « sales guerres » du Vietnam ou de l’Algérie, ont cultivé une
double illusion. D’abord celle que la guerre pouvait être gagnée sans avoir à la faire, qu’elle
n’était plus qu’une affaire de balance stratégique, d’équilibre nucléaire et de gesticulation, le
spectre de l’apocalypse nucléaire et la rationalité présumée de l’adversaire permettant d’éviter
le pire. C’est finalement le syndrome de la ligne Maginot, nucléaire cette fois. L’autre illusion
est celle de la guerre propre ou sans morts, c’est-à-dire celle de la guerre technologique que
l’on pourrait gagner sans engagement au sol et en limitant, grâce aux armes intelligentes, les
pertes civiles chez l’adversaire : cette illusion a triomphé durant la guerre du Golfe de 1991 et
durant la guerre du Kosovo, en 1999, où la campagne de bombardement aérien de l’OTAN a
suffi à faire plier le régime national-communiste de Milosevic.
La première illusion est évidemment remise en cause par les programmes
nucléaires nord-coréen et iranien : peut-on raisonnablement parier sur la rationalité de Kim
Jong Il ou de Mahmoud Ahmadinejad ? La seconde illusion, celle de la guerre propre, avec
zéro mort ou presque chez le vainqueur, est mise à mal par les conflits en Irak ou en
Afghanistan : l’engagement au sol reste dans la plupart des cas le seul moyen de gagner une
guerre, et c’est évidemment là que la puissance de feu montre ses limites. Il a fallu 3 semaines
et une soixantaine de morts aux Américains et aux Anglais pour triompher de Saddam
Hussein, mais 5 ans et plus de 4 000 morts pour parvenir à stabiliser suffisamment l’Irak pour
envisager un retrait graduel. Par ailleurs, le bilan négatif en termes d’image de 5 ans de guerre
asymétrique jalonnés par de nombreuses bavures montre que les smart weapons ne suffisent
pas à éviter les dommages collatéraux. Ceux-ci, même s’ils sont réduits, sont moins tolérés à
l’âge des mass média et des images globales.
Le troisième aspect de la guerre moderne est en effet la guerre spectacle.
L’omniprésence des images et leur impact sur l’opinion publique, notamment dans les
sociétés démocratiques, transforment les médias en nouveau front. Les Américains ont surtout
perdu la guerre du Vietnam à la télévision à partir de l’offensive du Têt de février 1968. D’où
la volonté de mieux maîtriser l’information lors des deux guerres d’Irak en 1991 et 2003.
Mais où se situe la frontière entre la volonté légitime de combattre la désinformation et la
censure ?
La dernière question est justement celle de l’attitude des opinions publiques
face à la guerre, autrement dit celle de la résilience pour reprendre l’expression popularisée
par Boris Cyrulnik, la capacité à supporter les épreuves (attentats, victimes au combat etc.)
notamment en se rassemblant. Les démocraties sont-elles capables d’affronter la guerre, dans
quelles conditions et à quel prix ? Vivre en paix et vivre libres suppose en effet être capable
d’accepter la guerre quand certains vous l’imposent (ce qui a été le cas des Etats-Unis le 11
septembre et des Britanniques ou des Espagnols lors des attentats de Madrid ou de Londres en
2004 et 2005) ou de s’y préparer tout en souhaitant ne pas avoir à la faire. S’y préparer, c’est
aussi savoir qu’elle a un prix et que ce prix est toujours économique et humain.
Bibliographie
Ouvrages historiques
Jean-Noël Jeanneney, La guerre dans tous ses états, Nouveau Monde, 2008
Pierre Miquel, La Grande Guerre, Fayard, 1983
15
Pierre Miquel, La Seconde Guerre mondiale, Fayard, 1986
Jean-Jacques Becker et Stéphane Audoin-Rouzeau, Encyclopédie critique de la Première
Guerre Mondiale, Bayard, 2004
Annette Becker et Stéphane Audoin-Rouzeau, La Grande Guerre, 1914-1918, Gallimard,
1998
Annette Becker et Stéphane Audoin-Rouzeau, 14-18. Retrouver la guerre, Gallimard, 2000
Stéphane Audoin-Rouzeau, Les combattants des tranchées, Armand Colin, 1986
George L. Mosse, De la Grande Guerre au totalitarisme. La brutalisation des sociétés
européennes, (Fallen Soldiers. Reshapping the Memory of the World Wars, Harvard 1991),
édition française: Hachette, 1999
Marc Bloch, Réflexion d’un historien sur les fausses nouvelles de guerre, 1921, rééd 1997
Sources littéraires et témoignages
Sur l’Antiquité
Thucydide, La guerre du Péloponnèse
César, La guerre des Gaules
Sur les Temps Modernes
Alonso de Contreras, Discours de ma vie depuis que je partis pour servir le roi, à l’âge de
quatorze ans, en l’an 1595, jusqu’à la fin de l’an 1630. rééd. Viviane Hamy, 1990
Sur le XIX° siècle
Tolstoï, Guerre et paix
Stendhal, La Chartreuse de Parme
Zola, La débâcle
Maupassant, Mademoiselle Fifi
1914/1918
Erich Maria Remarque, A l’Ouest rien de nouveau, 1928, Stock
Jean Giono, Le grand troupeau, 1931
L-F Céline, Voyage au bout de la nuit, 1932
Ephraïm Grenadou, Grenadou paysan français, 1966, Seuil
William Boyd, Comme neige au soleil, 1983/1985, Balland
Ernst Jünger, Orage d’acier, 1920
Marc Dugain, La chambre des officiers, 1999
« Lettres de poilus », Lettres et carnets du front, 1914-1918, Radio France
Roger Martin du Gard, Les Thibault, 7° partie « L’été 1914 », 1936, rééd. Gallimard, Pléiade,
œuvres complètes, 2004
1939/45
Pierre Closterman, Le grand cirque : mémoires d’un pilote de chasse FFI dans la RAF, 1948
Robert Merle, Week-end à Zuydcoote,,1949, Gallimard
Roger Nimier, Le hussard bleu, 1950, Gallimard
Julien Gracq, Le balcon en forêt, 1958
Guerre d’Indochine et d’Algérie
Pierre Schoendoerffer, La 317° section, 1963, rééd. 2004, Robert Laffont
Jean Lartéguy, Les centurions, 1963
16
La dissuasion
Robert Merle, Le jour ne se lève pas pour nous, 1986, Plon
Ray Bradbury, Chroniques martiennes, 1950, 1955 pour l’éd. Fr., Denoël
Revues & articles
Les Collections de l’Histoire N°21, 1914-1918, La Grande Guerre, octobre-décembre 2003
Jean-Baptiste Duroselle, 1940: la France sans stratégie, L’Histoire n° 20, février 1980
Jean-Yves Le Naour, Le champ de bataille des historiens, La vie des idées.fr, 10/11/2008
Filmographie
Antiquité et Temps Modernes
Alexandre, Oliver Stone, 2005
Master and Commander, Peter Weir, 2003
Grande Guerre
Capitaine Conan, Bertrand Tavernier, 1996
Johnny got his gun, Dalton Trumbo, 1971
Les sentiers de la Gloire, Stanley Kubrick, 1957
Lawrence d’Arabie, David Lean, 1962
La chambre des officiers, François Dupeyron, 2001
Seconde guerre mondiale
Lettres d’Iwo Jima, Clint Eastwood, 2006,
Mémoire de nos pères, Clint Eastwood, 2006
Il faut sauver le soldat Ryan, Steven Spielberg, 1998
La ligne rouge, Terrence Mallick, 1999
Le jour le plus long, Daryl F. Zanuck, 1962
Paris brûle-t-il ? René Clément, 1966
Le pont de la Rivière Kwaï, David Lean , 1957
Indigènes, Rachid Bouchareb, 2006
Les égarés, André Téchiné, 2004
Algérie
La bataille d’Alger, Gillo Pontecorvo, 1966
Les centurions, Mark Robson, 1966
Avoir vingt ans dans les Aurès, René Vauthier, 1972
L’ennemi intime, Florent Emilio Siri, 2007
Indochine et Vietnam
La 317° section, Pierre Schoendoerffer, 1965
La section Andersen (documentaire), Pierre Schoendoerffer, 1968
Apocalypse Now, Francis Ford Coppola, 1979
Platoon, Oliver Stone, 1986
Voyage au bout de l’enfer, Michael Cimino, 1979
17
Sites de l’Historial de la Grande Guerre
Historial.org (site de l’Historial de Péronne)
Sites sur l’actualité des questions de défense
meretmarine.com
Secret défense (libération.fr), de Jean-Dominique. Merchet
Défense ouverte (lepoint.fr), de Jean Guisnel
18
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