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On voit donc qu’Aristote définit l’art comme imitation, et dans ce cas, l’art ne nous éloigne pas de la
réalité, mais au contraire vise celle-ci comme un idéal à atteindre. Le but de l’artiste n’est pas de
nous détourner du monde réel, mais de nous en rapprocher le plus possible.
Néanmoins, on peut remettre en question l’idée qu’imiter la nature serait nous rapprocher de la
réalité. L'imitation ne nous éloignerait-elle pas de la réalité ? Telle est la conception, surprenante,
défendue par Platon.
L’artiste nous éloigne de la réalité de trois degrés – Platon
On a jusqu’à présent retenu l’idée selon laquelle la « réalité » était le monde sensible, celui que nous
voyons. Dans ces conditions, il est logique de considérer que l’œuvre d’art qui imite le monde
sensible nous rapproche de la réalité.
Tout change si l’on considère, comme Platon, que la réalité n’est pas le monde sensible que nous
contemplons. Platon considère que le monde sensible n’est qu’une apparence, un simple reflet du
monde réel, le monde intelligible, ou monde des Idées.
Alors que les choses du monde sensible sont soumises au changement et sont donc caractérisées par
une forme dégradée d’être, les Idées du Monde intelligible sont éternelles : alors que les hommes
vieillissent et meurent, l’Idée de l’Homme en soi reste éternellement ce qu’elle est.
De plus les étants sensibles tirent leur être des Idées auxquelles ils participent : c’est en participant à
l’Idée d’Homme que Pierre est homme. Ou en participant à l’Idée de Bien qu’une action est bonne.
Les choses du monde sensible ne sont donc que des reflets, au sens où ils ne tirent pas leur être
d’eux-mêmes, mais de manière dérivée, en participant à ce qui est réellement : le monde intelligible.
Dans cette perspective, qu’est-ce qu’un artiste ?
En imitant le monde sensible, l’artiste imite un reflet, une apparence. En tant que reflet, le monde
sensible est en lui-même une copie, une imitation du vrai monde, intelligible. L’artiste imite… une
imitation ! Il nous éloigne donc de la vraie réalité de trois degrés, ainsi que l’explique Platon dans le
livre X de la République. Il distingue le Lit en soi, la vraie réalité, le menuisier qui imite le lit, et le
peintre qui imite l’imitation du lit :
« Et le menuisier ? Nous l'appellerons l'ouvrier du lit, n'est-ce pas ? G. - Oui.
S. - Et le peintre, le nommerons-nous l'ouvrier et le créateur de cet objet ? G. - Nullement.
S. - Qu'est-il donc, dis-moi, par rapport au lit ?
G. - Il me semble que le nom qui lui conviendrait le mieux est celui d'imitateur de ce dont les deux
autres sont les ouvriers.