Séquence 5 : Épistémologie et métaphysique Cours 5.1 : La raison et le réel, la vérité, la démonstration, l’histoire, l’interprétation L'opinion est la simple affirmation d'une idée ; l'opinion est subjective, relative aux croyances particulières de l'individu La vérité est la correspondance entre une affirmation et la réalité ; la vérité est objective et universelle I – La démonstration en mathématiques Au sens large, la démonstration désigne tout type de preuve. Au sens strict, la démonstration désigne la démonstration mathématique. Une démonstration est un raisonnement déductif ; la déduction, à la différence de l'induction, repose sur un lien purement logique, qui ne repose pas sur l'expérience Il ne faut pas réduire la pratique des mathématiques à la démonstration. La recherche mathématique repose aussi sur l'intuition de connexions, de liens, d'analogies entre différentes idées mathématiques. Dans une déduction, la conclusion est nécessairement vraie si les prémisses sont vraies (dans l'induction, la conclusion est seulement probablement vraie). Pour pouvoir parler de démonstration, il faut faire une déduction à partir de prémisses reconnues comme vraies. En mathématiques, la démonstration repose souvent sur des théorèmes reconnues comme vraies, mais on peut aussi chercher à démontrer ces théorèmes à partir d'axiomes (= les principes fondamentaux d'une théorie). La démonstration est ainsi un modèle de certitude où l'on s'efforce de construire un édifice théorique à partir de principes clairs et de liens purement logiques. On ne voit pas comment on pourrait démontrer les axiomes eux-mêmes, étant donné que les axiomes sont les principes les plus élémentaires d'une théorie. Qu'est-ce qui permet alors d'affirmer la vérité des axiomes si on ne peut pas les démontrer ? – Faut-il considérer que les axiomes sont des vérités évidentes par elles-mêmes ? (Pascal) – Mais l'histoire des mathématiques montre que des principes qui semblaient évidents en eux-mêmes se sont en fait révélés partiellement faux. (exemple : la critique par Galilée de l'idée que “le tout est plus grand que la partie” ; le cas des géométries non-euclidiennes). – Plusieurs systèmes axiomatiques semblent donc possibles, avec des théorèmes différents. Une vérité démontrée ne l'est qu'à l'intérieur d'un système théorique particulier. Le choix d'un cadre théorique par rapport à un autre, n'est pas une question de vérité, mais d'utilité, de pertinence (Poincaré). II – L'expérience dans les sciences de la nature L'empirisme consiste tout d'abord à privilégier l'observation des faits, du réel concret plutôt que l'élaboration de constructions intellectuelles abstraites. Pour l'empirisme, il n'y a pas de connaissance a priori (avant d'avoir fait une expérience). La connaissance est a posteriori : elle dérive de l'expérience. Mais l’expérience est-elle vraiment le point de départ des théories scientifiques ? L'histoire des sciences semble montrer que le plus souvent, c'est la théorie qui précède l'expérience (cf. l'exemple de la découverte de Neptune). Quelles sont les raisons pour lesquelles la théorie précède l'expérience ? (i) L’expérience, dans sa finalité, vise à tester une théorie ; l'expérience est donc guidée par la théorie. (ii) L'expérience, du point de vue des moyens employés, repose sur des instruments scientifiques de mesure et d'observation, qui nécessitent, tant pour leur fabrication que de leur utilisation, une maîtrise de théories scientifiques. L'expérience d'un grand nombre d'observations particulières qui confirment une théorie semble pouvoir jouer le rôle de preuve de la vérité de cette théorie. On a ici une forme de raisonnement par induction, par généralisation à partir des cas particuliers qui confirment la théorie. D'autre part, l’expérience peut-elle vraiment jouer le rôle d'une preuve ? On peut critiquer l'induction qui prétend passer d'une série d'observations particulières à l'affirmation d'une vérité générale : même si une théorie se vérifie de nombreuses fois dans des expériences diverses, il est possible qu'il y ait une exception que l'on n'ait pas encore pris en compte (cf. le cas de la théorie de Newton). Si l'expérience ne peut constituer une preuve de la vérité d'une théorie, l'expérience semble permettre de pouvoir prouver la fausseté d'une théorie. Toute la démarche scientifique repose sur ce principe selon Popper : une théorie scientifique n'est pas une théorie prouvée de manière rigoureuse et certaine, c'est une théorie ouverte à la critique, qui cherche à faire des expériences pour tester les théories (l'expérience vise à éprouver les théories plutôt qu'à les prouver). Mais l’expérience peut-elle vraiment jouer le rôle de critère de fausseté ? Si l’expérience n’est pas en accord avec la théorie, cela ne signifie pas immédiatement que la théorie est fausse, il est possible que l'expérience soit faussée, ou bien il est possible qu'on puisse sauver la théorie en ajoutant, supprimant ou modifiant une hypothèse secondaire (cf. cas de la découverte de Neptune). III – Les “sciences humaines” sont-elles vraiment des sciences ? Le cas de l'histoire L’histoire (comme discipline) cherche à comprendre l’histoire (la réalité du passé) sans raconter d’histoires (l’histoire comme récit fictif). Mais tout groupe social construit une certaine représentation, une mémoire partielle et partiale de son propre passé (cf. le résistancialisme). L'histoire doit donc parvenir à dépasser les “transformations imaginatives du passé” (Raymond Aron) Mais l'histoire relève avant tout d'une pratique de l'interprétation. Tout d'abord, considérer un événement comme un fait historique relève d’une interprétation du passé. Dans l’historiographie classique, il y a objectivement, dans la réalité, des faits historiques, des grandes dates, des grands personnages. Dans l’historiographie moderne, un fait n'est historique que par rapport à une certaine perspective envisagée sur le passé (cf. Paul Veyne : “Le fait n’est rien sans son intrigue”). La démarche de l’historien repose sur la construction d’hypothèses (les archives, les documents n'ont de sens que comme support d'une interrogation d'un historien) et le test rigoureux de ces hypothèses (par la confrontation de ces hypothèses aux documents, et le contrôle de la fiabilité de ces documents) D'autre part, au sens strict, les sciences humaines visent à comprendre les phénomènes humains, plutôt qu'à les expliquer. La compréhension repose sur une interprétation, une herméneutique, qui cherche les raisons, le sens d'un phénomène humain (principalement à travers une mise en récit), tandis que l'explication repose sur la mise en évidence des lois et des causes à l'œuvre dans un phénomène naturel (principalement à travers un protocole expérimental). La recherche d'objectivité et l'utilisation d'une méthode rigoureuse semblent faire de l'histoire une discipline scientifique. La notion de sens de l’histoire renvoie avant tout à l’idée d’une direction de l’histoire (principalement à l'idée de progrès). Par exemple, dans la conception idéaliste de Hegel, l'histoire est un progrès vers la réalisation de l'Esprit, tandis que dans la conception matérialiste de Marx, l'histoire est une lutte des classes qui tend vers une société sans classes sociales. Limites : Cette idée d'un sens de l'histoire se heurte aux faits (l'histoire manifeste-t-elle vraiment un progrès ? Cf. cours 3.1), et à une accusation forte d'ethnocentrisme (Cf. cours 1.2 sur la critique par LéviStrauss de l'idée de progrès). Comment peut-on parvenir à la vérité ? Les sciences dites "exactes” ont développé des méthodes qui semblent constituer des modèles de rigueur et d'objectivité (la démonstration en mathématiques, l'expérience dans les sciences de la nature), tandis que les sciences humaines sont parfois contestées dans leur statut scientifique (et considérées alors comme des “sciences molles”). Cette représentation correspond-elle à la réalité ? Les sciences “exactes” permettent-elles vraiment de parvenir à des vérités absolues et incontestables ? Faut-il vraiment refuser aux sciences humaines le statut de science ? Cours 5.2 : La religion I – Peut-on expliquer le fait religieux ? Une religion, c'est (i) un univers de croyances et de pratiques ; (ii) une communauté organisée (un lien horizontal) ; (iii) une relation au sacré (un lien vertical) Religion et psychologie (le modèle de Freud) : la religion est une illusion, une croyance qui dérive de désirs fondamentaux (un besoin affectif de protection, un besoin intellectuel de compréhension du monde et de soi-même, un besoin moral de justice) Religion et sociologie (le modèle de Durkheim) : la force de la religion vient de sa capacité à créer, entretenir et renforcer le lien social entre individus. Religion et économie (le modèle de Marx) : la religion est “l'opium du peuple” : la croyance au sacré permet d'oublier la misère matérielle, mais elle ne délivre pas des causes de la souffrance (elle maintient dans l’inaction et empêche la révolte contre l'état de fait) . Mais, on peut distinguer, avec Bergson, 2 formes de religion : la religion statique, qui se prête bien à l'analyse par les sciences humaines, et la religion dynamique comme élan spirituel intérieur, qui ne se réduit pas à ce type d'analyses. II - La croyance en un dieu est-elle rationnelle ? L'argument cosmologique : toute chose a une cause, donc le monde doit avoir une cause (Dieu). Limite : la raison nous conduit à la question “Pourquoi le monde existe-t-il ?”, mais peut-on vraiment répondre rationnellement à cette question ? L'argument téléologique : Le monde présente un degré important de complexité et d’organisation, qui ne pourrait s’expliquer que par la présence d’une cause intelligente (cf. l'exemple de la montre trouvée sur une île déserte). Limite : on dispose de modèles scientifiques de l'explication de la complexité qui ne font pas appel à une cause intelligente (ex. : théorie de l'évolution) L'argument naturaliste : Dieu n'est pas observable, et l'hypothèse d'un Dieu n'a pas un grand pouvoir explicatif, il n'y aurait donc pas de bonne raison de croire en Dieu. Limite : la rationalité d'une croyance repose-t-elle sur l'existence d'une preuve de sa vérité ? L'argument du mal : Si le mal existe, et si Dieu est bienveillant, omniscient et omnipotent, alors il n'est pas possible que Dieu existe. Limite : cf. les théodicées fondées sur le libre arbitre humain ou l'incompréhensibilité de Dieu pour l'esprit humain. La spécificité des croyances religieuses nous invite à les questionner du point de leur origine de fait (comment peut-on expliquer leur force, leur impact aussi important sur les individus et dans l'histoire de l'humanité ?) et du point de vue de leur fondement en droit (les croyances religieuses sont-elles rationnelles ? Doit-on les considérer comme irrationnelles ?).