Article original
TUMEURS DE PANCOAST-TOBIAS
AVEC ENVAHISSEMENT VERTEBRAL :
CLASSIFICATION ANATOMO-CHIRURGICALE,
TECHNIQUE D’EXERESE, RESULTATS.
EN-BLOC RESECTION OF NON-SMALL-CELL
LUNG CANCER INVADING THE
THORACIC INLET AND THE SPINE
E. Fadel, Ch. Court*, G. Missenard*,A. Chapelier, S. Mussot, Ph. Dartevelle
Département de Chirurgie Thoracique, Vasculaire et de Transplantation Cardio-Pulmonaire,
Hôpital Marie-Lannelongue, Le Plessis Robinson, France
*Service de chirurgie orthopédique, Hôpital Marie-Lannelongue, Université Paris-Sud
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DOSSIER
RACHIS - Vol. 16, n°2, Juin 2004
Ledéveloppement de la cervico-thoracotomie
trans-claviculaire par Dartevelle et coll. dans les
années 80 a permis d’obtenir la résection com-
plète des cancers broncho-pulmonaires envahissant la
jonction cervico-thoracique avec de bons résultats, même
en cas d’envahissement des vaisseaux sous-claviers (1-2).
L’envahissement direct par la tumeur du corps vertébral
ou des trous de conjugaison intervertébraux est souvent
considéré comme inopérable. En revanche, l’envahisse-
ment massif du corps vertébral reste pour nous une cont-
re-indication chirurgicale car il est souvent associé à une
maladie métastatique et à une faible survie (3).
Lorsque le cancer broncho-pulmonaire envahit direc-
tement le trou de conjugaison le long d’une ou plu-
sieurs racines nerveuses sans extension dans le canal
rachidien une résection complète mono-bloc nous
paraît réalisable. Nous avons développé une approche
multidisciplinaire associant à la cervico-thoracotomie
trans-claviculaire, une voie d’abord médiane posté-
rieure permettant de réséquer les cancers broncho-
pulmonaires envahissant la jonction cervico-thora-
cique et les trous de conjugaisons intervertébraux.
Pour diminuer les risques de récidive locale, la dis-
section est faite en tissus sains et la résection ver-
brale a été effectuée sur au moins trois niveaux pour
emporter au moins deux trous de conjugaison. Nous
rapportons et discutons les résultats de cette technique
chirurgicale.
Classification
anatomo-chirurgicale
L’extension au rachis du cancer broncho-pulmonaire
peut être classée en 4 stades successifs :
Stade I : Envahissement de l’angle costo-vertébral
sans atteinte du corps vertébral ni du trou de
conjugaison (figure 1)
Stade II : Envahissement du trou de conjugaison
intervertébral et/ou du périoste du corps vertébral
Stade III : Envahissement limité de l’os spongieux
du corps vertébral
Stade IV : Envahissement massif du corps verté-
bral et/ou du canal spinal.
Cette classification a un impact notable sur la technique
opératoire et sur le pronostic. En effet, les tumeurs de
stade I peuvent être carcinologiquement réséquées par la
voie d’abord antérieure trans-claviculaire en effectuant
une ostéotomie d’avant en arrière partant du corps verté-
bral et emportant l’apophyse transverse homolatérale
avec la tête de la côte (figure 1). Pour ce stade aucune
instabilité vertébrale n’est induite par la résection et il
n’est donc pas nécessaire d’effectuer une fixation rachi-
dienne. Les cancers à ce stade ont le même pronostic que
le cancer broncho-pulmonaire envahissant la jonction
cervico-thoracique sans extension au rachis. Le geste
osseux n’augmente pas notablement la complexité de la
procédure chirurgicale ni la morbidité post-opératoire.
Pour les tumeurs de stade II, l’envahissement du
périoste du corps vertébral et/ou du trou de conjugai-
son rend impossible l’ostéotomie en zone saine par
voie antérieure. Une voie d’abord postérieure permet-
tra d’effectuer une hémi-laminectomie, de sectionner
les racines et environ le tiers du corps vertébral en
mono-bloc et ainsi de passer en zone saine de façon
plus aisée comme le montre la figure 2. Cette résection
impose une fixation rachidienne.
Le stade III se caractérise par l’extension directe à l’os
spongieux du corps vertébral au-delà du périoste. Un
double abord est là aussi indispensable. L’abord posté-
rieur permettra d’effectuer l’hémi-laminectomie, l’hé-
mi-vertébrectomie des deux tiers pour passer en zone
saine et la fixation rachidienne.
Le stade IV constitue pour nous une contre-indication
àla résection chirurgicale première. La chirurgie ne
peut être envisagée qu’après une chimiothérapie néo-
adjuvante qui aura fait disparaître les signes IRM de
l’envahissement de l’os spongieux et du canal spinal.
Cette résection devra alors emporter tout le corps ver-
tébral initialement envahi.
Le traitement chirurgical des stades II, III et IV aug-
mente significativement la complexité de la procédure.
Dans ce travail nous exposons la technique chirurgica-
le et les résultats préliminaires du traitement chirurgi-
cal des stades II à IV
.
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E. Fadel, Ch. Court, G. Missenard, A. Chapelier, S. Mussot, Ph. Dartevelle
RACHIS - Vol. 16, n°2, Juin 2004
Figure1:cancer broncho-pulmonaireenvahissant la jonction cervico-tho-
racique et l’angle costo-vertébral (stade I). Sa résection peut se fairepar
la voie antérieure trans-cervicale d’avant en arrière en coupant l’apophy-
se transverse.
Figure 2 : IRM montrant un cancer broncho-pulmonaire envahissant la
jonction cervico-thoracique droite et le trou de conjugaison le long de la
racine nerveuse D1.
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Tumeurs de Pancoast-Tobias avec envahissement vertébral : classification anatomo-chirurgicale, technique d’exérèse, résultats.
RACHIS - Vol. 16, n°2, Juin 2004
Malades et Méthodes
De Janvier 1980 à Novembre 2003, 100 patients pré-
sentant un cancer broncho-pulmonaire envahissant la
jonction cervico-thoracique responsable d’un syndro-
me de Pancoast et Tobias ont été opérés par cervico-
thoracotomie trans-claviculaire dans notre service.
Parmi ces patients, la tumeur envahissait l’angle costo-
vertébral (Stade I) dans six cas (6%) nécessitant la
résection concomitante de l’apophyse transverse et
une ostéotomie tangentielle de 10 % du corps verté-
bral. Ces six patients n’ont pas été inclus dans l’étude
et ont été assimilés au groupe sans envahissement du
rachis. Depuis octobre 1994, 21 patients (21%) avaient
un envahissement direct d’au moins deux trous de
conjugaison intervertébraux par la tumeur. Ils ont été
opérés par double abord chirurgical associant un abord
postérieur à la cervico-thoracotomie trans-claviculai-
re. Ces 14 hommes et de 7 femmes avec un âge moyen
de 47 ans (extrêmes : 37-71ans) sont la base de cette
étude.
Le bilan préopératoire comprenait des radiographies tho-
raciques standard du thorax ainsi qu’une imagerie par
résonance magnétique (IRM) centrée sur les trous de
conjugaison intervertébraux concernés. L’envahissement
vasculaire était systématiquement recherché par une
aorto-artériographie des troncs supra-aortiques, une
phlébographie et une échographie-doppler. De même,
une artériographie médullaire a toujours été effectuée à
la recherche d’une artère médullaire naissant en regard
des trous de conjugaison envahis par la tumeur. La pré-
sence d’une telle artère représente une contre-indication
à la résection chirurgicale étant donné le risque de para-
plégie postopératoire.
L’envahissement des trous de conjugaison interverté-
braux a toujours été diagnostiqué en pré-opératoire à
l’IRM (figure 2). Aucun de ces patients ne présentait
d’envahissement du canal médullaire. Un tel envahis-
sement représente pour nous une contre-indication
chirurgicale. Un traitement néo-adjuvant a été effectué
chez 9 patients, comprenant une chimiothérapie isolée
dans 8 cas et une chimio-radiothérapie dans un cas. Un
autre patient avait eu une tentative de résection tumo-
rale par thoracotomie dans un autre centre.
Technique chirurgicale
Le monitorage comprend une pression artérielle san-
glante, une voie veineuse centrale et une température
rectale. Une intubation trachéale sélective (sonde de
Carlins) est mise en place. Le patient est placé en
décubitus dorsal, la tête en extension et tournée du
côté opposé à la tumeur.La partie supérieure de l'hé-
mithorax et le cou sont soulevés par un billot.
L'incision cutanée est faite en L inversé comprenant
une branche verticale suivant le bord antérieur du
sterno-cléido-mastoïdien depuis la mastoïde jusqu'au
dessous de la fourchette sternale et une branche hori-
zontale le long du bord supérieur de la deuxième côte
et prolongée dans le sillon delto-pectoral (figure 3).
Le chef sternal du sterno-cléido-mastoïdien est sec-
tionné en laissant une longueur de tendon suffisante
pour permettre sa reconstitution en fin d'intervention.
Par cet abord, une exploration cervico-thoracique per-
met de s’assurer que la tumeur est extirpable de
manière carcinologique. Dès lors, la moitié interne de
la clavicule est sectionnée à la scie et désarticulée du
sternum et sera préservée comme greffon osseux. Un
volet musculo-cutané à charnière postéro-externe est
constitué. La résection tumorale est alors menée en
trois étapes : dissection des veines, des artères et
Figure 3 : Incision cutanée de la cervico-thoracotomie. Elle est faite en L
inversé comprenant une branche verticale suivant le bord antérieur du
sterno-cléido-mastoïdien depuis la mastoïde jusqu'au dessous de la four-
chette sternale et une branche horizontale le long du bordsupérieur de la
deuxième côte et prolongée dans le sillon delto-pectoral.
exposition du plexus brachial. Les veines jugulaire
interne et sous-clavière sont largement disséquées. A
gauche, le canal thoracique est lié et sectionné pour
éviter un écoulement chyleux. Si la veine sous-claviè-
re ou le tronc veineux innominé sont envahis, après
contrôle proximal et distal ils sont réséqués et non
reconstruits. L’artère sous-clavière est disséquée dans
un plan sous-adventitiel, mais si elle est envahie, elle
doit être réséquée en zone saine. Son contrôle distal
est facilité par la section du muscle scalène antérieur.
Le nerf phrénique doit être identifié sur la face anté-
rieure de ce muscle et respecté sauf s’il est envahi par
la tumeur. Les artères mammaire interne et cervicale
ascendante sont sectionnées. L’artère vertébrale est
sacrifiée si elle est envahie ou si l’artère sous-claviè-
re est envahie en regard de sa naissance. L’artère sous-
clavière réséquée doit être reconstruite du fait du
risque ischémique lié à la section de ses différentes
branches collatérales.
La reconstruction artérielle est effectuée de façon pré-
férentielle par une anastomose termino-terminale sans
interposition de prothèse à la fin du temps cervical.
Ceci est souvent possible car les premières côtes ont
été réséquées, donnant ainsi de la longueur à l’artère
sous-clavière. Cependant, si le segment d’artère résé-
qué est trop long entraînant un risque de tension
important sur l’anastomose termino-terminale, une
prothèse en polytetrafluoroethylene (PTFE) annelée de
calibre 6 ou 8 mm est utilisée.
La dissection du plexus brachial se fait de dehors en
dedans, allant des branches secondaires aux troncs pri-
maires. La racine D1 est toujours envahie par la
tumeur et doit être sectionnée au ras de la première
côte (figure 4) au niveau de la confluence avec C8.
Ceci facilitera la dissection de la racine C8 jusqu’en
regard de son trou de conjugaison. L’envahissement du
plexus brachial au dessus de D1 est considéré comme
une contre indication chirurgicale du fait du mauvais
pronostic.
Après ce temps cervical pur, une valve autostatique,
fixée sur la table opératoire, est placée sur le bord infé-
rieur de l’incision pour exposer le pédicule pulmonai-
re et le médiastin. Les côtes envahies sont sectionnées
latéralement en zone saine. Le rachis est abordé en
dedans de l’artère carotide primitive. Une attention par-
ticulière est portée à l’angle trachéo-oesophagien afin
de ne pas le léser par des écarteurs métalliques. La dis-
section de la face antérieure de la trachée et de l’axe
artériel permet de libérer l’axe viscéral du cou en une
seule unité. Après avoir écarté cet axe viscéral vers
l’autre côté, le ligament longitudinal antérieur du rachis
est exposé de la vertèbre C6 jusqu’à la vertèbre D5 si
nécessaire. Le nombre de vertèbre à réséquer est évalué
en pré-opératoire sur les données par IRM et confirmé
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E. Fadel, Ch. Court, G. Missenard, A. Chapelier, S. Mussot, Ph. Dartevelle
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Figure 4 : Cancer broncho-pulmonaire gauche envahissant les trous de
conjugaisons le long des racines D1 et D2 (A). Par la voie cervico-thora-
cique trans-claviculaire, la résection est faite en zone saine, la face anté-
rieure des corps vertébraux est libérée et un sillon creusé le long de la ligne
médiane du rachis (B). Un abordpostérieur médian du rachis est effectué
permettant une hémi-laminectomie de D1-D3, la section des racines D1 et
D2 dans le canal rachidien, l’hémi-vertébrectomie de D1 à D3 et la fixa-
tion rachidienne (C).
A
B
C
La pièce opératoire qui comprend en monobloc les
hémi-vertébrectomies avec les côtes, le poumon, et les
vaisseaux attenants est alors retirée par la voie posté-
rieure en faisant tourner la pièce d’avant en arrière et de
dedans en dehors. Du côté de la résection, le rachis est
fixé par une association vis-crochet (le plus souvent un
crochet supra-laminaire C7 et par des vis pédiculaires
sous la résection). De l’autre côté, le rachis est fixé par
des prises segmentaires, préférentiellement par vis pédi-
culaires plutôt que par crochets, réalisé avant l’ostéoto-
mie vertébrale afin de travailler sur une colonne stabili-
sée (5, 6). Une instrumentation en titane est utilisée
pour permettre la surveillance par IRM de la zone opé-
ratoire. A la fixation est associée une greffe osseuse
autologue venant de la crête iliaque et de la clavicule
réséquée.
Analyse statistique
Les résultats exprimés sont des moyennes ± écart-
types. Des courbes de survie de type Kaplan-Meier ont
été construites (7). Le suivi des patients a été effectué
par des radiographies standard, des tomodensitomé-
tries et des IRM de la jonction cervico-thoracique.
Résultats
La résection a été complète et en mono-bloc chez tous
les patients. La résection s’est étendue sur trois hémi-
vertèbres chez 15 patients (D1 à D3 (n=14), D2 à D4
en per-opératoire par la palpation atraumatique des
trous de conjugaison. Un sillon médian est creusé à la
face antérieure des corps vertébraux à réséquer pour
faciliter la section vertébrale durant la voie postérieure
(figure 4). Dans notre expérience, chez tous les
patients, au moins deux trous de conjugaison étaient
envahis par la tumeur. Par conséquent, une hémi-verté-
brectomie sur au moins trois étages a dû être effectuée.
Une lobectomie supérieure est alors réalisée en mono-
bloc par cette voie d’abord après section des artères,
des veines et de la bronche destinées à ce lobe. Le lobe
ainsi que toutes les autres structures réséquées sont
laissés en place accrochés par la tumeur au rachis. Un
curage ganglionnaire médiastinal complet (latéro-tra-
chéal, sous-carénaire, interaortico-pulmonaire,
médiastinal antérieur,latéro-oesophagien et du liga-
ment triangulaire) est réalisable. La cervico-thoracoto-
mie trans-claviculaire est alors fermée.
Le patient est alors placé en décubitus ventral et une
incision médiane permet d’exposer le rachis dorsal
depuis C6. Après hémi-laminectomie s’étendant du
côté de la vertèbre sus-jacente à celle sous-jacente aux
trous de conjugaisons envahis, les racines nerveuses
sont repérées, liées et sectionnées dans le canal rachi-
dien à leur émergence de la dure mère, en amont du
ganglion spinal de la racine postérieure. Les vaisseaux
segmentaires sont repérés, liés et coupés. Le corps ver-
tébral est sectionné à l’ostéotome en se dirigeant
depuis le canal rachidien d’arrière en avant, le long de
la ligne médiane (figure 4). Le sillon médian précé-
demment creusé sur la face antérieure des corps verté-
braux à réséquer est palpé et permet de guider la direc-
tion de l’ostéotome.
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Tumeurs de Pancoast-Tobias avec envahissement vertébral : classification anatomo-chirurgicale, technique d’exérèse, résultats.
RACHIS - Vol. 16, n°2, Juin 2004
Figure 5 : Radiographie post-opératoire montrant la fixation rachidienne.
Figure 6 : Courbe de survie globale des patients opérés d’un cancer bron-
cho- pulmonaire envahissant la jonction cervico-thoracique et les trous de
conjugaisons intervertébraux.
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