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Article 11

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Dossier
Claude Guérois
L’hémophilie aujourd’hui
hemophilia today
L’hémophilie est toujours en 2008 une maladie grave par ses séquelles musculoarticulaires chez les patients porteurs de la forme sévère de la maladie. Le
traitement de base repose sur l’injection intraveineuse de facteur VIII ou IX. Il
importe d’assurer une prophylaxie précoce et de la poursuivre au moins jusqu’à
l’âge adulte. Les patients doivent bénéficier d’un suivi régulier, pluridisciplinaire,
par des centres hospitaliers spécialisés.
MOTS CLES
KEY WORDS
coagulation, hémarthrose, hématome, hémophilie,
hémorragie, FVIII, FIX, prophylaxie
coagulation, hemarthrosis, hematoma, hemophilia,
hemorrhage, FVIII, FIX, prophylaxis
© 2009. Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés
© 2009. Elsevier Masson SAS. All rights reserved
Introduction
coagulation était de 4235 dont 3480 hémophiles A et 755
hémophiles B [2].
Connue depuis des millénaires comme une maladie hémorragique héréditaire, l’hémophilie n’a bénéficié d’un
traitement efficace que depuis la deuxième moitié du
XXe siècle. Le drame des contaminations virales (VIH et hépatite C) sur la décade 1980-1990 a touché plus de la moitié des hémophiles traités. En ce début de XXIe siècle, trois
défis restent à relever : la prévention efficace du handicap
fonctionnel secondaire à l’arthropathie hémophilique, la
disparition des inhibiteurs anti-facteur VIII ou anti-facteur
IX (complication thérapeutique la plus redoutée), l’accessibilité au traitement substitutif pour les hémophiles du
monde entier.
Kinésithérapie
la revue
Epidémiologie
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L’hémophilie est une maladie hémorragique constitutionnelle, rare et chronique. On distingue 2 types d’hémophilie selon la protéine de la coagulation déficitaire : hémophilie A si le déficit est lié au facteur VIII, hémophilie B
s’il est lié au facteur IX.
Ces déficits affectent
toutes les populations de
la planète avec une prévalence comparable de 13 à
18 pour 100 000 sujets de
Hématologue, CRTH Tours
sexe masculin. Le ratio
149 boulevard Jean Jaurès
37300 Joue-les-Tours
entre les hémophilies A et
[email protected]
B est de 4 pour 1 [1].
Article commandé le: 14/04/2008
En France, en octobre 2007,
Article reçu le: 27/07/2008
Article relu le:
le nombre d’hémophiles ré1er relecteur: 18/11/2008
pertoriés dans le registre nae
2 relecteur: 20/11/2008
tional FranceCoag des défi3e relecteur: 28/11/2008
Article accepté le: 04/12/2008
cits rares en protéines de la
Physiopathologie
Le syndrome hémorragique est secondaire au défaut qualitatif ou quantitatif du facteur VIII ou du facteur IX. Ces
facteurs (figure 1) correspondent à une étape indispensable
dans l’hémostase [3]. Leur absence ou leur mauvais fonctionnement entraîne un caillot de mauvaise qualité à l’origine des saignements primaires ou de leur reprise.
On distingue différents degrés de sévérité des hémophilies
A et B selon le taux du facteur anti-hémophilique (FAH)
(tableau I). Il existe en général une corrélation entre le taux
circulant de FAH et les manifestations hémorragiques.
Génétique
L’hémophilie est une maladie héréditaire, récessive, liée à
des gènes situés sur le chromosome X. Les gènes responsables de la synthèse des protéines facteur VIII et facteur
IX sont situés sur le bras long du chromosome X à deux
endroits distincts : Xq28 pour le facteur VIII, Xq27 pour le
facteur IX. Différentes anomalies génétiques à l’origine de
l’hémophilie aboutissent à l’absence totale de facteur VIII
ou de facteur IX fonctionnels et sont à l’origine de la plupart des formes sévères de la maladie. D’autres permettent
la synthèse d’un taux faible de facteurs VIII ou IX circulant à l’origine des formes modérées ou mineures.
La transmission par le chromosome X entraîne une expression clinique de la maladie chez l’homme et une transmission de la maladie pour les hommes et les femmes (figures 2
et 3). Dans une même famille, le type de l’hémophilie (A ou
B) et le degré de sévérité de la maladie sont toujours les
mêmes.
Kinesither Rev 2009;(88):32-6
Dossier
L’hémophilie aujourd’hui
Tableau I. Classification de l’hémophilie selon l’importance du déficit factoriel.
Activité coagulante
FVIII:C (%)
FIX:C (%)
Fréquence
des hémarthroses
Hémophilie A
Sévère
Modérée
Mineure
<1
1–5
5 – 35
> 50
> 50
> 50
+++
+
(+)
Hémophilie B
Sévère
Modérée
Mineure
50 – 100
50 – 100
50 – 100
<1
1–5
5 – 35
+++
+
(+)
facteur tissulaire / facteur VII
facteur VII activé
facteur XI activé
facteur XII activé
Facteur IX
facteur IX activé
+
facteur VIII activé
• facteur VIII =
facteur anti h
hémophilique A
• facteur IX =
Facteur anti h
hémophilique B
facteur X
facteur V
facteur X activé
+
Facteur II + plaquettes
facteur V activé
Facteur II activé (thrombine)
Fibrinogène
fibrine
+
Facteur XIII
CAILLOT
facteur XIII activ é
Figure 1. Schéma simplifié de la coagulation.
Dans 30 % des cas, il n’est pas possible de retrouver un
antécédent d’hémophilie dans la famille, on parle alors
d’hémophilie sporadique. L’hémophilie féminine existe,
mais elle est exceptionnelle.
Le recours au conseil génétique est indispensable dès le
diagnostic établi pour informer l’hémophile et sa famille et
préparer à la prise en charge ultérieure de l’ensemble de
la famille sur le plan génétique, en particulier pour aborder la transmission de la maladie.
Les hémarthroses
Les hémorragies intra-articulaires sont plus fréquentes
dans l’hémophilie sévère,
elles sont récidivantes et
douloureuses, leur nombre
varie entre 20 à 25 saignements
par an [4]. Elles apparaissent vers l’âge de 2-3 ans. Toutes les
articulations peuvent être touchées, mais les plus souvent atteintes sont le genou, la cheville et le coude. L’hémarthrose
aigüe, de diagnostic évident (figure 4), doit être traitée le plus
précocement possible. La répétition des hémarthroses sur une
même articulation entraîne très tôt des lésions irréversibles de
la synoviale et du cartilage [5] qui aboutissent à la destruction
de l’articulation, avec rétractions tendineuses, amyotrophie des
muscles adjacents (arthropathie hémophilique), source de handicap majeur dans l’hémophilie.
Séméiologie
Le tableau clinique est le même dans les 2 types d’hémophilie. Seuls les dosages biologiques permettent de distinguer l’hémophilie A de l’hémophilie B, d’établir le taux
exact du facteur déficitaire ainsi que l’existence ou non
d’un inhibiteur. Le bilan d’hémostase permet également de
Kinesither Rev 2009;(88):32-6
Les hématomes
Ces complications sont également redoutées. Leur gravité
est liée soit à leur volume (risque de spoliation sanguine),
soit à leur localisation (figure 5). Certains hématomes mettent en jeu le pronostic vital : hématome intracérébral ou
Kinésithérapie
la revue
Facteur VIII
facteur XI
facteur XII
faire le diagnostic différentiel avec les autres pathologies hémorragiques
constitutionnelles (maladie de Willebrand et déficit en FXI en particulier).
Les hémorragies dans
l’hémophilie sévère sont
toujours secondaires à des
traumatismes, souvent
minimes ; ils sont la plupart du temps non identifiés. Dans les formes
modérées, le saignement
est plus rare et secondaire
à des traumatismes plus
importants. Dans les
formes mineures, la découverte de l’hémophilie
peut être secondaire à un
bilan d’hémostase systématique ou à une complication hémorragique secondaire à un acte invasif.
Toutes les localisations du
syndrome hémorragique
sont possibles, mais les
plus caractéristiques et les
plus fréquentes sont les
localisations articulaires et
musculaires.
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Dossier
père hémophile
X X
XX
mère conductrice
XY
XX
XY
XY
100% des filles sont conductrices
100% des garçons ne sont pas hémophiles
Figure 2.Transmission de l’hémophilie (père hémophile).
Kinésithérapie
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rétro-péritonéal, localisation dans la sphère ORL. D’autres
localisations compromettent le pronostic fonctionnel
comme les hématomes
compressifs des membres
avec compression vasculaire
En dehors du traitement (risque ischémique) ou nersubstitutif, un suivi de veuse (risque de paralysie)
kinésithérapie est (figure 5), hématome périindispensable à chaque rachidien, rétro-orbitaire,
épisode aigu, mais également etc.
Un hématome mal résorbé ou
tout au long de la vie des
insuffisamment traité peut
hémophiles. également évoluer vers une
pseudotumeur hémophilique
avec formation d’une coque
fibreuse, adhérente aux plans adjacents qui peut ultérieurement évoluer pour son propre compte.
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Figure 4. Hémarthrose aigüe.
X X
XX
XY
XX
XY
XY
1/2 filles sont conductrices
1/2 garçons sont hémophiles
Figure 3.Transmission de l’hémophilie (mère conductrice).
Les hémorragies extériorisées
Elles sont de localisations variées (digestive, ORL, etc.),
souvent de diagnostic aisé mais inquiétantes pour le patient. Comme les autres localisations, leur prise en charge
doit être précoce.
Traitements
La base du traitement est l’apport du facteur anti-hémophilique (FAH) manquant. Les facteurs VIII et IX utilisés
respectivement dans l’hémophilie A et B sont des médicaments d’origine plasmatique ou biotechnologique. Leur
préparation est extemporanée et leur administration uniquement faite par voie intra-veineuse.
Les doses et leur renouvellement sont calculées en fonction de la demi-vie du FAH injecté (16 heures pour le facteur VIII, 24 heures pour le facteur IX), du poids du patient et du taux de FAH nécessaire pour obtenir pour une
hémostase efficace, en sachant que une unité de facteur
VIII ou IX injectée par kilogramme de poids augmente le
Figure 5. Hématome.
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taux circulant de facteur VIII de 2 % et le taux de facteur
IX de 0,8 à 1 %.
Dans l’hémophilie A mineure, un traitement par la desmopressine permet d’augmenter le taux de facteur VIII circulant de 2 à 6 fois chez les sujets répondeurs.
En dehors du traitement substitutif, un suivi de kinésithérapie est indispensable à chaque épisode aigu, mais également tout au long de la prise en charge régulière des hémophiles.
Chaque patient est porteur d’une carte où sont inscrits le
type, la sévérité de l’hémophilie et l’existence ou non d’un
inhibiteur ; l’hémophile possède également un carnet où
les accidents et leurs traitements sont répertoriés.
Le traitement substitutif peut être pratiqué ponctuellement à chaque épisode hémorragique, c’est le traitement à la demande. Pour être efficace, il doit être débuté le plus précocement possible après le début du
saignement et être poursuivi selon l’importance de l’hémorragie, de son évolution et du risque de récidive. Les
études rétrospectives et prospectives [6, 7] ont montré
les limites de ce type de traitement sur la prévention de
l’arthropathie hémophilique. Il a donc été proposé un
traitement préventif par injections régulières de FAH durant la petite enfance et au moins jusqu’à l’adolescence
[8, 9]. Il s’agit du traitement prophylactique. Les travaux du groupe international sur la prophylaxie (IPSG)
confirment les bénéfices de la prophylaxie et proposent
un schéma de traitement prophylactique en 3 étapes selon les tranches d’âge des patients hémophiles [10]. Durant les 10 premières années, la prophylaxie doit être
initiée soit dès les 2 premières hémarthroses, soit même
avant la première (prophylaxie primaire). Durant la
deuxième décade, la poursuite de la prophylaxie primaire est fortement recommandée, compte tenu cette
période de croissance.
Le problème soulevé est celui de l’observance à obtenir
chez des patients adolescents qui auront acquis la possibilité de l’auto-traitement. L’éducation thérapeutique
des patients prend ici toute sa place dans l’essai de résolution de cette difficulté (voir l’article suivant). Au cours
de la troisième décade, la prophylaxie est souhaitable
mais il est possible pour ces patients de revenir à un traitement à la demande selon le profil du risque hémorragique.
Un traitement prophylactique débuté tardivement (prophylaxie secondaire), ne permet pas d’éviter les atteintes
articulaires mais en ralentit l’évolution [11].
Les traitements substitutifs sont à l’origine de complications. L’apparition d’un inhibiteur est la complication la
plus redoutée actuellement. Les patients atteints peuvent
être traités par des médicaments court-circuitant les étapes
des facteurs VIII ou IX. Mais ce sont des traitements difficiles à utiliser, toujours en liaison étroite avec des centres
spécialisés.
Kinesither Rev 2009;(88):32-6
Dossier
Malgré la sécurité réelle des médicaments actuels mis à disposition, le risque de complications infectieuses reste une
préoccupation.
Des études sont en cours pour améliorer les médicaments
anti-hémophiliques : facteurs à demi-vie plus longue qui
faciliteraient les traitements
prophylactiques en diminuant le nombre d’injec- La répétition des hémarthroses
tions, médicaments moins sur une même articulation
immunogènes qui rédui- entraîne très tôt des lésions
raient le risque d’apparition irréversibles de la synoviale et
des inhibiteurs, enfin la pos- du cartilage qui aboutissent à
sibilité d’une thérapie géla destruction de l’articulation,
nique.
Les médicaments anti-hé- avec rétractions tendineuses et
mophiliques sont extrême- amyotrophie.
ment coûteux et leur utilisation est problématique dans les pays en voie de
développement.
En pratique, compte tenu des complications secondaires
aux problèmes hémorragiques, essentiellement articulaires, génératrices de handicap fonctionnel et de difficultés
d’insertion sociale pour les adultes, de l’angoisse générée
par le mode de transmission, l’hémophilie nécessite une
prise en charge pluridisciplinaire qui doit comporter au minimum un médecin spécialiste de l’hémophilie, une infirmière, un kinésithérapeute, un secrétariat. La collaboration d’un travailleur social et d’un psychologue est
indispensable. Une coordination est obligatoire pour le
suivi de l’ensemble des problèmes à résoudre : annonce du
diagnostic, prise en charge
du traitement substitutif,
gestion des urgences, réédu- Certains hématomes mettent
cation, suivi des complica- en jeu le pronostic vital:
tions infectieuses lorshématome intracérébral,
qu’elles existent, éducation
localisation dans la sphère ORL
thérapeutique du patient et
de sa famille, conseil géné- ou hématome rétro-péritonéal.
tique, difficultés psychologiques, etc.
L’organisation des soins aux hémophiles en France a été
mise en place dès 1989 au niveau de centres hospitaliers :
les centres régionaux de traitement de l’hémophilie
(CRTH). Depuis 2006, la prise en charge de l’hémophilie a
été intégrée au plan national des maladies rares. Un centre
national de références a été labellisé. Des centres de
compétence ont été reconnus.
Le maillage sur le territoire national doit être complété par
la désignation de centres associés. Ces structures ont pour
objectif de permettre une prise en charge globale et cohérente pour l’ensemble des patients. Une association de malades, l’Association Française des Hémophiles, participe activement à l’organisation des soins et au soutien des
familles.
Kinésithérapie
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L’hémophilie aujourd’hui
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Dossier
À l’échelle mondiale, la plupart des pays du nord de l’Europe et de l’Amérique ont des systèmes d’organisation satisfaisants. La fédération mondiale de l’hémophilie a pour
objectif principal de rendre possible dans les années à venir l’accès aux soins et aux traitements de l’ensemble de
la population mondiale atteinte d’hémophilie. ■
REFERENCES
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Kinesither Rev 2009;(88):32-6
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