Proposition de correction du commentaire de « Fonction du poète » de V. Hugo 2
en l'occurrence les poètes qui, rebelles à la volonté divine, s'écartent de la société alors que celle-ci est en proie
aux malheurs,aux « temps contraires ». C'est ainsi qu'à la manière de Jésus il formule, dans la première strophe,
trois malédictions à leur encontre, caractérisées par» l'anaphore du mot « Malheur » et l'utilisation du terme
«Honte » et qui précisent quelle est leur faute : l'un est accusé de briser le lien fraternel qui l'unit à l'ensemble de
la communauté, « ses frères » (vers 3) : par ce terme, le poète laisse entendre que chacun a un devoir de solidarité,
quelles que soient les circonstances, et qu'il ne peut pas par conséquent s'éloigner de ses semblables et se
désintéresser de leurs maux, ce qui correspondrait métaphoriquement à rejoindre « le désert » (vers 4), image par
excellence de la solitude et de l'isolement ; il reproche à l'autre, au vers 5, d'abandonner « le peuple agité» par «
les haines et les scandales », précisément au moment où les gens ont besoin de lui ; enfin, le dernier est mis à
l'index grâce à une métaphore frappante, celle de la mutilation volontaire au vers 8, par laquelle il s'empêche
d'utiliser ses capacités au service des siens, à la manière d'un soldat qui, par lâcheté, s'inflige une blessure pour
éviter le combat. Ces formules violentes ont permis à Victor Hugo en fait de remettre en cause et de renier la
conception d'une poésie qui ne se satisfait que d'elle-même.
Après avoir rejeté le poète égoïste, l'écrivain ne va pas se contenter de faire le portrait élogieux de celui
qu'il estime digne de ce nom, auquel nous nous sommes intéressés plus haut. Il va en plus, dans un style épique,
présenter à notre admiration les modalités de son engagement, comme une voie à suivre. Ainsi, tel un héros, il agit
et doit faire face à l'adversité. Son activité est contenue dans les verbes d'action tels que « travaille » et « sert » au
vers 2 ou « secoue » et « Faire flamboyer » aux vers 19 et 20 alors que l'adversité est exprimée dans les termes «
on l'insulte » (vers 18), « On le raille» (Vers 25) ou « contempteurs » (vers 28). Et bien entendu, l'opposition qu'il
rencontre ne fait que renforcer le sens de son devoir : il « Doit [...]/Faire flamboyer l'avenir ! » (Vers 18 et 20) ; et
sa détermination : « Qu'importe ! Il pense. » (Vers 25). Et bien entendu, comme tous les héros, ce sont des images
remarquables, voire hyperboliques, qui le caractérisent le mieux : « Il est l'homme des utopies » (vers 12), il est «
pareil aux prophètes » (vers 16), il possède une « main, où tout peut tenir » (vers 17). Ainsi, Victor Hugo élève
l'engagement du poète bien au-dessus du simple devoir à accomplir pour le mener au firmament de l'action
héroïque.
Après avoir fait l'éloge du poète, après l'avoir présenté comme un prophète, comme un visionnaire et
comme un être à la fois déterminé et généreux, Victor Hugo s'est efforcé de défendre l'engagement de ce dernier
en le situant dans la perspective de la volonté divine, loin de l'indifférence de certains au malheur des autres, et il
l'a élevé au rang admirable de l'héroïsme. De cette manière, il a permis à sa vision du poète et de la poésie de
prendre son envol, entraînant dans le même mouvement son lecteur qui, dès lors, voit dans toute autre conception
égocentrique de celle-ci, une forme dénaturée et illégitime de l'art poétique. Il faut d'ailleurs admettre que ce
poème est à l'image de son auteur qui n'a eu de cesse, tout au long du reste de sa vie, de participer à la vie
politique de son pays, soit comme partisan, soit comme opposant, sur place ou en exil, et que le peuple et la nation
lui en ont été reconnaissants puisqu'il a eu droit à des funérailles nationales et que l'on dit que deux millions de
personnes ont accompagné son cortège funèbre !
Texte à commenter : Fonction du poète (extrait), Victor Hugo (in Les rayons et les ombres)
Dieu le veut, dans les temps contraires,
Chacun travaille et chacun sert.
Malheur à qui dit à ses frères :
Je retourne dans le désert !
Malheur à qui prend ses sandales
Quand les haines et les scandales
Tourmentent le peuple agité !
Honte au penseur qui se mutile
Et s'en va, chanteur inutile,
Par la porte de la cité !
Le poète en des jours impies
Vient préparer des jours meilleurs.
ll est l'homme des utopies,
Les pieds ici, les yeux ailleurs.
C'est lui qui sur toutes les têtes,
En tout temps, pareil aux prophètes,
Dans sa main, où tout peut tenir,
Doit, qu'on l'insulte ou qu'on le loue,
Comme une torche qu'il secoue,
Faire flamboyer l'avenir !
Il voit, quand les peuples végètent !
Ses rêves, toujours pleins d'amour,
Sont faits des ombres que lui jettent
Les choses qui seront un jour.
On le raille. Qu'importe ! il pense.
Plus d'une âme inscrit en silence
Ce que la foule n'entend pas.
Il plaint ses contempteurs frivoles ;
Et maint faux sage à ses paroles
Rit tout haut et songe tout bas !