Telechargé par Christophe RICHET

Commentaire du poème « fonction du poète » de Victor Hugo

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Proposition de correction du commentaire de « Fonction du poète » de V. Hugo
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« Jeune, j'ai partagé le délire et la faute/J'ai crié ma misère, hélas ! à voix trop haute/[...] Puis mon coeur
insensible à ses propres misères,/s'est élargi plus tard aux douleurs de mes frères; » C'est ainsi que Lamartine,
dans un de ses poèmes, exprime le changement qui s'est opéré chez les écrivains romantiques de la première
moitié du XIXe siècle : en effet, le romantisme à ses débuts était caractérisé par un lyrisme exacerbé qui trouvait
son origine dans une forte sensibilité introspective, et c'est précisément cette sensibilité, tournée vers leurs
semblables cette fois, qui a mené les auteurs de cette époque à prendre conscience des maux de leur siècle et à
essayer d'y apporter des remèdes. Le personnage qui illustre sans doute le mieux cette démarche est Victor Hugo
qui non seulement était un poète, un dramaturge, un romancier, mais aussi un homme politique engagé, célèbre en
particulier pour son opposition au coup d'état de Napoléon III. C'est de cet engagement à participer au bien
commun dont il va être question dans le poème intitulé « Fonction du poète » et extrait du recueil Les rayons et
les ombres, publié en 1840. Il va y défendre l'image qu'il se fait du poète et le rôle qu'il doit avoir à l'égard de ses
contemporains. On ne peut donc s'empêcher, à la lecture de ce texte, de se demander comment Hugo parvient à
élever au-dessus de toutes les autres sa propre conception de la fonction du poète au sein de sa société. Pour tenter
de répondre à cette question, nous nous pencherons d'abord sur les qualités qui font du poète un être à part pour
ensuite déterminer comment Victor Hugo prend la défense de son engagement.
Dans la pensée hugolienne, ce qui distingue avant tout le poète digne de ce nom, c'est que c'est un Élu, au
sens religieux du terme. En effet, c'est d'abord quelqu'un dont le comportement répond à la volonté divine. C'est la
raison pour laquelle le poète, dès les premiers vers, définit la cause transcendante qui l'incite à agir : « Dieu le
veut, dans les temps contraires,/chacun travaille et chacun sert. » (Vers 1 et 2) C'est aussi quelqu'un que l'auteur
compare explicitement « aux prophètes » au vers 16. Ainsi, il ne fait pas de doute pour Hugo que ce qui légitime
l'action du poète, c'est qu'il s'engage sinon au nom de Dieu, du moins en suivant sa volonté.
Il n'est pas étonnant dès lors de constater que le poète bénéficie de capacités perceptives particulières qui
vont l'aider à mener à bien sa mission. Il apparaît en particulier que son regard porte beaucoup plus loin que celui
du commun des mortels : « Les pieds ici, les yeux ailleurs. » (Vers 14) ; autrement dit, si son corps se trouve
parmi les siens, son esprit est capable d'en franchir les limites et de voir ce que les autres ne voient pas. Ce
pouvoir lui permet d'être « l'homme des utopies » (vers 13), c'est-à-dire celui qui perçoit une société idéale qui
peut paraître irréaliste aux yeux des gens qui vivent dans ce que l'écrivain qualifie de « temps contraires» ou de «
jours impies ». Il est donc résolument tourné vers un avenir qu'il fait « flamboyer » (vers 20) en montrant à ses
semblables que « des jours meilleurs » sont possibles et qu'il est là pour les « préparer » (vers 12). Il est à noter
d'ailleurs que Victor Hugo aura l'occasion quelques années plus tard de mettre cela en pratique lorsqu'il essaiera
de faire prévaloir les idées républicaines face aux partisans du Second Empire, régime qu'il considérait comme
illégitime.
Pour remplir sa mission, le poète n'a pas seulement besoin de percevoir l'invisible ; il doit aussi avoir des
qualités morales qui lui permettent de persévérer dans son action. La première de ces qualités, c'est sa
détermination à remplir son devoir sans se préoccuper des critiques ou des louanges : « C'est lui qui [...]/doit,
qu'on l'insulte ou qu'on le loue,/[...] Faire flamboyer l'avenir ! » (Vers 15 à 20). Cette ténacité ne l'empêche pas de
toujours vouloir le bien pour ses compatriotes ; ainsi, ses rêves sont « toujours plein d'amour » (vers 22). Cette
générosité le porte même à ne pas s'en prendre à « ses contempteurs » (Vers 28), mais à se contenter de les
plaindre, un peu à l'image de Jésus qui, selon les Évangiles, disait : « Ils ne savent pas ce qu'ils font ».
Si Victor Hugo fait un portrait élogieux du poète, il s'efforce aussi de défendre l'engagement de ce dernier
au sein de la société, remettant en cause de cette manière la conception trop lyrique et sentimentaliste de la poésie
qui prévalait au début du romantisme et peut-être aussi, par anticipation, la revendication de l'isolement du poète
qui commençait à naître chez des auteurs comme Théophile Gautier et qui prendra toute son ampleur chez les
Parnassiens.
C'est d'abord le caractère didactique, voire polémiques par endroits, du poème qui va permettre à Victor
Hugo de défendre sa conception d'une poésie engagée. Pour que son propos soit crédible, le poète va légitimer sa
position de locuteur en l'appuyant sur un argument d'autorité, puisque la sentence qu'il prononce au vers 2, au
présent de vérité générale, « Chacun travaille et chacun sert », est présentée comme émanant de la volonté de
Dieu au vers 1. Sa parole en devient par conséquent incontestable.
Il est alors en droit de lancer des anathèmes à l'égard de quiconque ne se conforme pas à ses prescriptions,
Proposition de correction du commentaire de « Fonction du poète » de V. Hugo
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en l'occurrence les poètes qui, rebelles à la volonté divine, s'écartent de la société alors que celle-ci est en proie
aux malheurs,aux « temps contraires ». C'est ainsi qu'à la manière de Jésus il formule, dans la première strophe,
trois malédictions à leur encontre, caractérisées par» l'anaphore du mot « Malheur » et l'utilisation du terme
«Honte » et qui précisent quelle est leur faute : l'un est accusé de briser le lien fraternel qui l'unit à l'ensemble de
la communauté, « ses frères » (vers 3) : par ce terme, le poète laisse entendre que chacun a un devoir de solidarité,
quelles que soient les circonstances, et qu'il ne peut pas par conséquent s'éloigner de ses semblables et se
désintéresser de leurs maux, ce qui correspondrait métaphoriquement à rejoindre « le désert » (vers 4), image par
excellence de la solitude et de l'isolement ; il reproche à l'autre, au vers 5, d'abandonner « le peuple agité» par «
les haines et les scandales », précisément au moment où les gens ont besoin de lui ; enfin, le dernier est mis à
l'index grâce à une métaphore frappante, celle de la mutilation volontaire au vers 8, par laquelle il s'empêche
d'utiliser ses capacités au service des siens, à la manière d'un soldat qui, par lâcheté, s'inflige une blessure pour
éviter le combat. Ces formules violentes ont permis à Victor Hugo en fait de remettre en cause et de renier la
conception d'une poésie qui ne se satisfait que d'elle-même.
Après avoir rejeté le poète égoïste, l'écrivain ne va pas se contenter de faire le portrait élogieux de celui
qu'il estime digne de ce nom, auquel nous nous sommes intéressés plus haut. Il va en plus, dans un style épique,
présenter à notre admiration les modalités de son engagement, comme une voie à suivre. Ainsi, tel un héros, il agit
et doit faire face à l'adversité. Son activité est contenue dans les verbes d'action tels que « travaille » et « sert » au
vers 2 ou « secoue » et « Faire flamboyer » aux vers 19 et 20 alors que l'adversité est exprimée dans les termes «
on l'insulte » (vers 18), « On le raille» (Vers 25) ou « contempteurs » (vers 28). Et bien entendu, l'opposition qu'il
rencontre ne fait que renforcer le sens de son devoir : il « Doit [...]/Faire flamboyer l'avenir ! » (Vers 18 et 20) ; et
sa détermination : « Qu'importe ! Il pense. » (Vers 25). Et bien entendu, comme tous les héros, ce sont des images
remarquables, voire hyperboliques, qui le caractérisent le mieux : « Il est l'homme des utopies » (vers 12), il est «
pareil aux prophètes » (vers 16), il possède une « main, où tout peut tenir » (vers 17). Ainsi, Victor Hugo élève
l'engagement du poète bien au-dessus du simple devoir à accomplir pour le mener au firmament de l'action
héroïque.
Après avoir fait l'éloge du poète, après l'avoir présenté comme un prophète, comme un visionnaire et
comme un être à la fois déterminé et généreux, Victor Hugo s'est efforcé de défendre l'engagement de ce dernier
en le situant dans la perspective de la volonté divine, loin de l'indifférence de certains au malheur des autres, et il
l'a élevé au rang admirable de l'héroïsme. De cette manière, il a permis à sa vision du poète et de la poésie de
prendre son envol, entraînant dans le même mouvement son lecteur qui, dès lors, voit dans toute autre conception
égocentrique de celle-ci, une forme dénaturée et illégitime de l'art poétique. Il faut d'ailleurs admettre que ce
poème est à l'image de son auteur qui n'a eu de cesse, tout au long du reste de sa vie, de participer à la vie
politique de son pays, soit comme partisan, soit comme opposant, sur place ou en exil, et que le peuple et la nation
lui en ont été reconnaissants puisqu'il a eu droit à des funérailles nationales et que l'on dit que deux millions de
personnes ont accompagné son cortège funèbre !
Texte à commenter : Fonction du poète (extrait), Victor Hugo (in Les rayons et les ombres)
Dieu le veut, dans les temps contraires,
Chacun travaille et chacun sert.
Malheur à qui dit à ses frères :
Je retourne dans le désert !
Malheur à qui prend ses sandales
Quand les haines et les scandales
Tourmentent le peuple agité !
Honte au penseur qui se mutile
Et s'en va, chanteur inutile,
Par la porte de la cité !
Le poète en des jours impies
Vient préparer des jours meilleurs.
ll est l'homme des utopies,
Les pieds ici, les yeux ailleurs.
C'est lui qui sur toutes les têtes,
En tout temps, pareil aux prophètes,
Dans sa main, où tout peut tenir,
Doit, qu'on l'insulte ou qu'on le loue,
Comme une torche qu'il secoue,
Faire flamboyer l'avenir !
Il voit, quand les peuples végètent !
Ses rêves, toujours pleins d'amour,
Sont faits des ombres que lui jettent
Les choses qui seront un jour.
On le raille. Qu'importe ! il pense.
Plus d'une âme inscrit en silence
Ce que la foule n'entend pas.
Il plaint ses contempteurs frivoles ;
Et maint faux sage à ses paroles
Rit tout haut et songe tout bas !
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