EN QUOI LA RECHERCHE DE SOUVENIRS FLASH PEUT-ELLE NOUS RENSEIGNER SUR LA MÉMOIRE ÉPISODIQUE ET LA MÉMOIRE SÉMANTIQUE ? Catherine Thomas-Antérion, Céline Borg, Hélène Vioux, Bernard Laurent John Libbey Eurotext | « Revue de neuropsychologie » © John Libbey Eurotext | Téléchargé le 21/02/2022 sur www.cairn.info via Université de Rouen (IP: 195.220.135.36) Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) ISSN 2101-6739 DOI 10.3917/rne.021.0055 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------https://www.cairn.info/revue-de-neuropsychologie-2010-1-page-55.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour John Libbey Eurotext. © John Libbey Eurotext. Tous droits réservés pour tous pays. 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Mots clés : mémoire événementielle • souvenir vivace • souvenir flash • mémoire collective Alzheimer • Parkinson • Abstract doi: 10.1684/nrp.2010.0055 © John Libbey Eurotext | Téléchargé le 21/02/2022 sur www.cairn.info via Université de Rouen (IP: 195.220.135.36) Unité de neuropsychologie-CM2R, CHU Nord, 42055 Saint-Étienne cedex 02 <[email protected]> La mémoire des événements publics comporte des éléments sémantiques et des éléments épisodiques. Dans certains cas, les sujets peuvent en effet se rappeler des informations détaillées sur des événements y compris très longtemps après leur survenue ou produire un souvenir flash (SF) qui correspond à la capacité de rappeler les circonstances personnelles dans lesquelles ils ont appris la survenue d’un fait public. Il est possible, lors de l’examen d’un SF, de distinguer des dimensions canoniques objectives : le lieu, le temps, la phénoménologie. L’effet de l’âge n’existe que pour les sujets les plus âgés. La capacité à rappeler des SF est effondrée dans la maladie d’Alzheimer et diminuée dans la maladie de Parkinson. Dans la maladie d’Alzheimer, les éléments sémantiques de l’événement sont également moins bien récupérés. L’étude des souvenirs flash nous renseigne sur l’organisation de la mémoire épisodique et sur une mémoire collective fédératrice. Elle permet d’envisager de nouveaux modèles qui précisent les liens entre les systèmes mnésiques. Résumé Public events memory can have semantic and episodic components. In some case, individuals retain vivid and detailed recollection of the event, even long after the event’s occurrence. The hallmark of flashbulb memories (FBM) is that individuals remember the details of the reception event. In examining FBM, we can distinguish responses concerning objective canonical features: place, time, phenomenological details. These events are particularly memorable, emotionally charged, surprising and have a strong global impact [the events of September 11th 2001 9.11)]. FBM don’t represent a distinct form of memory because they decay over time and they are affected by ageing. In fact, the effect of age only seems to exist for elderly subjects. FBM are impaired in Alzheimer’s disease and less in Parkinson’s disease. In Alzheimer’s disease, semantic components of public events are also impaired. The study of FBM learned us about episodic memory and community memory practices. It is possible to dissociate memory for facts (semantic memory) from memory for self-relevant information (autobiographical memory) and better understand the relationships between different systems of memory in new multisystems models of memory. Key words: public events memory • vivid memory • flashbulb memories • community memory • Alzheimer • Parkinson Correspondance : C. Thomas-Antérion REVUE DE NEUROPSYCHOLOGIE NEUROSCIENCES COGNITIVES ET CLINIQUES 55 © John Libbey Eurotext | Téléchargé le 21/02/2022 sur www.cairn.info via Université de Rouen (IP: 195.220.135.36) Catherine Thomas-Antérion, Céline Borg, Hélène Vioux, Bernard Laurent Dossier © John Libbey Eurotext | Téléchargé le 21/02/2022 sur www.cairn.info via Université de Rouen (IP: 195.220.135.36) Il est classique de distinguer six dimensions canoniques à ces circonstances : où et quand, comment, avec qui, en train de faire quoi, et dans quel état d’esprit, nous étions lorsque nous avons appris la survenue de l’événement et ce que nous avons fait immédiatement au décours. La littérature concernant ce sujet est difficile à synthétiser, du fait de la très grande variabilité des paradigmes utilisés. Ainsi, le délai de recueil du souvenir flash varie de quelques heures suivant juste l’événement (le procès d’O.J. Simpson dont le dénouement était attendu en direct à la télévision [11, 12]) à des décennies plus tard (la mort de Mustafa Kemal Atatürk en 1938 [13]) sans contrôle sur le moment. Le souvenir est recueilli une seule fois ou dans des protocoles expérimentaux comportant des phases de test et de retest (là encore, le délai est variable). Les paramètres recueillis et le contrôle de la qualité du souvenir de l’événement public lui-même sont nombreux et parfois complexes. Les modes de cotation diffèrent. La plupart des études concernent un événement étudié isolément : l’assassinat de J.F. Kennedy, le procès d’O.J. Simpson, l’attentat du président Reagan, la navette Challenger, la mort de Lady Di, le 11 septembre 2001. Nous présentons les données de la littérature récente concernant les caractéristiques des SF, leur lien à la mémoire sémantique et épisodique, leur relation à l’émotion et leur évolution dans le temps et avec l’âge. Nous verrons enfin ce que leur étude peut apporter de particulier dans le domaine des maladies neurodégénératives. 56 Les caractéristiques des souvenirs flash qui en font des souvenirs épisodiques et sémantiques Brown et Kulik [1] ont popularisé ce type de souvenirs épisodiques en décrivant la capacité des citoyens américains à décrire ce qu’ils faisaient précisément et dans quel état d’esprit ils se trouvaient lorsqu’ils ont appris la mort de J.F. Kennedy. Cet épisode et ses conséquences sur la mémoire autobiographique ont été depuis, de multiples fois, étudiés [14, 15]. Les souvenirs flashes sont détaillés, imagés et conservent durablement les informations contextuelles de l’épisode d’acquisition de l’événement. Une question théorique est de savoir pourquoi tel événement et pas tel autre suscite un souvenir vivace. Pour tenter d’y répondre, Rubin et Kozin [10] ont proposé à un groupe de sujets de rappeler un événement personnel choquant (décès d’un proche) et neuf événements publics : les assassinats de J.F. Kennedy, de Medgar Evers, de Malcom X, de Martin Luther King, de Robert Kennedy, les agressions de Georges Wallace, de Gerald Ford, le scandale concernant Ted Kennedy et le décès du Général Franco. Lorsque le sujet pouvait rappeler l’événement, il devait indiquer par écrit les circonstances dans lesquelles il l’avait appris, puis estimer les conséquences de cet événement dans sa vie personnelle et le nombre de fois dont il en avait parlé depuis. Ainsi six catégories d’informations (informations canoniques) ont été répertoriées : le lieu où le sujet a appris l’événement (Où), l’activité en cours (QUOI), la source de l’information (QUAND/QUI), les émotions du sujet (COMMENT), celles des autres (AVEC), et les conséquences personnelles (PAR CONSÉQUENT). Pour ces auteurs, le rappel de l’événement et de l’une de ces dimensions canoniques suffit à qualifier le souvenir de souvenir flash (ce n’est pas le cas pour toutes les équipes). Ces données caractérisent les aspects épisodiques de la mémoire des événements publics et sont, à la différence du savoir sur l’événement, fortement corrélées aux fonctions exécutives [16]. L’événement qui suscitait le plus de souvenirs flash était l’assassinat de JFK. Les deux variables critiques pour la formation d’un tel souvenir étaient le niveau de surprise et les conséquences personnelles. Plus l’implication affective personnelle était élevée, plus le souvenir était précis et détaillé. Selon ces auteurs, les souvenirs flash seraient associés à un mécanisme physiologique d’encodage particulier, qui les distinguerait des autres traces mnésiques et qui impliquerait notamment l’amygdale, du fait de leur connotation émotionnelle. Le niveau de conséquence pour le sujet est une donnée très difficile à apprécier et différentes études l’ont depuis remis en cause. Ainsi, Pillemer [17], en étudiant l’événement de la tentative d’assassinat de Ronald Reagan, a montré que la génération du souvenir flash est surtout liée à l’intensité de la réaction émotionnelle initiale lors de l’annonce de l’événement. De même, pour Conway [18], qui a étudié l’impact de l’explosion de la navette Challenger, le niveau de surprise, le niveau de conséquence REVUE DE NEUROPSYCHOLOGIE NEUROSCIENCES COGNITIVES ET CLINIQUES © John Libbey Eurotext | Téléchargé le 21/02/2022 sur www.cairn.info via Université de Rouen (IP: 195.220.135.36) B rown et Kulik ont proposé en 1977 [1] le terme de flashbulb memory (souvenir flash) pour définir le souvenir que l’on a des circonstances où l’on a appris un événement public particulièrement surprenant ou ayant un impact émotionnel notable (pour revue, voir [2]). Les questions concernant ces souvenirs flash sont nombreuses et ont évolué dans le temps. Pendant une première période, les auteurs se sont essentiellement intéressés à la nature de ces souvenirs [3, 4] et, plus récemment, aux effets de l’âge ou des pathologies neurodégénératives [5-7], puis à l’impact éventuel sur l’identité sociale de ce type de souvenir [8, 9]. Les souvenirs flash sont une forme particulière de souvenirs vivaces [10]. Il s’agit de souvenirs autobiographiques mais, par essence, ces souvenirs sont intimement liés à ceux des événements publics. L’événement public joue ici le rôle d’un indice de récupération privilégié d’un souvenir autobiographique. La première description est ancienne et émane de Colegrove en 1899 : elle concernait le souvenir qu’avaient ses contemporains de l’assassinat d’Abraham Lincoln. Il s’agit de souvenirs pour lesquels un sujet peut évoquer précisément les circonstances où il se trouvait lorsqu’il a appris un événement dont la caractéristique est d’être inattendu, spectaculaire et émotionnel. © John Libbey Eurotext | Téléchargé le 21/02/2022 sur www.cairn.info via Université de Rouen (IP: 195.220.135.36) et la répétition n’étaient pas essentiels pour la construction du souvenir flash, à la différence de la réaction émotionnelle du sujet dont ils étaient, par ailleurs, indépendants. La place de l’événement dans les médias et dans les discussions avec d’autres pourrait également expliquer le maintien de certains souvenirs flash [19]. L’impact social de l’événement jouerait alors un rôle important. Dans une perspective évolutionniste, certains événements pourraient être plus essentiels à la survie de l’espèce [20] ou plus importants pour le groupe social, et permettraient ainsi à l’individu de développer, en marge de sa propre identité, une identité sociale [19]. Un travail original a consisté à rechercher des souvenirs flash suite au décès de François Mitterrand chez des citoyens belges et français [8]. Ce souvenir particulier – puisque la mort du président était attendue – génère néanmoins des souvenirs flash. De plus, le groupe social a effectivement un impact puisque les Français ont plus de souvenirs flash que les Belges. L’événement du 11 septembre a donné lieu à plusieurs études sur les souvenirs flash. Talarico et Rubin [21] ont étudié les souvenirs biographiques et les souvenirs flash de cet événement dans trois groupes de 18 sujets jeunes, 1 semaine, 6 semaines et 32 semaines après cette période. Parallèlement, les auteurs interrogeaient les sujets sur l’impact émotionnel de l’événement en recherchant des signes végétatifs. L’évocation de souvenirs n’est pas corrélée au niveau d’émotion végétative. En revanche, l’importance de la réaction végétative et de la valence négative attribuée à l’événement était corrélée au stress post-traumatique. Récemment Hirst et al. [9] ont pu apporter des données importantes concernant la nature des souvenirs flash. Ces auteurs ont étudié l’événement du 11 septembre auprès d’un échantillon de sujets américains résidant dans divers États : 391 participants ont répondu une quinzaine de jours après l’épisode, 11 mois (pour éviter la première commémoration) et trois ans après, à un questionnaire écrit prenant environ 45 minutes. Ces auteurs n’ont trouvé, dans cette étude très rigoureuse, aucune relation entre les souvenirs flash et cinq critères discutés dans la littérature. Il s’agissait du lieu de résidence (en distinguant : New York et les autres villes, le quartier des tours et les autres quartiers), les conséquences personnelles (une atteinte personnelle objective comme des dégâts dans le lieu de vie ou la perte d’un emploi et non un retentissement psychologique subjectif), l’émotion suscitée par l’événement, le niveau d’intérêt pour le traitement de l’information par les médias et l’importance des conversations individuelles. Toutes ces dimensions (sauf le niveau émotionnel) influençaient, en revanche, la qualité du rappel du souvenir public. L’évolution dans le temps des souvenirs flash Le souvenir flash est un souvenir autobiographique et il convient de se demander s’il évolue dans le temps comme l’ensemble de ces souvenirs. Il est admis que la trace mné- sique perd un certain nombre de détails contextuels lors de la première année de consolidation d’un souvenir et que l’on observe ensuite une moindre perte. Dans ce sens, différents auteurs ont bien montré que les souvenirs flash n’avaient pas de caractéristiques propres et que, comme tous les souvenirs épisodiques, ils pouvaient être soumis à l’oubli et aux déformations, et qu’avec le temps, le rappel des circonstances d’apprentissage diminuait et les distorsions augmentaient [3-22]. De plus, la plupart des travaux objectivent une bonne constance des réponses lorsqu’on teste de nouveau les sujets [8, 22-26]. En fait, les résultats sont contradictoires, il semble qu’il y ait moins de constance si l’événement est documenté très tôt après sa survenue. Les sujets continueraient à apprendre des choses sur l’événement et enrichiraient alors leur souvenir. Hirst et al. [9] montrent ainsi que les sujets, lors des entretiens à propos du 11 septembre, enrichissent leur récit de détails vus dans le film de Michael Moore ! Il pourrait s’agir aussi d’un artefact dû à l’oubli des tous premiers détails. Pour tester cette hypothèse, Winningham et al. [11] ont évalué le souvenir de l’acquittement d’O.J. Simpson cinq heures, puis une semaine, après le procès et confirment l’absence de constance des réponses suggérant d’analyser la littérature avec soin selon le délai après lequel on a recueilli le souvenir. Schmolck et al. [12] ont, quant à eux, rapporté par rapport à ce même événement qu’en fait, à 15 mois, 40 % des souvenirs flash sont identiques et que seulement 10 % d’entre eux comportent de majeures distorsions, mais que ce profil de réponses s’inverse à 32 mois avec alors seulement 20 % de souvenirs flash constants et des distorsions majeures pour 40 % d’entre eux ! En outre, ces auteurs n’excluent pas que la nature de l’événement joue également un rôle. La constance des réponses a été rapportée dans le travail de Conway et al. [27] qui concernait un événement extrêmement émotionnel (de l’ordre du traumatisme pour des millions d’Américains) puisqu’il s’agit de l’explosion en vol de la navette Challenger. Talarico et Rubin [21] en étudiant le 11 septembre 2001 ont rapporté qu’en fait le taux de constance des réponses en dépit de la particularité de ce souvenir très émotionnel était semblable à celui des souvenirs biographiques survenus les jours précédents dans la vie des sujets interviewés. Hirst et al. [9], dans leur évaluation des souvenirs de 391 sujets concernant le 11 septembre, dans un délai de 15 jours, 11 mois et 3 ans, montrent en fait que le taux d’oubli est plus important la première année – 20 % au moins – puis se ralentit après la première année (entre 5 à 10 %) et qu’il n’y a pas de différence entre les deux dernières périodes. De plus, ils ne retrouvent aucun impact de l’âge, du genre, du lieu de résidence, de l’ethnie, de la religion ou des orientations politiques ! Surtout, les auteurs ne retrouvent aucune influence sur le taux d’oubli des facteurs émotionnels, du lieu de résidence (et des éventuelles conséquences néfastes personnelles), ni même du niveau d’intérêt porté aux médias ou l’importance des conversations avec les proches. REVUE DE NEUROPSYCHOLOGIE NEUROSCIENCES COGNITIVES ET CLINIQUES 57 © John Libbey Eurotext | Téléchargé le 21/02/2022 sur www.cairn.info via Université de Rouen (IP: 195.220.135.36) Dossier Dossier © John Libbey Eurotext | Téléchargé le 21/02/2022 sur www.cairn.info via Université de Rouen (IP: 195.220.135.36) La fréquence de la génération de souvenirs flash et leur constance pourrait parfois avoir un lien avec l’âge du sujet, du fait de la nature épisodique du souvenir. Il a été ainsi observé que des jeunes britanniques interrogés à propos de la démission de Margaret Thatcher avaient une constance de leur réponse à un an du premier questionnaire dans 90 % des cas, alors que pour les sujets âgés, elle n’était observée que dans 42 % des cas [26]. Il existe peu de travaux sur la durée du phénomène. Un travail turc a évalué les souvenirs flash à partir de deux événements : l’assassinat de Mustafa Kemal Atatürk en 1938 auprès de sujets âgés et la mort de Turgüt Ozal, président de la Turquie en 1993 auprès de sujets jeunes et âgés [13]. Les sujets âgés conservaient un souvenir flash plus de 50 ans après cet événement majeur. Par ailleurs, les sujets âgés avaient moins que les sujets jeunes de souvenirs flash pour l’événement récent, dont il faut toutefois souligner la moindre portée. Concernant l’événement du 11 septembre, Davidson et al. [5] ont montré que l’âge ne modifiait pas la génération d’un souvenir flash et son maintien, un an plus tard. Les événements publics ne susciteraient pas tous autant de souvenirs flash. Davidson et Glisky [23] ont ainsi interrogé 53 sujets âgés en moyenne de 73 ans et 21 sujets âgés en moyenne de 20 ans, à propos de la mort de Lady Di et de Mère Thérésa, en recherchant six dimensions canoniques aux souvenirs flash. Tous les sujets avaient davantage de souvenirs flash pour la mort de Lady Di que pour celle de Mère Thérésa, sans effet de l’âge. Malgré tout, il est très difficile d’apprécier la fréquence de ces souvenirs, puisqu’ils sont dans une très large majorité de travaux, recherchés à propos d’événements uniques. Nous avons nous-même recherché des souvenirs flash avec la batterie EVE 30 [24, 25] composée de 30 événements publics, auprès de 108 sujets âgés de 20 à 79 ans. Un des résultats principaux de cette étude était la fréquence de leur survenue. Ainsi, au moins huit des événements parmi les 30 proposés provoquaient l’évocation d’un souvenir flash dans au moins 40 % des cas : la coupe du monde, l’effondrement des tours du World Trade Center, l’explosion d’AZF, le passage à l’euro, les 17 % de voix pour Le Pen, la mort de Cloclo et la mort de Lady Di. Le premier pas sur la lune et l’assassinat de JFK s’accompagnaient également de souvenirs flash chez les personnes âgées de 60 à 79 ans, de même que dans plus de 50 % des cas. Les événements qui se sont produits au cours des périodes 1990-1999 et 2001 éveillent des souvenirs flash plus nombreux chez l’ensemble des sujets, et les événements relatifs à la période 1960-1969, chez les sujets âgés de 60 à 79 ans. Nous confirmons ainsi dans ce travail que les souvenirs flash sont solides : les sujets âgés récupèrent plus de 40 ans plus tard des souvenirs encodés pendant leur jeunesse, à la période dite du pic de réminiscence. Pour les années très récentes, c’est-à-dire à partir de l’année 2000, le pourcentage de souvenirs flash est réduit chez les per- 58 sonnes âgées de 70 à 79 ans : l’effet de l’âge pourrait être différent selon l’âge où l’événement public est vécu, sans que l’on ne puisse éliminer l’impact social différent de certains événements, en fonction de l’âge. En tout cas, cette solidité avec l’âge offre la perspective de rechercher les souvenirs flash dans les pathologies neurodégénératives. Souvenirs flash et maladies neurodégénératives Comme nous l’avons vu, l’expertise de la mémoire du passé et des souvenirs flash permet d’évaluer les composantes épisodiques et sémantiques des événements publics [16]. De plus, l’âge semble avoir peu d’effets dans leur maintien et ne modifierait la consolidation de nouveaux souvenirs qu’au-delà de 75 ans. Ces données soulignent l’intérêt d’évaluer davantage la mémoire du passé et de rechercher les souvenirs flash dans les maladies neurodégénératives. Concernant l’évaluation de la mémoire autobiographique, Piolino et al. [28] ont souligné les triples dissociations que l’on peut observer, lorsqu’on explore des sujets avec maladie d’Alzheimer (MA), dégénérescence frontotemporale (DFT) ou démence sémantique (DS), en utilisant l’épreuve du TEMPau afin de recueillir des souvenirs répartis dans le temps. Les auteurs ont contrôlé soigneusement l’épisodicité en analysant le rappel de la source d’acquisition (contenu du rappel et conscience autonoétique) avec un paradigme Know versus Remember (K/R). Les sujets étaient invités à dire s’ils avaient connaissance du souvenir (et ne pouvaient alors rapporter plus aucun élément du contexte d’acquisition) ou s’ils se rappelaient du souvenir et pouvaient préciser encore des détails du contexte initial. Dans ce travail, les sujets MA rappelaient davantage de souvenirs anciens, le gradient temporel était inversé dans la DS et on n’observait pas de gradient temporel dans la DFT. Les patients DS dont la caractéristique est de conserver (du moins au début) une bonne mémoire épisodique, ne se distinguaient pas des témoins – à la différence des deux autres groupes de sujet – en termes de conscience autonoétique (source phénoménologique, spatiale et temporelle du souvenir). Nous avions montré, en étudiant des sujets MA et DFT, que le gradient temporel concernait uniquement les sujets MA, et ce dans les épreuves de mémoire autobiographique, mais également dans celles explorant les événements publics [29]. Dans un travail préliminaire, nous avons enregistré moins de 5 % de souvenirs flash chez 12 patients évalués avec la batterie EVE 30 et seulement 15 % chez 12 sujets MCI, ce qui témoigne de l’atteinte précoce de ce type de mémoire. Nous avons étudié plus précisément un événement de la batterie : le 11 septembre 2001 [6]. Son choix est dû au fait que les sujets normaux obtiennent des performances plafond lorsqu’il s’agit de rappeler l’événement et de générer un souvenir flash [24]. Nous avons interrogé 30 patients âgés en moyenne de 70 ans, en début de REVUE DE NEUROPSYCHOLOGIE NEUROSCIENCES COGNITIVES ET CLINIQUES © John Libbey Eurotext | Téléchargé le 21/02/2022 sur www.cairn.info via Université de Rouen (IP: 195.220.135.36) Souvenirs flash et effet de l’âge Dossier Dans la maladie de Parkinson, des difficultés émotionnelles subtiles pourraient intervenir dans l’encodage et/ou la récupération des souvenirs vivaces associés et fragiliser la mémoire épisodique. En revanche, à la différence de la MA, les patients MP n’auraient pas de difficultés majeures pour accéder ni aux composantes épisodiques ni aux composantes sémantiques des événements publics, en dehors des données temporelles. Conclusion Les souvenirs flash sont des souvenirs vivaces pour lesquels les sujets sont capables de se rappeler le contexte spatial, temporel et phénoménologique dans lequel ils ont appris la survenue d’un événement public dont les caractéristiques principales sont au moins qu’il soit émotionnel et qu’il ait un impact personnel ou sociétal fort. D’après la revue de la littérature explorant le plus souvent le souvenir de la source d’événements uniques (la mort de Kennedy) et notre expérience de la batterie EVE 30, ils semblent relativement fréquents dans la population générale. Leur fréquence est liée à l’âge des sujets avec un effet marqué du pic de réminiscence, ne distinguant pas alors ces souvenirs d’autres souvenirs épisodiques. Les sujets âgés continuent toutefois à encoder les composantes sémantique et épisodique des événements publics, notamment lorsque ceux-ci sont très émotionnels (le 11 septembre), à la différence des patients MA qui, dès les stades précoces, consolident mal de nouveaux événements (du moins certains d’entre eux) [6, 31], et lorsqu’ils le font, ont beaucoup de difficultés à rappeler leur source (temps, espace et phénoménologie). Cet effet est moindre dans la MP, les patients ayant des performances émoussées essentiellement lorsqu’on évalue les paramètres temporels ou chronologiques des événements et lorsqu’il s’agit d’évoquer les souvenirs des événements avec, pour les souvenirs flash, une modification subtile de paramètres émotionnels. Cette mémoire est un aspect particulier de la mémoire autobiographique, dont l’événement public devient un indice en codant le contexte où le sujet se trouvait lorsqu’il a appris sa survenue. Elle semble emprunter à la mémoire autobiographique certains de ses aspects, dont la dégradation au fil du temps. Il est passionnant de voir que les travaux actuels s’intéressent à la fois à ce souvenir pour mieux explorer la mémoire épisodique [16] et que d’autres travaux, émanant également des sciences cognitives s’interrogent sur l’impact de la mémoire des faits publics sur l’identité sociale. Désormais un certain nombre d’auteurs développent des modèles de la mémoire qui précisent ces relations épisodique/sémantique. Un des derniers modèles est celui proposé par Eustache et Desgranges en 2008 [33]. Les liens entre les différents systèmes sont multidimensionnels : la récupération d’informations dans un système permet l’encodage ou renforce l’encodage et ainsi prolonge ou modifie la consolidation dans un autre système. L’enjeu est d’intégrer de nouvelles dimensions à ces systèmes de mémoire, afin de mieux rendre compte de REVUE DE NEUROPSYCHOLOGIE NEUROSCIENCES COGNITIVES ET CLINIQUES 59 © John Libbey Eurotext | Téléchargé le 21/02/2022 sur www.cairn.info via Université de Rouen (IP: 195.220.135.36) © John Libbey Eurotext | Téléchargé le 21/02/2022 sur www.cairn.info via Université de Rouen (IP: 195.220.135.36) maladie (MMS moyen à 23) et 36 sujets contrôles appariés, avec la question : qu’est-ce que l’effondrement des Twin Towers ? Concernant le souvenir de l’événement, les scores des patients se distinguaient de ceux des sujets contrôles pour l’évocation, les questions de détails, la datation, le score global. Ainsi, en évocation, seuls 8 patients (26,6 %) obtenaient la note maximale de 2 points. Il est classique dans la littérature que les patients, même à un stade léger et modéré de la maladie, aient des difficultés pour rappeler les faits de l’actualité [29, 30]. Un quart des patients de notre groupe situait mal l’événement dans le temps (26,6 %) et avait tendance à le juger plus ancien qu’il ne l’était [29]. Enfin, seuls 14 patients (46 %) produisaient un souvenir flash tandis que 35 témoins (97,2 %) en produisaient un ; de plus seuls cinq patients fournissaient des détails pour les quatre dimensions du souvenir (16,6 %). Thompson et al. [31] ont évalué, dans le mois qui a suivi cet événement, 19 patients MA : seuls 10 d’entre eux évoquaient des éléments du 11 septembre. Quatre patients MA ayant évoqué l’événement ont pu être testés de nouveau après 13 mois de délai. Tous les sujets qui avaient évoqué préalablement l’événement, conservaient son souvenir et un souvenir flash, suggérant chez certains sujets une capacité de consolidation de nouveaux savoirs, notamment de souvenirs très émotionnels. Il y a très peu de données dans la littérature concernant la mémoire du passé dans la maladie de Parkinson (MP). Des difficultés exécutives particulières concernant la mémoire chronologique ont pu être décrites, et de ce fait, les modifications de la mémoire du passé concernent essentiellement l’organisation temporelle des souvenirs, les sujets ayant du mal à dater les événements dans des tâches d’évocation ou de reconnaissance. L’évocation des faits publics est parfois pauvre, en revanche, leur reconnaissance est le plus souvent normale [32]. Nous avons récemment étudié la capacité de ces patients à accéder à des souvenirs flash, en évaluant 12 patients MP âgés en moyenne de 72 ans et 12 sujets contrôles appariés [7]. Les patients avaient une maladie évoluant en moyenne depuis cinq ans, 9 d’entre eux étaient traités, aucun n’avait de troubles cognitifs. Nous avons interrogé les sujets en utilisant 27 événements de la batterie EVE 30 (en supprimant les plus anciens). Les sujets MP se distinguaient des sujets contrôles dans toutes les tâches sauf la reconnaissance. Ils produisaient moins de souvenirs flash que les témoins avec toutefois des scores bien supérieurs à ceux des patients MA, soit 23 % versus 34 % pour les témoins. Nous avons observé que les sujets MP et les témoins ne se distinguaient pas dans leur cotation concernant l’impact personnel, le ressenti, la surprise et la connotation émotionnelle de l’événement. Le fait de produire un souvenir flash n’était corrélé ni à l’impact, ni au ressenti, ni à la surprise. En revanche, pour tous les sujets, le fait de produire un souvenir flash était corrélé à la qualité du souvenir de l’événement. Seuls les témoins avaient davantage de souvenirs flash lorsque la connotation émotionnelle de l’événement était très élevée, que celle-ci soit négative ou positive. Dossier la formation des souvenirs et de la construction de l’identité. Enfin, Hirst et al. [9] rappellent en conclusion de leur travail que des sociologues tels que Bourdieu ont plaidé pour le rôle fédérateur de la mémoire collective : « both media attention and ensuing conversation could be considered memories practices of a community ; which refers to the way in the which a commununity intentionally or unintentionally preserves its past ». Ces rapprochements entre mémoire épisodique et mémoire sémantique, notamment entre conscience autonoétique [28] et mémoire collective ou self social nous semblent ouvrir des perspectives nouvelles pour des travaux dans les années à venir. ■ © John Libbey Eurotext | Téléchargé le 21/02/2022 sur www.cairn.info via Université de Rouen (IP: 195.220.135.36) 60 17. Pillemer DB. Flashbulb memories of the assassination attempt on president Reagan. Cognition 1984 ; 16 : 63-83. 18. Conway MA. Flashbulb memories. Hillsdale, NJ : Erlbaum, 1995. 19. Wright DB, Gaskell GD. Flashbulb memories: conceptual and methodological issues. 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