Le Lavage Gastrique S. Achour, GH. Jalal, N. Rhalem, R. Soulaymani Centre Anti Poison et de pharmacovigilance du Maroc 1. Cas clinique Un adolescent âgé de 18 ans, sans antécédents pathologiques notables, a pris dans un but suicidaire, une dose toxique de Benzodiazépines, le patient a consulté aux urgences une demiheure après l’ingestion. A l’admission le patient était conscient, normotendu, eupneique. Le reste de l’examen clinique était sans particularités. Le médecin de garde a alors contacté le centre Anti-poison pour se renseigner sur la toxicité de la molécule en cause, le risque encouru par le malade et les modalités de la prise en charge thérapeutique. 2. Prise en charge du patient : Une surveillance rigoureuse et attentive de l’état de conscience, de la fonction respiratoire et cardio-vasculaire a été entreprise. Le lavage gastrique étant inutile (intoxication par les benzodiazépines). Une heure après, le patient a présenté une somnolence profonde, puis s’est progressivement réveillé sans aucune complication. 3. Introduction Largement utilisé depuis plus de 185 ans, le lavage gastrique a longtemps été considéré comme un élément essentiel du traitement des intoxications aiguës et était recommandé à titre quasi systématique. Le pronostic d’une intoxication aiguë a même été lié dans l’esprit des praticiens à la possibilité de réaliser d’urgence un lavage gastrique. Cependant, ces indications systématiques n’étaient basées ni sur des données cinétiques validées, ni sur des études cliniques comparatives. D’autant plus que cette procédure n’est pas dénuée d’effets secondaires qui peuvent être sérieux (inhalation dans les voies aériennes…). Très souvent pratiqué, son utilisation trop systématique est très discutable. Pénible pour le patient et long pour l'infirmier, il ne dissuade pas l'adulte récidiviste et ne doit pas punir l'enfant désobéissant. 4. Principe Il s’agit d’une méthode d'évacuation digestive des toxiques pris par voie orale, qui nécessite un matériel spécifique et la présence de personnel médical et paramédical. Il ne peut en fait s'envisager qu'en milieu hospitalier. 5. Indications L’intérêt de la décontamination digestive, en particulier des vomissements provoqués et du lavage gastrique, a fortement été remis en cause par la Xème Conférence de consensus en réanimation et médecine d’urgence organisée par la société de réanimation de langue française en 1992, et par les « Position Statements de l’American Academy of Clinical Toxicology » et de « European association of Poison Centres and Clinical Toxicologists » parus en 1997. Les indications du lavage gastrique se sont limitées aux intoxications potentiellement graves* susceptible d’engager le pronostic vital, se produisant dans un délai de moins d’une heure. 1 Il peut être pratiqué plus tardivement et même répété dans des cas particuliers : • Ingestion de doses massives • Toxiques qui retardent la vidange gastrique et/ou ralentissent le transit intestinal (antidépresseurs tricycliques par exemple) • Médicaments à libération prolongée ou à enrobage gastro-résistant. • Toxiques formant des agglomérats intragastriques (carbamates, Antidépresseurs tricycliques par exemple) • Produits radio-opaques encore visibles sur la radiographie de l'abdomen sans préparation (Fer, Plomb…) En s’inspirant des deux consensus et en les adaptant à notre contexte notamment, l’absence de la majorité des antidotes, les médecins du centre Antipoison du Maroc ont établi une liste de produits toxiques* potentiellement graves pouvant faire l’objet d’un lavage gastrique (Tableau I) Cependant, le praticien prescrivant le LG doit en évaluer soigneusement et individuellement le rapport bénéfice/risque en s’aidant des consensus pour guider sa démarche. Paraquat, Colchicine, Naphtalène Antiarythmiques**, Fer, plomb Antidépresseurs tricycliques** Barbituriques, Carbamates, ** Chloroquine**, Paracétamol, Digitaline**, Théophylline, Organophosphorés, Organochlorés, Phosphure d’aluminium ( Phostoxin) Paraphénylène diamine (Takkaout) Certaines plantes : chardon à glu, Peganum harmala (Harmel), …. *Liste non exhaustive. Pour toutes les autres substances, Contactez le Centre Anti-Poison et de pharmacovigilance du Maroc ** Toxiques cardiotropes qui nécessite une vigilance particulière, et un lavage très précoce avant l’installation de trouble de rythme cardiaque. Tableau I : liste des produits toxiques pouvant faire l’objet d’un lavage gastrique établie par le CAP du Maroc 6. Contre-indications Liées au toxique : • ingestion de produits caustiques (risque de perforation) 2 • ingestion de produits moussants, des hydrocarbures et dérivés pétroliers. Toutefois, le risque systémique peut être tel qu’il pourra justifier une aspiration nasogastrique très prudente, éventuellement sous intubation. Liées au patient : • Altération de l'état de conscience (présente ou susceptible de survenir à brève échéance), sauf si le malade est intubé avec sonde à ballonnet gonflé. • Survenue brutale possible de convulsions, de troubles cardiaques ou d’une dépression respiratoire. • Antécédents de chirurgie gastrique (cicatrices abdominales) • Varices oesophagiennes connues ou ulcère gastrique évolutif • Chez le malade non intubé, toute situation comportant un risque d'inhalation : - convulsions - perte des réflexes de protection des voies aériennes supérieures - personnes âgées dépendantes • Age inférieur à 9 mois. • Conditions hémodynamiques précaires 7. Réalisation pratique Le lavage gastrique ne peut être réalisé qu'en milieu hospitalier par un personnel entraîné (au moins deux personnes). Un examen clinique complet et la correction de défaillances vitales éventuelles précèdent sa réalisation. Un matériel de réanimation (aspirateur de mucosités, plateau d'intubation, cardioscope) doit être disponible dans tous les cas. Une voie veineuse périphérique est mise en place avant le début du lavage, les prothèses dentaires sont enlevées. Le patient doit être clairement informé du déroulement de l'opération s'il est conscient . La position du patient est variable suivant les auteurs : le plus souvent en décubitus dorsal en position déclive, ou en position assise chez le sujet conscient pour certains. Le tube de Faucher (36 F minimum chez l'adulte) est lubrifié avec de l'eau ou de l'huile de vaseline (pas d'anesthésiques locaux), puis introduit dans la bouche. Il est ensuite poussé dans l'oesophage et l'estomac de façon non traumatique (40 à 50 cm chez l'adulte), en faisant déglutir le patient. Sa bonne position est vérifiée par l'existence d'un reflux gastrique et l'auscultation du creux épigastrique après injection d'air. Une tulipe en verre est adaptée au tube et le premier retour de liquide gastrique est conservé pour l'analyse toxicologique. Ensuite, la tulipe, placée à hauteur du malade, est remplie d'eau tiède (200 à 400 ml) contenant 1 à 2 g de NaCl. Elle est alors surélevée pour permettre l'écoulement de l'eau dans l'estomac, puis abaissée pour siphonner le liquide gastrique dans un sceau placé au dessous du plan du lit. 3 Cette manoeuvre est répétée plusieurs fois pour une quantité globale de 10 litres d'eau tiède ou plus (100 ml/kg chez l'enfant), jusqu'à l'obtention d'un liquide gastrique propre. Du charbon activé peut être administré après le lavage gastrique. 8. Surveillance La surveillance porte sur la fonction respiratoire, l'état de conscience, la pression artérielle, la fréquence cardiaque, la déglutition. Une malposition du tube ou son obstruction par des débris alimentaires, des agrégats de comprimés peut entraîner une mauvaise récupération du liquide gastrique. Un massage du creux épigastrique facilite souvent les manoeuvres de siphonnage. Certains toxiques imposent une vigilance particulière : toxiques convulsivants, toxiques cardiotropes et psychotropes d'action rapide. 9. Complications Les complications sont réduites par le respect des contre-indications, l'expérience du personnel et une bonne coopération du patient. Les complications potentielles du lavage gastrique sont bien documentées, mais en pratique les séquelles graves sont rares. Au cours du lavage gastrique on peut observer : • Nausées, vomissements • Lésions dentaires et bucco-pharyngées surtout si malade agité, • Erosions des muqueuses oesophagiennes et gastriques pouvant entraîner une hémorragie digestive (rare), imposant une fibroscopie • Spasme laryngé : il a été rapporté notamment chez les patients à moitié conscients ayant un comportement d’opposition. • Pneumopathie d’inhalation : ce risque est plus élevé lorsque le lavage gastrique est effectué sans intubation trachéale préalable chez des patients dans le coma ou ayant ingéré des hydrocarbures. Néanmoins, des cas d’inhalation ont également été signalés chez des patients conscients et qui n’avaient pas absorbé d’hydrocarbures. • Hémorragies sous conjonctivales lors d'efforts de toux ou de vomissements • Hypernatrémie à la suite d’un lavage gastrique avec des quantités importantes de sel, ou plus souvent hyponatrémie, évitée pour certains auteurs par l'adjonction de chlorure de sodium dans l'eau de lavage (4 à 9 g/l), • Intoxication à l’eau : elle a été signalée à la suite d’un lavage gastrique, en particulier chez l'enfant • Hypertension et tachycardie ont été constatées au cours du lavage gastrique, expliquées par une réaction adrénergique • Bradycardie d'origine vagale à l'introduction du tube, parfois même arrêt circulatoire, en particulier avec les toxiques cardiotropes (digitalique, chloroquine, carbamates) 10. Conclusion : L’indication du lavage gastrique doit être bien réfléchie et reposer essentiellement sur le délai écoulé depuis l’ingestion, la forme galénique du toxique et sa cinétique. Le recours au Centre Anti Poison du Maroc peut éclaircir certaines situations et aider le praticien dans sa décision de pratiquer ou non un lavage gastrique. 11. Références : 4 1. Sauder P., Berton C., Levens H., Flesh F., Kopferschmitt J.Efficacité toxico cinétique du lavage gastrique. Réa Urg, 1993. ; 2: 202-209. 2. Lejonc JL., Elkharrat D., Lapandry C., Leblanc JP., Robert R., Saint martin J. et AL. Epuration digestive lors des intoxications aigues. Réanim Urg 1993; 2: 169-75. 3. American academy of clinical toxicololy, european association of poison centers and clinical TOXICOLOGISTS.Position statement. Gut decontamination. J Toxicol Clin Toxicol 1997 ; 7 : 695-762. 4. Descotes.J.,Testud.F. ,Frantz.P. Les Paris. Traitement des intoxications : 45-53. Urgences en toxicologie 1992 Maloine, 5. Jaeger A., Vale JA. Intoxications aigues, 1999, Elsevier, Paris. La décontamination : méthodes et indications : 146-161. 6. Allan BC. , The role of gastric lavage in the treatment of patient suffering from barbiturate overdose; Med J Aust 1961; 2:513-4. 7. Matthew H., Mackintosh TF. Tompsett SL., Cameron JC. Gastric aspiration and lavage in acute poisoning. Br Med J 1966; 1:1333-7. 8. Spray SB., Zuidema GD., Cameron JL., Aspiration pneumonia: incidence of aspiration with endotracheal tubes. Am J Surg 1976; 131:701-3. 9. Leclerc F., Martiun V., Gaudier B., Intoxication par l’eau secondaire au lavage d’estomac. Nouv Pres Méd, 1981 ; 10 :1149-50 5