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iconografia comunista

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L’ICONOGRAPHIE COMMUNISTE FRANÇAISE
ET ITALIENNE DEPUIS LA LIBÉRATION
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Philippe Buton
ment prédisposées au langage de l’image
et, dans ce domaine, se niche une indéniable spécificité des militants communistes. Persuadés du caractère malléable de
l’homme et de la toute puissance de l’État,
ils ont généralement été en pointe dans
l’utilisation propagandiste de l’image, et
cela depuis la guerre civile russe. En outre,
un des débats historiographiques majeurs
portant sur l’histoire politique du siècle
passé – civilisation des mœurs ou brutalisation ? – concerne au premier chef cette
sensibilité politique. Toutes ces raisons
nous ont amené à interroger l’iconographie communiste et son éventuelle démocratisation.
Comment observer celle-ci ? La démocratie consistant, en grande partie, à gérer
pacifiquement les conflits politiques et sociaux, la démocratisation de ce courant
communiste, génétiquement lié à l’origine
à un mouvement totalitaire, devrait en
toute logique se traduire par une pacification de son message, par une atténuation
de la conflictualité de ses représentations
iconographiques. Mais cette démocratisation pourrait également prendre la forme
d’une certaine uniformisation des diverses
propagandes. En effet, l’étrangeté radicale
de la propagande communiste vis-à-vis des
autres communications politiques n’était
que la forme visible de l’état d’extériorité
voulue et entretenue par la contre-société
communiste à l’égard de la « société bourgeoise ». Enfin, cette extériorité se traduisait aussi par une posture d’attente messianique. Loin de rechercher en priorité les
avancées ponctuelles et les conquêtes par-
Inspirer une imagerie politique neuve a
été un objectif majeur du communisme.
Chercher dans les images qu’il a diffusées
des éléments d’explication à ses évolutions
idéologiques est aujourd’hui, pour les historiens, une démarche pleinement légitime. À
partir d’un corpus de près de 400 affiches,
Philippe Buton propose ici d’observer dans
quelle mesure l’iconographie des partis
communistes français et italien reflète, depuis 1945, leurs cheminements malaisés
vers l’acceptation de la démocratie.
A
près une longue période de réserve
et d’ostracisme, l’iconographie s’est
désormais imposée comme une
des sources, parmi d’autres, de la connaissance historique 1. À l’heure où la question
des représentations tend à constituer le
cœur de la démarche historienne, la représentation imagée ne peut que spécialement intéresser les historiens du politique,
et certains travaux ont déjà démontré les
riches apports de cette source à l’intelligence du temps 2. Toutefois, toutes les
idéologies politiques ne sont pas égale1. Nous avons retracé ce processus dans l’introduction de
Philippe Buton (dir.), La guerre imaginée. L’historien et les
images, Paris, Éditions Seli Arslan, 2002.
2. Dans une bibliographie désormais abondante, citons
un des pionniers, George L. Mosse, et ses travaux qui s’appuient partiellement sur l’iconographie — en particulier
George L. Mosse, The Nationalization of the Masses : Political Symbolism and Mass Movements in Germany from the
Napoleonic Wars through the Third Reich, London, Cornell
University Press, 1975 et Id., De la Grande Guerre au totalitarisme. La brutalisation des sociétés européennes (1990),
Paris, Hachette, coll. « Hachette Littératures », 1999 — et une
institution des plus prolixes, le Musée d’histoire contemporaine, dont les nombreuses expositions ont été particulièrement stimulantes.
Vingtième Siècle. Revue d’histoire, 80,
octobre-décembre 2003, p. 43-54.
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L’ADIEU AUX ARMES ?
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que celles appelant aux fêtes de L’Unità ou
de L’Humanité. Au total, il s’agit d’un
corpus de 390 affiches, 209 affiches françaises, 181 affiches italiennes.
Trois périodes ont été explorées, qui
correspondent chacune à des phases clairement individualisées par l’historiographie. La première est celle de la Libération,
jusqu’en 1947. La deuxième est celle de la
guerre froide, au sens traditionnel du terme,
soit jusqu’à la mort de Staline, en 1953.
L’ultime phase est celle, nettement plus récente, des années 1970, précisément les
années 1972-1983, qui correspondent à la
période charnière pendant laquelle les
chemins des deux partis divergent radicalement 6. Ce sont également les bornes
chronologiques arrêtées par Dominique
Memmi pour son remarquable travail sur
les affiches électorales italiennes, publié en
1986, un ouvrage qui a également inspiré
nos choix méthodologiques 7.
Deux grandes approches coexistent dans
l’analyse iconographique. La première recherche le dit ; la seconde, le non-dit. La
première analyse le discours volontairement asséné par le graphiste, même de
façon subtile. La seconde fouille les références implicites et les lapsus graphiques,
traque l’inconscient du sujet ou l’environnement social sous-jacent. Pour ceux qui
choisissent la seconde solution, toute une
herméneutique s’avère nécessaire, et un
certain nombre de méthodes ont été progressivement dégagées. La lexicométrie est
peut-être la plus célèbre mais, comme son
nom l’indique, elle présente pour nous l’inconvénient de se limiter à l’analyse textuelle. Il serait évidemment paradoxal de
choisir un corpus d’images pour traiter de
tout ce qui apparaît dans le document, sauf
de l’image elle-même. D’où le recours épisodique à une autre méthode d’analyse, la
sémiologie, à l’origine cantonnée à l’ana-
tielles, les partis communistes mettaient au
centre de leur vision du monde l’espoir du
Grand soir en entretenant la passion révolutionnaire 1. Analyser le rapport des
partis communistes à ces trois dimensions
permettrait vraisemblablement de mesurer
la réalité et les limites de ce processus de
démocratisation qui voit ces partis passer
« de la haine de la démocratie à l’assimilation des valeurs démocratiques 2 ».
Entreprendre cette étude impose de surmonter une première difficulté, celle des
sources. Même en limitant notre champ
d’étude aux deux principaux partis communistes occidentaux, les partis français et
italien, l’ampleur de leur production iconographique empêchait la recherche de l’exhaustivité 3. J’ai choisi d’utiliser les anthologies publiées 4, complétées par une
recherche dans deux fonds d’archives :
pour la France, les collections, en voie de
numérisation, du Musée d’histoire contemporaine, pour l’Italie, la sélection numérisée d’affiches réalisée par les chercheurs
de l’Institut Gramsci de Bologne, et mise
en ligne sur le Web 5. Je n’ai retenu que les
affiches illustrées et j’ai écarté celles éditées par les jeunesses communistes, ainsi
1. Cf. Marc Lazar, Le communisme, une passion française,
Paris, Perrin, 2002 ; Philippe Buton, Communisme : une
utopie en sursis ? Les logiques d’un système, Paris, Larousse,
2001.
2. Cf. Marc Lazar, op. cit., p. 100.
3. À notre connaissance, aucun travail d’analyse comparée de l’iconographie de ces deux partis n’a encore été
réalisé. En revanche, il existe un travail majeur portant sur
l’analyse de l’iconographie politique italienne : Luciano
Cheles, « Picture battles in the piazza : the political poster »,
Luciano Cheles, Lucio Sponza (dir.), The art of persuasion.
Political communication in Italy from 1945 to the 1990s,
Manchester, Manchester University Press, 2001.
4. Pour la France : Philippe Buton, Laurent Gervereau, Le
couteau entre les dents. 70 ans d’affiches communistes et anticommunistes, Paris, Le Chêne, 1989. Pour l’Italie : Via il
regime della forchetta. Autobiografia del PCI attraverso i
manifesti elettorali, Roma, Savelli, 1976 ; Vedere a sinistra.
Bruno Magno. Dal Pci al Pds. I manifesti e altre immagini,
1971-1991, Roma, Claudio Salemi, 1991 ; Edoardo Novelli,
C’era una volta il Pci. Autobiografia di un partito attraverso
le immagini della sua propaganda, Roma, Editori Riuniti,
2000.
5. Http://www.iger.org et http://manifestipolitici.it. Dans
ces deux institutions, j’ai bénéficié d’une aide prompte et efficace, en particulier de la part de Fabienne Dumont et de
Simona Granelli ; que tous soient ici chaleureusement remerciés.
6. Marc Lazar, Maisons rouges. Les Partis communistes
français et italien de la Libération à nos jours, Paris, Aubier,
coll. « Histoires », 1992.
7. Dominique Memmi, Du récit en politique. L’affiche
électorale italienne, Paris, Presses de Sciences Po, 1986.
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Philippe Buton
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lyse des textes, mais qui s’est parfois tournée vers les images. Observons toutefois
que le premier travail publié en France à
avoir tenté une approche, à la fois sémiologique et historique, de l’affiche – précisément celui de Dominique Memmi – se focalise lui aussi sur le texte. En effet, elle
écrit : « L’image n’a donc pas de fonction
spécifique dans le récit politique, elle sert à
souligner telle ou telle fonction actantielle
[…] L’image ne fait que contribuer, à son
niveau, à une mise en valeur d’un actant
quelconque dont l’ensemble de l’affiche
vise à souligner l’importance, et qui peut
varier. Elle a un rôle emphatique 1. »
Cependant, le rapport texte-image ne
demeure pas toujours aussi univoque. Il se
produit ainsi exceptionnellement des
exemples de contradiction absolue entre le
texte d’une affiche et l’image qu’elle porte 2 ;
il apparaît également parfois des relations
de substitutions elliptiques 3 ; il existe surtout en permanence une relation de
complémentarité entre ces deux dimensions. Or, qui dit complémentarité dit hiérarchie et, à mon sens, la réception a tendance à privilégier le choc des images sur
le poids des mots. Cela dit, il convient,
comme usuellement, de préciser le récepteur – la cible –, de reconstituer le
propre univers mental de celui-ci afin de
déterminer les différentes composantes du
message reçu et l’agencement subjectif qui
s’impose entre ces différents éléments.
Inutile de dire qu’un tel travail, dans lequel
intervient si fortement à la fois la subjectivité de l’historien et celle de son objet
d’étude, multiplie les filtres et les risques
d’erreur et, par conséquent, les conclusions d’une telle analyse ne peuvent être
retenues que lorsque les résultats appa-
raissent francs et tranchés, sûrement pas
lorsqu’ils donnent dans la nuance ou dans
la subtilité statistique. Telle est la prudence
élémentaire qui nous guidera dans cette
étude, ordonnée non pas chronologiquement mais scandée par l’examen progressif
et diachronique des principales fonctions
actantielles – l’anti-sujet, le sujet et l’objet
de valeur – cumulé avec l’analyse du rapport qu’entretient l’iconographie communiste avec ces trois dimensions probables
d’une éventuelle démocratisation : la pacification des images, l’uniformisation des
propagandes et l’atténuation de la passion
révolutionnaire.
! LE CONFLIT EN IMAGE
Interroger la pacification iconographique impose de faire apparaître la nature,
conflictuelle ou non, du message diffusé
par une image. Pour mener à bien cette
tâche, les méthodes dont dispose l’observateur sont légion. Prenons un exemple,
une affiche éditée par la fédération
d’Émilie-Romagne du PCI, dans le cadre de
la campagne électorale de 1951 (illustration 1). Il existe de nombreuses façons
d’analyser cette image. Si je souhaitais insister sur l’organisation iconique, je soulignerais son caractère dichotomique. À
gauche, le mal avec le camp de la guerre et
ses destructions, un camp identifié à la démocratie chrétienne grâce à l’écu portant la
croix du christianisme, le symbole habituel
de cette sensibilité politique. À cette apocalypse s’oppose le camp de la paix, à
droite, dans lequel s’offrent les deux symboles du patriotisme de clocher de Bologne, les deux tours penchées qui s’élèvent sur la Piazza di Porta Ravegnana : à
gauche la Tour Garisenda, à droite celle
des Asinelli, tout cela prenant appui sur la
constitution italienne portée sur les fonts
baptismaux par le PCI.
Toutefois, un historien féru d’analyse
rhétorique pourrait aussi utiliser la figure
littéraire de l’antithèse. Par ce terme, il sou-
1. Ibid., p. 68.
2. Un exemple dans Philippe Buton, « Les murs de la
guerre », Ph. Buton (dir.), La guerre imaginée, op. cit.,
p. 187-191.
3. Deux exemples dans Id., « Ordre nouveau, images anciennes. La propagande graphique de l’extrême droite
(1969-1970) », L’image fixe, 5, 1993, p. 4-7 ; Id., « Le Pen
1984, le dévoilement graphique », 2001 (http://
www.images-mag.net).
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L’adieu aux armes ?
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haiterait souligner le fait que le manichéisme de l’affiche amène à parler d’une
fausse alternative offerte par l’image. Concourt à cette alternative mensongère la
symbolique : la main cadavérique d’un
côté, la main ouverte de la franchise et du
don de l’autre ; les ruines d’un côté, les colombes bibliques de l’autre. Participe également de cette antithèse le spectre
chromatique : la domination du sombre et
les couleurs agressives du noir et du rouge
à gauche ; celle de la lumière et le tachisme du drapeau italien à droite. Y contribue aussi l’organisation iconique ellemême qui ne réserve que la portion
congrue au camp du mal, dont l’orientation oblique d’une part, et à gauche de
l’autre (autrement dit « avant », dans nos civilisations qui lisent de gauche à droite) indiquent la perspective d’avenir et de choix
induite par le graphiste. Y participent surtout les éléments textuels de l’affiche : les
bandeaux supérieurs, véritables panneaux
indicateurs proposant le retour en arrière
vers la guerre, ou l’avancée vers un futur
de paix, de travail et de liberté, tandis que
le socle de l’affiche qui contient le slogan
impératif – « Votez pour la paix » –, slogan
qui permet de dépasser la fausse alternative présentée en assurant le triomphe du
bien pacifiste sur le mal belliciste.
Mais tout cela n’intéresserait que médiocrement le sémiologue. Lui insisterait
sur le fait que cette affiche est dominée par
la figure de l’anti-sujet : dans le sens de la
lecture, c’est la première chose que l’on
voit. Cet anti-sujet doit être combattu ; tel
est le rôle du héros, telle est la fonction du
sujet, en l’occurrence les électeurs. Le héros
est donc invité à réaliser une performance,
battre l’anti-sujet qu’est la démocratie-chrétienne belliciste, afin de conquérir l’objet
de valeur qu’est la paix. Dans cette quête
de l’objet de valeur, le héros bénéficie d’une
aide, par le biais de ce que les sémiologues
nomment les adjuvants, ici la constitution
et surtout le vote communiste. Ainsi, la dominance de l’anti-sujet témoigne de la prégnance de la conflictualité. C’est en m’inspirant de cette méthode que j’ai effectué
une analyse sérielle du corpus, afin de
mettre au jour cet indice de la conflictualité
qu’est l’anti-sujet (cf. tableau n˚ 1).
Tableau no 1. Distribution de la fonction actantielle de l’anti-sujet
Période
Parti
Nombre
d’affiches
Libération .................................
Libération .................................
Guerre froide............................
Guerre froide............................
1972-1983 .................................
1972-1983 .................................
PCF
PCI
PCF
PCI
PCF
PCI
37
18
50
54
122
109
Anti-sujet
en position
dominante
10
4
26
31
38
48
27
22
52
57
31
44
Anti-sujet
en position
seconde
%
%
%
%
%
%
4
6
4
2
9
8
11
33
8
2
7
7
%
%
%
%
%
%
affiches. Une deuxième période de conflictualité moyenne : celle des années 19721983. Enfin, une période de faible conflictualité, celle de la Libération, pendant laquelle seule une affiche communiste sur
quatre est dominée par cet actant. La période de la Libération apparaît ainsi, pour la
propagande communiste, comme un mo-
La présence ou non de l’actant « antisujet » dans le corpus permet, d’abord, de
séparer les images consensuelles de celles
travaillant dans le dissensus ou dans le
conflit. Trois cas de figure se présentent.
Une période de très forte conflictualité, celle
de la guerre froide : l’anti-sujet occupe la
position dominante dans la majorité des
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Philippe Buton
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ment d’exceptionnel discours consensuel.
Malgré la relative faiblesse quantitative du
corpus de la Libération, cette conclusion
n’est nullement forcée. En effet, elle ressort
confortée de l’examen des anti-sujets résiduels que nous observons pendant cette
période. Dans le cas italien, tous se conjuguent au passé. Autrement dit, ce n’est pas
principalement un danger actuel qui est
stigmatisé, mais un drame du passé, en l’occurrence le fascisme et la guerre. Dans le
cas français, s’il subsiste quelques anti-sujets
conjugués au présent, ceux-ci demeurent
des exceptions marginales. Naturellement,
cet anti-sujet résiduel, bien que conjugué au
passé, peut atteindre un adversaire réel et
bien présent (par exemple la monarchie
responsable de la guerre en Italie, ou les
trusts dénoncés comme collaborateurs en
France). Mais cette contamination n’est pas
systématique. En effet, certaines des images
qui rappellent le passé ne cherchent nullement à accroître la conflictualité, mais visent
simplement à exalter les sacrifices des communistes disparus. Ainsi, pour ce qui est de
la conflictualité iconographique, le terme
final demeure ambivalent. Certes, dans les
années 1970, celle-ci a fortement diminué,
par comparaison avec la situation prévalant
pendant la guerre froide. Pour autant, elle
demeure largement supérieure à son étiage
historique de la Libération. Au regard de la
question de la démocratisation, l’évolution
de la conflictualité iconographique ne nous
permet pas d’être conclusif.
Peut-être doit-on alors éclairer sous un
nouvel angle cette démocratisation éventuelle en recherchant une certaine modernisation propagandiste grâce au prisme
d’une autre fonction actantielle : la représentation du sujet ?
discours communiste, par sa cible et sa finalité spécifiques, ne pouvait que se distinguer radicalement des autres discours.
Dans cette mesure, la démocratisation des
partis communistes pourrait se traduire par
un progressif comblement de ce fossé existant entre ces propagandes, et devrait donc
prendre la forme d’une certaine uniformisation des diverses propagandes politiques. Dans les pays occidentaux, la modernisation de la communication politique
a revêtu la forme de la personnalisation. La
propagande communiste a-t-elle connu la
même évolution ?
La personnalisation du combat politique
a été très précoce dans l’iconographie
communiste. Dès la Libération, le fait est
patent et la présence du héros – dans son
acception sémiologique – recouvre la représentation héroïque, au sens coutumier
du terme. En effet, ainsi que le souligne
Maurice Agulhon dans ses souvenirs : « Les
gens qui n’ont pas vécu cette époque ne
peuvent pas imaginer l’ampleur, l’insistance, l’omniprésence, la force et, osons le
dire, l’impudeur de la propagande communiste sur le thème de la Résistance » et de
ses martyrs 1. Aussi, à la Libération, l’apposition sur les murs d’affiches à la gloire des
résistants morts au combat ou fusillés devient massive, afin que le prestige des
héros disparus rejaillisse sur l’émetteur du
message. Toutefois, dans la durée, la représentation héroïque ne commémore pas
principalement l’exemple des martyrs. Les
héros sont la plupart du temps bien vivants, incarnant les acteurs de la transformation sociale.
À première vue, l’analyse de la représentation du « sujet » dans l’iconographie communiste ne dégage aucune tendance évidente. Les chiffres obtenus procurent ainsi
un résultat assez confus : 41/17 ; 28/28 ;
38/28 (cf. tableau n˚ 2).
! UNE HÉROÏSATION POLYMORPHE
Depuis toujours, la propagande communiste s’est voulue parfaitement originale.
De même que le parti communiste était
« un parti de type nouveau », de même le
1. Maurice Agulhon, « Vu des coulisses », Pierre Nora
(dir.), Essais d’ego-histoire, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des histoires », 1987, p. 21.
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Période
Parti
Nombre
d’affiches
Libération.........
Libération.........
Guerre froide...
Guerre froide...
1972-1983.........
1972-1983.........
PCF
PCI
PCF
PCI
PCF
PCI
37
18
50
54
122
109
Sujet
en position
dominante
15
3
14
15
40
30
41
17
28
28
38
28
%
%
%
%
%
%
Pour une part, celui-ci s’explique par le
caractère composite de la catégorie « sujet ».
Il peut exister de multiples sujets mais,
pour l’essentiel, nous pouvons observer
trois types principaux de héros dans l’iconographie communiste : le peuple (qu’il
figure sous les traits de l’électeur, du travailleur ou d’une catégorie spécifique :
jeunes, femmes, paysans, etc.), le parti et le
dirigeant. Or, une certaine évolution se
dessine, si l’on prend cette typologie en
compte. À la Libération, deux héros se partagent le premier rôle : le peuple et le
parti. Se rajoute à eux, pendant la guerre
froide, la représentation des dirigeants
communistes, ceux du parti (Thorez et Togliatti) ou du communisme international
(Staline). Ainsi, l’incarnation charnelle du
combat politique devient massive dans
l’iconographie communiste des années 1950.
Mais elle ne constitue en rien l’annonce de
la progressive personnalisation de la communication politique, apparue dans toute
sa majesté en France lors des élections présidentielles de 1965. Loin d’être le signe de
la modernisation de sa propagande, a fortiori l’indice d’une quelconque acculturation démocratique, cette personnalisation
croissante témoigne de la phase narcissique du stalinisme triomphant, un ricochet à l’Ouest du culte rendu à Staline à
l’Est, lui-même un mélange du processus
d’identification idolâtre lié au totalitarisme
et de l’héritage du culte oriental.
1. Ce malaise est analysé dans Bruno Groppo, Gianni Riccamboni (a cura di), La sinistra e il ’56 in Italia e Francia,
Padova, Liviana Editrice, 1987. Se reporter également à la
dernière étude en date : Arfon Rees (dir.), Stalin and the
Lesser Gods. The Leader Cult in Communist Dictatorships in
Comparative Perspective (1928-1961), Florence, European
University Institute, 15-16 May 2003.
2. Georges Marchais, Le défi démocratique, Grasset, 1973.
Significatif d’une volonté d’ouverture, cet ouvrage, rédigé
essentiellement par Charles Fiterman et Jean Kanapa (cf.
Dominique Andolfatto, « Entretien avec Anicet Le Pors, “Les
hérétiques sont des personnages bénéfiques au maintien de
la ligne” », Communisme, 72-73, 2003, p. 17) est publié par
une maison d’édition traditionnelle et non par la maison
d’édition du parti, les Éditions sociales.
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Ce phénomène explique le malaise des
différents partis communistes lorsque
Khrouchtchev, en 1956, lance une violente
diatribe contre le culte de la personnalité
rendu à son prédécesseur 1. Comment
l’iconographie communiste réagit-elle à
cette nouvelle donne ? Aussi bien en
France qu’en Italie, en adoptant la même
attitude qu’en Union soviétique ; désormais, les dirigeants communistes n’incarnent plus les acteurs majeurs de la scène
historique. De ce fait, nos partis communistes se trouvent en porte-à-faux au
regard de la tendance générale de l’époque
qui renforce la personnalisation du combat
politique. Toutefois, ils ne réagissent pas
entièrement à l’identique dans les années
1972-1983. À ce moment, le PCF représente avant tout le peuple, sous une forme
générique ou individualisée, mais il ne
refuse pas systématiquement de faire figurer ses dirigeants, du moins Georges
Marchais qui monopolise l’incarnation
charnelle du parti. Cela devient particulièrement net à partir de 1973. Cette année-là,
Georges Marchais publie Le défi démocratique 2. C’est l’occasion de personnaliser le
parti et son combat, et la photographie du
secrétaire général couvre les murs. Jusqu’en 1983, cette réalité s’impose de plus
en plus, même si une comparaison avec
les autres propagandes politiques – exception faite naturellement de l’extrême gauche
– démontrerait sûrement que les communistes français ne suivent la tendance générale à la personnalisation qu’avec retard, et
toujours en restant un ton au-dessous.
Tableau no 2. Distribution de la fonction
actantielle du sujet
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médiocrement notre recherche de la démocratisation communiste.
Peut-être la mutation démocratique serat-elle plus aisément observable par le
prisme de notre troisième actant : l’objet
de valeur ?
En revanche, le PCI répugne encore plus
que son homologue français à cette concession aux mœurs du temps. Ainsi, à quelques
rares exceptions près, par exemple une affiche de 1980 consacrée à la lutte contre les
licenciements à la FIAT, il faut attendre la
mort de Berlinguer (1984) pour que son
visage s’imprime massivement sur les murs
italiens 1, et la véritable personnalisation de
la communication du PCI ne se produit pas
réellement avant 1988 2. Pour autant, le
hiatus que nous décelons entre la propagande communiste et celle des autres formations politiques ne nous permet pas d’être
conclusif sur la mutation démocratique des
partis communistes. Traduit-il la répugnance
devant l’appauvrissement de la communication, signe indirect d’une certaine convergence démocratique liée à l’affaiblissement
des idéologies contraignantes ? Ou n’est-il
qu’un héritage du traumatisme engendré par
le stalinisme et la critique subséquente de
l’héroïsation du chef ?
Au total, la propagande communiste demeure profondément différente de celle des
autres courants politiques. Précoce dans sa
personnalisation, mais rétive à celle-ci à
partir de 1956, son parcours se révèle
presque l’envers de celui des dispositifs
concurrents, avant qu’une certaine convergence n’apparaisse dans les dernières décennies. Malheureusement, il demeure difficile de relier cet itinéraire original à celui
emprunté au même moment par les autres
partis politiques. En effet, cette évolution résulte essentiellement de phénomènes strictement endogènes du mouvement communiste – la gestion de la critique du culte de
la personnalité – et, ne reflétant pas au premier chef la relation aux sociétés occidentales de ces partis, elle n’éclaire que
! AGGIORNAMENTO ET IDENTITÉ
COMMUNISTE
Dans son discours de clôture du congrès
de 1950, Maurice Thorez déclarait : « C’est
vrai, nous ne sommes pas un parti comme
les autres. Nous avons travaillé pendant
trente ans pour n’être pas un parti comme
les autres 3. » Cette volonté communiste de
se distinguer n’était que la traduction pratique de la nature révolutionnaire du parti.
Redoutant la compromission derrière le
compromis, les communistes délaissaient
la prise des responsabilités au profit de l’attente eschatologique. Son abandon était
une des conditions de la démocratisation
de ces partis. D’où la nécessité de scruter
les horizons d’attente du communisme, ses
objectifs et ses espoirs, grâce à l’étude du
devenir de « l’objet de valeur ».
Cette troisième fonction actantielle enregistre également une représentation heurtée. Très massivement présente à la Libération (38 % et 50 % pour nos deux partis),
elle s’estompe pendant la guerre froide
(18 % et 7 %) avant de connaître un regain
d’intérêt dans les années 1970 (31 % et
27 %). Mais approfondir cet aspect impose
de distinguer, au sein de la catégorie générale d’objet de valeur, ce que j’appellerai
« l’objet de valeur du court terme » – celui
que l’on peut effectivement conquérir, et
qui correspond au programme minimum
en langage léniniste – et « l’objet de valeur
du long terme » qui indique, lui, l’horizon
de la libération humaine. Or ces deux aspects ne sont pas également distribués au
sein de notre corpus, comme le montre le
tableau n˚ 3.
1. Cf. respectivement Berlinguer sulla FIAT, PCI, PCI Torino, 1980 et E morto il compagno Enrico Berlinguer, PCI,
Direzione nazionale, 1984.
2. « As pointed out, the PCI had been wary of cultivating
the image of its leaders. The Rubicon was however crossed in
September 1988 : a close-up colour portrait of Achille Occhetto […] featured in a poster advertising his rally at the
conclusion of the national Festa dell’Unità, held in
Florence », L. Cheles, op. cit., p. 156.
3. Maurice Thorez, « Nous ne sommes pas un Parti comme
les autres », Cahiers du Communisme, décembre 1950, p. 5.
49
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L’adieu aux armes ?
Période
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Libération .........
Libération .........
Guerre froide....
Guerre froide....
1972-1983 .........
1972-1983 .........
Parti
Nombre
d’affiches
PCF
PCI
PCF
PCI
PCF
PCI
37
18
50
54
122
109
Objet de valeur
en position
dominante
11
9
9
4
38
29
38
50
18
7
31
27
Objet de valeur
Objet de valeur
de court terme en
de long terme en
position dominante position dominante
%
%
%
%
%
%
2
1
3
0
20
23
5
6
6
0
16
21
%
%
%
%
%
%
9
8
6
4
18
6
24
44
12
7
16
6
%
%
%
%
%
%
lité iconographique. Mais lorsque l’objet de
valeur se maintient en position dominante,
il s’agit toujours de l’objet de valeur du
long terme, mais cette fois-ci un objet de
valeur étroitement lié aux objectifs du
mouvement communiste international, en
l’occurrence la paix ou à nouveau l’horizon du communisme. Au total, pendant
ces deux premières périodes, la perspective eschatologique demeure intacte.
Toute cette dimension se modifie considérablement dans les années 1970, même
si, une nouvelle fois, nos deux partis réagissent de façon différente. Du côté italien,
pendant cette période, la vision eschatologique disparaît. Le tableau n˚ 4 révèle ainsi
la disparition du futur dans les discours
imagés du PCI : 56 % à la Libération, 11 %
pendant la guerre froide et 3 % seulement
dans les années 1970. Et, logiquement lié,
le triomphe du temps présent : respectivement 22 %, 82 % et 94 % (cf. tableau n˚ 4).
Nous assistons ainsi à un chassé-croisé :
la forte présence de l’objet de valeur à la
Libération traduit l’importance de la représentation de l’objet de valeur du long
terme, tandis que trente ans plus tard, nous
observons soit un rééquilibrage entre ces
deux éléments – c’est le cas français –, soit
une importance première prise par l’objet
de valeur de court terme – c’est le cas italien. Quelles conclusions pouvons-nous
tirer de ces observations ?
Pour la Libération, ces constats renvoient au maintien de la dimension eschatologique du communisme de ce temps,
une eschatologie qui s’exprime par des
perspectives explicitement communistes
(l’horizon du communisme), mais surtout,
à ce moment-là, par des perspectives nettement plus générales : la prospérité, le
bonheur, etc. Pendant la guerre froide,
cette présence de l’objet de valeur décroît
mécaniquement en raison de la forte
poussée, déjà examinée, de la conflictua-
Tableau no 4. Distribution de la temporalité dominante
Période
Parti
Libération...... PCF
Libération........ PCI
Guerre froide .. PCF
Guerre froide .. PCI
1972-1983........ PCF
1972-1983........ PCI
Nombre Narration au présent Narration au passé
Narration au futur
d’affiches (position dominante) (position dominante) (position dominante)
37
18
50
54
122
109
23
4
43
44
113
102
62
22
86
82
93
94
%
%
%
%
%
%
Cette métamorphose renvoie à la nouvelle présence significative d’un objet de
15
4
5
5
3
4
41 %
22 %
10 %
9%
3%
4%
2
10
2
6
6
3
15 %
56 %
4%
11 %
5%
3%
valeur, mais cette fois-ci d’un objet de
valeur du court terme. Concrètement, l’ho50
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Tableau no 3. Distribution de la fonction « objet de valeur » en position dominante
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rizon du communisme n’est plus exalté,
mais sont proposés des objectifs simples et
des revendications précises. Bref, le PCI ne
donne plus dans l’eschatologie millénariste, il fait désormais de la politique, de la
politique concrète et immédiate. Or « l’avenir radieux », selon l’expression d’Alexandre
Zinoviev, allait de pair avec la sécession interne de la contre-société communiste. Sa
disparition ne peut que renforcer l’acculturation démocratique de celle-ci.
En revanche, l’évolution apparaît moins
nette lorsque l’on examine la production
communiste française. A l’opposé du
schéma italien, dans la période 1972-1983,
l’objet de valeur du long terme ne disparaît
pas puisqu’il représente toujours 16 % des
cas. De toute évidence, le parti français a
peur de se focaliser sur les objectifs
immédiats ; il souhaite maintenir les objectifs
du long terme qui le différencient radicalement des autres partis. Pour expliquer ce
refus du PCF d’accompagner jusqu’au bout
le PCI dans l’aggiornamento, deux hypothèses s’offrent à nous. La première est
d’ordre politologique, renvoyant au dispositif des forces politiques italiennes ; la seconde d’ordre idéologique, la crainte que
l’aventure eurocommuniste ne se transforme
en une social-démocratisation.
Dans le système bipolaire italien des
années 1970, le parti communiste phagocyte la totalité de l’alternative politique. Il
peut donc se concentrer sur l’essentiel –
saper au quotidien la force de la démo-
cratie chrétienne – en délaissant l’accessoire (le maintien d’objectifs de transformation sociale) puisque ces deux séries
d’objectifs sont obligatoirement associées
en Italie par l’intermédiaire du parti dominant de l’opposition politique, le PCI. Nous
retrouvons ici une des conclusions du travail de Dominique Memmi, opposant les
dispositions discursives identiques du PCI
et de la DC – forte conflictualité et disparition de la figure de l’énonciateur – à celle
du PSI, jouant de la séduction et de l’utilisation narcissique de l’image pour l’autoreprésentation de l’énonciateur 1. En revanche, en France, le PCF ne représente
plus la force hégémonique à gauche. La focalisation sur les réformes immédiates
pourrait servir la cause de l’allié-adversaire
qu’est le parti socialiste sans garantir une
véritable transformation sociale, d’où le
maintien de l’affirmation de ses propres
objectifs.
Peut-être est-il possible de préciser ce rapport au millénarisme en affinant l’étude
chronologique de la production imagée du
PCF. J’ai isolé, dans cette période 1972-1983,
deux séquences triennales bien différenciées : celle correspondant à l’apogée de la
politique unitaire (1972-1974) et celle postérieure à la rupture de l’Union de la gauche
(1978-1980). Pour des raisons de méthode,
j’ai, pour ces six années, dépouillé les fonds
du Musée d’histoire contemporaine de façon
exhaustive. Le tableau n˚ 5 résume les principaux résultats obtenus.
Tableau no 5. Distribution des principales fonctions actantielles
dans l’iconographie communiste française (1972-1980)
Période
Nombre total
d’affiches
1972-1983 .....
1972-1983 .....
47
54
Anti-sujet en
position
dominante
16
14
Objet de valeur
de court terme
en position
dominante
34 %
26 %
10
5
Une nouvelle fois, la prudence s’impose
en raison de l’étroitesse des chiffres mais,
21 %
9%
Objet de valeur
de long terme
en position
dominante
5
6
11 %
11 %
Sujet en position
dominante
16
29
1. D. Memmi, op. cit., p. 107 sq. et p. 130 sq.
51
34 %
54 %
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L’adieu aux armes ?
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communiste italienne est indéniable 1. Mais
l’essentiel demeure ailleurs, dans la distinction à opérer au sein de la catégorie générique de l’anti-sujet. Pendant la guerre
froide, la position de l’anti-sujet est occupée en grande majorité par l’adversaire
intérieur, en l’occurrence la démocratie
chrétienne et ses alliés, concrètement dans
68 % des cas où l’anti-sujet se trouve en
position dominante. En revanche, dans les
années 1970, la démocratie chrétienne –
même en lui agrégeant ses alliés, le gouvernement, la radio et la télé aux ordres de
ce dernier – ne constitue que 25 % des
anti-sujets représentés. Ainsi l’adversaire
politique ne revêt plus désormais majoritairement la figure de l’anti-sujet ; diminue
donc ipso facto le risque pour le combat
politique de dégénérer en affrontement, en
guerre civile larvée, voire ouverte.
Par quoi l’adversaire politique est-il
donc remplacé ? Les figures de remplacement sont désormais doubles. La première
solution est bien, comme pour le PCF, de
rejouer la partition de la guerre froide ;
c’est la dénonciation de l’impérialisme
américain, fauteur de guerre : les thèmes
de la guerre et des États-Unis représentent
26 % des anti-sujets pendant la guerre
froide et 21 % pendant les années 19721983. Mais l’essentiel réside dans l’apparition d’un tout autre discours, qui transforme le PCI en un parti humaniste recherchant la paix civile. L’aspiration à la paix
civile se manifeste par la dénonciation de
la violence et du terrorisme, une dénonciation tout à fait significative, occupant 19 %
des représentations de l’anti-sujet en position dominante. Aspect complémentaire, le
cependant, il semble possible d’avancer
une hypothèse. Dans les premières années
de l’Union de la gauche, le PCF suit un
chemin proche de celui du PCI. Il met
nombre de réformes partielles en avant,
même s’il demeure plus prudent que son
homologue transalpin. Or, il change de
posture propagandiste après la rupture de
l’Union de la gauche. S’observent alors
deux phénomènes. Soit une « syndicalisation du parti » : ce ne sont plus des réformes qui sont mises en avant, mais la dénonciation de telle ou telle souffrance
sociale. Soit, et c’est le phénomène quantitativement le plus important, il se produit
une véritable crispation identitaire qui se
traduit par l’essor de la figure actantielle du
sujet, un sujet de nouveau polymorphe revêtant les apparences du travailleur, du
parti ou de Georges Marchais. Il est clair
que ce maintien, même partiel, de l’antique perspective eschatologique ne peut
que gêner la mue démocratique du parti.
Cette évolution divergente des deux
partis me semble également perceptible si
l’on affine l’analyse, faite précédemment,
concernant la conflictualité de l’iconographie communiste dans les années 1970.
J’avais conclu à une conflictualité relativement forte, soulignée par la présence significative de l’anti-sujet. L’examen de la
nature différenciée de ces anti-sujets amène
à conforter l’appréciation première dans le
cas du PCF, mais à la nuancer dans le cas
italien. Lorsque l’on examine la nature des
anti-sujets représentés par le PCF, le parallélisme entre la période 1972-1983 et celle
de la guerre froide saute aux yeux. Les figures de l’anti-sujet sont quasi identiques :
les gouvernements de droite, la guerre atomique et les États-Unis. La principale différence, mais qui n’en est pas vraiment une,
renvoie à la forte présence de l’Europe, qui
occupe une bonne partie de la fonction de
l’anti-sujet à l’occasion des élections de
1979.
La situation apparaît nettement plus
complexe dans le cas du parti italien.
Certes, la conflictualité de l’iconographie
1. Évoquant le dispositif commun PCI-DC, Dominique
Memmi écrit que « l’analyse des fréquences des différents
items démontre avec évidence que c’est bien leur prédilection pour un discours hanté par l’anti-sujet, et plutôt discret,
en revanche, quant à la figure de l’objet de valeur et du destinateur qui provoque le rapprochement entre les deux
partis » et elle observe que, pendant sa période — la même
que la nôtre, mais D. Memmi n’a retenu que les affiches
électorales —, la fonction de l’anti-sujet est présente dans
60 % des affiches communistes, dans 53 % des affiches démocrates-chrétiennes, mais dans seulement 19 % des
affiches socialistes italiennes. Cf. ibid., p. 104.
52
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Philippe Buton
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plongée visuelle, accentuée par la quasi
mise en abîme provoquée par l’escalier,
renforcée par le faisceau de lumière centré
sur la victime d’overdose, tout concourt à
provoquer la compassion du récepteur.
Même la hiérarchie textuelle y participe :
l’élément conflictuel – « combattons le
trafic de drogue » – reste au second plan,
estompé par le bandeau oblique supérieur
qui appelle, lui, à la solidarité avec les
victimes : « 150 000 jeunes utilisent de l’héroïne. Les sauver est un devoir, les marginaliser un délit. » Cette posture humanitaire n’a plus rien à voir avec la culture de
guerre civile diffusée par les affiches de la
guerre froide.
PCI apparaît aussi comme un parti humaniste. Cela se traduit en premier lieu par la
façon de traiter graphiquement la question
même du terrorisme. Ainsi, la belle affiche
de Bruno Magno de 1979 dénonçant un attentat terroriste (illustration 2). Le graphiste a surimposé la photo d’un képi renversé sur la silhouette d’un mort, dessiné à
la craie sur une rue pavée, le tout résumé
par une simple sentence, écrite en blanc,
alors que les autres phrases sont en rouge
ou en noir : « E dentro c’è un uomo 1. »
Mais cette approche humaniste se révèle
surtout dans l’apparition de thèmes plus
humanitaires que politiques, au sens traditionnel du terme, tels la dénonciation des
maltraitances des enfants ou des ravages
de la drogue. Ces thèmes spécifiquement
humanistes regroupent 8 % du total des
présences de l’anti-sujet en position dominante. Ainsi, loin de participer fondamentalement de l’essor de la conflictualité sociale et politique, le PCI, même lorsqu’il
met l’anti-sujet au premier plan de ses
affiches, retrouve des thèmes plus consensuels que conflictuels. Dans les années
1970 et au début de la décennie suivante,
le PCI dénonce l’adversaire démocrate
chrétien, fustige l’incapacité gouvernementale, stigmatise la corruption latente, mais
tout cela demeure dans le cadre policé de
la controverse démocratique.
Naturellement, cette analyse sortirait
renforcée d’une étude thématique complétant l’approche sémiologique. Il n’y a ainsi
que peu de points communs entre les
affiches communistes italiennes des
années 1950 2 et, par exemple, la belle affiche de 1982 dénonçant les méfaits de la
drogue (illustration 3). L’utilisation de la
En définitive, le parcours fortement
contrasté des deux partis observés ressort
éclairé par le témoignage iconographique.
Si l’adieu aux armes peut être considéré
comme la figure métaphorique de la
conversion démocratique, il ne fait pas de
doute que dans l’ultime période que nous
avons examinée, le parti communiste italien a bien franchi le Rubicon, et sa conflictualité propagandiste qui s’affaisse et qui
change de nature en reste le signe le plus
manifeste. En revanche, la mue du parti
communiste français demeure inachevée.
Il a quitté la rive du révolutionnarisme stalinien, mais il hésite à franchement fouler
le sol du réformisme démocratique. Il se
trouve alors au milieu du fleuve, et chacun
sait qu’il s’agit là d’une position précaire et
inconfortable.
"
Professeur à l’université de Champagne-Ardenne,
spécialiste de l’histoire du communisme, Philippe
Buton a notamment publié, aux éditions Seli Arslan, Une histoire intellectuelle de la démocratie
(1918-1989) (2000) et, sous sa direction, La guerre
imaginée. L’historien et les images (2002), ainsi
que Communisme : une utopie en sursis ? Les
logiques d’un système (Larousse, 2001).
1. Bruno Magno, Sparano allo diviso. E dentro c’è un
uomo, PCI, Direzione nazionale, 1979.
2. Cf. L. Cheles, op. cit., à compléter par Paolo Soddu,
« “Via il regime della forchetta”. La sinistra storica nella
guerra fredda », Chiara Ottaviano, Paolo Soddu (a cura di),
La politica sui muri, 1946-1992, Torino, Rosenberg e Sellier,
2000, p. 44-63.
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L’adieu aux armes ?
Illustration 2 : dénonciation
d’un attentat terroriste.
Illustration 3 : dénonciation des méfaits
de la drogue.
Nous remercions l’Istituto Gramsci Emilia Romagna de nous avoir autorisé à reproduire
les illustrations de cet article.
54
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Illustration 1 : « Votez pour la paix. »
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© Istituto Gramsci Emilia Romagna
Philippe Buton
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