Document téléchargé depuis www.cairn.info - Bibliothèque nationale de France - - 194.199.3.13 - 12/12/2018 13h02. © Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.) Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) / $',(8$8;$50(6" / LFRQRJUDSKLHFRPPXQLVWHIUDQ©DLVHHWLWDOLHQQHGHSXLVOD/LE«UDWLRQ 3KLOLSSH%XWRQ 3UHVVHVGH6FLHQFHV3R 3)163 _m9LQJWLªPH6LªFOH5HYXHG KLVWRLUH} QR_SDJHV¢ ,661 ,6%1 $UWLFOHGLVSRQLEOHHQOLJQH¢O DGUHVVH KWWSVZZZFDLUQLQIRUHYXHYLQJWLHPHVLHFOHUHYXHGKLVWRLUHSDJHKWP 'LVWULEXWLRQ«OHFWURQLTXH&DLUQLQIRSRXU3UHVVHVGH6FLHQFHV3R 3)163 k3UHVVHVGH6FLHQFHV3R 3)163 7RXVGURLWVU«VHUY«VSRXUWRXVSD\V /DUHSURGXFWLRQRXUHSU«VHQWDWLRQGHFHWDUWLFOHQRWDPPHQWSDUSKRWRFRSLHQ HVWDXWRULV«HTXHGDQVOHV OLPLWHVGHVFRQGLWLRQVJ«Q«UDOHVG XWLOLVDWLRQGXVLWHRXOHFDV«FK«DQWGHVFRQGLWLRQVJ«Q«UDOHVGHOD OLFHQFHVRXVFULWHSDUYRWUH«WDEOLVVHPHQW7RXWHDXWUHUHSURGXFWLRQRXUHSU«VHQWDWLRQHQWRXWRXSDUWLH VRXVTXHOTXHIRUPHHWGHTXHOTXHPDQLªUHTXHFHVRLWHVWLQWHUGLWHVDXIDFFRUGSU«DODEOHHW«FULWGH O «GLWHXUHQGHKRUVGHVFDVSU«YXVSDUODO«JLVODWLRQHQYLJXHXUHQ)UDQFH,OHVWSU«FLV«TXHVRQVWRFNDJH GDQVXQHEDVHGHGRQQ«HVHVW«JDOHPHQWLQWHUGLW Document téléchargé depuis www.cairn.info - Bibliothèque nationale de France - - 194.199.3.13 - 12/12/2018 13h02. © Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.) L’ICONOGRAPHIE COMMUNISTE FRANÇAISE ET ITALIENNE DEPUIS LA LIBÉRATION Document téléchargé depuis www.cairn.info - Bibliothèque nationale de France - - 194.199.3.13 - 12/12/2018 13h02. © Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.) Philippe Buton ment prédisposées au langage de l’image et, dans ce domaine, se niche une indéniable spécificité des militants communistes. Persuadés du caractère malléable de l’homme et de la toute puissance de l’État, ils ont généralement été en pointe dans l’utilisation propagandiste de l’image, et cela depuis la guerre civile russe. En outre, un des débats historiographiques majeurs portant sur l’histoire politique du siècle passé – civilisation des mœurs ou brutalisation ? – concerne au premier chef cette sensibilité politique. Toutes ces raisons nous ont amené à interroger l’iconographie communiste et son éventuelle démocratisation. Comment observer celle-ci ? La démocratie consistant, en grande partie, à gérer pacifiquement les conflits politiques et sociaux, la démocratisation de ce courant communiste, génétiquement lié à l’origine à un mouvement totalitaire, devrait en toute logique se traduire par une pacification de son message, par une atténuation de la conflictualité de ses représentations iconographiques. Mais cette démocratisation pourrait également prendre la forme d’une certaine uniformisation des diverses propagandes. En effet, l’étrangeté radicale de la propagande communiste vis-à-vis des autres communications politiques n’était que la forme visible de l’état d’extériorité voulue et entretenue par la contre-société communiste à l’égard de la « société bourgeoise ». Enfin, cette extériorité se traduisait aussi par une posture d’attente messianique. Loin de rechercher en priorité les avancées ponctuelles et les conquêtes par- Inspirer une imagerie politique neuve a été un objectif majeur du communisme. Chercher dans les images qu’il a diffusées des éléments d’explication à ses évolutions idéologiques est aujourd’hui, pour les historiens, une démarche pleinement légitime. À partir d’un corpus de près de 400 affiches, Philippe Buton propose ici d’observer dans quelle mesure l’iconographie des partis communistes français et italien reflète, depuis 1945, leurs cheminements malaisés vers l’acceptation de la démocratie. A près une longue période de réserve et d’ostracisme, l’iconographie s’est désormais imposée comme une des sources, parmi d’autres, de la connaissance historique 1. À l’heure où la question des représentations tend à constituer le cœur de la démarche historienne, la représentation imagée ne peut que spécialement intéresser les historiens du politique, et certains travaux ont déjà démontré les riches apports de cette source à l’intelligence du temps 2. Toutefois, toutes les idéologies politiques ne sont pas égale1. Nous avons retracé ce processus dans l’introduction de Philippe Buton (dir.), La guerre imaginée. L’historien et les images, Paris, Éditions Seli Arslan, 2002. 2. Dans une bibliographie désormais abondante, citons un des pionniers, George L. Mosse, et ses travaux qui s’appuient partiellement sur l’iconographie — en particulier George L. Mosse, The Nationalization of the Masses : Political Symbolism and Mass Movements in Germany from the Napoleonic Wars through the Third Reich, London, Cornell University Press, 1975 et Id., De la Grande Guerre au totalitarisme. La brutalisation des sociétés européennes (1990), Paris, Hachette, coll. « Hachette Littératures », 1999 — et une institution des plus prolixes, le Musée d’histoire contemporaine, dont les nombreuses expositions ont été particulièrement stimulantes. Vingtième Siècle. Revue d’histoire, 80, octobre-décembre 2003, p. 43-54. 43 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Bibliothèque nationale de France - - 194.199.3.13 - 12/12/2018 13h02. © Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.) L’ADIEU AUX ARMES ? Document téléchargé depuis www.cairn.info - Bibliothèque nationale de France - - 194.199.3.13 - 12/12/2018 13h02. © Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.) que celles appelant aux fêtes de L’Unità ou de L’Humanité. Au total, il s’agit d’un corpus de 390 affiches, 209 affiches françaises, 181 affiches italiennes. Trois périodes ont été explorées, qui correspondent chacune à des phases clairement individualisées par l’historiographie. La première est celle de la Libération, jusqu’en 1947. La deuxième est celle de la guerre froide, au sens traditionnel du terme, soit jusqu’à la mort de Staline, en 1953. L’ultime phase est celle, nettement plus récente, des années 1970, précisément les années 1972-1983, qui correspondent à la période charnière pendant laquelle les chemins des deux partis divergent radicalement 6. Ce sont également les bornes chronologiques arrêtées par Dominique Memmi pour son remarquable travail sur les affiches électorales italiennes, publié en 1986, un ouvrage qui a également inspiré nos choix méthodologiques 7. Deux grandes approches coexistent dans l’analyse iconographique. La première recherche le dit ; la seconde, le non-dit. La première analyse le discours volontairement asséné par le graphiste, même de façon subtile. La seconde fouille les références implicites et les lapsus graphiques, traque l’inconscient du sujet ou l’environnement social sous-jacent. Pour ceux qui choisissent la seconde solution, toute une herméneutique s’avère nécessaire, et un certain nombre de méthodes ont été progressivement dégagées. La lexicométrie est peut-être la plus célèbre mais, comme son nom l’indique, elle présente pour nous l’inconvénient de se limiter à l’analyse textuelle. Il serait évidemment paradoxal de choisir un corpus d’images pour traiter de tout ce qui apparaît dans le document, sauf de l’image elle-même. D’où le recours épisodique à une autre méthode d’analyse, la sémiologie, à l’origine cantonnée à l’ana- tielles, les partis communistes mettaient au centre de leur vision du monde l’espoir du Grand soir en entretenant la passion révolutionnaire 1. Analyser le rapport des partis communistes à ces trois dimensions permettrait vraisemblablement de mesurer la réalité et les limites de ce processus de démocratisation qui voit ces partis passer « de la haine de la démocratie à l’assimilation des valeurs démocratiques 2 ». Entreprendre cette étude impose de surmonter une première difficulté, celle des sources. Même en limitant notre champ d’étude aux deux principaux partis communistes occidentaux, les partis français et italien, l’ampleur de leur production iconographique empêchait la recherche de l’exhaustivité 3. J’ai choisi d’utiliser les anthologies publiées 4, complétées par une recherche dans deux fonds d’archives : pour la France, les collections, en voie de numérisation, du Musée d’histoire contemporaine, pour l’Italie, la sélection numérisée d’affiches réalisée par les chercheurs de l’Institut Gramsci de Bologne, et mise en ligne sur le Web 5. Je n’ai retenu que les affiches illustrées et j’ai écarté celles éditées par les jeunesses communistes, ainsi 1. Cf. Marc Lazar, Le communisme, une passion française, Paris, Perrin, 2002 ; Philippe Buton, Communisme : une utopie en sursis ? Les logiques d’un système, Paris, Larousse, 2001. 2. Cf. Marc Lazar, op. cit., p. 100. 3. À notre connaissance, aucun travail d’analyse comparée de l’iconographie de ces deux partis n’a encore été réalisé. En revanche, il existe un travail majeur portant sur l’analyse de l’iconographie politique italienne : Luciano Cheles, « Picture battles in the piazza : the political poster », Luciano Cheles, Lucio Sponza (dir.), The art of persuasion. Political communication in Italy from 1945 to the 1990s, Manchester, Manchester University Press, 2001. 4. Pour la France : Philippe Buton, Laurent Gervereau, Le couteau entre les dents. 70 ans d’affiches communistes et anticommunistes, Paris, Le Chêne, 1989. Pour l’Italie : Via il regime della forchetta. Autobiografia del PCI attraverso i manifesti elettorali, Roma, Savelli, 1976 ; Vedere a sinistra. Bruno Magno. Dal Pci al Pds. I manifesti e altre immagini, 1971-1991, Roma, Claudio Salemi, 1991 ; Edoardo Novelli, C’era una volta il Pci. Autobiografia di un partito attraverso le immagini della sua propaganda, Roma, Editori Riuniti, 2000. 5. Http://www.iger.org et http://manifestipolitici.it. Dans ces deux institutions, j’ai bénéficié d’une aide prompte et efficace, en particulier de la part de Fabienne Dumont et de Simona Granelli ; que tous soient ici chaleureusement remerciés. 6. Marc Lazar, Maisons rouges. Les Partis communistes français et italien de la Libération à nos jours, Paris, Aubier, coll. « Histoires », 1992. 7. Dominique Memmi, Du récit en politique. L’affiche électorale italienne, Paris, Presses de Sciences Po, 1986. 44 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Bibliothèque nationale de France - - 194.199.3.13 - 12/12/2018 13h02. © Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.) Philippe Buton Document téléchargé depuis www.cairn.info - Bibliothèque nationale de France - - 194.199.3.13 - 12/12/2018 13h02. © Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.) lyse des textes, mais qui s’est parfois tournée vers les images. Observons toutefois que le premier travail publié en France à avoir tenté une approche, à la fois sémiologique et historique, de l’affiche – précisément celui de Dominique Memmi – se focalise lui aussi sur le texte. En effet, elle écrit : « L’image n’a donc pas de fonction spécifique dans le récit politique, elle sert à souligner telle ou telle fonction actantielle […] L’image ne fait que contribuer, à son niveau, à une mise en valeur d’un actant quelconque dont l’ensemble de l’affiche vise à souligner l’importance, et qui peut varier. Elle a un rôle emphatique 1. » Cependant, le rapport texte-image ne demeure pas toujours aussi univoque. Il se produit ainsi exceptionnellement des exemples de contradiction absolue entre le texte d’une affiche et l’image qu’elle porte 2 ; il apparaît également parfois des relations de substitutions elliptiques 3 ; il existe surtout en permanence une relation de complémentarité entre ces deux dimensions. Or, qui dit complémentarité dit hiérarchie et, à mon sens, la réception a tendance à privilégier le choc des images sur le poids des mots. Cela dit, il convient, comme usuellement, de préciser le récepteur – la cible –, de reconstituer le propre univers mental de celui-ci afin de déterminer les différentes composantes du message reçu et l’agencement subjectif qui s’impose entre ces différents éléments. Inutile de dire qu’un tel travail, dans lequel intervient si fortement à la fois la subjectivité de l’historien et celle de son objet d’étude, multiplie les filtres et les risques d’erreur et, par conséquent, les conclusions d’une telle analyse ne peuvent être retenues que lorsque les résultats appa- raissent francs et tranchés, sûrement pas lorsqu’ils donnent dans la nuance ou dans la subtilité statistique. Telle est la prudence élémentaire qui nous guidera dans cette étude, ordonnée non pas chronologiquement mais scandée par l’examen progressif et diachronique des principales fonctions actantielles – l’anti-sujet, le sujet et l’objet de valeur – cumulé avec l’analyse du rapport qu’entretient l’iconographie communiste avec ces trois dimensions probables d’une éventuelle démocratisation : la pacification des images, l’uniformisation des propagandes et l’atténuation de la passion révolutionnaire. ! LE CONFLIT EN IMAGE Interroger la pacification iconographique impose de faire apparaître la nature, conflictuelle ou non, du message diffusé par une image. Pour mener à bien cette tâche, les méthodes dont dispose l’observateur sont légion. Prenons un exemple, une affiche éditée par la fédération d’Émilie-Romagne du PCI, dans le cadre de la campagne électorale de 1951 (illustration 1). Il existe de nombreuses façons d’analyser cette image. Si je souhaitais insister sur l’organisation iconique, je soulignerais son caractère dichotomique. À gauche, le mal avec le camp de la guerre et ses destructions, un camp identifié à la démocratie chrétienne grâce à l’écu portant la croix du christianisme, le symbole habituel de cette sensibilité politique. À cette apocalypse s’oppose le camp de la paix, à droite, dans lequel s’offrent les deux symboles du patriotisme de clocher de Bologne, les deux tours penchées qui s’élèvent sur la Piazza di Porta Ravegnana : à gauche la Tour Garisenda, à droite celle des Asinelli, tout cela prenant appui sur la constitution italienne portée sur les fonts baptismaux par le PCI. Toutefois, un historien féru d’analyse rhétorique pourrait aussi utiliser la figure littéraire de l’antithèse. Par ce terme, il sou- 1. Ibid., p. 68. 2. Un exemple dans Philippe Buton, « Les murs de la guerre », Ph. Buton (dir.), La guerre imaginée, op. cit., p. 187-191. 3. Deux exemples dans Id., « Ordre nouveau, images anciennes. La propagande graphique de l’extrême droite (1969-1970) », L’image fixe, 5, 1993, p. 4-7 ; Id., « Le Pen 1984, le dévoilement graphique », 2001 (http:// www.images-mag.net). 45 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Bibliothèque nationale de France - - 194.199.3.13 - 12/12/2018 13h02. © Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.) L’adieu aux armes ? Document téléchargé depuis www.cairn.info - Bibliothèque nationale de France - - 194.199.3.13 - 12/12/2018 13h02. © Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.) haiterait souligner le fait que le manichéisme de l’affiche amène à parler d’une fausse alternative offerte par l’image. Concourt à cette alternative mensongère la symbolique : la main cadavérique d’un côté, la main ouverte de la franchise et du don de l’autre ; les ruines d’un côté, les colombes bibliques de l’autre. Participe également de cette antithèse le spectre chromatique : la domination du sombre et les couleurs agressives du noir et du rouge à gauche ; celle de la lumière et le tachisme du drapeau italien à droite. Y contribue aussi l’organisation iconique ellemême qui ne réserve que la portion congrue au camp du mal, dont l’orientation oblique d’une part, et à gauche de l’autre (autrement dit « avant », dans nos civilisations qui lisent de gauche à droite) indiquent la perspective d’avenir et de choix induite par le graphiste. Y participent surtout les éléments textuels de l’affiche : les bandeaux supérieurs, véritables panneaux indicateurs proposant le retour en arrière vers la guerre, ou l’avancée vers un futur de paix, de travail et de liberté, tandis que le socle de l’affiche qui contient le slogan impératif – « Votez pour la paix » –, slogan qui permet de dépasser la fausse alternative présentée en assurant le triomphe du bien pacifiste sur le mal belliciste. Mais tout cela n’intéresserait que médiocrement le sémiologue. Lui insisterait sur le fait que cette affiche est dominée par la figure de l’anti-sujet : dans le sens de la lecture, c’est la première chose que l’on voit. Cet anti-sujet doit être combattu ; tel est le rôle du héros, telle est la fonction du sujet, en l’occurrence les électeurs. Le héros est donc invité à réaliser une performance, battre l’anti-sujet qu’est la démocratie-chrétienne belliciste, afin de conquérir l’objet de valeur qu’est la paix. Dans cette quête de l’objet de valeur, le héros bénéficie d’une aide, par le biais de ce que les sémiologues nomment les adjuvants, ici la constitution et surtout le vote communiste. Ainsi, la dominance de l’anti-sujet témoigne de la prégnance de la conflictualité. C’est en m’inspirant de cette méthode que j’ai effectué une analyse sérielle du corpus, afin de mettre au jour cet indice de la conflictualité qu’est l’anti-sujet (cf. tableau n˚ 1). Tableau no 1. Distribution de la fonction actantielle de l’anti-sujet Période Parti Nombre d’affiches Libération ................................. Libération ................................. Guerre froide............................ Guerre froide............................ 1972-1983 ................................. 1972-1983 ................................. PCF PCI PCF PCI PCF PCI 37 18 50 54 122 109 Anti-sujet en position dominante 10 4 26 31 38 48 27 22 52 57 31 44 Anti-sujet en position seconde % % % % % % 4 6 4 2 9 8 11 33 8 2 7 7 % % % % % % affiches. Une deuxième période de conflictualité moyenne : celle des années 19721983. Enfin, une période de faible conflictualité, celle de la Libération, pendant laquelle seule une affiche communiste sur quatre est dominée par cet actant. La période de la Libération apparaît ainsi, pour la propagande communiste, comme un mo- La présence ou non de l’actant « antisujet » dans le corpus permet, d’abord, de séparer les images consensuelles de celles travaillant dans le dissensus ou dans le conflit. Trois cas de figure se présentent. Une période de très forte conflictualité, celle de la guerre froide : l’anti-sujet occupe la position dominante dans la majorité des 46 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Bibliothèque nationale de France - - 194.199.3.13 - 12/12/2018 13h02. © Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.) Philippe Buton Document téléchargé depuis www.cairn.info - Bibliothèque nationale de France - - 194.199.3.13 - 12/12/2018 13h02. © Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.) ment d’exceptionnel discours consensuel. Malgré la relative faiblesse quantitative du corpus de la Libération, cette conclusion n’est nullement forcée. En effet, elle ressort confortée de l’examen des anti-sujets résiduels que nous observons pendant cette période. Dans le cas italien, tous se conjuguent au passé. Autrement dit, ce n’est pas principalement un danger actuel qui est stigmatisé, mais un drame du passé, en l’occurrence le fascisme et la guerre. Dans le cas français, s’il subsiste quelques anti-sujets conjugués au présent, ceux-ci demeurent des exceptions marginales. Naturellement, cet anti-sujet résiduel, bien que conjugué au passé, peut atteindre un adversaire réel et bien présent (par exemple la monarchie responsable de la guerre en Italie, ou les trusts dénoncés comme collaborateurs en France). Mais cette contamination n’est pas systématique. En effet, certaines des images qui rappellent le passé ne cherchent nullement à accroître la conflictualité, mais visent simplement à exalter les sacrifices des communistes disparus. Ainsi, pour ce qui est de la conflictualité iconographique, le terme final demeure ambivalent. Certes, dans les années 1970, celle-ci a fortement diminué, par comparaison avec la situation prévalant pendant la guerre froide. Pour autant, elle demeure largement supérieure à son étiage historique de la Libération. Au regard de la question de la démocratisation, l’évolution de la conflictualité iconographique ne nous permet pas d’être conclusif. Peut-être doit-on alors éclairer sous un nouvel angle cette démocratisation éventuelle en recherchant une certaine modernisation propagandiste grâce au prisme d’une autre fonction actantielle : la représentation du sujet ? discours communiste, par sa cible et sa finalité spécifiques, ne pouvait que se distinguer radicalement des autres discours. Dans cette mesure, la démocratisation des partis communistes pourrait se traduire par un progressif comblement de ce fossé existant entre ces propagandes, et devrait donc prendre la forme d’une certaine uniformisation des diverses propagandes politiques. Dans les pays occidentaux, la modernisation de la communication politique a revêtu la forme de la personnalisation. La propagande communiste a-t-elle connu la même évolution ? La personnalisation du combat politique a été très précoce dans l’iconographie communiste. Dès la Libération, le fait est patent et la présence du héros – dans son acception sémiologique – recouvre la représentation héroïque, au sens coutumier du terme. En effet, ainsi que le souligne Maurice Agulhon dans ses souvenirs : « Les gens qui n’ont pas vécu cette époque ne peuvent pas imaginer l’ampleur, l’insistance, l’omniprésence, la force et, osons le dire, l’impudeur de la propagande communiste sur le thème de la Résistance » et de ses martyrs 1. Aussi, à la Libération, l’apposition sur les murs d’affiches à la gloire des résistants morts au combat ou fusillés devient massive, afin que le prestige des héros disparus rejaillisse sur l’émetteur du message. Toutefois, dans la durée, la représentation héroïque ne commémore pas principalement l’exemple des martyrs. Les héros sont la plupart du temps bien vivants, incarnant les acteurs de la transformation sociale. À première vue, l’analyse de la représentation du « sujet » dans l’iconographie communiste ne dégage aucune tendance évidente. Les chiffres obtenus procurent ainsi un résultat assez confus : 41/17 ; 28/28 ; 38/28 (cf. tableau n˚ 2). ! UNE HÉROÏSATION POLYMORPHE Depuis toujours, la propagande communiste s’est voulue parfaitement originale. De même que le parti communiste était « un parti de type nouveau », de même le 1. Maurice Agulhon, « Vu des coulisses », Pierre Nora (dir.), Essais d’ego-histoire, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des histoires », 1987, p. 21. 47 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Bibliothèque nationale de France - - 194.199.3.13 - 12/12/2018 13h02. © Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.) L’adieu aux armes ? Document téléchargé depuis www.cairn.info - Bibliothèque nationale de France - - 194.199.3.13 - 12/12/2018 13h02. © Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.) Période Parti Nombre d’affiches Libération......... Libération......... Guerre froide... Guerre froide... 1972-1983......... 1972-1983......... PCF PCI PCF PCI PCF PCI 37 18 50 54 122 109 Sujet en position dominante 15 3 14 15 40 30 41 17 28 28 38 28 % % % % % % Pour une part, celui-ci s’explique par le caractère composite de la catégorie « sujet ». Il peut exister de multiples sujets mais, pour l’essentiel, nous pouvons observer trois types principaux de héros dans l’iconographie communiste : le peuple (qu’il figure sous les traits de l’électeur, du travailleur ou d’une catégorie spécifique : jeunes, femmes, paysans, etc.), le parti et le dirigeant. Or, une certaine évolution se dessine, si l’on prend cette typologie en compte. À la Libération, deux héros se partagent le premier rôle : le peuple et le parti. Se rajoute à eux, pendant la guerre froide, la représentation des dirigeants communistes, ceux du parti (Thorez et Togliatti) ou du communisme international (Staline). Ainsi, l’incarnation charnelle du combat politique devient massive dans l’iconographie communiste des années 1950. Mais elle ne constitue en rien l’annonce de la progressive personnalisation de la communication politique, apparue dans toute sa majesté en France lors des élections présidentielles de 1965. Loin d’être le signe de la modernisation de sa propagande, a fortiori l’indice d’une quelconque acculturation démocratique, cette personnalisation croissante témoigne de la phase narcissique du stalinisme triomphant, un ricochet à l’Ouest du culte rendu à Staline à l’Est, lui-même un mélange du processus d’identification idolâtre lié au totalitarisme et de l’héritage du culte oriental. 1. Ce malaise est analysé dans Bruno Groppo, Gianni Riccamboni (a cura di), La sinistra e il ’56 in Italia e Francia, Padova, Liviana Editrice, 1987. Se reporter également à la dernière étude en date : Arfon Rees (dir.), Stalin and the Lesser Gods. The Leader Cult in Communist Dictatorships in Comparative Perspective (1928-1961), Florence, European University Institute, 15-16 May 2003. 2. Georges Marchais, Le défi démocratique, Grasset, 1973. Significatif d’une volonté d’ouverture, cet ouvrage, rédigé essentiellement par Charles Fiterman et Jean Kanapa (cf. Dominique Andolfatto, « Entretien avec Anicet Le Pors, “Les hérétiques sont des personnages bénéfiques au maintien de la ligne” », Communisme, 72-73, 2003, p. 17) est publié par une maison d’édition traditionnelle et non par la maison d’édition du parti, les Éditions sociales. 48 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Bibliothèque nationale de France - - 194.199.3.13 - 12/12/2018 13h02. © Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.) Ce phénomène explique le malaise des différents partis communistes lorsque Khrouchtchev, en 1956, lance une violente diatribe contre le culte de la personnalité rendu à son prédécesseur 1. Comment l’iconographie communiste réagit-elle à cette nouvelle donne ? Aussi bien en France qu’en Italie, en adoptant la même attitude qu’en Union soviétique ; désormais, les dirigeants communistes n’incarnent plus les acteurs majeurs de la scène historique. De ce fait, nos partis communistes se trouvent en porte-à-faux au regard de la tendance générale de l’époque qui renforce la personnalisation du combat politique. Toutefois, ils ne réagissent pas entièrement à l’identique dans les années 1972-1983. À ce moment, le PCF représente avant tout le peuple, sous une forme générique ou individualisée, mais il ne refuse pas systématiquement de faire figurer ses dirigeants, du moins Georges Marchais qui monopolise l’incarnation charnelle du parti. Cela devient particulièrement net à partir de 1973. Cette année-là, Georges Marchais publie Le défi démocratique 2. C’est l’occasion de personnaliser le parti et son combat, et la photographie du secrétaire général couvre les murs. Jusqu’en 1983, cette réalité s’impose de plus en plus, même si une comparaison avec les autres propagandes politiques – exception faite naturellement de l’extrême gauche – démontrerait sûrement que les communistes français ne suivent la tendance générale à la personnalisation qu’avec retard, et toujours en restant un ton au-dessous. Tableau no 2. Distribution de la fonction actantielle du sujet Document téléchargé depuis www.cairn.info - Bibliothèque nationale de France - - 194.199.3.13 - 12/12/2018 13h02. © Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.) médiocrement notre recherche de la démocratisation communiste. Peut-être la mutation démocratique serat-elle plus aisément observable par le prisme de notre troisième actant : l’objet de valeur ? En revanche, le PCI répugne encore plus que son homologue français à cette concession aux mœurs du temps. Ainsi, à quelques rares exceptions près, par exemple une affiche de 1980 consacrée à la lutte contre les licenciements à la FIAT, il faut attendre la mort de Berlinguer (1984) pour que son visage s’imprime massivement sur les murs italiens 1, et la véritable personnalisation de la communication du PCI ne se produit pas réellement avant 1988 2. Pour autant, le hiatus que nous décelons entre la propagande communiste et celle des autres formations politiques ne nous permet pas d’être conclusif sur la mutation démocratique des partis communistes. Traduit-il la répugnance devant l’appauvrissement de la communication, signe indirect d’une certaine convergence démocratique liée à l’affaiblissement des idéologies contraignantes ? Ou n’est-il qu’un héritage du traumatisme engendré par le stalinisme et la critique subséquente de l’héroïsation du chef ? Au total, la propagande communiste demeure profondément différente de celle des autres courants politiques. Précoce dans sa personnalisation, mais rétive à celle-ci à partir de 1956, son parcours se révèle presque l’envers de celui des dispositifs concurrents, avant qu’une certaine convergence n’apparaisse dans les dernières décennies. Malheureusement, il demeure difficile de relier cet itinéraire original à celui emprunté au même moment par les autres partis politiques. En effet, cette évolution résulte essentiellement de phénomènes strictement endogènes du mouvement communiste – la gestion de la critique du culte de la personnalité – et, ne reflétant pas au premier chef la relation aux sociétés occidentales de ces partis, elle n’éclaire que ! AGGIORNAMENTO ET IDENTITÉ COMMUNISTE Dans son discours de clôture du congrès de 1950, Maurice Thorez déclarait : « C’est vrai, nous ne sommes pas un parti comme les autres. Nous avons travaillé pendant trente ans pour n’être pas un parti comme les autres 3. » Cette volonté communiste de se distinguer n’était que la traduction pratique de la nature révolutionnaire du parti. Redoutant la compromission derrière le compromis, les communistes délaissaient la prise des responsabilités au profit de l’attente eschatologique. Son abandon était une des conditions de la démocratisation de ces partis. D’où la nécessité de scruter les horizons d’attente du communisme, ses objectifs et ses espoirs, grâce à l’étude du devenir de « l’objet de valeur ». Cette troisième fonction actantielle enregistre également une représentation heurtée. Très massivement présente à la Libération (38 % et 50 % pour nos deux partis), elle s’estompe pendant la guerre froide (18 % et 7 %) avant de connaître un regain d’intérêt dans les années 1970 (31 % et 27 %). Mais approfondir cet aspect impose de distinguer, au sein de la catégorie générale d’objet de valeur, ce que j’appellerai « l’objet de valeur du court terme » – celui que l’on peut effectivement conquérir, et qui correspond au programme minimum en langage léniniste – et « l’objet de valeur du long terme » qui indique, lui, l’horizon de la libération humaine. Or ces deux aspects ne sont pas également distribués au sein de notre corpus, comme le montre le tableau n˚ 3. 1. Cf. respectivement Berlinguer sulla FIAT, PCI, PCI Torino, 1980 et E morto il compagno Enrico Berlinguer, PCI, Direzione nazionale, 1984. 2. « As pointed out, the PCI had been wary of cultivating the image of its leaders. The Rubicon was however crossed in September 1988 : a close-up colour portrait of Achille Occhetto […] featured in a poster advertising his rally at the conclusion of the national Festa dell’Unità, held in Florence », L. Cheles, op. cit., p. 156. 3. Maurice Thorez, « Nous ne sommes pas un Parti comme les autres », Cahiers du Communisme, décembre 1950, p. 5. 49 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Bibliothèque nationale de France - - 194.199.3.13 - 12/12/2018 13h02. © Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.) L’adieu aux armes ? Période Document téléchargé depuis www.cairn.info - Bibliothèque nationale de France - - 194.199.3.13 - 12/12/2018 13h02. © Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.) Libération ......... Libération ......... Guerre froide.... Guerre froide.... 1972-1983 ......... 1972-1983 ......... Parti Nombre d’affiches PCF PCI PCF PCI PCF PCI 37 18 50 54 122 109 Objet de valeur en position dominante 11 9 9 4 38 29 38 50 18 7 31 27 Objet de valeur Objet de valeur de court terme en de long terme en position dominante position dominante % % % % % % 2 1 3 0 20 23 5 6 6 0 16 21 % % % % % % 9 8 6 4 18 6 24 44 12 7 16 6 % % % % % % lité iconographique. Mais lorsque l’objet de valeur se maintient en position dominante, il s’agit toujours de l’objet de valeur du long terme, mais cette fois-ci un objet de valeur étroitement lié aux objectifs du mouvement communiste international, en l’occurrence la paix ou à nouveau l’horizon du communisme. Au total, pendant ces deux premières périodes, la perspective eschatologique demeure intacte. Toute cette dimension se modifie considérablement dans les années 1970, même si, une nouvelle fois, nos deux partis réagissent de façon différente. Du côté italien, pendant cette période, la vision eschatologique disparaît. Le tableau n˚ 4 révèle ainsi la disparition du futur dans les discours imagés du PCI : 56 % à la Libération, 11 % pendant la guerre froide et 3 % seulement dans les années 1970. Et, logiquement lié, le triomphe du temps présent : respectivement 22 %, 82 % et 94 % (cf. tableau n˚ 4). Nous assistons ainsi à un chassé-croisé : la forte présence de l’objet de valeur à la Libération traduit l’importance de la représentation de l’objet de valeur du long terme, tandis que trente ans plus tard, nous observons soit un rééquilibrage entre ces deux éléments – c’est le cas français –, soit une importance première prise par l’objet de valeur de court terme – c’est le cas italien. Quelles conclusions pouvons-nous tirer de ces observations ? Pour la Libération, ces constats renvoient au maintien de la dimension eschatologique du communisme de ce temps, une eschatologie qui s’exprime par des perspectives explicitement communistes (l’horizon du communisme), mais surtout, à ce moment-là, par des perspectives nettement plus générales : la prospérité, le bonheur, etc. Pendant la guerre froide, cette présence de l’objet de valeur décroît mécaniquement en raison de la forte poussée, déjà examinée, de la conflictua- Tableau no 4. Distribution de la temporalité dominante Période Parti Libération...... PCF Libération........ PCI Guerre froide .. PCF Guerre froide .. PCI 1972-1983........ PCF 1972-1983........ PCI Nombre Narration au présent Narration au passé Narration au futur d’affiches (position dominante) (position dominante) (position dominante) 37 18 50 54 122 109 23 4 43 44 113 102 62 22 86 82 93 94 % % % % % % Cette métamorphose renvoie à la nouvelle présence significative d’un objet de 15 4 5 5 3 4 41 % 22 % 10 % 9% 3% 4% 2 10 2 6 6 3 15 % 56 % 4% 11 % 5% 3% valeur, mais cette fois-ci d’un objet de valeur du court terme. Concrètement, l’ho50 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Bibliothèque nationale de France - - 194.199.3.13 - 12/12/2018 13h02. © Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.) Tableau no 3. Distribution de la fonction « objet de valeur » en position dominante Document téléchargé depuis www.cairn.info - Bibliothèque nationale de France - - 194.199.3.13 - 12/12/2018 13h02. © Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.) rizon du communisme n’est plus exalté, mais sont proposés des objectifs simples et des revendications précises. Bref, le PCI ne donne plus dans l’eschatologie millénariste, il fait désormais de la politique, de la politique concrète et immédiate. Or « l’avenir radieux », selon l’expression d’Alexandre Zinoviev, allait de pair avec la sécession interne de la contre-société communiste. Sa disparition ne peut que renforcer l’acculturation démocratique de celle-ci. En revanche, l’évolution apparaît moins nette lorsque l’on examine la production communiste française. A l’opposé du schéma italien, dans la période 1972-1983, l’objet de valeur du long terme ne disparaît pas puisqu’il représente toujours 16 % des cas. De toute évidence, le parti français a peur de se focaliser sur les objectifs immédiats ; il souhaite maintenir les objectifs du long terme qui le différencient radicalement des autres partis. Pour expliquer ce refus du PCF d’accompagner jusqu’au bout le PCI dans l’aggiornamento, deux hypothèses s’offrent à nous. La première est d’ordre politologique, renvoyant au dispositif des forces politiques italiennes ; la seconde d’ordre idéologique, la crainte que l’aventure eurocommuniste ne se transforme en une social-démocratisation. Dans le système bipolaire italien des années 1970, le parti communiste phagocyte la totalité de l’alternative politique. Il peut donc se concentrer sur l’essentiel – saper au quotidien la force de la démo- cratie chrétienne – en délaissant l’accessoire (le maintien d’objectifs de transformation sociale) puisque ces deux séries d’objectifs sont obligatoirement associées en Italie par l’intermédiaire du parti dominant de l’opposition politique, le PCI. Nous retrouvons ici une des conclusions du travail de Dominique Memmi, opposant les dispositions discursives identiques du PCI et de la DC – forte conflictualité et disparition de la figure de l’énonciateur – à celle du PSI, jouant de la séduction et de l’utilisation narcissique de l’image pour l’autoreprésentation de l’énonciateur 1. En revanche, en France, le PCF ne représente plus la force hégémonique à gauche. La focalisation sur les réformes immédiates pourrait servir la cause de l’allié-adversaire qu’est le parti socialiste sans garantir une véritable transformation sociale, d’où le maintien de l’affirmation de ses propres objectifs. Peut-être est-il possible de préciser ce rapport au millénarisme en affinant l’étude chronologique de la production imagée du PCF. J’ai isolé, dans cette période 1972-1983, deux séquences triennales bien différenciées : celle correspondant à l’apogée de la politique unitaire (1972-1974) et celle postérieure à la rupture de l’Union de la gauche (1978-1980). Pour des raisons de méthode, j’ai, pour ces six années, dépouillé les fonds du Musée d’histoire contemporaine de façon exhaustive. Le tableau n˚ 5 résume les principaux résultats obtenus. Tableau no 5. Distribution des principales fonctions actantielles dans l’iconographie communiste française (1972-1980) Période Nombre total d’affiches 1972-1983 ..... 1972-1983 ..... 47 54 Anti-sujet en position dominante 16 14 Objet de valeur de court terme en position dominante 34 % 26 % 10 5 Une nouvelle fois, la prudence s’impose en raison de l’étroitesse des chiffres mais, 21 % 9% Objet de valeur de long terme en position dominante 5 6 11 % 11 % Sujet en position dominante 16 29 1. D. Memmi, op. cit., p. 107 sq. et p. 130 sq. 51 34 % 54 % Document téléchargé depuis www.cairn.info - Bibliothèque nationale de France - - 194.199.3.13 - 12/12/2018 13h02. © Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.) L’adieu aux armes ? Document téléchargé depuis www.cairn.info - Bibliothèque nationale de France - - 194.199.3.13 - 12/12/2018 13h02. © Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.) communiste italienne est indéniable 1. Mais l’essentiel demeure ailleurs, dans la distinction à opérer au sein de la catégorie générique de l’anti-sujet. Pendant la guerre froide, la position de l’anti-sujet est occupée en grande majorité par l’adversaire intérieur, en l’occurrence la démocratie chrétienne et ses alliés, concrètement dans 68 % des cas où l’anti-sujet se trouve en position dominante. En revanche, dans les années 1970, la démocratie chrétienne – même en lui agrégeant ses alliés, le gouvernement, la radio et la télé aux ordres de ce dernier – ne constitue que 25 % des anti-sujets représentés. Ainsi l’adversaire politique ne revêt plus désormais majoritairement la figure de l’anti-sujet ; diminue donc ipso facto le risque pour le combat politique de dégénérer en affrontement, en guerre civile larvée, voire ouverte. Par quoi l’adversaire politique est-il donc remplacé ? Les figures de remplacement sont désormais doubles. La première solution est bien, comme pour le PCF, de rejouer la partition de la guerre froide ; c’est la dénonciation de l’impérialisme américain, fauteur de guerre : les thèmes de la guerre et des États-Unis représentent 26 % des anti-sujets pendant la guerre froide et 21 % pendant les années 19721983. Mais l’essentiel réside dans l’apparition d’un tout autre discours, qui transforme le PCI en un parti humaniste recherchant la paix civile. L’aspiration à la paix civile se manifeste par la dénonciation de la violence et du terrorisme, une dénonciation tout à fait significative, occupant 19 % des représentations de l’anti-sujet en position dominante. Aspect complémentaire, le cependant, il semble possible d’avancer une hypothèse. Dans les premières années de l’Union de la gauche, le PCF suit un chemin proche de celui du PCI. Il met nombre de réformes partielles en avant, même s’il demeure plus prudent que son homologue transalpin. Or, il change de posture propagandiste après la rupture de l’Union de la gauche. S’observent alors deux phénomènes. Soit une « syndicalisation du parti » : ce ne sont plus des réformes qui sont mises en avant, mais la dénonciation de telle ou telle souffrance sociale. Soit, et c’est le phénomène quantitativement le plus important, il se produit une véritable crispation identitaire qui se traduit par l’essor de la figure actantielle du sujet, un sujet de nouveau polymorphe revêtant les apparences du travailleur, du parti ou de Georges Marchais. Il est clair que ce maintien, même partiel, de l’antique perspective eschatologique ne peut que gêner la mue démocratique du parti. Cette évolution divergente des deux partis me semble également perceptible si l’on affine l’analyse, faite précédemment, concernant la conflictualité de l’iconographie communiste dans les années 1970. J’avais conclu à une conflictualité relativement forte, soulignée par la présence significative de l’anti-sujet. L’examen de la nature différenciée de ces anti-sujets amène à conforter l’appréciation première dans le cas du PCF, mais à la nuancer dans le cas italien. Lorsque l’on examine la nature des anti-sujets représentés par le PCF, le parallélisme entre la période 1972-1983 et celle de la guerre froide saute aux yeux. Les figures de l’anti-sujet sont quasi identiques : les gouvernements de droite, la guerre atomique et les États-Unis. La principale différence, mais qui n’en est pas vraiment une, renvoie à la forte présence de l’Europe, qui occupe une bonne partie de la fonction de l’anti-sujet à l’occasion des élections de 1979. La situation apparaît nettement plus complexe dans le cas du parti italien. Certes, la conflictualité de l’iconographie 1. Évoquant le dispositif commun PCI-DC, Dominique Memmi écrit que « l’analyse des fréquences des différents items démontre avec évidence que c’est bien leur prédilection pour un discours hanté par l’anti-sujet, et plutôt discret, en revanche, quant à la figure de l’objet de valeur et du destinateur qui provoque le rapprochement entre les deux partis » et elle observe que, pendant sa période — la même que la nôtre, mais D. Memmi n’a retenu que les affiches électorales —, la fonction de l’anti-sujet est présente dans 60 % des affiches communistes, dans 53 % des affiches démocrates-chrétiennes, mais dans seulement 19 % des affiches socialistes italiennes. Cf. ibid., p. 104. 52 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Bibliothèque nationale de France - - 194.199.3.13 - 12/12/2018 13h02. © Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.) Philippe Buton Document téléchargé depuis www.cairn.info - Bibliothèque nationale de France - - 194.199.3.13 - 12/12/2018 13h02. © Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.) plongée visuelle, accentuée par la quasi mise en abîme provoquée par l’escalier, renforcée par le faisceau de lumière centré sur la victime d’overdose, tout concourt à provoquer la compassion du récepteur. Même la hiérarchie textuelle y participe : l’élément conflictuel – « combattons le trafic de drogue » – reste au second plan, estompé par le bandeau oblique supérieur qui appelle, lui, à la solidarité avec les victimes : « 150 000 jeunes utilisent de l’héroïne. Les sauver est un devoir, les marginaliser un délit. » Cette posture humanitaire n’a plus rien à voir avec la culture de guerre civile diffusée par les affiches de la guerre froide. PCI apparaît aussi comme un parti humaniste. Cela se traduit en premier lieu par la façon de traiter graphiquement la question même du terrorisme. Ainsi, la belle affiche de Bruno Magno de 1979 dénonçant un attentat terroriste (illustration 2). Le graphiste a surimposé la photo d’un képi renversé sur la silhouette d’un mort, dessiné à la craie sur une rue pavée, le tout résumé par une simple sentence, écrite en blanc, alors que les autres phrases sont en rouge ou en noir : « E dentro c’è un uomo 1. » Mais cette approche humaniste se révèle surtout dans l’apparition de thèmes plus humanitaires que politiques, au sens traditionnel du terme, tels la dénonciation des maltraitances des enfants ou des ravages de la drogue. Ces thèmes spécifiquement humanistes regroupent 8 % du total des présences de l’anti-sujet en position dominante. Ainsi, loin de participer fondamentalement de l’essor de la conflictualité sociale et politique, le PCI, même lorsqu’il met l’anti-sujet au premier plan de ses affiches, retrouve des thèmes plus consensuels que conflictuels. Dans les années 1970 et au début de la décennie suivante, le PCI dénonce l’adversaire démocrate chrétien, fustige l’incapacité gouvernementale, stigmatise la corruption latente, mais tout cela demeure dans le cadre policé de la controverse démocratique. Naturellement, cette analyse sortirait renforcée d’une étude thématique complétant l’approche sémiologique. Il n’y a ainsi que peu de points communs entre les affiches communistes italiennes des années 1950 2 et, par exemple, la belle affiche de 1982 dénonçant les méfaits de la drogue (illustration 3). L’utilisation de la En définitive, le parcours fortement contrasté des deux partis observés ressort éclairé par le témoignage iconographique. Si l’adieu aux armes peut être considéré comme la figure métaphorique de la conversion démocratique, il ne fait pas de doute que dans l’ultime période que nous avons examinée, le parti communiste italien a bien franchi le Rubicon, et sa conflictualité propagandiste qui s’affaisse et qui change de nature en reste le signe le plus manifeste. En revanche, la mue du parti communiste français demeure inachevée. Il a quitté la rive du révolutionnarisme stalinien, mais il hésite à franchement fouler le sol du réformisme démocratique. Il se trouve alors au milieu du fleuve, et chacun sait qu’il s’agit là d’une position précaire et inconfortable. " Professeur à l’université de Champagne-Ardenne, spécialiste de l’histoire du communisme, Philippe Buton a notamment publié, aux éditions Seli Arslan, Une histoire intellectuelle de la démocratie (1918-1989) (2000) et, sous sa direction, La guerre imaginée. L’historien et les images (2002), ainsi que Communisme : une utopie en sursis ? Les logiques d’un système (Larousse, 2001). 1. Bruno Magno, Sparano allo diviso. E dentro c’è un uomo, PCI, Direzione nazionale, 1979. 2. Cf. L. Cheles, op. cit., à compléter par Paolo Soddu, « “Via il regime della forchetta”. La sinistra storica nella guerra fredda », Chiara Ottaviano, Paolo Soddu (a cura di), La politica sui muri, 1946-1992, Torino, Rosenberg e Sellier, 2000, p. 44-63. 53 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Bibliothèque nationale de France - - 194.199.3.13 - 12/12/2018 13h02. © Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.) L’adieu aux armes ? Illustration 2 : dénonciation d’un attentat terroriste. Illustration 3 : dénonciation des méfaits de la drogue. Nous remercions l’Istituto Gramsci Emilia Romagna de nous avoir autorisé à reproduire les illustrations de cet article. 54 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Bibliothèque nationale de France - - 194.199.3.13 - 12/12/2018 13h02. © Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.) © Istituto Gramsci Emilia Romagna Illustration 1 : « Votez pour la paix. » © Istituto Gramsci Emilia Romagna Document téléchargé depuis www.cairn.info - Bibliothèque nationale de France - - 194.199.3.13 - 12/12/2018 13h02. © Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.) © Istituto Gramsci Emilia Romagna Philippe Buton