Thesis La "menace contre la paix" dans la pratique du Conseil de sécurité des Nations Unies : réflexions sur un concept de droit international BRUGERE, Anne-Laurence Abstract La "menace contre la paix" de l’article 39 de la Charte des Nations Unies est considérée comme étant insaisissable du point de vue du droit international. Si elle intéresse incontestablement le droit international en tant que notion contenue dans un traité, nombreux sont les auteurs qui refusent de la considérer comme un concept de droit à part entière. Ceci tient principalement au fait que la pratique de l’organe chargé d’en constater l’existence, le Conseil de sécurité, apparaît incohérente du point de vue juridique, c’est-à-dire impossible à systématiser, de quoi donner le vertige à n’importe quel juriste, même internationaliste. A peine pense-t-on avoir mis la "menace contre la paix" dans une boîte que celle-ci se révèle inadaptée à la nouvelle situation que la Conseil de sécurité vient de qualifier comme telle. La thèse affirme pourtant que la "menace contre la paix" est un concept de droit international. Reference BRUGERE, Anne-Laurence. La "menace contre la paix" dans la pratique du Conseil de sécurité des Nations Unies : réflexions sur un concept de droit international. Thèse de doctorat : Univ. Genève, 2013, no. D. 874 URN : urn:nbn:ch:unige-345676 Available at: http://archive-ouverte.unige.ch/unige:34567 Disclaimer: layout of this document may differ from the published version. REFLEXIONS SUR UN CONCEPT DE DROIT INTERNATIONAL Anne-Laurence Brugère Thèse de Doctorat Sous la direction du Professeur Robert Kolb Faculté de droit de l’Université de Genève Imprimatur No 874 Remerciements Je tiens à remercier mon directeur de thèse, le professeur Robert Kolb (Université de Genève), et mon second lecteur, le professeur Giovanni Distefano (Université de Neuchâtel), pour le suivi attentif et bienveillant de ce travail. Ils m’ont guidé dans le cheminement de ma pensée sans jamais tenter de m’imposer leur point de vue. Je remercie aussi les deux autres membres de mon jury de thèse, la professeure Laurence Boisson de Chazournes (Université de Genève) et le professeur Gérard Cahin (Université de Panthéon-Assas, Paris) pour la lecture minutieuse du manuscrit et leurs questions et remarques stimulantes lors de la défense, et même par la suite. Je voudrais témoigner ma reconnaissance au Fonds national suisse (FNS) de la recherche scientifique qui a contribué au financement de cette thèse par l’octroi d’une bourse de jeune chercheur. J’ai eu la chance, grâce à cette bourse, d’accomplir un séjour de recherche de six mois au Lauterpacht Centre of International Law (Université de Cambridge, Royaume-Uni). Je remercie également mes amis et anciens collègues de l’Université de Genève et de la Cour européenne des droits de l’homme pour leur soutien, parfois juridique, souvent moral. J’aimerais dédier ma thèse à Léonard, mon mari, et Elisabeth, notre fille, qui m’ont permis (à tout point de vue) d’accomplir et d’achever ce travail, ainsi qu’à ma grand-mère, Paulette, disparue mais toujours inspirante. « Law must govern world relationships if they are to be peaceful », Philip C. Jessup, A Modern Law of Nations. TABLE DES MATIERES INTRODUCTION GENERALE .......................................................................................................... 1 But de la thèse ......................................................................................................................................................... 1 Angle d’approche, méthodologie et délimitation du sujet ...................................................................................... 3 Caveat : concept/notion .......................................................................................................................................... 8 Questions juridiques soulevées par la mise en œuvre de la notion de menace contre la paix ................................ 9 Plan de la thèse ...................................................................................................................................................... 11 TITRE I. ECLAIRAGE HISTORIQUE DE LA NOTION DE « MENACE CONTRE LA PAIX »................................................................................................................................................... 13 1. Les doctrines de la paix en Europe aux XVIIe et XVIIIe siècles ................................................ 14 1.1. Emeric de Crucé .................................................................................................................................................. 14 1.2. L’Abbé de Saint-Pierre ........................................................................................................................................ 18 1.3. Emmanuel Kant ................................................................................................................................................... 22 1.4. Emer de Vattel ..................................................................................................................................................... 26 1.5. Conclusion intermédiaire : la conception de la « menace contre la paix » aux XVIIe et XVIIIe siècles ............ 35 1) La conception de la paix ................................................................................................................................... 35 2) L’existence d’une communauté humaine ......................................................................................................... 36 3) Une compétence à l’égard de toute menace...................................................................................................... 36 4) L’interdiction de menacer la paix ..................................................................................................................... 36 2. L’organisation européenne et mondiale de la paix aux XIXe et XXe siècles ............................. 37 2.1. La Sainte-Alliance ............................................................................................................................................... 37 2.2. La Société des Nations ........................................................................................................................................ 45 TITRE II. INFLUENCES RECIPROQUES ENTRE LE DROIT INTERNATIONAL ET LE CONSTAT D’UNE MENACE CONTRE LA PAIX ........................................................................ 59 PREMIERE SECTION. LE CONSTAT D’UNE MENACE CONTRE LA PAIX PAR LE CONSEIL DE SECURITE : QUEL PROCESSUS EN DROIT ? ............................................................................................................ 61 1. le droit, cadre analytique du constat par le conseil de sécurité d’une menace contre la paix . 62 1.1. La menace contre la paix, des faits au droit : constatation ou qualification juridique? ...................................... 62 1.1.1. La constatation ............................................................................................................................................ 62 1.1.2. Le Conseil de sécurité « qualifie » une situation de menace contre la paix : le point de vue de la doctrine ............................................................................................................................................................................... 64 1.1.3. Le Conseil de sécurité « constate » une menace contre la paix : la rhétorique des Etats membres du Conseil de sécurité ................................................................................................................................................ 65 1.2. La discrétionnalité du constat ............................................................................................................................. 68 1.2.1. La discrétionnalité en question en-dehors du droit international ................................................................ 69 1.2.1.1. Une première définition de la discrétionnalité : la liberté intégrée à la légalité ................................. 69 1.2.1.2. Le concept de « discretion » chez R. Dworkin ................................................................................... 70 1.2.1.3. L’indétermination et l’indéterminabilité de la norme (S. Rials)......................................................... 72 1.2.1.4. La doctrine administrativiste allemande, britannique et française du pouvoir discrétionnaire .......... 78 a) La doctrine allemande ............................................................................................................................ 78 b) La doctrine britannique .......................................................................................................................... 81 c) La doctrine française .............................................................................................................................. 83 1.2.2. La discrétionnalité « en question » en droit international ........................................................................... 86 1.2.2.1. La « théorie » du pouvoir discrétionnaire en droit international ........................................................ 86 a) La « théorie des compétences » .............................................................................................................. 87 b) L’avis de la CIJ sur les conditions d’admission d’un Etat membre des Nations Unies (article 4 de la Charte) ........................................................................................................................................................ 88 1.2.2.2. Le « pouvoir discrétionnaire » comme expression de la liberté du Conseil de sécurité de constater une menace contre la paix : des limites ou de l’absence de limites à cette liberté .......................................... 95 a) Le Conseil de sécurité jouit d’un pouvoir discrétionnaire illimité ......................................................... 95 b) Le Conseil de sécurité ne jouit que d’un pouvoir discrétionnaire limité (ou d’une marge d’appréciation)............................................................................................................................................ 98 1.2.2.3. Vers une plus grande « théorisation » de la notion de pouvoir discrétionnaire dans le contexte des pouvoirs du Conseil de sécurité ..................................................................................................................... 100 1.2.2.4. Conclusion sur la notion de « pouvoir discrétionnaire » dans le contexte des pouvoirs du Conseil de sécurité ........................................................................................................................................................... 105 2. Le droit, cadre matériel du constat par le Conseil de sécurité d’une menace contre la paix 107 Remarques terminologiques et problématisation ................................................................................................ 107 2.1. Le « discours juridique » des Etats membres du Conseil de sécurité ................................................................ 108 2.1.1. Points de vue de la doctrine ...................................................................................................................... 109 2.1.1.1. Un « habillage juridique » selon l’Ecole réaliste des relations internationales ................................ 109 2.1.1.2. Une « perspective engagée » : la doctrine de M. Koskenniemi ........................................................ 110 2.1.1.3. Le plaidoyer de T. Franck en faveur d’un « fairness-discourse » au sein du Conseil de sécurité .... 114 2.1.2. Notre point de vue : l’interprétation d’un concept ancré dans un traité international............................... 117 2.2. Analyse du discours juridique des Etats membres du Conseil de sécurité relatif à la menace contre la paix... 118 La situation-type ................................................................................................................................................. 118 2.2.1. Le discours juridique sur les conditions de forme du constat (communes aux trois situations de l’article 39) ....................................................................................................................................................................... 119 2.2.1.1. Le constat d’une situation de l’article 39 : un préalable obligatoire à la mise en œuvre du Chapitre VII .................................................................................................................................................................. 119 2.2.1.2. La question de savoir si, dans le cadre de l’application de la résolution « Union pour le maintien de la paix », un constat préalable par le Conseil de sécurité d’une situation de l’article 39 est nécessaire ....... 121 2.2.1.3. Un constat explicite : une exigence intrinsèque à la mise en œuvre du Chapitre VII ? ................... 127 2.2.1.4. Constat implicite ou absence de « constat » au sens de l’article 39 ?............................................... 130 2.2.1.5. Qu’entend-t-on par constat « explicite » ? Les ambigüités qui demeurent quant aux raisons ayant motivé le constat ............................................................................................................................................ 138 2.2.1.6. Conclusion sur le discours juridique relatif aux conditions de forme du constat ............................. 140 2.2.2. Le discours juridique sur les conditions de fond du constat (propres à la menace contre la paix) ........... 141 2.2.2.1. Situation interne et paix internationale ............................................................................................. 142 Cas n° 1 : Rhodésie du Sud (1965-66), une question d’intérêt international (et un foyer virtuel de guerre) .................................................................................................................................................................. 145 Cas n° 2 : Somalie (1992), un désastre humanitaire (et un conflit à dimension internationale) .............. 153 Cas n° 3 : Libye (2011), une situation internationale par nature ? ........................................................... 157 2.2.2.2. Conditions temporelles de la menace contre la paix : imminence et persistance de la menace ....... 164 Cas n° 4 : Libye (Lockerbie, 1988-1992), une menace « étirée » dans le temps ..................................... 166 2.2.2.3. Conditions géographiques de la paix menacée : paix mondiale, régionale voire locale ? ................ 171 2.2.2.4. Le cas des menaces « génériques » à la paix et la sécurité internationales ...................................... 173 La prolifération des armes de destruction massive................................................................................... 173 Le terrorisme international ....................................................................................................................... 175 Les menaces qui ne sont pas des « menaces génériques » stricto sensu .................................................. 176 Conclusion sur le cas des « menaces génériques » : hors du temps et de l’espace ? ............................... 178 2.2.3. Conclusion sur le discours juridique sur les conditions de mise en œuvre de la menace contre la paix .. 180 SECONDE SECTION. LE CONSTAT D’UNE MENACE CONTRE LA PAIX PAR LE CONSEIL DE SECURITE : QUEL APPORT AU DROIT ? ................................................................................................................ 181 Propos introductifs : le pouvoir « créateur de droit » du Conseil de sécurité ..................................................... 182 1. Les effets en droit international de l’interprétation par le Conseil de sécurité de la notion de menace contre la paix inscrite à l’article 39 de la Charte ......................................................... 185 1.1. Le Conseil de sécurité, un interprète privilégié de la Charte ............................................................................ 187 1.1.1. Une interprétation « authentique » de la notion de menace contre la paix ? ............................................ 187 1.1.1.1. L’interprétation authentique « au sens strict » .................................................................................. 187 1.1.1.2. L’interprétation authentique « au sens large » .................................................................................. 189 1.1.2. La pratique subséquente (« parfaite » et « imparfaite ») ........................................................................... 192 1.1.3. La coutume interprétative ......................................................................................................................... 194 1.1.4. Conclusion intermédiaire .......................................................................................................................... 194 1.2. Dans quelle mesure le Conseil de sécurité est-il lié par ses précédents ? ......................................................... 195 1.2.1. Les « précédents » dans le contexte de la pratique d’un organe d’une organisation internationale : l’exemple du Conseil de sécurité ........................................................................................................................ 196 1.2.2. Les « précédents » à la lumière de la problématique du pouvoir discrétionnaire du Conseil de sécurité. 199 2. L’impact de l’interprétation par le Conseil de sécurité de la notion de menace contre la paix sur le développement du droit international (au-delà de l’article 39 de la Charte) .................. 202 2.1. Un impact limité de par les caractéristiques propres au constat d’une menace contre la paix par le Conseil de sécurité ...................................................................................................................................................................... 203 2.2. L’impact sur les règles de droit inscrites dans la Charte avec lesquelles la notion de menace contre la paix entretient des rapports étroits : un impact par ricochet sur le droit international général ........................................ 207 2.2.1. L’obligation des Etats de régler pacifiquement leurs différends (article 2 § 3) ........................................ 208 2.2.1.1. Les liens intrinsèques entre la menace contre la paix et l’obligation des Etats de régler pacifiquement leurs différends .............................................................................................................................................. 208 2.2.1.2. Le très faible impact de la pratique du Conseil de sécurité relative à la menace contre la paix sur l’obligation des Etats de régler pacifiquement leurs différends .................................................................... 212 2.2.2. L’interdiction pour les Etats de recourir ou de menacer de recourir à la force (article 2 § 4) .................. 214 2.2.2.1. Les liens intrinsèques entre la menace contre la paix et l’interdiction du recours ou de la menace du recours à la force ............................................................................................................................................ 214 2.2.2.2. L’absence d’impact de la pratique du Conseil de sécurité relative à la menace contre la paix sur l’interdiction des Etats de recourir à la force ou de menacer d’y recourir..................................................... 217 2.2.3. L’interdiction pour les Nations Unies de s’immiscer dans le domaine réservé des Etats (article 2 § 7) .. 220 2.2.3.1. Les liens intrinsèques entre la menace contre la paix et le principe de la non-intervention des Nations Unies dans le domaine réservé des Etats membres........................................................................................ 220 2.2.3.2. Le fort impact de la pratique du Conseil de sécurité relative au constat d’une menace contre la paix sur le concept de domaine réservé des Etats .................................................................................................. 221 TITRE III. LE CONCEPT DE MENACE CONTRE LA PAIX : ESSAI DE SYNTHESE ....... 224 1. Deux lectures juridiquement possibles de la menace contre la paix : deux conceptions du rôle du Conseil de sécurité ................................................................................................................. 224 1.1. Doctrine selon laquelle il existe toujours un lien de causalité entre le constat d’une menace contre la paix et l’hypothèse d’un conflit armé international (la doctrine de la « causalité nécessaire ») .......................................... 232 1.1.1. L’hypothèse d’un conflit armé international ............................................................................................. 232 1.1.2. « The double strategy » : le lien entre une situation interne ou lointaine et la menace contre la paix...... 235 1.1.3. La crainte de voir la « paix » s’enrichir d’un contenu positif vis-à-vis de l’étendue des pouvoirs du Conseil de sécurité .............................................................................................................................................. 238 1.2. Doctrine selon laquelle il n’existe pas toujours un lien de causalité entre le constat d’une menace contre la paix et l’hypothèse d’un conflit armé international.......................................................................................................... 242 1.2.1. Premier courant doctrinal : l’absence de logique juridique ...................................................................... 242 1.2.2. Second courant doctrinal : la conception classique (étroite) de la menace contre la paix est juridiquement dépassée (la doctrine de la menace contre la paix « par nature ») ...................................................................... 244 1.2.3. Le Conseil de sécurité, garant de la « paix positive » au nom des Nations Unies ? ................................. 251 1.3. Conclusion intermédiaire : le « choix » entre les deux lectures juridiquement possibles de la menace contre la paix dépend principalement de la conception que l’on a du rôle du Conseil de sécurité dans l’ordre juridique international .............................................................................................................................................................. 259 2. Conclusions quant aux traits communs et distinctifs des deux lectures juridiquement possibles de la menace contre la paix ........................................................................................................ 261 2.1. La potentialité : le critère commun aux deux conceptions doctrinales de la menace contre la paix ................. 261 2.2. Le sentiment d’appartenance à la « communauté internationale »: un trait distinctif de la conception large de la menace contre la paix vis-à-vis de la conception étroite ? ....................................................................................... 263 CONCLUSION GENERALE ........................................................................................................... 267 Une notion « cernable en droit » ......................................................................................................................... 267 L’essence du concept de la menace contre la paix .............................................................................................. 269 BIBLIOGRAPHIE ............................................................................................................................ 271 TABLE DES ABREVIATIONS AFDI Annuaire français de droit international AfrJICL African Journal of International and Comparative Law AG/RES Résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies AJDA Actualité juridique du droit administratif AJIL American Journal of International Law APD Archives de philosophie du droit APSR American Political Science Review ASIL Proc. Proceedings of the American Society of International Law AuJPIL Austrian Journal of Public International Law AYBIL Australian Yearbook of International Law BYBIL British Yearbook of International Law CDI Commission du droit international CEDH Convention européenne des droits de l’homme CIISE Commission internationale de l’intervention et de la souveraineté des Etats CIJ Cour internationale de justice CIJ Rec. Recueil des arrêts, avis consultatifs et ordonnances de la Cour internationale de justice CLJ Cambridge Law Journal Columb.JTL Columbia Journal of Transnational Law Cour EDH Cour européenne des droits de l’homme CPJI Cour permanente de justice internationale CS/RES Résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies CUP Cambridge University Press CVDT Convention de Vienne sur le droit des traités DCNUOI Documents de la Conférence des Nations Unies sur l’organisation internationale (travaux préparatoires de la Charte des Nations Unies) Den.JILP Denver Journal of International Law and Policy Duke JCIL Duke Journal of Comparative and International Law éd(s) éditeur(s) EJIL European Journal of International Law Emory ILR Emory International Law Review Geo.Wash.ILR The George Washington International Law Review GJICL Georgia Journal of International and Comparative Law GYBIL German Yearbook of International Law HILJ Harvard International Law Journal HLR Harvard Law Review HRQ Human Rights Quarterly HUP Harvard University Press HYBIL Hague Yearbook of International Law ibid. ibidem ICLQ International and Comparative Law Quarterly Ind.ICLR Indiana International and Comparative Law Review InLJ Indiana Law Journal Int. Environ. Agreements International Environmental Agreements IYBIL Irish Yearbook of International Law JCSL Journal of Conflict and Security Law JICJ Journal of International Criminal Justice L.G.D.J. Librairie générale de droit et de jurisprudence litt. littra LJIL Leiden Journal of International Law Max Planck EPIL Max Planck Encyclopedia of Public International Law Max Planck UNYB Max Planck Yearbook of United Nations Law MichJIL Michigan Journal of International Law n. note de bas de page dans l’œuvre citée NILR Netherlands International Law Review NYBIL Netherlands Yearbook of International Law NYUJILP New York University Journal of International Law and Politics op. cit. opus citatum OUP Oxford University Press PUAM Presses universitaires d’Aix-Marseille PUF Presses universitaires de France PUP Princeton University Press RBDI Revue belge de droit international RCADI Recueil des Cours de l’Académie de droit international de La Haye RDILC Revue de droit international et de législation comparée RGDIP Revue générale de droit international public RICR Revue internationale de la Croix-Rouge RIDC Revue internationale de droit comparé Riv. d. diritto int. Rivista di diritto internazionale SFDI Société française pour le droit international SYBIL Singapore Yearbook of International Law TILJ Texas International Law Journal TPIY Tribunal pénal pour l’ex-Yougoslavie Tulane JICL Tulane Journal of International and Comparative Law UDMLR University of Detroit Mercy Law Review Vand.JTL Vanderbilt Journal of Transnational law Virginia JIL Virginia Journal of International Law Yale JIL Yale Journal of International Law YLJ Yale Law Journal YUP Yale University Press INTRODUCTION GENERALE « […] le but même de la science juridique c’est de séparer le droit et le non-droit »1. « Le premier Article [du] Chapitre [VII], l’Article 39, domine tout le Chapitre. Il établit que ‘le Conseil de sécurité constate l’existence d’une menace contre la paix, d’une rupture de la paix ou d’un acte d’agression, et fait des recommandations’ ou décide quelles mesures seront prises ‘pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationales’». Représentant du Royaume-Uni au Conseil de sécurité2. But de la thèse La notion de « menace contre la paix », inscrite à l’article 39 de la Charte des Nations Unies, est considérée comme étant particulièrement insaisissable3 du point de vue du droit international public. S’il s’agit incontestablement d’une notion qui intéresse le droit international en tant que notion contenue dans un traité international, la Charte des Nations Unies, nombreux sont ceux qui se refusent à la considérer comme un concept de droit à part entière4. Ceci tient principalement au fait que la pratique de l’organe chargé d’en constater l’existence en vertu de l’article 39, le Conseil de sécurité de l’Organisation des nations Unies, apparaît prima facie incohérente 5 du point de vue juridique, c’est-à-dire impossible à 1 G. SCELLE, « Règles générales du droit de la paix », 46 RCADI (1933), p. 692. 2 S/PV.35, p. 181 (examen de la « question espagnole » : c’est ainsi que la situation en Espagne en 1946, sous le régime de Franco, était désignée au sein de l’Organisation des Nations Unies). 3 J. SALMON, Dictionnaire de droit international public, Bruylant (2001), p. 800 : « Le contenu du concept [de menace contre la paix] est fuyant » ; J. CRAWFORD, Brownlie’s Principles of Public International Law, OUP (2012), p. 760 : « The notion of a threat to the peace is mercurial ». 4 Y. KERBRAT, La référence au Chapitre VII de la Charte des Nations Unies dans les résolutions à caractère humanitaire du Conseil de sécurité, L.G.D.J. (1995), p. 24 : « La notion de menace n’est donc pas un concept autonome, voire pas un concept du tout. Elle est une notion fonctionnelle qui ne prend son sens que par rapport au système de sécurité collective du Chapitre VII ». 5 H. FREUDENSCHUSS, « Article 39 of the UN Charter Revisited : Threats to the Peace and the Recent Practice of the UN Security Council », 46 AuJPIL (1993), p. 3 (« inconsistent if not haphazard », amenant l’auteur à qualifier la notion de menace contre la paix de « true grey area in the practice of the Security Council »). 1 systématiser6, de quoi donner le vertige à n’importe quel juriste, même internationaliste ! Ainsi, à peine pense-t-on avoir mis la notion de menace contre la paix dans une boîte que celle-ci apparaît inadaptée à la nouvelle situation que le Conseil de sécurité vient de qualifier comme telle. Notre thèse consiste pourtant à affirmer que la notion de menace contre la paix n’est pas seulement une notion inscrite dans un traité international, mais qu’elle est aussi un concept de droit international7. De manière non contestée, d’abord, le constat d’une menace contre la paix par le Conseil de sécurité produit des effets de droit. Personne ne saurait remettre en cause que le constat d’une menace contre la paix en vertu de l’article 39 de la Charte s’impose à tous les Etats, sauf à dire que ce constat est illicite vis-à-vis d’une situation donnée, mais il ne saurait s’agir d’une affirmation générale. En effet, les actes adoptés par le Conseil de sécurité sur la base du constat d’une menace contre la paix sont revêtus de la force obligatoire du Chapitre VII de la Charte (sous réserve que le Conseil de sécurité ait entendu leur conférer un effet obligatoire par l’adoption d’une décision plutôt qu’une recommandation 8 )9 . Le flou conceptuel qui entoure la notion de menace contre la paix de l’article 39 préoccupe précisément les juristes 6 « L’impossible typologie de la menace contre la paix », expression de J.-M. SOREL, « L’élargissement de la notion de menace contre la paix », in : SFDI, Le Chapitre VII de la Charte des Nations Unies. Actes du Colloque de Rennes, Pedone (1995), p. 34 ; M. KOSKENNIEMI, « The Police in the Temple. Order, Justice and the UN : A Dialectical View », 6 EJIL (1995), p. 327, à propos du point de vue de l’Ecole réaliste. Les raisons de la difficulté à dégager une cohérence, d’un point de vue juridique, de la pratique du Conseil de sécurité relative à la notion de menace contre la paix sont multiples et bien connues. De manière non exhaustive : la notion n’est pas définie dans et par la Charte, or elle se caractérise en soi par un haut degré d’abstraction (induit notamment par l’utilisation du terme de « menace ») ; un seul membre permanent du Conseil de sécurité peut faire échouer l’adoption d’une résolution constatant une menace contre la paix par l’utilisation effective ou la menace de l’utilisation de son droit de veto ; les résolutions du Conseil de sécurité, qui sont le résultat de tractations diplomatiques et de réunions informelles entre ses membres, ne mentionnent pas clairement la base juridique et les motifs de leur adoption ; il n’existe pas de mécanisme de contrôle général et automatique des résolutions du Conseil de sécurité constatant une menace contre la paix ; etc. 7 Voir infra notre caveat au sujet des expressions « notion » et « concept ». L’article 39 de la Charte des Nations Unies permet en effet au Conseil de sécurité soit de faire des recommandations soit de décider « quelles mesures seront prises conformément aux Articles 41 et 42 pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationales ». 8 9 Voir notamment Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, CIJ, avis consultatif du 22 juillet 2010, CIJ Rec. (2010), p. 439, § 85 : « La résolution 1244 (1999) a été expressément adoptée par le Conseil de sécurité au titre du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies, et elle impose donc clairement des obligations juridiques internationales » (la CS/RES/1244 en question considérait, à l’alinéa 12 de son préambule, que « la situation dans la région continu[ait] de constituer une menace pour la paix et la sécurité internationales »). 2 parce que son constat par le Conseil de sécurité ouvre la porte aux mesures coercitives du Chapitre VII. De manière plus contestée, ensuite, la menace contre la paix peut être définie en termes juridiques10, et non pas seulement de manière à esquiver la réalité conceptuelle qu’elle renferme11. A cet égard, notre thèse vise à démontrer que la notion de menace contre la paix peut faire l’objet d’une analyse approfondie en droit international quant aux questions juridiques qu’elle soulève et quant aux fondements conceptuels sur lesquels elle repose. Angle d’approche, méthodologie et délimitation du sujet Nous avons adopté un angle d’approche différent des études doctorales existant sur le sujet, consistant à mettre en perspective la pratique du Conseil de sécurité relative à la menace contre la paix avec le sens de la notion selon une analyse in abstracto des dispositions pertinentes de la Charte12. Notre approche s’en distingue pour trois raisons principales. 10 Proposition notamment contestée par T. GILL, « Legal and some political limitations on the power of the UN Security Council to exercise its enforcement powers under Chapter VII of the Charter », NYBIL (1995), p. 117 : « the question as to the existence of threats to the peace or other situations calling for the use of sanctions or military enforcement measures is simply not definable in legal terms » ; et V. GOWLLAND-DEBBAS, « The Security Council as Enforcer of Human Rights », in : B. FASSBENDER (éd), Securing Human Rights ? Achievements and Challenges of the UN Security Council, OUP (2011), p. 40 : « there is no legal definition of a threat to the peace ». 11 Ce à quoi nous semble aboutir la formule bien connue : « une menace contre la paix au sens de l’article 39 est une situation dont l’organe compétent pour déclencher une action de sanctions déclare qu’elle menace effectivement la paix », J. COMBACAU, Le pouvoir de sanction de l’ONU. Etude théorique de la coercition non militaire, Pedone (1974), p. 10. 12 Selon les deux méthodes citées par S. SUR pour déterminer le sens d’une notion contenue dans le traité constitutif d’une organisation internationale, « Compte-rendu des débats – Développement des pouvoirs du Conseil de sécurité » in : R.-J. DUPUY (éd), Le développement du rôle du Conseil de sécurité (colloque de La Haye des 21-23 juillet 1992), Martinus Nijhoff Publishers (1993), p. 134 (« Il y a deux méthodes possibles pour analyser l’action du Conseil de sécurité : la première consistant à interpréter les diverses dispositions de la Charte portant sur le rôle du Conseil ; la seconde consistant, à partir de la pratique, à chercher de dégager une cohérence juridique »). La doctrine s’accorde à dire que ces deux méthodes ne doivent pas s’exclure l’une et l’autre, sous peine de verser dans la Realpolitik (en privilégiant la pratique d’organes politiques sur le texte juridique) ou dans l’utopisme (en détachant le texte de son application pratique), SOREL, « L’élargissement de la notion de menace contre la paix », op. cit. note 6, p. 7. Parmi les études doctorales visées, on citera l’incontournable ouvrage sur le sujet de M. ZAMBELLI, La constatation des situations de l’article 39 de la Charte des Nations Unies par le Conseil de sécurité : le champ d’application des pouvoirs prévus au Chapitre VII de la Charte des Nations Unies, Helbing & Lichtenhahn (2002). ZAMBELLI constate qu’il existe une tension entre le « contenu théorique » (le droit prévu « à l’origine » par les auteurs du traité : la « normativité originaire ») et le « contenu pratique » (les cas d’application par le Conseil de sécurité) de la menace contre la paix. En effet, si le « contenu théorique » de la menace contre la paix est lié à l’hypothèse d’un conflit armé international, des situations qui n’étaient pas liées à un risque imminent de conflit armé international ont été qualifiées de menaces contre la paix par le Conseil de sécurité dans le contexte de l’après-guerre froide. Une part importante de la thèse de ZAMBELLI est ainsi consacrée à théoriser le phénomène juridique par lequel la pratique du Conseil de sécurité relative à la menace contre la paix peut être réconciliée avec le sens originaire (le 3 Premièrement, comme nous l’avons dit, cette approche a déjà été suivie par plusieurs études précédentes sur le sujet. Il serait peu utile à la discussion doctrinale sur la menace contre la paix de reproduire ici la même approche, d’autant plus que celle-ci amène le plus souvent à privilégier le texte sur la pratique (en considérant que la pratique qui ne se conforme pas au texte est ultra vires) ou la pratique sur le texte (en considérant que la pratique « actualise »13 le texte). Deuxièmement, nous estimons qu’il est malaisé d’appréhender en théorie, de manière distincte de la pratique, une notion que les auteurs de la Charte ont délibérément laissé ouverte avec l’idée que l’action du Conseil de sécurité ne soit pas entravée par une définition théorique de la menace contre la paix14. Troisièmement, les motifs ayant fondé le constat d’une menace contre la paix par le Conseil de sécurité ne ressortent pas clairement des résolutions adoptées par ce dernier. Plusieurs interprétations sont toujours possibles. Il est donc également particulièrement « contenu théorique ») de ladite notion. Dans la perspective de l’herméneutique juridique contemporaine, qui « permet de considérer l’instrument juridique comme un texte ouvert dont la signification peut varier en fonction de l’affirmation de valeurs essentielles au sein de l’ordre juridique » (p. 330), le texte et la pratique sont perçus comme un « phénomène unitaire » (p. 26 et p. 332). Ainsi, la mise en œuvre de la notion de menace contre la paix par le Conseil de sécurité n’apparaît pas contra legem vis-à-vis du sens originaire de la norme (ce qui serait le cas dans une approche statique au texte) mais comme participant à son « existence normative nouvelle » (p. 289). L’étude du « contenu théorique » de la notion de menace contre paix, de manière distincte de son « contenu pratique », permet donc à ZAMBELLI d’apprécier la portée de la seconde vis-à-vis de la première, en d’autres termes, de saisir le contraste entre le sens premier et le sens dérivé (de la pratique du Conseil de sécurité) de la notion de menace contre la paix (p. 3). Ce contraste ne signifie pas pour autant que le Conseil de sécurité dispose d’une liberté illimitée de s’écarter du sens originaire de la norme. ZAMBELLI considère en effet que le pouvoir du Conseil de sécurité de constater l’existence d’une menace contre la paix est limité par un cadre juridique constitué à la fois par le « contenu théorique » de la notion et par les éléments extérieurs (au traité) qui sont pris en considération au titre de l’interprétation « dynamique » de la menace contre la paix (p. 334) ; voir également parmi d’autres J. ARNTZ, Der Begriff der Friedensbedrohung in Satzung und Praxis der Vereinten Nationen, Duncker & Humblot (1975), pp. 18-74 pour l’interprétation in abstracto de la notion de menace contre la paix de l’article 39 (« Erster Teil : Der Begriff der Friedensbedrohung in der Satzung ») et pp. 75-187 pour l’interprétation de la notion dans la pratique des organes politiques de l’Organisation des Nations Unies (« Zweiter Teil : Der Begriff der Friedensbedrohung in den Resolutionen von SR [Sicherheitsrat] und GV [Generalversammlung] ») ; A. SCHÄFER, Der Begriff der ‘Bedrohung des Friedens’ in Artikel 39 der Charta der Vereinten Nationen. Die Praxis des Sicherheitsrates, Peter Lang (2006), pp. 19-46 (« Wörtliche und systematische Auslegung ») et pp. 47-262 s’agissant de la pratique du Conseil de sécurité (la dernière partie, pp. 263-280, confronte la pratique et la théorie). 13 Selon les termes employés par ZAMBELLI, « une application ‘actualisante’ du Chapitre VII », La constatation, op. cit., note 12, p. 311. 14 DCNUOI, tome XII (1945), pp. 379 et s. ; Répertoire de la pratique du Conseil du sécurité (1946-1951), p. 453 (déclaration du représentant de la Pologne). A propos du sens « théorique » de la menace contre la paix de l’article 39 de la Charte, on peut énoncer mutatis mutandis la critique énoncée par H. KELSEN à l’égard d’un supposé « sens véritable » d’une norme correspondant à la « volonté du législateur », The Law of the United Nations, A critical analysis of its fundamental problems, Stevens & Sons Limited (1950), p. xiv. 4 difficile de déterminer le sens de la notion de menace contre la paix d’après la pratique du Conseil de sécurité. Adoptant un autre angle de vue, nous allons nous intéresser aux problèmes juridiques que soulève la notion de menace contre la paix en droit international. Ces problèmes juridiques constitueront le prisme à travers lequel nous conduirons notre étude. Ils correspondent, dans la pratique du Conseil de sécurité, aux questions de droit qui se posent aux Etats membres du Conseil de sécurité lorsqu’il s’agit d’argumenter pour ou contre le constat de l’existence d’une menace contre la paix en vertu de l’article 39 de la Charte. En d’autres termes, il s’agit d’appréhender la manière dont la notion de menace contre la paix est « problématisée », d’un point de vue juridique, dans l’enceinte du Conseil de sécurité, pourtant considérée comme étant l’arène du politique. Pour ce faire, nous exposerons notamment la nature et les termes des discussions, parmi les membres du Conseil de sécurité (et les Etats ou autres entités invités à participer aux débats du Conseil de sécurité), qui portent sur les éléments de définition de la menace contre la paix à l’occasion de sa mise en œuvre. Par « mise en œuvre », il faut entendre, de manière large, l’action de constater ou de refuser de constater une menace contre la paix en vertu de l’article 39. A propos de ces discussions parmi les Etats membres du Conseil de sécurité, peu nous importe que la partie la plus « substantielle » d’entre elles (au sens des discussions contenant les « véritables » motifs du constat ou de l’absence de constat d’une menace contre la paix) ait lieu de manière informelle 15 et que ces discussions informelles ne soient donc pas retranscrites et accessibles au public ainsi qu’au chercheur. Nous nous intéresserons uniquement aux arguments invoqués par les Etats lors des séances formelles et publiques16 du 15 SOREL, « L’élargissement de la notion de menace contre la paix », op. cit. note 6, pp. 21-23 (à propos des méthodes de travail tacites du Conseil de sécurité) ; M. WOOD, « The Interpretation of Security Council Resolutions », 2 Max Planck UNYB (1998), p. 81 (« most of the negotiating history of a resolution is not on the public record ») et p. 94 ; sur les méthodes de travail du Conseil de sécurité, voir de manière générale, S. BAILEY & S. DAWS, The Procedure of the UN Security Council, OUP (1998) ; M. SMOUTS, « Réflexions sur les méthodes de travail du Conseil de sécurité », 28 AFDI (1982), pp. 601-612 ; WOOD, ibid., pp. 80-82 (« how SCRs are drafted ») et « Security Council Working Methods and Procedure : Recent Developments », 45 ICLQ (1996), pp. 150-161. 16 Dont les débats sont intégralement retranscrits sous forme de procès-verbaux qui seront cités dans le cadre de cette étude selon la référence onusienne S/PV. et le numéro de la séance. B. FASSBENDER considère que ces délibérations officielles forment le « decision-making process » (au sens large du terme) du Conseil de sécurité, c’est-à-dire le processus menant à l’adoption de décisions par ce dernier, « The Role for Human Rights in the Decision-Making Process of the Security Council », Securing Human Rights ?, op. cit. note 10, p. 83. Pour FREUDENSCHUSS, elles constituent les « travaux préparatoires » des résolutions du Conseil de sécurité, « 5 Conseil de sécurité dans la mesure où nous ne sommes pas intéressés, dans le cadre de cette étude, par les raisons politiques ayant motivé, de manière officieuse, l’adoption ou le refus d’adoption d’une résolution contenant le constat d’une menace contre la paix. Par ailleurs, c’est lors des séances formelles que les Etats font le plus référence au droit international : en public, ils « habillent » leur position politique (le but à atteindre) d’un argumentaire juridique (les moyens pour y parvenir). Il semble que le droit soit, en effet, un moyen de persuasion plus objectif, en tant que langage supposé parlé et compris par tous, que l’argument de l’opportunité qui ne sert souvent que les intérêts de certains17. Nous nous intéresserons donc plus aux problèmes juridiques que soulève la mise en œuvre de la notion de menace contre la paix dans la pratique du Conseil de sécurité, que de manière statique, aux réponses à ces questions. En effet, les réponses peuvent être contredites ou dépassés par une pratique ou une conjoncture nouvelle18. Les questions, elles, demeurent en ce qu’elles touchent aux caractéristiques essentielles de la notion. Ainsi, en identifiant les points problématiques que soulève, pour les Etats membres du Conseil de sécurité, la notion de menace contre la paix en droit international, ce sont à la fois les limites et le contenu de la notion que nous éclaircirons. En effet, les points d’achoppement de la menace contre la paix, c’est-à-dire les points de droit auxquels la notion se heurte, correspondent aux limites conceptuelles de celle-ci. Quant au contenu de la notion de menace contre la paix, il se dessine, ou du moins s’esquisse, à l’intérieur de ces limites. Nous ne traiterons pas, de manière directe et générale, la question des limites juridiques aux pouvoirs du Conseil de sécurité dans le cadre du Chapitre VII19 ni la question, corollaire, Article 39 », op. cit note 5, p. 18. Dans le même sens, K. WELLENS, « The UN Security Council and New Threats to the Peace : Back to the Future », 8 JCSL (2003), p. 20 ; WOOD, « Interpretation », op. cit. note 15, pp. 93-94. WOOD considère par ailleurs que les déclarations faites par les Etats membres du Conseil de sécurité au moment de l’adoption d’une résolution peuvent être prises en considération, aux fins de l’interprétation de la résolution, de façon plus significative que dans le contexte du droit des traités (dans le même sens, CIJ, avis consultatif sur la Déclaration unilatérale d’indépendance du Kosovo (2010), op. cit. note 9, p. 442, § 94). WOOD fait également remarquer que « much of the preparatory work takes place behind the scene » (à cet égard, voir également supra note 15). 17 R. HIGGINS, « The Development of International Law by the Political Organs of the United Nations », 59 ASIL Proc. (1965), p. 118 : « these [political organs of the United Nations] find it helpful politically to invoke legal principles in order to reach normative decisions. […] Indeed, in some cases reference to a widely accepted rule of law can serve as a bridge between differing ideologies ». 18 FREUDENSCHUSS, « Article 39 », op. cit. note 5, p. 37 (une définition de la menace contre la paix, outre la difficulté d’y parvenir, serait « quickly be rendered obsolete by political, social and technological changes »). 19 D’autant plus que la plupart des études existant sur le sujet accordent plus d’attention à la question des limites aux pouvoirs du Conseil de sécurité lorsque celui-ci décide ou recommande des mesures aux termes du Chapitre VII sur la base du constat d’une situation de l’article 39 qu’à celle des limites au pouvoir du Conseil de sécurité 6 du contrôle judicaire de ses actes adoptés dans ce contexte20, dès lors que notre étude n’a pas pour objectif d’enserrer la pratique du Conseil de sécurité relative au constat d’une menace contre la paix dans des critères juridiques qui découleraient de la Charte, mais de déterminer les caractéristiques juridiques essentielles de la notion. Nous nous intéresserons cependant à ces problématiques de manière incidente dans la mesure où elles concernent la latitude avec laquelle la notion de menace contre la paix est mise en œuvre par le Conseil de sécurité lorsque celui-ci constate (ou ne constate pas) son existence. Etant donné, en effet, que le contenu de la notion de la menace contre la paix est déterminé par le Conseil de sécurité lorsque celui-ci la met en œuvre, il nous paraît impossible de définir les caractéristiques juridiques de la notion en détachant celle-ci du contexte de sa mise en œuvre : à savoir la marge de liberté avec laquelle le Conseil de sécurité participe à sa définition ou peut s’en écarter. En outre, ainsi que les termes de notre sujet l’énoncent, nous concentrerons notre analyse sur la notion de « menace contre la paix » (vis-à-vis des notions de la « rupture de la paix » et de constater l’une de ces situations. Ces deux aspects de la question générale de la nature et de l’étendue des pouvoirs du Conseil de sécurité aux termes du Chapitre VII font, en effet, l’objet d’un traitement distinct en doctrine, suscitant par ailleurs des réponses différentes s’agissant du « constat » ou des « mesures ». Ainsi, parmi les auteurs cités ci-après, GILL considère que le pouvoir du Conseil de sécurité de constater une menace contre la paix est illimité tandis que son pouvoir d’adopter des mesures au titre du Chapitre VII est limité par les buts et principes de la Charte. Sur la thématique des limites aux pouvoirs du Conseil de sécurité aux termes du Chapitre VII de la Charte, voir inter alia N. ANGELET, « International Law Limits to the Security Council », in : V. GOWLLAND-DEBBAS (éd), United Nations Sanctions and International Law, Kluwer Law International (2001), pp. 71-82 ; M. BOTHE, « Les limites aux pouvoirs du Conseil de sécurité », Le développement du rôle du Conseil de sécurité, op. cit. note 12, pp. 67-81 ; J. GARDAM, « Legal Restraints on Security Council Military Enforcement Action », 17 MichJIL (1996), pp. 285-322 ; GILL, « Legal and some political limitations », op. cit. note 10, pp. 61-106 ; S. LAMB, « Legal Limits ot United Nations Security Council Powers », in : G. GOODWIN-GILL & S. TALMON (éds), The Reality of International Law. Essays in Honour of Ian Browlie, pp. 366-388 ; W. WEISS, « Security Council Powers and the Exigencies of Justice after War », 12 Max Planck UNYB (2008), pp. 76-94. 20 Sur cette thématique voir inter alia M. BEDJAOUI, Nouvel ordre mondial et contrôle de la légalité des actes du Conseil de sécurité, Bruylant (1994) ; V. BORE EVENO, « Le contrôle juridictionnel des résolutions du Conseil de sécurité : vers un constitutionnalisme international ? », 110 RGDIP (2006), pp. 827-860 ; E. DE WET, The Chapter VII powers of the United Nations Security Council, Hart publishing (2004), pp. 25-129 ; P.M. DUPUY, « Limits on the Control of Legality of the International Court of Justice on Security Council’s action », in : F. SALERNO (éd), Il ruolo del giudice internazionale nell’evoluzione del diritto internazionale e communitario, atti del convegno di Studi in memoria di Gaetano Morelli, Crotone 22-23 ottobre 1993, CEDAM (1995), pp. 221-223 ; T. FRANCK, « Who is the Ultimate Guardian of the UN Legality ? », 86 AJIL (1992), pp. 519-523 ; B. MARTENCZUK, Rechtsbindung und Rechtskontrolle des Weltsicherheitsrates. Die Überprüfung nicht militärischer Zwangsmassnahmen durch den Internationalen Gerichtshof, Duncker & Humblot Berlin (1996) ; I. PETCULESCU, « The Review of the UN Security Council Resolutions by the International Court of Justice », 52 NILR (2005), pp. 167-195 ; D. SCHWEIGMAN, The authority of the Security Council under Chapter VII of the UN Charter : legal limits and the role of the International Court of Justice, Martinus Nijhoff Publishers (2001) ; ZAMBELLI, La constatation, op. cit. note 12, pp. 336-413. 7 de l’ « acte d’agression » qui côtoient la « menace contre la paix » à l’article 39 de la Charte) « dans la pratique du Conseil de sécurité ». La pratique de l’Assemblée générale à cet égard ne sera donc abordée que de manière très incidente21. Caveat : concept/notion Les termes de « concept » et de « notion » de la menace contre la paix ne sont pas utilisés, dans le présent manuscrit de manière interchangeable. Le terme de « notion » est le terme le plus neutre des deux. Il désigne un terme ou un ensemble de termes connu dans le cadre d’une discipline. Lorsqu’on évoque la notion de menace contre la paix, les juristes de droit international savent à quoi, de manière générale, il est fait référence (à savoir, à l’article 39 de la Charte des Nations Unies, c’est-à-dire la base des mesures décidées ou recommandées par le Conseil de sécurité dans le cadre du Chapitre VII, ainsi qu’aux controverses et problématiques qui sont liées à la mise en œuvre de cette notion par le Conseil de sécurité). La « notion » sert donc avant tout à désigner ou à nommer un objet d’étude dans le cercle d’une communauté scientifique. Le terme de « concept » va plus loin que celui de « notion » car il implique que la notion en question (en l’occurrence, celle de la menace contre la paix) soit également un concept, c’est-à-dire que la notion puisse être définie par des éléments qui lui demeurent attachés, malgré toute application pratique : des éléments de définition irréductibles qui en constituent le cœur conceptuel (l’essence de la notion). S’agissant d’un concept de droit ou concept juridique, la dénomination d’une notion en un concept signifie non pas automatiquement que la mise en œuvre dudit concept puisse être contrôlée et cette mise en œuvre le cas échéant sanctionnée par une juridiction dotée de la compétence nécessaire, mais que ces éléments de définition sont de nature juridique. A cet égard, il faut préciser que ces éléments de définition ne sont pas intrinsèquement juridiques, ils le sont ou le deviennent en raison du contexte dans lequel s’inscrit le concept : ici (la notion de menace contre la paix), un traité international. 21 L’Assemblée générale, bien qu’elle ne soit pas compétente pour constater l’existence d’une menace contre la paix aux termes de l’article 39 de la Charte, a saisi à plusieurs reprises l’occasion de se prononcer sur une situation menaçant, à son avis, la paix et la sécurité internationales, soit en cas de paralysie du Conseil de sécurité (selon la procédure dite de « Dean Acheson » dont il sera question plus loin dans le cadre de ce travail), soit au titre de sa compétence en vertu de l’article 12 § 2 de la Charte de discuter « toutes questions se rattachant au maintien de la paix et de la sécurité internationales ». Sur la notion de menace contre la paix dans la pratique de l’Assemblée générale, voir notamment ARNTZ, Der Begriff der Friedensbedrohung, op. cit. note 12, pp. 112-187 ; P. D’ARGENT et al., « Article 39 », in : J.-P. COT, A. PELLET et M. FORTEAU (éds), La Charte des Nations Unies, commentaire article par article, Economica (2005), pp. 1135-1137. 8 Pour résumer sur ce point, dire que la notion de menace contre la paix est un concept de droit international est une proposition scientifique (à défendre dans le cadre d’une thèse !) alors que l’expression « la notion de menace contre la paix » n’implique pas nécessairement la défense d’une telle « thèse » (au sens premier et non institutionnel du terme). Questions juridiques soulevées par la mise en œuvre de la notion de menace contre la paix Les problèmes juridiques de fond22 que génère la notion de menace contre la paix de l’article 39 de la Charte des Nations Unies sont les suivants. Ils ressortent des résumés analytiques du Secrétariat de l’Organisation des Nations Unies23 ainsi que des commentaires doctrinaux de la pratique du Conseil de sécurité relative à l’article 39. -­‐ Afin que l’on puisse parler de menace contre la paix au sens de l’article 39 de la Charte, la « paix » doit-elle être affectée dans sa dimension positive ou négative? La dimension positive de la paix correspond aux conditions économiques, sociales, culturelles et autres qui permettent un état de stabilisation pacifique des relations internationales. Ce sont les conditions structurelles de la paix. La dimension négative de la paix est, elle, synonyme d’absence de conflits armés entre Etats24. Autrement dit, l’article 39 exige-t-il que la situation en cause soit liée à une hypothèse de conflit armé international ? -­‐ La « paix » de la menace contre la paix de l’article 39 doit-elle être de nature internationale ? Le cas échéant, dans quelle mesure une situation interne à un Etat peut-elle être qualifiée de menace contre la paix ? Liée à la première, cette question suppose de savoir si la situation interne devient internationale du fait qu’il existe un risque de conflit armé international ou si elle est en soi d’importance (ou d’intérêt) international(e). 22 D’autres questions se posent également sur la forme que doit revêtir le constat d’une menace contre la paix par le Conseil de sécurité. Pour ces questions, voir infra, titre II, première section, 2.2.1. 23 Répertoire de la pratique du Conseil de sécurité, pour la version accessible en ligne, voir http://www.un.org/fr/sc/repertoire/ et http://www.un.org/fr/sc/repertoire/actions.shtml s’agissant spécifiquement de la pratique du Conseil de sécurité relative au Chapitre VII de la Charte. Le Répertoire rend compte, sous forme de résumés analytiques des débats ayant eu lieu parmi les Etats membres, de l’interprétation et de l’application de dispositions de la Charte (issues des Chapitres I, VI, VII et VIII) par le Conseil de sécurité depuis 1946. Il s’agit d’une publication officielle des Nations Unies mandatée par l’Assemblée générale, AG/RES/686 (VII) du 5 décembre 1952, aux fins de « rendre plus accessible la documentation relative au droit international coutumier » (« L’Assemblée générale […] 1. Autorise le Secrétaire général à entreprendre […] la publication […] b) D’un répertoire de la pratique suivie au Conseil de sécurité »). 24 SALMON, Dictionnaire de droit international public, op. cit. note 3, p. 799 : au sens étroit, la « paix » correspond à « l’absence de guerre » et par extension, elle constitue « l’objectif de la société internationale tendant au maintien d’une situation internationale sans guerre ». 9 -­‐ Ainsi, s’agissant des situations internes qualifiées par le Conseil de sécurité de menaces contre la paix, des questions spécifiques se posent. Par exemple, dans quelles circonstances, et dans quelle mesure, la violation des droits de l’homme et du droit international humanitaire constitue-elle une menace contre la paix ? Est-ce du fait que ces violations seraient liées à l’hypothèse d’un conflit armé international (en tant que facteur d’émergence ou de prolongation du conflit) ? Ou du fait que cette situation menacerait per se la paix et la sécurité internationale ?25 -­‐ D’autres questions concernent la portée dans l’espace et dans le temps de la menace contre la paix : ainsi, la menace à la paix doit-elle être imminente ? Si la situation doit nécessairement comporter un lien hypothétique avec un conflit armé international (selon la réponse à la première question), la question implique de savoir si l’article 39 exige que le conflit armé international soit imminent ou, en tout cas, que le risque de conflit armé international soit (très) sérieux. Par ailleurs, la menace contre la paix doit-elle porter sur des circonstances ou une situation en particulier, ou peut-elle porter sur un problème général, c’est-à-dire non clairement défini dans le temps et dans l’espace ? Les problèmes juridiques énoncés au-dessus s’articulent principalement autour de deux grands problèmes de droit. Dans quelle mesure le Conseil de sécurité peut-il s’intéresser à, et affirmer sa compétence pour, des situations : 1) qui ne menacent pas immédiatement la « paix négative », définie comme l’absence de conflits armés entre Etats ? 2) internes à un Etat ? Ces questions ne sont pas nouvelles en soi. Formulées en des termes généraux, elles sont inhérentes à tout projet de maintenir et d’organiser la paix par le droit : 1) dans quelle mesure la prévention de la guerre exige-t-elle de préserver les conditions structurelles de la paix, c’est-à-dire les conditions qui permettent de maintenir d’une manière stable un état pacifique des relations internationales ? Jusqu’où (à partir de quand) la prévention de la guerre exige-t-elle que l’organisation chargée du maintien de la paix intervienne ? 25 Cette question se rapporte à la question plus générale de savoir si le constat d’une menace contre la paix intervient en réaction (à titre de « sanction », GOWLLAND-DEBBAS, « The Security Council as Enforcer of Human Rights », op. cit. note 10, p. 39) aux violations du droit international. 10 2) à partir de quand la situation interne à un Etat devient-elle l’affaire de tous, c’est-àdire de tous les Etats, voire de tous les hommes? Au fond, la question qui sous-tend toutes les autres est de savoir dans quelle mesure un système de maintien de la paix est, ou devient, un système d’organisation de la communauté humaine. En effet, un système d’organisation minimale de la société internationale se borne à réguler les rapports belliqueux entre Etats. Dans ce cas, il n’y a menace contre la paix que si un conflit armé international est imminent. Un système d’organisation maximale de la société internationale s’intéresse aux conditions permettant l’établissement d’une paix durable. Dans ce second cas, la menace contre la paix correspond à « la menace aux conditions permettant l’établissement d’une paix durable ». Pour appréhender cette question et les sous-questions auxquelles elle renvoie, nous procéderons de la manière suivante. Plan de la thèse La problématisation. Premièrement, nous nous livrerons à une étude historique de la notion de menace contre la paix (titre I). En effet, ainsi que nous l’avons suggéré ci-dessus, les deux grandes questions de droit générées par la notion de menace contre la paix de l’article 39 sont inhérentes à tout projet de maintenir la paix par le droit. Nous allons ainsi nous intéresser au concept de menace contre la paix entendu hors du contexte spécifique de la Charte, c’est-à-dire aux mécanismes de prévention de la guerre antérieurs à 1945 qui présentent des caractéristiques similaires à celles de la menace contre la paix de l’article 39 de la Charte et partagent sa raison d’être : intervenir dès que la paix est menacée. Nous nous intéresserons tout autant à des projets qui sont demeurés dans l’histoire des idées qu’aux systèmes institutionnalisés visant au maintien de la paix aux XIXe et XXe siècles. En jetant un éclairage historique sur la notion de menace contre la paix de la Charte, cette première partie constitue l’étape de problématisation de la notion : mieux la connaître à la lumière du passé pour mieux l’appréhender dans son écrin actuel. L’analyse. Dans un second temps (titre II), nous nous interrogerons sur la manière dont le droit international et le « constat d’une menace contre la paix par le Conseil de sécurité » (envisagé comme un processus) interagissent. De la perspective du droit vis-à-vis du constat (titre II, première section), nous déterminerons la pertinence du droit pour appréhender la nature et l’étendue du pouvoir (ou plutôt, de la liberté) du Conseil de sécurité de constater une menace contre la paix ainsi que la place et la mesure du droit dans les débats au Conseil de sécurité à l’occasion de la mise en œuvre de la notion de menace contre la paix. De la 11 perspective du constat vis-à-vis du droit (titre II, seconde section), nous analyserons les procédés par lesquels le constat d’une menace contre la paix par le Conseil de sécurité s’inscrit dans le tissu normatif de l’article 39 de la Charte. Nous examinerons également la question de savoir si, au-delà de l’article 39 dont il constitue la mise en oeuvre, ce constat peut avoir une influence sur le droit international. En d’autres termes, au lieu de confronter la pratique du Conseil de sécurité et le droit international26, nous analyserons leurs influences réciproques : comment le droit nourrit-il la pratique et la pratique enrichit-elle le droit ? La synthèse. Dans un troisième et dernier temps (titre III), nous tenterons, dans un effort de synthèse, de définir la notion de menace contre la paix de l’article 39 de la Charte de manière à en saisir les traits conceptuels essentiels. Cette tentative nous amènera à révéler l’existence d’un débat en doctrine parmi deux conceptions de la notion de menace contre la paix, se basant sur une conception large ou étroite de la « paix ». A cet égard, afin de toucher au cœur du concept de menace contre la paix, nous nous risquerons à dépasser les termes de ce débat doctrinal en dévoilant les prémisses sur la base desquelles s’échafaudent les deux conceptions de la menace contre la paix. Si ces deux conceptions peuvent être comparées aux deux perspectives que l’on peut avoir du visage d’une personne de profil, selon qu’on la regarde d’un côté ou de l’autre, nous espérons au final voir apparaître le véritable visage de la menace contre la paix, ou du moins ses traits distinctifs. 26 Dans une perspective visant à déterminer les limites juridiques au pouvoir du Conseil de sécurité de constater une menace contre la paix selon la Charte, revenant à tracer la frontière entre les actes intra vires et les actes ultra vires du Conseil de sécurité. 12 TITRE I. ECLAIRAGE HISTORIQUE DE LA NOTION DE « MENACE CONTRE LA PAIX » « If we approach the past with a willingness to listen, with a commitment to trying to see things their way, we can hope to prevent ourselves from becoming too readily bewitched. An understanding of the past can help us to appreciate how far the values embodied in our present way of life, and our present ways of thinking about those values, reflect a series of choices made at different times between different possible worlds »27. La notion de « menace contre la paix » est à la fois spécifique et générique. Elle est spécifique au système institué par la Charte dans le sens où elle s’inscrit dans le contexte d’un traité en particulier, qui lui-même s’inscrit dans le contexte d’un droit international différent de par ses fondements et ses règles du droit international classique28. Elle est générique dans le sens où elle partage avec d’autres notions ou idées plus anciennes des caractéristiques communes. Cette filiation entre la notion de menace contre la paix de l’article 39 de la Charte et celles-ci tient, ainsi que nous l’avons déjà écrit, au fait que tout projet d’organisation de la paix par le droit implique de s’interroger sur les deux grandes questions de droit énoncées au-dessus29. Ainsi, si l’on remonte le cours de l’histoire, on s’aperçoit que ces problématiques apparaissent sous la plume de jurisconsultes ou de philosophes dès le XVIIe siècle. Elles ont certainement été discutées plus tôt et au-delà de l’horizon de l’Occident du fait que « l’idée d’organisation de la paix internationale a procédé de tout temps »30. Nous avons néanmoins circonscrit notre recherche, pour ce qui est de son 27 Q. SKINNER, Visions of politics, Vol. 1, CUP (2002), p. 6. 28 On distingue ainsi traditionnellement entre le droit de coexistence (le droit international « classique », reposant sur le paradigme westphalien de relations purement interétatiques) et le droit de coopération (le droit international « contemporain » qui remet en cause ce paradigme). Même si le glissement entre les deux s’est opéré de manière progressive, on considère souvent que la Charte des Nations Unies marque une rupture entre ces deux conceptions du droit international. Il faut préciser, en outre, que le droit international « contemporain » contient autant de normes propres à assurer la coopération que la coexistence des « membres de la communauté internationale » (Délimitation de la frontière maritime dans la région du golfe du Maine (Canada c. Etats-Unis), CIJ, arrêt du 12 octobre 1984, CIJ Rec. (1984), p. 299, § 111). 29 Voir supra, introduction générale. A propos de l’expression « organisation de la paix par le droit », voir E. WYLER, « La paix par le droit. Entre réalité, mythe et utopie », in : M. KOHEN et L. BOISSON DE CHAZOURNES L. (éds), International Law and the Quest for its Implementation : le droit international et la quête de sa mise en œuvre, Liber Amicorum Vera Gowlland-Debas, Martinus Nijhoff Publishers (2010), pp. 467488. 30 J. VAN KAN, « Règles générales du droit de la paix (L’idée de l’organisation internationale dans ses grandes phases) », 66 RCADI (1938), p. 301. Voir également à ce sujet A. TRUYOL Y SERRA, « Cours général de droit international public », 173 RCADI (1981), pp. 356-368. 13 point de départ, aux premiers projets d’établissement d’une organisation universelle esquissés par des penseurs issus de l’Occident chrétien31 (1). Notre incursion dans l’histoire des idées sera ensuite complétée par l’analyse des systèmes de maintien de la paix en Europe au XIXe siècle, puis dans le monde au XXe siècle (2). 1. LES DOCTRINES DE LA PAIX EN EUROPE AUX XVIIE ET XVIIIE SIECLES La quête d’une paix durable a amené les philosophes ou jurisconsultes à concevoir une certaine « organisation » de la paix. Dans cette perspective, la paix est considérée comme étant un processus plus qu’un état entre deux guerres : un processus fragile et lent qu’il s’agit de sauvegarder de tout trouble susceptible de l’affecter et de faire échouer l’entreprise d’une paix solide et permanente. Nous verrons ainsi que l’organisation de la paix est inséparable de l’idée que la paix doit être protégée dès lors qu’elle est menacée. 1.1. Emeric de Crucé « La paix est un sujet trivial, je le confesse, mais on ne la pourchasse qu’à demie »32. Emeric de Crucé (1590-1648), ou Emeric de La Croix, appartient à la famille des « faiseurs de plans », de ces penseurs qui élaborèrent des plans visant la paix durable entre nations. Son projet se distingue de ceux de ses prédécesseurs, Pierre Dubois et Dante Alighieri33, du fait qu’il ne se réduit pas à une pacification générale de la chrétienté (la « République chrestienne »). En effet, dans le Nouveau Cynée ou Discours d’Etat (1623), E. de Crucé propose un projet de paix universelle, applicable à tous les hommes, quelle que soit leur religion ou leur nationalité34. On le tient ainsi pour le créateur de la première « véritable organisation internationale permanente »35 , le Nouveau Cynée étant considéré comme le « premier traité tant soit peu complet du problème d’une organisation internationale »36. P. 31 Pour un aperçu de l’histoire du droit international public au-delà de l’Occident (Amérique précolombienne, Îles polynésiennes, Afrique noire, Sous-continent indien et Chine), notamment quant au droit réglementant l’usage de la force (jus contra bellum), voir R. KOLB, Esquisse d’un droit international public des anciennes cultures extra-européennes, Pedone (2010). 32 E. de CRUCÉ, Le Nouveau Cynée ou Discours d’Etat [1623], A. FENET et A. GUILLAUME (éds.), Presses Universitaires de Rennes (2004), p. 57. 33 P. DUBOIS, De recuperatione Terrae sanctae (1305); D. ALIGHIERI, De monarchia (1312). 34 Il fait cependant cas à part des « barbares » ou des « sauvages ». 35 J.-B. DUROSELLE, L’idée d’Europe dans l’histoire, Denoël (1965), p. 97. 36 C. LANGE, « Histoire de la doctrine pacifique et de son influence sur le développement du droit international », 13 RCADI (1926), p. 233. 14 Dubois avait conçu le projet d’une confédération européenne placée sous la direction d’un concile de princes chrétiens37. La vision d’E. de Crucé, elle, est planétaire38. Le modèle d’organisation que présente E. de Crucé est certes embryonnaire sur le plan institutionnel, mais il révèle un système de sécurité collective en son germe. En voici « les règles du jeu »39. La première règle repose sur un axiome. La paix est indivisible. Selon E. de Crucé, les nations sont liées les unes aux autres à l’image du lien fraternel qui unit les hommes40. Il perçoit très tôt que sociétés internes et internationales sont étroitement liées41, « si bien que la paix doit être établie dans l’ordre interne comme dans l’ordre international »42. C’est ainsi qu’E. de Crucé considère que les causes de désordre interne peuvent menacer l’ordre établi. Par « ordre établi », E. de Crucé entend l’ensemble formé par les monarchies existantes43. De par son caractère indivisible, la paix peut donc être menacée par des « pays très lointains, des 37 A. NUSSBAUM, A Concise History of the Law of Nations, The MacMillan Company (1947), p. 49. 38 « Cruce contemplated a universal union that should include even Persia, China, Ethiopia, the East Indies, the West Indies, indeed all the world », T. WILLING BALCH, « The Proposed International Tribunal of Arbitration of 1623 », 46 Proceedings of the American Philosophical Society, 186 (Apr.-Sep.1907), p. 305. 39 Selon l’expression de S. SUR : « Comme tout autre système, la sécurité collective comporte des règles du jeu. Il faut que les partenaires jouent suivant les mêmes règles, qu’ils aient les mêmes attentes à son égard », « Les Nations Unies en 2005. La sécurité collective : une problématique », Communication orale à l’occasion du Colloque organisé par la Fondation Res Publica au Sénat, le 6 juin 2005. Disponible en ligne : http://www.africt.org/IMG/pdf/ColloqueResPublica-6juin05-TexteS.Sur.pdf 40 CRUCÉ, Le Nouveau Cynée, op. cit. note 32, p. 82 : « […] toutes les nations sont associées par un lien naturel & conséquemment indissoluble ». 41 On pourrait expliquer ceci en tenant compte de l’analyse que fait KOLB du système d’organisation de la société internationale à l’époque de CRUCÉ et du type de droit international lui correspondant, le « supranationalisme ». Résultant d’une forme d’organisation mixte des pouvoirs, à la fois verticale (le Pape, l’Empereur) et horizontale (entités indépendantes de fait ou de droit), « […] le système supranational ne connaît pas encore de distinction réelle entre une société interne et internationale », R. KOLB, « La validité du modèle de Vattel après 1945 », in : Y. SANDOZ (éd), Réflexions sur l’impact, le rayonnement et l’actualité de ‘Le droit des gens, ou Principes de la loi naturelle appliqués à la conduite et aux affaires des Nations et des Souverains’ d’Emer de Vattel, Actes du colloque organisé le 21 juin 2008 à Neuchâtel, Bruylant (2010), p. 141. W. G. GREWE considère que cette « supra-national consciousness of solidarity », qui caractérise le monde chrétien médiéval, tient moins à la suprématie spirituelle et temporelle du Pape et de l’Empereur qu’au sentiment du clergé, de la chevalerie et de la population d’appartenir à une même communauté (chrétienne), The Epochs of International Law, Translated and revised by M. BYERS, Walter de Gruyter (2000), pp. 51-59. 42 FENET, « Introduction », Le Nouveau Cynée, op. cit. note 32, pp. 20-21 ; CRUCÉ, ibid., p. 93 : « […] la paix étant généralement établie entre tous les Princes, il ne resterait sinon que de l’entretenir particulièrement en chaque Monarchie ». 43 CRUCÉ considère que les monarchies, légitimées par la volonté divine, ne peuvent être remises en cause. C’est à ce titre qu’elles constituent un « ordre établi » dans le sens d’ « immuable ». « Il n’est pas en la puissance des hommes de rompre un ordre divinement établi, comme celui des Monarchies », ibid., p. 66 ; « Maintenant que [les Monarchies] sont appuyées sur les pilotis d’une longue possession, il ne les faut ébranler, mais plutôt les affermir par une bonne paix », p. 97. 15 forces inconnues »44. C’est l’idée qu’exprime le vers d’Horace : nam tua res agitur, paries cum proximus ardet45. Un incendie à un endroit peut être la source d’un embrasement à un autre. E. de Crucé écrit ainsi : « […] quand on voit brûler ou tomber la maison de son voisin qu’on a sujet de crainte, autant que de compassion, vu que la société humaine est un corps dont tous les membres ont une sympathie, de manière qu’il est impossible que les maladies de l’une ne se communiquent aux autres »46. On retrouvera d’ailleurs cette métaphore du feu, avec la même signification, chez H. Wehberg à propos de la Société des Nations : « Il faudrait, dans une bien plus large mesure que l’on ne l’a fait jusqu’à présent, permettre à la Société des Nations d’étouffer dans leur germe les menaces de guerre, tout comme les pompiers éteignent un incendie »47. Dès lors, la première règle sur laquelle repose le système de maintien de la paix selon E. Crucé est la suivante. La paix est menacée dès lors que « l’ordre établi », soit l’ordre monarchique, est troublé. En d’autres termes, lorsqu’un royaume est en proie à des troubles internes, c’est la paix externe, c’est-à-dire internationale, qui est menacée. La deuxième règle concerne le mécanisme imaginé par E. de Crucé afin d’écarter toute menace qui pèserait sur la paix entre nations. Comme décrit au-dessus, des causes internes peuvent être la source d’une menace contre la paix. E. de Crucé commence dès lors par prodiguer aux princes des conseils quant à l’administration de leur royaume, à l’image de Cynée s’adressant au roi Pyrrhus48. Il s’agit de prévenir toute source de violence, de désordre et d’instabilité. Lorsque l’instabilité gagne les nations entre elles, E. de Crucé prône le dialogue, la concertation et le jugement des pairs, au sein d’une Assemblée établie à Venise : « […] il n’y a rien qui puisse occasionner la rupture d’une paix. Néanmoins pour en prévenir les inconvénients, il serait nécessaire de choisir une ville, où tous les Souverains eussent perpétuellement leurs ambassadeurs, afin que les différends qui pourraient survenir fussent vidés par le jugement de toute l’assemblée. […] le lieu le plus commode pour une telle assemblée, c’est le territoire de Venise, pour ce qu’il est comme neutre et indifférent à tous Princes »49. 44 FENET, « Introduction », Le Nouveau Cynée, op. cit. note 32, p. 25. 45 HORACE, Livre des épîtres, Livre I, épître xviii, ligne 84 : « C’est aussi ton affaire si la maison de ton voisin brûle » (notre traduction). 46 CRUCE, Le Nouveau Cynée, op. cit. note 32, p. 57. 47 H. WEHBERG, « La police internationale », 48 RCADI (1934), p. 114 (mis en italique par nous). L’Abbé de Saint-Pierre a utilisé une même image afin d’illustrer la difficulté de mettre fin à une guerre: « […] car quand le feu de la Guerre est une fois allumé, qui peut s’assurer de mettre des bornes à l’embrazement », C.-I. CASTEL DE SAINT-PIERRE, Projet pour rendre la paix perpétuelle en Europe [1713], Fayard (1986), p. 149. 48 Cynée était le conseiller du roi de Perse, Pyrrhus, ce qui inspira le titre de son ouvrage à CRUCÉ. 49 CRUCÉ, Le Nouveau Cynée, op. cit. note 32, pp. 87-88 (mis en italique par nous). 16 L’idée de soumettre l’objet du différend à des tiers est que l’affaire soit jugée « sans passion »50. Ceci ne signifie pas que le critère de référence soit le droit, peu tenu en estime par E. de Crucé, mais que l’Assemblée exprime un avis qui, selon le plus grand nombre, serve le maintien de la paix. En tout cas, le jugement de l’Assemblée devient « inviolable »51 dans le sens décrit ci-après. La troisième règle constitue le prolongement de la deuxième. Au cas où l’Etat concerné s’opposerait au jugement de l’Assemblée, celle-ci serait en droit de recourir à la sanction armée à son encontre. E. de Crucé condamne pourtant le recours à la force de manière absolue. Il estime qu’aucune cause ne peut justifier la guerre. E. de Crucé ne souscrit en effet pas aux théories de la guerre juste de ses contemporains. Il considère cependant qu’il est nécessaire que l’interdiction de recourir à la force soit accompagnée de la menace de la sanction armée en cas d’entrave de la règle. Selon E. de Crucé, la force devient légitime selon deux conditions : elle intervient en ultime ressort et la décision d’y recourir est collective. « Cette compagnie […] maintiendrait les uns & les autres en bonne intelligence, irait au devant des mécontentements & les apaiserait par la voie de douceur, si faire se pouvait, ou en cas de nécessité par la force »52. On ne peut s’empêcher de remarquer la similarité qui existe, d’un point de vue conceptuel, entre le système imaginé par E. de Crucé en 1623 et celui établi par les Nations Unies en 194553. E. de Crucé est déjà porteur de l’idée qu’il faut préserver la paix avant qu’elle ne soit effectivement rompue. Ceci entraîne que le système de sécurité collective ait une fonction plus préventive que répressive. Le point de départ se situe ainsi en amont de la réalisation du danger ; du danger pour une « paix » qui représente plus que l’absence de guerres entre nations : « […] une paix qui rende à chacun ce qui lui appartient, le privilège au citoyen, l’hospitalité à l’étranger, et à tous indifféremment la liberté de voyage et de négociation »54. 50 Ibid., p. 88. 51 Ibid., p. 93. 52 Idem (mis en italique par nous). 53 L’idée de sécurité collective notamment. Le système conceptualisé par CRUCE est proche de celui que définissent P. DAILLIER, M. FORTEAU et A. PELLET dans leur ouvrage Droit international public, L.G.D.J. (2009), p. 1096 : « c’est l’engagement pris par chaque Etat d’apporter son appui à une décision collective de s’opposer à un Etat coupable, au jugement de la majorité, d’une agression ou d’une menace à la paix ». 54 CRUCÉ, Le Nouveau Cynée, op. cit. note 32, p. 148. 17 1.2. L’Abbé de Saint-Pierre Charles-Irénée Castel, Abbé de Saint-Pierre (1658-1743), fût lui aussi l’artisan d’un projet de paix perpétuelle, même si celui-ci ne concernait que la paix entre les chrétiens55. Nous verrons en quoi, cependant, son projet a une portée universelle. Son Projet pour rendre la paix perpétuelle en Europe paraît en 1713, dans la ville où ont été signés, la même année, les traités d’Utrecht qui mettent fin à la guerre de Succession d’Espagne56. Le Projet intéresse la menace contre la paix dans la mesure où l’Abbé de Saint-Pierre concentre sa réflexion sur les moyens de prévenir la guerre: « L’histoire des siécles précedens, l’expérience que vous avons de ce qui s’est passé jusqu’ici devant nos yeux, ne nous ont que trop fait connoître que les Guerres s’allument très-aisément, qu’elles causent une infinité de malheurs, et qu’il est très-difficile de les éteindre ; mais tout le monde ne sçait pas que les moyens que l’on a jusqu’ici mis en usage pour les prévenir, sont par eux-mêmes très-inefficaces, et que tels qu’ils sont presentement, ils n’ont nulle proportion avec l’effet que l’on veut bien s’en promettre […] »57. Dans son « Premier discours », l’Abbé de Saint-Pierre formule deux « propositions » à titre général. La première a trait à la constitution de l’Europe. L’Abbé de Saint-Pierre s’emploie à démontrer qu’en l’absence de « société permanente, et suffisamment puissante » 58 , les souverains d’Europe ne peuvent espérer aucune paix durable. Ils ne peuvent, en effet, s’en remettre à aucune « Loy » en cas de différend survenant entre eux. Le recours aux armes devient inévitable, constate l’Abbé. La seconde « proposition » concerne le principe de l’équilibre entre nations. L’auteur du Projet soutient que l’équilibre de puissance entre la Maison d’Autriche et la Maison de France « ne sçauroit procurer de sureté suffisante »59 aux Etats. Il remet par là en cause le système négocié à Utrecht60. Aux yeux de l’Abbé de SaintPierre, il s’agit d’un système imparfait car instable: 55 CASTEL DE SAINT-PIERRE, Projet, op. cit. note 47, p. 19 (préface). Le projet de l’Abbé de Saint-Pierre avait pourtant eu pour ambition initiale d’embrasser « tous les Etats de la Terre », ibid., p. 18. Il semble que ses « amis » avaient déjà tant de doutes sur la réalisation d’une paix durable en Europe que l’Abbé de Saint-Pierre ne voulut pas affaiblir son argumentation en considérant aussi « les Souverains d’Asie et d’Afrique » (idem). 56 Le premier traité fût signé le 11 avril 1713 entre la France et la Grande Bretagne, tandis que le second le fût le 13 juillet de la même année entre l’Espagne et la Grande-Bretagne. 57 CASTEL DE SAINT-PIERRE, Projet, op. cit. note 47, p. 21 (« Premier Discours »). 58 Ibid., p. 31 (en italique dans l’original). 59 Ibid., p. 37. Voir aussi p. 39 : « Et qui ne voit pas que dans le Système de l’Equilibre on ne trouve de sûreté que les armes à la main ? ». 60 Voir l’article VI du Traité conclu à Utrecht entre la France et la Grande-Bretagne (11 avril 1713) : « la maxime fondamentale et perpétuelle de l’équilibre des Puissances en Europe » ; « avec cette espérance perpétuelle & continuelle, il sera le centre invariable de la balance, qui assure volontairement l’équilibre entre toutes les Puissances fatiguées de la guerre & et de l’incertitude de ses évènements & il ne sera au pouvoir d’aucune des parties d’altérer cet équilibre par aucun Contrat de Renonciation ni de Rétrocession ; puisque la 18 « L’Equilibre par sa nature est une situation, où tout ce qui est en balance est tres-facile à être mis et à être conservé en mouvement ; la moindre cause intérieure ou extérieure suffit pour lui donner un mouvement nouveau, ou pour faire continuer celui qu’il avoit déjà ; ainsi l’Equilibre des deux Maisons peut bien permettre quelque cessation de mouvement, quelques Treves ; mais loin de pouvoir produire un repos solide, une Paix inaltérable, il donne à tout Souverain ambitieux la facilité de recommencer la Guerre […] »61. Seul le « Système de la Société Européenne » peut procurer une paix durable. Son avantage vient du fait qu’il ne constitue pas la résultante des divers intérêts en présence. L’Union de l’Europe est plus que la somme des parties. A cet égard, « il n’y aura plus qu’un même but, qui est de conserver toujours le trésor de la Paix »62. Ainsi, l’équilibre, la paix du même coup, ne pourra pas être rompu(e) par la volonté d’un seul. Au contraire, « il ne pourra plus venir à l’esprit d’un Prince aucun désir de troubler ce repos, puisqu’il seroit mis au Ban de l’Europe »63. Selon l’Abbé de Saint-Pierre, cette mesure de proscription dissuadera les souverains de recourir à la force en vue d’assouvir leurs prétentions. Cette conclusion doit être mise en relation avec l’article VIII des Articles fondamentaux du Traité établissant la Société européenne, tel que le propose l’Abbé de Saint-Pierre. Sa teneur est la suivante : « Article VIII. Nul Souverain ne prendra les armes et ne fera aucune hostilité que contre celui qui aura été déclaré ennemi de la Société Européenne ; […] Le Souverain qui prendra les armes avant la déclaration de Guerre de l’Union, ou qui refusera d’exécuter un Règlement de la Société, ou un Jugement du Sénat, sera déclaré ennemi de la Société, et elle lui fera la Guerre, jusqu’à ce qu’il soit désarmé […] »64. De même que chez E. de Crucé, le recours à la force n’est légitimé qu’à titre de sanction. Il est donc toujours le fruit d’une décision collective. D’un point de vue institutionnel, ce n’est plus l’Etat qui décide de ce qui constitue une menace à sa sûreté, mais la Société européenne en son organe décisionnel, le Sénat, établi à Utrecht. Comme le fait remarquer R. Falk, l’idée que le maintien de l’ordre ou de la paix nécessite une « unification of authority » remonte au Moyen-Âge65. Cette idée était alors inextricablement liée à une conception religieuse du même raison qui porte à établir cet équilibre, doit le rendre permanent, formant par une configuration fondamentale qui règle par une Loy inaltérable la succession pour l’avenir », texte disponible en ligne : http://www.canadiana.org/view/41706/0003. 61 CASTEL DE SAINT-PIERRE, Projet, op. cit. note 47, p. 38. L’Abbé de Saint-Pierre ne croit donc pas à l’affirmation posée à l’article premier du Traité du 11 avril 1713, précité : « Il y aura une Paix universelle & perpétuelle, une vraye & sincère amitié entre […] Louis XIV, Roy Très-Chrétien, & […] la Princesse Anne Reine de la Grande-Bretagne […] tant au-dedans qu’au dehors de l’Europe ». 62 Ibid., p. 39. 63 Idem. 64 Ibid., p. 182. 65 R. FALK, The Status of Law in International Society, PUP (1970), pp. 189-190. Voir aussi H. J. LASKI, Grammaire de la politique, Librairie Delagrave (1933), p. 26 : « Le droit cesse de signifier comme au Moyen19 pouvoir66. L’Abbé de Saint-Pierre, malgré ses liens avec l’Eglise, ne raisonne pas ainsi. Il semble au contraire considérer la Société européenne comme un produit de la raison. Puisque les Princes ne peuvent se garder de recourir à la guerre alors même qu’ils n’en retirent aucun avantage67, ils doivent adhérer à un système qui les protègera à la fois de leurs propres pulsions, par la crainte d’être considéré comme « ennemi de la Société », et de celles des autres. « Alors la raison l’emportera sur le désir et l’instinct »68, résume S. Goyard-Fabre. Deux aspects du Projet présenté par l’Abbé de Saint-Pierre méritent particulièrement notre attention. Nous pouvons en retirer des enseignements de valeur s’agissant de la notion de menace contre la paix. Le premier aspect concerne la considération accordée par l’Abbé de Saint-Pierre à la « Paix au dedans » des Etats. L’idée de lier la paix externe à la paix interne n’est certainement pas nouvelle, comme le démontrent nos précédents développements à propos d’E. de Crucé. Cependant, nous ne savons pas dans quelle mesure l’Abbé de Saint-Pierre s’est inspiré du Nouveau Cynée, il n’en avait vraisemblablement pas connaissance69. Il a été démontré que l’Abbé de Saint-Pierre se serait plutôt inspiré de l’Essai sur la paix de William Penn (16441718)70. Inévitablement, l’Abbé de Saint-Pierre s’intéresse donc à la paix interne de manière différente qu’E. de Crucé. Ainsi, il ne tisse pas de lien aussi évident entre paix ou société âge un aspect particulier de la justice universelle ; il vient à signifier ce qui émane d’un centre unique du corps politique et ce qui, par son unité prédominante, donne force et décision au pouvoir éminent de la communauté ». 66 Voir par exemple D. ALIGHIERI, La monarchie [1312], traduit du latin par M. GALLY, Belin (1993), p. 95. 67 Il est courant à cette époque, parmi les « faiseurs de plan » d’une paix perpétuelle, de consacrer une grande partie de la démonstration à faire état des horreurs et des inconvénients de la guerre pour un souverain. Cette démonstration ne serait certainement plus nécessaire de nos jours où il semble admis que tous les peuples aspirent à la paix. Pour un exemple de plaidoyer, datant de la fin du XIXe siècle, exposant les méfaits de la guerre sur les hommes, voir T. LAWRENCE, Essays on some disputed questions in modern international law (1885), pp. 242-244. L’auteur se considère dans un moment charnière de l’histoire (« […] though the old ideas of the inherent glory and nobleness of war are still strong, they are no longer dominant », p. 264 ; « Perpetual peace may be a dream ; but the foremost peoples of the world are begining to dream it », p. 274). 68 S. GOYARD-FABRE, La construction de la paix ou le travail de Sisyphe, Librairie philosophique Vrin (1994), p. 164. 69 Au vu de la lettre qu’envoie LEIBNIZ à l’Abbé de Saint-Pierre après lecture du Projet pour rendre la paix perpétuelle en Europe, dans laquelle il dit ne pas se souvenir précisément du nom d’un auteur qui aurait également eu des intentions pacifistes. Tout ce qui lui reste en mémoire est le nom de l’ouvrage: le Nouveau Cynée. CRUCÉ n’était donc pas un auteur très connu (et très lu) au XVIIIe siècle. S. GOYARD-FABRE pense néanmoins que l’Abbé de Saint-Pierre aurait tenu compte des suggestions formulées par CRUCÉ dans le Nouveau Cynée, GOYARD-FABRE, La construction de la paix, op. cit. note 68, p. 128. 70 D. SABBAGH, « William Penn et l’abbé de Saint-Pierre : le chaînon manquant », in : S. GOYARD-FABRE (éd) L’Européanisme de l’abbé de Saint-Pierre, Actes du Colloque de Saint-Pierre-Eglise de septembre 1993, pp. 83-105. 20 interne et paix ou société externe. L’Abbé de Saint-Pierre ne considère pas la « paix au dedans » des Etats comme un objectif à atteindre au vu de la réalisation de la paix « au dehors », mais comme un avantage que pourrait retirer un Etat de son adhésion à l’Union de l’Europe. En effet, le système de la Société européenne tel que présenté par l’Abbé de SaintPierre serait en mesure de « préserver infailliblement, tant les Etats moins puissans, que les plus puissans, de toute Sédition, de toute Révolte, et surtout de toute Guerre civile »71. Nous l’avons vu au-dessus, les membres de la Société disposent d’un titre d’intervention à l’égard de tout ennemi déclaré de l’Union. Or, dans le cas d’une rébellion à l’intérieur d’un Etat, il s’agit « hors [du] parti du Souverain, [du] premier parti qui prendra les armes »72. Le système de la Société européenne de l’Abbé de Saint-Pierre, tout comme celui imaginé par E. de Crucé, a donc vocation à préserver le statu quo, c’est-à-dire un ordre établi par les monarchies. Mais est-ce à dire que l’Abbé de Saint-Pierre considère que la paix interne et la paix externe sont les deux faces de la même médaille ? Sur ce point, sa pensée n’est pas aussi explicite que celle d’E. de Crucé, pour lequel les nations sont naturellement liées entre elles. Il demeure, dans la pensée de l’Abbé de Saint-Pierre, que lorsque la paix interne d’un Etat est troublée ou rompue, par exemple du fait d’une guerre civile, la paix externe est au moins potentiellement menacée. Cela signifie que la situation interne d’un Etat devient l’affaire des autres Etats sous réserve de l’agrément du souverain concerné. En effet, la Société européenne n’est compétente pour les affaires intérieures que dans la mesure où cela représente un avantage pour l’Etat et le souverain en question. L’article II du Traité proposé par l’Abbé de Saint-Pierre corrobore cette assertion : « La Société Européenne ne se mêlera point du Gouvernement de chaque Etat, si ce n’est pour en conserver la forme fondamentale, et pour un donner et prompt et suffisant secours aux Princes dans les Monarchies, et aux Magistrats dans les Républiques, contre les Séditieux et les Rébelles »73. Le deuxième aspect qui éveille notre intérêt dans l’œuvre de l’Abbé de Saint-Pierre est la compétence de la Société européenne à l’égard des Etats qui ne sont pas membres de celle-ci. Ceci ne semble pas intéresser la menace contre la paix à première vue. Pourtant, le fait que l’organisation européenne, telle que proposée par l’Abbé de Saint-Pierre, étende son rayon d’action au-delà des frontières de l’Europe chrétienne, n’est pas étranger à la notion de menace contre la paix. En effet, l’Abbé de Saint-Pierre réalise que l’objet de sa quête, la paix 71 CASTEL DE SAINT-PIERRE, Projet, op. cit. note 47, p. 40. 72 Idem. 73 Ibid., p. 164. 21 perpétuelle en Europe, n’est réalisable que si l’organisation s’estime compétente à l’égard de tout Etat qui menace la paix, que cet Etat soit membre ou non74. Ainsi, l’Union de l’Europe devrait-elle admettre, selon l’Abbé de Saint-Pierre, la Russie du « Czar » malgré que « le Christianisme [y soit] fort différent du nôtre »75. Cependant, si le Tsar refusait d’entrer dans l’Union ou de ratifier un traité de paix offrant les mêmes sûretés, il serait considéré comme « ennemi de la Paix de l’Europe et de perturbateur du repos public, jusqu’à ce qu’il eût signé »76. Or, on a vu les conséquences attachées au statut d’ « ennemi de l’Europe ». Le même traitement vaut à l’égard des « Mahométans voisins de l’Europe », tels que « les Turcs, les Tunisiens, les Tripolins, les Algériens et les Maroquins »77, qui eux, seraient d’office exclus de la Société européenne. Cependant, « […] l’Union, pour entretenir la Paix et le Commerce avec eux, pourroit faire un Traité avec eux, prendre toutes les mêmes sûretés, et leur accorder chacun un Résident à la Ville de Paix. S’ils refusoient un pareil Traité, l’Union pourroit alors les déclarer ses ennemis et les obliger par force à donner sûreté suffisante de la conservation de la Paix »78. Dans le Projet de l’Abbé de Saint-Pierre donc, si l’organisation européenne n’est pas universelle par définition, sa compétence l’est néanmoins. Il semble qu’il s’agisse d’une caractéristique propre au maintien de la paix. En ce sens, la paix est un objet à préserver de toute menace, quelle qu’en soit la provenance ou la qualité du fauteur de trouble (entité souveraine ou entité non étatique, membre ou non de l’organisation) : « […] l’Union de l’Europe suffit à l’Europe pour la conserver toujours en Paix, et qu’elle sera assez puissante pour conserver ses Frontières et son Commerce malgré ceux qui voudroient l’interrompre. […] l’Union ne regardera jamais comme ennemis que les ennemis de la Paix »79. 1.3. Emmanuel Kant Emmanuel Kant (1724-1804) ne propose pas un modèle d’organisation de la société internationale à la manière d’E. de Crucé ou de l’Abbé de Saint-Pierre, malgré qu’il se soit nourri de ces lectures. Dans son Projet de paix perpétuelle (1795), il n’est pas question d’institutions internationales dotées de pouvoirs coercitifs, chargées de sanctionner les écarts à la règle du bannissement partiel ou total de la force. En effet, dans l’idée de Kant, la société internationale ne doit pas comporter un centre de gravité unique. S’il suggère, à un moment, 74 FALK, The Status of Law, op. cit. note 65, p. 190. 75 CASTEL DE SAINT-PIERRE, Projet, op. cit. note 47, p. 160. La suite : « mais ils espèrent le Salut par JésusChrist ; ainsi ils sont Chrétiens ». 76 Idem. 77 Ibid., pp. 160-161. 78 Ibid., p. 161. 79 Ibid., p. 18. 22 que les Etats doivent se constituer en une fédération80, puis de manière moins idéalisée, en une alliance permanente81, l’Etat demeure une entité à part entière. Il doit rester indépendant vis-à-vis des autres. Pour E. Kant, la paix est à l’image du droit : une finalité à atteindre, un devoir-être (un Sollen), un impératif de la raison. Ceci tient au fait que la paix est l’aboutissement du droit82. Ainsi, à l’état naturel, les hommes, donc les Etats, sont voués à se faire la guerre. La société internationale doit sortir de son état de nature et entrer dans un état juridique afin d’atteindre la paix perpétuelle. En d’autres termes, la paix résultera de la soumission volontaire des hommes à des lois communes. Le fait de désirer la paix perpétuelle et de tendre vers elle est un devoir de la raison : « La raison moralement pratique exprime en nous son veto irrésistible : il ne doit y avoir aucune guerre […] En ce sens, la question n’est plus de savoir si la paix perpétuelle est une réalité ou une chimère, ni si nous ne nous abusons pas dans notre jugement théorique quand nous admettons la première hypothèse, mais il nous faut, comme si la chose, qui peut-être n’est pas, avait une réalité […] »83. E. Kant envisage à deux endroits la notion de « menace » : la première fois dans l’état de nature des Etats (1), la seconde dans l’état juridique vers lequel ceux-ci doivent tendre (2). 1) Dans la Métaphysique des mœurs (Doctrine du droit), rédigé peu après la parution de la Paix perpétuelle, E. Kant évoque le « droit de la guerre » qui correspond, à l’état de nature, au droit d’un Etat de recourir à la force dans le but de défendre son ou ses droit(s) à l’encontre d’un autre Etat84. A l’état de nature donc, ce moyen est licite. Or, dans ce cadre, E. Kant conçoit qu’un Etat puisse réagir, non seulement en cas de « violation effective, qui donne un droit à la guerre »85, mais aussi et en premier lieu en cas de menace. Il faut entendre par « menace » la menace de la violation effective d’un droit faisant naître un « droit à la guerre ». Ainsi E. Kant donne-t-il pour exemple les préparatifs d’armement et même, « l’accroissement redoutable de la puissance d’un autre Etat (par acquisition de territoires) »86. Cette situation porte atteinte à l’Etat moins puissant et par là-même, à son 80 Ou une « universelle union des Etats », E. KANT, Métaphysique des moeurs. Volume II : Doctrine du droit, Flammarion (1994), p. 177. 81 Ou « congrès permanent des Etats », idem. 82 Idem. 83 Ibid., p. 182. 84 Ibid., p. 171. 85 Ibid., p. 172. Mais KANT ne précise pas quel est le droit primaire violé qui donne droit à la réaction (à titre secondaire). Il doit s’agit à notre avis du droit à l’intégrité territoriale, nous allons voir ci-après qu’il peut même s’agir d’un droit d’un autre type, inconnu en tant que tel en droit international contemporain. 86 Ibid., p. 171. 23 droit à l’équilibre des puissances dans le sens d’un « droit à l’équilibre des puissances pour tous les Etats qui sont en contact effectif les uns avec les autres »87. Au final, la seule menace de violation du droit d’un Etat à l’équilibre des puissances fait naître chez celui-ci le droit de recourir à la force armée contre l’Etat jugé menaçant. Dans l’état de nature, la menace s’apprécie largement comme la menace pesant sur la sécurité de l’Etat et de ses droits à cet égard. Cependant, nous restons dubitatifs sur un point : comment l’état de nature, caractérisé par l’absence de réglementation juridique dans la conception kantienne, peut-il faire état de droits et d’obligations des Etats ? En tout état de cause, la menace n’est pas une menace contre la « paix » à proprement parler, car selon la théorie kantienne, la paix ne peut exister à l’état de nature. 2) E. Kant ne conçoit pas la paix de manière négative, comme l’absence d’hostilités. La paix est plus qu’une trêve, ou alors, il s’agit d’une trêve durable, perpétuelle. « L’état de paix parmi les hommes vivant les uns à côté des autres n’est pas un état de nature (status naturalis) : celui-ci est bien plutôt un état de guerre : même si les hostilités n’éclatent pas, elles constituent pourtant un danger permanent. L’état de paix doit donc être institué ; car s’abstenir d’hostilités ce n’est pas encore s’assurer la paix […] »88. En fait, c’est la guerre que E. Kant définit de manière négative. La guerre existe tant que la paix n’est pas encore établie de manière durable, tant que les hommes cherchent un nouveau prétexte de recommencer la guerre. En ce sens, la « menace contre la paix » pourrait-elle caractériser l’état dans lequel il n’y a ni « paix » au sens kantien du terme, ni hostilités ? En d’autres termes, cet état correspondrait à un état de guerre latent (ainsi qu’en rend compte l’expression de « guerre froide »). Nous pensons que la notion serait appropriée. En effet, la paix est menacée dans le sens où la situation en cause empêche celle-ci de se réaliser. De plus, E. Kant voit dans cet état intermédiaire un « danger permanent » du fait que les hommes sont constamment sous la menace d’une potentielle guerre. Dans « l’état légal » vers lequel les efforts des Etats doivent tendre, E. Kant affirme l’existence d’un « droit de paix », en opposition avec le « droit à la guerre », « celui de se faire garantir que la paix qui a été conclue va durer »89. Ce « droit de paix » ou « droit de garantie », selon les termes kantiens, suppose qu’il y ait une obligation de ne pas rompre, voire de ne pas menacer, la paix, dont les Etats seraient débiteurs. Cette obligation nous paraît être au cœur du système de maintien de la paix par le droit tel qu’imaginé par E. Kant. En 87 Idem. 88 E. KANT, Vers la paix perpétuelle, Flammarion (1991), p. 83. 89 KANT, Doctrine du droit, op. cit. note 80, p. 175. 24 effet, l’organisation kantienne de la paix procède d’un contrat social par lequel les Etats se promettent de se protéger réciproquement des agressions extérieures (le « droit d’alliance »90) et de ne pas s’immiscer dans leurs affaires intérieures respectives. Un dernier aspect de la doctrine kantienne du droit est également susceptible d’intéresser un élément problématique de la notion de menace contre la paix : le droit cosmopolitique. Il s’agit pour E. Kant du droit non écrit qui régit de manière universelle les conduites des hommes entre eux91. Il repose sur le postulat suivant. Les limites du globe terrestre imposent aux hommes de partager un espace commun, ce qui suppose que « tous les peuples disposent originairement d’une communauté du sol »92. Les hommes ont donc le droit d’interagir avec leurs semblables en quelque endroit de la terre, ce qui selon E. Kant revient à « se prêter au commerce réciproque »93. Le droit cosmopolitique autorise ainsi tout homme à « visiter toutes les régions de la Terre » bien qu’il ne lui soit pas forcément permis de s’y établir. Il s’agit, de fait, d’un droit de coexistence pacifique individuel. Le droit cosmopolitique nous intéresse, dans son acception kantienne, du fait qu’il participe à la formation d’une communauté humaine. Certes, selon E. Kant, cette communauté existe au préalable, cependant il avoue luimême qu’il s’agit d’une « Idée de la raison »94. C’est la raison pour laquelle nous considérons que le droit cosmopolitique reconnaît moins l’existence d’une communauté internationale qu’il ne l’a fait naître. Or, nous verrons plus après qu’une situation qualifiée de menace contre la paix internationale ne concerne en vérité, de manière physique et directe, qu’un nombre restreint d’Etats (limités à la région en cause) voire un seul Etat. Les autres Etats seraient donc concernés en tant que membres de la communauté internationale : « Cependant, la communauté (plus ou moins étroite) formée par les peuples de la terre ayant globalement gagné du terrain, on est arrivé au point où toute atteinte au droit en un seul lieu de la terre est ressenti en tous »95. Dans le sens d’E. Kant, la « communauté » unit les hommes entre eux et non les Etats, le droit est un droit interindividuel. Cependant, l’idée est là. La paix est aussi indivisible que peut l’être le sol : puisque la paix appartient à tous, personne ne peut en revendiquer la 90 Idem. 91 Ibid., p. 180. 92 Ibid., p. 179. 93 Idem. 94 Idem. 95 KANT, Vers la paix perpétuelle, op. cit. note 88, p. 96. 25 possession de même que personne ne peut empêcher quiconque de revendiquer un intérêt à son propos. 1.4. Emer de Vattel L’œuvre principale d’Emer de Vattel (1714-1767), le Droit des gens ou Principes de la loi naturelle appliqués à la conduite et aux affaires des Nations et des Souverains (1758), ne s’apparente pas à un projet de paix perpétuelle 96 . Cependant, elle présente un intérêt indéniable en tant que « code général de bonne conduite des Etats entre eux »97 au XVIIIe siècle. L’ouvrage pourrait donc nous renseigner sur ce que la notion de « menace contre la paix » impliquait à cette époque en termes de droits et d’obligations des Etats. En d’autres termes, il y a lieu de se demander si dans l’œuvre d’E. de Vattel, la situation dans laquelle la paix serait « menacée » est envisagée. Le cas échéant, en quoi consiste cette menace à la paix ; quelle est la nature des droits et obligations des Etats à l’encontre de cette menace ; qui est concerné par la menace ; l’Etat menacé ou la communauté des Etats98? Ces questions vont guider notre analyse99. Il nous faut d’abord clarifier ce que signifient droits et obligations des Etats dans la conception vattelienne du droit des gens. S’agit-il de droits et obligations découlant de prescriptions supérieures ou intrinsèques à l’homme ou de normes auxquelles les Etats ont librement consenties ? Nous verrons en quoi la réponse à cette question intéresse la notion de menace contre la paix. 96 C’est pourquoi nous l’étudions après KANT, bien que cela ne soit pas logique du point de vue chronologique. Voir aussi notre remarque infra note 99. 97 E. JOUANNET, Emer de Vattel et l’émergence doctrinale du droit international classique, Pedone (1998), p. 419. 98 « Vattel stand at the cusp of a transition from a community of humanity to a community of states », l’idée médiévale de communauté humaine basée sur une religion commune s’efface au profit d’une communauté d’Etats souverains, E. BRIMMER, « The independence of the United States », Réflexions sur l’impact, le rayonnement et l’actualité, op. cit. note 41, p. 39 ; voir aussi la contribution de KOLB dans ce même ouvrage, « La validité du modèle de Vattel après 1945 », p. 140, n. 5, faisant état d’un courant doctrinal selon lequel l’émergence d’un droit international régissant les rapports entre entités souveraines suppose que celles-ci aient préalablement appartenu à un « espace commun de valeurs partagées » (respublica christiana). Dans ce sens, il n’y aurait pas d’ordre juridique commun possible sans valeurs communes qui en constituent le soubassement. 99 A cet égard, il faut bien insister sur le fait que ce sont les problématiques auxquelles a été confronté VATTEL qui nous intéressent vis-à-vis de la notion de menace contre la paix et non pas les réponses qu’il formule. En effet, VATTEL, en tant que théoricien de la société internationale westphalienne composée d’Etats souverains (la notion de « souveraineté » exprime classiquement l’idée que « les Etats ne sont soumis à aucun pouvoir de même nature qui leur soit supérieur », P. REUTER, Institutions internationales, PUF (1967), p. 68), ne saurait avoir conceptualisé un système de sécurité collective qui implique l’existence d’une institution supra-nationale. En outre, VATTEL s’emploie plus à décrire le système de droits et obligations existant (et à en saisir les bases conceptuelles) qu’à élaborer des plans pour une paix perpétuelle. 26 E. de Vattel se situe à la croisée des chemins entre le jusnaturalisme et le « positivisme »100 du fait qu’il opère une synthèse entre ces deux conceptions du droit des gens. Il fonde, selon les termes d’E. Jouannet, une « double allégeance des collectivités au droit naturel et au droit positif »101. Ce double régime juridique chez E. de Vattel, à la fois naturel et positif102, s’exprime dans une double distinction. La Nation aurait des « devoirs envers elle-même » et des « devoirs envers les autres »103 (première distinction) ainsi que des droits et des devoirs « parfaits » et « imparfaits » (deuxième distinction). Les devoirs des Etats envers eux-mêmes correspondent aux obligations que le droit naturel leur impose : « La règle générale & fondamentale des Devoirs envers soi-même est, que tout Etre moral doit vivre d’une manière convenable à la nature, naturae convenienter vivere »104. Ces obligations sont de deux ordres pour rester dans un rythme binaire : l’obligation de se conserver et l’obligation de se perfectionner : « se conserver & se perfectionner, c’est la forme de tous devoirs envers soi-même »105. L’obligation de conservation impose à l’Etat de se maintenir tel qu’il est, non pas en référence à un instinct de conservation que l’on trouve à l’état de nature chez l’homme, mais afin de préserver le pacte par lequel les hommes ont décidé de se constituer en une société civile. L’obligation de conservation, bien que basée sur 100 Ce terme est à manier avec précaution, voir C. de VISSCHER, Théorie et réalités en droit international public, Pedone (1970), p. 31. Au XVIIIe siècle, il faut le comprendre comme désignant le caractère volontaire du droit des gens. Pour R. ZOUCHE (1590-1660), jurisconsulte anglais connu pour avoir le premier affirmé le caractère positif du droit des gens, le droit des gens désigne les principes et lois communes aux Nations qui résultent d’un « consentement universel », cité par JOUANNET, Emer de Vattel, op. cit. note 97, p. 75. ZOUCHE inclut ainsi dans le droit des gens à la fois le droit coutumier non écrit (tout comme H. GROTIUS) mais aussi le droit conventionnel écrit: « la promesse solennelle d’un Etat peut fonder le droit », ibid., p. 76. Cependant, selon cette acception zouchienne, le caractère volontaire du droit des gens est inspiré par la raison. Cette exigence de conformité à la raison, dans la doctrine de ZOUCHE, est un élément de constitution de la règle selon JOUANNET (idem). On aperçoit dès lors, sans qu’il soit nécessaire de pousser plus loin l’analyse, que l’expression « courant positiviste » n’est pas à considérée de manière anachronique comme le droit dont l’existence et la validité sont attestés par le processus formel de sa création. Chez ZOUCHE, le critère de validité est plus d’ordre matériel (fait référence au contenu du droit). Pour prendre un autre exemple des éléments de droit naturel qui subsistent dans la doctrine des premiers « positivistes », pour C. WOLFF, les obligations librement consenties entre Etats souverains attestent certes d’un droit des gens positif, mais cet acte dérivé de la volonté humaine n’est (ne devient) obligatoire que du fait qu’il existe une obligation naturelle de respecter la parole donnée. Chez WOLFF, le droit positif repose donc toujours sur un fondement de droit naturel, voir JOUANNET, ibid., p. 87. 101 JOUANNET, Emer de Vattel, op. cit. note 97, p. 35. 102 Ibid., p. 141. 103 E. de VATTEL, Principes de droit des gens ou Principes de la loi naturelle, Livre I, Chapitre II, § 13. 104 Idem. 105 Idem (en italique dans l’original). 27 le droit naturel, vise donc à préserver ce que la volonté humaine a formé. E. de Vattel admet ainsi que les hommes ayant consenti à créer une Nation peuvent, par un effet de parallélisme des formes, y mettre fin par un même consentement. Cela ne pourrait cependant se faire sans justification car, on se replace de nouveau dans une perspective jusnaturaliste, « les Sociétés civiles sont approuvées de la Loi naturelle »106. En tout cas, tant que la Nation subsiste, elle doit veiller à sa propre conservation. De l’obligation de conservation découle le droit de la Nation de se défendre à l’encontre de tout danger la menaçant : « La Nation ou l’Etat a droit à tout ce qui peut lui servir pour détourner un péril menaçant & pour éloigner les choses capables de causer la ruine »107. Quant à l’obligation de se perfectionner, elle consiste pour la Nation à se rapprocher au plus près possible du but pour laquelle elle a été créée, c’est-à-dire permettre aux citoyens de vivre en toute quiétude et d’atteindre le bonheur108. Le fondement de cette obligation est également ambivalent. E. de Vattel considère à la fois que c’est la nature de l’homme qui amène celui-ci à rechercher la perfection - la société civile étant composée d’hommes, celle-ci sera amenée à se parfaire dans son ensemble - et le fait que l’homme se soit engagé envers les autres à œuvrer pour le bien commun. On en revient au pacte par lequel les hommes se constituent en société civile. Cependant, l’obligation de se perfectionner, qui incombe à l’Etat, se fonde certes sur un devoir auquel l’homme a librement consenti, mais ce consentement découle de la sociabilité naturelle de l’homme. Au final, les devoirs de la Nation envers elle-même, que ce soit l’obligation de se conserver ou de se perfectionner, sont imposés par le droit naturel. En effet, ces devoirs découlent de la nature de l’homme et de leur consentement à vivre en société mais en aucun cas du consentement de la Nation en tant que telle. Il s’agit donc d’un droit naturel par opposition à un droit volontaire. Les devoirs que les Etats ont envers les autres se décomposent également en deux catégories, selon la systématisation proposée par E. Jouannet. Les « devoirs positifs », tout d’abord, correspondent à des obligations d’assistance et de coopération avec autrui109, tandis que les « devoirs négatifs » interdisent à l’Etat de ne pas nuire à un autre110. Ces relations 106 Idem. 107 Ibid., § 20. 108 Ibid., § 15. 109 JOUANNET, Emer de Vattel, op. cit. note 97, p. 146. 110 On peut notamment en déduire l’obligation qui incombe à un Etat de veiller à ce que son territoire ne soit pas utilisé afin de faire de tort à un autre. Voir la sentence arbitrale rendue dans l’affaire de l’Île de Palmas (Etats28 entre Etats souverains reposent, selon E. de Vattel, sur un lien similaire à celui qui unit les hommes constitués en société civile: de même que la nature sociable de l’homme oblige celuici à porter assistance à autrui, les Nations se doivent réciproquement assistance et secours. De nouveau, ces obligations sont imposées par le droit naturel puisqu’elles découlent de la nature de l’homme. Elles doivent cependant être relativisées. L’amour-propre prime sur la sociabilité selon E. de Vattel. En effet, le juriste neuchâtelois considère qu’en cas de conflit entre les devoirs de la Nation envers elle-même et les devoirs de la Nation envers autrui, les premiers l’emportent sur les seconds. Ainsi, le devoir de porter assistance à une Nation dont la conservation est menacée est subordonné à l’obligation de veiller à sa propre conservation. L’Etat dont l’intégrité est menacée, que ce soit du fait d’un danger qui vient de l’intérieur ou de l’extérieur, n’est donc plus tenu par l’obligation de porter assistance à un autre : « son obligation cesse dans cette occasion particulière et la Nation est censée dans l’impossibilité de rendre cet office »111. La question que pose alors E. Jouannet est de savoir s’il existe une obligation d’assistance dans la mesure où sa mise en œuvre ne nuit pas à l’Etat112. La réponse vattelienne est intéressante du fait qu’elle réalise précisément cette synthèse en droit naturel et droit positif dont il était question au-dessus. En effet, un droit des gens de nature volontaire 113 se superpose au droit naturel de la manière suivante : les Etats sont réputés n’avoir consenti à rendre véritablement contraignantes que les obligations de droit naturel impliquant des devoirs négatifs envers autrui. Ces obligations dotées d’une force obligatoire correspondent aux devoirs « parfaits »114 dans le Droit des gens. E. de Vattel laisse ainsi la porte ouverte à Unis c. Pays-Bas), 4 avril 1928, par Max Huber: « […] la souveraineté territoriale implique le droit exclusif d’exercer les activités étatiques. Ce droit a pour corollaire un devoir : l’obligation de protéger à l’intérieur du territoire, les droits des autres Etats […] ». 111 VATTEL, Principes de droit des gens, op. cit. note 103, Préliminaires, § 14. 112 JOUANNET, Emer de Vattel, op. cit. note 97, p. 150. 113 Nous ne pouvons trancher la question de savoir s’il s’agit, selon la terminologie de VATTEL, d’un droit des gens volontaire ou arbitraire. Il s’agit en tout cas d’un « droit des gens positif » car « ils procèdent tous de la Volonté des Nations » (VATTEL, Principes de droit des gens, op. cit. note 103, Préliminaires, § 27). Le droit des gens volontaire est établi par la Nature mais, à la différence du droit des gens nécessaire (VATTEL s’y réfère en tant que « droit des gens naturel ») que les Nations « doivent respecter & suivre dans toutes leurs actions », il constitue « une règle que le bien & le salut commun les obligent d’admettre, dans les affaires qu’ils ont ensemble ». Le droit des gens arbitraire correspond au droit des gens conventionnel (consentement exprès) et coutumier (consentement tacite), ibid., Préface, pp. xxi-xxii et Préliminaires, § 27. 114 Ibid., Préliminaires, § 17 : « L’obligation parfaite est celle qui produit le droit de contrainte ». 29 l’évolution d’un droit des gens d’origine volontaire : les Etats sont libres de transformer les devoirs imparfaits en devoirs parfaits115. Le système conceptuel d’E. de Vattel ayant été esquissé, examinons maintenant les aspects de sa doctrine qui intéressent précisément la menace contre la paix dans ce que la notion a de problématique : -­‐ à partir de quand la paix est-elle mise en danger ? Ce qui implique de saisir la signification de la « paix » pour E. de Vattel (1) ; -­‐ dans quelle mesure une situation d’une telle nature intéresse-t-elle la société internationale dans son ensemble? (2). 1) E. de Vattel considère la paix dans sa négativité (dans ce qu’elle n’est pas), c’est-à-dire comme un état des relations internationales caractérisé par l’absence de conflits armése entre Etats : « La Paix est opposée à la Guerre »116, mais il la définit aussi de manière positive: « c’est cet état désirable, dans lequel chacun jouit tranquillement de ses droits, ou les discute amiablement & par raison, s’ils sont controversés »117. Il est difficile, cependant, de savoir si E. de Vattel entend parler des individus ou des Etats, ce qui revient à se demander si E. de Vattel évoque la paix entre Nations (paix internationale) ou la paix entre les individus à l’intérieur d’un Etat (paix interne) voire la paix entre tous les individus sans distinction des frontières. Cette ambiguïté réside dans le lien inextricable qu’établit E. de Vattel entre la paix comme « état naturel de l’homme »118 et l’obligation qui incombe à la Nation de cultiver la paix119. En effet, selon E. de Vattel, la « Loi naturelle », qui oblige la Nation à rechercher et à cultiver la paix, « n’a pour fin que le bonheur humain »120. L’obligation de « cultiver la paix » se réfère à l’acception positive de la paix. Elle correspond à un devoir que le droit naturel impose à la Nation envers elle-même, plus précisément de l’obligation qui lui incombe de se perfectionner. Il s’agit donc d’un devoir « parfait ». Cependant, il est malaisé de saisir ce que cela suppose pour l’Etat en termes de 115 Certains devoirs sont cependant des « devoirs parfaits » par nature : les obligations négatives par exemple s’agissant des devoirs des Etats envers autrui et les obligations de se conserver et de se perfectionner quant aux devoirs des Etats envers eux-mêmes. 116 VATTEL, Principes de droit des gens, op. cit. note 103, Livre IV, Chap. I, § 1. 117 Idem. 118 Idem. 119 Ibid., § 2. 120 Idem. 30 moyens121. Il s’agit plus vraisemblablement d’une finalité à atteindre que d’une obligation en tant que telle. Comme à tout devoir de la Nation envers elle-même correspond un devoir envers autrui122 dans la mesure où cela ne lui est pas préjudiciable, la Nation doit également « détourner les autres de rompre [la paix] sans nécessité » et « leur inspirer l’amour de la justice, de l’équité, de la tranquillité publique, l’amour de la paix »123. Même s’il s’agit d’un devoir « imparfait », on peut estimer qu’il implique le devoir de se comporter de manière pacifique (non belliqueuse) avec les autres Nations124. L’interdiction de rompre la paix fait intervenir l’acception négative de la paix, puisque d’un état de non conflit armé on passe à un état de conflit armé. La rupture s’opère en ce sens. Les « perturbateurs de la paix publique »125, comme E. de Vattel les nomme, sont ceux qui déclarent la guerre sans juste cause. En effet, E. de Vattel ne bannit pas le recours à la force de manière absolue. Conformément aux doctrines de la guerre juste, le droit de recourir à la force (jus ad bellum) s’apprécie au regard de la cause qui y préside. L’interdiction de rompre la paix sans juste cause constitue de manière évidente une obligation de la Nation envers autrui. Parce qu’il s’agit d’une obligation négative, impliquant une abstention plutôt qu’un « devoir-faire », elle est véritablement contraignante (devoir « parfait ») selon la conception vattelienne du droit des gens. Les Nations peuvent donc en faire imposer le respect. « Quiconque rompt la paix sans sujet, nuit donc nécessairement aux Nations mêmes, qui ne font pas l’objet de ses armes ; Il les autorise à se réunir pour le réprimer, pour le châtier, & lui ôter une puissance, dont il abuse »126. On peut rapprocher ces propos de l’idée, exprimée par E. de Vattel à diverses reprises dans son Droit des gens, que la violation d’une obligation peut causer un préjudice objectif à la communauté internationale qui justifie l’intervention des Nations à titre de répression127. « Toutes les nations sont en droit de réprimer par la force celle qui viole ouvertement les loix de la société que la nature a établies entre elles, ou qui attaque directement le bien et le salut de cette société »128. 121 Ibid., § 4 : « autant que cela dépend de lui ». 122 En l’occurrence, le « Souverain […] doit de même soin aux Nations étrangères dont la guerre trouble le bonheur », ibid., § 3. 123 Ibid., § 4. 124 Peut-on y voir le germe du principe de règlement pacifique des différends ? 125 VATTEL, Principes de droit des gens, op. cit. note 103, livre IV, Chapitre I, § 5. 126 Idem. 127 Voir notamment ibid., livre II, chapitre XV, § 221. Il est dit à cet endroit que la violation de l’obligation en cause doit s’apparenter à une injure à l’encontre de tout le genre humain. 128 Ibid., Préliminaires, § 22. 31 Qu’en est-il de l’état qui précède la rupture de la paix ? E. de Vattel y fait référence à deux endroits. La première fois s’agissant du devoir de la Nation de cultiver la paix : « cette Paix si salutaire au Genre-humain, non seulement la Nation ou le Souverain ne doit point la troubler lui-même […] »129. On peut saisir ce qu’implique cette interdiction en la mettant en relation avec cet autre passage (second endroit) du Droit des gens : « Quand un Voisin, au milieu d’une paix profonde […] fait des préparatifs de Guerre ; nous est-il permis de l’attaquer, pour prévenir le danger, dont nous nous croyons menacés ? […] Tant qu’il pas rendu sa foi suspecte, nous ne sommes pas en droit d’exiger de lui d’autre sûreté »130. E. de Vattel estime qu’en cas de menace de guerre à son encontre, une Nation n’est en droit d’intervenir que dans le cas où l’autre Nation, soupçonnée belliqueuse, présente un risque avéré d’une attaque imminente à son encontre. Dans cette situation, la paix, dans son acception négative (synonyme d’absence de conflits armés entre Etats) est troublée. L’Etat menacé est alors autorisé à réagir de manière coercitive. On en conclut que selon E. de Vattel, la paix est menacée lorsqu’existe une menace sérieuse de guerre. 2) La menace de guerre entraîne-t-elle uniquement une menace à la paix de l’Etat personnellement menacé ? Nous avons déjà partiellement répondu à cette question. En effet, comme il a déjà été souligné, la rupture de la paix cause un préjudice à l’ensemble des Nations selon E. de Vattel. Toutes les Nations sont donc en droit de réprimer la violation de l’obligation de s’abstenir de troubler et de rompre la paix. Cependant, il manque encore la justification du fait que le préjudice existe à l’égard de tous. La voici : « Quiconque rompt la paix sans sujet […] attaque essentiellement le bonheur et la sûreté de tous les peuples de la terre, par l’exemple pernicieux qu’il donne »131. Ce qui fait le lien entre la rupture de la paix à un endroit, entre deux Etats, et tous les autres non directement concernés, c’est l’existence de l’obligation de ne pas recourir à la guerre sans juste cause. En effet, sa violation intéresse la société internationale toute entière. La menace de sa violation aussi par conséquent. C’est ainsi que S. Goyard-Fabre conclut notre analyse d’E. de Vattel : « toute guerre ou menace de guerre intéresse, par-delà les belligérants, la société humaine toute entière »132. Une question demeure néanmoins vis-à-vis de ce qu’il faut entendre par « société humaine » chez E. de Vattel. Désigne-t-il, par là-même, une communauté humaine ? Cela ne 129 Ibid., livre IV, Chapitre I, § 4. Mis en italique par nous. 130 Ibid., Livre III, Chap. III, § 50. Mis en italique par nous. 131 Ibid., livre IV, Chap. I, §5. Mis en italique par nous. 132 S. GOYARD-FABRE, La construction de la paix, op. cit. note 68, p. 174. 32 saurait être au sens médiéval ou pré-westphalien du terme « communauté ». En effet, nous avons vu que les devoirs de la Nation envers elle-même l’emportaient sur les obligations à l’égard des tiers, à moins qu’il ne s’agisse de devoirs négatifs. Ainsi, « l’autoconservation et l’atomisation de l’Etat l’emportent […] progressivement sur la solidarité de la communitas christiana unie »133. De la même manière, E. de Vattel rejette l’idée wolffienne134 d’une civitas maxima135. Cependant, il ne rejette cette idée que dans la mesure où celle-ci implique un pouvoir supérieur aux Etats, ce qui n’est pas nécessairement, comme nous allons le vérifier, l’unique interprétation de ce que les termes civitas maxima recouvrent. E. de Vattel compare la civitas maxima à une « espèce de grande République », laquelle, composée de toutes les Nations, serait assimilable à un gouvernement mondial. « Il est de l’essence de toute Société Civile (Civitatis) que chaque membre ait cédé une partie de ses droits au Corps de la Société, & qu’il y ait une Autorité capable de commander à tous les membres, de leur donner des Loix, de contraindre ceux qui refuseroient d’obéir. On ne peut rien concevoir, ni rien supposer de semblable entre les Nations »136. L’idée d’un super-Etat, pouvant juger de l’action de tous les autres, est en radicale opposition avec le postulat vattelien selon lequel « chaque Etat Souverain se prétend, & est effectivement, indépendant de tous les autres »137. Cette idée de super-Etat a inspiré la traduction du latin civitas maxima par l’anglais « supreme state », traduction que la doctrine contemporaine considère comme étant « missleading »138. Une autre interprétation de la civitas maxima serait en effet possible. N. Greenwood Onuf considère que civitas correspond au grec polis qui désigne, selon Aristote, l’association volontairement formée par des individus en vue du bien commun139. 133 KOLB, « La validité du modèle de Vattel », op. cit. note 41, p. 150. 134 C. WOLFF, Jus Gentium methodo scientifica pertractatum (1749). 135 N. GREENWOOD ONUF, « Civitas Maxima : Wolff, Vattel, and the Fate of Republicanism », 88 AJIL (1994), p. 282. 136 VATTEL, Principes de droit des gens, op. cit. note 103, Préface, p. xvii (mis en italique par nous sauf Civitatis). 137 Idem. 138 G. CAVALLAR, « The Universal Commonwealth : Locke, Wolff and Kant », in : V. GERHARDT (éd), Kant und die Berliner Aufklärung : Akten des IX. Internationalen Kant-Kongresses, De Gruyter (2001), p. 86 ; GREENWOOD ONUF, « Civitas Maxima », op. cit. note 135, p. 287. Au contraire, pour la doctrine plus datée, l’expression « supreme state » ou une expression voisine comme « super-State of law » était communément admise, voir ainsi H. LAUTERPACHT, « The Nature of International Law and General Jurisprudence » [1932], in : E. LAUTERPACHT (éd), International Law: Being the Collected Papers of Hersch Lauterpacht, Vol. 2, Part. 1, CUP (1975). 139 GREENWOOD ONUF, « Civitas Maxima », op. cit. note 135, pp. 287-288. 33 « Like ‘polis’, the term ‘civitas’ has served throughout much of western history, and certainly in Wolff’s time, to describe the primary units within which people self-consciously organize themselves to deal with their important concerns »140. Cette mise en lumière donne un nouveau visage au terme civitas en insistant moins sur son aspect institutionnel sur que sur les éléments qui la composent : les civitates, c’est-à-dire les Etats et à travers ceux-ci, les individus. De même, A. Nussbaum définit la civitas maxima au regard du but poursuivi, le bien commun, et des moyens d’y parvenir, la coopération entre Etats, sans qu’il faille nécessairement y voir l’empreinte d’une autorité supérieure : « Its purpose is the promotion of the common good of the states through their cooperation under rules emanating from the civitas maxima »141. Selon C. de Visscher, la conception wolffienne de la civitas maxima est principalement combattue par E. de Vattel du fait qu’elle implique « l’idée d’un pacte institutionnel ou contrat social comme base d’une communauté entre nations »142. E. de Vattel rejetterait donc la civitas maxima « au nom de la souveraineté étatique »143. C. de Visscher, lui, relève l’idée centrale selon laquelle la civitas maxima incarne la communauté des Nations. Quant à maxima, C. Greenwood Onuf est d’avis que le terme ne se réfère pas à la supériorité de la civitas sur les Nations. Maxima n’est pas synonyme du superlatif supremus. C. Wolff aurait clairement entendu désigner par maxima le caractère universel de la civitas. En effet, la civitas inclut toutes les Nations, selon la traduction anglaise du texte de C. Wolff : « inasmuch as they together include the whole human race » 144 . On retrouve l’idée de communauté, qu’elle soit celle des hommes ou des Nations. E. de Vattel ne rejette que l’aspect le plus saillant, si ce n’est sujet à interprétation, de la civitas maxima. Il ne rejette pas nécessairement l’idée d’une communauté internationale145. 140 Ibid., p. 288. 141 NUSSBAUM, op. cit., p. 151. 142 DE VISSCHER, Théories et réalités, op. cit. note 100, p. 31. Il semble que le nœud principal de discorde se trouve plutôt dans les conceptions respectives de VATTEL et de WOLFF de l’état de nature. Pour VATTEL, à l’état de nature, les nations sont libres de s’agréger ou non tandis que pour WOLFF, le besoin de se constituer en une communauté des nations est induit par la nature, par la sociabilité des Nations pourrait-on dire (sur le modèle des individus). 143 DE VISSCHER, Théories et réalités, op. cit. note 100, p. 151. 144 WOLFF, traduction anglaise de l’édition 1764 de Jus Gentium methodo scientifica pertractatum par J. DRAKE, Clarendon Press/Milford (1934), p. 13, § 10. 145 Pour KOLB par exemple, on trouve chez VATTEL l’idée d’une « société internationale universelle tenue par le lien du droit naturel ou nécessaire », « La validité du modèle de Vattel », op. cit. note 41, p. 152. 34 Ainsi, lorsqu’il évoque la « Société générale entre tous les hommes »146, E. de Vattel admet l’existence d’un lien spécial entre ceux-ci. Ce lien spécial est à la base des devoirs d’une Nation envers autrui, même si, à l’image de l’individu, la Nation demeure égoïste. Elle ne doit remplir ses obligations envers les tiers que dans la mesure où cela ne lui est pas préjudiciable. 1.5. Conclusion intermédiaire : la conception de la « menace contre la paix » aux XVIIe et XVIIIe siècles A ce stade de l’analyse, il est permis de définir un dénominateur commun à ces différentes doctrines quant à ce que la « paix menacée » signifie et implique en termes de droit international. Il ne s’agit pas à proprement parler de « critères » d’application de la notion de « menace contre la paix ». En effet, la notion n’existe pas encore en tant que telle. Ses idées maîtresses, cependant, émergent progressivement. Ce sont donc plutôt des points névralgiques autour desquels s’articule la réflexion dont nous souhaiterions faire état. Ces points sont au nombre de quatre. 1) La conception de la paix Le premier élément qui ressort des doctrines examinées a trait à la conception de la « paix » même. La paix, c’est ce que ces jurisconsultes et philosophes ont en ligne de mire. Lassés des horreurs de la guerre, ils sont à la recherche de moyens permettant d’y mettre fin de manière durable. Dans ce sens, la paix signifie plus que la fin et l’absence des hostilités147. Elle doit être construite. Elle reçoit dès lors une acception positive qui suppose deux choses : premièrement, la paix requiert la réalisation de conditions positives ayant trait aussi bien au système interne à l’Etat qu’au système interétatique ; deuxièmement, la paix doit être organisée par le droit148. Ainsi, certains auteurs suggèrent de verrouiller la possibilité de recourir à la force tandis que d’autres préconisent un système de régulation des différends susceptibles de mener à une rupture de la paix. Le but est de rendre la guerre théoriquement impossible. « Les plans de paix qui voient le jour au XVIIe siècle […] ont assurément un dénominateur commun, à savoir leur intense volonté d’édifier pour l’avenir les structures juridiques d’une politique nouvelle qui 146 VATTEL, Principes de droit des gens, op. cit. note 103, Préface, p. xvii (« […] la Nature a bien établi une Société générale entre tous les hommes, lorsqu’elle les a faits tels qu’ils ont absolument besoin du secours de leurs semblables, pour vivre comme il convient à des hommes de vivre ; mais elle ne leur a point imposé précisément l’obligation de s’unir en Société civile proprement dite », mis en italique par nous). 147 Ce n’est pas sans rappeler les termes de la fameuse déclaration du Président du Conseil de sécurité du 31 janvier 1992: « The absence of war and military conflicts amongst States does not in itself insure international peace and security » (voir à propos de cette déclaration infra titre II, première partie, 2.2.2.4.). 148 Ce que GOYARD-FABRE appelle la « force du droit », La construction de la paix, op. cit. note 68, p. 234. 35 atténuerait, voire annihilerait le fracas des guerres. […] ils postulent que la paix, étant toute autre chose qu’un répit entre deux guerres, doit être construite par des moyens spécifiques »149. Il existe donc un état dans lequel la guerre n’est pas encore (la paix n’est pas encore rompue) et qui, pourtant, nécessite une réaction à titre préventif de la part des Etats. 2) L’existence d’une communauté humaine Pour ces auteurs, une situation interne (troubles, rébellion, guerre civile) peut menacer la paix internationale, de même qu’un conflit entre deux Etats est l’affaire de tous. De manière générale, les auteurs établissent un lien entre paix interne et externe de même qu’ils tissent un lien entre tous les hommes. Il en ressort que la paix est un objet indivisible qui ne peut appartenir qu’en tout, et non en partie, à la communauté des hommes. Pour la plupart des auteurs, la communauté humaine existe depuis que l’homme est homme, même si E. de Vattel semble admettre qu’elle prend forme du fait qu’existent des lois communes à tous les hommes. En tout cas, il en résulte qu’un Etat n’a pas besoin de se sentir personnellement et matériellement menacé pour considérer qu’il existe une menace à la paix internationale. 3) Une compétence à l’égard de toute menace Cet élément ressort le plus clairement chez l’Abbé de Saint-Pierre. L’organisation doit être compétente à l’encontre de tout Etat menaçant de rompre la paix, qu’il fasse partie ou non de l’alliance des Etats, ou même, qu’il ne s’agisse pas d’un Etat. En effet, en cas de troubles internes ou de rébellion, les responsables de la menace n’ont pas la qualité étatique. Cette caractéristique est liée à celle de l’indivisibilité de la paix. 4) L’interdiction de menacer la paix Enfin, les différents systèmes d’organisation de la paix donnent naissance à l’obligation de ne pas rompre la paix (de manière absolue selon les uns, sans « juste cause » selon les autres), voire de ne pas troubler celle-ci. Cette obligation se trouve au cœur du pacte social kantien que les Etats doivent établir entre eux dans « l’état légal ». Il faut cependant comprendre l’assertion « interdiction de menacer la paix » comme signifiant l’interdiction de menacer du recours à la force (injustifié). En effet, comme on l’a vu, c’est l’acception négative de la paix (absence de conflits armés) qui est concernée dans ce cas. L’interdiction de menacer la paix correspond donc à une obligation d’abstention de la part de l’Etat de menacer de recourir à la force. 149 Ibid., p. 118. 36 2. L’ORGANISATION EUROPEENNE ET MONDIALE DE LA PAIX AUX XIXE ET XXE SIECLES Dans cette partie, nous nous proposons d’étudier la manière dont les Etats ont organisé la paix aux XIXe et XXe siècles, sans compter les Nations Unies (la notion de menace contre la paix de l’article 39 de la Charte faisant l’objet d’une analyse à part). La période examinée s’étend donc de 1815 (la Sainte-Alliance) à 1939 (dissolution de facto de la Société des Nations150). Il ne s’agit plus, cette fois, de textes à portée doctrinale mais de textes posant les bases conventionnelles du maintien de la paix en Europe ou dans le monde. Ces textes ne sauraient être dissociés, dans l’analyse, de la pratique des Etats à laquelle ils ont donné naissance. En effet, la paix n’est plus un objet de réflexion pour les jurisconsultes et philosophes. Les Etats s’emparent du problème. Notre propos ne sera pas ici de retracer les influences des doctrines des XVIIe et XVIIIe siècles sur les systèmes de maintien de la paix du XIXe siècle et de la première moitié du XXe siècle, quoique le sujet soit passionnant151. De même que dans la partie précédente, nous allons porter une attention particulière aux aspects qui présentent des analogies, du point de vue des problèmes juridiques qu’ils soulèvent, avec la notion de menace contre la paix inscrite dans la Charte des Nations Unies. 2.1. La Sainte-Alliance Il convient d’abord de préciser ce que nous entendons par Sainte-Alliance. Il existe, en effet, deux acceptions possibles. Stricto sensu, la Sainte-Alliance désigne l’alliance formée par les Etats ayant souscrit au traité du 26 septembre 1815, initialement conclu entre la Russie, l’Autriche et la Prusse à la suite des guerres napoléoniennes. Ce traité consacre à son article 3 in fine l’expression « sainte alliance »152. Cependant, on a objecté que ce traité n’avait jamais été véritablement mis en œuvre, qu’il ne serait que la profession de foi, la déclaration de principe de la SainteAlliance entendue de manière plus large153. Lato sensu, la Sainte-Alliance fait référence au système européen d’organisation de la paix au XIXe siècle, caractérisé par un directoire de grandes puissances et la tenue de congrès. 150 La dissolution de jure fut prononcée le 18 avril 1946. Cependant, entre 1939 et 1946, aucune session de l’Assemblée ou du Conseil de la Société des Nations Unies n’eut lieu. 151 Il a été en partie traité par M. SCHULZ, Normen und Praxis, Das Europäische Konzert der Grossmächte als Sicherheitsrat 1815-1860, Oldenbourg Verlag München (2009), pp. 39-46. 152 Art. 3. « Toutes les Puissances qui voudront solennellement avouer les principes sacrés qui ont dicté le présent acte […] seront reçues avec autant d’empressement que d’affection dans cette sainte alliance ». 153 M. BOURQUIN, « La Sainte-Alliance : un essai d’organisation européenne », 83 RCADI (1953), p. 392. 37 Pour l’historien M. Schulz, ces éléments sont caractéristiques d’une institution internationale154, bien que celui-ci préfère parler de « Concert européen » plutôt que de Sainte-Alliance, mettant ainsi l’accent sur l’esprit de concertation. Selon cette acception large, le traité du 20 novembre 1815, ratifié par les quatre puissances victorieuses, la Prusse, la Russie, l’Autriche et le Royaume-Uni, ainsi que les protocoles adoptés lors des congrès subséquents, constituent les bases conventionnelles de la SainteAlliance. Ainsi en est-il du protocole du 19 novembre 1920, adopté à Troppau, fixant la politique de la Sainte-Alliance en matière d’intervention155, de même que de la décision prise au congrès d’Aix-la-Chapelle (1818) d’inviter la France à rejoindre la Quadruple Alliance. On désigne par ce dernier terme l’alliance initiale formée par les Etats signataires du traité du 20 novembre 1815. Il y aurait peu de sens à restreindre la Sainte-Alliance aux termes du traité du 26 septembre 1815. Pour M. Bourquin, ce traité n’a même aucune valeur juridique intrinsèque : « il ne faut pas chercher dans le traité du 26 septembre la base juridique du Directoire européen »156. M. Bourquin invoque dans ce sens la méfiance, voire la moquerie, avec laquelle les souverains d’Europe ont signé ou refusé de signer (Royaume-Uni) ledit traité. Le traité portait trop clairement la marque du mysticisme de son instigateur, Alexandre Ier, tsar de Russie. Cependant, la Sainte-Alliance, même dans son acception large, ne saurait être complètement dissociée du traité du 26 septembre 1815. Ce dernier traité reflète tout de même l’état d’esprit qui prévalait alors, parmi les souverains d’Europe, quant à ce que le maintien de la paix impliquait. En effet, si les Etats contractants initiaux étaient la Russie, l’Autriche et la Prusse, le traité du 26 septembre 1815 a largement été ratifié en Europe. Seuls le Sultan de Constantinople, le Pape et le Royaume-Uni se sont refusés à y adhérer. Nous estimons donc pertinent d’analyser les termes du traité du 26 septembre 1815 au même titre que celui du 20 novembre 1815, c’est-à-dire dans la perspective d’un éclairage historique de la notion de menace contre la paix. 154 « An institution comprises certain regulative functions exerted within society, has a relatively constant existence, and its human representatives and addressees need to have ‘internalized’ its cultural patterns. International institutions are established to stabilize and develop a normative order, allow for the peaceful adjustment of interests, and provide a framework to ‘reach and execute decisions that are generally binding’ », M. SCHULZ, « Did Norms Matter in Nineteenth-Century International Relations? » in : H. AFFLERBACH & D. STEVENSON (éds.), An Improbable War? The Outbreak of World War I and European Political Culture before 1914, Berghahn Books (2007), p. 45. 155 BOURQUIN, « La Sainte-Alliance », op. cit. note 153, p. 432. 156 Ibid., p. 398. 38 Le traité du 26 septembre 1815, au-delà du lyrisme par lequel il est souvent caractérisé et dont les premiers mots rendent compte (« Au nom de la Très-Sainte et Indivisible Trinité »), présente quatre éléments distincts. Les voici dans l’ordre de considération du traité lui-même : 1) Les Etats contractants s’engagent à se prêter « assistance, aide et secours » (art. 1) et à « se rendre réciproquement service » (art. 2). Même si ces devoirs dérivent du consentement des parties à ce traité, ils sont fondés sur une norme supérieure à la volonté des parties: « les paroles des Saintes-Ecritures, qui ordonnent à tous les hommes de se regarder comme frères » (art. 1) 157 . Ainsi, « les trois Monarques Contractants demeureront unis par les liens d’une fraternité véritable et indissoluble ». On retrouve la notion médiévale de « République chrétienne ». En effet, l’expression « tous les hommes » doit être lue en conjonction avec les termes de l’art. 2 : « la nation chrétienne, dont […] les peuples font partie »158. On retrouve aussi l’idée exprimée dans l’œuvre d’E. de Crucé, selon laquelle les nations sont liées les unes aux autres par un lien naturel et fraternel, bien qu’E. de Crucé s’adresse à toutes les nations, même non-christianisées. En fait, E. de Crucé était lui-même inspiré, dans sa vision du monde et du droit, par des préceptes chrétiens159. 2) Les Etats contractants doivent « protéger […] la paix », de même que « la justice » et « la religion » (art. 1). Même si le terme de « paix » demeure vague en l’espèce, on peut estimer qu’il fait référence à un bien commun. Au minimum, il s’agit de l’absence de conflits interétatiques impliquant au moins l’un des Etats contractants. Mais, dans ce contexte, il semble que la « paix » signifie plus que cela. Associée à « la justice » et à « la religion » (chrétienne), la paix n’est pas conçue dans sa négativité. En outre, le fait qu’il s’agisse d’un objet à protéger signifie que la « paix » fait référence à l’établissement de conditions qui ne sont pas seulement négatives, mais aussi positives. Peut-être même peut-on supposer, à cet égard, que « paix », « justice » et « religion » sont inextricablement liées. Nous y reviendrons au point 4. 3) Le troisième élément est lié au premier, à savoir le fait qu’il n’existe pas seulement une communauté d’Etats chrétiens selon le traité du 26 septembre 1815, mais aussi et 157 Mis en italique par nous. 158 Mis en italique par nous. 159 Selon FENET, CRUCÉ reprend le thème de l’unité organique du genre humain exposé par l’apôtre Paul dans sa première lettre aux Corinthiens, afin d’expliquer la fraternité universelle des hommes, A. FENET, « Emeric de Crucé aux origines du pacifisme et de l’internationalisme modernes », 1 Miskolc Journal of International Law (2004), p. 32. 39 surtout, une communauté humaine chrétienne. Selon les termes du traité, cette communauté ne se limite d’ailleurs pas aux peuples de Russie, d’Autriche et de Prusse : « la nation chrétienne, dont [les Etats contractants] et leurs peuples font partie ». Le traité, ouvert à l’adhésion d’Etats désireux d’y souscrire, était cependant restreint à une communauté chrétienne. Il demeure l’idée d’une communauté humaine, déjà apparente dans les doctrines du XVIIe et XVIIIe siècles. Cette idée concerne la notion de menace contre la paix dans la mesure où un événement à un endroit intéresse tous les hommes qui sont membres de cette communauté. 4) Le dernier point est lié au second, quant à savoir ce que la « paix » dans son acception positive recouvre. A l’article 3, les Etats contractants recommandent à leurs peuples respectifs : « comme unique moyen de jouir de la paix qui naît de la bonne conscience, et qui seule est durable, de se fortifier chaque jour davantage dans les principes et l’exercice des devoirs que le divin Seigneur a enseignés aux hommes »160. Abstraction faite de l’aspect spirituel de l’assertion, on constate que la « paix durable », c’est-à-dire la « paix » au sens du traité du 26 septembre 1815, requiert effectivement la réalisation de conditions positives. En l’occurrence, les hommes doivent chacun se conformer aux préceptes chrétiens. Nous ne nous étendrons pas sur ce point. L’important est de retenir que la paix, telle que considérée par les contractants, est un état positif dont la réalisation dépend (en l’occurrence) de conditions internes à l’Etat. L’idée de l’existence d’une communauté humaine chrétienne est ici réaffirmée. Le traité du 26 septembre 1815 formule donc des idées qui ne sont pas totalement étrangères à celle de prévenir toute menace à la paix. Il se prononce quant à ce que la paix doit être, et en cela, elle doit être « durable ». Elle doit donc être plus qu’une trêve entre deux guerres. Il faut dire que les guerres napoléoniennes avaient épuisé, moralement et économiquement, les nations européennes. En considérant la paix comme un bien commun, un objet à protéger et à préserver, la Sainte-Alliance du 26 septembre 1815 constitue un essai d’organisation européenne de la paix à part entière. A compter de sa signature, les Etats européens sont convaincus du fait que la paix n’est pas un état hasardeux mais un processus 160 Mis en italique par nous. 40 fragile qui requiert l’effort et l’intérêt de tous, en l’occurrence, de tous les peuples chrétiens161. Le traité du 20 novembre 1815 présente une toute autre configuration et, dès lors, un autre intérêt à l’analyse. D’abord, il est fermé aux quatre grandes puissances que sont la Russie, l’Autriche, la Prusse et le Royaume-Uni. Il n’existe pas de clause d’adhésion. La décision d’inviter la France à se joindre aux nations alliées lors du congrès d’Aix-la-Chapelle (1818) ne s’apparente pas à un acte d’adhésion au traité. L’alliance est en tout cas restreinte aux « grandes puissances », contrairement au traité du 26 septembre qui prévoit l’adhésion de tout Etat se conformant aux préceptes chrétiens. Ensuite, le traité du 20 novembre a une raison d’être étroite mais ciblée : empêcher le retour de Napoléon ou d’un membre de sa famille sur le trône de France. En cela, le traité du 20 novembre ne fait que consacrer l’existence d’une alliance déjà scellée à Chaumont en mars 1814162. En effet, le traité de Chaumont prévoyait l’assistance réciproque de ses quatre signataires en cas de menace d’agression ou d’agression de la part de la France. C’est aussi par crainte d’une résurrection bonapartiste, ou de troubles révolutionnaires d’un autre ordre, que le traité du 20 novembre 1815 prévoit en de telles circonstances l’engagement militaire des alliés en France. L’alliance ne voit donc de danger, c’est-à-dire de motif d’intervention, qu’en, et en provenance de, France163. Le congrès de Troppau, au mois d’octobre 1820, élargit ce casus foederis à tous les troubles révolutionnaires présentant un danger pour la paix en Europe, malgré que le Royaume-Uni s’y soit fermement opposé. Les événements méritent ici d’être rappelés. En réaction à des troubles révolutionnaires dont l’Espagne était le théâtre, la Russie suggérait aux puissances alliées une intervention collective. Le Royaume-Uni, en profond désaccord, exposa sa position dans un memorandum en date du 5 mai 1820. Dans celui-ci, le gouvernement britannique récusait l’idée d’une intervention collective lorsque la sécurité des Etats n’est pas directement menacée. M. Schulz rapporte ainsi l’argumentaire britannique: « […] purely domestic revolts in minor states should not be equated with the 161 Chrétiens et pas seulement européens. Le tsar de Russie avait tenté de faire adhérer les Etats-Unis au traité du 26 septembre, sans succès. 162 BOURQUIN, « La Sainte-Alliance », op. cit. note 153, p. 399. 163 « The Quadruple Alliance against France », SCHULZ, « Did Norms Matter », op. cit. note 154, p. 43. 41 threat to international security posed by the French Revolution » 164. En l’occurrence, la révolution en Espagne était faible et ne présentait aucun danger immédiat pour les nations alliées165. L’argument s’attache donc au degré de la menace que fait peser la situation en cause sur la sécurité des Etats166. A contrario, la thèse britannique admet, selon les termes de M. Bourquin, qu’ « il existe des cas où les Etats sont justifiés à intervenir, fût-ce les armes à la main, pour se protéger contre les répercussions d’événements dont d’autres Etats sont le théâtre. Il en est ainsi quand ces événements constituent une menace pour leur sécurité »167. Lord Castlereagh, ministre des affaires étrangères anglais et auteur du memorandum, ne voulait pas d’une alliance vouée à préserver l’ordre établi, soit l’ordre monarchique, à tout prix. Les autres puissances en décidèrent autrement lors du congrès de Troppau (1820). Ils accordèrent à l’Autriche le droit d’intervenir à Naples. Le succès d’une révolution à cet endroit menaçait l’ensemble de la Vénétie et de la Lombardie qui faisaient alors partie de l’Empire autro-hongrois. Ce faisant, la Sainte-Alliance mandatait l’Autriche d’intervenir en son nom. La politique de la Sainte-Alliance, s’agissant d’intervention dans les affaires intérieures, était ainsi fixée. Certes, la France et l’Angleterre avaient refusé de signer le protocole du 19 novembre 1820 entérinant cette nouvelle orientation. Metternich, Chancelier de l’Autriche, n’était pas non plus entièrement convaincu, mais la crise napolitaine l’avait pressé d’accepter le principe d’une intervention collective, tel que suggéré par la Russie. Au lieu d’une intervention à proprement parler collective, il s’agissait plutôt d’une autorisation de recourir à la force ou d’une délégation du pouvoir de recourir à la force. Enfin, le traité du 20 novembre 1815 consacre une procédure nouvelle en matière diplomatique : la tenue de congrès. Néanmoins, la procédure n’est pas entièrement nouvelle. Elle a été initiée lors des campagnes napoléoniennes. En effet, les souverains et ministres, suivant leurs armées en campagne, avaient la possibilité de se rencontrer et de discuter sans 164 Ibid., p. 49 (souligné par nous). 165 SCHULZ, Normen und Praxis, op. cit. note 151, p. 78. 166 Sur la « paix et la sécurité internationales » selon l’expression consacrée par la Charte des Nations Unies (notamment par son article 39). 167 BOURQUIN, « La Sainte-Alliance », op. cit. note 153, p. 427, mis en italique par nous. Dans le même sens, SCHULZ : « this doctrine allowed for the intervention by the Concert only when a situation represented a true menace for international security, or when a revolt turned into a humanitarian catastrophe », « Did Norms Matter », op. cit. note 154, p. 49. Le passage souligné (par nous) fait référence à des considérations humanitaires qui justifieraient une intervention collective. Cette doctrine a notamment été mise en œuvre dans les années 1860-1861 lors du massacre des chrétiens en Syrie. 42 intermédiaire des questions qui présentaient un intérêt commun. La procédure est consacrée en ces termes, à l’article 6 du traité : « Pour assurer et faciliter l’exécution du présent traité, et consolider les rapports intimes qui unissent aujourd’hui les quatre Souverains pour le bonheur du monde, les H.P.C. sont convenues de renouveler, à des époques déterminées, soit sous les auspices immédiats des Souverains, soit par leurs ministres respectifs, des réunions consacrées aux grand intérêts communs et à l’examen des mesures qui, dans chacune des époques, seront jugées les plus salutaires pour le repos et la prospérité des peuples et pour le maintien de la paix de l’Europe »168. M. Bourquin résume ainsi la formule: « Chaque fois que se posera une question d’intérêt général affectant la paix ou la prospérité de l’Europe, l’article 6 trouvera son application »169. Sans entrer en détail dans la manière dont les grandes puissances ont entendu maintenir la paix en Europe, la procédure des congrès, qui a donné lieu à l’expression « Concert de l’Europe », soulève principalement deux questions. La première, comment quatre, puis cinq, grandes puissances pouvaient-elles s’estimer compétentes 170 pour l’Europe entière, s’agissant du « repos et [de] de la prospérité des peuples » et surtout, du « maintien de la paix en Europe » ? Faut-il y voir l’idée, déjà rencontrée chez l’Abbé de Saint-Pierre, selon laquelle le maintien de la paix ne s’accommode pas d’une compétence restreinte aux Etats membres de l’alliance ? L’approche est différente dans le système de la Sainte-Alliance. En effet, les grandes puissances ne s’estiment pas seulement compétentes à l’encontre des autres nations, en cas d’agression ou de menace d’agression, mais aussi pour et au nom des autres nations171. Selon la Reine Victoria, les grandes puissances étaient investies d’une mission sacrée (« sacred office »). De cette mission découlait des devoirs et des responsabilités172, dont celle de maintenir la paix et la sécurité en Europe. T. Lawrence arguait pour sa part, en 1884, que la préséance des grandes puissances vis-à-vis des autres nations trouvait son fondement dans le « droit international moderne » (« modern International Law »), c’est-à-dire dans le droit coutumier auquel la pratique des 168 Cité dans BOURQUIN, « La Sainte-Alliance », op. cit. note 153, pp. 400-401 (mis en italique par nous). 169 Ibid., p. 401 (mis en italique par nous). 170 « The Great Powers created a new status for themselves […]. This status entailed the option of managing European affairs collectively whenever conflicts could not be resolved on the bilateral level », SCHULZ, « Did Norms Matter », op. cit. note 154, p. 46. 171 L’article 24 § 1 in fine de la Charte des Nations Unies exprime une idée semblable à propos du Conseil de sécurité : « Afin d’assurer l’action rapide et efficace de lOrganisation, ses Membres confèrent au Conseil de sécurité la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales et reconnaissent qu’en s’acquittant des devoirs que lui impose cette responsabilité le Conseil de sécurité agit en leur nom » (mis en italique par nous). 172 SCHULZ, « Did Norms Matter », op. cit. note 154, p. 47. 43 Etats au XIXe siècle a donné naissance 173 . La meilleure approche, selon nous, est de considérer que les grandes puissances forment l’organe exécutif d’une institution internationale. Dès lors que l’on parle d’organe, les intérêts respectifs des grandes puissances sont, en tout cas devraient être, relégués à l’arrière-plan de ceux de la communauté. En effet, l’organe d’une institution internationale, laquelle est constituée en vue d’un objectif et d’intérêts communs, est habilité à agir au nom de tous174. Il demeure cependant un point problématique. Les nations européennes ont-elles accepté que les grandes puissances gèrent leurs intérêts essentiels ? Selon T. Lawrence, ce consentement a été tacite s’agissant du système de la Sainte-Alliance175, « tacite » dans le sens de « présumé ». La seconde, que signifie « maintien de la paix » aux termes de l’article 6 du traité du 20 novembre 1815 ? S’agit-il de maintenir la paix une fois le casus foederis atteint, c’est-à-dire une fois la paix rompue? Cela aurait peu de sens au regard de l’article 6, qui institue une procédure de concertation. Dès lors, si le maintien de la paix est inévitablement concerné lorsque le casus foederis est atteint, il est déjà l’enjeu de discussions parmi les grandes puissances en cas de situation susceptible de mener à une rupture de la paix. S’agissant de la « menace contre la paix », la Sainte-Alliance était donc compétente à deux égards: 1) les grandes puissances étaient amenées à se réunir dès lors que la paix était menacée. La paix n’était pas encore rompue mais elle était susceptible de l’être. Il s’agissait donc, en prévention d’une telle rupture, de régler le ou les différend(s) par la discussion et la persuasion. On entend ici menace contre la paix comme synonyme de paix dont la rupture est menacée. 2) le double casus foederis de la Sainte-Alliance était également caractéristique d’une menace contre la paix, mais selon une perspective différente. Le casus foederis embrassait deux hypothèses : pour la première, les troubles révolutionnaires, même confinés à l’intérieur d’un Etat ; pour la seconde, la menace, ou l’acte, d’agression de la France à l’encontre d’un Etat européen, voire de l’acte d’agression n’étant pas d’origine française. Les troubles internes ne pouvaient affecter qu’indirectement les autres puissances européennes, soit du risque de conflagration, soit de la seule idée 173 T. LAWRENCE, « The Primacy of the Great Powers », Essays on Some Disputed Questions in Modern International Law, Deighton, Bell (1885), p. 232. 174 Ce sont encore une fois les termes de l’article 24 § 1 in fine, voir supra note 171. 175 LAWRENCE, « The primacy », op. cit. note 173, p. 231. 44 que la monarchie était mise en danger à un endroit. De la même manière, la menace ou l’acte d’agression à l’encontre d’un Etat européen ne concernait pas directement les autres puissances. Elles pouvaient néanmoins l’être dans la mesure où une alliance défensive les liait à la puissance attaquée ou menacée d’une attaque176. En conclusion sur ce point, les événements donnant lieu au casus foederis ne pouvaient pas directement affecter l’ensemble des grandes puissances européennes. Par le jeu du casus foederis, elles estimaient cependant que la paix européenne était menacée. La « menace contre la paix » ressort ici de l’intérêt que manifestent les puissances à ce que la paix soit préservée dans son indivisibilité177. En conclusion intermédiaire, nous pouvons dire que nombre de caractéristiques énoncées au terme de l’analyse des réflexions doctrinales sur la paix aux XVIIe et XVIIIe siècles, se retrouvent dans le système de la Sainte-Alliance. Par exemple, le fait que la paix soit indivisible et en ce sens, qu’un événement survenant dans un Etat ou entre deux Etats intéresse tous les membres de l’alliance. Cette conclusion découle notamment du fait que la Sainte-Alliance consacre l’existence d’une communauté humaine. Or, cette communauté partage des intérêts communs dont celui de vivre en paix178. Un deuxième élément ressort également de l’analyse du système de la Sainte-Alliance. Dès lors que la paix est menacée, la sphère d’action de l’alliance n’est pas limitée au territoire des Etats faisant partie de celle-ci. De manière générale, la Sainte-Alliance entérine l’idée, déjà exprimée aux siècles précédents, que la paix est un bien (commun) à préserver. Il faut donc agir en amont de sa rupture. 2.2. La Société des Nations Plusieurs éléments dans le Pacte de la Société des Nations sont symptomatiques de la menace contre la paix telle que la notion a été délinéée dans nos analyses précédentes. Notre propos visera à déterminer dans quelle mesure le concept de menace contre la paix est ancré 176 Voir par exemple l’article 63 de l’Acte final du Congrès de Vienne, 9 juin 1815, concernant les Etats germaniques entre eux : « Les États de la confédération s'engagent à défendre, non seulement l'Allemagne entière, mais chaque État individuel de l'union, en ce cas qu’il fût attaqué, et se garantissent mutuellement toutes celles de leurs possessions qui se trouvent comprises dans cette union ». 177 Cette remarque s’impose peut-être trop à titre théorique. En effet, les puissances membres de la SainteAlliance, telle que définie dans ce présent travail, étaient avant tout intéressées à préserver l’ordre établi, c’est-àdire à voler au secours des monarchies ébranlées (sous réserve de ce qui a été rapporté des Anglais), et non la paix en tant qu’objet abstrait et absolu. 178 De même que l’affirme D. ANZILOTTI s’agissant de la Société des Nations : « cet intérêt suprême qui est la conservation de la paix », Cours de droit international, L.G.D.J. (1929), p. 17. 45 dans le Pacte, sans que l’expression « menace contre la paix » n’y soit expressément consacrée. En première analyse, on aurait tendance à rapprocher de la notion de menace contre la paix celle de « menace de guerre » inscrite à l’art. XI du Pacte. Tout dépend cependant de l’acception que l’on attribue à la « menace contre la paix ». Si la menace contre la paix désigne l’imminence d’un conflit armé international, la menace de guerre lui est synonyme. En effet, la guerre est, dans le cadre du Pacte, synonyme de conflit armé entre Etats. Mais si la menace contre la paix embrasse aussi les situations qui ne sont pas directement liées à l’hypothèse d’un conflit armé international, la notion de menace contre la paix ne correspond pas en tout point à celle de menace de guerre. Selon cette seconde acception de la « menace contre la paix », toute menace de guerre est nécessairement une menace contre la paix tandis que toute menace contre la paix n’est pas nécessairement une menace de guerre. En d’autres termes, la notion de menace contre la paix est plus large que celle de menace de guerre. Cette proposition est corroborée par une interprétation littérale des deux expressions. La menace de (« threat of ») guerre s’apprécie en référence à la survenance d’un événement précis. La menace contre (« threat to ») la paix renvoie, elle, à un faisceau de situations susceptibles de présenter un danger pour la paix. Cependant, la difficulté inhérente à l’application du droit aux faits179 demeure dans les deux cas. La menace de guerre constitue tout autant que la menace contre la paix un fait juridique, dont « l’existence […] ne sera assurée que si les conditions prévues par le droit pour l’existence de ce fait sont remplies »180. Or, s’agissant des notions de guerre et de menace de guerre, leur signification exacte était controversée dans le cadre du Pacte181. Intéressons-nous en détail à ce point en prenant pour cas d’étude l’affaire de la Mandchourie. En septembre 1931, le Japon envahit la Mandchourie. La Chine demanda au Conseil de la Société des Nations de constater l’invasion de son territoire par les troupes japonaises, de prendre des mesures permettant de rétablir le statu quo ante et de fixer l’étendue et la nature 179 J. SALMON, « Le fait dans l’application du droit international », 175 RCADI (1982), p. 275 : « l’application du droit [a] pour objet de mettre en rapport des faits concrets avec les faits juridiques décrits dans la règle ». 180 Ibid., p. 274. Le fait juridique est défini comme tout évènement susceptible de produire des effets de droit. 181 H. LAUTERPACHT, « ‘Resort to War’ and the interpretation of the Covenant during the Manchurian Dispute », 28 AJIL (1934), pp. 43-60 ; sur la difficulté de déterminer l’existence juridique d’une « guerre », voir P. JESSUP, « Should international law recognize an intermediate status between peace and war ? », 48 AJIL (1954), pp. 98-103 ; J. FISCHER WILLIAMS, « The Covenant of the League of Nations and War », 5 CLJ (1933), pp. 1-21 (notamment quant à la question de savoir si le critère de détermination de la guerre doit être objectif, subjectif ou mixte) ; sur la « guerre » comme condition d’application du jus in bello, voir C. ROUSSEAU, Le droit des conflits armés, Pedone (1983), pp. 2-7. 46 des réparations lui étant dues182. Elle basait sa prétention sur l’article XI du Pacte, lequel interdit « toute guerre ou menace de guerre ». Le Conseil et l’Assemblée n’ayant pas reconnu l’état de guerre entre la Chine et le Japon183, les controverses se cristallisèrent autour de cette question : tout recours à la force constitue-t-il un « recours à la guerre » au sens de l’article XVI du Pacte ?184 En l’occurrence, la question faisait difficulté du fait que ni le Japon, ni la Chine, n’avait formellement déclaré être en état de guerre185. La guerre semblait donc être une question d’intention et non de réalité factuelle. Une partie de la doctrine soutenait cependant un avis opposé. Pour J. Brierly, l’expression « recours à la guerre » revêt une signification différente dans le Pacte que dans le droit de la neutralité. Une distinction nette entre guerre et paix serait une exigence propre au droit de la neutralité, en ce sens qu’un état de guerre modifie les droits et obligations des Etats qui sont étrangers aux hostilités. Mais s’agissant du Pacte, qui vise l’établissement de la paix entre les nations, « the existence or non-existence of a ‘legal state of war’ is not absolutely decisive »186 : « It may be therefore that a State ‘resorts to war’ within the meaning of the Covenant, if it resorts to acts which are intrinsically ‘warlike’ in character, even though a ‘state of war’ does not result from such acts owing to the refusal of the other State to treat them as having introduced »187. J. Fischer Williams parvient à la même conclusion mais emprunte un raisonnement différent. Le Pacte interdit de recourir à la guerre sans avoir au préalable soumis le différend à l’arbitrage ou à l’examen du Conseil (art. XII). La violation de cette obligation, le « recours à la guerre », enclenche le jeu des sanctions prévues à l’art. XVI. Etant donnée la nature unilatérale de l’obligation188, J. Fischer Williams estime que l’interdiction de recourir à la 182 A. TULLIÉ, La Mandchourie et le conflit sino-japonais devant la Société des Nations, Thèse de doctorat, Faculté de droit de l’Université de Toulouse, Recueil Sirey (1935), pp. 223-224. La demande du gouvernement chinois date du 21 septembre 1931. 183 Lors de la séance du 28 septembre 1931, le Conseil de la Société des Nations s’est dit « convaincu que les deux gouvernements désirent éviter tout acte susceptible de troubler la paix et la bonne entente entre les nations », cité dans TULLIÉ, ibid., p. 227. Ironiquement, TULLIÉ écrit qu’à ce stade des événements, la paix est déjà bien « compromise », p. 228. 184 H. WEHBERG, « Interdiction du recours à la force : le principe et les problèmes qui se posent », 78 RCADI (1951), p. 42. 185 C’est probablement pour cette raison que WEHBERG écrit que le conflit de Mandchourie « ne constituait pas une guerre véritable au sens du droit classique », ibid., p. 32. 186 J. BRIERLY, « International Law and Resort to Armed Force », 4 CLJ (1930-32), p. 313. 187 Ibid., p. 314. 188 De ne pas recourir à la guerre, mais aussi en premier lieu, de soumettre ses différends à une procédure pacifique. DE VISSCHER insiste particulièrement sur cette dernière obligation, dans son article 47 guerre ne saurait être laissée à l’appréciation subjective des Etats, sans quoi elle perdrait tout effet utile. Le « recours à la guerre », donc, « needs not be, or accompanied by, the manifestation or even the existence of an intention to produce a war in the full legal sense, that is, a state of things in which two States are deliberately exercising mutual violence and requiring of other States the observance of ‘neutrality’ »189. En vertu de ces critères, l’affaire de la Mandchourie aurait été considérée comme une « guerre » au sens du Pacte. Elle aurait alors, selon les termes de l’article XI, « intéress[é] la Société toute entière », en conséquence de quoi, celle-ci aurait été tenue de « prendre les mesures propres à sauvegarder efficacement la paix des nations ». L’intérêt de cette analyse était de démontrer que la notion de « guerre » posait des difficultés d’interprétation, quand bien même celle-ci était restreinte au cadre du Pacte190. Il faut donc considérer, en arrière-plan de l’analyse de la notion de menace de guerre, les controverses relatives au concept de « guerre ». Examinons maintenant les dispositions qui, dans le Pacte, intéressent la paix dès lors que celle-ci est mise en danger. Diverses opinions s’opposent à ce sujet. Article XI Pour P. Barandon, auteur d’un ouvrage sur « le système juridique de la Société des Nations pour la prévention de la guerre »191, l’article XI a une importance fondamentale du fait qu’il prévoit le droit (le devoir même) de la Société des Nations d’intervenir en cas de guerre ou de menace de guerre, c’est-à-dire selon le Rapport De Brouckère : « dès qu’existe le danger pressant qu’un acte de guerre puisse s’accomplir »192. L’alinéa 1er de l’article XI est formulé en ces termes : « Il est expressément déclaré que toute guerre ou menace de guerre, qu’elle affecte directement ou non l’un des Membres de la Société, intéresse la Société tout entière et que celle-ci doit prendre les mesures propres à sauvegarder efficacement la paix des nations […] ». « L’interprétation du Pacte au lendemain du différend italo-grec » [RDILC (1924), p. 377] afin d’établir la nonconformité au Pacte des mesures impliquant l’usage de la force, sans qu’il ne s’agisse d’une guerre. 189 FISCHER WILLIAMS, « The Covenant », op. cit. note 181, p. 14. 190 Il demeure la question plus générale de savoir ce que signifie « guerre » en droit international, voir sur ce point supra note 181. 191 P. BARANDON, Le système juridique de la Société des Nations pour la prévention de la guerre, Librairie Kundig et Pedone (1933). 192 Rapport du 1er décembre 1926 préparé par L. de BROUCKÈRE ; ou selon l’expression d’H. RAUCHBERG, « chaque fois qu’il s’élève un différend de nature à troubler la paix », « Les obligations juridiques des membres de la Société des Nations pour le maintien de la paix », 37 RCADI (1931), p. 98. 48 P. Barandon considère que le second alinéa de l’article XI appelle également de la Société des Nations un devoir d’« intervention préventive »193, alors même que l’alinéa concerné n’évoque pas de mesures à prendre : « Il est, en outre, déclaré que tout Membre de la Société a le droit, à titre amical, d’appeler l’attention de l’Assemblée ou du Conseil sur toute circonstance de nature à affecter les relations internationales et qui menace par suite de troubler la paix ou la bonne entente entre nations, dont la paix dépend ». Cette interprétation du second alinéa est controversée194. P. Barandon emploie l’expression « intervention préventive » comme signifiant une action quelconque de la Société des Nations visant à écarter et à prévenir tout trouble porté à la paix. Une controverse porte d’ailleurs sur le point de savoir si cette action peut prendre la forme de mesures impliquant la force armée195. L’article XI commande à la SDN de « prendre des mesures propres à sauvegarder efficacement la paix des nations » sans préciser la nature de ces mesures. P. Barandon semble exclure l’hypothèse de mesures militaires196. Ceci s’explique notamment par sa conception de l’expression « prévention de la guerre » : « la paix et la sécurité internationales […] constituent les biens les plus précieux et c’est pour leur préservation commune que les Etats membres de la Société des Nations ont résolu de s’unir. Il importe donc d’éviter tout ce qui pourrait les menacer, et en particulier la guerre, mais il faut aller plus loin encore et les mettre à l’abri de toute entreprise de violence ou de toute manœuvre pouvant faire courir un danger de guerre, et cela sans se préoccuper de savoir si la guerre ou si les agissements susceptibles de la provoquer sont ou ne sont pas conformes aux principes juridiques admis par la Société des Nations »197. 193 BARANDON, Le système juridique, op. cit. note 191, p. 47 et p. 76. L’expression « intervention préventive » se réfère au titre de la partie consacrée à l’analyse de l’art. XI. 194 Contra : RAUCHBERG, « Les obligations juridiques », op. cit. note 192, p. 98 (les Etats ne sont obligés de se soumettre aux mesures prises par le Conseil qu’en vertu de, et concernant le type de situation visée à, l’alinéa 1. Le Conseil et l’Assemblée ne disposent que d’un pouvoir de médiation, non obligatoire, dans le cas de situations visées à l’alinéa 2). 195 En faveur de mesures militaires au titre de l’article XI : WEHBERG, « Police internationale », op. cit. note 47, pp. 110-112 (soulignant le caractère subsidiaire des mesures et la différence de nature existant entre la « guerre » et l’action de « police ») ; N. KURZ, L’article 11 du Pacte et la Convention générale en vue de développer les moyens pour prévenir la guerre, Thèse de doctorat, Institut universitaire des hautes études internationales (1933), p. 86 ; G. SCELLE, « Théorie et pratique de la fonction exécutive en droit international », 55 RCADI (1936), p. 146 (« toutes les procédures de contrainte nécessaires à préserver l’ordre public »). Contra : voir les directives sur l’article XI adoptées le 15 mars 1927 par le Comité du Conseil de la SDN et approuvées à l’unanimité par le Conseil et l’Assemblée. Il est dit que « les mesures propres à sauvegarder la paix des nations permettent d’envisager toutes les actions n’impliquant pas le recours à la guerre contre l’Etat récalcitrant » (mis en italique par nous). Voir enfin J. KUNZ, « L’article XI du Pacte de la Société des Nations », 39 RCADI (1932), pp. 758-759, sur la compétence discrétionnaire de la Société quant au choix illimité des mesures à prendre selon l’art. XI mais limité « par la norme que ces mesures doivent être propres à sauvegarder efficacement la paix du monde » (souligné dans l’original). 196 BARANDON, Le système juridique, op. cit. note 191, p. 76. 197 Ibid., p. 7, mis en italique par nous. Dans le même sens, p. 8 : « les principes de protection [de la paix] s’étendent à tous les cas où la paix se trouve menacée, que ce soit du fait d’actes légaux ou illégaux ». 49 En jouant sur le terme « prévention » plutôt que sur celui de « guerre », P. Barandon situe l’action de la Société des Nations nettement en amont du danger imminent de guerre. C’est dans ce sens qu’il considère que le « devoir d’intervention » de la Société s’étend aussi bien à la menace de guerre du premier alinéa qu’au second linéa de l’article XI, lequel concerne « toute circonstance de nature à affecter les relations internationales et [menaçant] par suite de troubler la paix ou la bonne entente entre nations, dont la paix dépend ». Cette conception, large, de ce qu’implique la prévention de la guerre, s’inspire de l’idée suivante. L’ordre juridique international, d’un équilibre très fragile198, vise à préserver la paix. Les deux étant liés, la paix est aisément susceptible d’être troublée. Ainsi, P. Barandon estime que des mesures de coercition collectives, adoptées en vertu de l’article XVI, peuvent représenter un danger pour la paix au même titre qu’un recours illégal à la force. Selon cette vue, la menace contre la paix résulte de tout usage de la force armée, que cet usage soit licite ou illicite, qu’il vise un Etat ayant violé le droit international ou non. C’est dans ce dernier aspect que réside, selon H. Wehberg, toute l’originalité de l’article XI199. J. Kunz estime qu’il est de l’essence même de l’article XI, à savoir la prévention de la guerre, de ne « pas examiner s’il y a le fait d’un recours illégal à la guerre ou non »200. Prévenir ou arrêter les hostilités suppose une action rapide qui se verrait entravée en cas de questions litigieuses : quel est l’Etat agresseur, a-t-il agi en légitime défense, etc. ? Il s’ensuit selon J. Kunz que les « mesures propres à sauvegarder efficacement la paix des nations » (article XI, alinéa 1) n’ont pas le caractère de « sanctions »201. Pour P. Barandon et selon ses propres termes, « il n’est donc aucune circonstance imaginable qui, susceptible d’une façon quelconque de mettre la paix en danger, ne puisse tomber sous le coup de l’article 11 »202. H. Rauchberg, tout en admettant que les deux paragraphes de l’article XI « servent l’un comme l’autre, à empêcher la paix d’être troublée 198 Notamment à l’époque où l’auteur rédige son ouvrage (1933). 199 WEHBERG, « Police internationale », op. cit. note 47, p. 109. WEHBERG s’exprime par métaphore afin de rendre compte de l’idée que l’article XI ne s’intéresse pas au coupable mais à la situation : « On peut donc admettre que l’article XI veut autoriser en première ligne une intervention du Conseil qui ne soit pas dirigée contre un Etat déterminé, mais qui rétablisse la paix à la manière de pompiers éteignant un incendie ». 200 KUNZ, « L’article XI », op. cit. note 195, pp. 756-758. 201 Ibid., pp. 757-758. 202 BARANDON, Le système juridique, op. cit. note 191, p. 52. Aussi : « l’article 11 est le lieu géométrique vers lequel, en dernier ressort, s’oriente l’ensemble des forces de protection contre la guerre dont dispose la Société des Nations » (idem). 50 par des conflits susceptibles d’amener une guerre »203, place l’article XI au centre du système préventif de la guerre tel qu’établi par le Pacte de la SDN. Une des caractéristiques importantes de l’article XI a été volontairement omise : « toute guerre ou menace de guerre, qu’elle affecte directement ou non l’un des Membres de la Société, intéresse la Société tout entière »204. Nous l’étudierons dans le cadre de l’analyse de l’article X qui comporte une idée semblable. Article X L’article X du Pacte énonce une garantie de protection de l’intégrité territoriale et de l’indépendance politique des Etats membres de la Société des Nations contre toute agression extérieure. Ce faisant, l’article X formule deux types d’obligations juridiques : l’obligation de « respecter […] l’intégrité territoriale et l’indépendance politique présente de tous les Membres de la Société » et celle (« les membre de la Société s’engagent ») de prendre fait et cause pour l’agressé contre l’agresseur (extérieur205). Ces obligations ne valent pas seulement pour l’acte consommé. Elles s’étendent à la « menace et [au] danger d’agression », ce qui éveille notre intérêt s’agissant de la menace contre la paix. Eu égard à notre sujet d’étude (la menace contre la paix), deux questions vont principalement guider notre analyse de l’article X : - Que faut-il entendre par garantie de protection contre toute agression extérieure ? Quelles conclusions en tirer vis-à-vis du concept de menace contre la paix ? (a) - Les termes « menace de guerre » et « danger ou menace d’agression » sont-ils des termes interchangeables dans le cadre du Pacte ? Le cas échéant, n’y a-t-il pas superposition de régimes juridiques entre les articles X et XI ? (b) a) H. Rauchberg est celui qui a le mieux théorisé l’obligation de maintenir contre toute agression extérieure l’intégrité territoriale et l’indépendance politique des membres de la Société des Nations. Deux notions se trouvent au cœur de sa réflexion, celles de « crime international » et de « solidarité internationale ». Ces deux notions sont inextricablement liées. En effet, l’agression ou la menace d’agression à l’encontre d’un des Membres de la 203 RAUCHBERG, « Les obligations juridiques », op. cit. note 192, p. 97. 204 Mis en italique par nous. 205 « contre toute agression extérieure » selon les termes du Pacte. 51 SDN constitue un « crime international » 206 du fait qu’il intéresse la Société tout entière. C’est donc le concept de « solidarité internationale » qui fait entrer l’acte illicite dans la catégorie « crime international ». Or, l’expression « intéresse la Société tout entière » n’est pas sans rappeler la formule de l’article XI : « toute guerre ou menace de guerre, qu’elle affecte directement ou non l’un des Membres de la Société, intéresse la Société tout entière ». La garantie de protection devient, selon les termes de H. Rauchberg, la « garantie internationale »207. Sans qu’il soit nécessaire de parler de « crime international », expression connotée de nos jours lorsqu’elle s’applique aux Etats208, l’idée de solidarité internationale s’exprime effectivement à travers le texte de l’article X : si un Membre de la SDN est lésé, ou risque très probablement de l’être (menace ou danger d’agression), tous les Membres sont touchés. « La défense n’est plus abandonnée au seul Etat lésé ou menacé : elle intéresse, grâce à la solidarité internationale, la Société des Nations tout entière »209. On remarque, cependant, la différence de termes utilisés par les articles XI et X à cet égard, respectivement la « Société tout entière » et « tous les Membres de la Société ». L’article XI paraît par-là considérer la Société comme une entité indépendante des Etats qui la composent, tandis que l’article X considère chaque Etat de manière individuelle. Cette différence tient, selon nous, à ce que l’article X énonce, non pas seulement une obligation de réagir, mais en premier lieu, une interdiction de ne pas commettre ou menacer de commettre un acte d’agression envers un autre Etat membre. Or, cette interdiction s’impose à chaque Etat membre de la Société des Nations. La Société, considérée comme une entité indépendante, n’est pas destinataire d’une telle interdiction. En conclusion sur ce point, on peut dire que l’agression ou la menace d’agression à l’encontre d’un Etat constitue une menace contre la paix de tous les autres, en vertu du principe de solidarité internationale. Il reste à expliquer en quoi le principe de solidarité internationale intéresse précisément la menace contre la paix. Selon H. Rauchberg, « la 206 RAUCHBERG, « Les obligations juridiques », op. cit. note 192, p. 160, mis en italique par nous (« Toute action dirigée, en violation d’une règle de droit international public, contre l’existence, contre l’intégrité territoriale ou personnelle ou contre l’indépendance politique d’un Etat, est considérée crime international »). 207 Idem (mis en italique par nous). 208 A la lumière notamment des travaux de la CDI sur la responsabilité des Etats (l’ancien article 19 du projet d’articles avait suscité de nombreuses critiques parmi les internationalistes en raison de sa « connotation pénale », trompeuse dès lors du caractère sui generis du régime de la responsabilité internationale des Etats, A. PELLET, « Les articles de la CDI sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite. Suite et fin ? », 48 AFDI (2002), p. 11). 209 RAUCHBERG, « Les obligations juridiques », op. cit. note 192, p. 160. 52 sécurité est la condition indispensable de la paix »210, la « paix » étant entendue comme l’état dans lequel le processus de désarmement (total) est achevé211. Or, les Etats ne peuvent renoncer aux armements que lorsqu’ils ne craignent plus de subir une agression. Dans cette perspective, l’usage de la force armée à un endroit menace la, ou le sentiment de, sécurité de tous les Etats et, par ricochet, la paix. La paix correspond à un postulat dans la doctrine de H. Rauchberg, un état vers lequel la Société des Nations doit tendre. Osons un parallèle avec la pensée d’E. Kant sur ce point : c’est moins la paix, en l’état, qui est menacée que son (long) processus d’établissement. b) Le concept de menace contre la paix s’incarne-t-il de la même manière dans la « menace de guerre » et dans la « menace » et le « danger d’agression » ? Dans l’absolu, s’agit-il de notions qui recouvrent des réalités différentes ? Notre réponse sera nuancée. Les notions de « guerre » et de « menace de guerre » de l’article XI et celles d’ « agression, de menace ou de danger d’agression » de l’article X sont d’abord distinctes du fait du régime juridique qu’elles déclenchent. En cas de guerre ou de menace de guerre, la Société « doit prendre les mesures propres à sauvegarder efficacement la paix des nations »212, la formule est catégorique et s’adresse à la Société en tant que telle (au Conseil ou à l’Assemblée). La différence est perceptible s’agissant de l’agression, de la menace ou du danger d’agression dans le cadre de l’article X : « le Conseil avise aux moyens d’assurer l’exécution de cette obligation »213. L’obligation de garantir l’intégrité territoriale et l’indépendance politique de tous les Etats membres ne vise que les Etats eux-mêmes, la Société ne disposant que de la compétence de recommander les moyens de sa mise en œuvre214. Une autre différence a trait à 210 RAUCHBERG, « Les obligations juridiques », op. cit. note 192, p. 77. 211 L’article 8, alinéa 1, du Pacte n’exige des Membres de la Société des Nations qu’une « réduction des armements nationaux au minimum compatible avec la sécurité nationale ». 212 Mis en italique par nous. 213 Second alinéa de l’article X (mis en italique par nous). 214 Cependant, selon SCELLE, le Conseil dispose au minimun du « pouvoir de constater avec force de vérité légale la réalité du fait qui conditionne la naissance de l’obligation de garantie, c’est-à-dire la survenance matérielle de l’agression ou de la menace d’agression » (en italique dans l’original), « Fonction exécutive », op. cit. note 195, pp. 138-139. Se prononçant en porte-faux avec l’interprétation de l’Assemblée même (selon une directive interprétative de 1923), laquelle avait reconnu à l’Etat toute latitude d’apprécier s’il y avait agression ou menace d’agression et, du même coup, si les circonstances « donn[aient] ouverture à l’obligation » de l’art. X, l’auteur inscrit sa réflexion dans un cadre d’analyse plus large. La Société des Nations est une organisation « superétatique » et le Conseil, un « organe social », ce serait donc « contraire […] à la logique élémentaire des institutions sociales » de dénier au Conseil un « pouvoir déterminateur » (p. 137). Cette conclusion vaut également pour les faits conditionnant l’application (« faits-conditions ») des articles XI et XVI. Enfin, SCELLE est d’avis que les obligations découlant de l’art. X n’incombent pas seulement à chaque Etat, mais aussi à la 53 la portée juridique des articles X et XI, c’est-à-dire à leur raison d’être juridique. L’article XI est plus aisé à cerner de ce point de vue. La raison de son existence est de prévenir ou d’arrêter les hostilités, c’est-à-dire d’écarter tout danger de guerre ou de mettre un terme au conflit. L’article X paraît avoir une vocation à la fois semblable et distincte : semblable dans le sens où il doit prévenir ou réprimer tout danger ou acte d’agression ; distincte du fait que l’article X ne vise qu’à garantir l’intégrité territoriale et l’indépendance politique des membres de la Société des Nations, c’est donc la situation individuelle de chaque Etat membre qui est visée et non pas l’intérêt collectif à la paix. Le point sur lequel nous estimons que les articles X et XI partagent un fonctionnement semblable rencontre une opinion opposée à la nôtre. J. Kunz a ainsi fait remarquer que l’article X avait à la fois un effet préventif et répressif, tandis que l’article X avait essentiellement un effet préventif 215 . Pourtant, nous estimons que, dès lors que l’article XI est invoqué et appliqué de manière à faire cesser les hostilités, il est mis en œuvre dans son volet répressif216. Quant aux notions mêmes de « guerre ou menace de guerre » et « d’agression, de menace ou de danger d’agression », il est difficile de déterminer in abstracto leur(s) différence(s) conceptuelle(s). Il faut en effet se référer à l’architecture générale du Pacte ainsi qu’à l’interprétation qu’en ont fait les organes de la Société des Nations et les Etats. Là encore, J. Kunz estime que les travaux de la Société s’agissant de la « guerre d’agression » ne concernent en rien l’ « agression » de l’article X. En effet, selon lui, l’ « agression » au titre de cet article embrasse des faits qui ne constituent pas nécessairement une « guerre » au sens juridique du terme217. L’article X défendrait donc toute atteinte à l’intégrité territoriale et à l’indépendance politique des Etats membres, qu’elle que soit la nature de cette atteinte. Celleci pourrait ne même pas consister en un acte militaire218. C’est là une interprétation très large du terme « agression ». Elle pose d’ailleurs difficulté s’agissant de la menace ou du danger d’agression. En effet, si l’hypothèse de J. Kunz s’avère fondée, la menace ou le danger d’agression ne peuvent pas être définis en référence à l’imminence ou au risque d’actes de « collectivité tout entière » (idem) du fait que le Conseil de la Société des Nations assure la coordination de l’action. 215 KUNZ, « L’article XI », op. cit. note 195, p. 708. 216 SCELLE, « Fonction exécutive », op. cit. note 195, p. 147, selon lequel les arts. XI et XVI du Pacte ont une fonction aussi bien préventive que répressive (« sanctionnatrice » en langage scellien). 217 KUNZ, « L’article XI », op. cit. note 195, p. 704. 218 KUNZ cite ainsi à l’appui de sa démonstration le cas de l’Ethiopie qui, ayant invoqué l’art. X, ne voyait pas sa protestation causée par un acte militaire mais par un accord italo-britannique (ibid., p. 705, n. 2). Cependant, cette interprétation par l’Ethiopie pourrait tout à fait être erronée. En outre, l’auteur ne s’interroge pas sur le fait de savoir s’il s’agit d’une agression ou de la menace, voire du danger, d’agression. 54 nature militaire. Les Etats disposeraient donc d’une très grande liberté d’appréciation dans la détermination d’une menace ou du danger d’agression. Or, l’ampleur de cette liberté d’appréciation serait incompatible avec l’obligation qui incombe à chaque Etat de garantir contre toute agression extérieure l’intégrité territoriale et l’indépendance politique de tous les Etats membres. Examinons donc en quoi les faits-conditions des articles X et XI peuvent être considérés comme partageant un fond commun. La « guerre » et l’« agression », au titre des articles XI et X respectivement, peuvent très certainement coïncider. Leurs faits matériels se recoupent dès lors que l’agression consiste en une guerre, et, dans le sens inverse, lorsque la guerre constitue une atteinte à l’intégrité territoriale et l’indépendance politique d’un Etat membre. Comme nous le savons, la détermination de l’existence de faits juridiques dans un cas d’espèce est toujours affaire d’interprétation. Ainsi, si on interprète largement les termes « intégrité territoriale » et surtout « indépendance politique », on arrive à la conclusion selon laquelle toute guerre (illicite selon le Pacte) constitue nécessairement une « agression » au sens de l’article X. De même, si l’on considère que la « guerre », aux termes de l’article XI, ne correspond pas en tout point à la définition formelle de celle-ci mais qu’elle embrasse également les actes d’hostilités, l’ « agression » ne couvre pas un champ d’application plus large que celui de l’article XI. Nous avons vu, pourtant, que J. Kunz soutient le contraire. En conclusion sur ce point (b), on peut dire que les notions clés des articles X et XI soulèvent des questions litigieuses d’interprétation, que nous renonçons à traiter de manière définitive, tout au plus considérons-nous que le plus intéressant est d’exposer celles-ci et d’en prendre conscience. Rien ne nous empêche donc de tenir pour valable l’hypothèse selon laquelle la menace de guerre et la menace ou le danger d’agression peuvent désigner une réalité matérielle semblable. Enfin, sur la question de savoir quelle disposition l’emporte, entre l’article X et l’article XI, s’agissant de la prévention de la guerre, on rétorquera que cette question (et donc la réponse à celle-ci) est purement théorique. D’un point de vue pratique, ces deux articles pouvaient être invoqués de manière concomitante, consécutive ou en parallèle. Si l’on tient absolument à trancher le débat entre les auteurs, on peut dire que la prévention de la guerre tient de l’architecture générale du Pacte219. 219 On pourrait ainsi consacrer d’autres développements à l’article 19 du Pacte en vertu duquel « l’Assemblée peut inviter les Membres de la Société à procéder à un nouvel examen […] des situations internationales dont le 55 Article XVI S’agissant de l’article XVI du Pacte, nous allons nous concentrer sur un aspect bien particulier, celui en vertu duquel : « si un Membre de la Société recourt à la guerre, contrairement aux engagements pris aux articles 12, 13 ou 15, il est ipso facto considéré comme ayant commis un acte de guerre contre tous les autres Membres de la Société » (alinéa 1). De nouveau, l’accent est mis sur l’acte même, en l’occurrence sur l’illicéité du recours à la force plutôt que sur ses conséquences réelles à l’égard des autres Etats. Une importance symbolique est accordée au droit et à l’entrave à la règle : « on doit voler au secours de l’Etat attaqué pour rétablir le droit » 220 , impliquant par là qu’il existe une véritable société internationale221. Il n’y a donc pas un « acte de guerre contre tous les autres Membres de la Société » au premier sens du terme, c’est-à-dire comme impliquant l’usage de la force armée. En vérité, il faut à notre avis distinguer les deux premières phrases de l’article XVI comme suit : - « si un Membre de la Société recourt à la guerre, contrairement aux engagements pris aux articles 12, 13 ou 15 […] » : ce premier morceau de phrase fait référence à la « guerre illégale ». Elle n’est pas illégale in abstracto mais parce qu’elle contrevient aux prescriptions établies par les articles 12, 13 et 15 du Pacte. En d’autres termes, un Etat est déclaré recourir de manière illégale à la force lorsqu’il ne s’est pas conformé aux procédures pacifiques de règlement du différend alors même que celui-ci était « susceptible d’entraîner une rupture ». - « […] il est ipso facto considéré comme ayant commis un acte de guerre contre tous les autres Membres de la Société » : ce second morceau de phrase doit être lu de manière indépendante du premier. En effet, dans ce cas, il est certain que « l’acte de guerre » commis à l’égard de tous les Etats membres n’est pas à entendre comme un recours à la force effectivement commis contre tous. De la même manière que certains estiment, avant 1945, que la déclaration de guerre constitue le critère d’existence de celle-ci, « l’acte de guerre contre tous les autres Membres de la Société » doit être maintien pourrait mettre en péril la paix du monde » (mis en italique par nous). Ce type de situation pourrait en effet se voir qualifiée de « menace de guerre » en vertu de l’art. XI. 220 WEHBERG, « Police internationale », op. cit. note 47, p. 103. 221 Au sens où l’entend G. SCELLE : « Le phénomène de solidarité déborde les sociétés étatiques pour former les sociétés internationales », Précis de droit des gens, Principes et systématiques, vol. I, Recueil Sirey (1932), p. 29. 56 entendu dans un sens formel et non pas matériel. Ainsi, on insiste moins sur la réalité factuelle que sur l’intention des Etats. Un Etat qui recourt à la guerre en violation du Pacte déclare rompre222 le Pacte à l’égard de tous. C’est la même idée qui prévaut lorsqu’il est dit, à l’article XI, qu’une guerre ou une menace de guerre intéresse la Société tout entière, de même qu’à l’article X, chaque Membre s’engage à garantir l’intégrité territoriale et l’indépendance politique de tous les autres Membres. Le lien entre une situation à un endroit, qui n’affecte de manière directe que quelques Etats, et tous les autres Etats membres de la Société des Nations, s’effectue par le biais de la « membership » (c’est-à-dire, par l’appartenance formelle à la Société des Nations par la ratification du Pacte). On dépasse peu à peu l’idée prédominante au Moyen-âge, selon laquelle le lien entre les hommes découle du sentiment d’appartenance à une même communauté religieuse, que ce soit de manière positive (« nous sommes chrétiens ») ou négative (« ils sont mahométans »). A partir du système mis en place par la Société des Nations, on se dirige vers une objectivisation ainsi que vers une juridicisation du lien unissant les Etats entre eux : celui de l’adhésion à une organisation internationale ayant comme but de garantir « la paix et la sûreté »223. Dans son versant négatif, ce lien permet à la Société des Nations d’intervenir à l’égard d’Etats non-membres dès lors que l’intégrité territoriale, l’indépendance politique (article X) et la sécurité (article XI et article XVI étendu aux « Etats invités » par le biais de l’article XVII) des Etats membres sont menacées. Les plus importantes dispositions du Pacte en termes de prévention de la guerre, à savoir les articles X, XI et XVI, jettent des lumières particulièrement vives sur le concept de « menace contre la paix »224. Les questions que soulèvent les différentes notions d’agression, de menace ou de danger d’agression, de guerre ou de menace de guerre et de recours illégal à la guerre sont similaires à celles rencontrées dans nos développements précédents : la question de la définition de la « paix » (qu’est-ce qui est menacée ?) ; du moment à partir duquel la communauté des Etats dans son ensemble considère qu’une situation devient d’intérêt international et donc, qu’une intervention (au sens large) est nécessaire (quand et 222 SCELLE parle ainsi de « rupture de Pacte », « Fonction exécutive », op. cit. note 195, p. 142. 223 Première phrase du préambule du Pacte. 224 A noter que SCELLE utilise mot pour mot l’expression « menace contre la paix » aux côtés de la notion de « rupture de la paix » en référence au pouvoir de détermination du Conseil de la Société des Nations en vertu des articles XVI et XVII, « Fonction exécutive », op. cit. note 195, p. 139. Il est difficile de comprendre ce que l’auteur entend par cette expression, s’il fait référence à un régime juridique particulier ou à une notion juridique précise. Il distingue donc la « menace de guerre » (art. XI) de la « menace contre la paix ». 57 dans mesure la paix est-elle menacée ?225) ; de la pertinence de la violation d’une règle de droit international dans la détermination d’une situation d’intérêt international (dans quelle mesure un fait internationalement illicite est-il constitutif de, ou peut-il entrainer une menace contre la paix ?) ; enfin, de la compétence de l’organisation à l’égard de toutes les menaces (peu importe de qui et d’où elles proviennent). Ces différents points vont être analysés dans leur écrin actuel : le concept de la menace contre la paix selon l’article 39 de la Charte (titre II). 225 A propos notamment des mesures de remilitarisation prises par l’Allemagne en répudiation du traité de Versailles. La France avait demandé au Conseil de la Société des Nations d’étudier les mesures d’intervention à prendre en pareil cas pour éviter les possibilités éventuelles de rupture de la paix. Sa requête se basait sur l’art. XI alinéa 2. Le Conseil s’est prononcé de manière générale en affirmant que la rupture d’engagements intéressant la sécurité des peuples et le maintien de la paix en Europe devait provoquer de la part des Etats membres une « réaction sociale » (SCELLE, « Fonction exécutive », op. cit. note 195, p. 151). Le Conseil a cependant renvoyé à un Comité le soin d’étudier la question particulière de savoir si des mesures économiques et financières seraient appropriées en pareil cas (SCELLE considère que seul le premier alinéa de l’art. XI permet l’adoption de mesures de pression, il faut au moins « une possibilité de rupture »). L’idée qui nous intéresse ici est celle de « réaction sociale » : à partir de quand la paix est-elle considérée comme étant suffisamment en danger pour nécessiter de la part des Etats membres une « réaction sociale » ? 58 TITRE II. INFLUENCES RECIPROQUES ENTRE LE DROIT INTERNATIONAL ET LE CONSTAT D’UNE MENACE CONTRE LA PAIX Ainsi que nous l’avons indiqué dans l’introduction générale, notre étude vise à définir les caractéristiques juridiques essentielles de la notion de menace contre la paix d’après la pratique du Conseil de sécurité. Comme nous l’avons également précisé, il ne s’agit donc pas de déterminer des critères juridiques de la notion de la menace contre la paix d’après la Charte et d’évaluer la mise en œuvre de la notion par le Conseil de sécurité à l’aune de ces critères. Il ne s’agit pas non plus de tenter de déduire de tels critères de la pratique du Conseil de sécurité car, ainsi que nous le verrons, le constat d’une menace contre la paix par le Conseil de sécurité est sujet à plusieurs interprétations possibles quant aux raisons ayant motivé ce constat. Il s’agit, plutôt, d’appréhender la notion de menace contre la paix et la question de ses caractéristiques juridiques essentielles en situant notre analyse au croisement du droit et de la pratique. En effet, au cours de nos recherches dans les procès-verbaux des séances du Conseil de sécurité, il est apparu que le droit jouait un rôle important dans les discussions parmi les Etats membres, notamment quant à la question du constat de l’existence d’une menace contre la paix. A cet égard, il nous a semblé que le droit international et la pratique du Conseil de sécurité relative au constat d’une menace contre la paix entretenaient des rapports réciproques dont la compréhension était essentielle aux fins d’appréhender la notion de menace contre la paix. D’un côté, le droit encadre le processus de décision au Conseil de sécurité (dans le sens où ce dernier ne peut l’ignorer) s’agissant notamment du constat d’une menace contre la paix, de l’autre côté, le Conseil de sécurité nourrit le contenu de la norme inscrite à l’article 39 de la Charte à chaque fois qu’il constate (ou refuse de constater) une menace contre la paix vis-àvis d’une situation donnée. Cette intéraction entre le droit et l’activité d’un organe chargé de la mise en œuvre d’une norme inscrite dans un traité ou une loi n’est pas inédite. Elle est consusbtantielle à l’idée même de l’ordre juridique, qu’il soit international ou interne. Cependant, il nous semble que la tendance en doctrine, depuis les années 1990, à vouloir enserrer la pratique du Conseil de sécurité dans le carcan du droit et la soumettre au test de légalité d’une instance judiciaire226 a eu pour effet de mettre l’accent sur le premier aspect de l’intéraction. En outre, le fait que le 226 Voir références citées supra notes 19 et 20. 59 contrôle judiciaire des actes du Conseil de sécurité soit apparu aussi théorique que limité a jeté une ombre sur la pertinence du droit dans la pratique du Conseil de sécurité aux termes du Chapitre VII (quelle pertinence des considérations juridiques auraient-elles sur les décisions du Conseil de sécurité si ces décisions ne sont pas susceptibles d’un contrôle automatique et de nature judiciaire ?). Nous allons donc aborder, d’abord, la relation entre le droit et le constat d’une menace contre la paix par le Conseil de sécurité dans son premier aspect (première section), c’est-àdire la manière dont le droit exerce une influence sur le constat par le Conseil de sécurité, puis dans son second aspect (seconde section), à savoir la manière dont le Conseil de sécurité influence le droit lorsqu’il constate (ou refuse de constater) une menace contre la paix. 60 PREMIERE SECTION. LE CONSTAT D’UNE SECURITE : QUEL PROCESSUS EN DROIT ? MENACE CONTRE LA PAIX PAR LE CONSEIL DE Le droit est-il étranger à l’action par laquelle le Conseil de sécurité en vient à « constater », selon les termes de l’article 39 de la Charte des Nations Unies, « l’existence d’une menace contre la paix » ? Ne s’agit-il que d’un constat opportun, ne répondant qu’aux intérêts individuels de ses Etats membres les plus influents ? Le Conseil de sécurité choisirait où et quand intervenir, sans que des considérations de droit ne restreignent son action. Dans cette perspective, il n’y aurait donc aucune interaction possible entre le droit international et le constat, par le Conseil de sécurité, d’une menace contre la paix au sens de l’article 39 de la Charte. Et pourtant, quand bien même le constat du Conseil serait uniquement motivé par des considérations d’opportunité, le droit international n’en resterait pas moins pertinent. Le droit international offre, en effet, une grille de lecture227 du processus de « constat » d’une menace contre la paix par le Conseil de sécurité. Il s’agit, en effet, bel et bien d’un processus, c’est-à-dire d’un ensemble d’opérations juridiques successives. Mais quelles sont ces opérations juridiques ? De quelle nature sont-elles ? Le Conseil de sécurité constate-il véritablement une menace contre la paix ou qualifie-t-il, plutôt, une situation de menace contre la paix ? Jouit-il, aux fins de ce constat ou de cette qualification, d’un pouvoir discrétionnaire ? Le cas échéant, qu’entend-t-on, en droit et particulièrement en droit international, par l’expression « pouvoir discrétionnaire » ? Toutes ces questions intéressent la discipline du droit international. A cet égard, le droit international constitue un cadre analytique pour appréhender le constat, par le Conseil de sécurité, d’une menace contre la paix (1). 227 Il s’agit d’une lecture relative dans la mesure où elle n’empêche pas d’autres lectures par d’autres disciplines (la science politique et la sociologie juridique par exemple). A cet égard, le droit, à l’image d’une clé en musique (laquelle, en définissant la place du sol, du fa ou de l’ut sur la portée détermine la place relative de toutes les autres notes) donne une lecture relative des faits de la vie sociale : à sa lumière, les faits bruts deviennent des « rapports de droit », c’est-à-dire des faits juridiquement qualifiés (ces expressions sont empruntées à E. VITTA, « Cours général de droit international privé », 162 RCADI (1979), p. 30, à propos de la doctrine de SAVIGNY). Il s’agit également d’une lecture relative dans le sens où P. WEIL l’entend, à savoir qu’il n’existe pas de vérité juridique, mais une « relativité de la vérité juridique », le droit international étant, « comme toute science digne de ce nom (…) une leçon de modestie et de tolérance intellectuelles » (P. WEIL, « Le droit international en quête de son identité : cours général de droit international public », 237 RCADI (1992), pp. 25-26 : « à presque chaque proposition de droit international correspond une proposition en sens opposé », p. 25). 61 Par ailleurs, le droit international, non plus envisagé comme discipline mais comme l’ensemble des normes applicables à la société internationale, n’est pas absent des débats au Conseil de sécurité. En l’occurrence, lorsque les Etats membres du Conseil de sécurité discutent de l’existence d’une menace contre la paix ou, plus généralement, de la nécessité d’agir en vertu du Chapitre VII, ces Etats argumentent principalement en termes de droit. Dès lors que le droit joue un rôle dans les discussions des Etats membres du Conseil de sécurité, la question se pose de savoir dans quelle mesure le droit international exerce une influence, d’un point de vue matériel, sur la pratique du Conseil de sécurité en matière de constat d’une menace contre la paix (2). 1. LE DROIT, CADRE ANALYTIQUE DU CONSTAT PAR LE CONSEIL DE SECURITE D’UNE MENACE CONTRE LA PAIX Le constat par le Conseil de sécurité d’une menace contre la paix se décompose en deux types, au moins, d’opérations juridiques : la première consiste, pour l’organe chargé du maintien de la paix et de la sécurité internationales, à faire le lien entre une situation concrète (les faits) et les catégories juridiques de l’article 39 de la Charte, en particulier celle de la menace contre la paix (le droit). Ce faisant, le Conseil de sécurité procède-il à une constatation ou à une qualification juridique de la situation (1.1.) ? La seconde n’est pas une opération juridique à proprement parler : il s’agit de la latitude dont dispose le Conseil de sécurité dans la constatation ou la qualification juridique d’une menace contre la paix. A cet égard, dans quelle mesure peut-on parler de la « discrétionnalité » de son constat (1.2.) ? 1.1. La menace contre la paix, des faits au droit : constatation ou qualification juridique? 1.1.1. La constatation Si l’on s’en tient au texte de l’article 39 de la Charte, le Conseil de sécurité « constate » l’existence d’une menace contre la paix. Selon M. Virally, la constatation consiste à prendre acte d’un fait, d’un rapport ou d’une proposition228. Dans le contexte de l’étude des actes unilatéraux des organisations internationales à laquelle se livre l’auteur, la constatation se distingue notamment de la recommandation (« invitation à adopter un certain comportement ») et de l’injonction (qui diffère de la recommandation en ce qu’elle « prétend créer une obligation de comportement » à charge des mêmes destinataires)229. Selon le Vocabulaire juridique de G. Cornu, la « constatation » est une : 228 M. VIRALLY, « Les actes unilatéraux des organisations internationales » in : M. BEDJAOUI (éd), Le droit international. Bilan et perspectives, Pedone (1991), p. 258. 229 Idem. 62 « opération intellectuelle consistant, pour une personne, à relever elle-même l’existence d’un fait ou à caractériser en personne aussi objectivement que possible une situation de fait ; bien que comportant une marge irréductible d’appréciation individuelle, [la constatation] s’oppose à ‘appréciation morale’ et à ‘appréciation des intérêts’ »230. De cette dernière citation, on peut relever plusieurs éléments, mis à part le fait que la constatation consiste à relever l’existence ou à caractériser un état de fait : -­‐ la constatation s’effectue « en personne » : elle exige un rapport direct entre la réalité des faits et l’auteur du constat, elle ne saurait donc en principe être déléguée. Dans ce sens, la constatation est proche du fait d’attester ; -­‐ elle est décrite comme une « opération intellectuelle » : ne s’agissant pas d’un automatisme231, la constatation induit que celui qui constate effectue des va-et-vient entre ses connaissances préalables et la situation en cause aux fins d’en saisir les éléments intrinsèques et de parvenir à une catégorisation des faits ; -­‐ enfin, la constatation se veut « objective » en ce sens qu’elle est dénuée de jugements moraux et qu’elle ne tient pas compte des intérêts personnels ou politiques des acteurs concernés. Appliquée à notre sujet d’étude, l’opération revient, pour le Conseil de sécurité, à reconnaître dans une situation de fait les caractéristiques essentielles d’une menace contre la paix, selon le même procédé cognitif par lequel un enfant reconnaît qu’un plan horizontal à quatre pieds est une table232. Subsumée sous la catégorie « menace contre la paix » au terme du constat, la situation de fait devient une situation de droit. Ainsi, la constatation présuppose que la menace contre la paix soit reconnaissable parmi d’autres situations de fait, c’est-à-dire que ses éléments constitutifs soient connus et établis. Elle suppose également que, dès lors que les éléments constitutifs de la menace contre la paix sont réunis, le Conseil de sécurité ne 230 G. CORNU (éd), Vocabulaire juridique, Quadridge/PUF (2001), p. 208. 231 Ceci est corroboré par la version anglaise de l’article 39 de la Charte qui fait également foi : « the Security Council shall determine the existence of any threat to the peace ». Le verbe anglais « determine » ne correspond pas en tout point au verbe français « constate ». En latin, determinare signifie poser des limites ou des frontières. Dans ce sens, le verbe « to determine » donne l’impression d’une opération de l’esprit plus active que celle de « constater » puisqu’il invite à délimiter les contours du concept. 232 On peut exprimer cette même idée avec la « compréhension » et l’ « extension » du concept selon la logique dite « de Port Royal » : « J’appelle compréhension de l’idée les attributs qu’elle enferme en soi, et qu’on ne peut lui ôter sans la détruire, comme la compréhension de l’idée du triangle enferme extension, figure, trois lignes, trois angles, et l’égalité de ces trois angles à deux droits, etc. […]. J’appelle étendue (ou extension) de l’idée les sujets à qui cette idée convient, ce qu’on appelle aussi les inférieurs d’un terme général […] comme l’idée du triangle en général s’étend à toutes les diverses espèces de triangles », cité dans A. ARNAULD et P. NICOLE, La logique ou l’art de penser, Gallimard (1992), p. 52. 63 peut qu’en constater l’existence, l’opération se voulant objective et dénuée d’appréciation morale ou de considérations politiques. La question se pose de savoir si le procédé de constatation ainsi défini est en accord avec la pratique du Conseil de sécurité. 1.1.2. Le Conseil de sécurité « qualifie » une situation de menace contre la paix : le point de vue de la doctrine « Par son constat, le Conseil qualifie »233. Les auteurs considèrent, soit que le verbe « constater » et l’expression « constatation(s) » ne rendent pas compte de la large marge d’appréciation dont dispose le Conseil de sécurité pour décider qu’une situation constitue une menace contre la paix234, soit que, techniquement, le Conseil de sécurité se livre à une opération juridique de « qualification »235. Les deux visions, de ce dernier point de vue, se confondent. En soulignant que le Conseil de sécurité ne connaît que de faits qu’il rattache aux concepts ou catégories juridiques de l’article 39 de la Charte selon un procédé syllogistique caractéristique de l’acte de qualification juridique, les auteurs mettent également l’accent sur la marge d’appréciation inhérente à ce processus236. Si certains auteurs utilisent les formulations « constate » et « constatation », c’est donc uniquement pour s’en tenir au texte de l’article 39, en vertu duquel le Conseil de sécurité « constate » l’existence d’une menace contre la paix. Ainsi, M. Zambelli utilise 233 J.-M. SOREL« Le caractère discrétionnaire des pouvoirs du Conseil de sécurité : remarques sur quelques incertitudes partielles », 37 RBDI (2004), p. 471. 234 L. BEN MESSAOUD considère que la contradiction qui est à la base de toutes les autres (entre la conception classique de la menace contre la paix et l’interprétation qui serait faite de la notion par le Conseil de sécurité depuis la fin de guerre froide) consiste précisément en ce que l’article 39 prévoit que le Conseil de sécurité « constate » l’existence d’une menace contre la paix quand, en fait, il dispose dans ce dessein d’un « large pouvoir de qualification », « La catégorie ‘menace contre la paix et la sécurité internationales’: harmonie ou contradictions », in : R. BEN ACHOUR et S. LAGHMANI (éds), Harmonie et contradictions en droit international, Colloque de Tunis des 11-12-13 avril 1996, Pedone (1996), p. 192. 235 Par exemple, M. DIEZ DE VELASCO VALLEJO, Les organisations internationales, Economica (2002), p. 219. 236 D’ARGENT, « Article 39 », op. cit. note 21, p. 1133 ; dans sa thèse, N. THOME, Les pouvoirs du Conseil de sécurité au regard de la pratique récente du chapitre VII de la Charte des Nations Unies, PUAM (2005), se réfère semble-t-il pour cette raison au « pouvoir de qualification » du Conseil de sécurité, voir notamment p. 39, pp. 66-67 ; voir aussi COMBACAU, Le pouvoir de sanction, op. cit. note 11, pp. 98-99 (COMBACAU réfute l’idée selon laquelle l’existence d’une menace contre la paix serait une pure question de fait. Seule l’opération de qualification permet de conférer la juridicité à un « fait naturel ». Or, s’agissant de la menace contre la paix, l’opération de qualification implique une large marge d’appréciation par le Conseil de sécurité dans la mesure où il n’existe pas, selon lui, de définition a priori de la menace contre la paix). 64 indifféremment les termes de « constatation », « qualification » et « détermination » pour caractériser le pouvoir du Conseil de sécurité aux termes de l’article 39237. Dans leur ouvrage Droit international public, P. Daillier, M. Forteau et A. Pellet considèrent que le pouvoir de « constatation » du Conseil de sécurité aux termes de l’article 39 de la Charte se décompose en deux types d’opérations : premièrement, l’établissement de la matérialité des faits et deuxièmement, la « qualification » de ces faits, le cas échéant, en menace contre la paix 238 . La seconde opération est la plus délicate, selon les auteurs, puisqu’elle peut être réduite à l’échec à cause d’intérêts politiques divergents et (de la menace) de l’usage du droit de veto par les membres permanents du Conseil de sécurité239. L’opération de qualification étant englobée dans le pouvoir de constatation du Conseil de sécurité, les auteurs se réfèrent indistinctement à l’expression « pouvoir de constatation » et au verbe « qualifier »240. Dans cet ordre d’idée, le Conseil de sécurité constate lato sensu l’existence d’une menace contre la paix (il établit d’abord l’existence des faits, puis qualifie la situation) ou qualifie stricto sensu une situation de menace contre la paix. 1.1.3. Le Conseil de sécurité « constate » une menace contre la paix : la rhétorique des Etats membres du Conseil de sécurité C’est un tout autre discours que les Etats tiennent lorsqu’ils sont amenés à justifier leur position en faveur ou à l’encontre de la mise en œuvre de mesures du Chapitre VII de la Charte241. Le constat d’une menace contre la paix étant le préalable nécessaire à toute action coercitive du Conseil de sécurité, les Etats membres axent leur argumentation préliminaire sur l’existence ou l’absence d’une menace contre la paix. Or, leur rhétorique consiste à mettre les autres Etats membres devant l’évidence, soit du fait que la situation constitue « manifestement » une menace contre la paix et la sécurité internationales 242 , soit, au contraire, qu’aussi regrettables soient les événements, « il est évident » qu’ils ne constituent 237 ZAMBELLI, La constatation, op. cit. note 12, pp. 82-91 (par exemple : « En ce qui concerne les relations entre la constatation de l’article 39 et les mesures du chapitre VII, on peut conclure que la qualification des situations constitue une étape préalable et nécessaire […] », p. 91, mis en italique par nous). Voir aussi S. VITE, Les procédures internationales d’établissement des faits dans la mise en œuvre du droit international humanitaire, Bruylant (1999), pp. 163 et 166. 238 DAILLIER, FORTEAU et PELLET, Droit international public, op. cit. note 53, p. 1099. 239 Idem. 240 Voir notamment ibid., pp. 1098-1101. 241 Qui concerne, selon la Charte, l’ « action en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix et d’acte d’agression ». 242 Répertoire de la pratique du Conseil de sécurité (1959-1966), p. 207. 65 pas une menace contre la paix243. Dans les deux hypothèses, l’Etat invoque les faits, c’est-àdire qu’il « joue » sur les faits plutôt que sur le droit. Ainsi, s’agissant de la « question espagnole », le représentant de l’Australie déclara, en réponse à la réserve émise par le représentant de la Pologne sur le rapport du Sous-Comité244, ce qui suit : « Il peut y avoir des faits qui montrent qu’il existe une menace contre la paix et il est fort possible que la rupture effective de la paix ne se produise pas à ce moment. Tout dépend des circonstances et il faut procéder à une enquête pour établir les faits et les examiner. Dans le cas présent, le Sous-Comité chargé par le Conseil de sécurité d’examiner les faits a constaté, d’après les documents qui lui étaient soumis, que la situation ne tombait pas sous le coup de l’Article 39 et qu’il n’existait pas de menace contre la paix. Ce n’est donc pas une question d’interprétation juridique ; il s’agit de témoignages probants, il s’agit de prouver des faits »245. Le représentant de la Jordanie s’exprima en des termes similaires à propos de la situation en Rhodésie du Sud, cette fois aux fins de prouver l’existence d’une menace contre la paix : « Pour invoquer le Chapitre VII, nous devons tout d’abord déterminer, aux termes de l’Article 39, s’il existe ou non une rupture de la paix aux termes de la Charte. C’est une question de fait, et non une question de droit. Déterminer si la situation tombe sous le coup de l’Article 39 n’est pas une question d’interprétation juridique, c’est quelque chose que l’on peut prouver, quelque chose qui relève du domaine des faits. Or, quels sont les faits ? Il y a des faits incontestés concernant cette affaire. Le plus important de ces faits est que le groupe de Ian Smith a tenté de modifier par la force les institutions constitutionnelles. En conséquence, selon les termes employés par l’Assemblée générale, la semaine dernière, une situation explosive a été créée en Rhodésie du Sud [AG/RES/2024 (XX)]. Nous croyons que ces faits seuls permettent de conclure que la situation constitue une menace contre la paix »246. La teneur de ces discours ne signifie pas que les Etats ne discutent pas des contours de la notion de la menace contre la paix en droit. Au contraire, l’argumentation en droit est sousjacente à la démonstration en fait. Ainsi, à propos de la question du conflit racial (apartheid) en Afrique du Sud, plusieurs représentants d’Etats ont exprimé l’avis que la politique d’apartheid était, certes, une insulte à la dignité humaine, mais que rien ne prouvait que cette politique menaçait l’intégrité politique ou l’indépendance politique d’un autre Etat membre247. Par là-même, ces représentants mettaient un état de fait, à savoir la situation en 243 Pays-Bas, S/PV.388, à propos de la « question indonésienne » en 1947. 244 Chargé par le Conseil de sécurité dans sa CS/RES/4 (29 avril 1946) de déterminer si la situation en Espagne avait conduit à un désaccord entre les nations et, le cas échéant, à une menace contre la paix et la sécurité internationales. Dans son rapport, le Sous-Comité concluait que la situation en Espagne ne justifiait pas la constatation exigée par l’article 39, mais que sa prolongation était de nature à menacer la paix et la sécurité internationales. A la 34e séance du Conseil de sécurité, le représentant de la Pologne a présenté un projet de résolution déclarant que l’existence et les activités du régime de Franco en Espagne mettaient en danger la paix et la sécurité internationales et, en conséquence, invitant les Etats membres des Nations Unies à rompre leurs relations diplomatiques avec le régime franquiste conformément aux pouvoirs conférés au Conseil de sécurité par les articles 39 et 41 de la Charte. Voir Répertoire de la pratique du Conseil de sécurité (1946-1951), p. 450. 245 Australie, S/PV.47 (mis en italique par nous). 246 Jordanie, S/PV.1264, §§ 13-14 (mis en italique par nous). 247 Répertoire de la pratique du Conseil de sécurité (1959-1966), p. 204. 66 Afrique du Sud, en relation avec un état de droit selon lequel la menace contre la paix serait synonyme de violence internationale ou de répercussions menaçant directement (voire physiquement) les autres Etats membres. A ce titre, la démonstration des faits constitue la mineure de l’étape syllogistique, tandis que la catégorie juridique de la menace contre la paix en constitue la majeure248. Pour en revenir à la formulation « le Conseil de sécurité constate » retenue par les rédacteurs de la Charte, la rhétorique des Etats l’illustre donc d’une certaine manière. En effet, les Etats demandent, avec plus ou moins de succès, au Conseil de sécurité de constater la réalité d’un drame (Rhodésie du Sud), d’une injustice (Afrique du Sud) ou d’une défiance aux principes des Nations Unies (Rhodésie du Sud, Afrique du Sud et Espagne franquiste) dont les répercussions mettent en danger la paix et la sécurité de tous. Certes, la doctrine analyse ces discours comme étant de l’ordre de la qualification juridique, les faits étant subsumés sous la catégorie juridique de la menace contre la paix. Cependant, comme nous l’avons vu avec la définition issue du Vocabulaire juridique de G. Cornu, la constatation n’est pas un automatisme, une photographie sans intelligence de la réalité. Elle permet une construction intellectuelle similaire à celle de la qualification tout en exprimant une exigence particulière : que la caractérisation de la situation soit la plus objective possible, voire la plus évidente, recueillant ainsi la « communis opinio internationale » telle qu’évoquée par B. Conforti (à savoir, le sentiment commun des Etats quant à ce que constitue une menace contre la paix)249. A ce titre, la formulation « le Conseil de sécurité constate » de l’article 39 ne constitue pas une « formulation elliptique » prêtant à confusion s’agissant de la nature du pouvoir du Conseil de sécurité250. Au contraire, il s’agit de termes choisis par les rédacteurs de la Charte dans un esprit de rupture avec le Pacte de la Société des Nations aux termes duquel il appartenait aux Etats de déterminer l’existence d’une menace de guerre ou d’une guerre (article XI du Pacte) et de manière générale d’un recours à la force illicite (article XVI du Pacte). Aucun organe de la Société des Nations n’assurait, de manière exclusive et centralisée, 248 Sur le syllogisme et le raisonnement juridique, voir en particulier J. SALMON, « Le fait dans l’application du droit international », 175 RACDI (1982), pp. 272-368. 249 B. CONFORTI, « Le pouvoir discrétionnaire du Conseil de sécurité en matière de constatation d’une menace contre la paix, d’une rupture de la paix ou d’un acte d’agression », Le développement du rôle du Conseil de sécurité, op. cit. note 12, p. 60. Selon l’auteur, la « communis opinio internationale » constitue la seule véritable limite au pouvoir discrétionnaire du Conseil de sécurité (à propos de la notion de « communis opinio internationale », voir infra note 743). 250 D’ARGENT et al., « Article 39 », op. cit. note 21, p. 1133. 67 la fonction du « constat » de ces situations251. La réaction des Etats membres dépendait donc de l’interprétation que chacun d’entre eux se faisait de la situation. C’était là certainement une des raisons de l’insuccès de la Société des Nations à empêcher le déclenchement de la seconde guerre mondiale. Dans le cadre de la Charte et aux termes de son article 39, les Nations Unies ont délégué au Conseil de sécurité le soin et la responsabilité d’attester l’existence, au nom de tous252, d’une situation menaçant la paix et la sécurité internationales. C’est cette responsabilité que traduit, à notre avis, l’emploi du verbe « constater » à l’article 39 de la Charte. 1.2. La discrétionnalité du constat Dans un article consacré à la notion de pouvoir discrétionnaire appliquée aux organisations internationales, G. Cahin évoque la « discrétionnalité inhérente à la qualification de la menace contre la paix »253 par le Conseil de sécurité. Un paradoxe surgit dans la littérature à ce propos : les auteurs s’accordent de manière unanime sur cette assertion, mais selon une conception du « pouvoir discrétionnaire » qui semble indéterminée254. L’expression « pouvoir discrétionnaire » pour qualifier le pouvoir du Conseil de sécurité de constater une menace contre la paix semble utilisée de manière essentiellement rhétorique par la doctrine internationaliste. Ils expriment ainsi souvent leur dépit de ce que l’activité du Conseil de sécurité se soustrait à leur analyse255. L’explication peut se trouver dans une remarque de D. Galligan, auteur de plusieurs essais sur la notion de discrétion juridique, ainsi formulée : 251 L. GOODRICH, E. HAMBRO & A. SIMONS, Charter of the United Nations. Commentary and Documents, World Peace Foundation (1969), p. 290. 252 Le Conseil de sécurité dispose en effet de la responsabilité exclusive de constater une situation de l’article 39 et il ne peut déléguer ce pouvoir aux Etats membres ou à une organisation régionale en application de la doctrine delegatus non potest delegare, D. SAROOSHI, The United Nations and the development of collective security : the delegation by the UN Security Council of its Chapter VII powers, OUP (1999), pp. 32-34. 253 G. CAHIN, « La notion de pouvoir discrétionnaire appliquée aux organisations internationales », 107 RGDIP (2003), p. 570 (mis en italique par nous) ; voir aussi CONFORTI, « Le pouvoir discrétionnaire », op. cit. note 249, p. 53. 254 Du même avis s’agissant de la notion de « pouvoir discrétionnaire » de manière générale, SOREL, « Le caractère discrétionnaire des pouvoirs du Conseil de securité », op. cit. note 233, p. 465, qui évoque la « relative imprécision » dans laquelle la notion de pouvoir discrétionnaire est « immergée » avant d’ajouter, avec une pointe d’ironie : « sans doute est-ce le propre du pouvoir discrétionnaire de produire ainsi une marge d’appréciation ‘discrétionnaire’ sur sa définition, mais il en ressort une latitude non dénuée d’incertitudes » (idem). 255 SOREL considère au contraire que les auteurs invoquent le « pouvoir discrétionnaire du Conseil de sécurité » à titre de postulat selon lequel ce pouvoir serait limité ou encadré par le droit compte tenu du fait, comme nous allons le voir, que « l’idée de limitation semble intrinsèquement liée à la notion de pouvoir discrétionnaire » (idem). Dans son article, l’auteur se positionne en porte-à-faux de cette tendance parmi la doctrine (en « pur provocateur », selon ses propres termes) en affirmant que le pouvoir du Conseil de sécurité est de nature plus arbitraire que discrétionnaire (ibid., pp. 468-470). 68 « tout pouvoir discrétionnaire semble porter atteinte aux idées et aux valeurs qui forment la substance même du droit » 256 . Mais s’il ne s’agissait que d’une impression ? Selon D. Galligan, le pouvoir discrétionnaire « semble » être une menace à la pensée juridique. Autre qu’une menace, il s’agit en vérité d’un défi. Du fait que la notion de « pouvoir discrétionnaire » est rarement définie par les internationalistes qui en font usage en rapport avec la nature et l’étendue des pouvoirs du Conseil de sécurité, nous allons d’abord nous interroger sur la notion de pouvoir discrétionnaire « en-dehors du droit international », c’est-à-dire en théorie du droit et en droit administratif des ordres juridiques allemands, britanniques et français. 1.2.1. La discrétionnalité en question en-dehors du droit international « Discretion is the means by which law – the most consequential normative system in a society – is translated into action »257. 1.2.1.1. Une première définition de la discrétionnalité : la liberté intégrée à la légalité En effet, le pouvoir discrétionnaire ne signifie pas qu’une compétence, un pouvoir ou une faculté se situe au-dessus ou en-dehors du droit. Bien au contraire, le pouvoir discrétionnaire ne peut se déployer qu’à l’intérieur du droit : « a discretion can only exist within the law and the real question relates to the ambit of and conditions attaching to the discretionary powers »258. Dans le même sens, là où l’arbitraire caractérise les décisions « qui ne puisent leur justification qu’en elles-mêmes, et non à une source véritablement objective et extérieure à leur auteur », le discrétionnaire « est le propre du pouvoir jouissant d’une légitimité rationnelle, c’est-à-dire, originairement, légale »259. 256 D. GALLIGAN, « Pouvoirs discrétionnaires et principe de légalité », Pouvoir discrétionnaire de l’administration et problèmes de responsabilité, Actes du 25e colloque de droit européen, Oxford, 27-29 septembre 1995, Editions du Conseil de l’Europe (1997), p. 11. 257 K. HAWKINS, « The Use of Legal Discretion : Perspectives from Law and Social Science », in : K. HAWKINS (éd), The Uses of Discretion, Clarendon Press (1992), p. 11. 258 I. BROWNLIE, « The Decisions of Political Organs of the United Nations and the Rule of Law », in : R. MACDONALD (éd), Essays in Honour of Wang Tieya, Kluwer Academic Publishers, Martinus Nijhoff Publishers (1993), p. 95, voir aussi p. 102 (« Even if the political organs have a wide margin of appreciation in determining that they have competence by virtue of Chapter VI or Chapter VII, and further, in making dispositions to maintain or restore international peace and security, it does not follow that the selection of the modalities of implementation is unconstrained by legality »). 259 CAHIN, « La notion de pouvoir discrétionnaire », op. cit. note 253, p. 536, citant E. PICARD, « Le pouvoir discrétionnaire en droit français », Journées de la Société de législation comparée (11èmes journées juridiques franco-latino-américaines, Porto Allegre, 15-20 octobre 1989), vol. 11 (1989), pp. 295-296. 69 Le pouvoir discrétionnaire peut être défini comme la faculté, conférée par la règle de droit elle-même, de choisir parmi une pluralité de solutions juridiquement possibles260 celle que l’on considère être la plus appropriée ou la plus opportune. Selon cette définition, le pouvoir discrétionnaire est l’expression d’une savante alchimie entre le juridique et l’extra-juridique, entre la légalité et l’opportunité, entre le droit et la politique. D’un côté, la faculté de choisir et les solutions parmi lesquelles le choix s’opère sont conformes à la légalité ; d’un autre côté, le choix de la meilleure solution est guidé par des considérations qui peuvent ne pas être strictement légales. Le discrétionnaire se définit donc comme un espace de liberté intégré à la légalité261. Ce sera là notre hypothèse de départ s’agissant de la conception du pouvoir discrétionnaire. 1.2.1.2. Le concept de « discretion » chez R. Dworkin R. Dworkin explique cette tension irréductible entre légalité (la contrainte) et opportunité (la liberté) par l’essence même du concept, en anglais, de « discretion ». Comme le philosophe américain souligne avec justesse, il n’est question de discrétionnalité dans la vie ordinaire que lorsque « someone is in general charged with making decisions subject to standards set by a particular authority »262. Ainsi, on ne dirait pas de quelqu’un qu’il possède un pouvoir discrétionnaire de choisir une maison si rien ni personne ne lui impose de choisir une maison selon des critères particuliers. On parle au contraire plus volontiers de la discrétionnalité d’un juge chargé d’appliquer un code de droit ou d’un sergent soumis aux ordres de son supérieur263. Dans cet esprit, « discretion, like the hole in a doughnut, does not exist except as an area left open by a surrounding belt of restriction. It is therefore a relative concept. It always makes sense to ask : ‘Discretion under which standards ?’ or ‘Discretion as to which authority ?’ »264. R. Dworkin distingue trois acceptions possibles de la discrétionnalité selon que l’on utilise ce terme dans un sens « faible » ou « fort » : - au premier sens « faible », on parle de discrétionnalité pour désigner la part de jugement qui revient à une personne dans la mise en œuvre de critères qui ne peuvent 260 En référence à l’expression de P. WEIL dans sa préface à la thèse de S. JOVANOVIC, Restriction des compétences discrétionnaires des Etats en droit international, Pedone (1988), p. 7. 261 CAHIN, « La notion de pouvoir discrétionnaire », op. cit. note 253, p. 537, n. 5. 262 R. DWORKIN, Taking Rights Seriously, Duckworth (1997), p. 31. 263 Idem. 264 Idem. 70 pas être appliqués de manière mécanique265. R. Dworkin donne ainsi pour exemple le cas d’un sergent auquel son supérieur hiérarchique aurait demandé d’emmener ses cinq hommes les plus expérimentés en patrouille. Sans autres précisions, il revient au subordonné d’apprécier quels sont ses « cinq hommes les plus expérimentés »266. - au second sens « faible », on évoque la discrétionnalité d’une personne ou d’un organe lorsque ses décisions sont insusceptibles d’être révisées ou réformées par une tierce personne ou institution, en d’autres termes, lorsqu’elles sont insusceptibles de contrôle. Ainsi, pour prendre un autre exemple de la vie ordinaire, on dit, dans le cadre d’un jeu de baseball, que certaines décisions sont laissées à la discrétionnalité de l’arbitre dans le sens où celui-ci possède l’autorité finale de décider qui du joueur ou de la balle a atteint la base le premier267. C’est dans ce sens que la doctrine du pouvoir discrétionnaire en droit administratif français s’est développée : le pouvoir discrétionnaire y est traditionnellement présenté comme un acte de l’administration échappant au contrôle de légalité du juge268. - au sens « fort », la discrétionnalité évoque, selon R. Dworkin, l’absence de critères fixés par une autorité supérieure ou un texte de référence. Pour reprendre l’exemple cité précédemment du sergent chargé de sélectionner des hommes pour partir en patrouille, dans cette troisième hypothèse, le sergent ne recevra pas d’autres instructions de la part de son supérieur hiérarchique. Ainsi, il ne sera pas seulement tenu d’apprécier lesquels de ses hommes sont les plus expérimentés, mais il sera libre de choisir cinq hommes (« any five men ») parmi sa troupe269. C’est à propos de la discrétionnalité au sens « fort » du terme que R. Dworkin affirme que : 265 C’est dans ce sens que HAWKINS évoque le fait que la discrétionnalité est inévitable, dès lors que « the translation of rule into action, the process by which abstraction becomes acutality, involves people in interpretation and choice ». A ce égard, « law is fundamentally an interpretative enterprise », tiré de sa contribution « The Use of Legal Discretion », op. cit. note 257, p. 11. Voir aussi D. GALLIGAN, Discretionary Powers. A Legal Study of Official Discretion, Clarendon Press (1986), p. 1. C’est dans ce premier sens de la discrétionnalité au sens faible que SCELLE affirme que « toute compétence est […], à quelque degré, discrétionnaire, car sans cela le titulaire n’ayant plus aucun jeu de décision deviendrait un automate, c’est-à-dire un être dépourvu de volonté, et la règle de droit ne peut s’adresser qu’à une volonté consciente », « Règles générale du droit de la paix », op. cit. note 1, p. 417. 266 DWORKIN, Taking Rights, op. cit. note 262, pp. 31-32. 267 Ibid., p. 32. 268 « Le contrôle du juge, étant un contrôle de la légalité, s’arrête là où elle s’arrête : il ne s’étend donc pas au pouvoir discrétionnaire, qui relève de l’appréciation de l’opportunité, étrangère à la mission du juge », J. RIVERO et J. WALINE, Droit administratif, Dalloz (1996), p. 75. 269 DWORKIN, Taking Rights, op. cit. note 262, pp. 32-33. 71 « an official’s discretion means not that he is free to decide without recourse to standards of sense and fairness, but only that his decision is not controlled by a standard furnished by the particular authority we have in mind when we raise the question of discretion »270. Dans le contexte plus large de sa doctrine et de ce qu’il entend démontrer, ces présupposés permettent à R. Dworkin de dire que le juge, même doté d’un pouvoir discrétionnaire au sens « fort », n’est pas libre de prendre des décisions arbitraires, injustes et insensées. A cet égard, il existe, selon le philosophe américain, une manière juste de juger (« a right answer »), c’està-dire d’interpréter les textes et de décider : il s’agit de trouver la décision ou l’interprétation qui s’inscrit le mieux dans l’ensemble des règles et des principes caractérisant un système juridique donné271, de même qu’un écrivain amené à écrire la suite du récit commencé par un autre s’inscrira dans la même trame narrative que son prédécesseur. R. Dworkin crée ainsi un idéal-type de ce juge, lequel, de par son nom, Hercule, renvoie à l’extrême difficulté pour un être humain non doué de sa force mythologique de parvenir à effleurer « l’interprétation correcte ». Cette conception a été fortement critiquée en doctrine272 ; là n’est cependant pas notre point. Plusieurs enseignements peuvent être dégagés de la théorie du pouvoir discrétionnaire de R. Dworkin. Il n’y a pour R. Dworkin de véritable pouvoir discrétionnaire qu’au sens « fort » du terme. Or, même dans ce cas, l’opérateur reste guidé dans ses choix par le bon sens, la bonne foi, ainsi que par les règles et principes existants273. Pour R. Dworkin, il n’y a pas, en quelque sorte, de libre-arbitre pour celui qui décide, même en l’absence de critères. Sa doctrine remet en cause la définition traditionnelle du pouvoir discrétionnaire selon laquelle la discrétionnalité rime avec liberté. R. Dworkin présente sous un jour nouveau cet espace d’incertitude que constitue en droit la discrétion. 1.2.1.3. L’indétermination et l’indéterminabilité de la norme (S. Rials) Cette marge de liberté irréductible, que traduit l’idée de discrétionnalité, découle de l’essence même du droit. Le droit, en effet, ne saurait se construire sur des catégories juridiques « immuables dans leur fond, régies par des dogmes inflexibles » qui seraient « insusceptibles par conséquent de s’assouplir aux exigences changeantes et variées de la 270 Ibid., p. 33. 271 Ibid., chapitre 4, pp. 81-130 et chapitre 13, pp. 279-290 ; D. GALLIGAN, Discretionary Powers, op. cit. note 265, p. 15. 272 Voir les réponses de DWORKIN à ces critiques à la fin de son ouvrage Taking Rights, op. cit. note 262, pp. 291-368 ; GALLIGAN, Discretionary Powers, op. cit. note 265, pp. 17-18. 273 GALLIGAN le rejoint lorsqu’il affirme : « discretion consists not in the authority to choose amongst different actions but to choose amongst different course of actions for good reasons », Discretionary Powers, op. cit. note 265, p. 7. 72 vie »274. Pour S. Rials, « l’idée du nécessaire changement juridique » suscite « l’étrange sentiment – étrange pour des juristes – que le droit ne doit pas brimer la ‘vie’, le ‘fait’, l’inéluctable et perpétuel mouvement des choses »275. Les concepts juridiques ne doivent donc pas déterminer à outrance l’action qu’ils prescrivent, sous peine, par leur inflexibilité, de ne pas survivre au temps ou de ne pas permettre l’évolution des mœurs. La marge de liberté qui résulte de cette flexibilité dans la mise en œuvre du concept juridique est source de discrétionnalité. Ainsi, selon C. Eisenmann : « La source de la discrétionnalité, c’est l’absence de détermination rigoureusement impérative, stricte de l’action. Dès que, sur un point quelconque, sous un rapport quelconque, l’action à accomplir par le sujet n’est pas absolument déterminée, ‘du’ pouvoir discrétionnaire fait son apparition…Il suffit que l’une quelconque des notions auxquelles fait appel la réglementation soit en elle-même indéterminée pour que du pouvoir discrétionnaire apparaisse »276. S. Rials s’oppose à l’idée que le pouvoir discrétionnaire naît de la formulation indéterminée (vague) de la norme. Selon lui, « l’indétermination ne donne lieu qu’à l’interprétation de la norme » tandis que le pouvoir discrétionnaire résulte de « l’indéterminabilité » de celle-ci277. La différence réside ici : « l’indétermination » renvoie à la définition ouverte de la norme ; « l’indéterminabilité » à la latitude de choix réelle conférée à l’administration par la règle278. Il en est ainsi lorsque la Charte des Nations Unies dispose : « le Conseil de sécurité fait des recommandations ou décide »279 ou « le Conseil de sécurité peut »280. L’indétermination rime donc avec définition (de la norme) et l’indéterminabilité avec la capacité de l’administration (de vouloir librement). 274 F. GENY, Méthode d’interprétation et sources en droit privé positif, tome 1er (1932), p. 129, cité par S. RIALS, « Les standards, notions critiques du droit », in : C. PERELMAN et R. VANDER ELST (éds.), Les notions à contenu variable en droit, Bruylant (1984), p. 41. 275 RIALS, « Les standards », op. cit. note 274, p. 41. GENY évoque pour sa part la complexité, la mobilité et « la fluidité incessante » de la vie sociale pour caractériser la mission du juriste auquel il incombe de manier les concepts juridiques avec la souplesse requise, Science et technique en droit privé positif, Nouvelle contribution à la critique de la mtéhode juridique, t. 1er, Recueil Sirey (1914-1924), p. 163, cité par RIALS, idem. 276 C. EISENMANN, Cours de droit administratif, 1949-1950, tome 2, L.G.D.J. (1983), pp. 429 et 451, cité par RIALS, ibid., p. 46. 277 RIALS, ibid., p. 46. 278 Idem. 279 Article 39 de la Charte. 280 Par exemple (parmi d’autres dispositions de la Charte) : article 40 (« peut inviter les parties intéressées à se conformer aux mesures provisoires »), article 41 (« peut décider quelles mesures n’impliquant pas l’emploi de la force armée doivent être prises pour donner effet à ses décisions »), article 42 (« peut entreprendre, au moyen de forces aériennes, navales ou terrestres, toute action qu’il juge nécessaire au maintien ou au rétablissement de la paix et de la sécurité internationales »). 73 S. Rials conteste avant tout l’idée, avancée par C. Eisemann, que les notions « précises » alimenteraient l’interprétation et que les notions « vagues » ouvriraient la voie au pouvoir discrétionnaire 281 . Pour S. Rials, il est impossible de dire quelles notions seraient suffisamment précises ou trop vagues pour rentrer dans l’une des deux hypothèses. La limite entre pouvoir d’interprétation et pouvoir discrétionnaire n’est pas d’ordre matériel : pour déterminer l’existence d’un pouvoir discrétionnaire, il faut s’en tenir, selon S. Rials, à ce que la règle dispose s’agissant de la marge de liberté octroyée à l’opérateur en question : il doit ou il peut. L’absence de contrôle par un juge ne signifie pas nécessairement que l’opérateur dispose d’un pouvoir discrétionnaire et que celui-ci serait lié à l’indétermination de la notion en jeu : S. Rials donne l’exemple de la compétence d’un organe chargé de contrôler si un produit est dangereux pour la santé publique et de l’interdire le cas échéant. Selon l’auteur, lorsqu’un texte confère à un organe le pouvoir d’écarter un tel produit, il ne lui attribue que l’ardent devoir de l’interdire si le produit est dangereux. Il n’est pas question ici de pouvoir discrétionnaire mais, au contraire, d’une compétence liée. Si le juge administratif se refuse à exercer son contrôle de légalité dans ce cas, ce n’est pas, d’après S. Rials, parce que « dangereux » est un terme indéterminé mais parce que le juge n’est pas pharmacien luimême282. En d’autres termes, l’absence de contrôle de légalité des actes de l’organe tient ici à la technicité de la notion en jeu et non pas à la nature du pouvoir de l’organe en question. Appliquée à notre sujet d’étude, la théorie de S. Rials permet d’affirmer la chose suivante. L’article 39 de la Charte des Nations Unies ne confère pas au Conseil de sécurité une latitude totale d’action quant à déterminer l’existence d’une menace contre la paix : « le Conseil de sécurité constate l’existence d’une menace contre la paix » (dans la version anglaise : « the Security Council shall determine the existence of any threat to the peace »). De même que dans l’exemple cité au-dessus par S. Rials, la Charte attribue au Conseil de sécurité une « ardente obligation »283 de constater une menace contre la paix lorsque celle-ci existe. Cette interprétation s’accorde avec la philosophie de la Charte ainsi que l’économie du système de celle-ci : la Charte investit en effet le Conseil de sécurité de la responsabilité principale du maintien de la paix et la sécurité internationales (article 24) et lui octroie à cette fin des pouvoirs exceptionnels dont celui d’autoriser le recours à la force. Selon la distinction 281 RIALS, « Les standards », op. cit. note 274, p. 46. 282 Ibid., p. 47. 283 Idem. 74 conceptuelle opérée par S. Rials, le Conseil de sécurité ne disposerait donc pas d’un pouvoir de nature discrétionnaire de constater une menace contre la paix aux termes de l’article 39 de la Charte, étant donnée l’absence d’ « indéterminabilité » de la norme. Il en est autrement lorsqu’à la suite du constat d’une des situations de l’article 39, la Charte confère au Conseil de sécurité le pouvoir de « fai[re] des recommandations ou de décider des mesures qui seront prises conformément aux articles 41 et 41 pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationales »284. Si le Conseil de sécurité ne dispose pas du pouvoir discrétionnaire de déterminer l’existence d’une menace contre la paix, il demeure le problème de l’ « indétermination » de la norme : nul doute que la « menace contre la paix » est une notion indéterminée au sens de « vague », ceci tenant aussi bien au terme de « menace » qui exprime l’idée de potentialité (la crainte de ce qui ne s’est pas encore matérialisé), qu’à celui de « paix » qui recouvre plusieurs sens285. S’agissant de la question de l’absence de contrôle de légalité (qui ne laisse pas la voie, selon S. Rials, à un véritable pouvoir discrétionnaire), elle peut également être posée s’agissant du Conseil de sécurité. Le juge international, que ce soit celui de la CIJ ou du TPIY, s’est pour l’instant refusé à contrôler, du moins en profondeur, le bien-fondé du constat par le Conseil de sécurité d’une menace contre la paix. Le TPIY s’est contenté de tracer de manière (très) générale les limites de l’étendue du pouvoir du Conseil de sécurité de constater une situation de l’article 39, à savoir, le respect des buts et principes des Nations Unies286. Quant à la CIJ, confrontée à la question de savoir l’adoption de la résolution par l’Assemblée générale qui lui transmettait une demande d’avis consultatif était valide au regard de la 284 Mis en italique par nous. 285 Voir infra titre III. 286 TPIY, Chambre d’appel, Le Procureur c. Dusko Tadic, arrêt relatif à l’appel de la défense concernant l’exception préjudicielle d’incompétence, 2 octobre 1995, § 29 : « la décision selon laquelle il existe une [menace contre la paix] n'est pas totalement discrétionnaire puisqu'elle doit rester, pour le moins, dans les limites des Buts et Principes de la Charte ». Après cette affirmation à portée générale, le TPIY a considéré qu’il n’était pas nécessaire, aux fins de la présente décision, d’examiner plus avant la question des limites au pouvoir discrétionnaire du Conseil de sécurité de constater l’existence d’une menace contre la paix, notamment du fait que, d’après la « pratique établie du Conseil de sécurité et l’interprétation partagée par les Membres des Nations Unies en général », les conflits internes peuvent être qualifiés de menaces contre la paix (§ 30). Ainsi, même si le conflit qui se déroulait sur le territoire de l’ex-Yougoslavie au moment de la création du tribunal devait être considéré comme étant un « conflit armé interne » (il y avait notamment une controverse sur le caractère international ou non international du conflit), le constat d’une menace contre la paix par le Conseil de sécurité ne semblait pas, selon la Chambre d’appel, avoir excédé les limites de son pouvoir de constatation aux termes de l’article 39. 75 procédure dite de « Dean Acheson »287, elle a uniquement relevé qu’ainsi que l’indiquait la résolution soumise à son analyse, « il existait une menace à la paix et à la sécurité internationales »288. En outre, dans l’affaire de Lockerbie, qui mettait directement aux prises la CIJ avec la question de la validité d’une résolution du Conseil de sécurité qui constatait (de manière douteuse selon la doctrine289) une menace contre la paix, la CIJ s’est abstenue d’exercer un tel contrôle au stade des mesures conservatoires290. Aux termes de la théorie de S. Rials, cette quasi-abstention du contrôle de légalité par le juge international pourrait se comprendre comme une « auto-limite » de sa part ou, de la part du Conseil de sécurité, comme l’exercice d’une « compétence liée non-contrôlée »291. Si dans l’exemple donné par S. Rials, la raison en était la technicité qui dépassait les compétences du juge, il pourrait en être autrement s’agissant de la notion de menace contre la paix. Le Conseil de sécurité étant le seul habilité par la Charte à constater l’existence d’une menace contre la paix aux termes de l’article 39 et à en tirer les conséquences juridiques en vertu du Chapitre VII, le juge international a pu considérer que son contrôle se restreignait à un contrôle minimal de légalité (de type « abus de droit » ou « excès de pouvoir »). Cette théorie serait corroborée par la présomption de légalité de l’action des Nations Unies, énoncée par la CIJ dans l’avis Certaines dépenses (1962) : 287 Sur cette procédure, voir infra, titre II, première section, 2.2.1.2. 288 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, CIJ, avis consultatif, 9 juillet 2004, CIJ Rec. (2004), p. 151, § 31. On peut faire deux séries de remarques à cet égard : premièrement, l’absence d’explication et de jusfication par la CIJ quant à l’existence d’une menace contre la paix vis-à-vis de la situation dans les territoires palestiniens occupés s’apparente presque à une absence de contrôle de sa part. Elle a, en fait, exercé un contrôle sur les conditions de nature presque procédurale permettant à l’Assemblée générale d’adopter une résolution selon la procédure définie dans sa résolution 377 (V) – dite de « Dean Acheson » - (voir pp. 149-150, § 30 de l’avis), ce qui expliquerait l’absence de profondeur de son contrôle sur le « constat » par l’Assemblée générale d’une menace contre la paix ; deuxièmement, il ne s’agit pas dans cet avis d’un contrôle par la CIJ du constat d’une menace contre la paix par le Conseil de sécurité mais par l’Assemblée générale. Le Conseil de sécurité étant le seul habilité à constater l’existence d’une menace contre la paix, le « constat » par l’Assemblée générale n’en était pas véritablement un aux termes de l’article 39 (ceci explique peut-être que la terminologie utilisée par l’Assemblée générale - « menace à la paix et à la sécurité internationales » - soit différente de celle de « menace contre la paix » de l’article 39), sauf aux fins d’enclencher la procédure dite de « Dean Acheson » (voir infra titre II, première section, 2.2.1.2. sur cette problématique). Cependant, s’il ne s’agissait pas, dans l’affaire du Mur, d’un contrôle direct par la CIJ du constat par le Conseil de sécurité de l’existence d’une menace contre la paix, on pourrait arguer qu’il s’agissait, indirectement, du contrôle de l’abstention du Conseil de sécurité à constater une menace contre la paix existante. 289 Voir infra, titre II, première section, 2.2.2.2. 290 Comme nous le verrons infra (titre II, première section, 2.2.2.2.), la CIJ a uniquement considéré, au stade de l’indication en mesures conservatoires, que la résolution du Conseil de sécurité concernée (CS/RES/748) était, quant à ses effets juridiques, prima facie obligatoire (et par conséquent, prima facie valide). Il n’y a pas eu d’arrêt au fond suite à la radiation du rôle de l’affaire (voir également infra). 291 RIALS, « Les standards », op. cit. note 274, p. 47. 76 « lorsque l’Organisation prend des mesures dont on peut dire à juste titre qu’elles sont appropriées à l’accomplissement des buts déclarés des Nations Unies, il est à présumer que cette action ne dépasse pas les pouvoirs de l’Organisation »292, ainsi que par l’affirmation de la Chambre d’appel du TPIY dans l’affaire Tadic précitée quant au rapport entre l’intensité de son contrôle des actes du Conseil de sécurité et la nature des pouvoirs du Conseil aux termes de la Charte et en particulier du Chapitre VII : « De toute évidence, plus le pouvoir discrétionnaire du Conseil de sécurité dans le cadre de la Charte des Nations Unies est large et plus le pouvoir du Tribunal international de réexaminer ses actions est étroit, même au plan de la compétence subsidiaire. Cela ne signifie pas, néanmoins, que ce pouvoir disparaît complètement, en particulier dans les affaires où l'on peut observer une contradiction manifeste avec les Principes et les Buts de la Charte »293. La théorie de S. Rials se heurte cependant à un obstacle théorique : si l’indétermination de la norme, comme c’est le cas pour la menace contre la paix, n’ouvre pas la voie au pouvoir discrétionnaire mais à l’interprétation de l’organe chargé d’en constater l’existence, où se situe la frontière entre le pouvoir discrétionnaire et le pouvoir d’interprétation de la norme par celui-ci ? Le pouvoir d’interprétation peut, en effet, avoir autant d’effet créateur que l’exercice du pouvoir discrétionnaire. En tout état de cause, la notion de menace contre la paix est un concept juridique au « contenu variable »294, peu importe que l’on affirme par la suite que cette indétermination ouvre la voie au pouvoir discrétionnaire ou au pouvoir d’interprétation du Conseil de sécurité. 292 Certaines dépenses des Nations Unies (Article 17, paragraphe 2, de la Charte), CIJ, avis consultatif du 20 juillet 1962, CIJ Rec. (1962), p. 168. Voir aussi l’avis de la CIJ sur les Conséquences juridiques pour les Etats de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité du 21 juin 1971 : « Toute résolution émanant d’un organe des Nations Unies régulièrement constitué, prise conformément à son règlement et déclarée adoptée par son président, doit être présumée valable », CIJ Rec. (1971), p. 22. Voir sur la présomption de validité des résolutions des organes des Nations Unies selon la CIJ : H. THIERRY, « Les résolutions des organisations internationales dans la jurisprudence de la CIJ », 167 RCADI (1980), pp. 431 et s. ; E. LAUTERPACHT, « The Legal Effect of Illegal Acts of International Organizations », Cambridge Essays in International Law, Essays in Honour of Lord McNair, Stevens & Sons, Oceana Publications (1965), pp. 110-112 et p. 117. 293 Tadic, op. cit. note 286, § 21. 294 L’expression est tirée du titre de l’ouvrage collectif Les notions à contenu variable en droit édité par C. PERELMAN et R. VANDER ELST, op. cit. note 274. Voir en particulier la contribution de J. SALMON, « Les notions à contenu variable en droit international public », pp. 251-268 : « Si l’on admet, comme Ross, Hart et bien d’autres, que le langage juridique possède une texture ouverte, et que tout concept juridique est susceptible d’évolution, on peut trouver ici encore un champ particulièrement fertile de notions à contenu variable », p. 253. Mais la notion de menace contre la paix n’est pas seulement une notion à contenu variable par nature (c’est-àdire, en tant que concept juridique, selon la citation de SALMON), voir à cet égard infra titre III. 77 1.2.1.4. La doctrine administrativiste allemande, britannique et française du pouvoir discrétionnaire a) La doctrine allemande La doctrine allemande du pouvoir discrétionnaire se fonde sur une nette distinction entre les éléments constitutifs de la norme (« Tatbestand ») et les conséquences juridiques de la mise en œuvre de celle-ci (« Rechtsfolge ») : « Die Rechtsnormen sind sonach zweigliedrig aufgebaut : sie bestehen aus Tatbestand und Rechtsfolge ; ist der Tatbestand erfüllt, so tritt die Rechtsfolge ein »295. A partir de cette distinction, l’administration ne dispose que d’une marge d’appréciation (« Beurteilungsspielraum ») lorsqu’elle doit interpréter et appliquer des « notions juridiques indéterminées » (« unbestimmete Rechtsbegriffe »), tel est le cas des notions dont le sens n’est pas précisément déterminé par la loi ou la jurisprudence ni déterminables dans un cas concret : l’intérêt général, l’utilité publique ou la sûreté de l’Etat par exemple296. Par contre, lorsqu’il s’agit de déterminer les effets juridiques qui résultent de la mise en œuvre de la norme, l’administration dispose d’un pouvoir discrétionnaire (« das Ermessen der Verwaltung ») 297. En d’autres termes, l’administration peut choisir, à sa discrétion, parmi les conséquences juridiques A, B ou C dans la mesure où les trois sont légales, bien qu’elle ne jouisse pas d’une même liberté d’action à l’égard des éléments de définition de la norme, aussi peu définissable dans l’absolu cette norme soit-elle 298 . Ainsi défini, le pouvoir discrétionnaire (« Ermessen ») signifie donc que l’administration a une liberté de choix parmi toutes les solutions juridiquement possibles (« rechtmässig »). La marge d’appréciation de l’administration au sujet des notions juridiques indéterminées mérite, elle, un éclairage historique et quelques nuances. La théorie allemande du pouvoir discrétionnaire est indissociable de l’histoire du pays et des expériences amères du Troisième Reich299. Les notions juridiques indéterminées ont ainsi fait l’objet, de la part de la doctrine et des tribunaux administratifs, de considérations variant selon les époques. De notions au contenu totalement discrétionnaire sur lesquelles le juge n’avait pas d’emprise, les notions juridiques indéterminées furent considérées, après la guerre de 1939-1945, comme n’étant susceptibles que d’une seule interprétation par les tribunaux administratifs, soucieux d’assurer une protection juridictionnelle efficace de l’individu contre 295 H. MAURER, Allgemeines Verwaltungsrecht, C. H. Beck (2011), p. 141. 296 Ibid., pp. 151-158. 297 Ibid., pp. 143-144 ; J. SCHWARZE, Droit administratif européen, Bruylant (2009), pp. 284-285. 298 MAURER, Verwaltungsrecht, op. cit. note 295, p. 144. 299 SCHWARZE, Droit administratif européen, op. cit. note 297, p. 284. 78 l’Etat300. Les tribunaux voulaient ainsi avoir une emprise totale sur le contenu de celles-ci, c’est-à-dire sur les conditions de fait de l’action administrative301. Dans l’après-guerre, en effet, le pouvoir discrétionnaire de l’administration était davantage perçu comme un corps étranger dans la structure de l’Etat de droit que comme une institution nécessaire afin de garantir la souplesse de l’action administrative302. Un mouvement inverse s’est amorcé depuis un arrêt rendu le 16 décembre 1971 par la cour administrative suprême allemande (« Bundesverwaltungsgericht »). Une jurisprudence particulièrement nuancée et variée reconnaît désormais à l’administration une marge d’appréciation sur certaines notions juridiques indéterminées (mais pas toutes)303. Le terme de « notion juridique indéterminée » convient bien à la notion de menace contre la paix, unanimement considérée par les auteurs comme étant une notion floue, élastique et polymorphe304. En outre, de même que la doctrine de droit administratif allemand305 fait la distinction entre les éléments de la norme et les conséquences juridiques de la mise en œuvre de celle-ci, l’article 39 de la Charte invite à faire la distinction entre, d’un côté, le constat par le Conseil de sécurité d’une menace contre la paix, de la rupture de la paix ou d’un acte d’agression (la matérialité des éléments de la norme) et, de l’autre côté, le pouvoir de recommandation et de décision du Conseil en vertu des articles 41 et 42 de la Charte pour 300 De la même manière que l’Ecole de l’exégèse au XIXe siècle dont le credo « la loi rien que la loi » avait pour but de protéger l’individu contre les abus d’une justice corrompue de l’Ancien régime, voir C. PERELMAN, « Droit, logique et épistémologie », Le droit, les sciences humaines et la philosophie, Vrin (1973), pp. 227-228 d’après une citation du même auteur dans Logique juridique, nouvelle rhétorique, Dalloz (1999), pp. 24-25 (à la différence toutefois que l’Ecole de l’exégèse visait à restreindre le pouvoir discrétionnaire du juge dans la mise en œuvre de la loi tandis que les tribunaux administratifs allemands, au contraire, décrètent que les notions juridiques indéterminées ne sont susceptibles que d’une seule interprétation de la part de l’administration, imposant ainsi « l’interprétation du juge »). 301 SCHWARZE, Droit administratif européen, op. cit. note 297, p. 285. 302 Ibid., p. 284. 303 Voir pour aperçu de cette jurisprudence, A. FISCHER, Rapport pour l’Allemagne fédérale (1976), pp. 15-16, disponible en ligne : http://www.juradmin.eu/colloquia/1976/germany.pdf. Voir en général sur les notions juridiques indéterminées et la marge d’appréciation de l’administration à leur égard : MAURER, Verwaltungsrecht, op. cit. note 295, pp. 151-162 ; H.-J. KOCH, Unbestimmte Rechtsbregriffe und Ermessensermächtigungen im Verwaltungsrecht : eine logische und semantische Studie zur Gesetzesbindung der Verwaltung, A. Metzner (1979) ; C. FRAENKEL-HAEBERLE, « Unbestimmte Rechtsbegriffe, techniches Ermessen und gerichtliche Nachprüfbarkeit : eine rechtsvergleichende Analyse », 58 Öffentliche Verwaltung (2005), pp. 808-815. 304 Par exemple, « , « Le pouvoir discrétionnaire », op. cit. note 249, p. 53, à propos de la notion de menace contre la paix : « il s’agit en effet d’une hypothèse très vague et élastique […] qui […] peut correspondre aux comportements les plus variés ». 305 De manière générale, la doctrine germanophone de droit administratif (Allemagne, Autriche et Suisse). 79 maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationales une fois la situation constatée (les conséquences juridiques du constat) : « Le Conseil de sécurité [1] constate l’existence d’une menace contre la paix, d’une rupture de la paix ou d’un acte d’agression [2] et fait des recommandations ou décide quelles mesures seront prises conformément aux Articles 41 et 42 pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationales »306. E. De Wet distingue ainsi le pouvoir du Conseil de sécurité de décider « when to act (Article 39) and how to act (Articles 40, 41 and 42) » 307 . De même qu’en droit administratif allemand, le Conseil de sécurité disposerait-il d’un pouvoir de nature différente selon ce système de double décision ? Certains se sont interrogés, par exemple, sur le point de savoir si le Conseil de sécurité était tenu (au sens d’une compétence liée) d’adopter des mesures au titre du Chapitre VII dès lors qu’il avait constaté l’existence d’une menace contre la paix ou d’une autre situation de l’article 39308. Dans le même ordre d’esprit, certains auteurs considèrent que le constat d’une menace contre la paix par le Conseil de sécurité relève de sa « discrétion » (dans le sens où le Conseil de sécurité serait délié du droit) tandis que son action en vertu du Chapitre VII, au titre notamment des mesures coercitives, serait (dé)limitée par le droit : ils font une distinction, du point de vue de la nature du pouvoir du Conseil de sécurité, entre le constat et les mesures qui résultent de ce constat309. L’opinion contraire exprimée par une minorité de la doctrine (le constat est strictement encadré par des critères juridiques tandis que les mesures adoptées au titre du Chapitre VII permettent une action du Conseil de sécurité sans limites) se fonde sur une même distinction310. Sans qu’il soit nécessaire de trancher ce débat, il est intéressant de voir l’intérêt que comporte, d’un point de vue conceptuel, la distinction en droit administratif allemand entre « Tatbestand » et « Rechtsfolge » dans la discussion sur la nature et l’étendue du pouvoir du Conseil de sécurité de constater une menace contre la paix. 306 Mis en italique par nous. 307 De WET, The Chapter VII Powers, op. cit. note 20, p. 133 (mis en italique par nous). 308 GOODRICH et al., Charter of the United Nations, op. cit. note 251, p. 293. 309 Voir notamment DE WET, The Chapter VII Powers, op. cit. note 20, pp. 133-134 (« Others argue that the decision as to when the Security Council should intervene in terms of Article 39 lies purely within its discretion, but that general international law, in particular ius cogens, as well as the purposes and principles of the United Nations would pose limits to the type of action that may be taken by the Security Council ») ; voir également supra note 19. 310 Ibid., p. 134 (« Yet others argue the exact opposite and state that once the Security Council is acting in terms of Article 39, there are no limits as to what it can do. However, whether it has passed the threshold constituted by Article 39 is something that can be measured by means of judicial criteria »). 80 b) La doctrine britannique La notion de « discretionary power » fait partie du paysage du droit administratif britannique depuis le XVIe siècle au moins311. Dés cette période, le pouvoir discrétionnaire est considéré comme étant « limited and bound with the rule of reason and law » selon les termes de E. Coke, commentant en 1600 le Rooke’s Case (1598)312. L’auteur poursuit ainsi : « For discretion is a science or understanding to discern between falsity and truth, between wrong and right, between shadows and substance, between equity and colourable glosses and pretences, and not to do according to their wills and private affections ; for as one saith, talis discretio discretionem confundit »313. Pour E. Coke, la discrétionnalité est une science ou une faculté de l’entendement qui, à cet égard, est proche de la « faculté de juger » d’Hannah Arendt. De la même manière que la capacité de distinguer le bien et le mal selon la philosophe allemande, la discrétionnalité est un sacerdoce (« duty ») autant qu’un pouvoir (« power »). Sous l’empire du droit britannique, une autorité ne saurait déléguer son pouvoir discrétionnaire à une autorité subalterne sans garder le contrôle sur la décision finale314, de même que cette autorité ne peut s’abstenir d’exercer son pouvoir discrétionnaire en suivant aveuglement une politique qu’elle aurait ellemême définie à l’avance315. L’autorité doit faire usage de son pouvoir discrétionnaire dans chaque cas porté à sa connaissance afin d’évaluer ce que l’intérêt général (« public interest ») commande de faire dans ce cas d’espèce. C’est dans ce sens que l’on peut dire que l’autorité en question est investie d’un « sacerdoce » : elle doit exercer le pouvoir discrétionnaire qui lui a été confié aux fins de concilier les intérêts de l’administration avec ceux des administrés à chaque décision de manière à trouver « the most suitable balance between executive efficiency and legal protection of the citizen »316. 311 H. WADE & C. FORSYTH, Administrative Law, OUP (2004), p. 351. Sur la discussion relative aux prérogatives spéciales de la Couronne britannique et la discrétionnalité qui y serait attachée, voir pp. 215-217 et pp. 346-349. 312 E. COKE, Selected Writings of Sir Edward Coke, vol. I (1600), cité d’après WADE & FORSYTH, ibid., p. 351 (voir aussi dans WADE & FORSYTH, p. 343 : « all power has legal limits »). Dans le Rooke’s Case (1598), les membres de la commission chargée des égouts et canalisations (« the Commissioners of Sewers ») avait fait peser sur un seul propriétaire la charge financière d’équipements profitant à plusieurs. Le tribunal invalida la décision de la commission au motif qu’elle était inéquitable malgré le fait que la commission jouissait du pouvoir de prélever les taxes « à sa discrétion ». 313 Idem. Cette citation est classique en droit administratif anglais et il y est souvent fait référence aux fins de démonstration dans des textes qui nous sont contemporains. 314 Ibid., pp. 311-316 (« An element which is essential to the lawful exercise of power is that is should be exercised by the authority upon whom it is conferred, and by no one else », p. 311). 315 Ibid., p. 324 : « An authority can fail to give its mind to a case, and thus fail to exercise its discretion lawfully, by blindly following a policy laid down in advance ». 316 Ibid., p. 343. 81 Ainsi, si la doctrine britannique du pouvoir discrétionnaire ne paraît pas aussi élaborée, d’un point de vue conceptuel, que la doctrine allemande317, elle n’en reste pas moins très instructive s’agissant de l’essence du pouvoir discrétionnaire et des limites à celui-ci. Le juge britannique exerce un contrôle juridictionnel d’une double nature de l’exercice du pouvoir discrétionnaire par l’administration : l’un porte sur la substance de la décision (doctrine de l’ultra vires), l’autre sur la qualité de la procédure par laquelle la décision a été prise (doctrine de la « natural justice »). La doctrine de l’ultra vires318 signifie que le juge déclare nulles les décisions qui sortent du cadre d’habilitation de l’administration (selon la définition classique de l’ultra vires également présente en droit continental)319 ainsi que celles qui ne sont pas raisonnables (« principle of reasonableness »)320, rationnelles, injustes ou inconsistantes avec la pratique normalement suivie (« legitimate expectation and unfairness »)321, proportionnelles quant au but recherché322, ou qui font référence à des considérations non pertinentes (« principle of relevance »)323. La mauvaise foi de l’administration est également invoquée par le juge, mais rarement en tant que critère autonome d’invalidité d’une décision. Lorsque le juge affirme que l’administration doit agir bona fide, c’est une autre manière de dire qu’elle doit adopter des décisions raisonnables qui reposent sur des motifs rationnels et pertinents324, c’est-à-dire susceptibles d’être compris, voire partagés, par une personne extérieure. La doctrine de la « natural justice » revêt toute son importance dans les domaines dans lesquels la discrétionnalité de l’administration est la plus grande. En effet, si le juge n’est pas en mesure de contrôler la substance de la décision (par exemple, parce que la nature de la 317 Comme le remarque (peut-être injustement) SCHWARZE, Droit administratif européen, op. cit. note 297, pp. 296-297. 318 G. TAYLOR considère que cette doctrine en droit anglais pourrait server de modèle à une doctrine de l’abus de droit en droit international, « The Content of the Rule Against Abuse of Rights in International Law », 46 BYBIL (1972-1973), p. 324. 319 L’expression latine ultra vires signifie littéralement : « au-delà des pouvoirs » (« beyond powers »). 320 WADE & FORSYTH, Administrative Law, op. cit. note 311, pp. 351-365 (« A person in whom is vested a discretion must exercise his discretion upon reasonable grounds. A discretion does not empower a man to do what he likes merely because he is minded to do so – he must in the exercise of his discretion do not what he likes but what he ought. In other words, he must, by the use of his reason, ascertain and follow the course which reason directs. He must act reasonably », p. 353, cité d’après Lord WRENBURY, Roberts v. Hopwood [1925], AC 578, p. 613. 321 Ibid., pp. 372-376. 322 Ibid., pp. 366-372. 323 Ibid., pp. 380-388. 324 Ibid., pp. 416-417. 82 décision est telle que cela reviendrait, pour le juge, à substituer son appréciation à celle de l’administration), il lui est toujours possible de contrôler si la manière avec laquelle la décision a été prise est « procedurally fair »325. Deux règles fondamentales garantissent l’équité de la procédure selon la doctrine de la « natural justice » : la première, c’est que nul ne peut être juge et partie (nemo judex in causa sua debet esse) ; la seconde, c’est que nul ne peut être condamné sans que sa défense soit entendue (audi alteram partem)326. De cette présentation sommaire de la notion de « discretionary power » en droit britannique, on en conclut que l’administration, même quand elle dispose d’une liberté de choix parmi différentes solutions possibles, ne peut pas agir de manière subjective comme le ferait un individu, mais de manière objective de telle sorte que les raisons et les motifs de son choix puissent être expliqués, compris et qu’ainsi, ils n’apparaissent pas arbitraires. On pourrait dire, en guise de critique, que les standards de « reasonableness » et de « fairness » sont eux-mêmes susceptibles d’une large interprétation par le juge ; le pouvoir discrétionnaire se déplace ainsi de l’administration au juge. En droit administratif cependant, c’est uniquement la question du pouvoir discrétionnaire de l’administration qui se pose, tandis que celle du juge intéresse la philosophie du droit ou la science politique. c) La doctrine française Dans la doctrine administrativiste française, le pouvoir discrétionnaire se définit par le pouvoir de l’administration d’apprécier l’opportunité d’une décision. Il s’agit, selon J. Rivero et J. Waline, d’une « zone de liberté »327. Le pouvoir discrétionnaire s’oppose en cela à la compétence liée, qui suppose que l’administration est tenue d’agir d’une manière et dans une situation déterminées. Dans cette hypothèse, la loi ne laisse alors plus aucune place à la liberté d’action de l’administration, bien que l’administration conserve toujours une marge d’action incompressible, même infime, notamment quant au « choix du moment »328. Pour résumer : 325 Ibid., p. 440. 326 Idem. Sur la doctrine de la « natural justice » en droit administratif britannique, voir H. MARSHALL, Natural Justice, Sweet & Maxwell (1959) ; G. FLICK, Natural justice : Principles and practical applications, Butterworths (1984) ; pour une comparaison avec le droit administratif français, voir A. LEFAS, « Essai de comparaison entre le concept de ‘natural justice’ en droit administratif anglo-saxon et les ‘principes généraux du droit’ ainsi que les ‘règles générales de procédure’ correspondants en droit administratif français », 30 RIDC (1978), pp. 745-775. 327 RIVERO et WALINE, Droit administratif, op. cit. note 268, p. 73. 328 Les auteurs l’admettent plus loin : « mêmes dans les actes les plus liés par la règle de droit, l’administration […] reste libre d’apprécier […] quand elle pourra prendre la décision qui s’impose à elle, tout au moins dans des limites raisonnables, parfois fixées par la loi », ibid., p. 74. 83 « Il y a compétence liée quand la règle de droit impose aux agents la décision qui s’impose pour eux de la réunion des conditions qu’elle définit ; il y a pouvoir discrétionnaire dans la mesure où elle leur laisse une certaine liberté d’appréciation dans l’exercice de leur compétence »329. S’il est bien entendu que le pouvoir discrétionnaire n’est pas contraire à la légalité, dans le sens où c’est la légalité même qui confère à l’administration cette part de liberté, la doctrine française considère que le contrôle du juge, qui est un contrôle de la légalité, ne s’étend pas au pouvoir discrétionnaire, qui relève de l’appréciation de l’opportunité330. Sur ce point, la doctrine française est en contrariété avec la doctrine britannique selon laquelle le juge peut être amené à contrôler le caractère raisonnable et juste d’une décision de l’administration lorsque celle-ci agit en vertu de ses pouvoirs discrétionnaires. En vérité, le contrôle du juge administratif français sur les décisions de l’administration ne diffère pas significativement, de par sa nature, du contrôle exercé par le juge britannique. Le juge français est amené à contrôler autant la forme (moyens d’illégalité externe) que la substance (moyens d’illégalité interne) de la décision. Nous nous intéresserons spécifiquement au contrôle juridictionnel des faits, puisque c’est celui qui touche au plus près la substance de la décision. Ainsi, depuis le début du XXe siècle, le contrôle du juge administratif s’étend à la matérialité des faits et à la qualification juridique des faits par l’administration 331, bien que le juge renonce expressément à apprécier l'opportunité des mesures prises par cette dernière332. De manière schématique, le contrôle de la matérialité des faits consiste en un contrôle minimum : le juge limite son contrôle à celui de l’existence matérielle des faits sur lesquels l’administration s’est fondée pour adopter sa décision. Le contrôle de la qualification juridique des faits va plus loin : le juge estime si les faits, qui se sont effectivement produits, sont de nature à justifier la décision333. Dans cette dernière hypothèse334, le juge contrôle l’appréciation des faits par l’administration, tandis que dans la 329 Idem. 330 Ibid., p. 75. 331 G. VEDEL et P. DEVOLVE, Droit administratif, PUF (1992), p. 318. Sur le contrôle de la qualification juridique des faits, voir Conseil d’Etat, Gomel, 4 avril 1914 (en l’espèce, l’administration avait-elle correctement qualifié la place Beauvau à Paris de « perspective monumentale » au sens de l’article 118 de la loi du 31 juillet 1911 sur l’urbanisme pour refuser de délivrer un permis de construire à Monsieur Gomel ? Le Conseil d’Etat répondit par la négative et annula le refus opposé à Monsieur Gomel) ; sur le contrôle de la matérialité des faits, voir Conseil d’Etat, Camino, 14 janvier 1916 (dans cet arrêt, le Conseil d’Etat annula la révocation du docteur Camino pour erreur manifeste d’appréciation, les faits reprochés au docteur Camino – conduite indécente lors d’un convoi funèbre - étant à l’origine de la sanction n’ayant pas été avérés ni prouvés par l’administration). 332 Arrêt Camino, ibid., considérant 3. 333 VEDEL et DEVOLVE, Droit administratif, op. cit. note 331, p. 321. 334 Non généralisée, il y a certaines matières dans lesquelles le juge se refuse à exercer ce contrôle. Il s’agit des cas mettant en cause des appréciations techniques ou scientifiques. 84 première, il s’agit uniquement pour le juge de vérifier l’exactitude de la constatation des faits par l’administration. Le juge exerce son contrôle maximum lorsqu’il vérifie l’adéquation du contenu de la décision aux faits, quant à la proportionnalité d’une sanction infligée à un fonctionnaire par exemple335. Par là-même, il vérifie que les moyens sont adaptés aux fins. Enfin, dans le cas où le juge se refuse à contrôler l’appréciation portée sur la situation par l’administration, il peut – dans certains cas du moins - censurer l’erreur manifeste commise dans les motifs ou dans le contenu de la décision. Ce faisant, le juge exerce un contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation336. Les cas qui ne peuvent même donner prise au contrôle de l’erreur manifeste soulèvent, selon M. Azibert et M. Boisdeffre, une « question de pure opportunité qui n’est pas susceptible d’être discutée au contentieux »337. La diversité des contrôles en matière d’appréciation des faits se justifie, selon G. Vedel et P. Delvolvé, par l’existence, dans certaines matières ou sur un objet donné, du pouvoir discrétionnaire de l’administration. Selon ces auteurs, dès lors que l’administration « dispose d’un tel pouvoir, le juge ne peut exercer de contrôle »338. Selon cette vision, le pouvoir discrétionnaire serait donc le vecteur de détermination de l’étendue du contrôle par le juge administratif, bien que le juge administratif dispose également du pouvoir prétorien de restreindre l’étendue du pouvoir discrétionnaire de l’administration, comme en illustre l’évolution jurisprudentielle relative à la voie de recours pour excès de pouvoir. Il demeure que, contrairement à la doctrine britannique, la doctrine française du pouvoir discrétionnaire définit négativement le pouvoir discrétionnaire : le contrôle juridictionnel commence où le pouvoir discrétionnaire de l’administration finit, en d’autres termes, le pouvoir discrétionnaire est l’absence de contrôle de légalité ; alors que, dans la doctrine britannique, le contrôle juridictionnel régule le pouvoir discrétionnaire lui-même, celui-ci étant plus largement défini comme la latitude d’action de l’administration. Au final cependant, l’action administrative n’est pas plus liée dans un cas que dans un autre ; c’est la vision de ce qu’est le pouvoir discrétionnaire qui diffère. Peut-être cette distinction expliquet-elle le fait que les internationalistes français aient une vision plus négative du pouvoir 335 Conseil d’Etat, Lebon, 9 juin 1978, jurisprudence réaffirmée dans Conseil d’Etat, Touzard, 1er février 2006. 336 VEDEL et DEVOLVE, Droit administratif, op. cit. note 331, pp. 324-328. 337 Dans leur commentaire relatif aux arrêts du Conseil d’Etat du 2 février 1987, Société France 5 et Société TV 6, Scorpio Music, Aréna, Pathé-Marconi, Emi paru à l’AJDA (1987), cité d’après VEDEL et DEVOLVE, ibid., p. 326. Par exemple, dans l’arrêt Gambus (Conseil d’Etat, 20 mars 1987), le juge a refusé de contrôler l’appréciation portée par un jury d’examen sur la copie d’un candidat. 338 VEDEL et DEVOLVE, ibid., p. 330. 85 discrétionnaire du Conseil de sécurité que les internationalistes de formation anglo-saxonne, qui y voient essentiellement l’expression de ce que le Conseil dispose d’une certaine liberté d’action dans le constat d’une menace contre la paix et ses suites. 1.2.2. La discrétionnalité « en question » en droit international 1.2.2.1. La « théorie » du pouvoir discrétionnaire en droit international La notion de pouvoir discrétionnaire a rarement fait l’objet d’une étude approfondie en droit international339. La notion apparaît pourtant dans le premier avis consultatif rendu par la CIJ, le 28 mai 1948, sur les Conditions de l’admission d’un Etat comme Membre des Nations Unies (article 4 de la Charte). Cet avis a la particularité de traiter du pouvoir discrétionnaire des Etats dans le cadre d’une organisation internationale, en l’occurence de recommander ou de décider de l’admission d’un Etat comme membre des Nations Unies. Dans ce cadre institutionnel, l’expression des différentes volontés étatiques se retrouve subsumée, au terme du vote, sous la recommandation ou la décision d’un organe, en l’occurrence du Conseil de sécurité ou de l’Assemblée générale des Nations Unies en matière d’admission. Par là-même, la diversité devient l’unicité : l’organe d’une organisation internationale parle d’une seule voix340. Il y a donc indéniablement confusion entre l’Etat membre de l’organisation et l’organe doté du pouvoir décisionnel. C’est ainsi que, quand bien même, par sa question posée à la CIJ, l’Assemblée générale s’interroge sur l’étendue de la marge d’appréciation des Etats membres de l’Organisation en matière d’admission, l’avis de la CIJ concerne, au final, le pouvoir discrétionnaire du Conseil de sécurité et de l’Assemblée générale aux termes de l’article 4 de la Charte des Nations Unies (et à travers eux, le pouvoir discrétionnaire des Etats qui les composent). Avant d’en venir à la notion de pouvoir discrétionnaire de l’Etat dans le cadre d’une organisation internationale et des organes de celle-ci, un rappel de la « théorie des compétences » s’impose. Les auteurs à l’origine de ce courant ont, en effet, porté une attention particulière à la notion de pouvoir discrétionnaire. 339 On relève notamment dans la doctrine internationaliste francophone une étude doctorale mais relativement datée et loin de traiter de tous les aspects de la question, JOVANOVIC, Restriction des compétences discrétionnaires, op. cit. note 260, et l’article très fouillé de G. CAHIN, « La notion de pouvoir discrétionnaire », op. cit. note 253, pp. 535-600. 340 VIRALLY, « Les actes unilatéraux », op. cit. note 228, p. 253 : « un organe collégial, dont les règles de fonctionnement réduisent à l’unité la pluralité des volontés de ses membres » ; CIJ, avis consultatif sur la Conformité au droit international, op. cit. note 9, p. 442, § 94. 86 a) La « théorie des compétences » Cette théorie postule que les Etats tiennent leurs compétences du droit international. En d’autres termes, c’est le droit international qui attribue aux Etats leurs compétences 341. L’organisation des compétences de ses sujets serait même une « fonction nécessaire » du droit international342. Quant à la réglementation de l’exercice de ces compétences, elle ne serait que sa « fonction possible »343. Ainsi, dans les cas où le droit international ne prescrit pas la manière dont l’Etat devra exercer sa compétence, l’Etat serait libre d’apprécier l’opportunité d’agir ainsi que les modalités de cette action. En d’autres termes, lorsque le droit international est silencieux sur l’exercice d’une compétence, l’Etat est libre de l’exercer comme il l’entend : c’est en ce sens qu’il dispose, selon cette théorie, d’une compétence discrétionnaire344. Dans leur manuel de droit international public, P. Daillier, M. Forteau et A. Pellet font ainsi le lien, dans leur manuel de Droit international public, entre l’étendue de la compétence discrétionnaire et le domaine réservé de l’Etat : toute limitation d’une compétence étatique discrétionnaire réduit la portée du domaine réservé345. La compétence discrétionnaire étant définie de manière négative, cette théorie vise, à terme, à restreindre cette part de non-droit. Selon P. Weil, cette vision du pouvoir discrétionnaire ne saurait cependant être regardée comme épuisant la matière. Si la compétence discrétionnaire peut certes trouver sa source dans l’absence de réglementation juridique ou dans l’existence de normes susceptibles d’interprétations multiples, la possibilité de plusieurs réponses juridiques à un problème 341 J. BASDEVANT, « Règles générales du droit de la paix », 58 RCADI (1936), p. 569. 342 JOVANOVIC, Restriction des compétences discrétionnaires, op. cit. note 260, p. 91, citant une édition ancienne du manuel de Droit international public par NGUYEN QUOC DINH, DAILLIER et PELLET ; BASDEVANT, idem : « c’est là sa tâche première ». 343 JOVANOVIC, idem. 344 BASDEVANT, « Règles générales du droit de la paix », op. cit. note 341, p. 570 (a contrario s’agissant de la compétence discrétionnaire) ; M. BOURQUIN, « Règles générales du droit de la paix », 35 RCADI (1935), p. 101 ; C. ROUSSEAU, Droit international public, tome II, Sirey (1974), p. 88 ; SCELLE, « Règles générale du droit de la paix », op. cit. note 1, p. 416 ; A. VERDROSS, « Règles générales du droit international de la paix », 30 RCADI (1929), p. 356. Voir aussi N. POLITIS, « Le problème des limitations de la souveraineté et la théorie de l’abus des droits dans les rapports internationaux », 6 RCADI (1925), pp. 1-121 (l’auteur considère cependant qu’aucune compétence ne peut être exercée de manière totalement incontrôlée car tout droit doit être exercé conformément à sa finalité sociale, p. 80, or, s’agissant même des domaines qui ne sont pas réglementés par le droit international, les Etats « doivent, avant tout, obéir aux exigences du droit international qui ne leur permet d’user de leur liberté qu’en conformité du but social dans lequel il la leur a reconnue », p. 88, dans le même sens voir SCELLE, ibid., p. 368). 345 DAILLIER, FORTEAU et PELLET, Droit international public, op. cit. note 53, p. 483 ; POLITIS, « La théorie de l’abus des droits », op. cit. note 344, « Chapitre III : La réduction progressive du domaine réservé », pp. 61-109. 87 donné peut tout aussi bien être due à l’existence d’une norme permissive346. Cette norme permissive ouvrirait, de manière positive, une liberté de choix à l’Etat347. P. Weil refuse ainsi d’accepter l’idée formulée de manière négative par les « théoriciens des compétences » selon laquelle la compétence discrétionnaire serait synonyme de non-droit348. b) L’avis de la CIJ sur les conditions d’admission d’un Etat membre des Nations Unies (article 4 de la Charte) L’Assemblée générale des Nations Unies avait demandé à la CIJ de rendre un avis sur la question suivante : « Un membre de l’Organisation des Nations Unies appelé, en vertu de l’article 4 de la Charte, à se prononcer par son vote, soit au Conseil de sécurité, soit à l’Assemblée générale, sur l’admission d’un Etat comme Membre des Nations Unies, est-il juridiquement fondé à faire dépendre son consentement à cette admission de conditions non expressément prévues à l’alinéa I dudit article ? En particulier, peutil, alors qu’il reconnaît que les conditions prévues par ce texte sont remplies par l’Etat en question, subordonner son vote affirmatif à la condition que, en même temps que l’Etat dont il s’agit, d’autres Etats soient également admis comme Membres des Nations Unies ? »349. La question posée avait pour arrière-plan la guerre froide. Dans ce contexte marqué par des prises de positions idéologiques, des Etats faisaient dépendre leur consentement à l’admission d’un Etat de l’admission d’autres Etats candidats ou, de manière générale, s’opposaient à l’admission d’un candidat pour des raisons tenant à l’affrontement Est-Ouest350. Dans son avis, la CIJ observe qu’aux termes de l’article 4 de la Charte, cinq conditions sont requises aux fins de l’admission d’un membre aux Nations Unies : il faut 1) être un Etat ; 2) être pacifique ; 3) accepter les obligations de la Charte ; 4) être capable de remplir lesdites obligations ; 5) être disposé à le faire. La CIJ relève également que, selon l’article 4, toutes ces conditions sont soumises « au jugement de l’Organisation ». La CIJ considère, tout d’abord, que la question vise l’attitude individuelle de chaque Etat membre appelé à se prononcer, qu’il siège au Conseil de sécurité ou, dans tous les cas, à l’Assemblée générale qui décide de l’admission d’un candidat sur recommandation du Conseil de sécurité selon l’article 346 WEIL, « Préface » à l’ouvrage de JOVANOVIC, Restriction des compétences discrétionnaires, op. cit. note 260, p. 7. 347 Idem. 348 Idem. Sous réserve des nuances apportées par POLITIS et de SCELLE quant au respect de la finalité sociale du droit international, voir supra note 344. 349 AG/RES du 17 novembre 1947. 350 Exemple de la candidature de l’Argentine, favorisée par les Etats du bloc Ouest mais à laquelle s’opposait l’Union soviétique. L’Argentine fut admise aux Nations Unies au terme d’un compromis concernant notamment la Biélorussie et l’Ukraine, voir T. GRANT, Admission to the United Nations, Charter Article 4 and the Rise of Universal Organization, Martinus Nijhoff Publishers (2009), pp. 26-27. 88 4 § 2 de la Charte351. La CIJ examine, ensuite, le « sens naturel des termes employés »352 pour conclure que les conditions susvisées ne doivent pas seulement être considérées comme des conditions nécessaires mais aussi suffisantes. A cet égard, la CIJ affirme : « [l’article 4] perdrait sa signification et sa valeur si d’autres conditions, étrangères à celles qui sont prescrites, pouvaient être exigées » 353 . Elle ajoute que des considérations politiques ne sauraient se superposer à ces conditions et faire obstacle à l’admission d’un candidat qui les remplit354, se basant cette fois sur les termes du § 2 de la disposition : « l’admission comme Membre des Nations Unies de tout Etat remplissant ces conditions… »355. La CIJ est donc d’avis, s’agissant de la première partie de la question posée par l’Assemblée générale : « qu’un Membre de l’Organisation des Nations Unies, appelé, en vertu de l’article 4 de la Charte, à se prononcer par son vote, soit au Conseil de sécurité, soit à l’Assemblée générale sur l’admission d’un Etat comme Membre des Nations Unies, n’est pas juridiquement fondé à faire dépendre son consentement à cette admission de conditions non expressément prévues au paragraphe I dudit article »356. La CIJ estime qu’une interprétation contraire conduirait à reconnaître aux Etats un « pouvoir discrétionnaire indéterminé et pratiquement sans limites dans l’exigence des conditions nouvelles »357. Or, selon la CIJ, un pouvoir discrétionnaire de cette nature : « serait incompatible avec le caractère même d’une réglementation qui, par le lien étroit qu’elle établit entre la qualité de Membre et l’observation des principes et des obligations de la Charte, constitue clairement une réglementation juridique en matière d’admission des Etats »358. Cependant, la CIJ admet que le caractère limitatif de l’alinéa 1 de l’article 4 n’exclut pas « une appréciation discrétionnaire des circonstances de fait de nature à permettre de vérifier l’existence des conditions requises » par cette disposition 359 . Cette « appréciation 351 Conditions de l’admission d’un Etat comme Membre des Nations Unies (article 4 de la Charte), CIJ, avis consultatif du 28 mai 1948, CIJ Rec. (1948), p. 62. 352 Idem. Cette méthode est contestée par le juge ALVAREZ dans son opinion individuelle qui prône le recours, aux fins d’interprétation de la Charte, aux « grands principes du droit international nouveau » plutôt qu’à la seule exégèse des textes ou le recours aux travaux préparatoires, CIJ Rec. (1948), p. 67. 353 Ibid., p. 62. 354 Idem. 355 Ibid., p. 63 (« tout Etat » est mis en italique par nous ; « remplissant ces conditions » est en italique dans l’original). 356 Ibid., p. 65. Sur la seconde partie de la question, la Cour estime qu’« un Membre de l’Organisation ne peut, alors qu’il reconnaît que les conditions prévues par ce texte sont remplies par l’Etat en question, subordonner son vote affirmatif à la condition que, en même temps que l’Etat dont il s’agit, d’autres Etats soient également admis comme Membres des Nations Unies » (idem). 357 Ibid., p. 63 (mis en italique par nous). 358 Idem. 359 Idem (mis en italique par nous). 89 discrétionnaire » résulte, selon la CIJ, du caractère « très large et très souple » des conditions énoncées360. Ainsi est permise, aux termes de l’article 4 de la Charte, la prise en considération de « tout élément politique pertinent », c’est-à-dire de tout élément de fait qui, raisonnablement et en toute bonne foi 361, peut être ramené aux conditions d’admission énoncées par l’article 4362. En d’autres termes, seules les considérations politiques étrangères aux conditions de l’article 4 sont exclues des déclarations faites par un Etat membre relativement au vote qu’il se propose d’émettre363. A cet égard, la Cour admet que la question posée par l’Assemblée générale ne concerne que les déclarations des Etats rendues publiques364, et non leur for intérieur qui, lui, se dérobe à toute analyse. Ainsi, un Etat pourrait voter contre l’admission d’un Etat pour des raisons étrangères aux conditions de l’article 4, qui ne se rapporte donc ni à la condition d’être un Etat pacifique, ni à celles d’être capable de remplir les obligations de la Charte et d’être disposé à le faire, mais d’argumenter, de manière officielle en termes de ces conditions. Là est peut-être la limite du droit (international)365. Il faut souligner l’objection, réfutée par la CIJ, tenant à ce que le caractère politique d’un organe, tels que le Conseil de sécurité et l’Assemblée générale, empêcherait toute tentative d’enserrer son « jugement » dans des critères stricts et limitatifs366. La CIJ estime en effet que son interprétation de l’article 4 de la Charte n’apparaît pas en contradiction avec la nature politique des organes des Nations Unies en ce que « l’article 4 fixe le cadre dans lequel s’exerce [leur] liberté [de choisir les motifs de leurs décisions], cadre qui comporte une large 360 Idem. 361 Sur l’impératif de bonne foi dans ce contexte, voir R. KOLB, La bonne foi en droit international public : contribution à l’étude des principes généraux de droit, PUF (2000), pp. 510-514. 362 Idem. Le juge ALVAREZ ajoute, dans son opinion individuelle, que les Etats doivent également s’inspirer des « considérations de justice » lorsqu’ils apprécient si les conditions de l’article 4 sont remplies, ibid., p. 71. 363 ALVAREZ précise que des circonstances exceptionnelles pourraient justifier un vote négatif. Tel serait le cas de l’admission d’un nouvel Etat membre qui serait susceptible d’apporter un trouble au sein de l’organisation internationale (« par exemple, si cette admission [devait] donner une influence très grande à certains groupes d’Etats ou produire de profondes divergences entre eux »). Dès ce moment, la question devient politique et non plus juridique (idem). 364 Ibid., p. 64. 365 Contre un tel « abus de droit », il n’y aurait, selon le juge ALVAREZ, que la réprobation de l’opinion publique, ibid., p. 71. 366 D’après le représentant de l’Inde, le pouvoir discrétionnaire du Conseil de sécurité est « suprême et sans limite d’après la Charte », de même que par nature, le pouvoir discrétionnaire ne peut pas être soumis à une décision judiciaire, cité par I. KERNO, représentant du Secrétaire général des Nations Unies, dans son exposé oral, Mémoires, plaidoiries et documents, Deuxième partie : Séances publiques et plaidoiries, séance du 22 avril 1948, p. 44. 90 marge d’appréciation »367. A cet égard, les conditions d’être un Etat pacifique (« peaceloving State ») et d’être capable et disposé (« able and willing ») à remplir les obligations de la Charte des Nations Unies sont sujettes à interprétation368. Quant à l’argument avancé par certains Etats selon lequel le Conseil de sécurité tirerait de l’article 24 de la Charte une « liberté complète d’appréciation en matière d’admission », la CIJ répond que l’article 4 constitue la lex specialis s’agissant du pouvoir du Conseil en la matière. Au final, la CIJ reconnaît, d’un côté, que les organes des Nations Unies (et à travers eux, chaque Etat membre pris individuellement) disposent d’une large marge d’appréciation aux fins d’évaluer si les candidats remplissent les conditions de l’article 4 de la Charte, mais précise, de l’autre côté, qu’il s’agit d’un pouvoir discrétionnaire limité par le cadre de cette disposition, laquelle fixe la réglementation juridique en matière d’admission des nouveaux membres des Nations Unies369. Ce pouvoir discrétionnaire est de type « faible » selon les termes « dworkiniens » puisqu’il consiste à interpréter des critères posés en amont370. Dès lors, selon l’acception du pouvoir discrétionnaire par R. Kolb, il ne s’agit plus de l’exercice d’une « discrétion » mais d’un « pouvoir d’appréciation qui est inhérent au devoir d’interprétation de l’opérateur »371. Selon R. Kolb, dès lors qu’un pouvoir doit être exercé pour servir une finalité, il n’y a plus de pouvoir discrétionnaire : « la faculté est devenue une fonction, la compétence discrétionnaire une compétence liée »372. 367 Avis Conditions de l’admission, op. cit., note 351, p. 64. 368 Ainsi, selon SCELLE, la « question d’ordre politique d’exiger des Etats qu’ils soient pacifiques » doit être interprétée « de telle façon que l’amour de la paix dont il s’agit aille jusqu’à prendre les armes pour la défendre », « Exposé oral », Mémoires, plaidoiries et documents, Deuxième partie : Séances publiques et plaidoiries, séance du 23 avril 1958, p. 68. 369 C’est, mutatis mutandis, le même raisonnement que tient la CIJ lorsqu’elle affirme, dans son avis Certaines dépenses (1962), op. cit. note 292, que seule une dépense qui a été faite dans l’un des buts des Nations Unies énoncés à l’article 1 de la Charte peut être considérée comme une « des dépenses de l’Organisation au sens du paragraphe 2 de l’article 17 de la Charte », p. 167. 370 Voir supra titre II, première section, 1.2.1.2. 371 R. KOLB, « De la prétendue discrétion de la Cour internationale de justice », L’ordre juridique international, un système en quête d’équité et d’universalité, Liber Amicorum Georges Abi Saab, Martinus Nijhoff Publishers (2001), p. 620. Pour KOLB, le pouvoir discrétionnaire est ce qui échappe au droit. Il utilise l’expression « pouvoir discrétionnaire » selon l’acception qui en est donnée par la tradition civilo-germanique du droit, plutôt qu’anglo-saxonne (pp. 618-620). 372 Ibid., p. 620. C’est ainsi que KOLB conclut que la CIJ ne dispose pas d’un pouvoir discrétionnaire de rendre ou de ne pas rendre un avis consultatif. En effet, la CIJ ne peut refuser de rendre un avis consultatif que pour des « raisons décisives » selon sa propre jurisprudence ou en faisant appel à une « finalité objective » au vu desquelles le refus se justifie. Seules, au fond, les limitations inhérentes à la fonction juridictionnelle pourraient justifier un tel refus (p. 626). 91 Une ambigüité demeure cependant quant à ce que la CIJ considère licite, à savoir, la prise en considération de « tout élément politique pertinent » dans l’appréciation par les Etats des conditions posées par l’article 4 de la Charte. S’agit-il des « considérations d’opportunité » que G. Scelle estime être autorisées dans la mesure où la décision finale de l’Etat n’est pas entachée d’arbitraire ?373 Ces considérations d’opportunité sont inévitables, selon G. Scelle (qui intervient dans le cadre de la procédure consultative au nom du gouvernement français), dès lors que certaines des conditions de l’article 4 posent des questions d’ordre politique et au plus fort d’entre elles, la condition de l’intention de l’Etat de remplir les obligations de la Charte. Sur ce point, il affirme de manière imagée : « la recherche des intentions implique non seulement la possibilité mais l’obligation pour ceux qui doivent vérifier la réalisation des conditions posées par l’article 4, paragraphe I, de sonder les reins et les cœurs ». Toutefois, G. Scelle reconnaît aux Etats une plus grande marge d’appréciation que ne le fait la CIJ dans son avis. Reprenant les termes de la première partie de la question adressée à la Cour par l’Assemblée générale, il exprime l’avis en vertu duquel un Etat appelé à se prononcer sur l’admission d’un Etat comme membre des Nations Unies, est juridiquement fondé à faire dépendre ce vote de conditions non expressément prévus à l’article 4 § 1374. La compétence discrétionnaire dont disposent les Etats à cet égard n’est cependant pas arbitraire. « Une décision arbitraire, c’est la négation du droit, c’est le caprice »375, déclare-t-il lors de sa plaidoirie. En effet, l’Etat qui ferait dépendre son consentement de considérations contraires au « but essentiel des Nations Unies » […] d’établir une collaboration harmonieuse et efficace » entre les Etats membres de l’Organisation, se rendrait coupable d’un « détournement de pouvoir » et par conséquent, d’une décision illégale et par conséquent nulle 376 . Ainsi en est-il, selon lui, des Etats qui font dépendre leur consentement de l’acceptation de la candidature d’autres Etats, puisque cette stratégie empêche tout examen des exigences de l’article 4 § 1 concernant ces derniers. Par ailleurs, G. Scelle, qui distingue la question de l’admissibilité de la candidature du problème de l’admission selon le système de la « double décision »377, estime qu’un Etat qui 373 SCELLE, « Exposé oral », op. cit. note 368, p. 79. 374 Ibid., p. 75. 375 Ibid., p. 76. 376 Idem. 377 Le problème de l’admissibilité de la candidature concerne « les conditions auxquelles toute candidature doit satisfaire pour être recevable » et comporte « l’examen des qualifications que doivent posséder les candidats » tandis que le problème de l’admission de la candidature a trait « à la décision définitive qui devra être prise dans 92 serait convaincu, bona fide, de ce qu’un autre Etat ne remplit pas au moins une des conditions de l’article 4 § 1, serait tenu de voter en défaveur de l’admission de cet Etat378. Dans cette hypothèse particulière, l’Etat disposerait d’une compétence liée et ce, au stade de l’admissibilité de la candidature379. Au contraire, une fois passé le stade de l’admissibilité, les organes des Nations Unies conservent, selon l’interprétation de l’article 4 de la Charte par G. Scelle, une « liberté entière de se prononcer ensuite sur la question de l’admission »380. Cette conclusion à laquelle parvient G. Scelle diffère de celle de la CIJ parce qu’elle se fonde, notamment, sur un postulat différent. En effet, au-delà d’une analyse textuelle de la Charte, la CIJ a pris en considération, aux fins de délinéer l’étendue du pouvoir discrétionnaire dont jouissent les Etats en matière d’admission de nouveaux membres, la vocation des Nations Unies à devenir une organisation universelle. Elle a tenu compte, notamment, de ses buts parmi lesquels figurent le « maintien de la paix et [le] développement de la coopération parmi tous les Etats du monde »381. Le postulat de G. Scelle est tout autre. Adoptant un point de vue sociologique, allant de pair avec sa doctrine selon laquelle les règles de droit positif ne sont que la transcription en droit des nécessités sociales, il considère que la « société internationale » n’est pas encore parvenue, en 1948, au stade de l’évolution où le principe de l’universalité s’impose382. Tandis que la CIJ raisonne en termes de « vocation » des Nations Unies et de manière « normative » au sens où les politologues l’entendent, G. chaque cas particulier à la suite de la vérification des conditions d’admissibilité », ibid., pp. 64-65. Le système de la « double décision » évoque, par ailleurs, les deux étapes successives et distinctes de l’admissibilité d’une réserve et de l’opposabilité à celle-ci par les Etats selon l’avis de la CIJ, Réserves à la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide du 28 mai 1951, CIJ Rec. (1951). 378 SCELLE, ibid., p. 69. 379 Idem : « si, bona fide, chacun des membres des deux organes des Nations Unies acquiert la conviction que les conditions ne sont pas remplies, il est obligatoirement tenu d’émettre un vote négatif. C’est une obligation juridique pour les membres des deux organes de se refuser à admettre l’admissibilité, si toutes les conditions posées à l’article 4, paragraphe 1, ne sont pas remplies ». 380 Ibid., p. 70. Ceci découle, selon SCELLE, des termes de l’article 4 : « Peuvent devenir Membres […] », ainsi que du fait que la Charte ne soit pas bâtie sur le principe de l’universalité, cette question est abordée immédiatement après, dans le corps du texte. 381 ALVAREZ, « Opinion individuelle », op. cit. note 352, p. 68 ; « Exposé du gouvernement hellénique », Mémoires, plaidoiries et documents, Première partie : requête pour avis consultatif et pièces de la procédure écrite, p. 21 : « cette interprétation de l’article 4, alinéa I, se déduit logiquement du principe de l’universalité qui, ainsi que tout le monde le reconnaît, est à la base de l’Organisation des Nations Unies […]. Il serait, en effet, contraire à toute logique d’admettre que les Membres des Nations Unies ont la faculté de faire dépendre de leur pouvoir discrétionnaire la réalisation du principe d’universalité sur lequel se fonde l’Organisation » ; « Exposé du gouvernement belge », ibid., p. 26. Dans l’avis consultatif portant sur les Réserves à la convention, op. cit. note 377, p. 21, la CIJ a relevé le « caractère universel des Nations Unies » (« sous les auspices desquelles la Convention [pour la prévention et la répression du crime de génocide] a été conclue »). 382 SCELLE, « Exposé oral », op. cit. note 368, p. 70. 93 Scelle est plus réaliste et entend décrire la société internationale telle qu’elle est en 1948383. C’est sur la base de ce présupposé, nous semble-t-il, que G. Scelle accorde plus de poids aux considérations d’opportunité que ne le fait la CIJ dans l’appréciation par les Etats des conditions de l’article 4 § 1 : si le principe de l’universalité n’est pas acquis, c’est-à-dire, si tous les Etats ne sont pas voués à devenir membres d’une même communauté (en tout cas dans l’immédiat), l’admission comme membre des Nations Unies ne peut pas et ne doit pas être automatique. Quel que soit l’avis, au final, de la CIJ ou de G. Scelle sur la question posée par l’Assemblée générale, ils s’accordent sur deux points essentiels s’agissant de la notion de pouvoir ou compétence384 discrétionnaire: -­‐ il s’agit d’un espace de liberté irréductible dont dispose un opérateur juridique dès lors qu’il doit appliquer des critères en vue de parvenir à une décision (indépendamment des effets juridiques de celle-ci). Plus les critères sont larges et souples, et plus cette liberté est grande ; -­‐ cet espace de liberté est limité : par le « sens naturel » des termes de la disposition à appliquer et la finalité de celle-ci, selon la CIJ ; par le « but essentiel » de l’entreprise à réaliser, dont la disposition est un rouage, selon G. Scelle. Ces limites étant ellesmêmes sujettes à appréciation (à discrétion !), l’opérateur juridique doit tendre vers elles de bonne foi et dans la mesure de ce qui est raisonnable. Cette esquisse du pouvoir discrétionnaire rappelle l’idée de la « liberté intégrée dans la légalité »385 qui caractérise la notion de pouvoir discrétionnaire en droit interne. Il serait cependant audacieux d’affirmer qu’il existe, en droit international, une véritable « théorisation » ou « conceptualisation » du pouvoir discrétionnaire. Ainsi que le remarquait G. Cahin dans une des rares études consacrées à la notion en droit international, la question du pouvoir discrétionnaire n’occupe qu’une place marginale dans la littérature 383 Ibid., p. 71 : « si nous nous plaçons au point de vue du droit positif, c’est-à-dire de la lex lata, il n’est pas douteux que la Charte de San Francisco rejette délibérément l’idée de l’universalité » ; « le meilleur moyen de préserver l’avenir de cette universalité c’est précisément de ne pas l’admettre trop aisément et prématurément ». 384 SCELLE utilise la notion de « compétence » tandis que la CIJ évoque le « pouvoir » discrétionnaire, sur cette distinction, ou plutôt cette confusion, entre pouvoir et compétence discrétionnaire, voir CAHIN, « La notion de pouvoir discrétionnaire », op. cit. note 253, pp. 540-541. 385 Voir supra, titre II, première section, 1.2.1.1. 94 internationaliste386. De manière paradoxale pourtant, lorsqu’il s’agit de qualifier les pouvoirs du Conseil de sécurité aux termes de l’article 39 et, plus spécifiquement, celui de constater l’existence d’une menace contre la paix, les auteurs emploient à la quasi-unanimité 387 l’expression de pouvoir discrétionnaire : « Il n’est contesté par personne que le Conseil de sécurité jouit, quant au fait même de qualifier une situation conformément à l’article 39, d’un pouvoir discrétionnaire »388. Comment expliquer cet écart entre, d’un côté, la pauvreté du débat doctrinal parmi les internationalistes sur la notion de pouvoir discrétionnaire et, de l’autre côté, l’utilisation fréquente et anodine de la notion à propos du pouvoir du Conseil de sécurité de constater l’existence d’une situation de l’article 39 de la Charte ? Cet écart tient, selon nous, à ce que le sens de l’expression « pouvoir discrétionnaire » se réduit uniquement, dans la doctrine internationaliste, à désigner la liberté dont jouit le Conseil de sécurité pour décider quand, où et de quelle manière la paix est menacée. Ainsi, le débat doctrinal, au lieu d’explorer la consistance et les caractéristiques du pouvoir discrétionnaire du Conseil de sécurité, s’attache à la question : le pouvoir discrétionnaire du Conseil de sécurité de constater une menace contre la paix est-il illimité ou, au contraire, limité par le droit ? 1.2.2.2. Le « pouvoir discrétionnaire » comme expression de la liberté du Conseil de sécurité de constater une menace contre la paix : des limites ou de l’absence de limites à cette liberté a) Le Conseil de sécurité jouit d’un pouvoir discrétionnaire illimité « It is completely within the discretion of the Security Council to decide what constitutes a ‘threat to the peace’ »389. 386 CAHIN, « La notion de pouvoir discrétionnaire », op. cit. note 253, p. 536. Exception doit être faite de la littérature consacrée aux actes des institutions européennes, voir par exemple B. VAN DER ERSCH, Pouvoirs discrétionnaires de l’exécutif européen et contrôle juridictionnel, Dalloz (1968) et D. RITLENG, « Le juge communautaire de la légalité et le pouvoir discrétionnaire des institutions communautaires », AJDA (1999), pp. 645-657. 387 BOTHE et quelques auteurs utilisent l’expression de « marge d’appréciation », voir infra corps du texte auquel se rapporte la note 413. 388 D’ARGENT et al., « article 39 », op. cit. note 21, p. 1140. 389 KELSEN, The Law of the United Nations, op. cit. note 14, p. 727. V. GOWLLAND-DEBBAS reprend mot pour mot cette vue, Collective Responses to Illegal Acts in International Law, United Nations Action in the Question of Southern Rhodesia, Martinus Nijhoff Publishers (1990), p. 453, tout en précisant que le Conseil de sécurité est tenu d’agir dans le respect des buts et principes de la Charte (p. 455). Il n’est pas clair cependant si l’auteur entend se référer, s’agissant de ces limites, à l’action du Conseil de sécurité de constater une menace contre la paix en vertu de l’article 39 ou à son action lorsqu’il adopte des mesures sur la base de ce constat. En effet, elle écrit p. 456 : « the legal validity of the Security Council’s determination cannot be questioned, since as has been stated this was a matter entirely within its discretion ». 95 Les auteurs estimant que le Conseil de sécurité jouit d’une discrétion illimitée pour qualifier une situation de l’article 39390 se fondent, d’abord, sur l’absence de définition de ces situations dans la Charte, absence d’autant plus significative qu’elle était intentionnelle. Les membres originaires des Nations Unies ont en effet délibérément laissé les définitions des situations de l’article 39 ouvertes afin de ne pas entraver la liberté du Conseil de sécurité à cet égard. Il n’y aurait donc aucune limite juridique intrinsèque à la Charte au pouvoir du Conseil de sécurité de constater l’une des situations de l’article 39, pas même les buts et principes des Nations Unies que d’aucuns jugent trop vagues et ambigus pour constituer une limite à l’action du Conseil 391 , et qu’en tout état de cause, le Conseil de sécurité ne saurait méconnaître dès lors que son pouvoir discrétionnaire tire sa source de la Charte même392. Pour H. Kelsen, l’article 39, selon les deux interprétations dont il peut faire l’objet393, confère une immense liberté au Conseil de sécurité de décider, notamment, ce qui constitue une menace contre la paix, révélant ainsi un trait marquant de la Charte, voulu par ses rédacteurs : « the predominance of the political over the legal approach »394. 390 M. AKEHURST, A Modern Introduction to International Law, Routledge (1992), p. 219 (« a threat to the peace is whatever the Security Council says is a threat to the peace ») ; COMBACAU, Le pouvoir de sanction, op. cit. note 11, pp. 99-100 ; D’ARGENT et al., « Article 39 », op. cit. note 21, p. 1142 (« la discretion illimitée dont jouit le Conseil » ; « aucune limite intrinsèque à la qualification effectuée par le Conseil en vertu de l’article 39 ») ; GILL, « Legal and some political limitations », op. cit. note 10, p. 42 (« the Council’s discretion to determine the existence of a threat to the peace is virtually unlimited ») et p. 64 (« the Council’s discretionary powers under Article 39 are not bound by legal considerations ») ; P. KOOIJMANS, « The Enlargement of the Concept ‘Threat to the Peace’ », Le développement du rôle du Conseil de sécurité, op. cit. note 12, p. 111 (« complete discretion ») et p. 117 (« completely free to decide whether a situation constitutes a threat to the peace ») ; Juge WEERAMANTRY, « Opinion dissidente » jointe aux ordonnances du 14 avril 1992 (demande en indication de mesures conservatoires) dans l’affaire dite de Lockerbie (CIJ, Questions d’interprétation et d’application de la Convention de Montréal de 1971 résultant de l’incident aérien de Lockerbie, Libye c. EtatsUnis et Libye c. Royaume-Uni), CIJ Rec. (1992), p. 176 (« totale liberté d’appréciation » ; « pouvoir totalement discrétionnaire »). Voir également G. OOSTHUIZEN, « Playing the Devil’s Advocate : the United Nations Security Council is Unbound by Law », 12 LJIL (1999), pp. 549-563 (notamment à propos du fait que l’article 39 ne contient pas, en soi, de limites à l’action du Conseil de sécurité en général aux termes du Chapitre VII). 391 M. KOSKENNIEMI, « The Place of Law in Collective Security », 17 MichJIL (1995-1996), p. 483. Selon l’auteur, les buts et principes de la Charte sont « no less indeterminate than the original concept of ‘threat to peace’ that they pretend to clarify ». 392 D’ARGENT et al., « Article 39 », op. cit. note 21, pp. 1141-1142 ; CAHIN, « La notion de pouvoir discrétionnaire », op. cit. note 253, pp. 570-571. 393 Selon KELSEN, on peut soit considérer que les mesures coercitives adoptées en vertu de l’article 39 sont des mesures à caractère entièrement politique (« purely political measures »), soit des mesures à caractère de sanctions, c’est-à-dire de mesures prises à l’égard d’un ou de plusieurs Etats en réaction à la violation par celui/ceux-ci d’une obligation de droit international – obligation que le Conseil de sécurité serait susceptible d’avoir créée de manière concomittante au constat de la situation en vertu de l’article 39 (voir sur ce point infra, titre II, seconde section, « propos introductifs »). 394 KELSEN, The Law of the United Nations, op. cit. note 14, p. 735. 96 Le pouvoir discrétionnaire du Conseil de sécurité serait aussi illimité dans la mesure où il n’est pas de nature à être limité par le juge international. Si la Chambre d’appel du TPIY s’est risquée, dans l’affaire Tadic, à « contrôler » la constatation faite par le Conseil de sécurité d’une menace contre la paix en ex-Yougoslavie, il s’agissait d’un « contrôle d’une intensité proche de zéro »395 dès lors, comme on l’a vu, que la Chambre d’appel n’a pas jugé utile « d’examiner plus avant la question des limites du pouvoir discrétionnaire du Conseil de sécurité pour décider de l’existence de cette menace »396. Nous avons également vu, supra, que la CIJ ne s’est pas aventurée sur la voie d’un contrôle de légalité plus important des actes du Conseil de sécurité, compte tenu notamment de la présomption de légalité de l’action des Nations Unies et de la validité des résolutions de ses organes qu’elle a énoncée dans ses avis Certaines dépenses (1962) et Namibie (1971)397. Ainsi, certains auteurs n’imaginent pas qu’un juge ose, un jour, censurer une constatation de l’existence d’une menace contre la paix par le Conseil de sécurité398. De manière générale, M. Bedjaoui a affirmé, en rapport avec l’affaire Lockerbie, que « la [CIJ] n’a généralement pas pour rôle de contrôler en forme d’appel les décisions du Conseil de sécurité dans sa haute mission de maintien de la paix et la sécurité internationales »399. Certains auteurs qualifient, enfin, la pratique du Conseil de sécurité de discrétionnaire de manière à dire qu’elle ne suit pas de logique juridique. Elle est ainsi susceptible de mener à des erreurs et à des abus, en tout cas à un certain opportunisme400. Pour ces « réalistes », la pratique du Conseil de sécurité ne saurait, en raison de la nature politique de l’organe et du caractère exceptionnel des situations visées par l’article 39, se laisser enserrer par des critères juridiques : 395 CAHIN, « La notion de pouvoir discrétionnaire », op. cit. note 253, p. 597. 396 Voir supra note 286. 397 Voir supra notes 288, 290 et 292. 398 D’ARGENT et al., « Article 39 », op. cit. note 21, pp. 1144-1145. 399 BEDJAOUI, Nouvel ordre mondial, op. cit., note 20, p. 60 (la citation se poursuit ainsi : « pas plus que le Conseil n’a pour rôle de se substituer à la Cour en portant atteinte à l’intégrité de sa fonction judiciaire internationale »). 400 G. GAJA, « Réflexions sur le rôle du Conseil de sécurité dans le nouvel ordre mondial », RGDIP (1993), p. 318 ; M. TORELLI, « La dimension humanitaire de la sécurité internationale », Le développement du rôle du Conseil de sécurité, op. cit. note 12, pp. 191-194 (opportunisme tant du point de vue de la décision d’intervenir que du choix entre une résolution à portée obligatoire pour ses destinataires et une recommandation sans portée obligatoire). 97 « En d’autres termes, les mesures qu[e le Conseil de sécurité] adopte éventuellement correspondent à ce qu’il est politiquement en mesure de décider, sur la base de l’accord entre ses membres. Elles ne répondent dès lors pas nécessairement à ce qu’exigerait objectivement la situation »401. En bref, c’est le Conseil de sécurité « qui décide, qui qualifie » et « quoique puissent penser de très bons esprits […] ce qu’il dit est le droit »402. b) Le Conseil de sécurité ne jouit que d’un pouvoir discrétionnaire limité (ou d’une marge d’appréciation) Les auteurs qui considèrent que le pouvoir discrétionnaire dont dispose le Conseil de sécurité aux fins de constater une menace contre la paix n’est pas illimité s’appuient, d’abord et avant tout, sur l’idée que, de même que les Nations Unies sont soumises au respect du droit, le Conseil de sécurité ne saurait disposer de ses pouvoirs de manière totalement insoumise403. Il est tenu, en particulier, d’agir dans le cadre imposé par la Charte des Nations Unies. La distinction établie par la Charte entre les compétences de l’Assemblée générale et du Conseil de sécurité en matière de maintien de la paix et de la sécurité internationales notamment, ainsi qu’entre la nature des pouvoirs du Conseil de sécurité aux termes du Chapitre VI et du Chapitre VII de la Charte, perdrait sinon de sa pertinence404. Ainsi, quand bien même ces auteurs admettent que le Conseil de sécurité dispose d’un pouvoir discrétionnaire au titre de l’article 39, dans la mesure notamment où les situations visées par cette disposition ne sont pas définies par la Charte, ils postulent que ce pouvoir discrétionnaire est limité, qu’il n’est « pas totalement discrétionnaire » 405 ou qu’il est 401 SUR, « Sécurité collective et rétablissement de la paix : la résolution 687 (3 avril 1991) dans l’affaire du Golfe », Le développement du rôle du Conseil de sécurité, op. cit. note 12, pp. 18-19. Selon l’auteur, l’action du Conseil de sécurité relève, aux termes du Chapitre VII, d’un « droit d’exception » et est dominé par une « logique de réaction » (aux menaces et atteintes à la paix, lesquelles constituent une situation exceptionnelle du point de vue de leur gravité) plutôt que par une « logique de situation ». 402 A. PELLET, « Conclusions » in : B. STERN (éd), Les aspects juridiques de la crise et de la guerre du Golfe, Aspects de droit international public et de droit international privé, actes du colloque des 7 et 8 juin 1991, Montchrestien (1991), p. 498 (en italique dans l’original). 403 BOTHE, « Les limites aux pouvoirs du Conseil de sécurité », op. cit. note 19, p. 69.. 404 N. KRISCH, « Article 39 », in : B. SIMMA et al. (éds), The Charter of the United Nations: A Commentary, OUP (2012), p. 1276. 405 LAMB, « Legal Limits », op. cit. note 19, p. 375 (« the determination that there exists such a threat is not a totally unfettered discretion »), l’auteure reprend explicitement les termes utilisés par la Chambre d’appel du TPIY dans l’affaire Tadic, op. cit. note 286, pour qualifier l’étendue des pouvoirs du Conseil de sécurité aux termes de l’article 39 (« la décision selon laquelle il existe une telle menace n'est pas totalement discrétionnaire puisqu'elle doit rester, pour le moins, dans les limites des Buts et Principes de la Charte », § 29), de même qu’elle s’inspire largement du raisonnement tenu par la Chambre d’appel pour parvenir à cette même conclusion 98 « discrétionnaire au sens primaire du terme », c’est-à-dire qu’au contraire du pouvoir arbitraire, il jouit d’une « légitimité rationnelle, originairement légale » 406 . Ce pouvoir discrétionnaire, en particulier celui de constater une menace contre la paix, est limité, selon les auteurs, par les buts et principes de la Charte 407 , par la bonne foi 408 ou par des considérations de légitimité409. Par exemple, E. Lagrange affirme que l’exercice du pouvoir du Conseil de sécurité de constater une menace contre la paix (comme celui d’agir sur le fondement du chapitre VII) doit être gouverné par un « principe de nécessité inhérent au système de la Charte»410. En d’autres termes, le Conseil de sécurité ne peut qualifier une menace contre la paix que si l’exercice de ce pouvoir de qualification est nécessaire à la réalisation des buts poursuivis par les Nations Unies, à savoir le maintien de la paix et la sécurité internationales411. Ainsi : « le Conseil de sécurité peut apprécier discrétionnairement le degré d’urgence que présente une situation et s’abstenir d’agir ou différer son action, quelle que soit l’urgence ressentie par ailleurs. Sans doute doit-il aussi pouvoir prendre autoritairement des mesures de prévention d’une menace pour la paix dont la réalisation n’est pas imminente ou qui a acquis un certain degré de permanence (v. le terrorisme international). Mais une obligation s’impose à lui : ne qualifier de menace pour la paix que des situations que le passage du temps n’a pas rendu, sinon licites, du moins inoffensives (…) »412. (la Chambre d’appel tient le raisonnement suivant : « Il ressort clairement de [l’article 39 de la Charte] que le Conseil de sécurité joue un rôle pivot et exerce un très large pouvoir discrétionnaire aux termes de cet article. Mais cela ne signifie pas que ses pouvoirs sont illimités. Le Conseil de sécurité est un organe d'une organisation internationale, établie par un traité qui sert de cadre constitutionnel à ladite organisation. Le Conseil de sécurité est, par conséquent, assujetti à certaines limites constitutionnelles, aussi larges que puissent être ses pouvoirs tels que définis par la constitution. Ces pouvoirs ne peuvent pas, en tout état de cause, excéder les limites de la compétence de l'Organisation dans son ensemble, pour ne pas mentionner d'autres limites spécifiques ou celles qui peuvent découler de la répartition interne des pouvoirs au sein de l'Organisation. En tout état de cause, ni la lettre ni l'esprit de la Charte ne conçoivent le Conseil de sécurité comme legibus solutus », ibid., § 28). 406 E. LAGRANGE, « Le Conseil de sécurité peut-il violer le droit international ? », 21 Arès n°55, Fascicule 3 (Mai 2005), p. 102. L’auteure reprend la distinction établie par CAHIN (« La notion de pouvoir discrétionnaire », op. cit. note 253, p. 536) entre « arbitraire » et « discrétionnaire », lequel emprunte lui-même une citation à PICARD, « Le pouvoir discrétionnaire en droit français », op. cit. note 259, p. 296, selon laquelle l’arbitraire caractérise les décisions qui « ne puisent leur justification qu’en elles-mêmes, et non à une source véritablement objective et extérieure à leur auteur ». 407 DIEZ DE VELASCO VALLEJO, Les organisations internationales, op. cit. note 235, p. 219 ; LAMB, « Legal Limits », op. cit. note 19, p. 376 ; L. FIELDING, « Taking a Closer Look at Threats to Peace: the Power of the Security Council to Address Humanitarian Crises », 73 UDMLR (1996), p. 557 ; LAGRANGE, « Le Conseil de sécurité peut-il violer », ibid., pp. 112-115. 408 T. FRANCK, « Fairness in the International Legal and Institutional System. General Course on Public International Law », 240 RCADI (1993), p. 192 (« a bona fide ‘threat to the peace […] »). 409 FIELDING, « Taking a Closer Look », op. cit. note 407, p. 557 ; FRANCK, « Fairness », idem. 410 LAGRANGE, « Le Conseil de sécurité peut-il violer », op. cit. note 406, p. 115. 411 Ibid., p. 113. 412 Idem (mis en italique par nous). 99 M. Bothe préfère reconnaître au Conseil de sécurité « non pas un pouvoir discrétionnaire, mais une marge d’appréciation »413. Pour l’auteur allemand, le pouvoir discrétionnaire est synonyme d’une liberté sans bornes, tandis qu’ « il est implicite dans le concept même de marge d’appréciation qu’il ne s’agit pas d’un pouvoir illimité »414. M. Bothe s’appuie à cet égard sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et de la Cour de justice de l’Union européenne, lesquelles, par l’expression « marge d’appréciation », désignent la liberté encadrée des Etats soumis à leur juridiction415. Il est intéressant de noter que M. Bothe est l’un des seuls auteurs, parmi ceux étant d’avis que le Conseil de sécurité ne dispose pas d’un pouvoir illimité, à clairement distinguer d’un point de vue conceptuel entre « pouvoir discrétionnaire » et « marge d’appréciation »416. Etant de nationalité et de formation juridique allemandes, M. Bothe est en effet naturellement conduit à préférer le langage conceptuel développé en droit administratif allemand. Pour rappel, en droit allemand, l’administration ne dispose que d’une marge d’appréciation pour interpréter et appliquer les notions juridiques indéterminées417. Qu’apporterait au débat portant sur la nature et l’étendue des pouvoirs du Conseil de sécurité une véritable théorie du pouvoir discrétionnaire en droit international ? 1.2.2.3. Vers une plus grande « théorisation » de la notion de pouvoir discrétionnaire dans le contexte des pouvoirs du Conseil de sécurité G. Cahin remarquait, dans un article paru en 2003, « l’insuffisante théorisation » des notions de compétences discrétionnaires de l’Etat, indûment confondues, selon lui, avec la notion de compétence nationale ou exclusive de l’Etat418. L’auteur met aussi le doigt sur la manière indifférenciée avec laquelle une partie majoritaire de la doctrine assimile les notions de compétence et de pouvoir discrétionnaire : l’aptitude (légale) d’agir – la compétence - 413 BOTHE, « Les limites aux pouvoirs du Conseil de sécurité », op. cit. note 19, p. 70 (en italique dans l’original). 414 Idem (voir aussi p. 80 a contrario : « champ d’action discrétionnaire et non contrôlable »). 415 Ibid., p. 70. 416 On relève également B. SIMMA, « From Bilateralism to Community Interest in International Law », 250 RCADI (1994), p. 270 (« a wide margin of appreciation, both with regard to the assessment of factual situations and to the legal significance of such events ») qui considère, par ailleurs, que les pouvoirs que le Conseil de sécurité tient de la Charte sont limités par l’observation des buts et principes des Nations Unies inscrits aux articles 1 et 2, sur la base de l’article 24 § 2 ; SCHWEIGMAN, The authority of the Security Council, op. cit. note 20, p. 3. 417 Voir supra titre II, première section, 1.2.1.4. a). 418 CAHIN, « La notion de pouvoir discrétionnaire », op. cit. note 253, p. 538. 100 correspond à la capacité d’agir – le pouvoir. A cette conception, G. Cahin oppose la vision plus rigoureuse d’une minorité de la doctrine : « le pouvoir désigne cette fois l’exercice d’une action par une autorité, et spécialement la production d’actes juridiques, et la compétence, le domaine ou la sphère d’action dans lequel cette autorité est habilité à agir […]. Il résulte de cette précision essentielle que la compétence, au sens strict ici retenu, n’est jamais à proprement parler discrétionnaire ou liée : ce caractère qualifie seul le pouvoir, mais non la compétence, qui ne peut être, elle, en tout cas du point de vue de ses de modalités d’exercice, qu’exclusive ou concurrente»419. Concluant sa série de remarques sur les lacunes du débat doctrinal relatif à la notion de pouvoir discrétionnaire en droit international, G. Cahin déplore que l’expression « pouvoir discrétionnaire » rime encore, pour beaucoup d’auteurs, avec arbitraire. De manière générale, il regrette que la notion de pouvoir discrétionnaire ait une connotation aussi négative parmi la doctrine internationaliste, empêchant la notion de déployer toutes ses potentialités dans l’analyse des pouvoirs d’un organe politique d’une organisation internationale, tel que le Conseil de sécurité. En effet, plusieurs questions se posent quant au pouvoir du Conseil de sécurité de constater une menace contre la paix en vertu de l’article 39 de la Charte, qui bénéficieraient d’un meilleur éclairage de la notion de « pouvoir discrétionnaire » : de manière générale, dans quelle mesure le Conseil de sécurité fonde-t-il son constat sur l’opportunité de constater donc d’agir ? A quels égards le Conseil de sécurité est-il tenu d’agir, c’est-à-dire de constater une situation relevant de l’article 39 et d’agir en conséquence de ce constat ? Cette dernière question recouvre en particulier celle de savoir si le Conseil de sécurité doit constater une menace contre la paix lorsque sont réunis des critères juridiques ayant déjà servi de base à des constats antérieurs (le Conseil de sécurité est-il lié par ses précédents ?420), de même que celle déjà évoquée421 de déterminer si le Conseil de sécurité doit adopter des mesures en vertu du Chapitre VII une fois une situation de l’article 39 constatée ou s’il peut se contenter d’un constat de type « déclaratoire » (qu’implique sa responsabilité principale en matière de maintien de la paix et de la sécurité internationales ?422). Ces différentes questions, répertoriées de manière non exhaustive, témoignent de ce que le constat d’une menace contre la paix par le Conseil de sécurité n’est pas un acte monolithique. Il s’agit d’un véritable processus qui met en jeu plusieurs aspects des pouvoirs du Conseil de 419 Ibid., p. 540 (mis en italique par nous). 420 Voir infra, titre II, seconde section, 1.2. 421 Voir supra corps du texte auquel se rapporte la note 308. 422 Aux termes de l’article 24 § 1 de la Charte. 101 sécurité aux termes de la Charte : entre capacité (il peut) et obligation (il doit), d’agir (l’action) ou de ne pas agir (l’abstention), ayant égard à l’ « indétermination » 423 et le « contenu variable »424 de la notion de menace contre la paix (pouvoir de définition ou d’interprétation ?), le pouvoir du Conseil de sécurité de constater une menace contre la paix a plusieurs facettes. Le caractériser par l’adjectif générique « discrétionnaire » comporte le risque d’en masquer les nuances et les subtilités. Nous proposons donc de distinguer les étapes du processus décisionnel par lequel le Conseil de sécurité constate une menace contre la paix de la manière suivante, selon la nature du pouvoir en jeu, de la manière suivante : -­‐ l’établissement de la matérialité des faits425 ; -­‐ l’appréciation du degré d’urgence de la situation ; -­‐ l’appréciation de l’opportunité d’intervenir (c’est à ce stade qu’intervient l’exercice ou la menace de l’exercice du droit de veto accordé aux membres permanents du Conseil de sécurité) ; -­‐ l’élaboration et l’interprétation des paramètres permettant de dire que la paix est menacée (y a-t-il violation d’une obligation internationale ? existe-il un risque d’un conflit armé interétatique ? etc. ; conformité, prise de distance ou évolution vis-à-vis des constats antérieurs) ; -­‐ l’application de ces « critères »426 ou paramètres à une situation donnée ; -­‐ la transcription de ce constat dans une résolution ; -­‐ l’adoption de mesures du Chapitre VII sur la base de ce constat (se réduisant à la question : le Conseil de sécurité doit-il agir, en recommandant ou en décidant de mesures, en vertu du Chapitre VII, une fois la situation de l’article 39 constatée ?427). 423 Selon les termes de RIALS, voir supra corps du texte auquel se rapporte la note 278. 424 Voir supra note 294. 425 Comporte une marge inévitable d’ « approximation », selon LAGRANGE, due à l’urgence de la démarche, « Le Conseil de sécurité peut-il violer », op. cit. note 406, p. 113. 426 Terme contesté parmi la doctrine internationaliste majoriaire. La discrétionnalité dont jouit le Conseil de sécurité à tous les stades de ce processus, selon la majorité des auteurs, empêche de parler de « critères ». 427 Voir sur ce point KELSEN, The Law of the United Nations, op. cit. note 14, p. 734 : « Since the Council has the choice between recommendations and enforcement measures, it is not possible to maintain that it is under an obligation to take enforcement measures after it has determined the existence of a threat to, or breach of, the peace. The Council ‘shall’ do the one or the other ». 102 Le cadre étant ainsi posé, on peut, soit être d’avis que le Conseil de sécurité bénéficie d’une grande discrétionnalité à chacune des étapes de ce processus (l’appréciation de l’opportunité d’intervenir étant caractéristique de cette liberté), soit affirmer que sa discrétionnalité est plus ou moins grande selon les étapes. Cette infinité de degrés avec lesquels le pouvoir discrétionnaire peut se décliner, G. Cahin la traduit par l’expression de la « consistance du pouvoir discrétionnaire »428. Ainsi, aux fins d’appréhender la « consistance » du pouvoir discrétionnaire d’un organe d’une organisation internationale, cet auteur subsume sous la catégorie de « l’appréciation de l’opportunité d’intervenir » les différentes étapes du processus décisionnel que nous avons décomposé ci-dessus s’agissant du constat par le Conseil de sécurité d’une menace contre la paix. Selon G. Cahin en effet, les deux étapes du processus décisionnel d’un organe qui sont sujettes à l’expression de son pouvoir discrétionnaire sont « l’appréciation de l’opportunité de l’action » (c’est-à-dire, quand l’organe décide « du principe même de son intervention ») et le « choix du contenu de la décision »429. Dans le contexte des pouvoirs du Conseil de sécurité en vertu du Chapitre VII, la première étape correspond au constat par le Conseil de sécurité de l’une des situations de l’article 39 tandis que la seconde correspond au pouvoir du Conseil de sécurité de « recommander » ou de « décider » des mesures en vertu du Chapitre VII sur la base de ce constat préalable430. Nous nous intéressons uniquement, compte tenu de notre objet d’étude, à la première étape du processus décisionnel selon G. Cahin, c’est-à-dire à l’appréciation de l’opportunité de l’action (du constat) par le Conseil de sécurité. A cet égard, ainsi que le précise l’auteur, le pouvoir discrétionnaire est maximal lorsqu’aucune disposition spécifique n’oblige l’organe à agir dans des conditions de fait ou de droit déterminées. Au contraire, le pouvoir discrétionnaire disparaît complètement si l’organe a, dès ces conditions réunies, l’obligation d’agir « sans pouvoir en apprécier l’opportunité »431 (même si, précise G. Cahin, l’organe dispose toujours 428 CAHIN, « La notion de pouvoir discrétionnaire », op. cit. note 253, p. 544. 429 Idem. 430 Quant à cette seconde étape du processus décisionnel en matière de constat d’une menace contre la paix, CAHIN est d’avis (comme pour la première étape, voir immédiatement infra dans le corps du texte) que le Conseil jouit d’un pouvoir discrétionnaire maximal puisqu’il est entièrement libre de choisir, aux termes des articles 41 et 42 de la Charte, entre les mesures militaires et non militaires sans suivre une gradation quelconque, d’autant plus que l’article 41 a été considéré, par le Conseil de sécurité comme par le TPIY (dans l’affaire Tadic) comme n’énumérant pas une liste exhaustive des mesures coercitives de nature non militaire pouvant être décidées à ce titre, ibid., p. 552. 431 Ibid., p. 545. 103 du choix du moment pour agir, sur le modèle de la compétence liée en droit administratif français432). Cette faculté ou cette obligation « d’agir » correspond, s’agissant du constat par le Conseil de sécurité d’une menace contre la paix en vertu de l’article 39, à la faculté ou à l’obligation de celui-ci de « constater ». La « consistance » du pouvoir discrétionnaire dépend également, selon G. Cahin, du degré de précision des conditions auxquelles est subordonnée l’obligation ou la faculté d’agir de l’organe en question433 (s’agissant de la « faculté d’agir », la question ne se pose pas si cette faculté découle de l’absence de texte car dans ce cas il n’y a pas, en effet, de conditions prédéterminées). En effet, plus ces conditions sont précises, moins l’organe aura de liberté pour apprécier leur existence dans un cas d’espèce 434 , même si un degré irrévocable d’appréciation demeure du simple fait que le rapport du droit au fait et des faits au droit requiert toujours une part de jugement 435 . Au contraire, « la liberté d’agir peut n’être subordonnée à aucune condition particulière, ou tout aussi explicitement laissée à la seule et libre appréciation de l’organe »436. S’agissant de notre objet d’étude, G. Cahin écrit que la notion de menace contre la paix, notion totalement indéterminée et inscrite dans la Charte aux fins, précisément, d’élargir le champ d’action du Conseil de sécurité en vertu du Chapitre VII, confère au Conseil de sécurité « le pouvoir discrétionnaire le plus large possible » quant à l’appréciation de l’opportunité d’intervenir437 (le constat d’une menace contre la paix par le Conseil étant le préalable indispensable aux mesures du Chapitre VII qui concrétisent « l’intervention » du Conseil). Ainsi, selon G. Cahin, « le Conseil de sécurité choisit […] librement les bases de 432 Idem. Voir supra titre II, première section, 1.2.1.4. c). 433 CAHIN, « La notion de pouvoir discrétionnaire », op. cit. note 253, pp. 546-547. 434 Dans un sens très voisin, G. ABI-SAAB, « Opinion individuelle », Différend frontalier (Burkina Faso/République du Mali), CIJ, arrêt du 22 décembre 1986, CIJ Rec. (1986), p. 111 : « le rôle de l'organe juridictionnel dans l'identification de cette ligne est fonction du niveau de concrétisation de la ligne en question. Moins il y a de points (ou points de repère) qui interviennent dans la définition de la ligne, plus grande est la marge de liberté (ou degrees of freedom au sens statistique du terme) de l'organe juridictionnel ». 435 Voir supra : la discrétionnalité au sens faible selon DWORKIN, titre II, première section, 1.2.1.2. 436 CAHIN, « La notion de pouvoir discrétionnaire », op. cit. note 253, p. 547. 437 Ibid., p. 548. Il parle aussi de « marge d’appréciation étendue » (ibid., p. 549). Dans ce sens également, voir C. DOMINICE : « on en vient, par une pure fiction, à baptiser ‘menace contre la paix’ des situations qui ne correspondent sans doute pas à cette notion, mais à l’égard desquelles une action paraît souhaitable », « Le Conseil de Sécurité et l’accès aux pouvoirs qu’il reçoit du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies », in : J. BELHUMEUR et L. CONDORELLI (éds), L’ordre juridique international entre tradition et innovation, Recueil d’études Christian Dominicé, PUF (1997), p. 187, voir aussi p. 188, « il se sert de l’article 39 pour se donner les moyens d’agir lorsqu’il estime devoir le faire ». 104 cette action en retenant, parmi les trois situations visées à l’article 39, la qualification qu’il estime la plus opportune parce qu’elle lui laisse le pouvoir discrétionnaire le plus large »438. Ainsi que nous l’avons écrit ci-dessus, il nous semble cependant que l’appréciation par le Conseil de sécurité de l’opportunité d’intervenir vis-à-vis d’une situation donnée (c’est-à-dire, l’opportunité de constater une menace contre la paix) n’est qu’une étape parmi d’autres dans le processus décisionnel global qui aboutit au constat ou à l’absence de constat d’une menace contre la paix par le Conseil de sécurité. 1.2.2.4. Conclusion sur la notion de « pouvoir discrétionnaire » dans le contexte des pouvoirs du Conseil de sécurité Dans le langage de la doctrine, le « pouvoir discrétionnaire » du Conseil de sécurité de constater une menace contre la paix signifie généralement « liberté totale » de le faire. L’expression « pouvoir totalement discrétionnaire » insiste, alors, sur ce pouvoir sans limites. Même lorsque « pouvoir discrétionnaire » rime, pour certains auteurs, avec « liberté encadrée », le débat doctrinal se focalise toujours et encore sur la même question : à savoir, quelles sont les limites à l’action du Conseil de sécurité ? Cette question, aussi intéressante et fondamentale soit-elle, masque les termes d’un autre débat qui porterait sur la nature et la consistance du pouvoir « discrétionnaire » du Conseil de sécurité aux termes de l’article 39, à savoir : le Conseil de sécurité jouit-il d’une latitude d’action de même degré à chacune des différentes étapes cognitives (énoncées supra) qu’implique le constat du Conseil de sécurité aux termes de l’article 39 ? A cet égard, nous suggérons que le « pouvoir discrétionnaire », dans le contexte des pouvoirs du Conseil de sécurité, signifie une latitude d’action susceptible de nuances selon la nature du pouvoir en jeu ; s’agit-il d’établir les faits, d’interpréter une norme de manière concomittante à son application, d’apprécier l’opportunité d’une action au titre du Chapitre VII dans une situation donnée, etc. ? Chacun de ces pouvoirs, qui découlent de la responsabilité principale du Conseil de sécurité de maintenir la paix et la sécurité internationales, est susceptible d’être caractérisé par une latitude d’action d’une intensité différente. A ce stade, la question de savoir si cette latitude d’action est d’un degré comparable à chacune des étapes cognitives du 438 CAHIN, ibid., p. 548. A cet égard, les buts et principes des Nations Unies ne constituent pas, selon l’auteur, une limite en pratique au pouvoir de constat du Conseil de sécurité puisque l’élargissement de la notion de menace contre la paix dans la pratique du Conseil de sécurité (le « de-linking » entre la situation et l’hypothèse d’un conflit armé international, voir à ce sujet et contra : DE WET infra note 876) puise précisément sa justification dans les buts (et principes) des Nations Unies : à savoir, les conditions d’une paix durable (le respect des droits de l’homme notamment). 105 constat par le Conseil de sécurité reste ouverte. Nous reviendrons, néanmoins, à cette question plus loin dans ce travail. Nous percevrons alors les implications d’une telle problématique. S’agissant de la définition du « pouvoir discrétionnaire » que nous avons suggérée cidessus, il convient également de s’interroger sur la latitude primaire du Conseil de sécurité de constater une menace contre la paix aux termes de l’article 39, c’est-à-dire sur la « latitude d’action » susceptible de nuances à chaque étape du processus du constat. Ainsi, si la « latitude d’action » de l’organe découle et dépend des termes de l’instrument constitutif, qu’en est-il de la « liberté » du Conseil de sécurité de constater une menace contre la paix d’après la Charte ? Si l’article 39 s’ouvrait par les termes « le Conseil de sécurité apprécie l’existence d’une menace contre la paix », nous pourrions affirmer sans trop de doute que la Charte confère au Conseil de sécurité une grande marge de liberté pour constater (c’est-à-dire « apprécier ») l’existence d’une menace contre la paix. Mais les termes réels de l’article 39 (« le Conseil de sécurité constate l’existence d’une menace contre la paix ») ne sont pas explicites en ce sens. Au contraire, selon le texte de la Charte, le Conseil de sécurité atteste ce qui existe439. C’est, au fond, de l’indétermination des termes « menace contre la paix » que découle la marge de liberté du Conseil de sécurité aux termes de l’article 39, cette indétermination résultant principalement de la volonté des membres originaires des Nations Unies, lors de la Conférence de San Francisco, de laisser la notion indéfinie au nom d’une plus grande latitude du Conseil de sécurité dans sa mise en oeuvre. Malgré cette indétermination des termes, le Conseil de sécurité n’est pas insensible au droit, ainsi que nous allons le voir ci-après, quant il s’agit de dire s’il existe en l’espèce une menace contre la paix. C’est notamment pour cette raison qu’il n’est pas réellement approprié de dire que la latitude d’action dont jouit le Conseil de sécurité aux fins d’apprécier l’opportunité de son action (selon des considérations qui peuvent être étrangères au droit) est de même « consistance » 440 que celle avec laquelle le Conseil de sécurité interprète et applique la notion de menace contre la paix. 439 A ce propos, voir supra titre II, première section, 1.1.1. 440 Selon l’expression de CAHIN, voir supra corps du texte auquel se rapporte la note 428. 106 2. LE DROIT, CADRE MATERIEL DU CONSTAT PAR LE CONTRE LA PAIX CONSEIL DE SECURITE D’UNE MENACE Remarques terminologiques et problématisation A titre liminaire, quelques remarques terminologiques s’imposent. Il sera question, dans cette partie, de l’influence exercée par le droit international sur le constat, par le Conseil de sécurité, d’une menace contre la paix. Par « le droit, cadre matériel », il faut entendre l’ensemble des normes de droit international exerçant, d’un point de vue matériel, cette influence, à distinguer donc du « cadre analytique » qui concernait le droit international en tant que discipline, comme cadre d’analyse donc. En outre, par « influence », il ne faut pas nécessairement entendre « limite ». S’interroger sur l’influence des normes de droit international sur la pratique du Conseil de sécurité relative à la menace contre la paix ne signifie pas, de prime abord, déterminer les limites juridiques au pouvoir de constat de celuici. Il est possible qu’une telle conclusion s’impose au terme de la recherche, à savoir, que le droit international limite à certains égards le pouvoir du Conseil de sécurité de déterminer l’existence d’une menace contre la paix, mais ce n’est pas l’objet premier de celle-ci dans le cadre de ce travail. Définir l’influence du droit international sur le constat d’une menace contre la paix, c’est s’interroger sur la place du droit dans les débats au Conseil de sécurité relatifs à ce constat. Par l’analyse des discussions menées par les Etats membres du Conseil de sécurité, il s’agit de faire la lumière sur les aspects juridiques saillants441 de la notion de menace contre la paix tels qu’ils ressortent de ces discussions, c’est-à-dire de mettre en exergue les problèmes juridiques que suscitent, parmi les Etats membres, le constat ou le défaut de constat d’une menace contre la paix dans une situation concrète. En d’autres termes, nous nous intéresserons aux arguments de nature juridique formulés par les représentants des Etats lorsque ceux-ci plaident pour le constat d’une menace contre la paix ou, au contraire, lorsque ceux-ci plaident contre. Mais, dès lors qu’il est question de faire état du discours tenu par des représentants d’Etats dans l’enceinte d’un organe politique442, la question émerge de savoir si ce discours ne serait 441 Ces « aspects juridiques saillants » correspondent aux « caractéristiques juridiques essentielles » de la notion de menace contre la paix dont la détermination constitue le but principal de ce travail, voir supra introduction générale. 442 Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis), CIJ, arrêt du 26 novembre 1984 sur la compétence de la Cour et la recevabilité de la requête, CIJ Rec. (1984), p. 435, § 95 : « Le Conseil a des attributions politiques » (par contraste avec la CIJ qui exerce des fonctions judiciaires). 107 juridique qu’en apparence. Ainsi, si un Etat avance un argument juridique mais uniquement aux fins de soutenir sa position établie d’un point de vue stratégique ou géopolitique quant à l’opportunité d’intervenir en application du Chapitre VII de la Charte, s’agit-il encore d’un discours juridique ou ne s’agit-il que de l’enrobage superficiel d’un discours profondément politique ? Avant d’analyser la teneur du discours juridique des Etats membres du Conseil de sécurité relatif à la notion de menace contre la paix (2.2.), il nous a donc paru opportun d’approfondir notre réflexion sur le sens de l’expression « discours juridique » utilisée dans ce contexte (2.1.). 2.1. Le « discours juridique » des Etats membres du Conseil de sécurité « Pour un organe tel que le Conseil de sécurité, dont la raison d’être est le maintien de la paix et de la sécurité internationales, il est, je crois, nécessaire et impérieux que la vérité aille toujours au-delà des subtilités diplomatiques ou des considérations d’amitié personnelle ». Représentant de l’African National Congress au Conseil de sécurité443. Il n’est pas réellement controversé que les Etats argumentent, lorsqu’il s’agit de convaincre les autres Etats de l’existence ou de l’absence d’une menace contre la paix, principalement en droit444. Il serait difficile, en effet, d’imaginer qu’un Etat parvienne à convaincre ses pairs de la nécessité d’une intervention coercitive en vertu du Chapitre VII en faisant uniquement valoir l’opportunité d’une telle action. En effet, une action qui sert les intérêts d’un Etat ne sert pas nécessairement ceux d’un autre. A cet égard, le droit apparaît comme un instrument 443 Invité par les membres du Conseil de sécurité à prendre part aux débats concernant la situation en Afrique du Sud, S/PV.2046, § 107. 444 S’il est besoin de le prouver, voir notre analyse des débats au Conseil de sécurité (infra, titre II, première section, 2.2.) ; pour la doctrine, voir inter alia I. BROWNLIE, « The Decisions of Political Organs », op. cit. note 258, p. 101 ; KRISCH, « Article 39 », op. cit. note 404, p. 1276, qui fait le lien entre les discussions de nature juridique au sein du Conseil de sécurité à propos de l’article 39 et l’existence de limites à la « considerable discretion » (p. 1275) dont le Conseil jouit aux termes de cette disposition (« [Security Council] members regularly debate the limits of the scope of action under Article 39, thus indicating their conviction that the concepts carry some meaning and are not completely indeterminate »), voir aussi p. 1291 (« The debates on these issues also show that States do not understand the interpretation of a ‘threat to the peace’ to be an unbounded concept, entirely at the discretion of the Council. Instead, they take very principled positions on the extent and boundaries of the notion ») ; sur le discours juridique des Etats en général, voir WEIL, « Cours général », op. cit. note 227, p. 49. 108 de persuasion plus objectif que l’argument de l’opportunité, c’est-à-dire au service de ses intérêts propres445. Ce qui est controversé en revanche, c’est le rôle et la valeur qu’il convient de reconnaître au droit dans le discours des Etats sur la scène internationale en général, et de manière particulière, dans l’enceinte du Conseil de sécurité. Pour l’Ecole réaliste des relations internationales, le discours juridique des Etats n’est que l’habillage d’arguments inavouables car égoïstes, c’est-à-dire d’arguments d’opportunité. M. Koskenniemi critique cette conception réductrice de la place du droit dans le discours des Etats. Quant à T. Franck, il plaide en faveur de l’émergence d’un discours juridique « légitimisant » au sein du Conseil de sécurité, preuve de ce que le discours juridique des Etats n’est pas une fiction au service de leurs intérêts propres, mais une nécessité au nom de l’efficacité de l’organisation. Avec ce rapide tour d’horizon de la doctrine qui va suivre, nous verrons que le point de vue des auteurs diffère, quant à la mesure et la place du droit dans le discours des Etats, selon leur conception des rapports qu’entretiennent le droit et la politique sur la scène internationale (2.1.1.). Notre avis, quant à cette question, sera ensuite exposé (2.1.2.). Cet avis, qui s’est évidemment nourri des différents points de vue élaborés par la doctrine, se veut avant tout éclairé par l’analyse de la pratique du Conseil de sécurité. Il sera néanmoins exposé avant celle-ci pour des raisons logiques tenant à la présentation de ce travail. Nous avons tenu, en effet, à distinguer la réflexion sur le « discours juridique » au Conseil de sécurité de l’analyse du discours lui-même. 2.1.1. Points de vue de la doctrine 2.1.1.1. Un « habillage juridique » selon l’Ecole réaliste des relations internationales Selon les « réalistes »446, la fin justifie les moyens. La fin est la politique poursuivie par l’Etat et les moyens, les arguments de droit permettant d’atteindre cette fin447. Selon cette vue, le droit n’est que l’habillage des rapports de forces entre les Etats448. Au final, quelle que soit 445 Voir supra (introduction générale) la citation d’HIGGINS note 17 ; à propos du caractère « objectif » et « dépassionné » du droit dans le contexte des Nations Unies, voir aussi O. SCHACHTER, « Preventing the Internationalization of Internal Conflict : A Legal Analysis of the U.N. Congo Experience », ASIL Proc. (1963), p. 216 (« legal standards are indispensable means for the performance of assigned functions on an impartial and objective basis »). 446 Sur la théorie « réaliste » des relations internationales et sa conception du droit international, voir A. AREND, « Do Legal Rules Matter ? International Law and International Politics », 38 Virginia JIL (1998), pp. 114-116. 447 Cet argument est aussi utilisé par les « négateurs » de l’existence même du droit international, voir WEIL, « Cours général », op. cit. note 227, pp. 43-45 ; AREND, ibid., p. 115 (« legal rules serve state interests »). 448 Pour un résumé des thèses de l’Ecole réaliste vis-à-vis du système de sécurité collective des Nations Unies, voir KOSKENNEMI, « The Place of Law », op. cit. note 391, pp. 463-464. L’auteur distingue la « thèse 109 la teneur de la discussion menée par les diplomates ou les politiciens, le constat d’une menace contre la paix est uniquement guidé par des choix politiques449, ceux des grandes puissances, et le fait que le Conseil de sécurité soit l’auteur de ce constat n’en fait pas l’expression des intérêts de la communauté de tous les Etats450. Les « réalistes » expliquent ainsi que le Conseil de sécurité intervienne de manière sélective : pourquoi la Libye et pourquoi pas Israël 451? L’accent est mis sur la nature politique de l’organe. Dans le sens des « réalistes », T. Gill écrit : « The Council is an organ of collective security, not a law enforcement authority. Its terms of reference are primarily political, although legal considerations can and do play a role in its deliberations and decisions »452. 2.1.1.2. Une « perspective engagée » : la doctrine de M. Koskenniemi M. Koskenniemi considère que le droit international et la politique sont inextricablement liés, sans qu’il soit possible de dire qu’une décision du Conseil de sécurité relève uniquement du droit ou reflète exclusivement les intérêts politiques de ses membres453. Pour reprendre une de ses métaphores, au Conseil de sécurité, le droit et la politique se confondent comme un interprétative » (aucune des actions des Nations Unies ne saurait être interprétée comme étant la mise en œuvre du système de sécurité collective prévu par la Charte : un Etat sera ou ne sera pas qualifié d’agresseur uniquement parce que les Etats les plus puissants en auront décidé ainsi ou, dit autrement, « legal or political principles ‘are not sufficient to explain either the past history of collective security or the course of events in the Gulf’ », A. HURREL, « Collective Security and International Order Revisited », 11 International Relations (1992), p. 49, tel que cité par KOSKENNIEMI, ibid., p. 465, n. 39) de la « thèse causale » (le système de sécurité collective tel que prévu par la Charte des Nations Unies est incapable de fonctionner ou fonctionne uniquement comme un « camouflage » des rapports de force entre les Etats). Ces deux thèses font prévaloir les intérêts politiques des Etats sur les règles juridiques supposées régir le système de la sécurité collective. Voir aussi les doctrines similaires exposées et récusées par HIGGINS, The Development of International Law Through the Political Organs of the United Nations, OUP (1963), p. 9, n. 27. 449 KOSKENNIEMI, ibid., p. 464 (ce n’est pas exactement le point de vue de KOSKENNIEMI, qui, dans ce passage, expose le point de vue de l’Ecole réaliste de droit international). 450 Ibid., p. 466. KOSKENNIEMI partage cette vue, laquelle remet en question les termes de l’article 24 § 1 in fine selon lesquels le Conseil de sécurité, dans la mise en œuvre de sa responsabilité principale en matière de maintien de la paix et de la sécurité internationales, agit au nom de tous les membres des Nations Unies. 451 Ibid., p. 464 : « Selectivity is unavoidable ». 452 GILL, « Legal and some political limitations », op. cit. note 10, p. 46. 453 Dans ce sens également, HIGGINS, The Development of International Law, op. cit. note 448, pp. 7-10 mais surtout p. 9 : « To set up law against politics, or politics against law, is an abortive exercise » ; F. BERMAN, « The UN Charter and the Use of Force », 10 SYBIL (2006), p. 9 ; M. McDOUGAL & F. FELICIANO, Law and Minimum World Public Order, YUP (1961), pp. 1-11 ; O. SCHACHTER, « Dag Hammarskjöld on Law and Politics », 56 AJIL (1962), pp. 1-8 (à propos de D. HAMMARSKJOLD). 110 paysage à l’aurore ou à l’aube, lorsque les teintes du jour se mêlent à celles de la nuit454. Pourtant, le paysage reste le même455. M. Koskenniemi reconnaît, à l’instar des « réalistes », que le droit est un langage utilisé par les diplomates dans le cercle du Conseil de sécurité aux fins de rendre acceptable, vis-à-vis des autres, la position que leur mandat leur impose de défendre456. Cependant il ne pense pas, comme les « réalistes », que le droit n’est qu’un outil de façade. Ce serait nier, en effet, ou en tout cas minimiser « the degree to which any social action, including international activity, makes constant reference to normative codes, rules, or principles »457. Pour M. Koskenniemi, le droit est une grille de lecture partagée, c’est-à-dire qu’il permet à tous les acteurs de la vie internationale de partager leur lecture et leur compréhension des événements internationaux458. Ce sont ces références normatives communes qui permettent d’argumenter, parmi plusieurs usages du recours à la force, lesquels caractérisent une attaque (en termes juridiques, une agression), une réponse à cette attaque (un acte de légitime défense)459, une réponse de l’agressé ou une réponse collective (un acte de légitime défense individuelle ou collective), une réponse autorisée ou non autorisée par le Conseil de sécurité (licite ou 454 KOSKENNIEMI, « The Place of Law », op. cit. note 391, p. 475 (« morning turns into day and the evening begins sooner than we had noticed. In the Security Council, law and politics developed analogously into each other »). 455 Idem (« Likewise, law and politics seemed coherent and separate, yet related to one single reality »). Cette image n’est pas sans rappeller l’exemple que nous avait donné l’auteur lors d’une rencontre. Il avait commencé à dessiner ce qui semblait être un canard. Et puis, tout compte fait et vu d’un autre angle, le canard pouvait aussi être un lapin. Une entrée en matière ludique mais didactique pour dire que le droit et la politique sont comme cette image du lapin et du canard, un même coup de crayon qui, vu d’une seule perspective (celle du canard), peut faire oublier l’image du lapin alors même que les deux dessins (le canard et le lapin) coexistent. L’illusion d’optique du canard-lapin est également utilisée par le philosophe L. WITTGENSTEIN, dans ses Investigations philosophiques (1953) pour expliquer les différences de perception. 456 Ibid., p. 477. 457 Ibid., p. 468 (voir aussi, p. 471 : « I argued that Realism’s causal models were dependent on, or could not be applied in abstraction from, normative choices regarding desirable courses of action »). Dans ce sens, AREND critique la théorie « réaliste » dans la mesure où celle-ci ne prend pas en considération, à tort, le caractère spécial des règles de droit (« the distinctiveness of legal rules ») vis-à-vis des autres « normes » (au sens des politologues, c’est-à-dire tout ce qui exerce une influence sur les actes et les choix d’un Etat). En effet, dès lors que les décideurs politiques considèrent que les règles de droit sont différentes (plus contraignantes) que les autres types de « normes », ces règles de droit emportent plus d’influence sur le comportement des Etats que ne le pensent les « réalistes », « Do Legal Rules Matter ? », op. cit. note 446, p. 118 (voir aussi ibid., p. 142, s’agissant de la théorie à laquelle adhère AREND : « legal rules […] have shared meaning »). 458 KOSKENNIEMI, idem. Le juriste finlandais rejoint ici le point de vue esquissé par O. SCHACHTER dans son bref article, « The Quasi-Judicial Role of the Security Council and the General Assembly », 58 AJIL (1964), p. 962 quant au fait que le droit international constitue un langage commun (ou, en d’autres termes, qu’il existe des références normatives communes) parmi les Etats, membres en l’occurrence d’une organisation internationale. 459 KOSKENNIEMI, idem. 111 illicite)460. Il semble donc que, pour l’auteur finlandais, le droit soit inévitablement au cœur du discours des Etats : non pas nécessairement en tant que limite à leur action ou à celle du Conseil de sécurité (que M. Koskenniemi considère être extrêmement libre selon les termes de la Charte), mais principalement en tant que moyen d’expression de cette action dans des termes normatifs. Des termes que les Etats ne peuvent tout simplement pas ignorer461. Pour illustrer ce point, M. Koskenniemi fait appel à son expérience et ses souvenirs de lorsqu’il était membre de la représentation permanente de la Finlande auprès des Nations Unies à New York. Il rapporte ainsi, qu’en août 1990, peu après l’invasion par l’Irak du Koweït, les Etats membres du Conseil de sécurité mobilisèrent de manière inédite les juristes de leurs délégations respectives afin de clarifier et déterminer les options juridiques qui s’offraient à eux, c’est-à-dire au Conseil de sécurité, pour mettre un terme à l’agression, sanctionner l’agresseur et rétablir la paix dans la région de manière durable. Pour la première fois depuis le début de la guerre froide, les conditions étaient réunies pour que la Charte déploie toutes ses potentialités, la mésentente de principe entre les cinq membres permanents caractéristique de la guerre froide ayant disparu. Il en résulta une foison d’interprétations, parfois divergentes, à propos des pouvoirs du Conseil de sécurité en vertu du Chapitre VII et du mécanisme de légitime défense collective. M. Koskenniemi fut personnellement témoin, dans l’enceinte du Conseil de sécurité de même que dans le contexte de réunions informelles, de ces débats passionnés portant sur l’interprétation et l’application de la Charte des Nations Unies. Aussi anecdotique qu’il soit, ce témoignage n’en est pas moins pertinent pour apprécier la place du droit dans le discours des Etats membres du Conseil de sécurité à l’époque considérée : « I found permanent representatives and political colleagues grouping in the corridors with the little blue book – the U.N. Charter – in their hands, quarreling about the meaning of the various parts of Chapter VII of the Charter (…) and disagreeing about whether Article 42 (military sanctions) needed to be applied in conjunction with Articles 43 and 47 on the provision of national contingents […]. Even Prime Minister Thatcher at one point took pains to argue that the concentration of coalition troops in 460 Ces autres exemples sont de nous, aux fins d’expliciter la pensée de KOSKENNIEMI. 461 Dans le même sens, I. JOHNSTON, « Security Council Deliberations : The Power of the Better Argument », 14 EJIL (2003), p. 439 (« while legal arguments are never decisive in Council deliberations, they do shape the debates and often have an impact on positions taken, at least indirectly »), p. 449 (« Legal discourse […] is a practice that operates on the basis of common understandings and shared beliefs about the relationship governed by the rules in question ») et pp. 452-477 s’agissant spécifiquement du discours juridique au sein du Conseil de sécurité (ayant fait le constat que les représentants des Etats membres du Conseil de sécurité argumentaient en termes de droit international, l’auteur s’intéresse aux raisons pour lesquels le droit international est autant invoqué dans l’enceinte d’un organe politique, même par les Etats les plus puissants). 112 Saudi Arabia before the Council had authorized the use of military force had been a perfectly legitimate application of the right of collective self-defense under Article 51 »462. Le discours juridique des Etats membres du Conseil de sécurité selon M. Koskenniemi ne consiste pas, comme le soutiennent les réalistes, en l’enrobage superficiel de la Realpolitik conduite par les Etats, mais dans le processus par lequel les diplomates font explicitement et inévitablement référence au droit463 lorsqu’ils débattent de questions afférentes à la Charte des Nations Unies : « An enlightened despot or a monkey might sometimes succeed in reciting the right Charter article. What makes these debates legal is the manner in which they are conducted : by open reference to rules and principles instead of in secret and without adequate documentation ; by aiming toward coherence and consistency, instead of a selective bargaining between ‘old boys’(…) »464. Adoptant une « perspective engagée » (« engaged perspective »)465, opposée en cela à celle des « réalistes », M. Koskenniemi soutient, au final, que la seule perspective de la politique ne suffit pas à rendre compte du processus décisionnel du Conseil de sécurité. La vision des « réalistes », réductrice, ignore le langage normatif qui coexiste à côté du langage des rapports de force. La nuit ne saurait totalement obscurcir le jour… 462 KOSKENNIEMI, « The Place of Law », op. cit. note 391, p. 474. 463 AREND, « Do Legal Rules Matter ? », op. cit. note 446, p. 144 : « International Law provides a language for diplomacy. […] When international actors speak, they use the idiom of international law. Decision-making elites in states assert their positions in legal rights. They make legal claims. When, for instance, a state decides to use armed force, it will invariably present its claim in terms of international law » (legal est mis en exergue par l’italique dans l’original). 464 KOSKENNIEMI, ibid., p. 478. SCHACHTER affirme de même, à propos de la situation au Congo en 19601961, que « the Congo experience has shown that even in a turbulent political crisis, governments in a collective body find it necessary to make judgments of legality, seek to justify their behavior in terms of accepted legal criteria, and exhibit an awareness of their own self-interest in the reciprocal observance of such criteria », « Preventing the Internationalization », op. cit. note 445, p. 216. 465 Qui semble partager de nombreux points communs avec la théorie « constructiviste » des relations internationales, voir sur cette théorie, AREND, « Do Legal Rules Matter ? », op. cit. note 446, pp. 125-140. 113 2.1.1.3. Le plaidoyer de T. Franck en faveur d’un « fairness-discourse » au sein du Conseil de sécurité « [...] le Conseil - qui se compose de 15 membres - agit au nom des 175 Etats Membres de l’Organisation. Cela signifie que 160 Etats ont placé leur sécurité, voire leur propre survie, entre les mains des 15. Il s'agit là d'une responsabilité lourde et solennelle que porte chaque membre du Conseil. Il est donc crucial que toute décision prise par le Conseil de sécurité puisse résister à l'examen minutieux des 160 Etats Membres au nom desquels le Conseil est censé agir. Cela ne peut se faire que si le Conseil insiste pour que ses décisions et ses actes continuent de s'inspirer de la Charte ». Représentant du Zimbabwe au Conseil de sécurité466. Selon T. Franck, le discours du Conseil de sécurité doit être le plus « juridique » possible, dans le sens où le Conseil doit pouvoir justifier son action en termes de droit. En effet, la légitimité de son action et la perception de son action comme telle dépendent de ce que le Conseil de sécurité exerce ses pouvoirs conformément aux règles et principes (« rules and standards ») de la Charte, instrument dont il tire la source de ses pouvoirs et dès lors, sa légitimité première467. Mais il faut aussi que le processus par lequel le Conseil de sécurité interprète et applique ces normes soit équitable (« fair »), c’est-à-dire que les critères mis en œuvre par le Conseil s’appliquent de manière indifférenciée à toute situation portée à sa connaissance468. Il faut, encore, pour que son action soit perçue comme légitime, que le Conseil de sécurité constate de bonne foi l’existence d’une situation de l’article 39 de la Charte469. Cet impératif de bonne foi découle, pour T. Franck, de ce qu’un constat du Conseil de sécurité au titre de l’article 39 comporte des effets juridiques importants en vertu de la Charte : la compétence du Conseil pour décider de mesures coercitives – dont l’emploi de la force armée – et, en conséquence de la mise en œuvre du Chapitre VII, l’impossibilité pour un Etat se prévaloir du principe de non-intervention dans les affaires intérieures tiré de l’article 2 § 7 de la Charte470. Mais le coeur du « fairness-discourse » du Conseil de sécurité consiste, pour celui-ci, à éclaircir les bases juridiques de son action de manière à ce que son action soit justifiée – donc légitimée – au regard des règles et des principes édictés par la Charte. T. Franck critique ainsi 466 S/PV.3063, p. 53 (à propos de l’action du Conseil de sécurité dans l’affaire de Lockerbie, voir infra, titre II, première section, 2.2.2.2., cas n° 4). 467 FRANCK, « Fairness », op. cit. note 408, pp. 190-192. 468 Ibid., p. 151. L’auteur parle plus précisément de méthode d’interprétation et d’application impartiale. 469 Ibid., p. 192. 470 Voir article 2 § 7 in fine de la Charte (ainsi qu’infra, titre II, deuxième section, 2.2.3.) et FRANCK, « Fairness », ibid., p. 193 (« Article 2 (7)’s perimeter may only be breached by the Council in connection with an enforcement action, once a bona fide ‘threat to the peace’ has been identified »). 114 le flou ayant caractérisé, d’un point de vue juridique, les bases de l’ « intervention » de la Force des Nations Unies au Congo (1960-1961). Certes, le Conseil de sécurité avait fait référence, dans le préambule de sa résolution 161 (20 février 1961), à « la menace à la paix et à la sécurité internationales »471 qui résultait de la situation au Congo. Dans cette même résolution, il avait autorisé le recours à la force « si besoin est, en dernier ressort » des troupes des Nations Unies stationnées dans le pays, « pour empêcher le déclenchement d’une guerre civile »472. Cependant, la question de savoir s’il s’agissait d’une action coercitive au sens de l’article 42 de la Charte (« enforcement action ») était et reste controversée473. En effet, malgré la référence à la notion de « menace à la paix et à la sécurité internationales » dans le 471 § 3 du préambule (partie A) et §§ 1 et 5 du préambule (partie B). Il est malaisé, en l’espèce, de déterminer si la menace à la paix et à la sécurité internationales était constituée en soi par « le risque d’une guerre civile et d’effusions de sang généralisées au Congo » ou si elle reposait sur un fondement connexe mais distinct conceptuellement, à savoir les répercussions qu’une guerre civile au Congo pourraient avoir sur la paix et la sécurité internationales. En d’autres termes, dans la première hypothèse, c’est la situation interne au Congo, en soi, qui constitue une menace contre la paix, dans la seconde hypothèse, ce sont les répercussions potentielles d’une guerre civile au Congo pour les autres Etats qui menacent la paix et la sécurité internationales. La manière dont la partie A de la résolution est formulée laisserait pencher pour la seconde hypothèse : « Le Conseil de sécurité (…) profondément préoccupé par (…) le risque d’une guerre civile et d’effusions de sang généralisées, ainsi que par la menace à la paix et à la sécurité internationales » (souligné par nous). Le même sentiment ressort de la partie B de la résolution, qui semble faire une distinction entre, d’un côté, les troubles internes au Congo et les dangers d’un conflit à l’intérieur du pays, et de l’autre côté, « la menace à la paix et à la sécurité internationales » (voir notamment § 5 du préambule, partie B). Au final, la résolution laisse le champ libre à la spéculation quant aux raisons ayant motivé le « constat » d’une menace contre la paix par le Conseil de sécurité vis-à-vis de la situation au Congo. Au-delà de ces incertitudes, il semble que le Conseil de sécurité se soit, au fond, appuyé sur l’invitation du gouvernement congolais plutôt que sur le constat d’une situation de l’article 39 de la Charte pour intervenir (voir infra). Selon S. CHESTERMAN, il ne s’agissait pas, en tout cas, d’un constat explicite de l’existence d’une menace contre la paix en vertu de l’article 39 de la Charte, Just War or Just Peace ? Humanitarian intervention and international law, OUP (2001), p. 115. 472 § 1 du dispositif. La Force des Nations Unies avait été créée par la CS/RES/143 (14 juillet 1960). 473 FRANCK, « Fairness », op. cit. note 408, pp. 201-201. Pour une opinion en faveur de la thèse d’une action coercitive au Congo sur le fondement du Chapitre VII, voir notamment F. SEYERSTED, « United Nations Forces, Some Legal Problems », 37 BYBIL (1961), p. 446. Dans son avis Certaines dépenses (1962), la CIJ a estimé que les opérations des Nations Unies au Congo ne constituaient pas une « action » au sens de l’article 11 de la Charte, c’est-à-dire, selon son interprétation, une action fondée sur le Chapitre VII impliquant l’emploi de la force armée contre un Etat dont le Conseil de sécurité aurait préalablement déterminé, en vertu de l’article 39, qu’il se serait rendu coupable d’un acte d’agression ou qu’il aurait attenté à la paix, op. cit. note 292, p. 177. Si on tient strictement aux termes employés par la CIJ, celle-ci n’évoque que deux des situations de l’article 39 : la rupture de la paix et l’agression, laissant a priori ouverte la question de l’existence d’une menace contre la paix. Cependant, la Cour dit clairement à un autre endroit dans son avis que les opérations des Nations Unies au Congo n’étaient pas des actions coercitives rentrant dans le cadre du Chapitre VII, ce qui signifie, implicitement, qu’elles ne reposaient pas sur un constat d’une menace contre la paix en vertu de l’article 39 de la Charte (ibid., p. 166), contra : KRISCH, « Article 39 », op. cit. note 404, p. 1282, qui considère que le Conseil de sécurité a déterminé dans sa CS/RES/161 que la guerre civile au Congo constituait une menace contre la paix aux termes de l’article 39. Voir aussi, s’agissant des différentes opinions des Etats membres du Conseil de sécurité et du Secrétaire général des Nations Unies sur ce point, Répertoire de la pratique du Conseil de sécurité (1959-1966), p. 198, § 12. 115 préambule de la résolution précitée, le Conseil de sécurité n’a pas basé son autorisation du recours à la force sur le constat de celle-ci. T. Franck déplore, à cet égard, que le Conseil ait préféré s’appuyer, pour des raisons politiques, sur l’invitation du gouvernement congolais474. A son avis, de nombreuses circonstances de fait auraient pu être invoquées par le Conseil pour justifier l’existence d’une menace contre la paix au sens de l’article 39 de la Charte et rendre légitime - car légale et non équivoque - une action en vertu du Chapitre VII. Ainsi : « In theory, it would not have been difficult to find a legitimating rationale for the United Nations role. A Council resolution might have decided the collapse of central governmental authority had created a vacuum of great potential danger, one into which competing national interests might rush, thereby transforming the Congo’s civil agony into a surrogate regional and global war. The Council, following the Secretary-General’s lead, could have decided to identify this as a « threat to the peace ». Alternatively, the Council could have relied upon the presence of foreign mercenaries and militias to find a threat to the peace justifying recourse to Article 42. However, if either of these theories were in the minds of Council members, they did not feel it prudent to say so. In not basing the United Nations action credibly on Charter principles, but on expediency, the Council seemed to underrate the importance of both perceived legitimacy and fairness to its success and to the authority of the United Nations »475. Au final, sous forme d’un plaidoyer, T. Franck argue de ce qu’un véritable « fairnessdiscourse »476 de la part des Etats au sein du Conseil de sécurité, c’est-à-dire un discours qui clarifierait les bases du constat d’une menace contre la paix dans une situation donnée, permettrait de comprendre les raisons pour lesquelles le Conseil de sécurité s’est abstenu de constater l’existence d’une menace dans une situation présentant en apparence les mêmes caractéristiques477. Ainsi, T. Franck affirme que, s’agissant de la Rhodésie du Sud et de l’Afrique du Sud, les résolutions du Conseil de sécurité ont fait naître l’idée que la violation grave et persistante par un gouvernement des droits fondamentaux de ses citoyens (le droit à l’autodétermination des peuples et l’interdiction de l’apartheid respectivement) pouvait 474 FRANCK, « Fairness », op. cit. note 408, p. 202. Ceci ressort tant de la CS/RES/143 du 14 juillet 1960 qui prend acte (à l’alinéa 2 du préambule) de la demande d’assistance militaire adressée au Secrétaire général par le gouvernement congolais (télégramme du 13 juillet 1960, S/4382), que des déclarations des Etats membres du Conseil de sécurité qui considéraient, dans leur majorité, que l’intervention des Nations Unies n’était destinée qu’à aider le Congo à réorganiser ses forces armées et qu’en aucun cas celui-ci ne devait être dépossédé de sa souveraineté dans le règlement de la situation, voir notamment les déclarations de la Tunisie, S/PV.920, § 137 ; Chili, S/PV.942, § 36 ; France, ibid., § 44 et Etats-Unis, ibid., § 101. 475 FRANCK, « Fairness », op. cit. note 408, p. 200 (souligné par nous). 476 KOSKENNIEMI aborde ce problème (de « procedural fairness ») sous l’angle de la « secrecy » des discussions informelles menées entre les Etats membres du Conseil de sécurité qui ne font pas l’objet de procèsverbaux, « The Place of Law », op. cit. note 391, pp. 485-486 (voir sur les méthodes de travail du Conseil de sécurité, les références citées supra note 15). 477 Dans le même sens R. GORDON, « United Nations Intervention in Internal Conflicts : Iraq, Somalia, and Beyond », 15 MichJIL (1993), p. 583 : « By indicating more specifically the basis for a particular outcome in a particular case, norms will begin to emerge on such issues as what constitutes a ‘threat’ to the peace ». 116 menacer la paix au sens de l’article 39 de la Charte, même en l’absence de guerre civile478. Mais, souligne T. Franck, « not every violation of human rights law would rise to that level »479, sans quoi chaque Etat responsable de graves violations des droits de l’homme serait concerné, ce qui n’est pas le cas au regard de la pratique du Conseil de sécurité. En l’absence donc d’un véritable « fairness-discourse » précisant les circonstances exactes dans lesquelles des violations massives des droits de l’homme par un gouvernement sont susceptibles d’être qualifiées de menace contre la paix, la pratique du Conseil de sécurité apparaît incohérente. Elle souffre par là-même d’un manque de légitimité selon l’auteur américain. 2.1.2. Notre point de vue : l’interprétation d’un concept ancré dans un traité international La menace contre la paix, telle que nous l’étudions dans le cadre de ce travail, est un concept ancré dans la Charte des Nations Unies. Ce constat entraîne deux conséquences majeures. La première, c’est que la Charte étant un traité international, la notion de menace contre la paix a incontestablement une existence juridique. La deuxième, c’est que les Etats membres du Conseil de sécurité, dès lors qu’ils évoquent cette notion aux fins de la mettre en œuvre (ou, au contraire, de refuser d’en faire usage), font inévitablement vivre la Charte et son article 39 en particulier. A cet égard, leur discours afférent à la notion de menace contre la paix (à savoir, à un concept juridique en raison de son inscription dans un traité) intéresse le droit international et non pas seulement la science politique. Leur discours est en effet un discours juridique, bien que celui-ci conserve des aspects politiques. A cet égard, même si le droit international n’était qu’un outil de façade pour les Etats de manière à enrober leurs arguments politiques, leurs arguments juridiques n’en produiraient pas moins d’effet 480 . L’analyse de la pratique du Conseil de sécurité qui va suivre confirme cette théorie. Les Etats membres du Conseil de sécurité ne font ni abstraction des termes de la Charte ni des 478 FRANCK, « Fairness », op. cit. note 408, p. 203, à propos de la Rhodésie du Sud (voir la CS/RES/232 du 16 décembre 1966). L’auteur précise néanmoins que la négation des droits fondamentaux d’une partie de la population à la suite d’un acte de sécession est susceptible de mener à une guerre civile, comme ce fut le cas en Ex-Yougoslavie et suite au démembrement de l’URSS. 479 Ibid., p. 204. L’auteur semble émettre l’idée, à cet égard, que la menace contre la paix découlerait, dans ces circonstances (Rhodésie du Sud et Afrique du Sud), de ce qu’un tel comportement de l’Etat vis-à-vis de ses citoyens n’est pas étranger à la propension de celui-ci à déclencher une guerre (« the historically demonstrable connection between the proscribed behaviour and a propensity to war »). Voir infra titre III s’agissant du lien entre la notion de menace contre la paix et l’hypothèse ou l’existence d’un conflit armé international. 480 Voir, mutatis mutandis, GRANT quant à la nature de la discussion au Conseil de sécurité sur l’admission de nouveaux membres aux Nations Unies : « The objections to admission to Japan and Mogolia to be sure were motivated by Cold War considerations of balance in the Assembly, but member States debating the matter expressed their objections in reference to the substantive criteria of Article 4(1) [of the Charter] », Admission to the United Nations, op. cit. note 350, p. 87 (souligné par nous). 117 précédents481 lorsqu’il est question de constater (ou de s’opposer au constat de) l’existence d’une menace contre la paix. 2.2. Analyse du discours juridique des Etats membres du Conseil de sécurité relatif à la menace contre la paix « Il n’est qu’un droit que le Conseil de sécurité ne possède pas, c’est celui de méconnaître les réalités de la vie, de méconnaître une menace à la paix et à la sécurité, de méconnaître les causes principales d’une tension internationale et d’un conflit international. Ce droit lui est refusé aussi bien dans la Charte qu’au regard des ses activités des vingt-six dernières années ». Représentant de l’URSS au Conseil de sécurité482 La situation-type Ainsi que nous l’avons annoncé ci-dessus483, il s’agit, par l’analyse du discours juridique des Etats au Conseil de sécurité, d’identifier les points de droit autour desquels s’articule le débat entre les partisans et les adversaires du constat d’une menace contre la paix dans une situation donnée. Nous n’étudierons pas l’ensemble des situations ayant donné lieu à un débat au Conseil de sécurité sur l’existence (ou non) d’une menace contre la paix484. Optant pour une méthode qualitative, nous examinerons dans le détail une ou plusieurs situations-type pour chacun des problèmes juridiques soulevés par les Etats membres en matière d’application de l’article 39 eu égard spécifiquement à la notion de menace contre la paix. 481 La question de savoir si le Conseil de sécurité est lié par ses précédents sera cependant abordée dans la seconde section du titre II (infra) concernant l’apport du Conseil de sécurité, par sa pratique relative au constat d’une menace contre la paix, au droit international. En effet, par son interprétation et son application (même casuistique) de la notion de menace contre la paix de l’article 39, le Conseil de sécurité « nourrit » la notion dont la coquille avait délibérément été laissée vide à San Francisco en 1945. C’est dans ce sens que nous considérons qu’il s’agit d’un apport au droit, en l’occurrence de la Charte. 482 S/PV.1608 (examen de la situation entre l’Inde et le Pakistan en 1971). 483 Voir supra « propos introductifs et problématisation », titre II, première section, 2. 484 Pour une analyse systématique des résolutions du Conseil de sécurité constatant une menace contre la paix aux termes de l’article 39 de la Charte, voir ARNTZ, Der Begriff der Friedensbedrohung, op. cit. note 12, pp. 77-109 (jusqu’à 1974) ; M. LAILACH, Die Wahrung des Weltfriedens und der internationalen Sicherheit als Aufgabe des Sicherheitsrates der Vereinten Nationen, Duncker & Humblot (1998), pp. 53-131 (jusqu’à 1994) ; ZAMBELLI, La constatation, op. cit. note 12, pp. 201-264 (jusqu’à 1999) ; SCHÄFER, Der Begriff, op. cit. note 12, pp. 59-210 (jusqu’à 2003) ; s’agissant de l’analyse des résolutions du Conseil de sécurité les plus récentes (jusqu’à 2012), voir le commentaire de l’article 39 de la Charte (dans son édition 2012) par KRISCH, op. cit. note 404, pp. 1280-1291 ; voir également Répertoire de la pratique du Conseil de sécurité, op. cit. note 23 (accessible en ligne) qui comporte un résumé analytique des résolutions du Conseil de sécurité relatives à l’article 39 (même si la disposition n’est pas explicitement mentionnée dans la résolution) et des débats au Conseil de sécurité au cours desquels des Etats membres ont invoqué l’article 39 ou les termes de cette disposition. 118 Par « situation-type », il faut entendre une situation ayant donné lieu à une riche discussion parmi les membres du Conseil de sécurité quant au constat (ou non) d’une menace contre la paix485. Cette situation est « type » dans la mesure où les points de discorde entre les Etats membres révèlent, de manière plus nette qu’à propos d’autres situations, un « type » de problème juridique généré par l’application de l’article 39 de la Charte dans un cas concret. Nous avons distingué, parmi ces problèmes juridiques, ceux ayant trait à la forme du constat d’une menace contre la paix (2.2.1.) de ceux relatifs aux conditions de fond de ce constat (2.2.2.). Un avertissement s’impose cependant à ce stade : il ne sera question, dans cette partie, que de l’exposé des problèmes juridiques relatifs à la notion de menace contre la paix ou, en d’autres termes, de la mise en lumière de ses traits juridiques saillants (de même que si nous voulions faire ressortir les différentes facettes d’une pierre taillée), et non de réponses en tant que telles à ces problèmes juridiques selon la pratique du Conseil de sécurité ou le droit issu de la Charte486. 2.2.1. Le discours juridique sur les conditions de forme du constat (communes aux trois situations de l’article 39) 2.2.1.1. Le constat d’une situation de l’article 39 : un préalable obligatoire à la mise en œuvre du Chapitre VII « Une fois constatée l’existence d’une menace contre la paix, aux termes de l’article 39, le Conseil de sécurité est en droit de recourir à toute mesure mentionnée aux articles 41 ou 42, en vue de prévenir une rupture de la paix ou de maintenir la paix et la sécurité internationales. Je n’ai mentionné ces questions que pour faire ressortir combien est grave et solennelle la constatation qu’il y a menace contre la paix aux termes de l’article 39 ». Représentant de l’Australie au Conseil de sécurité487. Le Conseil de sécurité doit constater l’existence d’une des trois situations de l’article 39 afin de pouvoir décider ou recommander des mesures sur le fondement du Chapitre VII. Cette exigence découle d’une interprétation littérale des termes de l’article 39 : 485 Si nous ferons mention, parfois, de situations qui n’ont pas suscité de discussions particulières vis-à-vis d’un problème juridique en particulier, ce sera de manière à mettre en lumière (par un effet de contraste) la teneur de la discussion se rapportant à une autre situation vis-à-vis d’un même problème juridique. 486 Il sera néanmoins question, occasionnellement, de l’interprétation littérale de la Charte ou de la pratique du Conseil de sécurité vis-à-vis d’un problème juridique donné, soit en ce qu’elle constitue une hypothèse de départ à partir de laquelle le problème juridique et les déclarations des Etats membres sont mis en lumière, soit de manière à rendre compte de l’évolution de la teneur de la discussion, quant au problème juridique, parmi les Etats membres. 487 S/PV.47, p. 375 (à propos de la « question espagnole »). 119 « Le Conseil de sécurité constate l’existence d’une menace contre la paix, d’une rupture de la paix ou d’un acte d’agression et fait des recommandations ou décide quelles mesures seront prises conformément aux articles 41 et 42 pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationales »488. Elle ne connaît qu’une exception dans le cadre du Chapitre VII : l’article 40, en vertu duquel le Conseil de sécurité peut inviter les parties (à un différend ou à un conflit) à se conformer à des mesures provisoires afin d’empêcher la situation de s’aggraver. L’article 40 dispose en effet que : « Afin d’empêcher la situation de s’aggraver, le Conseil de sécurité, avant de faire les recommandations ou de décider de mesures à prendre conformément à l’Article 39, peut inviter les parties intéressées à se conformer aux mesures provisoires qu’il juge nécessaires ou souhaitables. Ces mesures provisoires ne préjugent en rien les droits, les prétentions ou la position des parties intéressées. En cas de non-exécution de ces mesures provisoires, le Conseil de sécurité tient dûment compte de cette défaillance »489. Il découle donc du texte de l’article 40 de la Charte que le Conseil de sécurité peut adopter des mesures provisoires, dans le cadre du Chapitre VII, sans avoir au préalable procédé au constat de l’une des situations de l’article 39 (comme il peut également décidé de procéder à un constat préalable). La question de savoir si le constat préalable d’une situation de l’article 39 constitue une exigence (exception faite de l’article 40) dont le respect s’impose au Conseil de sécurité n’a pas, en soi, suscité de controverse ni parmi les Etats membres du Conseil de sécurité, ni parmi la doctrine490. Au demeurant, il ne s’agit pas véritablement d’une question de forme mais de 488 Mis en italique par nous. C’est encore plus clair dans la version anglaise de la Charte : « The Security Council shall determine the existence of any threat to the peace, breach of the peace, or act of aggression and shall make recommendations, or decide what measures shall be taken in accordance with Articles 41 and 42, to maintain or restore international peace and security » (souligné par nous). 489 Mis en italique par nous. Voir notamment HIGGINS, The Development of International Law, op. cit. note note 448, pp. 235-236 ; H. KELSEN, « Collective Security and Self-Defense under the Charter of the United Nations », 42 AJIL (1948), p. 783, mettant en exergue l’ambiguïté de la pratique du Conseil de sécurité à cet égard dés les premières années (voir également sur ce point les développements infra concernant l’intervention des Nations Unies au Congo). 490 Les références aux déclarations des Etats membres sont trop nombreuses pour être répertoriées. Un exemple a cependant été indiqué à titre d’incipit de cette partie (déclaration du représentant de l’Australie). La doctrine s’appuie principalement sur une interprétation littérale des termes de l’article 39 pour affirmer qu’il s’agit d’une condition préalable à la mise en œuvre du Chapitre VII, voir parmi une infinité d’autres, CONFORTI, « Le pouvoir discrétionnaire », op. cit. note 249, p. 52 (« une condition indispensable mais également suffisante de toute résolution prise conformément au Chapitre VII ») ; M. SHAW, International Law, CUP (2008), pp. 12361237 (« Before the Council can adopt measures relating to the enforcement of world peace, article 39 of the Charter requires that is must first ‘determine the existence of any threat to the peace, breach of the peace or act of aggression’. This is the key to the collective security system ») ; M. VIRALLY, L’Organisation mondiale, A. Colin (1972), p. 453 (« il n’est évidemment pas indispensable que le Conseil de sécurité détermine dans chaque cas quelle est celle de ces qualifications [de l’article 39] qui s’applique en l’espèce. Mais il faut que l’on se trouve dans l’une de ces trois hypothèses pour qu’il puisse utiliser les pouvoirs qu’il tient du Chapitre VII. Les divergences de vues survenant presque toujours entre ses membres dans les affaires dont il a eu à s’occuper 120 fond, la mise en œuvre des mesures du Chapitre VII étant conditionnée au constat d’une situation de l’article 39 de la Charte (elle concerne néanmoins la forme du constat en ce que l’exigence d’un constat préalable à la mise en œuvre du Chapitre VII rend d’autant plus importante la question de conditions de forme dudit constat). Une situation particulière s’est cependant présentée, tenant à la mise en œuvre de la résolution « Union pour le maintien de la paix » adoptée par l’Assemblée générale et la question du constat d’une situation de l’article 39 préalable à la « saisine » de l’Assemblée générale. 2.2.1.2. La question de savoir si, dans le cadre de l’application de la résolution « Union pour le maintien de la paix », un constat préalable par le Conseil de sécurité d’une situation de l’article 39 est nécessaire L’Egypte s’était plaint auprès du Conseil de sécurité de l’intervention anglo-française dans le Canal de Suez491. Par la résolution 119, adoptée le 31 octobre 1956, le Conseil de sécurité, notant que le manque d’unanimité parmi ses membres permanents l’empêchait de s’acquitter de « sa responsabilité principale dans le maintien de la paix et de la sécurité internationales », convoqua une session extraordinaire d’urgence de l’Assemblée générale afin de faire les recommandations appropriées dans cette affaire492. La résolution fut adoptée malgré le vote expliquent suffisamment sa discrétion. Il faut donc admettre que, lorsque le Conseil de sécurité se place dans le cadre de ce chapitre, c’est qu’il a admis implicitement qu’il se trouvait en face de l’une des trois situations définies à l’article 39 ») ; C. DOMINICE, « Le Conseil de sécurité et l’accès aux pouvoirs », op. cit. note 437, p. 190 (« l’article 39, qui constitue une forme de passage obligé ») et p. 195 (de « sésame » pour la mise en œuvre du Chapitre VII) ; BEN MESSAOUD, « La catégorie ‘menace contre la paix’ », op. cit. note 234, p. 178 (« une condition préalable et nécessaire au déclenchement des mesures prévues au Chapitre VII ») ; R. BEN ACHOUR, « L’action des Nations Unies en matière de maintien de la paix » (« la clé pour l’exercice d’un certain nombre de conditions ultérieures » (cité par BEN MESSAOUD, idem) ; CHESTERMAN, Just War or Just Peace ?, op. cit. note 471, p. 124 ; M. FRAAS, Sicherheitsrat der Vereinten Nationen und Internationaler Gerichtshof, Peter Lang (1998), p. 58 ; GILL, « Legal and some political limitations », op. cit. note 10, pp. 39-40 ; L. GOODRICH & A. SIMONS, The United Nations and the maintenance of international peace and security, The Brookings Institution (1955), pp. 346-347 ; V. GOWLLAND-DEBAS, « Security Council Enforcement Action and Issue of State Responsibility », 43 ICLQ (1994), p. 61 ; LAUTERPACHT (éd), Oppenheim’s International Law, Vol. II : Disputes, War and Neutrality, pp. 162-163 et p. 168 ; M. MATHESON, Council Unbound, The Growth of UN Decision Making on Conflict and Postconflict issues after the Cold War, US Institute of Peace Press (2006), p. 34. 491 Laquelle prendrait fin, selon le représentant du Royaume-Uni, « dès qu’aura disparu la menace contre la paix » (S/PV.751, § 48), alors même que le Conseil de sécurité n’avait constaté aucune menace de ce genre. C’est un exemple d’un glissement sémantique des termes de l’article 39 (selon cette dernière disposition, seul le Conseil de sécurité est habilité à constater une telle situation) vers un discours juridique tendant à justifier un recours à la force par deux Etats en-dehors du cadre d’une action autorisée par le Conseil de sécurité (voir sur cette justification, ibid., § 50 ; France, ibid., §§ 59 et 61 ; pour une critique de cette justification, voir Iran, ibid., § 68). 492 Pour ces recommandations, voir les AG/RES/997 à 1003 adoptées lors de la première session extraordinaire d’urgence de l’Assemblée générale du 1er au 10 novembre 1956 (UN Doc. A/3354), au cours de laquelle 121 contraire de deux des membres permanents du Conseil de sécurité, la France et le RoyaumeUni. Ceux-ci considéraient, en effet, que la résolution 377 « Union pour le maintien de la paix »493 (adoptée le 3 novembre 1950 par l’Assemblée générale), sur laquelle se basait le projet de résolution en réponse à la plainte égyptienne, ne pouvait être invoquée qu’après qu’il y avait eu « action » du Conseil de sécurité en vertu du Chapitre VII. Or, il ne pouvait y avoir « action » en vertu du Chapitre VII que si le Conseil de sécurité avait constaté l’existence d’une menace contre la paix, d’une rupture de la paix ou d’un acte d’agression. Force était de constater, selon ces deux Etats, que le projet de résolution dont le Conseil de sécurité était saisi n’opérait aucune constatation de ce genre et qu’il était donc en contradiction avec la résolution « Union pour le maintien de la paix » sur laquelle il prétendait se fonder494. La question de savoir si la mise en œuvre de la résolution « Union pour le maintien de la paix » exige le constat préalable d’une situation de l’article 39 par le Conseil de sécurité était donc controversée, bien qu’il faille tenir compte du fait que la controverse, de nature juridique, était suscitée par deux membres du Conseil de sécurité mis en défaut, sur le plan politique, par les autres membres (et de manière générale, par une grande partie de la communauté internationale). Si l’on s’en tient aux termes de la résolution « Union pour le maintien de la paix », le constat d’une situation de l’article 39 par le Conseil de sécurité n’est pas une condition de la compétence de l’Assemblée générale pour connaître de la situation. Premièrement, la résolution par laquelle le Conseil de sécurité convoque une session extraordinaire d’urgence de l’Assemblée générale est traitée comme étant une « question de procédure » aux termes de l’article 27 § 2 de la Charte495. En effet, en vertu des mêmes conditions posées par l’article 27 § 2 de la Charte, l’article 1 de la résolution « Union pour le maintien de la paix » dispose qu’un vote affirmatif de sept496 « quelconques » (permanent ou l’Assemblée a notamment procédé à la création d’un « Commandement des Nations Unies pour une Force internationale d’urgence chargée d’assurer et de surveiller la cessation des hostilités » (AG/RES/1000). 493 Egalement appelée « Dean Acheson » du nom de son concepteur. 494 Royaume-Uni, S/PV.751, §§ 93-94 et France, ibid., § 97. 495 C’était également le point de vue du représentant de la France, à propos du renvoi devant l’Assemblée générale de la question de la situation dans les territoires palestiniens occupés, qui considérait que la CS/RES/500, adoptée le 28 janvier 1982, constituait une « décision de procédure » (S/PV.2330, § 36). 496 A noter qu’à l’époque de l’adoption de la résolution « Union pour le maintien de la paix », en 1950, le Conseil de sécurité était composé de onze membres, parmi lesquels cinq disposaient d’un siège permanent et six d’un siège non permanent. Il faut lire actuellement « neuf quelconques des membres du Conseil de sécurité ». 122 non permanent) des membres du Conseil de sécurité suffit pour que la résolution soit adoptée, en l’occurrence pour que l’Assemblée générale soit convoquée et se retrouve saisie de la question497. Il ne s’agit donc pas d’une résolution qui permet au Conseil de sécurité de recommander ou de décider de mesures en vertu du Chapitre VII, laquelle exige effectivement le constat préalable d’une situation de l’article 39498. Deuxièmement, la résolution « Union pour le maintien de la paix » n’exige pas nécessairement une résolution du Conseil de sécurité qui aurait pour effet de transférer à l’Assemblée générale sa responsabilité en matière de maintien de la paix et de la sécurité internationales à laquelle il aurait manqué de s’acquitter. Ainsi, si l’Assemblée générale siège au moment critique, aucune résolution du Conseil de sécurité ne semble être nécessaire aux fins de convoquer une session extraordinaire d’urgence de l’Assemblée499. Par ailleurs, s’il s’avère que l’Assemblée ne siège pas au moment opportun, une session extraordinaire d’urgence peut également être convoquée (c’est-à-dire, outre par le Conseil de sécurité) par « la majorité des Membres de l’Organisation »500. 497 Ainsi, contrairement aux résolutions du Conseil de sécurité soumises à la procédure de l’article 27 § 3 de la Charte, le vote concurrent des membres permanents n’est pas nécessaire. Même si l’article 27 § 3 est interprété en ce que l’abstention d’un membre permanent ne fait pas obstacle à l’adoption de la résolution (voir avis de la CIJ sur la Namibie (1971), op. cit. note 292, p. 22, § 22), celui-ci empêche l’adoption d’une résolution dans le cas où un seul des membres permanents du Conseil s’y oppose par un vote négatif, ce qui n’est pas le cas de la résolution « Union pour le maintien de la paix ». La preuve en est que la CS/RES/119 a été adoptée malgré les votes contraires de la France et du Royaume-Uni. Contra : URSS, S/PV.906, § 195, s’agissant de la convocation d’une session extraordinaire d’urgence de l’Assemblée générale pour examiner la situation au Congo (la CS/RES/157 a malgré tout été adoptée en dépit des votes contraires de l’URSS et de la Pologne). 498 Ce type de résolution (« sur toutes autres questions » que celles de procédure, par référence à l’article 27 § 2) est soumise à la procédure de l’article 27 § 3, voir supra note 497. 499 Selon l’interprétation du représentant de la France au Conseil de sécurité, une simple référence à l’article 12 de la Charte suffit lorsque l’Assemblée générale est en session. Il n’est pas besoin, dans cette circonstance, de saisir l’Assemblée générale sur la base de la résolution « Union pour le maintien de la paix » (S/PV.1608, § 303 : examen de la situation entre l’Inde et le Pakistan en 1971). La situation entre l’Inde et le Pakistan a néanmoins été portée devant l’Assemblée générale, à sa 26e session ordinaire, par la CS/RES/303 adoptée le 6 décembre 1971 sur la base explicite de la résolution « Union pour le maintien de la paix ». Il faut signaler en outre la CS/RES/500, adoptée le 28 janvier 1982, décidant de convoquer une session extraordinaire d’urgence de l’Assemblée générale pour examiner la question des territoires occupés en Palestine alors même que la session ordinaire de l’Assemblée n’était pas finie (point soulevé par Israël, S/PV.2330, §§ 14-16 et le Royaume-Uni, ibid., § 33). 500 Conformément à l’article 20 de la Charte en vertu duquel les sessions extraordinaires « sont convoquées par le Secrétaire général sur la demande du Conseil de sécurité ou de la majorité des Membres des Nations Unies » (mis en italique par nous) et l’article 8 b) du règlement intérieur de l’Assemblée générale qui est spécifiquement dédié aux sessions extraordinaires « d’urgence » convoquées en application de la résolution 377 de l’Assemblée générale (« Union pour le maintien de la paix »). A titre d’exemple, la 8e session extraordinaire d’urgence de l’Assemblée générale sur la Namibie (ayant notamment abouti à la AG/RES/ES-8/2 demandant « à la communauté internationale de prêter d’urgence tout l’appui et l’assistance nécessaires, y compris une assistance 123 Au-delà de ces aspects de procédure, il suffit, troisièmement, aux termes de la résolution « Union pour le maintien de la paix », que « parai[sse] exister une menace contre la paix, une rupture de la paix ou un acte d’agression »501 (et que le Conseil de sécurité soit paralysé par le manque de consensus parmi ses membres permanents) pour que l’Assemblée générale puisse faire les recommandations appropriées sur les mesures collectives à prendre. L’expression « paraît exister » est révélatrice du fait qu’il ne s’agit pas d’un véritable « constat » en vertu de l’article 39 de la Charte. Il s’agit plutôt d’une appréciation exercée prima facie sur la nature de la situation par l’Assemblée générale, permettant à celle-ci de formuler des « recommandations » (par contraste avec les résolutions à effet obligatoire que peut prendre le Conseil de sécurité en matière de maintien de la paix et de la sécurité internationales sur la base du « constat » de l’existence d’une situation de l’article 39). En tout état de cause, il serait absurde de considérer que le Conseil de sécurité doit constater une situation de l’article 39 préalablement au transfert de sa responsabilité en matière de maintien de la paix à l’Assemblée générale. Si le Conseil de sécurité ne parvient pas à réunir l’unanimité parmi ses membres sur la nécessité d’intervenir, comment pourrait-il constater l’existence d’une situation de l’article 39, révélatrice précisément de cette nécessité d’agir ? Le constat d’une menace contre la paix ou d’une autre situation de l’article 39 sera nécessairement contenu dans une résolution sujet au droit de veto des membres permanents du Conseil. La question du constat préalable d’une situation de l’article 39 par le Conseil de sécurité dans le cadre de la mise en œuvre de la résolution « Union pour le maintien de la paix » n’est cependant pas anodine, ni dénuée de pertinence. Les recommandations que l’Assemblée générale peut adopter sur la base de cette résolution peuvent, en effet, inclure le recours à la militaire, aux Etats de première ligne afin de leur permettre de défendre leur souveraineté et leur intégrité territoriale face aux actes d’agression renouvelés de l’Afrique du Sud » et « à tous les Etats, étant donné la menace portée par l’Afrique du Sud à la paix et à la sécurité internationales, de prendre contre ce pays des sanctions globales obligatoires conformément aux dispositions de la Charte ») a été convoquée par la majorité des membres des Nations Unies à l’initiative du Zimbabwe (ou, en d’autres termes, par le Zimbabwe agissant avec l’appui d’une majorité de l’Assemblée générale, voir à cet égard l’article 9 du règlement intérieur précité). Cette session s’inscrit dans le cadre de la résolution « Union pour le maintien de la paix » dans la mesure où le Conseil de sécurité avait manqué, selon l’Assemblée générale, à s’acquitter de sa responsabilité principale en matière de maintien de la paix et de la sécurité internationales en raison du veto de trois membres permanents du Conseil à l’encontre de projets de résolution proposant des sanctions obligatoires contre l’Afrique du Sud (AG/RES/ES-8/2, alinéa 3 du préambule). Sur les sessions extraordinaires de l’Assemblée générale, voir J. MOURGEON, « Les sessions peu ordinaires de l’Assemblée générale », 25 AFDI (1979), pp. 491-500. 501 §1 du dispositif de la résolution « Union pour le maintien de la paix », partie A. 124 force « s’il s’agit d’une rupture de la paix ou d’un acte d’agression » 502 (l’existence « apparente » d’une menace contre la paix exclut donc, selon la lettre de la résolution « Union pour le maintien de la paix », la possibilité pour l’Assemblée générale de recommander aux Etats l’emploi de la force armée). Cette recommandation, le cas échéant, constitue une autorisation du recours à la force armée étant donné qu’elle a pour effet de rendre licite le recours à la force par un Etat membre des Nations Unies qui agit sur cette base (sans néanmoins que ce recours à la force ne soit rendu obligatoire, c’est-à-dire que le fait pour un Etat de s’abstenir de recourir à la force soit sanctionné503). Or, l’autorisation pour les Etats de recourir à la force en cas de rupture de la paix ou d’agression entre normalement dans le champ d’application du Chapitre VII, qui requiert pour sa mise en œuvre le constat préalable d’une situation de l’article 39504. Il existe donc un certain rapport entre la recommandation par l’Assemblée générale de recourir à la force et le Chapitre VII. De même qu’il existe un rapport certain entre la compétence subsidiaire de l’Assemblée générale en matière de maintien de la paix et de la sécurité internationales et les concepts-clés du Chapitre VII que sont la menace contre la paix, la rupture de la paix et l’agression. La présomption de leur existence conditionne, en effet, le transfert de responsabilités en la matière entre le Conseil de sécurité et l’Assemblée générale. Le débat suscité en 1956 à l’occasion de l’examen de la « plainte égyptienne » (la crise du canal de Suez) quant à la question du constat préalable d’une situation de l’article 39 par le Conseil de sécurité n’a pas eu de suite notable505. Au demeurant, la légalité de la résolution 502 Idem. Pour une application, voir notamment la AG/RES/498 (1er février 1951) concernant « l’intervention en Corée du Gouvernement central du peuple de la République populaire de Chine ». 503 Tout comme ce serait le cas s’agissant de la mise en œuvre d’une résolution du Conseil de sécurité décidant du recours à la force. Les Nations Unies ne disposant pas d’armée (du fait que l’article 43 de la Charte n’a jamais reçu d’application concrète), le Conseil de sécurité n’est pas en mesure d’obliger les Etats membres des Nations Unies à recourir à la force (il peut seulement les y autoriser). Par contre, la conclusion n’est pas la même s’agissant des mesures non-militaires décidées par le Conseil de sécurité : l’embargo, par exemple, est alors obligatoire (en vertu de l’article 25 de la Charte). 504 Exception faite de l’article 40 de la Charte, voir supra 2.2.1.1. 505 S’agissant de la situation en Hongrie (« printemps de Prague ») examinée par le Conseil de sécurité le 4 novembre 1956, l’URSS, qui avait voté contre le projet d’une résolution faisant application du Chapitre VII et qui, dès lors, avait fait échouer ce projet de résolution, s’est opposée à l’adoption de la résolution (CS/RES/120) convoquant une session extraordinaire d’urgence de l’Assemblée générale aux motifs que le renvoi de la question à l’Assemblée générale ne pouvait qu’aggraver la situation en Hongrie et que ce renvoi constituait un moyen pour la France et le Royaume-Uni de détourner l’attention de l’Assemblée alors saisie de « la plainte égyptienne » (c’est-à-dire de la crise du Canal de Suez). Force est ainsi de constater que l’URSS ne s’est pas élevée contre le projet de résolution du Conseil de sécurité au motif que celui-ci n’opérait pas une constatation en bonne et due forme d’une des trois situations de l’article 39 de la Charte (S/PV.754, §§ 71-72). De même, aucun débat s’articulant autour de l’exigence d’un constat préalable du Conseil de sécurité en vertu du Chapitre 125 « Union pour le maintien de la paix », qui se trouvait au cœur de la controverse, n’est plus aujourd’hui sérieusement remise en cause 506 , malgré qu’en pratique, la résolution soit quasiment tombée en désuétude. Mis à part le cas particulier posé par la mise en œuvre de la résolution « Union pour le maintien de la paix », dès lors qu’un constat, au titre de l’article 39, est exigé aux fins de la mise en œuvre du Chapitre VII, la question se pose de savoir quand il y a constat, d’un point de vue formel. Ceci revient à se demander si certaines conditions de forme sont requises aux fins du constat d’une situation de l’article 39 de la Charte des Nations Unies. Le constat doit-il être explicite ou peut-il être implicite ? En d’autres termes, le Conseil de sécurité doit-il explicitement constater selon les termes exacts de l’article 39 de la Charte une menace contre la paix pour que la résolution soit réputée s’inscrire dans le cadre du Chapitre VII ? Un constat dans le préambule d’une résolution a-t-il la même valeur qu’un constat dans le dispositif de celle-ci ? Une simple référence au Chapitre VII ou aux termes de l’article 39 à quelque endroit de la résolution que ce soit suffit-elle ? Aucune réponse claire ne ressort de l’analyse de la pratique du Conseil de sécurité telle que mise en lumière par les déclarations des Etats membres formulées lors des séances précédant ou suivant l’adoption (ou le rejet) d’une résolution. Dans certaines situations, plutôt rares, certains Etats ont estimé que la mise en œuvre du Chapitre VII exigeait un constat explicite de l’existence d’une situation de l’article 39 de la Charte. Dans d’autres situations, marquées par VII n’eut lieu s’agissant du renvoi à l’Assemblée générale de la situation entre le Liban et la Jordanie (CS/RES/129 du 7 août 1958), de la situation au Congo (CS/RES/157 du 17 septembre 1960) - l’argument de nature juridique invoqué par la Pologne, qui s’opposait avec l’URSS au renvoi de la situation au Congo devant l’Assemblée générale, était de dire que le Conseil de sécurité n’avait pas manqué de s’acquitter de sa responsabilité principale en matière de maintien de la paix et de la sécurité internationales puisqu’il avait adopté trois résolutions qui étaient encore valables et toujours pertinentes (S/PV.906, §§ 188-189) -, de la situation en Afghanistan (CS/RES/462 du 9 janvier 1980) et de la situation des territoires occupés en Palestine (CS/RES/500 du 28 janvier 1982). Ainsi, dans le cadre de l’affaire des Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé devant la CIJ, aucun argument tenant à l’absence de constatation par le Conseil de sécurité d’une situation de l’article 39 n’a été soulevé pour contester la licéité de la résolution de l’Assemblée générale par laquelle celle-ci avait demandé un avis consultatif à la CIJ (l’argument principal invoqué par Israël tenait à ce qu’en adoptant une résolution demandant à la CIJ un avis consultatif, l’Assemblée générale avait outrepassé les compétences qu’elle tirait de l’article 12 de la Charte compte tenu du rôle actif du Conseil de sécurité à l’égard de la situation au Moyen-Orient ; quant aux irrégularités procédurales de la résolution de l’Assemblée générale vis-à-vis de la résolution « Dean Acheson » invoquées par Israël, elles ne concernaient pas l’exigence du constat préalable d’une situation de l’article 39 par le Conseil de sécurité), op. cit. note 288, pp. 148-152. 506 La légalité de ladite résolution a été validée par la CIJ dans son avis Certaines dépenses (1962), op. cit. note 292, et par la pratique ultérieure du Conseil de sécurité et de l’Assemblée générale notamment mentionnée à la note 505. 126 l’absence d’un consensus quant à l’applicabilité du Chapitre VII, des Etats ont estimé que la référence implicite, dans la résolution, à l’article 39 équivalait à un constat implicite de l’existence d’une situation de l’article 39 tandis que d’autres Etats, non favorables à la mise en œuvre du Chapitre VII, considéraient que le Conseil de sécurité ne s’était livré à aucune constat. Pour ces derniers, il ne s’agissait que d’une allusion à l’article 39, sans effet juridique quant à l’applicabilité du Chapitre VII. Dans d’autres situations enfin, malgré un constat explicite et une application sans équivoque du Chapitre VII, les Etats se sont livrés à différentes interprétations quant aux raisons ayant motivé ce constat ; ce qui pose la question de savoir ce qu’il faut entendre par constat « explicite » au titre de l’article 39. 2.2.1.3. Un constat explicite : une exigence intrinsèque à la mise en œuvre du Chapitre VII ? Lors de l’examen du projet de résolution britannique décrétant des sanctions à l’encontre de la Rhodésie du Sud, la majorité des Etats siégeant au Conseil de sécurité jugèrent nécessaire que le Conseil constate de manière non équivoque, c’est-à-dire selon les termes exacts de l’article 39, une menace contre la paix, une rupture de la paix ou un acte d’agression avant de procéder à l’adoption de mesures sur la base du Chapitre VII. Une simple référence à l’article 39 était considérée comme étant insuffisante. Certains représentants ont comparé cette exigence d’un constat non équivoque avec le principe de légalité des délits et des peines, lequel exige de définir clairement l’infraction avant d’infliger la sanction. Ainsi, le représentant argentin a soutenu que : « Si le Conseil ne constatait pas d’une manière spécifique l’existence d’une menace contre la paix et s’il se bornait à décider les mesures à prendre, cela équivaudrait à rendre une sentence en mentionnant la peine mais sans préciser le délit »507. Le projet de résolution présenté par le Royaume-Uni à la 1331e séance du Conseil de sécurité suscita des réserves au motif, précisément, qu’il ne constatait pas de manière suffisamment précise une menace contre la paix508. Le projet de résolution mentionnait 507 Argentine, S/PV.1332, § 55 ; dans le même sens, Japon, S/PV.1333, § 47 (« Comme la proposition du Royaume-Uni invoque l’article 25 de la Charte, ma délégation estime que le Conseil devrait définir en termes explicites qu’il agit en vertu du Chapitre VII de la Charte »), Jordanie, S/PV.1340, § 11 (« Le projet de résolution du Royaume-Uni ne mentionne pas explicitement cette question de fait [l’existence d’une situation qui constitue une menace contre la paix], et il ne suffit pas à notre avis, d’y faire allusion simplement en se référant à la résolution 217 (1965) et à l’article 39 »), Uruguay, S/PV.1340, § 32 (« Nous croyons cependant que le projet britannique contient une omission de caractère juridique […], nous estimons qu’il ne suffit pas d’invoquer l’article 39 de la Charte […] A cet effet, le paragraphe correspondant du projet britannique devrait, à notre avis, reprendre expressément les termes suivants : « l’existence d’une menace contre la paix, d’une rupture de la paix ou d’un acte d’agression »). 508 Voir, pour les critiques des Etats membres, les références citées supra à la note de bas de page 507. De manière inverse, certains Etats exprimèrent l’avis selon lequel une constatation explicite d’une menace contre la paix était superflue. Ainsi, le représentant du Pakistan estimait qu’il existait, de manière non équivoque, une 127 uniquement, dans son préambule, que le Conseil de sécurité agissait conformément aux articles 39 et 41 de la Charte. Il prévoyait des sanctions économiques au titre de l’article 41 sur l’exportation des « produits qui [avaient] une importance vitale pour le commerce extérieur de la Rhodésie, ainsi que sur l’importation d’armes et de fournitures militaires » 509. Le Royaume-Uni se vit contraint d’accepter, à la 1340e séance, l’amendement proposé par le Mali, le Nigéria et l’Ouganda aux termes duquel le Conseil « constate que la situation actuelle en Rhodésie du Sud constitue une menace contre la paix et la sécurité internationales »510. Cet amendement correspond au 1er paragraphe du dispositif de la résolution 232, adoptée au cours de la même séance, le 16 décembre 1966. Au final, ainsi qu’il est noté dans le résumé analytique de la pratique du Conseil de sécurité, la résolution 232 contient « une constatation explicite en vertu de l’article 39 de la Charte »511. Sans qu’il y ait eu un débat similaire s’agissant de l’exigence de constater explicitement une menace contre la paix avant de décider de mesures en vertu du Chapitre VII, la situation rappelle celle du premier conflit israélo-palestinien en 1948. Dans sa résolution 54 (15 juillet 1948), le Conseil de sécurité avait explicitement constaté, au § 1 du dispositif, que la situation en Palestine constituait « une menace contre la paix au sens de l’article 39 de la Charte des Nations Unies » avant d’exiger des parties au conflit un cessez-le-feu dans un délai de trois jours sur le fondement de l’article 40 de la Charte. Pouvait-on être plus explicite ? Il semble que les Etats membres aient considéré, au seuil du premier constat par le Conseil de sécurité d’une situation de l’article 39 dans l’histoire des Nations Unies, que la mise en œuvre du Chapitre VII exigeait un constat explicite de cette situation (c’est-à-dire, avec une référence explicite à l’article 39). En tout cas, le dispositif de la résolution 54 procédant à ce constat explicite n’a fait l’objet d’aucune réserve de la part des Etats membres au moment de l’adoption de la résolution. menace contre la paix au vu des résolutions 217 (20 novembre 1965) et 221 (9 avril 1966) qui, respectivement, affirmait que le maintien dans le temps de la situation en Rhodésie du Sud constituait une menace contre la paix et autorisait l’emploi de la force dans des circonstances limitées (Pakistan, S/PV.1335, § 79). 509 S/PV.1331, § 25. 510 Pour la déclaration du Royaume-Uni, voir S/PV.1340, § 59. Cet amendement ne semble pas avoir posé de problème de principe au Royaume-Uni. 511 Répertoire de la pratique du Conseil de sécurité (1959-1966), p. 196. GOWLLAND-DEBBAS considère que la résolution 232 est « historique », du fait notamment que cette « very explicit determination » précède l’adoption de mesures prévues à l’article 41 de la Charte et que, de cette manière, le Conseil de sécurité « for the first time in its practice, adhered to a strict Charter basis for action under Chapter VII », Collective Responses, op. cit. note 389, p. 445 (voir également sur ce point pp. 447-449). 128 S’agissant non pas de la menace contre la paix mais de la rupture de la paix, on peut citer la résolution 598 (20 juillet 1987), concernant le conflit entre l’Iran et l’Irak, par laquelle le Conseil de sécurité a « constat[é] » (9e alinéa du préambule) l’existence d’une rupture de la paix compte tenu des hostilités entre les deux Etats. A l’époque de la résolution, le conflit se poursuivait depuis sept ans déjà. La résolution indiquait expressément que le Conseil de sécurité entendait agir sur le fondement des articles 39 et 40 de la Charte en exigeant de l’Iran et de l’Irak qu’ils ordonnent un cessez-le-feu à leurs armées respectives. Lors des débats au Conseil de sécurité, certains Etats membres ont souligné que le projet de résolution était présenté conformément aux articles 39 et 40 du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies et que, par conséquent, il était obligatoire « en vertu du droit international » de s’y conformer512. Le représentant italien a exhorté les autres Etats à faire preuve d’une « pleine disponibilité à agir dans le cadre des dispositions du Chapitre VII dont les articles [étaient] mentionnés, directement ou indirectement, par le projet de résolution »513. Bien qu’il y ait eu, par la suite, plusieurs autres résolutions qui ont invoqué expressément l’article 39 et constaté, à ce titre, l’existence d’une menace contre la paix ou d’une rupture de la paix514, il n’y a pas eu, à notre connaissance, de débat d’ordre « constitutionnel »515 parmi les Etats membres portant sur les conditions formelles de ce constat. S’agissant de la pratique plus récente du Conseil de sécurité, force est de constater que l’article 39 n’est plus invoqué en tant que tel, c’est-à-dire en tant que disposition de la Charte sur laquelle se fonde précisément le constat et de manière générale l’action du Conseil de sécurité en vertu du Chapitre VII. La plupart du temps, le Conseil se borne à constater l’existence d’une menace contre la paix dans des termes plus ou moins proches de ceux de l’article 39, sans se référer explicitement à cette disposition mais au Chapitre VII de manière 512 Voir notamment Etats-Unis, S/PV.2750, p. 21. 513 Italie, ibid., p. 33. 514 Voir notamment la CS/RES/660 (2 août 1990) dans laquelle le Conseil de sécurité a expressément invoqué l’article 39 et constaté, « du fait de l’invasion du Koweit par l’Irak, une rupture de la paix et de la sécurité internationales ». 515 Selon l’expression couramment utilisée par le Répertoire de la pratique du Conseil de sécurité ; CHESTERMAN, à propos précisément de la question de savoir si l’article 39 exige du Conseil de sécurité qu’il constate explicitement une des trois situations prévues aux termes de cette disposition, utilise l’expression de « constitutionally problematic », Just War or Just Peace ?, op. cit. note 471, p. 126. 129 générale 516 . Cette manière de faire correspond, selon G. Cohen-Jonathan, à un constat « implicite » aux termes de l’article 39517. 2.2.1.4. Constat implicite ou absence de « constat » au sens de l’article 39 ? En l’absence d’un constat explicite d’une situation de l’article 39, il peut y avoir matière à spéculation quant à savoir si la résolution a été adoptée sur le fondement du Chapitre VII ou du Chapitre VI, voire sur la base de ses pouvoirs généraux518. De sérieuses divergences d’interprétations peuvent en résulter parmi les Etats quant à l’effet obligatoire de la résolution et donc des mesures prescrites. Ainsi, concernant la question indonésienne, le Conseil de sécurité a adopté, le 1er août 1947, une résolution par laquelle il constatait, avec inquiétude, que des hostilités étaient en cours entre les forces armées des Pays-Bas et la République d’Indonésie et invitait les parties à cesser immédiatement les hostilités ainsi qu’à régler leur différend par des moyens pacifiques. La question indonésienne avait été portée à l’attention du Conseil de sécurité par l’Australie, qui avait soumis, au cours de la 171e séance, un projet de résolution constatant une rupture de la paix en vertu de l’article 39 de la Charte et appelant au respect de certaines mesures provisoires au titre de l’article 40. Le projet de résolution ayant suscité un vif débat quant à savoir si l’Indonésie était un Etat ou une entité dépendante des Pays-Bas et sur la légalité d’une intervention des Nations Unies dans ce contexte, un amendement à la résolution proposait de supprimer tout constat explicite en vertu de l’article 39 et toute référence au Chapitre VII. La résolution fut adoptée telle qu’amendée. A la lumière des « travaux préparatoires » de la résolution, il apparaît donc clairement que la résolution 27 ne s’inscrivait pas dans le cadre du Chapitre VII. Pourtant, la résolution a fait l’objet de deux lectures divergentes à cet égard. Les Etats qui soutenaient que l’Indonésie était un Etat à part entière et qu’il existait donc un conflit armé de nature internationale entre les Pays-Bas et l’Indonésie 516 Voir le résumé analytique de la pratique du Conseil de sécurité pour les années 2008-2009, Repertoire of the practice of the Security Council (2008-2009), p. 7 (version en ligne uniquement disponible en anglais à la date où sont rédigées ces lignes). 517 G. COHEN-JONATHAN, « Article 39 », in : J.-P.COT et A. PELLET (éds), Commentaire de la Charte des Nations Unies (1985), p. 653 (il s’agit d’une ancienne édition du commentaire, l’édition plus récente, à laquelle il est fait fréquemment référence dans ce travail - D’ARGENT et al., op. cit. note 21 - date de 2005). 518 Sur les « pouvoirs généraux » du Conseil de sécurité, voir l’avis sur la Namibie de la CIJ, op. cit. note 292, p. 52, § 110 (« Au paragraphe 2 de [l’article 24], la mention des pouvoirs spécifiques accordés au Conseil de sécurité en vertu de certains articles spécifiques de la Charte n’exclut pas l’existence de pouvoirs généraux destinés à lui permettre de s’acquitter des responsabilités conférées par le paragraphe 1 ». Ce passage de l’avis a été largement remis en cause par la doctrine (voir, par exemple, B. BOLLECKER, « L’avis consultatif du 21 juin 1971 dans l’affaire de la Namibie », 17 AFDI (1971), pp. 281-333). 130 étaient d’avis que la résolution constatait implicitement l’existence d’une rupture de la paix au titre de l’article 39 de la Charte et que l’invitation à cesser les hostilités et à régler pacifiquement le différend avait été prise conformément à l’article 40 de la Charte519. Au contraire, les Etats qui avaient préalablement soutenu que l’Indonésie n’avait pas la qualité d’Etat alléguaient qu’il n’y avait ni rupture de la paix, ni par ailleurs menace contre la paix. En l’absence d’un constat explicite d’une des situations de l’article 39 de la Charte, le Chapitre VII était réputé ne pas avoir été sollicité ni mis en œuvre520. Une même indétermination plane, comme cela a été évoqué supra521, sur le fondement légal de l’intervention des Nations Unies au Congo522. La résolution 161 (21 février 1961), dans le préambule de ses parties A et B, faisait référence à « la menace à la paix et à la sécurité internationales » au Congo, reprenant de manière plus qu’allusive, les termes contenus à l’article 39 de la Charte523. Cependant, au-delà de ces apparences, les Etats membres du Conseil de sécurité considéraient, en majorité, que l’action du Conseil de sécurité au Congo ne reposait pas, juridiquement, sur le constat d’une menace contre la paix au sens de l’article 39 mais sur l’invitation du gouvernement congolais524. Autrement dit, la résolution 161, de même que les résolutions antérieures portant sur la question du Congo525 devaient être considérées comme ayant été adoptées en-dehors du cadre du Chapitre VII, interprétation par ailleurs confirmée par la CIJ dans son avis Certaines dépenses526. 519 Ces Etats avaient peut-être en tête la CS/RES/54 adoptée le 15 juillet 1948 à propos de la situation en Palestine qui constatait explicitement une menace contre la paix et ordonnait aux gouvernements et autorités intéressés, en application de l’article 40 de la Charte, de renoncer à toute action militaire et de donner à cette fin l’ordre à leurs forces militaires et paramilitaires de cesser le feu. 520 Voir Répertoire de la pratique (1945-1954), pp. 338-339, §§ 18-19 (pour plus de précisions, voir n. 26 du Répertoire pour les références des déclarations des Etats membres). 521 Voir titre II, première section, 2.1.1.3. 522 L. GOODRICH & E. HAMBRO, Charter of the United Nations. Commentary and Documents, World Peace Foundation (1946), p. 72 : « It was never made clear whether these undoubted interventions in the internal affairs of the Congo were justified on the ground of the initial invitation of Congolese government that military assistance be given, or on the ground that the acts in question were necessary to the maintenance of international peace and security ». 523 Déjà, au 5e alinéa du préambule de la CS/RES/145 (22 juillet 1960), le Conseil de sécurité avait considéré que « le plein rétablissement de l’ordre public dans la République du Congo contribuerait efficacement au maintien de la paix et de la sécurité internationales ». Voir, à propos de la référence à la notion de menace contre la paix dans la résolution 161, supra note 471. 524 Voir le 2e alinéa du préambule de la CS/RES/143 (14 juillet 1960) et, pour les déclarations des Etats, supra note 474. 525 Les CS/RES/143 (14 juillet 1960), 145 (22 juillet 1960) et 146 (9 août 1960). 526 Voir supra note 473. 131 Cependant, la référence à la « menace à la paix et la sécurité internationales » dans le préambule de la résolution 161 n’était pas anodine. Plusieurs Etats membres considéraient que la situation au Congo menaçait effectivement gravement la paix et la sécurité internationales527. Mais l’existence d’une menace contre la paix au Congo a joué un autre rôle, pour ces Etats, que celui du fondement légal d’une intervention des troupes onusiennes dans le pays : la « menace à la paix et la sécurité internationales » a élevé la guerre civile au Congo, une situation prima facie interne, à une question d’intérêt international : « Comme il l'a déjà fait lors d'occasions précédentes où il traitait d'événements d'intérêt international au Congo, le Conseil de sécurité exerce sans aucun doute ses droits et certaines de ses prérogatives de même qu'il assume quelques-unes de ses responsabilités. Une situation comme celle qui existe actuellement au Congo non seulement risque de compromettre, mais menace effectivement la paix et la sécurité mondiales »528. Quant au Secrétaire général de l’époque (D. Hammarskjöld), il considérait que la « justification juridique de la décision du Conseil [d’envoyer des troupes des Nations Unies au Congo pour aider à rétablir l’ordre interne et la sécurité] se trouvait dans la menace contre la paix et la sécurité qui avait surgi par suite de l’intervention des troupes belges au Congo, intervention qui, elle-même, avait pour motif déclaré les désordres internes qui s’étaient généralisés dans le pays »529. Certes, le Conseil de sécurité avait répondu à une demande du gouvernement congolais. Il n’empêche que la décision de créer une Force des Nations Unies au Congo reposait, initialement et d’un point de vue juridique pour le Secrétaire général, sur la menace contre la paix existante : « L’objectif était de protéger les vies humaines et les biens au Congo, menacés par l’effondrement du système nationale de sécurité, de façon à faire disparaître les raisons invoquées à l’appui de 527 République Arabe Unie, S/PV.916, § 85 ; Inde, S/PV.941, § 29 (voir aussi S/PV.929) ; Nigeria, S/PV.941, §§ 51, 53 et 59. 528 République Arabe Unie, ibid (mis en italique par nous). Contra : le représentant de l’Equateur a exprimé l’avis selon lequel il faudrait faire preuve d’une ingéniosité excessive pour considérer l’article 39 comme s’appliquant à ce qui était en fait un conflit de pouvoir, un problème constitutionnel purement interne (S/PV.916, §§ 65-66). 529 S/PV.913, § 25 (mis en italique par nous) ; voir aussi S/PV.920, § 58 où il apparaît que l’intervention des Nations Unies au Congo était nécessaire, selon le Secrétaire général, pour le maintien de la paix et de la sécurité internationales (indépendamment, donc, de l’invitation du gouvernement congolais) : « Si […] on devait renoncer aux opérations des Nations Unies au Congo, je suis persuadé qu’il en résulterait aussitôt une guerre civile […] et cette situation pourrait durer des années. […] Je crois que l’on peut prévoir avec certitude que le monde extérieur ne resterait pas indifférent et que, bien au contraire, les diverses factions se hâteraient d’envoyer de l’assistance militaire sous une forme ou une autre. […] on se battrait partout sur le territoire dévasté du Congo, à des fins nébuleuses et contradictoires. Peut-on empêcher cela ? Et si on ne l’empêche pas, quelle en sera l’influence sur la paix et la guerre dans le monde ? » (mis en italique par nous). 132 l’intervention militaire belge et à réduire par là ce qu’il fallait considérer, d’un point de vue international, comme une grave menace à la paix et à la sécurité internationales »530. Cependant, le Secrétaire général avait également déclaré qu’en aucun cas les mesures prescrites par le Conseil ne pouvaient s’assimiler à des mesures de coercition adoptées en vertu des articles 41 et 42 de la Charte531. Par là, il désirait vraisemblablement mettre l’accent sur le fait que les troupes des Nations Unies n’avaient pas reçu le mandat d’intervenir contre le Congo mais uniquement aux fins d’assister celui-ci. Dans ce sens, le Secrétaire général a insisté sur la neutralité de l’opération des Nations Unies au Congo vis-à-vis des parties au conflit interne, à savoir que la Force des Nations Unies ne devait en aucun cas être considérée comme une partie au conflit532. En outre, s’il a avancé l’idée que les résolutions du Conseil de sécurité concernant le Congo pouvaient être considérées comme ayant été adoptées en vertu de l’article 40 et, par suite, comme « fondées implicitement » sur l’article 39 de la Charte, il a reconnu qu’il ne s’agissait que de son interprétation propre à laquelle ni le Conseil de sécurité ni l’Assemblée générale n’avaient souscrit533. En conclusion sur la situation au Congo, aucun débat n’eut lieu quant à une exigence quelconque, au titre de l’article 39, de constater explicitement une menace contre la paix compte tenu du fait que les Etats membres s’accordaient pour dire que l’intervention des Nations Unies était fondée juridiquement sur la demande du gouvernement congolais en ce sens. Dans le même temps, ils considéraient que la situation était de la compétence des Nations Unies en raison de la grave menace qui en résultait pour la paix et la sécurité internationales. Ces circonstances permettent, en partie, d’expliquer l’allusion, dans le préambule de la résolution 161, à la notion de « menace à la paix et à la sécurité internationales »534 sans qu’il ait été question d’un « constat » à proprement parler par le 530 S/PV.913, § 16. 531 S/PV.920, § 75. 532 S/PV.913, §§ 26-30 (dans ce sens, § 4 du dispositif de la CS/RES/146 du 9 août 1960). 533 S/PV.920, § 75 (voir, à cet égard, la déclaration du Ceylan, ibid., § 107). En outre, ces commentaires portaient spécifiquement sur les résolutions antérieures à la CS/RES/161, notamment la CS/RES/146 (9 août 1960) dans laquelle le Conseil s’est référé aux articles 25 et 49 de la Charte pour enjoindre les Etats membres des Nations Unies à se conformer aux résolutions du Conseil de sécurité et à s’offrir mutuellement assistance dans la mise en oeuvre de celles-ci (s’agissant de la Belgique, que celle-ci retire ses troupes de la province du Katanga conformément aux CS/RES/143 (14 juillet 1960) et 145 (22 juillet 1960) ; s’agissant des autres Etats, qu’ils s’abstiennent de toute action susceptible de « saper l’intégrité territoriale et l’indépendance politique du Congo » (§ 2 du dispositif de la CS/RES/145) et, de manière générale, qu’ils apportent leur soutien et leur assistance à la Force des Nations Unies au Congo). 534 C. DOMINICE considère à cet égard qu’il ressort de la pratique du Conseil de sécurité que la mention d’une menace contre la paix dans le préambule d’une résolution (sans autre référence à cette menace dans le dispositif) sans que celle-ci ne soit accompagnée de la formule consacrée « Agissant en vertu du Chapitre VII de la Charte 133 Conseil de sécurité, c’est-à-dire d’un « constat » au sens de l’article 39 de la Charte. Le fait que la « menace à la paix et à la sécurité internationales » ait été mentionnée dans le préambule, plutôt que dans le dispositif (les clauses opératives) de la résolution, n’est peutêtre pas étranger au fait qu’elle ne constituait pas le fondement légal de l’intervention de la Force des Nations Unies au Congo535. Au paragraphe 1er du dispositif de la résolution de la résolution 447, adoptée le 28 mars 1979, le Conseil de sécurité condamna l’Afrique du sud pour ses « invasions armées, préméditées, persistantes et prolongées » en Angola qui constituaient une « grave menace pour la paix et la sécurité internationales ». Les paragraphes 6 et 7 du dispositif de la résolution priaient le Secrétaire général de recueillir et de présenter au Conseil de sécurité toute information relative aux « actes d’agressions » commis par l’Afrique du Sud contre l’Angola afin qu’il prenne des sanctions de nature à faire cesser ces actes conformément aux dispositions pertinentes de la Charte (sous-entendu, en vertu du Chapitre VII). Après l’adoption de la résolution, le Royaume-Uni a déclaré qu’il n’interprétait pas les paragraphes 1, 6 et 7 de la résolution comme des constatations au sens de la Charte536, en d’autres termes, que le Conseil de sécurité n’avait constaté ni menace contre la paix, ni agression. Par conséquent, le Royaume-Uni a considéré que la résolution n’énonçait aucune mesure obligatoire que son gouvernement devrait prendre537. Le représentant de l’URSS a déploré le fait que le Conseil de sécurité repousse à plus tard l’adoption de mesures concrètes sur la base du Chapitre VII538. Cependant, pour justifier son vote en faveur de la résolution, il a expliqué qu’il était satisfait de ce que la résolution condamnait les « actes d’agression »539 de l’Afrique du Sud contre l’Angola, sans dire s’il interprétait ces termes comme étant la manifestation des Nations Unies » n’équivaut pas à un véritable constat de l’existence d’une menace contre la paix au sens de l’article 39, « Le Conseil de sécurité et l’accès aux pouvoirs », op. cit. note 437, p. 188. 535 On comprend dès lors la mise en garde faite par WOOD quant à la valeur du préambule d’une résolution du Conseil de sécurité aux fins de l’interprétation de celle-ci. Si le préambule peut éclairer, dans certains cas, l’objet et le but des clauses opératives contenues dans le dispostif de la résolution (à la manière du préambule d’un traité qui, selon l’article 31 § 2 de la CVDT, appartient au « contexte » du traité à la lumière duquel celui-ci doit être interprété), quelques réserves entourent son utilisation à des fins d’interprétation du fait qu’il a tendance à servir de « fourre-tout » pour toutes les propositions (d’amendement ou de projets concurrents de résolution) qui n’ont pas été acceptées. En outre, selon WOOD, il n’existe pas de volonté consciente de la part des membres du Conseil de sécurité d’inscrire dans le préambule le but et l’objet de la résolution, « The Interpretation », op. cit. note 15, pp. 86-87 et p. 90. 536 S/PV.2139, § 38. 537 Le Royaume-Uni a fait une déclaration analogue suite à l’adoption de la CS/RES/475 (27 juin 1980), voir S/PV.2240, § 89. 538 URSS, S/PV.2139, § 56. 539 Ibid., § 57. 134 d’un constat au sens de l’article 39 de la Charte. Le représentant angolais, invité par les membres du Conseil de sécurité à participer aux discussions, semblait considérer, pour sa part, que la résolution reconnaissait que le comportement de l’Afrique du Sud vis-à-vis de son pays constituait une menace contre la paix et qu’elle s’inscrivait, par conséquent dans le cadre du Chapitre VII : « Nous remercions tout particulièrement les délégations qui […] nous ont […] soutenu dans nos tentatives en vue de placer les actes barbares et constants d’agressions meurtrières des racistes sudafricains dans leur vraie perspective, celle d’une menace contre la paix et la sécurité internationales d’où l’applicabilité du Chapitre VII de la Charte » (Angola, § 68). Cette interprétation était partagée par d’autres Etats membres. De l’avis de la majorité en effet, la résolution 447 qualifiait la violation par l’Afrique du Sud de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de l’Angola de menace contre la paix et la sécurité internationales540, sans que l’article 39 ne soit spécifiquement invoqué dans la résolution ou dans les débats au Conseil de sécurité541. Quant aux « actes d’agression » mentionnés par la résolution 447, les Etats membres n’entendaient pas, par ces termes, procéder à un « constat » au sens de l’article 39. Le terme d’ « agression » a été mentionné à plusieurs reprises par des résolutions du Conseil de sécurité concernant l’Afrique du Sud, sans que cette mention n’équivaille, pour les Etats membres du Conseil de sécurité, à un « constat » au titre de l’article 39 542 . En témoignent le fait que des projets de résolution subséquents qui constataient, expressément, que les attaques répétées de l’Afrique du Sud contre d’autres Etats d’Afrique australe constituaient « de graves actes d’agression » ou que l’occupation illégale de la Namibie constituait une « rupture de la paix internationale et un acte d’agression », ont été rejetés par le Conseil de sécurité (en raison du vote négatif d’un membre permanent)543. Condamner (une agression) n’est pas constater (un « acte d’agression » au sens de l’article 39). 540 Voir notamment Zambie, S/PV.2138, § 9 ; Ukraine, ibid., § 22. 541 La CS/RES/602 (25 novembre 1987), adoptée plusieurs années mais concernant la même situation, a une teneur similaire de ce point de vue, à savoir qu’elle énonce, au 7e alinéa de son préambule, que le Conseil de sécurité est « gravement préoccupé […] par le fait que la persistance de ces actes d’agression contre l’Angola constituent une grave menace pour la paix et la sécurité internationales ». Puis, au § 1 du dispositif, le Conseil de sécurité « condamne énergiquement le régime raciste d’Afrique du Sud pour les actes d’agression qu’il continue de perpétrer ». De même que dans la CS/RES/447, la référence à l’article 39 n’est qu’implicite. Au contraire de la CS/RES/447 cependant, le « constat » de la menace contre la paix est placé dans le préambule. 542 Voir, par exemple, la CS/RES/454 (2 novembre 1979) par laquelle le Conseil de sécurité a « condamn[é] énergiquement l’agression commise par l’Afrique du Sud contre la République populaire d’Angola » et les déclarations des Etats membres y relatives : Zambie, S/PV/2170, § 22 ; Tchécoslovaquie, ibid., § 57 ; Bangladesh, ibid., § 89 ; Nigéria, ibid., § 98 ; Yougoslavie, ibid., § 144 ; Mozambique, ibid., § 150 ; Viet-Nam, ibid., § 167. 543 Projets mis aux voix lors de la 2777e séance du Conseil de sécurité. 135 Concernant la situation dans les territoires arabes occupés, le Conseil de sécurité avait « décidé », au termes de sa résolution 497 (17 décembre 1981), « que la décision prise par Israël d’imposer ses lois, sa juridiction et son administration dans le territoire syrien occupé du Golan » était « nulle et non avenue et sans effet juridique sur le plan international ». Il avait également « exigé » qu’Israël « rapporte sans délai sa décision », sans quoi il prendrait « les mesures appropriées conformément à la Charte des Nations Unies ». Quelques semaines après l’adoption de cette résolution, alors que le Conseil de sécurité examinait un projet de résolution visant à infliger des sanctions à l’Etat d’Israël, le représentant du Zaïre a déclaré que, si le Conseil n’avait pas cru devoir déclarer explicitement dans sa résolution 497 que l’extension des lois, de la juridiction et de l’administration israéliennes au territoire du Golan constituait une annexion ou un acte d’agression, il n’en demeurait pas moins vrai qu’il avait pu s’inspirer des stipulations de l’article 39 de la Charte pour déclarer une telle mesure nulle et non avenue, et de l’article 40 pour inviter Israël à rapporter sa décision544. La délégation du Zaïre en concluait que la prolongation de la présence illégale israélienne au-delà du délai de répit décrété par le Conseil de sécurité constituait un acte d’agression et la situation dans son ensemble, une menace à la paix et à la sécurité dans la région et dans le monde545. Elle préconisait, en conséquence, des mesures ou des actions concrètes et efficaces « pour répondre au vœu de l’article 39 de la Charte »546 et apportait son soutien au projet de résolution qui allait être mis aux voix. Il y allait de l’aptitude du Conseil de sécurité à être arbitre de situations internationales susceptibles de menacer la paix et la sécurité internationales547. L’Irlande estimait également que la situation constituait une menace à la paix et à la sécurité internationales mais a marqué son désaccord, vis-à-vis du projet de résolution, sur le constat d’un acte d’agression. Les complexités de la notion d’agression étaient telles qu’elle estimait souhaitable que les sanctions se fondent sur le constat d’une 544 S/PV.2329, § 35. 545 Ibid., § 37. Conformément au projet de résolution parrainé par la Jordanie (voir S/14832/Rev. 1) dont les 6e et 7e alinéas du préambule se lisaient comme suit : « Constatant que l’occupation continue du territoire syrien des hauteurs du Golan depuis juin 1967 et son annexion par Israël le 14 décembre 1981 constituent une menace permanente pour la paix et la sécurité internationales » ; « Agissant conformément aux dispositions pertinentes du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies ». Le deuxième paragraphe de la résolution disposait : « 2. Constate que les mesures israéliennes dans le territoire syrien occupé des hauteurs du Golan, qui ont abouti à la décision par Israël le 14 décembre 1981 d’imposer ses lois, sa juridiction et son administration dans le territoire syrien occupé des hauteurs du Golan, constituent un acte d’agression aux termes des dispositions de l’article 39 de la Charte des Nations Unies ». 546 Ibid., § 77. 547 Ibid., § 81. 136 menace contre la paix548. Au final, le projet de résolution a été rejeté en raison du vote contraire des Etats-Unis. Après le vote, le Royaume-Uni a expliqué, à l’instar de l’Irlande, qu’il n’était pas convaincu par la constatation, au titre de l’article 39 de la Charte, d’un acte d’agression s’agissant des mesures israéliennes549. En effet, cette constatation aurait été l’une des plus graves de son histoire que le Conseil aurait été amené à faire550. C’est là un exemple d’un constat trop explicite sur lequel le consensus était malaisé à obtenir. Dans ce sens, le Royaume-Uni a suggéré qu’en l’absence d’un consensus parmi les membres du Conseil, le projet n’aurait pas dû se livrer à une constatation en vertu du Chapitre VII (sous-entendu, au titre de l’article 39)551. A propos de la plainte de l’Irak s’agissant de l’attaque israélienne contre ses installations nucléaires s’étant déroulée le 7 juin 1981, le Conseil de sécurité a adopté, le 19 juin 1981, la résolution 487 dans laquelle il se disait profondément préoccupé « par le danger causé à la paix et à la sécurité internationales par l’attaque aérienne perpétrée avec préméditation par Israël […] qui pourrait à tout moment déclencher une explosion dans la région » (8e alinéa du préambule) et « condamn[ait] énergiquement l’attaque militaire menée par Israël en violation flagrante de la Charte des Nations Unies » (§ 1 du dispositif). Au cours des débats ayant précédé l’adoption de la résolution, la délégation de l’Ouganda a déclaré qu’elle voterait en faveur de la résolution, qui n’était alors qu’un projet, malgré qu’elle aurait souhaité que la résolution invoque les dispositions du Chapitre VII et qu’elle constate que l’attaque israélienne constituait une agression au sens de ces dispositions552. La majorité des Etats membres du Conseil de sécurité et des orateurs invités à prendre part aux débats considéraient également que l’attaque israélienne constituait un acte d’agression et, en tout cas, qu’elle créait une menace à la paix dans la région et dans le monde. Cependant, au vu de la menace du veto des Etats-Unis en cas de telles constatations, le projet de résolution ne mentionnait que de manière allusive, dans son préambule, « le danger causé à la paix et la sécurité internationales » et n’opérait pas le constat souhaité par la délégation de l’Ouganda et toutes les autres. La résolution 487 a été adoptée ainsi, à l’unanimité. Dans ces circonstances, l’absence de constat explicite d’une situation de l’article 39 a permis l’adoption de la résolution. En d’autres termes, le consensus ayant permis l’adoption de la résolution résultait 548 Ibid., § 144. 549 Ibid., § 172. 550 Idem. 551 Idem. 552 S/PV.2288, § 143. 137 précisément du « flou » entourant le constat ou l’absence de constat au sens de l’article 39. En défaveur d’un « constat » au titre de l’article 39, on note que la résolution n’évoque pas une « menace » contre la paix mais un « danger causé à la paix ». Elle s’éloigne donc, sémantiquement, de l’article 39 de la Charte, plus encore que la résolution concernant la situation au Congo. En outre, une nouvelle fois, la référence implicite aux termes de l’article 39 est placée dans le préambule de la résolution, amoindrissant la portée d’une telle référence. Ce point n’a pas été évoqué par les Etats au cours de leurs débats au Conseil de sécurité mais c’était là certainement l’intention des sponsors de la résolution qui recherchait un consensus propice à l’adoption de leur projet (exercice périlleux compte tenu des liens d’amitié qu’entretiennent les Etats-Unis, membre permanent du Conseil de sécurité doté du droit de veto, et Israël). 2.2.1.5. Qu’entend-t-on par constat « explicite » ? Les ambigüités qui demeurent quant aux raisons ayant motivé le constat Au contraire de la situation au Congo, les Etats membres du Conseil de sécurité ont entendu sans ambigüité agir sur le fondement du Chapitre VII553 à l’égard de l’Afrique du Sud en proclamant, par la résolution 418, adoptée à l’unanimité le 4 novembre 1977, un embargo obligatoire sur les armes à destination de ce pays. Le constat d’une menace contre la paix a été clairement exprimé554 au paragraphe 1er du dispositif de la résolution: « Constate, eu égard aux politiques et aux actes du Gouvernement sud-africain, que l’acquisition par l’Afrique du Sud d’armes et de matériel connexe constitue une menace pour le maintien de la paix et de la sécurité internationales ». Il faut remarquer, cependant, que si le constat d’une menace contre la paix est explicite dans la résolution 418, les raisons motivant ce constat ne sont pas aussi limpides555. En effet, 553 Voir dernier alinéa du préambule de la CS/RES/418 (« Agissant en consequence en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies ») ; Secrétaire général, S/PV.2046, § 6 ; France, ibid., § 20 ; Etats-Unis, ibid., § 24 ; Roumanie, ibid., § 35 ; URSS, ibid., § 50 ; République fédérale d’Allemagne, ibid., § 61 ; Pakistan, ibid.,, § 68 ; Inde, ibid., § 79. 554 Royaume-Uni, ibid., § 42 (« Nous avons clairement exprimé, au paragraphe 1, notre sentiment en ce qui concerne la nature des menaces à la paix et à la sécurité internationales »). 555 KOOIJMANS dit de même s’agissant de la CS/RES/232 concernant la Rhodésie du Sud : « The resolution contains a clear reference to Articles 39 and 41 and calls in operative paragraph 1 the ‘present situation in Southern Rhodesia a threat to international peace and security’. No explanation is given, however, why this is so », « The Enlargement », op. cit. note 390, p. 113. Voir également à cet égard la CS/RES/282 (23 juillet 1970) dans laquelle il était autant question de la politique d’apartheid poursuivie par l’Afrique du Sud que de l’effet déstabilisant pour la région que constituaient la politique d’armement et l’attitude agressive de ce pays à l’égard des autres Etats : « Le Conseil de sécurité, […] Convaincu […] que la situation résultant de l’application continue de la politique d’apartheid et du renforcement constant des forces militaires et de police sud-africaines – que permettent l’achat continu d’armes, de véhicules militaires et autre matériel et de pièces de rechange pour le matériel militaire auprès d’un certain nombre d’Etats membres ainsi que la fabrication sur place d’armes et de 138 le constat résultait, pour certains (Etats membres ou auteurs), de la politique d’apartheid et de la violation des droits fondamentaux du peuple sud-africain que cette politique entraînait556 ; pour d’autres, de l’accroissement de la puissance militaire de l’Afrique du Sud – de son programme nucléaire notamment – et du danger immédiat que cette puissance ennemie constituait pour les pays limitrophes ; pour d’autres enfin, l’article 39 et le Chapitre VII avaient été activés en réponse à une menace d’une double nature, constituée à la fois par la politique d’apartheid, intolérable pour la communauté internationale, et par le potentiel militaire accru de l’Afrique du Sud. En d’autres termes, selon ces derniers, le Conseil de sécurité s’opposait à ce que les armes servent une politique aussi inadmissible, au vu des droits fondamentaux et des principes de la Charte des Nations Unies, que l’apartheid. En outre, si le régime sud-africain était si peu scrupuleux vis-à-vis des droits fondamentaux d’une partie du peuple, pourquoi le serait-il plus vis-à-vis de l’interdiction de recourir à la force dans ses relations internationales ? A cet égard, l’intervention du représentant de l’African National Congress, invité à participer aux débats du Conseil de sécurité, est révélatrice du souci que les Etats membres s’entendent sur la nature de la situation constitutive d’une menace contre la paix dès lors qu’il s’agit d’adopter des sanctions sur le fondement du Chapitre VII : « (…) [I]l est important de parler le même langage. Pour nous, la situation, caractérisée par l’expropriation, la famine, l’exploitation exagérée et la dégradation sociale et maintenue par l’escalade constante du règne de la terreur et de l’agression contre les Etats voisins, constitue une menace à la paix et à la sécurité internationales (…) »557. Ainsi qu’en témoigne l’exemple de l’Afrique du Sud (parmi d’autres558), même si le constat d’une menace contre la paix apparaît explicitement dans le dispositif d’une résolution du Conseil de sécurité, ce constat peut néanmoins donner lieu à quelques ambigüités d’interprétation, non pas quant à la mise en œuvre du Chapitre VII et à l’effet obligatoire de munitions sous licences accordées par certains Etats membres – constitue une menace potentielle à la paix et à la sécurité internationales ; Reconnaissant que la constitution de stocks considérables d’armes par les forces militaires sud-africaines constitue une menace réelle à la sécurité et à la souveraineté des Etats africains indépendants opposés à la politique raciale du Gouvernement sud-africain, en particulier à celles des Etats voisins […] »). 556 Par exemple GOWLLAND-DEBBAS, « The Security Council as Enforcer of Human Rights », op. cit. note 10, p. 42. 557 Ibid., § 118 (mis en italique par nous). Le représentant de l’ANC avait été invité par les membres du Conseil de sécurité lors de la 2045e séance à prendre part aux débats du Conseil de sécurité concernant la situation en Afrique du Sud. 558 Voir notamment infra titre II, première section, 2.2.2.1., cas n° 1, Rhodésie du Sud et à cet égard KOOIJMANS supra note 555. 139 la résolution, mais quant à la nature des circonstances ayant donné lieu au constat. Cette dernière considération revêt toute sa pertinence lorsqu’il s’agit d’identifier des critères ou paramètres d’application de la notion de menace contre la paix (recherche doctrinale) ou des « précédents » (qui peuvent appuyer l’argumentation d’un Etat membre en faveur du constat d’une menace contre la paix dans des circonstances similaires). Nous reviendrons sur ces aspects plus loin dans ce travail559. Au-delà de ces considérations, force est de constater que la question de l’Afrique du Sud n’a pas suscité de débat, parmi les Etats membres du Conseil de sécurité, sur l’exigence de constater explicitement une menace contre la paix selon les termes de l’article 39. Cette absence de débat s’explique par l’unanimité qui régnait alors, parmi les Etats membres, quant à l’existence d’une menace contre la paix, de la même manière que, s’agissant de la situation au Congo, il existait un consensus sur le fait que l’action du Conseil de sécurité se situait endehors du Chapitre VII. Ainsi, pour tous les Etats membres, l’embargo sur les armes vers l’Afrique du Sud était obligatoire, sans aucune ambiguïté. 2.2.1.6. Conclusion sur le discours juridique relatif aux conditions de forme du constat S’il y désaccord entre les Etats membres L’ambiguïté ou l’absence de constat explicite satisfait les Etats membres qui, s’opposant à une mise en œuvre du Chapitre VII dans une situation donnée, préfèrent que la résolution repose sur des fondements incertains quant à ses effets. Ils pourront, dans ces circonstances, décréter que la résolution ne formule aucune obligation à leur égard. Au contraire, les Etats qui souhaitent que le Conseil de sécurité agisse sur le fondement du Chapitre VII seront disposés à ce que le Conseil procède à un constat explicite d’une situation de l’article 39, si possible dans le dispositif de la résolution. S’il y a consensus entre les Etats membres Lorsqu’il existe un consensus parmi les Etats membres sur le principe d’une action revêtue de la force exécutoire du Chapitre VII de la Charte, la question de l’exigence d’un constat explicite ne se pose pas. Si tous les Etats sont d’accord et que l’intention du Conseil de sécurité d’agir dans le cadre du Chapitre VII est claire, à quoi se référer explicitement à l’article 39 de la Charte ? Par pur formalisme ?560 Cependant, même s’il existe un consensus 559 Voir infra titre II, seconde section, quant à la question de l’apport au droit par le Conseil de sécurité par sa pratique relative à la notion de menace contre la paix. 560 COHEN-JONATHAN insiste à cet égard sur la souplesse et le pragmatisme qui caractérisent l’action du Conseil de sécurité pour expliquer pourquoi celui-ci ne juge pas utile, en cas d’accord parmi les Etats membres 140 parmi les Etats membres quant au fondement obligatoire de la résolution (Chapitre VII), il se peut qu’il n’y ait pas un même consensus quant aux motifs du constat, c’est-à-dire des raisons de l’ « intervention » (au sens large, n’impliquant pas nécessairement la force) du Conseil de sécurité. La question des motifs du constat ne revêt-elle qu’un intérêt académique ?561 Nous n’en sommes pas si sûrs. A cet égard, nous examinerons plus loin la question des « précédents » dans la pratique du Conseil de sécurité562. 2.2.2. Le discours juridique sur les conditions de fond du constat (propres à la menace contre la paix) Le Conseil de sécurité peut-il agir en toute liberté lorsqu’il constate l’existence d’une menace contre la paix ? S’il s’agit d’une liberté encadrée par le droit, dans quelle mesure le Conseil de sécurité est-il tenu au respect de conditions de fond, c’est-à-dire relatives au contenu, de la notion de menace contre la paix ? La question des limites au pouvoir du Conseil de sécurité de constater l’existence d’une menace contre la paix constitue le leitmotiv des études doctrinales s’intéressant à la notion de menace contre la paix. Une réponse dans l’absolu, fondée sur une lecture exégétique ou une interprétation systémique de la Charte, ne nous intéresse pas dans le cadre de ce travail563. Ainsi que nous l’avons précisé dans l’introduction, nous avons opté pour une autre approche, de manière à cerner au plus près les caractéristiques juridiques essentielles de la notion de menace contre la paix d’après la pratique du Conseil de sécurité. Au lieu d’une analyse in abstracto (fondée sur les termes de la Charte) des conditions de fond de la menace contre la paix, nous nous intéresserons à la teneur du discours des Etats membres du Conseil de sécurité : selon leur conviction, quelles sont les conditions de fond de la mise en œuvre de la menace contre la paix de l’article 39 qui comptaient, qui ne comptent plus ou qui comptent encore dans l’enceinte du Conseil de sécurité ? sur la nécessité ou l’opportunité d’une action en vertu du Chapitre VII mais de désaccord sur la qualification juridique des faits, de préciser la nature de la situation sur laquelle repose, aux termes de l’article 39, cette action, « Article 39 », op. cit. note 517, p. 654. Il ajoute : « une telle souplesse n’est sans doute pas conforme à la lettre de la Charte mais elle ne signifie pas juridiquement que la résolution se situe en-dehors du Chapitre VII » (idem). 561 On pourrait considérer, en effet, que les « deux lectures juridiquement possibles » de la notion de menace contre la paix telles que nous les examinons infra au titre III comportent un intérêt essentiellement académique. 562 Voir infra titre II, seconde section, 1.2. 563 Elle intéressera, par contre, ceux qui entendent se prononcer sur la validité des résolutions du Conseil de sécurité. En effet, pour affirmer qu’une résolution du Conseil de sécurité est ultra ou intra vires, il faut un état du droit référentiel (c’est-à-dire, le droit « à respecter »). 141 2.2.2.1. Situation interne et paix internationale Une menace contre la paix peut-elle être constatée par le Conseil de sécurité vis-à-vis d’une situation interne à un Etat (par exemple, une guerre civile ou le renversement par la force d’un gouvernement démocratiquement élu sans intervention d’Etats étrangers) ? En d’autres termes, dans quelle mesure une situation interne peut-elle constituer une menace contre la paix au sens de l’article 39 de la Charte ? Au début de la pratique du Conseil de sécurité, certains Etats membres ont affirmé que les termes « une menace contre la paix » de l’article 39 de la Charte faisaient référence à toutes les sortes de menaces contre la paix, sans que la paix concernée soit nécessairement de nature internationale564. La version anglaise de la Charte rend mieux compte de cet argument : « any threat to the peace », « any » pouvant se référer, selon ces Etats, au caractère interne ou international de la paix. Pour les autres Etats (majoritaires) s’opposant à cette interprétation, le terme « any » se rapportait à la nature de la « menace » mais cette menace devait peser sur la paix internationale. Au final, c’est la seconde interprétation qui a été retenue. Par ailleurs, les Etats-Unis, qui étaient les principaux défenseurs de la première interprétation, avaient également affirmé que la situation en cause menaçait effectivement la paix mondiale et qu’il était du devoir des membres du Conseil de sécurité, en tant que « gardiens de la paix du monde », de mettre en œuvre les mesures du Chapitre VII565. Cet épisode mis à part, il n’y avait pas de doute, que ce soit parmi les Etats ou parmi la doctrine566, sur le fait que la notion de menace contre la paix de l’article 39 allait de pair avec le pouvoir de décision et de recommandation du Conseil de sécurité aux fins de rétablir ou de maintenir « la paix et la sécurité internationales »567. En d’autres termes, tous s’accordaient à 564 A propos de la situation en Palestine en 1948, Etats-Unis, S/PV.296, p. 7. 565 Ibid., p. 9. 566 Voir la démonstration de KELSEN sur ce point dans The Law of the United Nations, op. cit. note 14, p. 731 : « In contradistinction to other provisions of the Charter, Article 39 does not speak of a threat to, or breach of, ‘international’ peace. Hence the peace referred to in this passage need not necessarily be a status in the relation between states. However, the purpose of the enforcement action to be taken under Article 39 is determined as the maintenance or restoration of ‘international peace and security’. Hence the wording : ‘any’ threat to the peace, etc., instead of : ‘threat to international peace’, etc. cannot justify a forcible intervention of the Security Council in a conflict taking place on a stateless territory between two groups of the population of this territory or between a state and one of these groups. Such an intervention is possible under Article 39 because this Article leaves it to the Security Council to determine what facts constitute a threat to, breach of, ‘international’ peace and against whom the enforcement action for the maintenance or restoration of the international peace is to be directed ». 567 Quand bien même les Etats-Unis procédaient à une telle distinction entre d’un côté, le constat d’une menace contre la paix quelle qu’elle soit, et le devoir du Conseil de sécurité de rétablir la paix internationale. 142 dire que la menace contre la paix de l’article 39 concernait la paix internationale. C’est ainsi que le Conseil de sécurité a rejeté la proposition de l’Australie, en 1947, de considérer que le conflit entre l’Indonésie et les Pays-Bas était constitutif d’une rupture de la paix au sens de l’article 39 de la Charte. L’Indonésie n’était alors pas reconnue, par la majorité des Etats au Conseil de sécurité, comme un Etat indépendant mais comme une colonie des Pays-Bas en conflit avec sa patrie-mère. Il s’agissait donc d’une situation interne aux Pays-Bas qui, à ce titre, n’intéressait pas le Conseil de sécurité. Pourtant, il n’échappe à personne que le Conseil de sécurité a déjà constaté une menace contre la paix dans des situations qui présentaient, a priori, des caractéristiques purement internes. Par ailleurs, le représentant de l’URSS a déclaré dès 1946, lors de 35e séance du Conseil de sécurité, que la Charte admettait et prévoyait même « la nécessité de prendre certaines mesures à l’égard des Etats dont la situation intérieure constitu[ait] une menace pour la paix et la sécurité internationales »568. Etant donné que les Etats considèrent qu’aux termes de l’article 39, la paix menacée est de nature internationale, comment justifient-ils ce constat vis-à-vis d’une situation à première vue interne ? De quelle manière établissent-ils un lien entre la situation interne et la paix internationale ?569 Pour tenter d’apporter des réponses à ces questions, nous avons analysé en détail trois situations s’étant présentées au Conseil de sécurité à trois époques différentes. Elles soulevaient toutes les trois la même question, à savoir : dans quelle mesure la situation interne en cause faisait-elle peser une menace sur la paix et la sécurité internationales ? Ainsi, nous avons choisi de nous intéresser particulièrement à la situation en Rhodésie du Sud (1965-66), à celle de la Somalie (1992) et à celle, très récente, de la Libye (2011). Pourquoi ce choix ? 568 S/PV.35, p. 185 (à propos de la « question espagnole »). 569 Il sied ici rappeler que, dès lors que le Conseil de sécurité intervient en vertu du Chapitre VII, la situation n’est plus considérée comme étant purement interne. Elle acquiert nécessairement une dimension internationale. En témoigne l’article 2 § 7 in fine de la Charte qui dispose que le principe de non-ingérence des Nations Unies dans « les affaires relevant essentiellement de la compétence nationale d’un Etat » ne fait pas obstacle à l’application des mesures de coercition décidées en vertu du Chapitre VII. Cela signifierait-il donc qu’une situation interne peut devenir internationale et relever du Chapitre VII par la seule volonté des Etats membres ? Dans cette hypothèse, les Etats auraient la conviction que la Charte des Nations Unies ne limite en rien leur capacité à intervenir dans une situation interne tant qu’elle est d’intérêt « international » aux fins de la mise en œuvre du Chapitre VII de la Charte. Dans l’hypothèse contraire, les Etats auraient la conviction que la Charte des Nations Unies limite leur capacité d’intervention et les contraint à établir un lien entre la situation en cause et la paix et la sécurité internationales. 143 La Rhodésie du Sud constitue l’une des rares situations ayant donné lieu à l’application du Chapitre VII dans le contexte de la guerre froide. Il s’agissait, en outre, d’une situation à première vue interne570. La situation en Somalie est considérée, par la doctrine, comme un des cas les plus typiques d’une situation interne ayant bénéficié de la considération du Conseil de sécurité au titre du Chapitre VII571. En effet, les auteurs insistent, de même que le Conseil de sécurité, sur son caractère exceptionnel572. En outre, la situation de la Somalie s’inscrit dans un contexte différent de celui de la Rhodésie du Sud, celui de l’après-guerre froide. Enfin, la situation en Libye en 2011 est intéressante à plus d’un titre. Il s’agit, d’abord, d’une situation récente qui permet de faire le point sur le discours juridique actuel des Etats membres du Conseil de sécurité quant aux conditions de fond de l’article 39. Ensuite, la situation en Libye révèle une nette évolution dans les caractéristiques de ce discours quant à ces conditions, en particulier ce fameux lien entre situation interne et paix internationale. Sans rien encore dévoiler, nous devons toutefois concéder que cette évolution ne s’est pas opérée avec la situation en Libye, mais que celle-ci est révélatrice de celle-là. Encore une fois, au risque de nous répéter, nous ne sommes pas à la recherche d’une vérité dans l’absolu. Ainsi, nous ne nous demanderons pas si, à l’époque considérée, la situation interne présentait effectivement un risque pour la paix et la stabilité des autres Etats. Nous nous intéresserons uniquement aux raisons invoquées par les Etats pour justifier le constat (ou l’absence de constat) d’une menace contre la paix, au sens de l’article 39, vis-à-vis de la situation en cause. C’est la raison pour laquelle nous irons plus loin que le texte des résolutions pertinentes. A notre avis, les procès-verbaux des séances du Conseil de sécurité sont bien plus parlants à cet égard. 570 L’Afrique du Sud (vis-à-vis de la pratique de l’apartheid) constituait, alternativement, un cas d’étude intéressant. Il en a été question supra à propos de l’incertitude des motifs ayant motivé le constat d’une menace contre la paix, voir titre II, première section, 2.2.1.5. 571 Voir, par exemple, DE WET, The Chapter VII Powers, op. cit. note 20, pp. 155-158. 572 A cet égard, nous aurions également pu examiner la situation en Haïti en 1994, voir, quant à ce caractère « exceptionnel », infra, titre II, seconde section, 1.2.1. 144 Cas n° 1 : Rhodésie du Sud (1965-66), une question d’intérêt international (et un foyer virtuel de guerre) Extraits pertinents de la résolution 217 (20 novembre 1965) « Le Conseil de sécurité, Profondément préoccupé par la situation en Rhodésie du Sud, Considérant que les autorités illégales de Rhodésie ont proclamé l’indépendance et que le Gouvernement du Royaume-Uni de Grande Bretagne et d’Irlande du Nord, en tant que puissance administrante, y voir un acte de rébellion, (…) 1. Constate que la situation résultant de la proclamation de l’indépendance par les autorités illégales de Rhodésie du Sud est extrêmement grave, qu’il convient que le Gouvernement du Royaume-Uni et d’Irlande du Nord y mette fin et que son maintien dans le temps constitue une menace à la paix et à la sécurité internationales ; (…) 3. Condamne l’usurpation du pouvoir par une minorité raciste de colons en Rhodésie du Sud et considère que la déclaration d’indépendance proclamée par cette minorité n’a aucune validité légale ; (…) 7. Prie le Gouvernement du Royaume-Uni (…) de prendre des mesures immédiates pour permettre au peuple de Rhodésie du Sud de décider de son propre avenir conformément aux objectifs de la résolution 1514 (XV) de l’Assemblée générale en date du 14 décembre 1960 ; (…) »573. Extraits pertinents de la résolution 221 (9 avril 1966) « Le Conseil de sécurité, Rappelant ses résolutions 216 (1965) du 12 novembre 1965 et 217 (1965) du 20 novembre 1965 et, en particulier, l’appel qu’il a adressé à tous les Etats pour qu’ils s’efforcent de rompre les relations économiques avec la Rhodésie du Sud, notamment en imposant un embargo sur le pétrole et les produits pétroliers, Gravement préoccupé d’apprendre que d’importantes quantités de pétrole pourraient parvenir à la Rhodésie du Sud du fait de l’arrivée à Beira d’un pétrolier et de l’approche d’un autre pétrolier, ce qui pourrait aboutir à une reprise du pompage dans le pipe-line de la Companhia do Pipeline Moçambique Rodésias, avec l’assentiment des autorités portugaises, Considérant que ces approvisionnements aideront et encourageront grandement le régime illégal de la Rhodésie du Sud, lui permettant ainsi de demeurer plus longtemps en existence, 1. Constate que la situation en résultant constitue une menace à la paix ; 2. Prie le Gouvernement portugais de ne pas permettre que le pétrole soit pompé dans le pipe-line de Beira en Rhodésie du Sud ; (…) 5. Prie le Gouvernement du Royaume-Uni de Grande Bretagne et d’Irlande du Nord d’empêcher, au besoin par la force, l’arrivée à Beira de navires dont on a lieu de croire qu’ils transportent du pétrole destiné à la Rhodésie du Sud, et habilite le Royaume-Uni à saisir et à détenir le pétrolier connu sous le nom de Joanna-V lors de son départ de Beira, dans le cas où sa cargaison de pétrole aurait été déchargée dans ce port »574. Extraits pertinents de la résolution 232 (16 décembre 1966) « Le Conseil de sécurité, (…) 573 Mis en gras par nous. 574 Mis en gras par nous. 145 Profondément préoccupé par le fait que les efforts du Conseil jusqu’ici et les mesures prises par la Puissance administrative n’ont pas réussi à mettre un terme à la rébellion en Rhodésie du Sud, (…) Agissant conformément aux articles 39 et 41 de la Charte des Nations Unies, 1. Constate que la situation actuelle en Rhodésie du Sud constitue une menace contre la paix et la sécurité internationales 2. Décide que tous les Etats membres de l’Organisation des Nations Unies empêcheront : a) l’importation sur leurs territoires d’amiante, de minerai de fer, de chrome, de fonte, de sucre, de tabac, de cuivre, de viande et produits carnés et de cuirs et peaux en provenance de Rhodésie du Sud et exportés de Rhodésie du Sud après la date de la présente résolution ; b) toutes activités de leurs ressortissants ou sur leurs territoires qui favorisent ou qui ont pour objet de favoriser l’exportation de ces produits par la Rhodésie du Sud (…) ; c) l’expédition par navires ou aéronefs immatriculés chez eux de l’un quelconque de ces produits en provenance de Rhodésie du Sud (…) ; d) toutes activités de leurs ressortissants ou sur leurs territoires qui favorisent ou ont pour objet de favoriser la vente ou l’expédition à destination de la Rhodésie du Sud la vente d’armes, de munitions de tous types, d’aéronefs militaires, de véhicules militaires, et d’équipements et de matériels pour la fabrication et l’entretien d’armes et de munitions en Rhodésie du Sud ; e) toutes activités de leurs ressortissants ou sur leurs territoires qui favorisent ou qui ont pour but de favoriser la livraison à la Rhodésie du Sud de tous autres aéronefs et véhicules à moteur et d’équipements et de matériels pour la fabrication, le montage ou l’entretien d’aéronefs et de véhicules à moteur en Rhodésie du Sud (…) ; f) la participation sur leurs territoires ou territoires placés sous leur administration ou de moyens de transport terrestres ou aériens ou de leurs ressortissants ou de navires immatriculés chez eux à la fourniture de pétrole ou de produits pétroliers à la Rhodésie du Sud ; (…) 3. Rappelle aux Etats membres que le fait pour l’un quelconque d’entre eux de ne pas appliquer ou de refuser d’appliquer la présente résolution constituera une violation de l’article 25 de la Charte des Nations Unies. 4. Réaffirme les droits inaliénables du peuple de la Rhodésie du Sud à la liberté et à l’indépendance, conformément à la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux figurant dans la résolution 1514 (XV) de l’Assemblée générale, en date du 14 décembre 1960, et reconnaît la légitimité de sa lutte pour s’assurer l’exercice de ses droits, tels qu’ils sont énoncés dans la Charte des Nations Unies ; (…) »575. La doctrine est divisée sur la question de savoir si le constat de la menace contre la paix résultait, en l’espèce, de l’usurpation par un gouvernement raciste du droit à l’autodétermination du peuple de Rhodésie du Sud ou de la crainte que la situation dégénère en conflit international576. Selon J. Farrall, « the denial of the right to self-determination by the illegal white minority regime was the major factor prompting the Council to determine the 575 Mis en gras par nous. 576 Voir, s’agissant du débat doctrinal peu après l’adoption de la CS/RES/232, GOWLLAND-DEBBAS, Collectives responses, op. cit. note 389, pp. 450-451. 146 existence of a threat to the peace »577. Au contraire, J. Frowein et N. Krisch estiment, dans leur commentaire de l’article 39 de la Charte, que la menace résultait du « potential for the spread of armed conflict thoughout Southern Africa »578. C. Fenwick réconcilie les deux approches de cette manière: « On what ground could the United Nations justify taking up what was primarily a domestic issue between a mother country and its colony ? (…) Here was, indeed, a potential threat to the peace, based upon the principle that denial of ‘majority rule’ in one country can justify neighbouring countries in openly intervening to protect a racial group against injustice »579. Par là cependant, C. Fenwick donne la préférence à l’approche selon laquelle le Chapitre VII aurait été mis en oeuvre par le Conseil de sécurité en raison du risque d’internationalisation du conflit. Ce risque constituerait précisément la « menace » contre la paix et la sécurité internationales. Dans le sens de C. Fenwick, on peut citer le préambule de la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et peuples coloniaux qui fait l’objet de la résolution 1514 de l’Assemblée générale du 14 décembre 1960 à laquelle font référence les résolutions 217 et 232 du Conseil de sécurité. A l’alinéa 4 du préambule, l’Assemblée générale se dit, en effet, « consciente des conflits croissants qu’entraîne le fait de refuser la liberté à ces peuples ou d’y faire obstacle, qui constituent une grave menace à la paix mondiale ». La menace contre la paix ne résulterait donc pas directement de la négation à un peuple de son droit à l’autodétermination, mais des conflits pouvant en résulter. En d’autres termes, la violation du droit à l’autodétermination ne serait qu’une cause indirecte d’une menace contre la paix. Les auteurs, comme J. Farrall, qui considèrent au contraire que le Conseil de sécurité s’est attaché à la violation du droit à l’autodétermination du peuple de Rhodésie du Sud, y voient une évolution de la notion de menace contre la paix. Celle-ci n’engloberait pas seulement la crainte d’un conflit international mais aussi, voire surtout, le refus de l’oppression et de la négation des droits fondamentaux des peuples par leurs gouvernements. C’est notamment 577 J. FARRALL, United Nations Sanctions and the Rule of Law, CUP (2007), pp. 92-93. Dans le même sens : GOWLLAND-DEBBAS, « The Security Council as Enforcer of Human Rights », op. cit. note 10, p. 42 ; de la même auteure, Collective Responses, op. cit. note 389, p. 470 : « it was undoubtedly the act of the [unilateral declaration of independence] – an act, which […] was considered to violate an international legal norm and a fundamental one at that – that formed the pivot of this threat » ; SHRAGA, « The Security Council and Human Rights - From Discretion to Promote to Obligation to Protect », Securing Human Rights ?, op. cit. note 10, p. 14, n. 30. 578 J. FROWEIN & N. KRISCH, « Article 39 », in : B. SIMMA (éd), The Charter of the United Nations: A Commentary, OUP (2002), p. 724. KRISCH ne remet pas en cause cette opinion dans l’édition 2012 du commentaire, « Article 39 », op. cit. note 404, p. 1286 (« The SC action was at least in part driven by a concern for the danger of armed conflict in Southern Africa »). 579 C. FENWICK, « When is there a threat to the peace? Rhodesia », 61 AJIL (1967), pp. 753-754. 147 l’avis de M. Matheson, qui prend également pour exemple l’application du Chapitre VII à l’encontre de l’Afrique du Sud pratiquant l’apartheid : « Indeed, it is fair to say that the Council’s use of Chapter VII for Rhodesia and South Africa was less a reflection of a desire to deal aggressively with threats to the peace as such than a determination to eradicate odious racial discrimination and oppression. In that sense, the Council’s actions on Rhodesia and South Africa can be seen as first steps toward the use of Chapter VII to achieve human rights objectives that became frequent after the end of the Cold War »580. S’agissant de l’Afrique du Sud, il existe en effet un débat similaire à celui de la Rhodésie du Sud : la menace contre la paix résultait-elle de l’apartheid ou de la politique agressive de l’Afrique du Sud à l’encontre des Etats limitrophes que sa volonté de se procurer l’arme nucléaire aggravait ?581 Cette question imprègne en filigrane tout notre travail : lorsqu’il constate formellement une menace contre la paix, le Conseil de sécurité s’attache-t-il aux effets internationaux d’une situation prima facie interne ou à la nature de la situation (en l’occurrence, la violation du droit à l’autodétermination) ? Vraisemblablement les deux : mais cette dernière hypothèse implique qu’en présence d’une nouvelle situation prima facie interne ne présentant pas de risque d’internationalisation du conflit, le Conseil de sécurité ne verrait pas de raison d’intervenir au titre du Chapitre VII. Bien sûr, il est toujours possible que le Conseil de sécurité considère qu’une situation interne d’une certaine nature (guerre civile, violation grave des droits de l’homme, etc.) présente en soi un risque d’internationalisation, soit par le risque de conflagration d’un conflit interne, soit par l’hypothèse de l’intervention d’Etats étrangers en soutien d’une partie de la population. Dès lors qu’il est question de « risque », de « menace » et d’ « hypothèse », la potentialité est à son maximum. Nous reviendrons plus loin sur cet aspect problématique de la notion582. Revenons à l’examen de la situation en Rhodésie du Sud. A la lecture des résolutions pertinentes dont les extraits sont reproduits au-dessus, la menace contre la paix semble avant tout avoir résulté, selon le Conseil de sécurité, de la proclamation illégale de l’indépendance du pays par un gouvernement raciste en méconnaissance du droit à l’autodétermination du peuple de Rhodésie du Sud. En effet, les résolutions énoncent en préambule ou dans le premier paragraphe du dispositif que la proclamation de l’indépendance de la Rhodésie du 580 MATHESON, Council Unbound, op. cit. note 490, p. 46. 581 Voir supra, titre II, première section, 2.2.1.5. KRISCH adopte à cet égard la même approche que vis-à-vis de la situation en Rhodésie du Sud : « the qualification of the situation in South Africa as a threat to the peace in 1977 […] mainly reflected the country’s aggressive stance towards its neighbours », « Article 39 », op. cit. note 404, p. 1286. 582 Voir infra titre III. 148 Sud par une minorité raciste de colons est illégale et qu’elle est grave. Dans le premier paragraphe du dispositif de la résolution 217, un lien est fait entre le maintien dans le temps de cette circonstance et la menace contre la paix. Par ailleurs, même si ces références apparaissent dispersées, le § 4 du dispositif de la résolution 232 et le § 7 de la résolution 217 évoquent le droit « inaliénable » du peuple de Rhodésie du Sud de décider de son avenir politique et économique conformément à la Déclaration des Nations Unies sur l’octroi de l’indépendance aux pays et peuples coloniaux. L’aliénation du droit à l’autodétermination rendait la proclamation de l’indépendance de la Rhodésie du Sud intolérable. Peut-on s’arrêter là et considérer que c’est la violation du droit à l’autodétermination qui a motivé le constat de la menace contre la paix par le Conseil de sécurité ? Ce n’est pas seulement une question d’interprétation des résolutions du Conseil de sécurité - quant aux motifs du constat de la menace contre la paix - qui se pose ici583. Selon notre approche du sujet et la méthodologie pour laquelle nous avons opté584, il convient d’examiner les termes de la discussion parmi les Etats membres du Conseil de sécurité quant à ces motifs. Les procès-verbaux des séances rendent compte d’avis plus contrastés que ne le laissent paraîtrent les résolutions pertinentes s’agissant de la situation de la Rhodésie du Sud. Certes, les Etats insistaient sur l’illégalité du régime de Ian Smith et le mépris de celui-ci pour l’institution et les principes des Nations Unies et, en particulier, le droit à l’autodétermination des peuples585. Mais, même à cet égard, certains Etats justifiaient la mise en œuvre du Chapitre VII par le risque de propagation d’une telle attitude au-delà des frontières de la Rhodésie du Sud. Ainsi, le représentant de la Jordanie a déclaré : « il faut agir contre ce défi lancé à l’autorité et aux valeurs que défendent les Nations Unies dans une région, car ce défi risque de se propager à d’autres régions »586, sans préciser ce qu’il entendait exactement par le risque que cette défiance se propage à d’autres régions. Que craignait-il au final ? S’agissait-il d’une crainte de même nature que celle énoncée par le représentant des Etats-Unis ? 583 Sur l’interprétation des résolutions du Conseil de sécurité, voir CIJ, avis sur la Namibie (1971), op. cit. note 292, p. 53, § 114 (sur l’effet obligatoire uniquement) et sur la déclaration unilatérale d’indépendance du Kosovo (2010), op. cit. note 9, pp. 442-444, §§ 94-100 (principes généraux et application de ces principes à l’interprétation de la CS/RES/1244) ; E. PAPASTAVRIDIS, « Interpretation of Security Council Resolutions under Chapter VII in the Aftermath of the Iraqi crisis », 56 ICLQ (2007), pp. 83-118 ; WOOD, « The Interpretation », op. cit. note 15, pp. 73-96. 584 Voir supra introduction générale et les propos introductifs (remarques terminologiques et problématisation) au 2., titre II, première section. 585 Voir inter alia Etats-Unis, S/PV.1333, § 13 ; Uruguay, S/PV.1340, § 30 ; Pakistan, S/PV.1335, § 80. 586 SPV.1340, § 12. 149 « La situation rhodésienne pose un grave problème pratique dont les répercussions morales sont énormes. On dit quelquefois que les considérations morales n’ont aucun rapport avec la conduite pratique des nations. Mais mon gouvernement, tout comme la Charte, diffère sur ce point. Le droit dont la Charte est l’expression se fonde sur de nombreux principes moraux. Le jour où l’on jugera que ces principes de droit sont inapplicables, ou ne le sont qu’à certains Etats et pas à d’autres, la paix mondiale sera tragiquement menacée »587. Le représentant de l’Uruguay, pour sa part, a affirmé que la situation en Rhodésie du Sud n’intéressait pas seulement les habitants de ce territoire. Elle concernait manifestement la puissance « administrante » (le Royaume-Uni) mais aussi les pays qui faisaient partie du Commonwealth, tout le continent africain et « qui plus est, du fait du jeu de cet engrenage subtil de causes et d’effets d’ordre économique et en raison de l’influence de cette nouvelle conception universelle des droits de l’homme », la situation préoccupait « tous les peuples de la terre »588. Mais que veut dire le représentant de l’Uruguay lorsqu’il ajoute : « Nous nous trouvons (…) devant une situation aggravée qui nécessite l’adoption de mesures plus sévères et plus draconiennes propres à extirper définitivement le mal avant qu’il devienne un désastre collectif s’étendant aux voisins et provoquant une catastrophe de proportions absolument imprévisibles »589 ? Précisant sa pensée un peu plus loin, il fait part de sa crainte d’un conflit racial qui embraserait l’Afrique australe et notamment la Rhodésie du Sud, l’Afrique du Sud, le SudOuest africain, le Mozambique, la Zambie, les nouveaux pays de Lesotho et Botswana et le territoire de Souaziland (qui allait bientôt accéder à l’indépendance)590. Le représentant de l’Uruguay craignait donc la guerre (au sens d’un conflit armé impliquant au moins deux Etats). Ces propos ont été repris en substance par les représentants de la Zambie et du Mali591. Ils marquent une différence avec ceux rapportés au-dessus quant à l’internationalisation de la situation : il ne s’agit pas seulement du risque de propagation d’une attitude (défiante vis-à-vis de l’autorité des Nations Unies et de la Charte) mais du risque de conflit armé international, en d’autres termes, du risque d’une rupture de la paix internationale. C’est dans cet état d’esprit que le représentant de l’Argentine a considéré que les faits en Rhodésie du Sud reflétaient « un état latent pouvant aboutir à tout moment à une rupture de la paix »592. En effet, la présence d’un gouvernement de minorité fondée sur l’inégalité raciale 587 Ibid., § 26. 588 Ibid., § 19. 589 Ibid., § 22 (mis en italique par nous). 590 Ibid., § 43. 591 Zambie : « […] nous lançons un appel à tous les Etats pour qu’ils redoublent d’efforts pour soutenir la noble et juste cause de ce peuple, ainsi que la cause de la justice, de la dignité humaine, de la liberté et de la paix. De tout défection résultera certainement une guerre raciale », S/PV.1332, §41 ; Mali, S/PV.1335, §56. 592 S/PV.1332, § 54. 150 ne constituait pas seulement un affront à la dignité de l’homme mais mettait aussi en danger la paix et la sécurité « et ce non seulement sur le plan intérieur mais aussi sur le plan international »593. De même, le représentant de l’Inde a non seulement blâmé l’attitude défiante du gouvernement autoproclamé de Rhodésie, mais il a aussi évoqué le scénario d’un conflit ravageant tout le continent africain : « la réponse à la grave question de savoir si l’Afrique sera un continent de paix ou une scène ensanglantée par la violence et la guerre dépend de la rapidité, de l’audace, de l’énergie et du succès avec lesquels une solution sera apportée à ce problème. Cela fait maintenant treize mois qu’une poignée de racistes a osé usurper, par un acte de défi et au mépris absolu des principes fondamentaux de la Charte des Nations Unies, l’autorité d’un Etat beaucoup plus puissant et proclamé l’indépendance de la Rhodésie »594. Le représentant des Etats-Unis a déclaré que la déclaration illégale d’indépendance en Rhodésie du Sud ne manquerait pas de créer une « situation dangereuse et explosive »595 (expression qui ne peut manquer d’évoquer un conflit armé). Enfin, le représentant de la Côte d’Ivoire a évoqué, s’agissant de la Rhodésie du Sud, un « foyer virtuel de guerre »596. Il considérait, en effet, que la paix était « réellement menacée » du fait que « l’armée des rebelles blancs » avait pris « ses positions de combat face à la Zambie »597. Il concluait ainsi : « le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il y a une menace certaine à la paix, qu’une guerre peut éclater, une guerre aux conséquences incalculables »598. Le représentant de la Jamaïque donnait du poids à cet argument lorsqu’il invitait tous les Etats africains à se considérer immédiatement en guerre avec le gouvernement illégitime raciste de Rhodésie du Sud et à envoyer en conséquence des contingents en Rhodésie du Sud « afin d’aider le peuple du Zimbabwe à se libérer et à protéger sa propre indépendance »599. 593 Ibid., § 46 (mis en italique par nous). Dans le même sens, Royaume-Uni, S/PV.1331, § 23 (« La déclaration illégale d’indépendance du Front rhodésien […] entraîne les conséquences les plus graves. La paix et la stabilité de toute la région de l’Afrique centrale et de l’Afrique australe sont sérieusement menacées. Cette question crée des tensions entre nations, jusqu’en dehors de l’Afrique »), voir aussi ibid., § 24 (« Les agissements d’un petit groupe d’hommes prêts à tout ont provoqué, et prolongent, une situation des plus critiques qui fait peser sur toute l’Afrique australe un danger de plus en plus grave de lutte raciale et d’effusion de sang qu’il est du devoir de chacun d’entre nous de s’efforcer de prévenir. […] la situation résultant des premiers actes du régime Smith, qui a déclaré son indépendance de façon illégale et anticonstitutionnelle, compromet non seulement la stabilité et le progrès des voisins immédiats de la Rhodésie, mais encore le maintien de la paix et de la sécurité internationales »). 594 S/PV.1334, § 4. 595 S/PV.1340, § 19. 596 S/PV.1265, § 20. 597 Ibid., § 23. 598 Ibid., § 25. 599 S/PV.1262, § 19. 151 Il ressort de ces différentes déclarations que la situation, prima facie interne, de la Rhodésie du Sud était considérée par les Etats membres du Conseil de sécurité comme étant de nature internationale en raison : 1) du risque de propagation d’une telle attitude de défiance vis-à-vis de l’autorité des Nations Unies et du principe de l’autodétermination des peuples ; et/ou 2) de l’hypothèse d’un conflit armé international résultant notamment de l’intervention d’Etats africains en Rhodésie du Sud. Sans que cela n’ait été explicitement dit par un Etat, il est relativement évident que l’hypothèse d’un conflit embrasant la région résultant de l’intervention d’Etats africains était indissociable du premier point, à savoir que cette intervention viendrait sanctionner la méconnaissance d’un droit essentiel pour ces Etats et garanti par le droit des Nations Unies : le droit à l’autodétermination des peuples. Dans les deux cas (1 et 2), la situation dépasse les frontières de Rhodésie du Sud. Mais estce à dire que la situation menace la paix car elle est de nature internationale ? Non, assurément, ce n’est pas suffisant. Au regard des déclarations des Etats, il semble que la minorité des Etats membres ait considéré que la seule circonstance que le droit à l’autodétermination ait été méconnu relevait du champ d’application de l’article 39 de la Charte et exigeait, par conséquent, des mesures relevant du Chapitre VII. Néanmoins, la majorité des Etats, d’après notre analyse, ont adopté le raisonnement suivant, en deux temps : - la question était d’intérêt international (pour diverses raisons : soit parce que la Rhodésie du Sud était un territoire administré et, à ce titre, relevait déjà de la compétence des Nations Unies aux termes de son Chapitre XI600 ; soit parce que le droit à l’autodétermination des peuples avait été consacré par l’Assemblée générale des Nations Unies ; soit parce que l’attitude du gouvernement de Ian Smith à l’égard des principes et de l’institution des Nations Unies était intolérable) ; - la situation menaçait de se transformer en un conflit impliquant plusieurs Etats africains, susceptible d’embraser l’Afrique australe qui était sur le point d’achever sa phase de décolonisation. 600 C’était notamment le point de vue des Etats-Unis, S/PV.1340, § 19. 152 Le fait que la question soit « d’intérêt international » ne suffisait donc pas, selon les Etats membres, pour qu’il y ait une menace contre la paix. Dans l’autre sens de l’équation (les termes étant « une situation interne » et « la paix internationale »), il ressort de ces discussions qu’une menace contre la paix ne saurait être constatée dans le cas d’une situation « purement interne ». Cas n° 2 : Somalie (1992), un désastre humanitaire (et un conflit à dimension internationale) Extraits pertinents de la résolution 733 (23 janvier 1992) « Le Conseil de sécurité, (…) Gravement alarmé par la détérioration rapide de la situation en Somalie ainsi que par les lourdes pertes en vies humaines (…) et conscient de ses conséquences pour la stabilité et la paix dans la région, Préoccupé par le fait que, comme le Secrétaire général l’a indiqué dans son rapport, la persistance de cette situation constitue une menace pour la paix et la sécurité internationales, (…) »601. Extraits pertinents de la résolution 794 (3 décembre 1992) « Le Conseil de sécurité, Réaffirmant ses résolutions 733 (1992) du 23 janvier 1992, 746 (1992) du 17 mars 1992, 751 (1992) du 24 avril 1992, 767 (1992) du 27 juillet 1992 et 775 (1992) du 28 août 1992, Considérant que la situation actuelle en Somalie constitue un cas unique et conscient de sa détérioration, de sa complexité et de son caractère extraordinaire, qui appellent une réaction immédiate et exceptionnelle, Estimant que l’ampleur de la tragédie humaine causée par le conflit en Somalie, qui est encore exacerbée par les obstacles opposés à l’acheminement de l’aide humanitaire, constitue une menace à la paix et à la sécurité internationales, Gravement alarmé par la détérioration de la situation sur le plan humanitaire en Somalie et soulignant la nécessité urgente d’acheminer rapidement l’aide humanitaire dans l’ensemble du pays, (…) Consterné par la persistance de conditions qui empêchent l’acheminement de secours humanitaires à l’intérieur de la Somalie et, en particulier, par les informations concernant le pillage de secours destinés à la population affamée, des attaques contre les aéronefs et les navires apportant des secours humanitaires, et des attaques contre le contingent pakistanais de l’ONUSOM à Mogadishu, (…) Estimant, comme le Secrétaire général, que la situation en Somalie est intolérable et qu’il est devenu nécessaire de revoir les fondements et principes de base de l’action des nations Unies en Somalie, et que le présent mode de fonctionnement de l’ONUSOM n’est pas, dans les circonstances actuelles, la formule qui convient pour faire face à la tragédie en Somalie, Résolu à instaurer aussitôt que possible les conditions nécessaires pour l’acheminement de l’aide humanitaire partout où le besoin s’en fait sentir en Somalie, conformément à ses résolutions 751 (1992) et 767 (1992), (…) Résolu en outre à rétablir la paix, la stabilité et l’ordre public en vue de faciliter le processus de règlement politique sous les auspices de l’Organisation des Nations Unies, visant à la réconciliation nationale en Somalie (…), 601 Mis en gras par nous. 153 Considérant que le peuple somali a la responsabilité ultime de la réconciliation nationale et de la reconstruction de son propre pays, (…) 2. Exige que toutes les parties, tous les mouvements et toutes les factions en Somalie prennent toutes les mesures nécessaires pour faciliter les efforts que déploient l’Organisation des Nations Unies et ses institutions spécialisées ainsi que les organisations humanitaires afin de fournir une aide humanitaire d’urgence à la population touchée en Somalie ; (…) 7. Souscrit à la recommandation faite par le Secrétaire général (…) selon laquelle des mesures devraient être prises en vertu du Chapitre VII de la Charte afin d’instaurer aussitôt que possible des conditions de sécurité pour les opérations de secours humanitaire en Somalie ; 8. Se félicite de l’offre d’un Etat membre (…) concernant l’établissement d’une opération en vue de l’instauration de ces conditions de sécurité ; 9. Se félicite également de l’offre d’autres Etats membres de participer à cette opération ; 10. Agissant en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies, autorise le Secrétaire général et les Etats membres qui coopèrent à la mise en œuvre de l’offre visée au paragraphe 8 ci-dessus à employer tous les moyens nécessaires pour instaurer aussitôt que possible des conditions de sécurité pour les opérations de secours humanitaire en Somalie ; (…) »602. La résolution 794 a été adoptée avec un élan particulier, celui d’inscrire l’action des Nations Unies dans le « nouvel ordre mondial »603 qui marque une rupture avec l’ère de la guerre froide. Dans cette nouvelle ère, les Nations Unies ont pour mission, selon les EtatsUnis, de répondre aux besoins humanitaires d’urgence et de maintenir la paix 604 . Le mouvement a été amorcé par le rapport du Secrétaire général de l’époque Agenda pour la paix qui préconisait un élargissement du rôle des Nations Unies en matière de maintien de la paix et de la sécurité internationales, notamment dans les conflits internes. Dans leurs déclarations au Conseil de sécurité en faveur du Chapitre VII, les Etats ont insisté sur l’ampleur et le caractère tragique de la situation en Somalie605, en particulier sur le sort des « hommes, des femmes et des enfants innocents en proie à la famine »606 auxquels l’aide d’urgence internationale ne parvenait pas en raison des violences et du vandalisme. Cependant, certains Etats, de même que le Secrétaire général, ont également estimé nécessaire 602 Mis en gras par nous. 603 « Ordre international nouveau », Cap-Vert, S/PV.3145, p. 18 ; Hongrie, ibid., p. 48 (« nouvel environnement international »). 604 Etats-Unis, ibid., p. 36. Dans le même sens, la Hongrie a exprimé l’opinion selon laquelle la période d’aprèsguerre ouvrait une nouvelle ère pour les Nations Unies avec de nouvelles responsabilités en matière de sécurité collective. 605 Voir, inter alia, Zimbabwe, ibid., p. 6 ; Belgique, ibid., p. 22 ; Fédération de Russie, ibid., p. 26 ; RoyaumeUni, ibid., pp. 32-33 ; Etats-Unis, ibid., p. 36 ; Venezuela, ibid., p. 38. 606 Zimbabwe, idem. 154 de justifier l’action des Nations Unies en Somalie, s’agissant prima facie d’une situation (purement) interne. Pour le Secrétaire général de l’époque (B. Boutros-Ghali), une intervention en vertu du Chapitre VII était nécessaire pour assurer les conditions de l’acheminement de l’aide humanitaire à la population. Or, en l’absence d’un gouvernement en Somalie, les Nations Unies étaient les seules à même d’autoriser ce recours à la force. Mais, l’intervention des Nations Unies résultait également de « l’existence d’une menace contre la paix, en raison des répercussions du conflit en Somalie sur l’ensemble de la région »607. Certains Etats ont affirmé souscrire à cette analyse. Ainsi, le représentant du Cap-Vert a déclaré que le conflit interne en Somalie avait, au-delà de sa dimension nationale, « une dimension internationale étant donné que, par ses répercussions sur les pays voisins, il met[ait] en danger la stabilité et la sécurité dans toute la région »608. En outre, ce même représentant a considéré que le conflit interne en Somalie avait atteint « un niveau de destruction comparable à ceux des plus féroces conflits internationaux », ce qui rendait nécessaire « une action résolue et efficace de la communauté internationale ayant comme objectif la cessation de la tragédie dans laquelle le peuple somali se trouve plongé »609. D’un point de vue conceptuel, le représentant du Cap-Vert a avancé deux types d’arguments différents pour faire le lien entre la situation interne à la Somalie et la menace à la paix et à la sécurité internationales qui en résulte. Le premier argument met l’accent sur les effets internationaux de la situation interne. Le second insiste sur la nature des violences : s’il n’y aucune différence de nature entre un conflit interne d’une rare violence et un conflit opposant un ou plusieurs Etats, pourquoi seul le conflit international mériterait l’attention des Nations Unies610? Cet argument suppose que le conflit international relève (a priori) de la 607 « le Conseil de sécurité n’a plus maintenant d’autres possibilités que de décider d’adopter des mesures plus énergiques pour permettre la réalisation des opérations humanitaires en Somalie […]. Il n’existe à l’heure actuelle aucun gouvernement qui puisse demander et autoriser un tel recours à la force. Il serait donc nécessaire que le Conseil de sécurité constate, conformément à l’article 39 de la Charte, l’existence d’une menace contre la paix, en raison des répercussions du conflit en Somalie sur l’ensemble de la région, et qu’il décide des mesures à prendre pour maintenir la paix et la sécurité internationales » (S/24868, p. 3). 608 S/PV.3145, p. 18 ; Dans le même sens, Maroc : « La violence continue, fomentée par les seigneurs de la guerre sans foi ni loi, constitue une menace certaine pour la corne de l’Afrique, région déjà affligée par la famine, les guerres civiles et les déplacements massifs de réfugiés. C’est donc aussi une menace pour la paix et la sécurité internationales » (ibid., p. 43) ; voir aussi l’expression utilisée par la Chine de « paix et sécurité régionales » (ibid., p. 17) ; Etats-Unis, ibid., p. 38 (atteinte à la « stabilité internationale »). 609 Ibid., p. 18. 610 Ce second argument est à la base du plaidoyer de B. BOUTROS-GHALI, dans son rapport Agenda pour la paix (1992), pour l’élargissement du rôle du Conseil de sécurité au titre du Chapitre VII. 155 compétence des Nations Unies en raison de l’intensité des violences et de la souffrance humaine qu’il suscite, ce qui ne reflète pas nécessairement les intentions des rédacteurs de la Charte et des membres originaires des Nations Unies. Il est cependant permis d’imaginer qu’une opinio juris, telle qu’exprimée notamment par le représentant du Cap-Vert, se soit développée dans ce sens. Ainsi, le représentant du Venezuela a invoqué l’ « affront à la dignité et à la conscience de la communauté internationale »611 que constituait la situation en Somalie, tandis que le représentant de l’Equateur a déclaré que « l’interdépendance et la solidarité, fondements de l’ordre international que nous vivons aujourd’hui, ne nous permettent pas de rester indifférents aux souffrances humaines où qu’elles se produisent »612. Après avoir reconnu le caractère atypique et exceptionnel de la crise somalienne, le représentant de l’Equateur a souscrit à l’avis du Secrétaire général selon lequel la situation en Somalie était « devenue une menace à la paix et à la sécurité internationales »613. Au final, la situation en Somalie a été considérée par les Etats membres du Conseil de sécurité comme une situation menaçant la paix et la sécurité internationales, soit par crainte de ses effets déstabilisateurs sur les autres pays de la région, ce que confirme le préambule de la résolution 733 (à cet égard, la circonstance tenant à l’absence de gouvernement somalien a certainement beaucoup compté614), soit en raison de la nature particulière du drame somalien qui ne pouvait laisser la communauté internationale indifférente615, soit pour ces deux raisons combinées. 611 Venezuela, S/PV.3145, p. 39 ; dans le même sens, Autriche, ibid., p. 31 quant à l’affront de ceux qui contrecarrent l’acheminement de l’aide humanitaire jusqu’aux victimes du conflit par le pillage et les attaques contre le personnel des Nations Unies. 612 S/PV.3145, p. 11, évoquant par ailleurs la « tragédie du peuple somali », idem. Voir aussi Chine, ibid., p. 16 (« La dégradation rapide de la situation en Somalie préoccupe vivement la communauté internationale […] le nombre de victimes s’accroît à une vitesse stupéfiante. La délégation chinoise est donc profondément préoccupée par cet état de choses […], mus par notre profonde sympathie pour le peuple somalie en proie aux souffrances ») ; Autriche, ibid., p. 31 (par la résolution 794, « le Conseil s’acquitte de sa responsabilité envers la population souffrance de Somalie et répond son appel à la solidarité internationale »). 613 Ibid., p. 12. 614 Voir, par exemple, Chine, ibid., p. 16, Belgique, ibid., p. 23 (« la situation atypique d’un pays sans gouvernement, sans administration, sans autorité, où des factions et des bandes font la loi »), Venezuela, ibid., p. 41, Hongrie, ibid., p. 49 ainsi que l’analyse de la situation par le Secrétaire général supra. 615 Dans ce sens LAILACH, Die Wahrung des Weltfriedens, op. cit. note 484, p. 137, à propos spécifiquement de la situation en Somalie (« Der Beweggrund war allein das unvorstellbare Ausmass menschlichen Leidens », souligné par nous); P.-M. DUPUY, « Sécurité collective et construction de la paix dans la pratique contemporaine du Conseil de sécurité », in : U. BEYERLIN et al. (éds.), Recht zwischen Umbruch und Bewahrung, Festschrift für Rudolf Bernhardt, Springer-Verlag (1995), p. 54 (« […] l’opération décidée se déroulait dans un seul pays, sans danger manifeste d’internationalisation du conflit. Ce qui préoccupait ainsi le Conseil dans le cas somalien était davantage d’assurer la survie des populations et la reconstitution des bases de 156 Tous les Etats se sont néanmoins accordés sur le fait que la situation en Somalie était d’une nature exceptionnelle 616 . Est-ce à comprendre que la situation interne a été exceptionnellement considérée comme étant « internationale » et qu’on ne peut tirer aucun enseignement de la manière dont la situation en Somalie a été traitée par le Conseil de sécurité et des discussions de type « constitutionnel » que la situation a suscitées ? Qu’entendaient donc les Etats par « situation exceptionnelle » ? Deux hypothèses au moins peuvent être avancées. Il pouvait aussi bien s’agir du caractère exceptionnel des souffrances humaines (famine, aide internationale entravée, etc.) que de l’élément tenant à l’absence de gouvernement somalien effectif (« failed state »). Ces deux éléments étaient inextricablement liés dans la mesure où aucun gouvernement n’était en mesure de mettre un terme au conflit (susceptible, dès lors, de dépasser les frontières) et aux souffrances engendrées par celui-ci. Ces deux éléments étaient aussi vraisemblablement liés dans l’esprit des Etats membres. Cas n° 3 : Libye (2011), une situation internationale par nature ? Extraits pertinents de la résolution 1970 (26 février 2011) « Le Conseil de sécurité, Se déclarant gravement préoccupé par la situation en Jamahiriya arabe libyenne, et condamnant la violence et l’usage de la force contre les civils, Regrettant vivement les violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme, notamment la répression exercée contre des manifestants pacifiques, exprimant la profonde préoccupation que lui inspire la mort de civils et dénonçant sans équivoque l’incitation à l’hostilité et à la violence émanant de du plus haut niveau du Gouvernement libyen et dirigée contre la population civile, (…) Considérant que les attaques systématiques et généralisées actuellement commises en Jamahiriya arabe libyenne contre la population civile pourraient constituer des crimes contre l’humanité, Se déclarant préoccupé par le sort tragique des réfugiés forcés de fuir la violence en Jamahiriya arabe libyenne, (…) Rappelant que les autorités libyennes ont la responsabilité de protéger le peuple libyen, (…) Conscient de la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales qui lui est assignée par la Charte des Nations Unies, Agissant en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies et prenant des mesures au titre de son article 41, 1. Exige qu’il soit immédiatement mis fin à la violence et demande que des mesures soient prises pour satisfaire les revendications légitimes de la population ; (…) Saisine de la Cour pénale internationale l’Etat sur des prémisses démocratiques que la sauvegarde de la paix proprement internationale », en italique dans l’original ; « En Somalie, […] il s’agit de sauver un peuple en danger de famine même si sa détresse ne menace pas la paix internationale », dans ces deux passages, DUPUY entend la « paix » au sens étroit du terme). 616 Voir inter alia, Zimbabwe, S/V.3145, p. 6 ; Equateur, ibid., p. 12 ; Chine, ibid., p. 16 ; France, ibid., p. 29 ; Venezuela, ibid., p. 39 ; Maroc, ibid., p. 46. 157 4. Décide de saisir le Procureur de la Cour pénale internationale de la situation qui règne en Jamahiriya arabe libyenne depuis le 15 février 2011 (…) »617. Extraits pertinents de la résolution 1973 (17 mars 2011) « Le Conseil de sécurité, Déplorant que les autorités libyennes ne respectent pas la résolution 1970 (2011), Se déclarant vivement préocupé par la détérioration de la situation, l’escalade de la violence et les lourdes pertes civiles, Rappelant la responsabilité qui incombe aux autorités libyennes de protéger la population libyenne et réaffirmant qu’il incombe au premier chef aux parties à tout conflit armé de prendre toutes les mesures voulues pour assurer la protection des civils, Condamnant la violation flagrante et systématique des droits de l’homme (…), Considérant que les attaques généralisées et systématiques actuellement commises en Jamahiriya arabe libyenne contre la population civile peuvent constituer des crimes contre l’humanité, (…) Se déclarant résolu à assurer la protection des populations et zones civiles, et à assurer l’acheminement sans obstacle ni contretemps de l’aide humanitaire et la sécurité du personnel humanitaire, (…) Se déclarant à nouveau préoccupé par le sort tragique des réfugiés et des travailleurs étrangers forcés de fuir la violence en Jamahiriya arabe libyenne, se félicitant que les États voisins, en particulier la Tunisie et l’Égypte, aient répondu aux besoins de ces réfugiés et travailleurs étrangers, et demandant à la communauté internationale d’appuyer ces efforts, (…) Considérant que l’interdiction de tous vols dans l’espace aérien de la Jamahiriya arabe libyenne est importante pour assurer la protection des civils et la sécurité des opérations d’assistance humanitaire et décisive pour faire cesser les hostilités en Jamahiriya arabe libyenne, (…) Constatant que la situation Jamahiriya arabe libyenne reste une menace pour la paix et la sécurité internationales, Agissant en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies, 1. Exige un cessez-le-feu immédiat et la cessation totale des violences et de toutes les attaques et exactions contre la population civile ; (…) 3. Exige des autorités libyennes qu’elles respectent les obligations qui leur incombent en vertu du droit international, y compris le droit international humanitaire, du droit des droits de l’homme et du droit des réfugiés, et prennent toutes les mesures pour protéger les civils et satisfaire leurs besoins élémentaires, et pour garantir l’acheminement sans obstacle ni contretemps de l’aide humanitaire; 4. Autorise les États Membres qui ont adressé au Secrétaire général une notification à cet effet et agissent à titre national ou dans le cadre d’organismes ou d’accords régionaux et en coopération avec le Secrétaire général, à prendre toutes mesures nécessaires (…) pour protéger les populations et zones civiles menacées d’attaque en Jamahiriya arabe libyenne, y compris Benghazi (…) ; 6. Décide d’interdire tous vols dans l’espace aérien de la Jamahiriya arabe libyenne afin d’aider à protéger les civils (…) »618. Contrairement aux situations de la Rhodésie du Sud et de la Somalie, la situation en Libye n’a que très marginalement donné lieu à des commentaires de la part des Etats membres quant 617 Mis en gras par nous. 618 Mis en gras par nous. 158 au risque d’internationalisation du conflit ou de la situation. La répression des manifestations pacifiques par le régime libyen et les violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire commises par celui-ci à l’encontre de la population civile, ont constitué le cœur des débats ayant mené à l’adoption des résolutions 1970 et 1973 des 26 février 2011 et 17 mars 2011 respectivement619. Ce sont les exactions du gouvernement libyen qui ont motivé la mise en œuvre du Chapitre VII (en l’occurrence, la saisine de la Cour pénale internationale, les sanctions économiques à l’encontre des dirigeants libyens et l’autorisation donnée aux Etats membres de recourir à la force en Libye pour assurer la protection des civils). En effet, dans leurs déclarations au Conseil de sécurité, les Etats ont insisté sur le caractère intolérable de la situation en Libye, sans que la majorité d’entre eux ne cherchent à démontrer que la situation en Libye était dangereuse pour la paix et la stabilité des autres Etats de la région. Si une vague déclaration du Secrétaire général (B. Ki-Moon) au Conseil de sécurité allait dans ce sens, elle ne constituait pas, au vu de son discours global, la raison principale de 619 Royaume-Uni, S/PV.6491, p. 2 (« Le Royaume-Uni a présenté le texte de cette résolution [1970] parce qu’il était profondément préoccupé par la situation effroyable en Libye. Les violences que nous avons pu voir, aussi bien que les nouvelles incitations du colonel Kadhafi à la violence, sont tout à fait inadmissibles et mon gouvernement les a condamnées avec la dernière vigueur. La résolution d’aujourd’hui exige qu’il soit immédiatement mis fin à la violence et à la répression, que les droits de l’homme et le droit international soient pleinement respectés et que ceux qui sont responsables de cette violence rendent compte de leurs actes […]. L’adoption de la résolution 1970 (2011) par les 15 membres de ce Conseil démontre avec force que la communauté internationale est déterminée à être solidaire du peuple libyen et à défendre son droit de décider luimême de son propre avenir ») ; Afrique du Sud, ibid., p. 3 (« L’Afrique du Sud demeure profondément préoccupé par la dégradation de la situation en Libye, qui a débouché sur des atrocités sans nom et fait d’innombrables victimes au sein de la population civile. Le peuple libyen, auquel s’est joint le reste de la communauté internationale, a appelé à mettre un terme à ce recours aveugle à la force ») ; Nigéria, idem (« Le Nigéria reste profondément préoccupé par l’escalade de la violence, les discours incendiaires et les pertes humaine, que nous déplorons, en Libye ») ; Etats-Unis, ibid., pp. 3-4 (« Lorsque des atrocités sont commises contre des innocents, la communauté internationale doit parler d’une seule voix, et c’est ce qu’elle a fait aujourd’hui. […] La commumauté internationale ne tolérera aucune violence d’aucune sorte contre la population libyenne de la part du Gouvernement ou des forces de sécurité. […] Le Conseil de sécurité a agi aujourd’hui pour défendre les droits universels du peuple libyen ») ; Fédération de Russie, ibid., p. 4 (« La Fédération de Russie a appuyé la résolution 1970 (2011) du Conseil de sécurité car elle est gravement préoccupée par les événements qui se déroulent actuellement en Libye. Nous regrettons sincèrement les nombreuses pertes humaines parmi la population civile. Nous condamnons le recours à la force militaire contre les manifestants pacifiques et toutes les autres formes de violence, que nous jugeons absolument inacceptables ») ; Colombie, ibid., p. 5 (« Nous avons suivi avec consternation l’escalade de la violence et de la répression contre la population. La Colombie réaffirme qu’il est urgent de mettre fin à ces actes et exige des autorités libyennes qu’elles respectent scrupuleusement leurs obligations internationales et le droit international des droits de l’homme ») ; France, ibid., p. 6 (« ce texte [CS/RES/1970], adopté aujourd’hui à l’unanimité, rappelle la responsabilité de chaque Etat de protéger sa population et celle de la communauté internationale d’intervenir lorsque les Etats manquent à leur devoir. Nous espérons que les responsables du régime libyen écoutent ce message de la communauté internationale et se dissocient des violences inacceptables commises contre leur propre peuple, qui a droit à la démocratie, à la liberté et à la justice »). 159 l’intervention des Nations Unies en Libye620. Seules quelques déclarations d’Etats membres ayant souligné la nécessité de restaurer la stabilité en Libye621 et la crainte de la « propagation de la violence » 622 peuvent laisser penser qu’un lien devait encore être établi, dans les circonstances de l’espèce du moins, entre la situation en cause et « la paix et la sécurité internationales » au sens strict des termes. Néanmoins, ces éléments de nature sécuritaire sont noyés parmi le reste de l’argumentation de ces Etats qui met l’accent, de manière non équivoque, sur le caractère intolérable de la répression de la population civile par les autorités libyennes623. En outre, l’élément tenant à l’afflux de réfugiés de la Libye vers les pays limitrophes n’a pas semblé avoir pesé d’un poids substantiel dans le constat d’une menace contre la paix624, contrairement à ce qui avait été le cas, notamment, dans la résolution 688 du Conseil de sécurité s’agissant de la répression des Kurdes en Irak. Il semble donc que les Etats membres du Conseil de sécurité aient estimé que la situation régnant en Libye n’était pas une situation interne, mais une situation internationale par nature. Il s’agit d’une nette évolution de l’opinio iuris des Etats membres vis-à-vis des 620 S/PV.6490, p. 4 : « Il est temps que le Conseil de sécurité envisage des mesures concrètes. Les heures et les jours à venir seront décisifs pour les Libyens et leur pays, et les conséquences tout aussi importantes pour l’ensemble de la région » (mis en italique par nous). Le Secrétaire général ne précise pas cependant quelles sont ces conséquences. 621 L’absence de stabilité en Libye est un souci pour les autres Etats de la région, c’est-à-dire pour la stabilité régionale, elle ne concerne pas les Libyens en tant que tels sauf dans la mesure où elle est susceptible d’aggraver les violences et les exactions ; Inde, ibid., p. 2 ; Afrique du Sud, ibid., p. 3 (« Nous sommes certains que les mesures adoptées dans cette résolution [1970] contribueront à l’objectif à long terme du rétablissement de la paix et de la stabilité dans ce pays frère ») ; Chine, ibid., p. 5 ; Brésil, ibid., p. 7, mis en italique par nous (« le Brésil espère que la présente résolution contribuera à mettre fin à la violence en Libye, afin que ce pays puisse trouver rapidement une solution à la crise par le dialogue et la réconciliation. Un engagement constant de la communauté internationale est à cet égard essentiel si nous voulons mettre définitivement fin au bain de sang et rétablir la stabilité en Libye ») ; Fédération de Russie, ibid., p. 4 (« Nous demandons instamment aux autorités libyennes de répondre aux exigences de la communauté internationale […]. C’est indispensable pour prévenir une guerre civile généralisée et pour que la Libye reste un Etat souverain et uni et préserve son intégrité territoriale »). En effet, si la Libye perd sa souveraineté territoriale, elle devient un danger pour les autres Etats car elle n’est plus en mesure, par exemple, d’assurer que des groupes armés ne commettent des actes de violence à leur encontre depuis son territoire ; Liban, S/PV.6398, p. 4 ; 622 « En ce moment même, des Libyens sont menacés de mort et même tués. Nous pensons par conséquent que le Conseil de sécurité se devait de réagir dans l’urgence, et à l’unanimité, en imposant les mesures qui permettront de mettre fin à la violence et de prévenir l’escalade ou la propagation de la violence. Nous estimons à cet égard que la résolution 1970 (2011) est de nature à contribuer au renforcement de la paix et de la sécurité internationales » Bosnie-Herzégovine, S/PV.6491, p. 6 (mis en italique par nous). 623 KRISCH parvient à une conclusion similaire, « Article 39 », op. cit. note 404, p. 1283. 624 Si le représentant de la Bosnie-Herzégovine s’est inquiété de la fuite de réfugiés vers les pays voisins, c’était plus, visiblement, pour souligner la « dimension humanitaire de la crise » que les répercussions de celle-ci sur la stabilité dans la région. Il s’inquiétait en effet tout autant des réfugiés que des déplacés internes (qui, par définition, se trouvent sur le territoire libyen), S/PV.6491, p. 6. 160 situations examinées précédemment (Rhodésie du Sud et Somalie). Mais, comme nous avons commencé à l’esquisser plus haut, cette évolution s’est amorcée bien avant que la situation en Libye ne se présente au Conseil de sécurité. Elle s’est faite de manière progressive. A cet égard, la situation en Libye ne constitue pas une rupture, mais elle permet, dans un exercice de comparaison avec les situations de Rhodésie du Sud et de la Somalie, de saisir l’évolution opérée dans la pratique du Conseil de sécurité quant à la condition « internationale » devant caractériser la « paix » de la notion de menace contre la paix. Pour saisir cette évolution, il nous faut remonter un peu dans le temps. En 2006, le Conseil a adopté une de ses résolutions dites « thématiques » sur la protection des civils dans les conflits armés625. Au § 26 de sa résolution 1674 (2006), il a ainsi fait observer que « le fait de prendre délibérément pour cible des civils et d’autres personnes protégées626 et de commettre des violations systématiques, fragrantes et généralisées du droit international humanitaire et des droits de l’homme en période de conflit armé » pouvait « constituer une menace contre la paix et la sécurité internationales ». Si les résolutions 1970 et 1973 ne font pas exactement le lien entre le fait de prendre délibérément pour cible des civils et l’existence d’une menace contre la paix (mais entre ces exactions et la qualification de crimes contre l’humanité), le fait est qu’elles s’inscrivent toutes deux dans le cadre du Chapitre VII et que la résolution 1973 reconnaît l’existence (la persistance plutôt) d’une menace contre la paix vis-à-vis de la situation en Libye. En outre, le Statut de la Cour pénale internationale établit un lien entre les crimes contre l’humanité et la menace contre la paix. En effet, d’une part le Statut de Rome reconnaît en son préambule (3e alinéa) que « des crimes d’une telle gravité menacent la paix, la sécurité et le bien-être du monde », d’autre part, le Statut prévoit, en son article 13 b), la compétence de la Cour pénale internationale en cas de déférement d’une situation au Procureur par le Conseil de sécurité « agissant en vertu du Chapitre VII de la Charte ». Or, pour mettre en œuvre le Chapitre VII de la Charte, le Conseil de sécurité doit au moins constater l’existence d’une menace contre la paix627. Dès lors, peuton dire que le Statut de la Cour pénale internationale, conclu en 1998, a établi un lien entre les 625 Voir sur cette thématique de manière générale R. KOLB et G. GAGGIOLI, « Le Conseil de sécurité face à la protection des civils dans les conflits armés », in : M. VOYAME et al. (éds.), International Law, Conflict and Development. The Emergence of a Holistic Approach in International Affairs. Mélanges Joseph Voyame, Martinus Nijhoff Publishers (2010), pp. 49-104. 626 Par « personnes protégées », on entend en droit international humanitaire les personnes qui ne prennent pas part aux combats (les civils) mais aussi celles qui ne peuvent plus y prendre part en raison de blessures ou de maladies (combattants blessés ou malades). 627 Voir supra, titre II, première section, 2.2.1.1. 161 « crimes les plus graves, ayant une portée internationale »628 (crimes contre l’humanité, crime de génocide, crimes de guerre et crime d’agression) et la notion de menace contre la paix ? En fait, ce lien était latent dans la pratique du Conseil de sécurité. En effet, lorsque le 22 février 1993, par sa résolution 808, le Conseil de sécurité décide la création d’un tribunal international pour juger les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991, il estime que les violations généralisées de droit international humanitaire (notamment les tueries massives et la pratique du « nettoyage ethnique ») sont constitutives d’une menace contre la paix629. En outre, c’est dans l’objectif de rétablir et de maintenir la paix qu’il décide la création de ce tribunal630. Certes, il ne s’agissait pas d’une situation « purement interne » dans la mesure où le conflit mettait aux prises plusieurs Etats issus de l’ex-Yougoslavie précisément. Mais que dire de la situation au Rwanda ? Si certains Etats ont invoqué des motifs d’intervention tenant au risque d’internationalisation du conflit, force est de constater que le lien entre le crime de génocide (et les violations systématiques du droit international humanitaire) et la notion de menace contre la paix ressort nettement de la résolution 955 du 8 novembre 1994631. De cette mise en perspective, il ressort que de graves violations du droit international humanitaire ou des droits de l’homme commises dans un conflit armé élèvent, par nature, une situation interne au rang de situation internationale, sans qu’il ne soit besoin pour les Etats membres du Conseil de sécurité de le démontrer (cette démonstration peut cependant s’avérer nécessaire en cas de désaccord parmi les Etats membres). Cependant, cela signifie pas nécessairement que les violations du droit international humanitaire et des droits de l’homme applicables en temps de conflit armé menacent, per se, la paix et la sécurité internationales au sens de l’article 39, mais que la circonstance de graves exactions est considérée par les Etats membres du Conseil de sécurité comme étant susceptible d’avoir un impact sur la paix et la sécurité « internationales » (bien qu’a priori la situation soit circonscrite à l’intérieur des frontières d’un Etat). Cela signifie notamment qu’une situation interne présentant d’autres caractéristiques et pour laquelle il n’existe pas de précédents significatifs dans la pratique du Conseil de sécurité n’échappera pas 628 Article 1er du Statut. 629 Alinéas 6 et 7 du préambule de la CS/RES/808. 630 Ibid., alinéa 9 du préambule. 631 Alinéas 4 et 5 du préambule. 162 nécessairement à l’exigence (juridique) ou la nécessité (politique) pour les Etats membres de démontrer que la paix « internationale » est menacée. Conclusion sur le lien entre une situation « interne » et la paix « internationale » dans le discours juridique des Etats membres Les Etats considèrent qu’aux termes de l’article 39 de la Charte, le constat d’une menace contre la paix implique que la paix et la sécurité « internationales » soient menacées. Dans l’hypothèse d’une situation interne à un Etat, les Etats membres du Conseil de sécurité ont pour pratique de démontrer que la situation interne constitue néanmoins une menace pour la paix et la sécurité « internationales », en invoquant par exemple le risque que la situation ne se propage aux Etats limitrophes ou qu’un conflit armé impliquant plusieurs Etats n’embrase la région. Cependant, la situation récente de la Libye (2011) témoigne d’une modification de la pratique des Etats membres du Conseil de sécurité qui s’est amorcée avec la création des tribunaux pénaux internationaux pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda en 1993 et 1994. Aujourd’hui, dès lors qu’une situation concerne de graves violations du droit international humanitaire et des droits de l’homme applicables en temps de conflit armé, elle est considérée par les Etats membres du Conseil de sécurité comme étant susceptible, en soi, de poser un danger pour la paix et la sécurité « internationales », c’est-à-dire la paix et la sécurité de tous. La question de savoir dans quelle mesure les Etats considèrent qu’il s’agit là d’une menace contre la paix au sens de l’article 39 demeure néanmoins. En effet, par quel procédé la situation interne caractérisée par de graves et massives exactions est-elle considérée par le Conseil de sécurité comme menaçant la paix et la sécurité « internationales » ?632 Est-ce en raison de ses effets potentiels ou de la nature même des circonstances à l’origine de la menace ? 633 Cette question, que nous laissons ouverte pour le moment, sera abordée dans la 632 G. FOX se pose mutatis mutandis la même question à propos du lien entre l’impératif démocratique et la notion de menace contre la paix dans la pratique du Conseil de sécurité : « What link does [the Security Council] perceive between its mandate to maintain stable relations among states and the nature and quality of governance within states ? », « Democratization », in : D. MALONE (éd), The UN Security Council. From the Cold War to the 21st Century, Viva Books Private Limited (2006), p. 69 (les termes soulignés sont mis en exergue dans l’original par l’italique). 633 Mutatis mutandis, KRISCH souligne que le contexte de conflit armé (plus précisément de « large-scale violence ») dans lequel s’inscrivaient les exactions en Somalie, au Rwanda et dans l’est du Zaïre, situations qualifiées par le Conseil de sécurité de menaces contre la paix (respectivement, CS/RES/794, CS/RES/929 et CS/RES/1078), jette un doute sur la question de savoir si les graves violations du droit international humanitaire et des droits de l’homme applicables en temps de conflit armé constituent per se (« in and of themselves ») une menace contre la paix, « Article 39 », op. cit. note 404, p. 1286 (sous-entendu : ou si le constat d’une menace contre la paix dans ces situations était lié à l’existence d’un conflit armé ou d’un climat de grandes violences susceptible de se muer en un conflit armé international, voir à cet égard infra titre III). 163 troisième partie de ce travail (titre III). Elle concerne en effet la notion de potentialité qui se trouve au cœur de la notion de menace contre la paix. 2.2.2.2. Conditions temporelles de la menace contre la paix : imminence et persistance de la menace « Toute menace, en effet, est toujours latente, qu’elle doive se réaliser demain, après-demain ou dans cinq ans. C’est une question de temps ». Représentant de la Pologne au Conseil de sécurité634. Au début de la pratique du Conseil de sécurité, la majorité des Etats membres ne mettaient pas en doute le fait que la menace contre la paix devait revêtir un caractère imminent aux termes de l’article 39. Cette interprétation découlait du caractère d’urgence et exceptionnel des mesures du Chapitre VII. C’était notamment la conception de F. Roosevelt exposée dès 1943 à J. Staline lors de la Conférence de Téhéran : « there would be the Four Policemen, the chief enforcement body, with the power to deal with any threat to the peace in any sudden emergency »635. Au contraire, une minorité d’Etats ont soutenu, lors de l’examen de la question espagnole, que le rôle du Conseil de sécurité était précisément, au titre de la menace contre la paix, de prévenir une rupture de la paix et qu’il était consubstantiel à la menace contre la paix que celle-ci soit encore virtuelle lorsque le Conseil de sécurité décide d’agir, sans quoi l’article 41 deviendrait sans objet636. Selon ces Etats, exiger de la menace contre la paix qu’elle soit une rupture de la paix imminente aurait pour conséquence de diminuer la capacité du Conseil de sécurité à maintenir la paix et la sécurité internationales637. Ils insistaient sur la prévention des conflits et sur la nécessité d’éradiquer les menaces à la paix avant que la violence armée ne se déclare. En l’occurrence, le gouvernement espagnol constituait un « danger en tant que foyer fasciste et en tant que source virtuelle de provocations et de complications graves aboutissant à une rupture de la paix et de la sécurité »638. Le débat ayant lieu en 1946, ces Etats avaient en 634 A propos de la « question espagnole », S/PV.47, p. 370 ou Répertoire de la pratique du Conseil de sécurité (1946-1951), p. 542. 635 E. LUARD, A History of the UN : The Years of Western Domination (1945-1955), Palgrave Macmillan (1982), p. 24. Voir aussi R. SHERWOOD, Roosevelt and Hopkins. An Intimate History, Harper (1948), pp. 781787. 636 Répertoire de la pratique du Conseil de sécurité (1946-1951), p. 542 (Pologne : « Il me semble […] que les sanctions prévues par l’article 41 indiquent clairement que, lorsque l’article 39 mentionne une menace contre la paix, cela signifie, non seulement une agression déjà réalisée ou une menace qui se réalisera dans plusieurs semaines ou mois, mais, de toute évidence, toute menace, même virtuelle »). 637 Idem (URSS et Pologne). 638 URSS, S/PV.35, p. 191. 164 mémoire les mauvaises expériences de la seconde guerre mondiale et de la Société des Nations Unies, paralysée par le principe de non-intervention dans les affaires intérieures des Etats face à la montée du facisme et du nazisme en Allemagne et en Italie639 : « Le monde entier sait maintenant quel a été le prix de cette politique de non-intervention à l’égard des Etats fascistes : des montagnes de cadavres et des fleuves de sang »640. Se ralliant aux conclusions du Sous-Comité chargé par le Conseil de sécurité à sa 39e séance d’enquêter sur la question de savoir si le régime franquiste menaçait la paix et la sécurité internationales, la majorité des Etats membres ont estimé, cependant, que la situation tombait en-deçà de ce qui était exigé par l’article 39. Selon le rapport du Sous-Comité, le régime de Franco ne constituait pas une menace contre la paix dans l’immédiat, malgré qu’elle engendrait une situation de nature « à menacer le maintien de la paix et de la sécurité internationales ». Le rapport établissait, en effet, une distinction entre les menaces « existantes », auxquelles s’appliquait l’article 39, et les menaces « latentes ». Opposé à cette distinction, le représentant de la Pologne a affirmé, selon la citation reproduite ci-dessus que toute menace était latente, qu’il s’agissait d’une question de temps641. Avant même que le Sous-Comité en question ne soit nommé, le représentant britannique avait déclaré qu’il n’existait pas de preuves d’intentions agressives de la part du gouvernement espagnol qui justifieraient une action du Conseil de sécurité en vertu du Chapitre VII642. Cette discussion est extrêmement enrichissante pour l’interprétation juridique de l’article 39. Une remarque s’impose néanmoins s’agissant de la situation à la base de la discussion : le fait que la question espagnole était d’origine « intérieure » a certainement rendu plus difficile encore la qualification de menace contre la paix « existante ». En effet, comme l’a fait observer le représentant de l’URSS au cours des discussions, si la Charte prévoit qu’une situation intérieure puisse relever du Chapitre VII, encore faut-il que cette situation menace la paix et la sécurité internationales. Or, le procédé qu’E. De Wet a qualifié de « double strategy » étant de nature indirecte643, il est plus malaisé encore pour un Etat de démontrer qu’une situation interne fait peser une menace « existante » sur la paix et la sécurité internationales. 639 Ibid., p. 186. 640 Idem. 641 S/PV.47, p. 370. 642 Royaume-Uni, S/PV.35, p. 182. 643 Voir infra, titre III, 1.1.2. 165 Cependant, cette discussion confirme le point de la vue couramment exprimé dans la doctrine, notamment contemporaine, selon lequel la notion de menace contre la paix de l’article 39 suppose l’existence d’un danger « actuel et non pas simplement virtuel »644. Le danger doit être imminent, c’est-à-dire que la paix doit être immédiatement (et non pas potentiellement) menacée. Et si l’actualité du danger ne se traduisait pas seulement par l’imminence du danger mais aussi et parfois par sa persistance dans le temps ? L’étude du cas de Lockerbie va nous permettre d’approfondir notre réflexion sur le caractère temporel de la menace contre la paix selon la pratique du Conseil de sécurité. Cas n° 4 : Libye (Lockerbie, 1988-1992), une menace « étirée » dans le temps Extraits pertinents de la résolution 731 (21 janvier 1992) « Le Conseil de sécurité, Profondément troublé par la persistance, dans le monde entier, d’actes de terrorisme international sous toutes ses formes, y compris ceux dans lesquels des Etats sont impliqués directement ou indirectement, qui mettent en danger ou anéantissent des vies innocentes, ont un effet pernicieux sur les relations internationales et peuvent compromettre la sécurité des Etats, Gravement préoccupé par tous les agissements illicites dirigés contre l’aviation civile internationale et affirmant le droit de tous les Etats, conformément à la Charte des Nations Unies et aux principes du droit international, de protéger leurs nationaux des actes de terrorisme international qui constituent une menace à la paix et à la sécurité internationales, (…) Profondément préoccupé par ce qui résulte des enquêtes impliquant des fonctionnaires du Gouvernement libyen (…) qui font état des demandes adressées aux autorités libyennes par les Etats-Unis d’Amérique, la France et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, liées aux procédures judiciaires concernant les attentats perpétrés contre les appareils assurant les vols 103 de la Pan Am et 722 de l’Union des transports aériens [dans le cadre des demandes susmentionnées, il était demandé à la Libye de livrer aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni les deux suspects libyens impliqués dans l’attentat de Lockerbie], Résolu à éliminer le terrorisme international, (…) 3. Demande instamment aux autorités libyennes d’apporter immédiatement une réponse complète et effective à ces demande afin de contribuer à l’élimination du terrorisme international (…) ». Extraits pertinents de la résolution 748 (31 mars 1992) « Le Conseil de sécurité, Réaffirmant sa résolution 731 (1992) du 21 janvier 1992, (…) Gravement préoccupé de ce que le Gouvernement libyen n’ait pas encore donné une réponse complète et effective aux demandes contenues dans sa résolution 731 (1992), 644 D’ARGENT et al., « article 39 », op. cit. note 21, p. 1154 ; COMBACAU, Le pouvoir de sanction, op. cit. note 11, p. 103 (l’auteur fait la distinction entre la « menace éventuelle » du Chapitre VI et la « menace réalisée » du Chapitre VII). 166 Convaincu que l’élimination des actes de terrorisme international, y compris ceux dans lesquels des Etats sont directement ou indirectement impliqués, est essentielle pour le maintien de la paix et de la sécurité internationales, (…) Réaffirmant que, conformément au principe énoncé au paragraphe 4 de l’article 2 de la Charte des Nations Unies, chaque Etat a le devoir de s’abstenir d’organiser et d’encourager des actes de terrorisme sur le territoire d’un autre Etat, d’y aider ou d’y participer, ou de tolérer sur son territoire des activités organisées en vue de perpétrer de tels actes, lorsque ces actes impliquent une menace ou l’emploi de la force, Constatant, dans ce contexte, que le défaut de la part du Gouvernement libyen de montrer par des actes concrets sa renonciation au terrorisme et, en particulier, son manquement continu à répondre de manière complète et effective aux requêtes contenues dans la résolution 731 (1992) constituent une menace pour la paix et la sécurité internationales, Résolu à éliminer le terrorisme international, (…) Agissant en vertu du Chapitre VII, 1. Décide que le Gouvernement libyen doit désormais appliquer sans le moindre délai le paragraphe 3 de la résolution 731 (1992) concernant les demandes adressées aux autorités libyennes par les Etats-Unis d’Amérique, la France et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord ; 2. Décide également que le Gouvernement libyen doit s’engager à cesser de manière définitive toute forme d’action terroriste et toute assistance aux groupes terroristes et qu’il doit rapidement, par des actes concrets, montrer sa renonciation au terrorisme (…) »645. [Il s’ensuit des sanctions économiques contre la Libye : embargo etc.]. Certains auteurs se sont étonnés, offusqués ou inquiétés, du fait que la résolution 748 du 31 mars 1992 constatait une menace contre la paix plus de trois années après qu’avait eu lieu l’attentat de Lockerbie, le 21 décembre 1988646. Le juge M. Bedjaoui a ainsi fait remarquer, dans son opinion dissidente jointe aux ordonnances du 14 avril 1992 sur la demande en indication de mesures conservatoires (Libye c. Royaume-Uni et Libye c. Etats-Unis), qu’il pouvait être « déroutant à plus d’un que l’horrible attentat de Lockerbie [était] vu aujourd’hui 645 Mis en gras par nous. 646 Et près de trois ans après l’attentat du vol 722 UTA, mentionné dans la CS/RES/731, qui a eu lieu le 19 septembre 1989 au-dessus du désert de Ténéré, au Niger. S’agissant de la doctrine, voir inter alia A. RUBIN, « Libya, Lockerbie and the Law », 4(1) Diplomacy and Statecraft (1993), p. 11 ; M. WELLER, « The Lockerbie case: a premature end to the ‘new world order’? », 4 AfrJICL (1992), pp. 322-323 qui a critiqué « the use of that label [threat to the peace] retroactively to deal with a case which, when it occurred, some three years earlier, was not considered a threat to international peace and security » ; LAMB, « Legal Limits », op. cit. note 19, pp. 378-379 ; WELLENS, « New Threats to the Peace », op. cit. note 16, p. 26. BEN MESSAOUD considère que ce décalage temporel entre l’incident aérien en 1989 et l’adoption de la résolution en 1992 invalide l’existence d’une véritable menace contre la paix au sens du Chapitre VII de la Charte (elle souligne à cet égard que la distinction entre la menace potentielle du Chapitre VI et la menace actuelle du Chapitre VII s’en trouve brouillée). Elle ajoute de plus qu’aucune urgence ou autre menace n’est intervenue durant l’année 1992 justifiant le recours du Conseil de sécurité aux mesures coercitives du Chapitre VII, « La catégorie ‘menace contre la paix’ », op. cit. note 234, p. 185 ; dans un sens voisin, A. ORAKHELASHVILI note qu’aucune aggravation de la situation entre l’adoption de la CS/RES/731 et de la CS/RES/748 n’a pu justifier le constat d’une menace contre la paix par cette dernière. Il considère notamment pour cette raison (parmi d’autres) que la CS/RES/748 (le constat d’une menace contre la paix avant tout) était ultra vires, « The Power of the UN Security Council to Determine the Existence of a ‘Threat to the Peace’ », IYBIL (2006), pp. 91-92. 167 comme une menace pressante à la paix internationale alors qu’il s’[était] produit il y a plus de trois ans »647. Que la menace contre la paix résultait du refus de la Libye de coopérer avec les autorités américaines et britanniques ou de son implication dans des attentats terroristes, existait-il un danger immédiat pour la paix ?648 On aurait pu entrevoir une réponse à cette question à l’occasion des ordonnances rendues par la CIJ le 14 avril 1992649. Ce ne fut pas le cas, la CIJ s’étant bornée à constater que la résolution 748 avait été adoptée sur le fondement du Chapitre VII et qu’à ce titre, elle primait prima facie sur les droits que la Libye disait tenir de la Convention de Montréal en matière de jugement et d’extradition des personnes soupçonnées d’avoir commis des actes terroristes (aut dedere aut judicare)650. Après avoir écarté les exceptions préliminaires des Etats-Unis et du Royaume-Uni et s’être déclarée compétente pour connaître de la requête introduite par la Libye, la CIJ n’a pas eu l’occasion de statuer sur 647 M. BEDJAOUI, « Opinion dissidente » jointe aux ordonnances du 14 avril 1992 dans l’affaire Lockerbie, op. cit. note 390, p. 43 (en italique dans l’original) ; ce point fut repris par la Libye dans son mémoire soumis le 20 décembre 1993 dans le cadre de la procédure sur le fond, p. 232. 648 De manière attendue, la Libye a considéré, lors des discussions au Conseil de sécurité, que la situation ne relevait pas du Chapitre VII et estimait, en conséquence, que la CS/RES/748 était contraire à la Charte des Nations Unies, parlant à son propos d’« acte frauduleux flagrant » S/PV.3063, p. 18. La Libye a même exprimé l’avis que c’était elle qui était menacée au sens de l’article 39 (idem). Elle a par ailleurs affirmé qu’elle ne s’était pas comportée de manière à compromettre la paix et la sécurité internationales puisqu’elle n’avait menacé aucun Etat (S/PV.3033, pp. 23-25). Les pays arabes ont également exprimé l’avis que la résolution devait s’inscrire dans le cadre du Chapitre VI, s’agissant du règlement pacifique d’un différend, et que l’invocation du Chapitre VII était prématurée (voir, par exemple, Jordanie, S/PV.3063, p. 27 ; Organisation de la conférence islamique, ibid., p. 43). 649 Ainsi que l’espérait J.-M. SOREL, « Les ordonnances de la CIJ du 14 avril 1992 dans l’affaire relative à des questions d’interprétation et d’application de la Convention de Montréal de 1971 résultant de l’incident aérien de Lockerbie », RGDIP (1993), p. 121 (mettant aussi le doigt sur l’aspect problématique de la résolution 748 adoptée dans le cadre du Chapitre VII trois ans après l’attentat en question) ; BOTHE, « Les limites aux pouvoirs du Conseil de sécurité », op. cit. note 19, p. 80, espérait, pour sa part, que la CIJ se prononcerait dans le cadre de « la procédure normale » sur la légalité des résolutions adoptées par le Conseil de sécurité dans cette affaire. 650 Pour plus de précisions, la CIJ a procédé au raisonnement et à la démonstration suivants. Ayant estimé qu’il ne lui incombait pas, à ce stade, de se prononcer sur l’effet juridique de la résolution 748, la CIJ a d’abord fait observer que la résolution avait été adoptée sur la base du Chapitre VII de la Charte et que, de ce fait, elle s’imposait à tous les Etats membres des Nations Unies ; puis, elle a considéré que, par le jeu de l’article 103 de la Charte des Nations Unies, la résolution primait sur les droits que la Libye tenait de la Convention de Montréal, notamment celui de choisir entre juger et extrader ses ressortissants. Plus précisément, la CIJ a considéré que les droits que la Libye disait tenir de la Convention de Montréal ne pouvaient plus, au vu de la résolution 748 adoptée sur la base du Chapitre VII, faire l’objet d’une protection par l’indication de mesures conservatoires, ordonnances du 14 avril 1992 dans l’affaire Lockerbie, op. cit. note note 390, §§ 42-43. En l’occurrence, la Libye demandait la suspension de l’injonction contenue dans la résolution 748 de livrer aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni ses ressortissants. 168 le fond de celle-ci en raison de la demande conjointe des parties de radiation du rôle de l’affaire651. En termes de temporalité de la menace, la résolution 748 évoque le « manquement continu » du gouvernement libyen à répondre aux demandes des Etats-Unis et du RoyaumeUni contenues dans la résolution 731 (l’extradition des personnes soupçonnées d’être responsables de l’attentat). De manière plus générale, elle mentionne la « persistance » des actes de terrorisme international dans lesquels des Etats sont directement ou indirectement impliqués, le Conseil de sécurité ayant de prime abord considéré que le terrorisme international était, en soi, une menace à la paix et la sécurité internationales652. Les termes utilisés par le Conseil de sécurité semblent exprimer l’idée que la menace contre la paix n’était pas figée mais étirée dans le temps. Au lieu d’être question d’un danger imminent pour la paix et la sécurité internationales, le danger était continu et persistant. Ce sont ces caractères qui justifiaient, selon les termes des résolutions 731 et 748, l’existence d’une menace contre la paix. Si cette interprétation est juste, le critère de « l’imminence » du danger pesant sur la paix et la sécurité internationales, qui confère à la situation un caractère d’urgence, aurait été substitué, dans le cas de Lockerbie, par celui de la « continuité », au risque d’altérer la distinction entre le Chapitre VI et le Chapitre VII sur ce point653. Dans ce sens, la menace contre la paix ne serait plus une image instantanée de la réalité mais découlerait de la persistance ou la prolongation dans le temps de certaines circonstances654. 651 Affaire Lockerbie, CIJ, arrêt du 27 février 1998 (exceptions préliminaires), voir sur cet arrêt, B. MARTENCZUK, « What Lessons from Lockerbie ? », 10 EJIL (1999), pp. 522-525 ; CIJ, ordonnance du 10 septembre 2003 prenant acte des demandes de radiation du rôle par les parties. 652 2e alinéa du préambule de la CS/RES/731 ; sur l’affirmation selon laquelle, le terrorisme international constitue une menace à la paix et la sécurité internationales au titre de la justification de l’application du Chapitre VII dans la CS/RES/748, voir Canada, S/PV.3033, p. 47 ; Equateur, ibid., p. 72 ; Etats-Unis, ibid., pp. 78-80 ; France, ibid., p. 81 ; Belgique, ibid., p. 82 ; Fédération de Russie, ibid., pp. 87-88 ; Hongrie, ibid., p. 91 ; Autriche, ibid., p. 92 ; Royaume-Uni, ibid., pp. 102-103 ; Zimbabwe, S/PV.3063, p. 48 ; Etats-Unis, ibid., p. 66 ; Royaume-Uni, ibid., p. 72 ; Autriche, ibid., p. 77, Venezuela, ibid., p. 82. 653 Le Chapitre VI s’ouvre, en effet, par l’article 33 qui dispose : « Les parties à tout différend dont la prolongation est susceptible de menacer le maintien de la paix et de la sécurité internationales doivent en rechercher la solution, avant tout, par voie de négociation [etc.] ou par d’autres moyens pacifiques de leur choix » (mis en italique par nous). L’article 34 implique également que la prolongation d’un désaccord ou d’un différend entre Etats puisse être la source ou la cause d’une « menace contre la paix » au sens de l’article 39. 654 A propos du concept de « menace latente », il convient ici d’évoquer l’avertissement (prémonitoire) du juge FITZMAURICE dans son opinion dissidente jointe à l’avis de la CIJ sur la Namibie (1971) : « [Des] limitations aux pouvoirs du Conseil de sécurité sont nécessaires car il n’est que trop facile de présenter une situation 169 La situation de Lockerbie constitue-t-elle un changement de paradigme à cet égard ? La réponse est ambivalente. Dans un sens, la pratique n’est pas nouvelle. Le Conseil de sécurité a auparavant considéré à plusieurs reprises qu’une situation « continuait » de constituer une menace contre la paix ou qu’il existait une menace « persistante » à la paix et la sécurité internationales655. Dans un autre sens, la situation de Lockerbie diffère des autres situations précédemment examinées par le Conseil. Elle ne concerne pas la poursuite ou l’aggravation de circonstances, lesquelles seraient, en soi, susceptibles d’être qualifiées de menace contre la paix (des combats dans le cadre d’un conflit armé international, une guerre civile ou des actes d’agression armée contre un autre Etat)656. Au contraire, la résolution 748 transforme une situation qui, en apparence, ne menace pas immédiatement la paix et la sécurité internationales, en une situation menaçant la paix en raison, principalement, de sa durée dans le temps. En l’espèce, le refus de la Libye d’extrader ses ressortissants soupçonnés d’avoir commis l’attentat de Lockerbie est caractéristique, pour le Conseil de sécurité, du « manquement continu » de cet Etat à se conformer aux demandes contenues dans la résolution 731 et, de manière générale, à témoigner sans équivoque de sa renonciation aux actes de terrorisme. A notre connaissance, il n’existe pas de cas similaire à celui de Lockerbie s’agissant des conditions temporelles de la menace. En effet, si le Conseil de sécurité a déjà dit, ou a pu dire internationale qui fait l’objet de vives controverses comme impliquant une menace latente contre la paix et la sécurité, même si elle est trop éloignée pour paraître authentique », op. cit. note 292, p. 294. 655 Ainsi, dans la CS/RES/602 du 25 novembre 1987, le Conseil de sécurité décrétait que « la persistance » des actes d’agression commis par l’Afrique du Sud contre l’Angola constituait « une grave menace pour la paix et la sécurité internationales » (voir aussi, concernant la plainte de l’Angola contre l’Afrique du Sud, les CS/RES/447 du 28 mars 1979, 574 du 7 octobre 1985 et 577 du 6 décembre 1985). Il a aussi considéré, dans sa CS/RES/713 du 25 septembre 1991, que la « poursuite [des combats en Yougoslavie] cré[ait] une menace contre la paix et la sécurité internationales » (mis en italique par nous). Le Conseil a réitéré ce constat dans sa CS/RES/721, adoptée le 27 novembre 1991, en considérant que « la poursuite et l’agravation de [la situation en Yougoslavie] constitu[ait] une menace à la paix et à la sécurité internationales » (mis en italique par nous). Puis, dans la CS/RES/743 du 21 février 1992, il a constaté que « la situation en Yougoslavie continu[ait] de constituer une menace pour la paix et la sécurité internationales » (mis en italique par nous). De même, dans sa CS/RES/733, adoptée le 23 janvier 1992 s’agissant de la situation en Somalie, le Conseil de sécurité s’est déclaré préoccupé par le fait que « la persistance de cette situation constitu[ait] une menace pour la paix et la sécurité internationales » (mis en italique par nous). Cette expression fut reprise, s’agissant de la situation en Somalie, dans les préambules des CS/RES/746 (17 mars 1992) et 751 (24 avril 1992). Ces exemples ne sont pas exhaustifs. 656 Sauf à considérer que la CS/RES/748 était uniquement basée sur l’élimination de la menace constituée par le terrorisme international, qui est considéré par le Conseil de sécurité comme étant en soi une menace contre la paix (voir supra, note 652). 170 par la suite657, que certaines situations « continuaient » de menacer la paix et la sécurité internationales, c’était uniquement dans le but d’affirmer que la menace contre la paix originelle perdurait d’exister et que la situation demeurait de la compétence du Conseil de sécurité dans le cadre du Chapitre VII. Cependant, à la base de ces résolutions par lesquelles une situation était qualifiée de « menace persistante » (« continuing threat »), il y avait une première constatation d’une menace contre la paix au sens d’une « menace immédiate » pour la paix658. 2.2.2.3. Conditions géographiques de la paix menacée : paix mondiale, régionale voire locale ? Comme on l’a vu précédemment, si la notion de « menace contre la paix » de l’article 39 est équivoque et ambiguë quant à savoir de quelle « paix » il s’agit, l’opinion prédominante parmi les Etats et la doctrine est que la paix doit être menacée dans sa dimension internationale. La question n’est plus ici de se demander dans quelle mesure la paix internationale peut être atteinte par des événements intérieurs à un Etat, mais de savoir si la paix doit être menacée sur tous les continents ou si la menace contre la paix dans une région particulière du globe suffit à ce qu’une menace contre la paix au sens de l’article 39 soit constituée. Ces interrogations résultent de la pratique du Conseil de sécurité même et en particulier, de la formulation de certaines de ses résolutions. Par exemple, dans la résolution 687, adoptée le 3 avril 1991 relativement à la situation Irak-Koweït, le Conseil de sécurité relevait la « menace que toutes les armes de destruction massive f[aisaient] peser sur la paix et la sécurité dans la région »659. De même, dans la résolution 688 du 5 avril 1991 spécifique à la situation en Irak, le Conseil de sécurité exigeait que l’Irak, « pour contribuer à éliminer la 657 Pour des exemples postérieurs à Lockerbie relativement récents, voir Repertoire of the practice of the Security Council (2008-2009, en anglais seulement), disponible en ligne voir supra note 23, « Part. VII – Actions with respect to threats to the peace, breaches of the peace or acts of aggression », pp. 11-15 (Afghanistan, RES/CS/1833 ; Bosnie-Herzégovine, CS/RES/1845 ; Tchad, République centrafricaine et la sousrégion, CS/RES/1834 ; Côte d’Ivoire, CS/RES/1795, 1842, 1865 ; République démocratique du Congo, CS/RES/1799 ; Haïti, CS/RES/1840 ; Libéria, CS/RES/1819 et 1885 ; Liban, CS/RES/1832 ; Somalie, CS/RES/1801 et 1816 ; Soudan, CS/RES/1812, 1828 et 1841). A noter que, s’agissant de la situation en Somalie, le Conseil de sécurité a considéré que les actes de piraterie et de vols à main armée commis dans les eaux territoriales de la Somalie « envenimaient » la situation en Somalie, laquelle continuait (de ce fait) de menacer la paix internationale et la sécurité de la région (CS/RES/1816, alinéa 12 du préambule). 658 Sauf peut-être s’agissant de la situation en Rhodésie du Sud, voir supra la CS/RES/217 (§ 1 du dispositif par lequel le Conseil de sécurité constate que « le maintien dans le temps » de la situation créée par la déclaration d’indépendance constitue une menace contre la paix), titre II, première section, 2.2.2.1., cas n° 1 Rhodésie du Sud et à cet égard GOWLLAND-DEBBAS, Collective responses, op. cit. note, p. 470 ; A. BOYD, Fifteen Men on a Powder Keg : a History of the UN Security Council, Methuen (1971), p. 225. 659 Mis en italique par nous. 171 menace à la paix et à la sécurité internationales dans la région », mette fin sans délai à la répression des populations kurdes660. On pourrait citer encore de très nombreux exemples, présents dans la pratique du Conseil de sécurité à partir des années 1990661. Quelle en est la signification vis-à-vis du concept de menace contre la paix tel qu’il ressort de la pratique du Conseil de sécurité ? On pourrait avancer l’hypothèse selon laquelle les termes de « menace contre la paix dans la région » sont utilisés par le Conseil de sécurité de manière à assouplir le concept de la menace contre la paix, tel qu’il aurait été originellement conçu. Ainsi, il ne serait plus nécessaire de prouver que la paix de tous est directement menacée, mais seulement la paix de certains. Indirectement, par le même phénomène de ricochet par lequel une situation interne devient menaçante pour la paix et la sécurité internationales, tous les Etats seraient néanmoins concernés par la situation. Aucune autre hypothèse ne semble pouvoir être avancée dans la mesure où, en tout état de cause, l’existence d’une menace contre la paix dans une région en particulier suffisait, dans les résolutions données en exemple, au Conseil de sécurité pour mettre en œuvre le Chapitre VII. On ne relève pas de controverses majeures à ce propos parmi les Etats membres du Conseil de sécurité. Par contre, on relève, dans certaines résolutions du Conseil de sécurité, l’expression subtile selon laquelle la situation ferait peser une menace sur la « paix internationale [et] la sécurité dans la région »662. La « sécurité » serait-elle plus rapidement mise en danger que la « paix » selon le Conseil de sécurité ? Cette distinction éveille d’autant plus l’attention que le Conseil de sécurité semble considérer l’un (la paix) comme étant indissociable de l’autre (la sécurité). En effet, l’expression consacrée, dans ses résolutions, de « la paix et la sécurité internationales » amène à les regarder comme des notions équivalentes663. Est-ce toujours aussi certain ? 660 Mis en italique par nous. § 2 du dispositif de la résolution. 661 Voir ainsi par exemple la CS/RES/788 (1992) qui mentionnait « la paix et la sécurité internationales, en particulier dans l’ensemble de la région de l’Afrique de l’Ouest » ; la déclaration du président du Conseil de sécurité S/20554 du 31 mars 1989 qui évoquait « la paix, la sécurité et la stabilité dans la région » en rapport avec la situation au Liban. 662 Voir ainsi la CS/RES/1816 du 2 juin 2008 sur la situation en Somalie (mis en italique par nous pour souligner « l’opposition » entre paix mondiale et sécurité régionale). 663 M. SASSOLI, « The Concept of Security in International Law Relating to Armed Conflicts » in : C. BAILLIET (éd), Security : a Multidisciplinary Normative Approach, Martinus Nijhoff Publishers (2009), p. 11. 172 2.2.2.4. Le cas des menaces « génériques » à la paix et la sécurité internationales Par « menaces génériques à la paix et à la sécurité internationales », on entend toutes les menaces considérées par le Conseil de sécurité comme n’étant pas directement liées à une situation en particulier, mais qui constituent per se et dans l’absolu un danger pour la paix mondiale664. Ainsi en est-il des actes de terrorisme et de la prolifération des armes de destruction massive. Le répertoire de la pratique du Conseil de sécurité cite également à titre d’exemples de « menaces génériques » (« generic threats ») les attaques délibérées de civils dans les conflits armés, qui correspondent à des violations graves du droit international humanitaire et du droit international des droits de l’homme applicable en période de conflit armé, ainsi que l’utilisation de la violence sexuelle à l’égard des femmes comme une arme de guerre. Nous verrons cependant que ces deux dernières catégories ne constituent pas véritablement ce que nous considérons être, dans le cadre de ce travail, des « menaces génériques » dans la mesure où les résolutions qui y sont relatives ne s’inscrivent pas dans le cadre du Chapitre VII. Ces résolutions nous intéressent néanmoins, dans le cadre de cette partie, en ce qu’elles concernent un thème en particulier au lieu d’une situation particulière. Elles sont, pour cette raison, qualifiées de résolutions « thématiques »665. La prolifération des armes de destruction massive Le Conseil de sécurité considère que la prolifération des armes nucléaires, chimiques et biologiques et de leurs vecteurs constitue une menace pour la paix et la sécurité internationales666. Dans sa résolution 1540 du 28 avril 2004, explicitement adoptée sous l’égide du Chapitre VII 667 , ce constat apparaît de manière explicite au 1er alinéa du préambule668 et de manière moins explicite aux 3e, 4e, 5e, 9e, 10e, 12e et 13e alinéas du 664 Le terme de « menace générique » (en anglais : « generic threats ») nous vient notamment du Répertoire de la pratique du Conseil de sécurité. 665 G. GAGGIOLI et R. KOLB, dans leur article « Le Conseil de sécurité face à la protection des civils dans les conflits armés », précisent ainsi, à propos de ces résolutions « thématiques », qu’« il ne s’agit pas d’actes de réaction à des situations ou des conflits précis, mais plutôt d’actes ‘quasi-législatifs’ proposant des normes abstraites et d’application générale […] le Conseil s’intéresse au droit international humanitaire et aux droits humains in abstracto sans se référer à la situation dans un Etat particulier et sans adopter des mesures d’espèce », op. cit. note 625, p. 50. 666 Déjà (de manière indirecte) au 3e alinéa du préambule de la CS/RES/825 du 11 mai 1993 à propos de l’intention de la République de Corée du Nord du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (« (…) réaffirmant la contribution primordiale que le progrès en matière de non-prolifération peut apporter au maintien de la paix et de la sécurité internationales »). 667 Voir l’alinéa 16 du préambule de la résolution. Il n’y a aucune ambiguïté sur ce point, voir notamment la page d’accueil du site internet officiel consacré au Comité 1540 : http://www.un.org/fr/sc/1540/. 668 « [Le Conseil de sécurité] Affirmant que la prolifération des armes nucléaires, chimiques et biologiques et de leurs vecteurs constitue une menace pour la paix et la sécurité internationales ». 173 préambule ainsi qu’au paragraphe 9 du dispositif. Dans cette résolution, le Conseil de sécurité a décidé de mesures contraignantes pour les Etats visant notamment à ce que les armes visées ne tombent pas dans les mains d’acteurs non étatiques mal intentionnés. Il a également créé un Comité chargé de surveiller le respect et la mise en œuvre de la résolution : le « Comité 1540 »669. De la résolution 1540, il ressort que la prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs670 et plus précisément, l’acquisition d’armes de destruction massive par des acteurs non étatiques à des fins terroristes671, constitue en soi une menace contre la paix qui mérite l’attention et l’action du Conseil de sécurité dans le cadre du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies. Il s’agit, en effet, d’une menace contre la paix « en soi » dans la mesure où, a priori, la résolution 1540 n’est pas liée à un événement en particulier (en tout état de cause, quand bien même ce serait le cas officieusement, la résolution ne contient aucune référence à cet événement, contrairement à la résolution 1874 du 12 juin 2009 qui constitue une réaction à l’essai nucléaire du 25 mai 2009 par la République de Corée du Nord). En outre, les mesures prises par le Conseil concernent tous les Etats et les effets de la résolution sont indéterminés dans le temps (de fait, jusqu’à ce que la menace cesse d’exister672). La résolution 1540 énonce en cela des mesures abstraites et générales673 sur la base d’un constat d’une menace contre la paix au titre de l’article 39 de la Charte. 669 Le Comité 1540 a vu son mandat prorogé à plusieurs reprises, la dernière fois en date le 20 avril 2011 avec la CS/RES/1977 par laquelle le Conseil de sécurité a prorogé son mandat jusqu’en 2021, soit pour une durée de dix ans. 670 Les vecteurs sont définis, par et « aux fins uniquement » de la CS/RES/1540, comme des « missiles, fusées et autres systèmes sans pilote capables de conduire à leur cible des armes nucléaires, chimiques ou biologiques et spécialement conçus pour cet usage ». 671 Le représentant des Etats-Unis a ainsi précisé, lors du débat suivant l’adoption à l’unanimité de la résolution 1540, la nature de cette menace en ces termes : « la propagation incontrôlée des armes nucléaires, chimiques et biologiques, de leurs vecteurs et des matières connexes par des acteurs non étatiques, notamment des terroristes qui cherchent à profiter de la faiblesse et de la législation sur le contrôle des exportations et des mesures de sécurité de divers pays », S/PV.4956, p. 6. Voir également parmi d’autres les déclarations du représentant de la Russie, ibid. et de l’Espagne, ibid. p. 8. 672 Le Conseil a réitéré à de nombreuses reprises depuis 2004 son constat. Malgré tout, la résolution fondatrice reste la CS/RES/1540 dont les mesures décidées en vertu du Chapitre VII demeurent contraignantes à ce jour. En témoigne notamment le préambule et le dispositif de la CS/RES/1673 du 27 avril 2006. 673 KRISCH, « Article 39 », op. cit. note 404, p. 1280, évoque pour cette raison le « quasi-legislative character of these measures ». Ce caractère de la résolution n’est d’ailleurs pas remis en cause par les Etats membres du Conseil de sécurité ayant voté son adoption. Il s’agissait, en effet, selon les Etats de combler les lacunes du droit international en ce qui concerne l’acquisition par les acteurs non étatiques d’armes de destruction massive, voir notamment la déclaration du Pakistan à la suite de l’adoption (à l’unanimité) de la CS/RES/1540, S/PV.4956, p. 3. 174 S’agit-il, dès lors, d’une menace contre la paix d’un type particulier ? Elle met en tout cas à l’épreuve certaines des conditions que semblait avoir posées le Conseil de sécurité de par sa pratique antérieure, c’est-à-dire, des conditions qui ressortaient du discours juridique des Etats membres du Conseil (à savoir, les conditions relatives au champ d’application temporel et géographique de la menace contre la paix). Avant d’entrer plus loin dans ces réflexions, voyons ce qu’il en est du terrorisme international en tant que menace contre la paix d’un même genre. Le terrorisme international Adoptée le 28 septembre 2001 dans le cadre du Chapitre VII, la résolution 1373 réaffirme la nécessité de lutter par tous les moyens « contre les menaces à la paix et à la sécurité internationales que font peser les actes de terrorisme », avant de décider de nombreuses mesures obligatoires pour les Etats membres des Nations Unies, portant notamment sur la prévention et la répression du financement du terrorisme. Si le constat se veut général, on ne saurait pour autant affirmer que la résolution 1373 ne répond pas aux circonstances créées par un événement en particulier. Il s’agit bien entendu des attaques du 11 septembre 2001, la résolution 1373 ayant été adoptée deux semaines après. Le 2e alinéa du préambule de la résolution se lit en effet ainsi : « Réaffirmant également sa condamnation sans équivoque des attaques terroristes commises le 11 septembre 2001 à New York, à Washington et en Pennsylvanie, et exprimant sa détermination à prévenir tous actes de ce type ». Cependant, le Conseil de sécurité vise plus loin que les attaques ayant récemment eu lieu : « Réaffirmant en outre que de tels actes, comme tout acte de terrorisme international, constituent une menace à la paix et à la sécurité internationale » (3e alinéa du préambule). Ainsi, les événements du 11 septembre 2001 ne sont que le phénomène déclencheur de la résolution et non pas la base du constat de l’existence d’une menace contre la paix. La portée générale de la résolution découle également de la nature des mesures édictées par le Conseil et de l’effet indéterminé dans le temps de celles-ci674, ce qui a fait écrire à certains auteurs que le Conseil de sécurité « légiférait » 675 ou avait adopté des mesures à portée « quasilégislative »676. La résolution 1373 s’attache en effet plus à un problème structurel de l’ordre public international qu’à une situation précise et concrète. Enfin, depuis le 11 septembre 674 A ce propos, E. DE WET, « Human Rights Considerations and the Enforcement of Targeted Sanctions in Europe : The Emergence of Core Standards of Judicial Protection », Securing Human Rights ?, op. cit. note 10, p. 141 : « often for an indefinite period of time ». 675 P. SZASZ, « The Security Council Starts Legislating », 96 AJIL (2002), p. 902. 676 KRISCH, « Article 39 », op. cit. note 404, p. 1280. 175 2001, le Conseil de sécurité a réaffirmé à de nombreuses reprises que le terrorisme constituait l’une des menaces les plus sérieuses contre la paix et la sécurité internationales (tout en faisant encore référence, néanmoins, aux actes commis par le réseau Al-Qaida et par les Taliban)677 en préambule de l’affirmation selon laquelle il entendait agir en vertu du Chapitre VII. Les menaces qui ne sont pas des « menaces génériques » stricto sensu On fera référence, d’abord, à la déclaration du président du Conseil de sécurité du 31 janvier 1992 qui consacre la position du Conseil de sécurité en vertu de laquelle : « L’absence de guerre et de conflits armés entre Etats ne garantit pas à elle seule la paix et la sécurité internationales. D’autres menaces de nature non militaire à la paix et à la sécurité trouvent leur source dans l’instabilité qui existe dans les domaines économique, social, humanitaire et écologique »678. Contrairement à ce que pourrait laisser croire l’emploi des termes « menaces » et « paix et sécurité internationales », le Conseil de sécurité ne considère pas, par cette déclaration, que les désastres économiques, sociaux, humanitaires et écologiques constituent ipso facto des menaces contre la paix au sens de l’article 39679. Il s’agit plutôt d’une déclaration de politique générale, allant de pair avec le constat par le Conseil de sécurité de l’existence de « nouveaux risques pour la stabilité et la sécurité » et de « nouveaux défis dans la recherche de [l]a paix » par la communauté internationale dans l’ère de l’après-guerre froide680. Ainsi, le Conseil de sécurité reste maître de qualifier ou de ne pas qualifier une situation, se rapprochant des termes de la déclaration reproduite ci-dessus, de menace contre la paix en fonction des circonstances de l’espèce (et des effets, potentiels ou avérés, de la situation sur la sécurité et la paix des autres Etats)681. Pour s’exprimer à l’aide d’une image, c’est comme si le Conseil de sécurité avait tracé d’un premier coup de crayon les contours d’une forme qu’il n’aurait qu’à épaissir dans le cas où il estimerait que les conditions de l’existence d’une menace contre la paix sont réunies dans un cas d’espèce. 677 Voir notamment les CS/RES/1822 du 30 juin 2008 et 1989 du 17 juin 2011. 678 S/23500, p. 3. Sur la valeur juridique des déclarations du président du Conseil de sécurité, voir B. TAVERNIER, « Les déclarations du président du Conseil de sécurité », AFDI (1993), pp. 86-104. 679 M. KOSKENNIEMI, « The Place of Law », op. cit. note 391, p. 460 qui note la confusion entretenue sur ce point par la référence aux termes de l’article 39. SHRAGA entretient cette confusion en considérant que « ‘nonmilitary sources of instability in the economic, social, humanitarian and ecological fields’ were […] recognized as threats to international peace and security » par le fait de cette déclaration, « The Security Council and Human Rights », op. cit. note 577, p. 13. 680 S/23500, p. 3. 681 Dans ce sens également, LAILACH, Die Wahrung des Weltfriedens, op. cit. note 484, p. 131. 176 Les mêmes réflexions s’imposent s’agissant des résolutions « thématiques » du Conseil de sécurité relatives à la protection des civils dans les conflits armés. Ces résolutions ne « constatent » pas, à proprement parler, une menace contre la paix. Elles affirment tout au plus que des violations graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire peuvent constituer une menace contre la paix et pour cette raison, elles ne se situent pas, à notre avis, dans le cadre du Chapitre VII682. S’agissant précisément de la protection des femmes dans les conflits armés et de la proscription des violences sexuelles comme armes de guerre, le Conseil de sécurité n’a pas été plus loin que de dire que les violences sexuelles pouvaient considérablement exacerber tout conflit armé et dès lors, « faire obstacle au rétablissement de la paix et la sécurité internationales »683. Cependant, les résolutions « thématiques » du Conseil de sécurité relatives à la protection des civils dans les conflits armés apportent un éclairage non négligeable sur la notion de menace contre la paix de l’article 39 de la Charte telle qu’interprétée par le Conseil de sécurité. Ainsi que le remarquent G. Gaggioli et R. Kolb, ces résolutions permettent en effet d’établir un lien de causalité certain entre les graves violations du droit humanitaire et des droits de l’homme en temps de conflit armé et le constat d’une menace contre la paix par le Conseil de sécurité684. Plus précisément encore que s’agissant des menaces économiques, sociales, humanitaires et écologiques évoquées dans la déclaration du président du Conseil de sécurité du 31 janvier 1992, le Conseil de sécurité, par ses résolutions relatives à la protection des civils dans les conflits armés, détermine à l’avance (in abstracto) les caractéristiques d’une situation susceptible de constituer une menace contre la paix dans des circonstances d’espèce (in concreto). Selon les termes bien choisis de G. Gaggioli et R. Kolb : « le Conseil de sécurité établit ainsi une doctrine, flexible, pour son action future »685. 682 Voir notamment le § 3 du dispositif de la CS/RES/1894 adoptée le 11 novembre 2009 : « Note que le fait de prendre pour cibles des civils ou d’autres personnes protégées, ainsi que les violations systématiques, flagrantes et nombreuses du droit international humanitaire et du droit des droits de l’homme applicables commises en période de conflit armé peuvent constituer une menace contre la paix et la sécurité internationales » (reprenant en substance l’idée énoncée aux § 5 de la CS/RES/1296 du 19 avril 2000, § 9 de la CS/RES/1314 du 11 août 2000 avec un accent sur la protection des enfants, § 26 de la CS/RES/1674 du 28 avril 2006 et § 9 de la CS/RES/1738 du 23 décembre 2006). Contra : GAGGIOLI et KOLB sont d’avis que ces résolutions peuvent théoriquement s’inscrire dans le cadre du Chapitre VII de la Charte (tout comme dans celui du Chapitre VI), voir pour leur argumentation « Le Conseil de sécurité face à la protection des civils », op. cit. note 625, pp. 55-57. 683 § 1 du dispositif de la CS/RES/1820 du 19 juin 2008. 684 GAGGIOLI et KOLB, « Le Conseil de sécurité face à la protection des civils », op. cit. note 625, pp. 73-74. 685 Ibid., p. 74 (mis en italique par nous). Pour GAGGIOLI et KOLB, c’est moins une question de réunion des circonstances juridiques de l’existence d’une menace contre la paix que d’une réunion des circonstances politiques permettant au Conseil de sécurité de la constater. 177 Conclusion sur le cas des « menaces génériques » : hors du temps et de l’espace ? Les résolutions 1540 et 1373 relatives, respectivement, aux armes de destruction massive et au terrorisme international sont liées dans la mesure où elles insistent sur le rôle des acteurs non étatiques. Mais elles sont aussi liées d’un point de vue conceptuel : le champ d’application de la menace contre la paix est indéterminé dans le temps et dans l’espace. Ceci découle du fait que le constat de la menace contre la paix n’était pas lié à une situation en particulier. Néanmoins, ce n’est pas le constat (en soi) de la menace contre la paix qui a posé problème à certains Etats du Conseil de sécurité et suscité la critique d’une partie de la doctrine, mais plutôt la portée des mesures adoptées par le Conseil aux termes du Chapitre VII. Ainsi, certains Etats membres du Conseil de sécurité ont exprimé la préoccupation que le Conseil n’en vienne, par ce type de résolutions, à « légiférer le monde »686. Ils se sont dits réticents, notamment, à ce que le Conseil de sécurité dirige « l’action mondiale contre la nonprolifération et le désarmement » compte tenu de son manque de représentativité687. S’agissant précisément du constat de la menace contre la paix dans ces résolutions, les Etats se sont accordés sur le caractère « évident » de la menace constituée par la prolifération d’armes de destruction massive (en particulier auprès des acteurs non étatiques)688 et le terrorisme (les deux menaces étant liées lorsque le danger émane de la prolifération auprès d’acteurs non étatiques à des fins terroristes). Son caractère « évident » découlait notamment du fait qu’il s’agissait, comme n’ont eu de cesse de le souligner certains Etats membres du Conseil, d’un problème commun à tous les Etats689. C’est, par ailleurs, l’existence d’un intérêt 686 S’agissant de la CS/RES/1540 sur les armes de destruction massive, S/PV.4956, p. 3 (Pakistan). Selon le représentant du Pakistan, cette préoccupation correspond à l’opinion générale des Etats membres des Nations Unies (idem) ; contra : Espagne, ibid., p. 8 (qui reconnaît que le Conseil de sécurité légifère en la matière mais qui considère qu’il ne s’agit pas d’une préoccupation sérieuse étant donné l’adoption à l’unanimité de la résolution). La CS/RES/1373 (dont la CS/RES/1540 apparaît à cet égard « comme un reflet ») pouvait déjà susciter la même objection, S. SUR, « La résolution 1540 du Conseil de sécurité (28 avril 2004) : entre la prolifération des armes de destruction massive, le terrorisme et les acteurs non étatiques », RGDIP (2004), p. 564. 687 S/PV.4956, p. 3 Le Pakistan estime que le seul organe véritablement compétent à cet égard est la Conférence du désarmement, « seul organe de négociation multilatéral consacré au désarmement ». Dans ce sens, le Pakistan considère que le Conseil de sécurité a assumé des « responsabilités exceptionnelles » dans le cadre de la CS/RES/1540. Contra : Espagne, ibid., p. 8. 688 Etats-Unis, ibid., p. 5 (« menace évidente contre la paix et la sécurité internationales »). En témoigne notamment l’adoption de la CS/RES/1540 à l’unanimité. 689 Ibid., pp. 5-6 (emploi d’expressions telles que : « objectif commun » ; « aucun pays ne peut, seul, relever ce défi » ; « notre intérêt à tous ») ; voir également Espagne, ibid., p. 8 (« la lutte mondiale contre le terrorisme »). Un autre aspect, s’agissant de l’ « évidence » de la menace contre la paix, peut être rattaché au fait que la 178 commun des Etats dans la mise en œuvre de ces résolutions qui paraît avoir justifié le constat d’une menace au champ d’application universelle. De ce point de vue, il semble en effet que la nécessité d’une portée universelle des mesures permettant de combattre efficacement la prolifération et le terrorisme690 ait constitué la raison du constat par le Conseil de sécurité d’une menace contre la paix à portée « globale » (bien que le représentant de l’Allemagne ait tenu un raisonnement inverse, s’agissant du problème de la prolifération : « une menace qui est mondiale et qui exige donc une approche au niveau mondial »691). Le constat de la menace contre la paix se confond, dans cette perspective, avec la nature et la portée des mesures adoptées par le Conseil de sécurité aux termes du Chapitre VII692. Cette confusion en entraîne une autre : on ne sait plus très bien (les Etats membres du Conseil de sécurité en première ligne) si le recours des acteurs non étatiques aux armes de destruction massive (à des fins terroristes) dans le cadre de la résolution 1540 constitue une menace « actuelle » ou « potentielle »693. L’interrogation vaut également s’agissant de la probabilité d’une attaque terroriste (opérée par des acteurs non étatiques) dans le cadre de la résolution 1373. En effet, dès lors que la menace contre la paix n’est pas liée à une situation en particulier, la « menace » qui pèse sur la « paix » peut être considérée comme étant réelle ou potentielle en fonction de deux critères (alternatifs) : le premier se rattache à la probabilité de matérialisation de la « menace » (le recours à des armes de destruction massive par des acteurs non étatiques à des fins terroristes) ; le second a trait à la dimension de la « paix » qu’il s’agit de préserver aux termes du Chapitre VII (la menace est « réelle » s’agissant des conditions positives d’une paix durable tandis qu’elle est de nature « potentielle » s’agissant de la « paix » définie comme l’absence de conflit armé entre Etats). prolifération d’armes de destruction massive et le terrorisme concernent prima facie la « paix » au sens étroit du terme (voir infra titre III s’agissant des deux conceptions de la menace contre la paix, au sens étroit et au sens large du terme « paix »). 690 Chili, ibid., p. 7 (soulignant l’importance et la pertinence « de prendre des mesures efficaces et d’application universelle ») ; Brésil, ibid., p. 9 (insistant sur l’mportance d’une « approche globale »). 691 Ibid., p. 10. 692 On peut penser, dès lors, que la nécessité d’agir ait précédé la justification pour agir. 693 Il existe notamment une différence de perception entre le représentant de l’Espagne pour lequel il s’agit d’une menace « bien réelle, grave et imminente » (ibid., p. 8 ; dans le même sens : Royaume-Uni, idem ; Allemagne, ibid., p. 11) et celui du Brésil pour qui la perspective que des terroristes s’emparent d’armes de destruction massive constitue une menace « potentielle » qui génère cependant un « sentiment d’urgence » (ibid., p. 9, pour cette raison le Brésil n’était pas véritablement favorable à ce que la CS/RES/1540 s’inscrive dans le cadre du Chapitre VII ; voir aussi Algérie, ibid., p. 7 : « la menace que constitue l’éventuel recours, par des groupes terroristes, à de telles armes », mis en italique par nous). 179 2.2.3. Conclusion sur le discours juridique sur les conditions de mise en œuvre de la menace contre la paix L’analyse du discours des Etats membres du Conseil de sécurité relatif aux conditions de forme et de fond du constat d’une menace contre la paix nous enseigne, d’abord et avant tout, que les controverses entre les Etats membres quant au constat d’une menace contre la paix sont de nature juridique : la paix « internationale » est-elle touchée ? si oui, dans quelle mesure ou à quel égard ? la menace est-elle imminente ? ou du moins persistante ? la menace contre la paix est-elle suffisamment circonscrite, dans le temps et dans l’espace, de manière à ne pas outrepasser les compétences du Conseil de sécurité selon la Charte ? Ces controverses constituent les caractéristiques juridiques essentielles de la notion de menace contre la paix dans la mesure où elles constituent (sauf exception due à une pratique du Conseil de sécurité bien établie 694 ) un « passage obligé », pour les Etats membres lorsqu’ils argumentent pour ou contre le constat d’une menace contre la paix dans une situation donnée. En tant que « passage obligé », ces aspects problématiques, du point de vue juridique, de la notion de menace contre la paix esquissent le contenu et les limites de la notion de manière dynamique. En effet, pour utiliser une image, les controverses juridiques relatives à la menace contre la paix sont comparables aux gonds d’une porte, laquelle peut s’ouvrir ou se fermer selon les circonstances. Comme tout organe appelé à mettre en œuvre (de manière exclusive en l’occurrence) la disposition d’un instrument juridique, le Conseil de sécurité participe au façonnement et au développement de la notion de menace contre la paix chaque fois qu’il en constate l’existence (pour reprendre l’image de la porte, chaque fois que la porte pivote sur ses gonds). Nous allons maintenant nous interroger sur les procédés et la mesure par lesquels sa pratique contribue à ancrer dans le tissu normatif la notion de menace contre la paix (telle qu’elle est définie à partir de ses caractéristiques juridiques essentielles). 694 En matière de violations graves et massives des droits de l’homme et du droit international humanitaire, voir supra titre II, première section, 2.2.2.1. cas d’étude n° 3, Libye. 180 SECONDE SECTION. LE CONSTAT D’UNE MENACE CONTRE LA PAIX PAR LE SECURITE : QUEL APPORT AU DROIT ? CONSEIL DE Certains auteurs ont exploré la pratique du Conseil de sécurité relative à l’article 39 de la Charte afin de tenter d’y déceler des paramètres récurrents (« patterns » ou « consistent standards » 695) du constat d’une menace contre la paix. Ils ont ainsi essayé d’esquisser le visage, c’est-à-dire les traits et les contours, de la notion telle que mise en œuvre par le Conseil de sécurité 696 . Certains d’entre eux ont été conduits à s’interroger sur le lien susceptible d’exister entre la récurrence de certains paramètres et une pratique créatrice de certains effets de droit. L’interprétation de la notion de menace contre la paix par le Conseil de sécurité équivaut-elle à une interprétation authentique de l’article 39 de la Charte ? Conduit-elle à la formation d’une « coutume institutionnelle » ? Diverses théories ont été avancées en doctrine qui seront examinées ci-après. De manière plus générale, une grande partie de la doctrine s’est interrogée sur la question de savoir si le Conseil de sécurité participe à l’émergence et au développement du droit international (le cas échéant, de quelle manière et dans quelle mesure). Il a ainsi été question de son pouvoir législatif ou « quasi-législatif »697 caractérisé par l’édiction, sur le fondement du Chapitre VII, de normes à la portée générale et permanente, ainsi que de sa participation à « l’élaboration, à la cristallisation ou à la consolidation des règles coutumières » de droit international698. Ces deux questions se réduisent selon nous à une seule et grande interrogation qui sera abordée tout au long de cette seconde section, à savoir : de quelle manière et dans quelle 695 L’expresion « consistent standards » est de FRANCK, « Fairness », op. cit. note 408, p. 197. Voir aussi GORDON, « United Nations Intervention », op. cit. note 477, pp. 575-581 (« a need for delineating some standards », p. 575, voir spécifiquement p. 579 s’agissant de ces « paramètres »). Il est intéressant de noter que ces deux auteurs plaident pour une pratique plus cohérente de la part du Conseil de sécurité (au nom de la légitimité de son action), c’est-à-dire une pratique qui s’appuierait sur des paramètres qui, eux-mêmes, découleraient de sa pratique antérieure (voir supra titre II, première section, 2.1.1.3.). 696 Au contraire, un grand nombre d’auteurs jugent qu’une telle entreprise est vouée à l’échec en raison du caractère discrétionnaire du constat du Conseil de sécurité aux termes de l’article 39 de la Charte et de la logique essentiellement politique de ce constat, voir par exemple COHEN-JONATHAN, « Article 39 », op. cit. note 517, p. 654 (« Si les constatations opérées par le Conseil de sécurité sont assimilées parfois à un jugement c’est d’un jugement politique qu’il s’agit. C’est pourquoi, il est très difficile de retrouver dans les différentes résolutions un fil directeur qui permette une classification cohérente des diverses situations énumérées à l’article 39 »). 697 SCHACHTER, « The The Quasi-Judicial Role », op. cit. note 458, pp. 960-965. 698 O. CORTEN, « La participation du Conseil de sécurité à l’élaboration, à la cristallisation ou à la consolidation des règles coutumières », 21 Arès n°55, Fascicule 3 (Mai 2005), pp. 87-99. 181 mesure ce que dit ou fait le Conseil de sécurité vis-à-vis de la notionde la menace contre la paix peut-il devenir du droit ? De la même manière que nous avons distingué les deux questions qui sont à la base de cette interrogation, il y aura lieu également de distinguer dans l’analyse qui va suivre entre, d’un côté, la manière dont le Conseil de sécurité interprète la notion de menace contre la paix de l’article 39 de la Charte (c’est-à-dire, la manière dont il étoffe le contenu de la norme) (1) et d’un autre côté, la manière et la mesure avec lesquelles la pratique du Conseil de sécurité relative au constat d’une menace contre la paix contribue plus généralement au développement du droit international, au-delà de l’article 39 de la Charte (2). Propos introductifs : le pouvoir « créateur de droit » du Conseil de sécurité A titre préliminaire, en guise d’éclairage de la problématique générale énoncée ci-dessus (la manière et la mesure avec/dans laquelle la pratique du Conseil de sécurité relative au constat d’une menace contre la paix s’ancre dans le droit international positif), nous donnerons un bref aperçu de certaines théories doctrinales relatives au pouvoir créateur de droit du Conseil de sécurité lorsque celui-ci constate une, ou agit en vertu d’une, menace contre la paix. Cet aperçu fait suite à l’interrogation suivante : qu’entendent signifier certains auteurs lorsqu’ils écrivent que le Conseil de sécurité a, ou s’est approprié, le pouvoir de dire, de faire et d’imposer le droit ? Il est d’autant plus intéressant de s’interroger sur le sens exact d’une telle assertion que cette analyse ne fait pas l’unanimité parmi la doctrine, une partie d’entre elle considérant même qu’il s’agit là de propos inadéquats et choquants699. L’un des premiers auteurs à avoir soutenu la théorie du pouvoir créateur de droit du Conseil de sécurité est également l’un des tous premiers à avoir rédigé un commentaire de la Charte des Nations Unies (en 1950). H. Kelsen y affirme en effet que lorsque le Conseil de sécurité qualifie la conduite d’un Etat de menace contre la paix, rupture de la paix et d’agression, il lui est possible de créer du droit (« the Security Council may create new 699 Voir l’article particulièrement virulent de G. ARANGIO-RUIZ, « On the Security Council’s ‘Law-Making’ », Rivista di diritto internazionale (2000), §§ 13-15. Voir aussi § 18 : « The Council […] is empowered to ‘make » peace, not to make law through peace ». C’est aussi le sens de la phrase bien connue du juge FITZMAURICE dans son opinion dissidente jointe à l’avis de la CIJ sur la Namibie (1971) : « It was to keep the peace, not to change the world order, that the Security Council was set up », op. cit. note 292, p. 294. 182 law »700). Il faut, pour comprendre la portée de cette assertion, bien saisir le raisonnement d’H. Kelsen dans lequel elle s’inscrit. L’article 39 de la Charte peut être interprété de deux manières selon H. Kelsen. Selon la première de cette interprétation, l’article 39 permet au Conseil de sécurité de prendre des mesures à caractère essentiellement politique dans le but de maintenir ou de restaurer la paix mondiale. Il ne s’agit pas de sanctions dans la mesure où le Conseil de sécurité ne tend pas à sanctionner le comportement illicite d’un Etat mais à apporter une solution rapide à un problème touchant à la paix et à la sécurité internationales. Selon la seconde interprétation que permet l’article 39 selon H. Kelsen, les mesures prises en vertu de cette disposition revêtent le caractère de sanctions. Cette seconde interprétation est donc en contradiction avec la première sur ce point. Cependant, H. Kelsen reconnaît que le Conseil de sécurité est libre d’adopter (sous forme de décision ou de recommandation) des mesures, au titre du Chapitre VII, à l’encontre d’un ou de plusieurs Etats n’ayant pas nécessairement enfreint une règle expressément prévue par la Charte ou par le droit international préexistant. C’est dans cette hypothèse qu’H. Kelsen considère que le Conseil de sécurité dispose d’un pouvoir créateur de droit : en qualifiant un certain comportement de menace (ou de rupture) de la paix, il érige au rang d’obligation internationale ce qui n’en était pas une auparavant (c’est-à-dire, avant l’acte de qualification) 701 . Ainsi, selon H. Kelsen, le Conseil de sécurité peut déclarer qu’il existe une menace contre la paix en cas de non-respect d’une de ses décisions, voire d’une de ses recommandations ou d’une recommandation de l’Assemblée générale. Dans ce cas, H. Kelsen explique que : « The act of the General Assembly or the Security Council may by itself not intend to constitute an obligation ; but compliance with it may become an obligation by a decision of the Security Council determining non-compliance with it as a threat to, or breach of, the peace ». Dans un sens en apparence voisin de la théorie de Kelsen sur ce point, P. Weckel a écrit bien des années plus tard, sous la forme d’un constat résultant de son analyse de la pratique du Conseil de sécurité relative à la crise du Golfe (1990-1991) : « cet organe dit le droit, fait le 700 KELSEN, The Law of the United Nations, op. cit. note 14, p. 736. 701 Dans ce sens également, COMBACAU, Le pouvoir de sanction, op. cit. note 11, pp. 12-16 et p. 93. L’auteur note cependant que, si en théorie le Conseil de sécurité peut, selon le système instauré par le Chapitre VII, créer une nouvelle norme de droit de manière simultanée au constat de l’existence d’une situation de l’article 39 (et à l’infliction de sanctions), il n’en reste pas moins que celui-ci a toujours (du moins, selon l’analyse de l’auteur conduite jusqu’en 1974 au plus tard) étayé ses constatations par des considérations de légalité faisant référence à des obligations juridiques préexistantes, ibid., pp. 105-106 ; CAHIN, « La notion de pouvoir discrétionnaire », op. cit. note 253, p. 569 : « c’est surtout par l’élargissement de la notion de menace contre la paix que le Conseil de sécurité use de son pouvoir discrétionnaire pour défendre une légalité qu’il définit simultanément lui-même ». 183 droit, impose le droit… » 702. Cette formule à effet rhétorique (l’insistance sur le terme « droit ») laisse transparaître la critique de l’auteur. Il « reproche »703 au Conseil de sécurité d’avoir motivé son action vis-à-vis de l’Irak par des considérations de légalité alors même qu’il n’est lui-même ni juge ni législateur704. Par « considérations de légalité », l’auteur entend le fait que la rupture de la paix, telle que constatée par le Conseil de sécurité dans la résolution 660, résultait de l’ensemble des violations du droit international et de manière générale du refus par l’Irak de se soumettre à la légalité internationale. Il entend également le fait que, de manière corollaire, l’action du Conseil de sécurité se soit essentiellement ramenée, dans le contexte de la crise du Golfe, à « la restauration de la légalité »705. Si P. Weckel admet que rien dans la Charte n’interdit au Conseil de sécurité de qualifier d’illicite un fait ou une situation et de tirer de cette qualification des conséquences juridiques706, c’est précisément pour cette raison qu’il estime que cette attitude du Conseil de sécurité, à savoir le fait de motiver ses résolutions par des considérations juridiques, consiste en un choix politique. Ce choix est lui-même permis, selon l’auteur, par le large pouvoir discrétionnaire dont le Conseil de sécurité dispose aux termes du Chapitre VII707. Par la formule précitée « cet organe dit le droit, fait le droit, impose le droit… », P. Weckel veut donc avant tout signifier que le Conseil de sécurité utilise le droit comme l’un de ses moyens d’action politique. C’est à cet égard que nous affirmions que certaines expressions utilisées par la doctrine pouvaient s’avérer ambiguës quant à la question de la contribution du Conseil de sécurité au processus d’élaboration du droit international positif. 702 P. WECKEL, « Le Chapitre VII de la Charte et son application par le Conseil de sécurité », AFDI (1991), p. 166. 703 Il s’agit, plutôt, d’un constat dépité de la part de l’auteur. Ce qui pourrait sembler paradoxal pour un juriste : comment celui-ci peut-il reprocher à un organe politique de motiver ses décisions en droit ? Si l’auteur semble dérouté par la pratique du Conseil de sécurité, c’est avant tout parce que, selon lui, la Charte concevait autrement le rôle du Conseil de sécurité : un gendarme plutôt qu’un juge habilité à sanctionner les comportements illicites des Etats. Voir aussi p. 173 : l’attitude du Conseil de sécurité « demeure l’expression d’un choix politique parce qu’aucune considération de droit n’impose le respect effectif de l’ordre international et que le Conseil n’a pas été investi du mandat de servir de bras séculier à la communauté juridique des Etats ». 704 Ibid., p. 169. 705 Ibid., pp. 168-169. L’auteur affirme à cet égard que le nouvel ordre mondial, advenu après la chute du mur de Berlin, se caractérise par l’autorité de la règle juridique. L’Irak, en refusant de se soumettre à la légalité internationale, aurait donc bouleversé la « nouvelle discipline collective des Etats » (p. 171). 706 Ibid., p. 168. 707 Ibid., p. 173. 184 Nous verrons également plus loin le sens que revêt l’assertion d’I. Österdahl lorsque celleci affirme que « whatever action the Security Council takes has a normative impact »708. 1. LES EFFETS EN DROIT INTERNATIONAL DE L’INTERPRETATION PAR LE CONSEIL DE SECURITE DE LA NOTION DE MENACE CONTRE LA PAIX INSCRITE A L’ARTICLE 39 DE LA CHARTE A chaque fois qu’il met en œuvre l’article 39 de la Charte sur la base du constat d’une menace contre la paix, le Conseil de sécurité est inévitablement amené à interpréter la notion de « menace contre la paix ». Le même constat s’impose s’il décide de ne pas constater l’existence d’une menace contre la paix mais qu’il a été saisi d’une résolution en ce sens et que la majorité de ses membres (ou un seul membre permanent) vote(nt) contre son adoption. En effet, le constat ou le refus de constater une menace contre la paix dans une situation donnée requiert nécessairement du Conseil de sécurité qu’il confronte la réalité matérielle des choses (les faits) à la définition abstraite de la notion de menace contre la paix (le droit). Toute application (ou refus d’application) de l’article 39 entraîne donc, pour le Conseil de sécurité, un travail d’interprétation des notions qui y sont inscrites, que ce travail d’interprétation soit simultané à l’application de la disposition précitée ou qu’il ait lieu en amont (ex ante facto) de celle-ci709. Ceci rejoint l’idée fréquemment émise en doctrine selon laquelle la ligne de démarcation entre l’application et l’interprétation d’une norme est tellement ténue qu’il est difficile, bien souvent, de la dessiner. A cet égard, quand bien même les deux opérations de l’esprit sont distinctes d’un point de vue conceptuel (l’application est la mise en œuvre d’une norme selon des critères préalablement définies alors que l’interprétation s’attache à la détermination ou à la formulation de ces critères d’application), la différence entre application et interprétation se décline, en pratique, en degrés plutôt qu’en nature. D’un point de vue conceptuel, l’interprétation se distingue également de la modification (et de l’abrogation, en cas de modification extrême) du contenu de la norme. Ce contenu peut être déterminé par les termes du traité, lesquels doivent être interprétés de bonne foi selon le 708 I. ÖSTERDAHL, « The Exception as the Rule of Law : Lawmaking on Force and Human Rights by the UN Security Council », 10 JCSL (2005), p. 19. L’auteure poursuit ainsi : « The only way it could escape its normative role would be to stop adopting resolutions altogether ». L’auteure est d’avis, en effet, que le Conseil de sécurité, en adoptant des résolutions interventionnistes dans des situations à caractère humanitaire, a ouvert la voie pour les Etats de recourir à l’usage de la force dans les mêmes circonstances dans l’hypothèse où le Conseil de sécurité serait paralysé par le veto de l’un au moins de ses membres permanents. Voir à ce sujet infra titre II, seconde section, 2.2.2.2. 709 Voir à ce sujet supra titre II, première section, 2.2.2.4. (s’agissant même des résolutions thématiques que nous n’avons pas considérées au titre des « menaces génériques stricto sensu » du fait qu’elles n’avaient pas été adoptées en vertu du Chapitre VII). 185 sens ordinaire qu’il convient de leur attribuer en tenant compte de l’objet et du but du traité (voire de son contexte), mais aussi par le droit coutumier (selon la théorie bien établie de l’absence de hiérarchie entre les sources de droit). S’agissant de la notion de menace contre la paix, on ne saurait affirmer que le Conseil de sécurité procède à la modification du contenu des termes du traité, à savoir de l’article 39 de la Charte, lequel ne contient aucune définition de la menace contre la paix710. En effet, comment modifier ce qui n’est pas déterminé au préalable ? La remarque est la même s’agissant de la distinction entre mise en œuvre et interprétation de la notion : comment appliquer une notion sans connaître (c’est-à-dire que soient définis) les critères qui régissent son application ? La pratique du Conseil de sécurité relative au constat d’une menace contre la paix tend plutôt à préciser le sens de la notion inscrite à l’article 39 de la Charte, en d’autres termes à lui donner un contenu. Il faut s’imaginer une coquille de noix vide : il y a le contenant (la coquille) et le contenu (l’intérieur de la coquille). La pratique du Conseil de sécurité relative à la menace contre la paix comble le vide laissé par la noix. C’est dans ce sens qu’O. Corten affirme que la pratique du Conseil de sécurité relative au constat d’une menace contre la paix consiste en une pratique ou une coutume « interprétative »711 (et non modificatrice712.) Peut-on néanmoins soutenir l’idée que le contenu de la notion de menace contre la paix serait déterminé, non pas par les termes du traité (l’article 39 de la Charte), mais par le droit international coutumier ? Selon cette idée, la pratique, en tant que premier élément constitutif de la coutume (nécessaire mais non suffisant), serait la pratique du Conseil de sécurité relative au constat d’une menace contre la paix sous réserve que celle-ci soit considérée comme étant suffisamment constante et uniforme. Il faudrait ensuite démontrer que cette pratique rencontre l’opinio juris (le second élément constitutif de la coutume) des Etats membres des Nations Unies. Si ces critères étaient établis (l’existence d’une pratique constante et uniforme du 710 Selon les travaux préparatoires, cette absence de définition de la « menace contre la paix » procède d’une volonté délibérée des rédacteurs du traité de laisser la définition de la menace contre la paix (et des autres situations de l’article 39) la plus ouverte possible afin de ne pas entraver à mauvais escient la marge d’appréciation, et donc l’action, du Conseil de sécurité. Voir, pour la référence aux travaux préparatoires, supra note 14. Voir également à ce sujet R. RUSSELL, History of the United Nations Charter : the Role of the United States, 1940-1945, The Brookings Institution (1958), pp. 669-672. 711 CORTEN, « La participation du Conseil de sécurité », op. cit. note 698, p. 89. 712 Sur la différence entre la pratique subséquente comme preuve de modification du contenu juridique d’une norme et la pratique subséquente comme élément d’interprétation de cette norme, voir R. KOLB, Interprétation et création du droit international. Esquisses d’une herméneutique juridique moderne pour le droit international public, Bruylant (2006), p. 480. 186 Conseil de sécurité et d’une opinio juris des Etats), on pourrait raisonnablement soutenir que le Conseil de sécurité est susceptible de modifier (ou d’avoir modifié), au gré de sa pratique, la notion de la menace contre la paix telle que son contenu est déterminé par le droit coutumier. Cependant, même dans ce cas, il s’agirait d’une nouvelle interprétation de la menace contre la paix de l’article 39, quand bien même cette interprétation contrasterait avec l’interprétation inscrite en droit coutumier par l’effet de la pratique du Conseil de sécurité713. Dans les lignes qui vont suivre, nous allons donc nous concentrer sur l’interprétation par le Conseil de sécurité de la notion de menace contre la paix ainsi que la manière et la mesure avec lesquelles cette interprétation est susceptible de s’ancrer dans le droit international positif. Il ne sera donc question que des procédés par lesquels l’interprétation par un organe d’une organisation internationale d’une norme inscrite dans son instrument constitutif devient du droit, et non pas des procédés par lesquels il lui est possible de modifier le contenu de cette norme. Cette remarque a son importance dans la mesure où les procédés de modification d’une norme contiennent plus d’exigences que ceux tenant à son interprétation (ces exigences différentes seront indiquées en note de bas de page). 1.1. Le Conseil de sécurité, un interprète privilégié de la Charte 1.1.1. Une interprétation « authentique » de la notion de menace contre la paix ? 1.1.1.1. L’interprétation authentique « au sens strict » Selon certains auteurs, la pratique du Conseil de sécurité relative au constat d’une menace contre la paix correspond à une interprétation authentique de la Charte714. En d’autres termes, lorsque le Conseil de sécurité met en œuvre l’article 39 de la Charte en se basant sur le constat de l’existence d’une menace contre la paix, l’interprétation qu’il donne de la notion de menace contre la paix est réputée faire foi et s’imposer aux autres sujets de droit international715. Cette assertion n’est pas sans lien avec le fait que le Conseil de sécurité a le 713 La différence entre interprétation et modification de la norme est délicate à déterminer. A partir de quand peut-on affirmer qu’une interprétation diffère tellement de l’interprétation initialement conférée à la norme qu’elle en constitue une modification ? 714 Voir par exemple I. ÖSTERDAHL, Threat to the peace : the interpretation by the Security Council of Article 39 of the UN Charter, Iustus Forläg (1998), p. 90 ; de la même auteure, « The Exception as the Rule », op. cit. note 708, p. 16 et p. 19. L’auteure semble considérer que le caractère authentique de l’interprétation de la Charte par le Conseil de sécurité découle principalement de sa capacité à adopter des résolutions à portée obligatoire. 715 Bien que certains auteurs distinguent l’interprétation « authentique » de l’interprétation « faisant foi » (DAILLIER, FORTEAU et PELLET, Droit international public, op. cit. note 53, p. 277), il n’en demeure pas moins que le principal effet de l’interprétation authentique est d’être revêtue de la force contraignante, caractéristique en droit. Voir par exemple L. SOHN, « The UN System as Authoritative Interpreter of its Law », in : O. SCHACHTER & C. JOYNER (éds), United Nations Legal Order, CUP (1995), p. 174, qui considère que les qualificatifs « authoritative » et « binding » sont synonymes s’agissant de l’interprétation ; dans le même 187 pouvoir d’adopter des résolutions contraignantes, lesquelles s’appuient nécessairement, dans le cadre du Chapitre VII, sur la détermination de l’existence d’une des trois situations de l’article 39 (dont la menace contre la paix). La CPJI a, dans l’affaire Jaworzina (1923), considéré que « le droit d’interpréter authentiquement une règle juridique appartient à celui là seul qui a le pouvoir de la modifier ou de la supprimer »716. C’est sur la base d’une telle affirmation (à savoir, la définition de l’interprétation authentique « au sens strict » du terme) qu’une partie de la doctrine contemporaine se refuse à dire que le Conseil de sécurité serait l’interprète authentique de la Charte717 et donc, par conséquent, de la notion de menace contre la paix inscrite dans la Charte. En effet, le Conseil de sécurité ne dispose pas formellement du pouvoir de modifier ou de supprimer le texte de la Charte. L’article 109 de la Charte dispose à cet égard que toute modification de la Charte, recommandée par la Conférence générale des Nations Unies718 à la majorité des deux tiers des voix, doit être ratifiée par les deux tiers des membres des Nations Unies, y compris tous les membres permanents du Conseil de sécurité. En tout état de cause, la Charte des Nations Unies ne confie à aucun organe en particulier, même à la CIJ, le soin de donner des dispositions de la Charte une interprétation authentique719. Cependant, si on adopte une interprétation plus souple de ce que signifie « le pouvoir de modifier ou supprimer une règle juridique », ne peut-on pas considérer que le Conseil de sécurité dispose d’un pouvoir de facto de modifier le sens des dispositions de la Charte ? sens, voir aussi KELSEN, The Law of the United Nations, op. cit. note 14, p. xv (« […] interpretation […] must […] be authentic, that is to say, it must have binding force »). 716 CPJI, avis consultatif du 6 décembre 1923, Recueil des avis consultatifs, série B, n°8, p. 37. 717 Dans ce sens : DE WET, The Chapter VII Powers, op. cit. note 20, p. 104 ; MARTENCZUK, « What Lessons from Lockerbie », op. cit. note 651, pp. 535-536. Voir aussi PAPASTAVRIDIS, « Interpretation of Security Council Resolutions under Chapter VII », op. cit. note 583, p. 91, au sujet de l’interprétation authentique des résolutions du Conseil de sécurité par ce dernier. 718 Laquelle peut être réunie par un vote de l’Assemblée générale à la majorité des deux tiers et par un vote de neuf membres quelconques (membres permanents ou non permanents) du Conseil de sécurité (article 109, § 1 de la Charte). 719 Lors de la Conférence de San Francisco, certains délégués avaient proposé qu’un organe des Nations Unies en particulier soit revêtu de la compétence d’interpréter la Charte de manière principale, sinon authentique. Ainsi le représentant de la Belgique proposa que cette compétence soit dévolue à l’Assemblée générale tandis que d’autres représentants proposèrent qu’elle échoit à l’organe judiciaire principal des Nations Unies, la CIJ. Compte tenu des controverses sur ce point parmi les représentants des Etats, la question de l’interprétation de la Charte des Nations Unies fut déférée à un Sous-Comité spécial du Comité IV/2, voir SOHN, « The UN System », op. cit. note 715, pp. 171-172 et infra notes 723 et 724. 188 1.1.1.2. L’interprétation authentique « au sens large » Dans son avis relatif à la Namibie (1971), la CIJ a estimé que l’interprétation de l’article 27 § 3 de la Charte par le Conseil de sécurité, à savoir le fait que l’abstention volontaire par un membre permanent ne faisait pas obstacle à l’adoption d’une résolution, avait été « généralement acceptée par les membres des Nations Unies »720 et qu’elle constituait à ce titre « la preuve d’une pratique générale de l’Organisation »721. Quant à l’interprétation de l’article 27 § 3 par le Conseil de sécurité, la CIJ a tenu compte de ce qu’il s’agissait d’une interprétation uniforme et constante telle qu’elle ressortait des déclarations de la présidence du Conseil de sécurité et des prises de position des Etats membres du Conseil de sécurité722. Les termes « généralement acceptée » ne sont pas sans rappeler (outre les termes de l’article 38 § 1 lettre b s’agissant de la coutume internationale) ceux utilisés par le SousComité du Comité IV/2 (le Comité IV/2 était chargé, lors de la Conférence diplomatique de San Francisco en 1945, du problème de l’interprétation de la Charte). Dans son rapport, le Sous-Comité avait en effet relevé que les organes des Nations Unies se livreraient inévitablement, dans leur travail quotidien, à l’interprétation des pouvoirs et compétences que leur attribue la Charte723. A cet égard, il avait estimé que cette interprétation par les organes 720 Il faut comprendre, à la lumière de l’avis de la CIJ sur la Namibie (1971), qu’une pratique est généralement acceptée par les Etats lorsque ceux-ci n’émettent pas d’objections au moment de l’émergence de celle-ci. Ainsi, dans son avis, la CIJ n’a pas tenu compte de l’objection de l’Afrique du Sud au cours de l’instance quant à l’interprétation par le Conseil de sécurité de l’article 27 § 3 de la Charte. Voir sur ce point KOLB, Interprétation et création, op. cit. note 712, p. 485. 721 Avis Namibie (1971), op. cit. note 292, p. 22, § 22. 722 « les débats qui se déroulent au Conseil de sécurité depuis de longues années prouvent abondamment que la pratique de l’abstention volontaire d’un membre permanent a toujours et uniformément été interprété, à en juger d’après les décisions de la présidence et les positions prises par les membres du Conseil, en particulier par les membres permanents, comme ne faisant pas obstacle à l’adoption de résolutions » (idem, mis en italique par nous). 723 « In the course of the operations from day to day of the various organs of the Organization, it is inevitable that each organ will interpret such parts of the Charter as are applicable to its particular functions. This process is inherent in the functioning of any body which operates under an instrument defining its functions and powers. It will be manifested in the functioning of such a body as the General Assembly, the Security Council, or the International Court of Justice. Accordingly, it is not necessary to include in the Charter a provision either authorizing or approving the normal operation of this principle », DCNUOI, Report of Special Subcommittee of Committee IV/2, tome XIII, p. 709. La considération selon laquelle l’organe d’une organisation internationale est inévitablement appelé à interpréter la charte constitutive de l’organisation lorsqu’il met en oeuvre une de ses dispositions est parfaitement admise en doctrine selon l’idée que « toute application d’une règle juridique équivaut à son interprétation » (G. DISTEFANO, « La pratique subséquente des Etats parties à un traité », AFDI (1994), p. 43) ; voir notamment POLLUX, « The Interpretation of the Charter », 23 BYBIL (1946), p. 54 (l’auteur met en exergue, cependant, les dangers et les inconvénients pour l’organisation de laisser à chaque organe le soin d’interpréter les termes de sa constitution, ibid. pp. 57-63) ; E. HEXNER, « Interpretation by Public International Organizations of their Basic Instruments », 53 AJIL (1959), p. 341. 189 des Nations Unies n’aurait de valeur contraignante que dès lors qu’elle serait « généralement acceptée » par les Etats membres724. A contrario, le Sous-Comité considérait, donc, qu’une interprétation de la Charte par le Conseil de sécurité qui ne serait pas généralement acceptée par les Etats membres des Nations Unies n’aurait pas de force contraignante à l’égard de ces derniers ainsi que vis-à-vis des autres organes des Nations Unies (Assemblée générale et CIJ en premier lieu). Dans un sens voisin, la Chambre d’appel du TPIY a considéré, dans son arrêt du 2 octobre 1995 dans l’affaire Tadic, que la « pratique établie » du Conseil de sécurité, selon laquelle la notion de menace contre la paix de l’article 39 de la Charte inclut les conflits internes, était « partagée » par les Etats membres des Nations Unies. Elle constituait de ce fait une « interprétation commune »725 qui faisait foi. A partir de ces considérations, on peut énoncer l’hypothèse selon laquelle le Conseil de sécurité ne dispose pas d’un pouvoir stricto sensu d’interpréter authentiquement la Charte mais d’un pouvoir d’interpréter la Charte ayant le même effet (contraignant) qu’un pouvoir d’interprétation authentique sous réserve que cette interprétation soit, du côté du Conseil de 724 « Difficulties may conceivably arise in the event that there should be a difference of opinion among the organs of the Organization concerning the correct interpretation of a provision of the Charter. Thus, two organs may conceivably hold and may express or even act upon different views. Under unitary forms of national government the final determination of such a question may be vested in the highest court or in some other national authority. However, the nature of the Organization and of its operation would not seem to be such as to invite the inclusion in the Charter of any provision of this nature. If two Member States are at variance concerning the correct interpretation of the Charter, they are of course free to submit the dispute to the International Court of Justice as in the case of any other treaty. Similarly, it would always be open to the General Assembly or to the Security Council, in appropriate circumstances, to ask the International Court of Justice for an advisory opinion concerning the meaning of a provision of the Charter. Should the General Assembly or the Security Council prefer another course, an ad hoc committee of jurists might be set up to examine the question and report its views, or recourse might be had to a joint conference. In brief, the Members or the organs of the Organization might have recourse to various possible expedients in order to obtain an appropriate interpretation. It would appear neither necessary nor desirable to list or to describe in the Charter the various possible expedients. It is to be understood, of course, that if an interpretation made by any organ of the Organization or by a committee of jurists is not generally acceptable it will be without binding force. In such circumstances, or in cases where it is desired to establish an authoritative interpretation as a precedent for the future, it may be necessary to embody the interpretation in an amendment to the Charter. This may always be accomplished by recourse to the procedure provided for amendment », DCNUOI, idem (souligné par nous). Le passage souligné a été qualifié par SOHN de « basic San Francisco rule relating to authoritative interpretation », « The UN System », op. cit. note 715, p. 204. 725 Tadic, op. cit. note 286, § 30. 190 sécurité, « bien établie » et, du côté des parties au traité, qu’elle soit généralement « acceptée » ou « partagée »726. C’est dans ce sens que R. Higgins affirme que : « Usage and precedent in political organs develop into legal rules – that is to say into norms which are accepted as legally binding by the vast majority of the states and organs of the United Nations »727. Même s’il demeure malaisé de définir précisément ce qu’il faut entendre par une pratique ou une interprétation « généralement acceptée » par les Etats membres, on peut supposer, à la lumière de la jurisprudence internationale précitée, que cette expression signifie l’absence d’objection par un ou plusieurs Etat(s) au moment opportun, c’est-à-dire au moment où la pratique ou l’interprétation se crée ou se conforte728. Il sera ici précisé que l’appellation d’interprétation authentique « au sens large » n’est pas consacrée parmi la doctrine. Certains se réfèrent, pour évoquer le même phénomène, à savoir, la force contraignante de l’interprétation d’une norme par le Conseil de sécurité généralement acceptée par les Etats, à la coutume ou à la pratique subséquente. Nous avons choisi de parler d’interprétation authentique « au sens large » en raison de la force contraignante de celle-ci (commune à celle revêtue par l’interprétation authentique « au sens strict » du terme), ainsi que pour souligner le caractère exclusif de la pratique du Conseil de sécurité relative au constat d’une menace contre la paix. Elle est « authentique » car elle est celle du Conseil de sécurité, seul habilité à dire qu’il existe en l’espèce une menace contre la paix. 726 N. BLOKKER, « Is the Authorization Authorized ? Powers and Practice of the United Nations Security Council to Authorize the Use of Force by ‘Coalitions of the Able and Willing’ », 11 EJIL (2000), p. 567 : « it is necessary for interpretations of the Security Council to be generally acceptable to the member states in order to give such interpretations binding force » ; LAGRANGE, « Le Conseil de sécurité peut-il violer », op. cit. note 406, p. 109 ; SOHN, « The UN System », op. cit. note 715, p. 170 : « even an interpretation which is not originally authoritative may sometimes become generally accepted, and thus authoritative ». 727 HIGGINS, The Development of International Law, op. cit., note 448, p. 4. L’auteure prend en considération la pratique des organes politiques des Nations Unies à la fois en tant que manifestation de la pratique et de l’opinio juris des Etats et, en tant que telle, comme contribuant au développement du droit international général (voir ibid., p. 2 et pp. 6-7). Elle écrit ainsi : « The choice of the political organs of the United Nations for a study on international law is […] explained by a belief that they are concerned in a multitude of ways with general international law, and are likely to provide evidence of state practice, an accepted source of law » (p. 7). Voir aussi de la même auteure, « The Development of International Law », op. cit. note 17, p. 117 : « The political organs of the United Nations provide a clear forum for the practice of states, whether this practice comprises the total of their individual acts or the performance of collective acts. Further, the organs themselves have tasks to perform which also contribute to the clarification and development of law ». Elle reconnaît également la difficulté de distinguer la pratique des Etats membres des organisations internationales et des organes euxmêmes, ibid., pp. 117 et 119, difficulté qui est au cœur de la thèse de G. CAHIN, La coutume internationale et les organisations internationales : l’incidence de la dimension institutionnelle sur le processus coutumier, Pedone (2001), voir pp. 29-93. 728 Voir supra note 720. Tout dépend cependant si on considère que la jurisprudence précitée se rapporte aux procédés de la coutume ou de la pratique subséquente, voir infra note 731. 191 1.1.2. La pratique subséquente (« parfaite » et « imparfaite ») L’interprétation authentique entendue « au sens large », telle que nous avons qualifié la pratique interprétative du Conseil de sécurité devant être « généralement acceptée » par les Etats membres des Nations Unies, comporte moins d’exigences quant au niveau d’acceptation par les parties que l’interprétation prenant en compte « la pratique ultérieurement suivie dans l’application du traité par laquelle est établi l’accord des parties à l’égard de l’interprétation du texte » au sens de l’article 31 § 3 lettre b) de la CVDT de 1969729. En effet, ainsi que l’écrit R. Kolb, la CVDT retient une conception restrictive de la pratique subséquente interprétative puisqu’elle exige, par la disposition précitée, une interprétation qui révèle « l’accord de l’ensemble de la communauté conventionnelle »730. Or, selon R. Kolb, la pratique subséquente ne doit pas nécessairement être « parfaite » pour être prise en considération aux fins d’interpréter le traité (finalité qui doit être distinguée de la recherche de la preuve d’une pratique modificatrice du traité731). Par « parfaite », il faut cependant entendre une pratique subséquente révélant l’accord tacite des parties 732 . En d’autres termes, si la pratique en cause doit être acceptée par toutes les parties au traité733, il n’est pas exigé que les parties manifestent cet accord par un comportement actif. Ainsi, 729 Mis en italique par nous. 730 KOLB, Interprétation et création, op. cit. note 712, p. 481 (mis en italique par nous), ceci étant dû, selon l’auteur, à l’étroitesse de la définition de la pratique subséquente interprétative retenue par la Commission du droit international dans son projet d’articles sur le droit des traités dont le but était d’empêcher toute tentative unilatéraliste d’interprétation, p. 483. 731 A cet égard, c’est-à-dire en cas de pratique modificatrice, KOLB estime que cette pratique doit révéler l’accord (tacite) de l’ensemble des parties au traité, les conditions étant plus rigoureuses pour la modification de la norme que pour l’interprétation de celle-ci, Interprétation et création du droit international, ibid., p. 488. Ce n’est pourtant pas le critère qui a été retenu par la CIJ dans son avis sur la Namibie (1971) : la pratique du Conseil de sécurité à laquelle n’avaient pas objecté les Etats (dont en particulier l’Afrique du Sud qui la contestait – trop tardivement – devant la CIJ) suffisait pour dire qu’elle avait été généralement acceptée et qu’elle constituait à ce titre une pratique générale de l’Organisation des Nations Unies. La « pratique générale » des Nations Unies à cet égard était pourtant clairement contra legem avec le texte de l’article 27 § 3 de la Charte. A propos de la pratique subséquente ayant pour effet de modifier les dispositions d’un traité, il faut préciser que, malgré la « mise à mort » de l’article 38 du projet d’article de la CDI sur le droit des traités (dans sa version de 1966) à la Conférence de Vienne de 1969, son existence est admise en doctrine et attestée par la pratique des Etats et la jurisprudence internationale, DISTEFANO, « La pratique subséquente », op. cit. note 723, pp. 62-67. La même conclusion s’impose s’agissant de la modification du traité par l’émergence d’une règle coutumière contrastant avec les termes originaux du traité (pp. 67-70). 732 Encore plus « parfaite » serait la pratique subséquente consacrée par un accord postérieur conclu par les parties au sujet de l’interprétation du traité ou de l’application de ses dispositions (voir l’article 31, § 3, litt. a) de la CVDT). 733 KOLB évoque « une pratique reliée à la volonté de l’ensemble des parties », Interprétation et création, op. cit. note 712, p. 484. DISTEFANO pour sa part parle d’une « pratique commune, convergente, et uniforme », « La pratique subséquente », op. cit. note 723, p. 47. 192 comme l’écrit G. Distefano, « le silence manifesté par certaines parties à un traité face au comportement actif et uniforme des autres Etats contractants concourt à la formation de l’accord interprétatif tacite »734. Une pratique subséquente minus quam perfecta correspond, quant à elle, à une pratique émanant de quelques Etats seulement et à laquelle aucun autre Etat n’a objecté. Par opposition à « parfaite », cette pratique subséquente « partielle » (ou « pratique interprétative non commune »735) n’est pas retenue en tant que règle herméneutique par la CVDT (à l’article 31 § 3 lettre b notamment), bien qu’elle soit reconnue en tant que telle par des juridictions internationales736. On peut ici avancer l’idée que cette pratique subséquente « imparfaite » ou « partielle » correspond, quant à sa nature et à ses effets, à la pratique du Conseil de sécurité étant « généralement acceptée » par les Etats parties à la Charte des Nations Unies. Dans cette idée, il est précisé que la notion de « pratique subséquente » n’est pas réservée à la pratique émanant des Etats. La doctrine considère en effet, de manière quasi-unanime, que la notion couvre également « l’ensemble des actes d’un organe international faisant application du traité constitutif d’une organisation internationale »737. 734 DISTEFANO, ibid., p. 48. 735 Ibid., p. 49. 736 KOLB, Interprétation et création, op. cit. note 712, pp. 484-485. L’auteur donne ici l’exemple de l’interprétation retenue par la CIJ dans l’affaire de la Namibie de l’article 27 § 3 de la Charte, étant précisé que l’auteur tient particulièrement compte du fait que la CIJ a considéré, dans son avis, que la pratique en cause n’émanait pas directement du Conseil de sécurité mais de ses (Etats) membres (voir avis sur la Namibie, op. cit. note note 292, p. 22, § 22, corps du texte auquel se rapporte la note 721). Voir également l’affaire relative aux Droits des ressortissants des Etats-Unis d’Amérique au Maroc (1952), dans laquelle la CIJ a tenu compte exclusivement de la pratique des autorités douanières de la France à laquelle les Etats-Unis n’avaient pas objecté, ainsi que la sentence rendue par un tribunal arbitral dans l’affaire du Filetage dans le Golfe de SaintLaurent (1986), Recueil des sentences arbitrales, vol. XIX, p. 244, §§ 33-34 dans laquelle le tribunal a tenu compte d’une pratique unilatérale du Canada dans les eaux soumis à sa compétence (exemples cités par KOLB, ibid., pp. 484-485). 737 L. BOISSON DE CHAZOURNES, « Qu’est-ce que la pratique en droit international ? », in : SFDI, La pratique et le droit international, Colloque de Genève, Pedone (2004), p. 25. Pour cette auteure, « l’interprétation commune » dont il est question dans l’arrêt de la chambre d’appel du TPIY du 2 octobre 1995 dans l’affaire Tadic fait référence à la « pratique subséquente » au sens de l’article 31 § 3 lettre b) de la CVDT. Voir aussi KOLB, Interprétation et création, op. cit. note 712, p. 480 et pp. 485-486, parlant ainsi, pour désigner notamment les diverses entités dont peut émaner la pratique subséquente, de « pratiques subséquentes » au pluriel. Voir encore KOLB, ibid., pp. 486-487 sur la prise en compte par la CIJ de la pratique subséquente des organes des Nations Unies (ainsi CIJ, Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif du 8 juillet 1996, CIJ Rec. (1996), pp. 254-255, §§ 70-73) ; R. CRYER, « The Security Council and Article 39 : a Threat to Coherence », 1 JCSL (1996), p. 164. Contra : voir l’opinion dissidente du juge P. SPENDER dans l’avis de la CIJ Certaines dépenses (1962), op. cit. note 292, pp. 187 et s. 193 1.1.3. La coutume interprétative De manière peu différenciable, d’un point de vue conceptuel, de la pratique subséquente en tant que moyen interprétatif du traité, la coutume interprétative (par distinction avec la coutume modificatrice) ancre également l’interprétation d’une norme dans le droit international positif dès lors que deux conditions sont réunies : il doit exister une pratique uniforme et constante relative à l’interprétation de la norme ; il doit être établie une opinio juris « dans le chef de l’ensemble des Etats »738. A première vue, la coutume interprétative exige donc le même niveau d’acceptation par les parties au traité que la pratique subséquente telle que retenue par la CVDT à l’article 31 § 3 lettre b), à savoir l’accord tacite de toutes les parties au traité739. 1.1.4. Conclusion intermédiaire En guise de conclusion intermédiaire, on peut dire que le Conseil de sécurité n’a pas le pouvoir unilatéral de conférer un effet contraignant à son interprétation des dispositions de la Charte 740 . Cette assertion s’accorde avec la théorie selon laquelle l’organe d’une organisation internationale ne peut être directement créateur de règles de droit. Il est en effet généralement admis en doctrine qu’il peut être l’auteur d’une règle de droit « mou » (soft law) mais que ce droit ne se transforme en droit « dur » que lorsqu’il s’associe à l’opinio juris (ou « communis opinio »741) des Etats ou lorsqu’il est codifié dans un traité742. Ainsi, la pratique du Conseil de sécurité, même constante et uniforme, devra être « généralement acceptée » par 738 CORTEN, « La participation du Conseil de sécurité », op. cit. note 698, p. 88. 739 Bien que cela ne soit pas aussi clair car CORTEN considère par exemple que le critère d’une pratique « généralement acceptée » par les Etats membres (CIJ, Namibie) est équivalent à l’accord tacite de l’ensemble des Etats (contra, R. KOLB). 740 Voir sur ce point G. ABI-SAAB, « The Security Council Legibus Solutus ? On the Legislative Forays of the Council ? », in : M. KOHEN & L. BOISSON DE CHAZOURNES (éds), International Law and the Quest for Its Implementation, op. cit. note 29, p. 33 : « The fact that the Council has acted does not guarantee that its action is lawful or that this action will necessarily constitute legally significant ‘practice’ that contributes to the evolution of the law. What makes the difference is the legal perception and reception of that action by others, i.e. the international community, which gives it presidential legitimacy as a new rendering of the law or proscribes it as a violation of the law. The more so if we are speaking not of practice in general but of ‘subsequent practice’ as a principle of interpretation of treaties. In this case, the new rendering of the treaty has to be revealed through the subsequent practice of the totality of the conventional community ». 741 CONFORTI, « Le pouvoir discrétionnaire », op. cit. note 249, p. 60 (voir à ce sujet infra note 743). 742 SZASZ, « The Security Council Starts Legislating », op. cit. note 675, p. 901 ; du même auteur, voir de manière plus détaillée « General Law-Making Processes », in : SCHACHTER & JOYNER (éds), United Nations Legal Order, op. cit. note 715, pp. 61-67 ; CORTEN, « La participation du Conseil de sécurité », op. cit. note 698, p. 91 : « Quel que soit le cas de figure, on constate en tout cas que l’adoption d’une résolution du Conseil de sécurité peut tout au plus déclencher une pretention à la normativité, mais que cette pretention ne se transformera en règle que si elle est acceptée beaucoup plus largement ». 194 les Etats membres des Nations Unies pour revêtir un caractère contraignant et s’imposer visà-vis de l’interprétation donnée à la norme par les autres sujets de droit international. Dans ce sens, s’agissant spécifiquement du constat d’une menace contre la paix par le Conseil de sécurité : si les circonstances ayant donné lieu au constat ne sont pas considérées par « la communauté internationale dans son ensemble » (correspondant, en fait, à « la majorité des Etats ») comme menaçant la paix et la sécurité internationales, le constat opéré par le Conseil de sécurité ne fait pas foi selon B. Conforti et donc, la résolution ne peut pas être considérée comme étant contraignante pour les Etats743. 1.2. Dans quelle mesure le Conseil de sécurité est-il lié par ses précédents ? S’agissant du sujet qui nous intéresse, la pratique du Conseil de sécurité relative au constat d’une menace contre la paix, la question est la suivante : lorsque le Conseil constate une menace contre la paix dans une situation donnée, doit-il constater une menace contre la paix dans une situation similaire, c’est-à-dire une situation qui présente, en apparence, les mêmes caractéristiques (une situation de conflit interne menaçant de s’étendre aux Etats voisins ou caractérisée par de graves violations du droit humanitaire et des droits de l’homme par exemple) ? Cette question renferme notamment celle-ci : le Conseil de sécurité est-il lié par l’interprétation qu’il a donnée de la notion de menace contre la paix à l’égard d’une situation précédente ? Cette interrogation nous renvoie au pouvoir de veto (et à la menace de ce pouvoir) dont disposent les cinq membres permanents du Conseil de sécurité et à ce dont il a déjà été question plus avant dans ce travail, à savoir le pouvoir discrétionnaire du Conseil de sécurité, interprété par certains comme signifiant un pouvoir d’action et d’abstention sans bornes744. En effet, si le Conseil de sécurité est totalement libre d’agir, donc de constater ou de ne pas constater, ou si son action peut être entravée par l’opposition d’un seul de ses membres 743 CONFORTI, « Le pouvoir discrétionnaire », op. cit. note 249, pp. 56-57 : « Nous considérons qu’un comportement d’un Etat ne peut pas être condamné par le Conseil, et par conséquent ne peut être soumis aux mesures du Chapitre VII, si la condamnation ne correspond pas au sentiment de la plus grande partie des Etats et de leurs peuples, si, en d’autres termes, le comportement d’un Etat n’est pas considéré comme une véritable menace contre la paix par la communauté internationale dans son ensemble » (en italique dans l’original). A cet égard, la « communis opinio internationale » (p. 60) correspond au « sentiment commun de la majorité des Etats » (p. 58). Ainsi, s’agissant de la situation de l’attentat de Lockerbie, la CS/RES/748 devait être considérée comme illégale si le refus d’extrader des présumés terroristes ne pouvait pas, « selon le sentiment commun » des Etats, constituer une menace contre la paix au sens de l’article 39 (p. 60). 744 Voir supra titre II, première section, 1.2.2.2.a). 195 permanents, il n’est pas possible de concevoir qu’il puisse être véritablement lié par ses précédents. Il est néanmoins intéressant, tout en tenant compte de la nature des pouvoirs du Conseil de sécurité dans le cadre du Chapitre VII et du privilège accordé par la Charte aux membres permanents du Conseil, de s’interroger de manière plus nuancée sur la mesure dans laquelle les précédents jouent un rôle dans la pratique du Conseil de sécurité relative au constat d’une menace contre la paix. Nous allons ainsi nous intéresser, en premier lieu, à ce que recouvre l’expression de « précédents » dans la pratique d’un organe d’une organisation internationale, puis, à la lumière de ces considérations, à la portée de ces « précédents » dans le contexte particulier de la pratique du Conseil de sécurité relative au constat d’une menace contre la paix. 1.2.1. Les « précédents » dans le contexte de la pratique d’un organe d’une organisation internationale : l’exemple du Conseil de sécurité Le précédent, de par son sens ordinaire, signifie « ce qui est situé immédiatement avant quelque chose d’autre » ou « qui est venu à l’existence dans un temps immédiatement antérieur »745. En droit cependant, le terme acquiert une autre signification. Lié au principe de la sécurité juridique, il existe d’abord et avant tout dans le contexte juridictionnel. Dans ce sens, « les précédents sont les décisions judiciaires rendues dans des cas semblables »746. La notion de « précédent » peut-elle s’appliquer à la pratique d’un organe d’une organisation internationale qui n’est pas une juridiction ?747 Transposée dans ce contexte, la notion de précédent signifie, soit que l’organe d’une organisation internationale doit traiter de la même manière des cas semblables (c’est-à-dire, intervenir sur le même fondement juridique et adopter des mesures comparables, si tant est que ces mesures soient transposables, c’est-àdire adaptées, à la situation) ; soit que, de fait, il les traite de manière semblable. 745 Dictionnaire du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales (CNRS). 746 P. MALAURIE, « Les précédents et le droit », 58 RIDC (2006), p. 319. 747 GOWLLAND-DEBBAS insiste sur le fait que la détermination par le Conseil de sécurité d’une des situations de l’article 39 n’est pas subordonnée à des contraintes qui caractérisent normalement une procédure judiciaire en matière notamment d’admission des preuves et des considérations juridiques, « The Functions of the United Nations Security Council in the International Legal System », in : M. BYERS (éd), The Role of Law in International Politics, OUP (2001), p. 287. 196 En d’autres termes, la notion de précédent peut soit consister en un impératif (une règle de droit à laquelle l’organe serait soumis)748, soit être le résultat de la pratique de cet organe (en tant que stratégie adoptée par l’organe pour asseoir sa crédibilité et donc sa légitimité au sein de l’organisation voire de la communauté internationale). A. Bianchi considère ainsi, dans la seconde optique, que le Conseil de sécurité gagnerait en crédibilité à ce que sa pratique en matière de maintien de la paix et de la sécurité internationales soit cohérente : « Only if like cases are treated alike, if clear objectives are set and their achievement pursued consistently, can one look with optimism at the future development of the Security Council as the ultimate guarantor of certain fundamental interests of the international community »749. L’argument principal en faveur de la thèse selon laquelle le Conseil de sécurité serait lié par (ou tiendrait compte de) ses précédents s’attache à la formulation de certaines de ses résolutions adoptées depuis la fin de la guerre froide. Plusieurs de ses résolutions adoptées sur le fondement du Chapitre VII dans le contexte, le plus souvent, de conflits armés non internationaux ou de troubles internes, mentionnent en effet le caractère exceptionnel de l’intervention du Conseil de sécurité de même que de la situation. Ainsi, au paragraphe 2 de la résolution 794 du 3 décembre 1992, le Conseil de sécurité a fait part du fait que la situation en Somalie constituait un « cas unique » en raison de sa détérioration, de sa complexité et de son « caractère extraordinaire », ce qui justifiait une « réaction immédiate et exceptionnelle » de la part de l’organe exécutif onusien. Dans le même ordre d’idée, le Conseil de sécurité a précisé le caractère « unique » de la situation à Haïti et l’existence de « circonstances exceptionnelles » dans le pays au paragraphe 14 de sa résolution 841 du 16 juin 1993. Immédiatement après l’adoption de cette résolution, le président du Conseil de sécurité fut pressé par les membres du Conseil de préciser qu’en aucun cas cette résolution ne devait être considérée comme un précédent750. Quand bien même le Conseil de sécurité n’a pas qualifié la situation et son intervention d’exceptionnelles dans chacune des résolutions traitant de situations internes à caractère humanitaire751, il ressort des résolutions précitées que les Etats membres du Conseil de 748 Ce que rejette expressément SCHÄFER s’agissant des organes politiques comme le Conseil de sécurité des Nations Unis. Il considère en effet que du caractère politique de l’organe découle le droit pour celui-ci « das gleiche Situationen ungleich [zu] behandeln », Der Begriff, op. cit. note 12, p. 56. 749 A. BIANCHI, « Ad-Hocism and the Rule of Law », 13 EJIL (2002), p. 272. Dans le même sens, S. BAILEY, The UN Security Council and Human Rights, MacMillan Press (1994), p. 142. 750 S/PV.3238, § 9. 751 Voir l’analyse de la pratique à cet égard par I. ÖSTERDAHL, « The Exception as the Rule », op. cit. note 708, pp. 2-8. 197 sécurité craignaient que celles-ci ne soient interprétées comme étant des précédents susceptibles de lier la liberté d’action du Conseil de sécurité dans le futur. Or, les Etats membres ne pourraient pas ressentir une telle crainte si ces cas ne pouvaient en aucun cas s’analyser comme des précédents. Certes, on a pu justifier d’une autre manière les précisions du Conseil visant à souligner le caractère exceptionnalité de la situation. I. Österdahl écrit ainsi que ces précisions avaient principalement pour but de contourner la réticence de certains membres du Conseil de voir le Chapitre VII invoqué dans une situation avant tout caractérisée par sa dimension interne752. Mais, même dans cette hypothèse, la réticence de ces Etats tenait à ce que la résolution en question soit invoquée comme un précédent dans des circonstances similaires pouvant se présenter ultérieurement. Quoi qu’on en dise donc, le constat par le Conseil de sécurité d’une menace contre la paix dans une situation donnée pèse d’un certain poids, voire d’un poids certain, sur sa pratique future753. Cela signifie-t-il pour autant que le Conseil de sécurité serait lié par une règle de droit en vertu de laquelle il devrait appliquer un même traitement à deux situations a priori semblables ? A cette question, I. Österdahl répond clairement par la négative. Elle considère, en effet, qu’au vu du pouvoir discrétionnaire dont dispose le Conseil de sécurité aux fins de constater l’existence d’une situation de l’article 39, le précédent ne peut être que de nature politique. Le « précédent » consisterait, dès lors, en une obligation morale 754 d’intervenir en cas de survenance d’une situation similaire à celle dans le cadre de laquelle il est précédemment intervenu au titre du Chapitre VII755. L’argument ultime tient, encore une fois, à la nature du pouvoir du Conseil de sécurité de constater l’existence d’une menace contre la paix, c’est-àdire à son pouvoir discrétionnaire756. En effet, étant donné que pour I. Österdahl, « the 752 Ibid., p. 9. 753 Ibid., p. 13 : « Whether it wants to or not, the Security Council necessarily sets the precedent that the UN Charter permits the Security Council to authorise the use of military means for humanitarian ends ». 754 Dans le même sens, le Rapport du millénaire du Secrétaire général des Nations Unies (K. ANNAN) Nous, les peuples (2000), évoque le « devoir moral » du Conseil de sécurité d’agir au nom de la communauté internationale lorsque des crimes contre l’humanité sont commis et que tous les moyens pacifiques pour y mettre fin ont été épuisés, par. 219 (« Un monde libéré de la peur »). Le rapport est accessible sur internet à l’adresse suivante : http://www.un.org/french/millenaire/sg/report/full.htm. 755 ÖSTERDAHL, « The Exception as the Rule », op. cit. note 708, p. 14. 756 Dans le même sens, CAHIN, « La notion de pouvoir discrétionnaire », op. cit. note 253, pp. 562-564 (notamment sur la base du fait que ni le droit international général ni la Charte ne garantissent aux Etats une égalité de traitement). 198 Security Council does what it wants anyway »757, il lui est impensable d’imaginer que le Conseil de sécurité puisse, de lui-même, se contraindre juridiquement, tout au plus le peut-il dans une perspective morale ou politique. Cependant, si l’on adopte une autre perspective du pouvoir discrétionnaire du Conseil de sécurité, aboutissons-nous à la même conclusion que cette auteure ? 1.2.2. Les « précédents » à la lumière de la problématique du pouvoir discrétionnaire du Conseil de sécurité Nous avons écrit, précédemment, que le Conseil de sécurité ne disposait pas d’un pouvoir discrétionnaire monolithique de constater une menace contre la paix. A divers stades du processus cognitif au terme duquel le Conseil constate l’existence d’une menace contre la paix, la marge de liberté dont il jouit est plus ou moins étendue758. Ainsi, nous convenons que sa marge de liberté est très grande, voire maximale, quant à l’opportunité d’intervenir dans une situation donnée. Le Conseil peut, en effet, considérer qu’intervenir militairement dans le cadre d’un conflit interne ou entre plusieurs Etats ne serait pas opportun, soit parce que le conflit risquerait d’être exacerbé sans qu’une issue politiquement stable et satisfaisante ne puisse être trouvée au terme de l’intervention militaire, soit parce qu’un Etat membre permanent du Conseil de sécurité ne souhaite pas, en considération de ses intérêts politiques ou économiques dans la région, que la communauté internationale intervienne par le biais du Conseil de sécurité. Dans ce dernier cas, cet Etat ferait usage de son droit de veto pour bloquer toute action du Conseil de sécurité qui irait à l’encontre de ses intérêts dans la région. Nous en convenons donc, le Conseil de sécurité jouit d’une grande latitude, quasi-illimitée, dans la mise en œuvre de son pouvoir d’appréciation de l’opportunité d’intervenir au titre du Chapitre VII dans une situation donnée. Cependant, si le Conseil de sécurité considère à la majorité de ses membres qu’il est opportun d’intervenir, sa marge de liberté quant à l’appréciation des conditions de l’existence d’une menace contre la paix est d’une autre « consistance »759. En effet, il ressort de la pratique du Conseil de sécurité que celui-ci ne constate pas une menace contre la paix dans des circonstances absurdes, mais selon certains paramètres. Ces paramètres (qui se déclinent en conditions de forme et surtout, de fond) sont de nature juridique dès lors qu’ils conditionnent, ou qu’ils résultent de, la mise en œuvre d’une disposition d’un traité international, l’article 39 de la Charte. Il ressort de notre analyse de la pratique du Conseil de 757 ÖSTERDAHL, « The Exception as the Rule », op. cit. note 708, p. 11. 758 Voir supra titre II, première section, 1.2.2.3. 759 Selon les termes de G. CAHIN, voir supra idem. 199 sécurité exposée supra760 que ces paramètres sont à la croisée entre l’interprétation (littérale et selon l’intention des auteurs du traité) des termes de l’article 39 et l’application qui en est faite par le Conseil de sécurité dans son travail quotidien de mise en œuvre de la Charte. De facto, le pouvoir discrétionnaire du Conseil de sécurité de constater l’existence d’une menace contre la paix selon les conditions qui ressortent tant de sa propre pratique que des termes de la disposition témoigne d’une marge de liberté plus limitée que celle dont il bénéficie au titre de l’opportunité d’intervenir (« intervenir » étant ici synonyme de « constater »). Or, cette interprétation (par application) de la notion de menace contre la paix de l’article 39 par le Conseil de sécurité, qui conditionne la mise en œuvre de la disposition dans des cas ultérieurs, consiste précisément, selon nous, en un ou des « précédent(s) ». Prenons un exemple concret. Si le Conseil de sécurité constate une menace contre la paix dans une situation de guerre civile caractérisée par de graves violations du droit international humanitaire et par une profonde détresse humaine (une famine notamment), il prendra nécessairement en considération ce « précédent » pour constater une menace contre la paix dans une situation comparable qui se présentera ultérieurement à lui. Certes, il pourra ne pas constater une menace contre la paix dans cette situation ultérieure, faisant usage de sa large marge de liberté dont il dispose pour apprécier l’opportunité d’intervenir en l’espèce. En outre, il pourra également considérer que la situation ultérieure n’est pas comparable à la situation antérieure, un opérateur juridique disposant toujours d’une marge de liberté irréductible dans l’appréciation des circonstances de fait et dans l’opération consistant à passer du droit au fait et des faits au droit761. Cependant, il demeure qu’à un moment du processus par lequel le Conseil de sécurité en vient à constater une menace contre la paix, celui-ci ne disposera pas d’une liberté totale s’agissant des cas qu’il aura antérieurement eus à traiter (à moins de considérer que l’ensemble du processus de constat d’une menace contre la paix est subsumé sous la liberté presque totale dont le Conseil dispose en matière d’appréciation de l’opportunité d’intervenir). C’est à cet égard que l’on peut dire que le 760 Voir titre II, première section, 2.2. 761 Nous l’avons écrit à plusieurs reprises supra, s’agissant notamment du « pouvoir discrétionnaire » au premier sens faible du terme selon DWORKIN, voir titre II, première section, 1.2.1.2. Voir aussi DISTEFANO, « La pratique subséquente », op. cit. note 723, p. 44 : « L’adaptation même du droit au fait, de la règle à la situation dont elle est censée représenter la catégorie normative, requiert toujours une dose variable d’interprétation ». 200 Conseil de sécurité tient compte de ses précédents et, dans une certaine mesure, qu’il y est « lié »762. Cette même conclusion s’impose si on prend en considération les résolutions du Conseil de sécurité qui, au lieu de qualifier d’exceptionnel le traitement d’une situation, définissent de manière anticipée les conditions de l’existence d’une menace contre la paix. Il s’agit des résolutions dites « thématiques » évoquées supra763. Dans ce cas, le Conseil de sécurité pose explicitement les marques d’un précédent. Sur la base de ces résolutions qui concernent essentiellement la protection des civils dans les conflits armés, le Conseil de sécurité est susceptible de constater une menace contre la paix de manière plus aisée que si ces résolutions n’existaient pas. A ce titre, elles constituent des précédents sur lesquels peuvent s’appuyer les Etats membres du Conseil convaincus de l’opportunité d’intervenir en l’espèce. Certes, pour en revenir au pouvoir discrétionnaire du Conseil, ces résolutions ne peuvent pas obliger le Conseil de sécurité à constater une menace contre la paix s’agissant de tous les conflits armés dans lesquels les civils sont délibérément pris pour cible (il s’agirait, certainement, de tous les conflits armés en cours), en raison d’abord et avant tout de la grande marge de liberté dont bénéficie le Conseil quant à l’opportunité d’intervenir. Nous ne pouvons pas non plus ignorer la marge de liberté que le Conseil de sécurité conserve pour établir la matérialité des faits. Il s’agit, en effet, pour le Conseil de répondre préalablement à la question de savoir si les civils sont effectivement pris pour cible de manière systématique dans le conflit soumis à son examen. Cependant, le Conseil de sécurité tiendra incontestablement compte de ces résolutions dites « thématiques » qui énoncent les circonstances dans lesquelles une menace contre la paix pourra être constatée, dès lors qu’il aura, notamment, décidé de l’opportunité d’intervenir. C’est à cet égard que nous insistons sur le fait que le Conseil de sécurité prend en considération et, dans une certaine mesure, est lié par ses précédents. C’est dans ce sens, en outre, que nous affirmons que la pratique du Conseil de sécurité relative au 762 SCHACHTER, « The Quasi-judicial role », op. cit. note 458, p. 964 : « When an organ [of the United Nations] applies a Charter principle or any other rule of law to a particular set of facts, it is asserting, as a matter of logic, a new rule of a more specific character. This is a law-creative act, even though the members of the organ maintain (as they often do) that their decision is confined to the specific facts and they do not intend to establish a precedent. It may be that the ‘rule’ of that case will not be followed in other situations and that its applicability will prove to be limited. But the contrary may also prove true, since, once a decision is rendered by an authoritative body, it has entered into the stream of decisions that will normally be looked to as a source of law » (souligné par nous). 763 Voir titre II, première section, 2.2.2.4. 201 constat d’une menace contre la paix enrichit le contenu de la norme inscrite à l’article 39 de la Charte. 2. L’IMPACT DE L’INTERPRETATION PAR LE CONSEIL DE SECURITE DE LA NOTION DE MENACE CONTRE LA PAIX SUR LE DEVELOPPEMENT DU DROIT INTERNATIONAL (AU-DELA DE L’ARTICLE 39 DE LA CHARTE) Nous venons d’examiner et d’analyser les effets de l’interprétation par le Conseil de sécurité de la notion de menace contre la paix inscrite à l’article 39 de la Charte sur le contenu même de la notion et de la disposition précitée. Qu’en est-il des effets juridiques qui peuvent découler de cette interprétation et avoir un impact sur le développement du droit au-delà de l’article 39 de la Charte ? En d’autres termes, le droit international, entendu comme étant l’ensemble des règles (droits et obligations) applicables à la société internationale, est-il affecté par la pratique du Conseil de sécurité relative au constat d’une menace contre la paix ? Le cas échéant, dans quelle mesure ? Nous commencerons par nous interroger sur l’étendue de l’impact qu’est susceptible d’avoir la pratique du Conseil de sécurité sur le développement du droit international en tenant dûment compte des caractéristiques attachées au constat d’une menace contre la paix par celui-ci, avant d’examiner la réalité de cet impact du point de vue des normes. Il sera ici précisé qu’il ne sera pas question, dans les développements qui suivent, du supposé « pouvoir législatif » 764 qui caractériserait les résolutions du Conseil de sécurité portant sur la lutte contre le terrorisme et la prolifération des armes nucléaires, en particulier la résolution 1373 et la résolution 1546 respectivement765. En effet, nous avons placé au cœur de notre analyse le processus par lequel le Conseil de sécurité en vient à constater une menace contre la paix, laissant ainsi délibérément de côté le contenu des mesures adoptées au titre du Chapitre VII. Or, si les deux résolutions susmentionnées ont fait couler beaucoup d’encre parmi la doctrine, c’est essentiellement en raison du contenu des obligations, générales et abstraites voire nouvelles en droit international, qu’elles énoncent766. S’agissant du constat de 764 Ce que C. DENIS appelle le pouvoir normatif du Conseil de sécurité au sens « large », à savoir « la participation de cet organe à un processus global d’élaboration des règles juridiques en droit international, soit parce que le Conseil applique et interprète une règle juridique existante à une situation particulière dont il est saisi (chaque interprétation, s’ajoutant aux autres, contribuer à préciser le sens de la règle et participe d’un effet créateur), soit parce que, par sa pratique, il constitue la preuve d’une opinio juris des Etats et contribue ainsi à la formation d’une règle coutumière », Le pouvoir normatif du Conseil de sécurité : portée et limites, Bruylant (2005), p. 9 (en italique dans l’original). 765 Ainsi que l’entendent A. BOYLE & C. CHINKIN, The Making of International Law, OUP (2000), pp. 1131143. 766 SZASZ, « The Security Council Starts Legislating », op. cit. note 675, pp. 902-904. 202 la menace contre la paix qu’elles renferment, ces résolutions n’apparaissent pas plus caractéristiques d’un « pouvoir législatif » quelconque du Conseil de sécurité que les autres résolutions adoptées dans le cadre du Chapitre VII767. 2.1. Un impact limité de par les caractéristiques propres au constat d’une menace contre la paix par le Conseil de sécurité O. Corten affirme que la pratique du Conseil de sécurité relative à la menace contre la paix contribue à former une « coutume institutionnelle » quant au sens de la règle inscrite à l’article 39 de la Charte768. Il relève en effet que la notion de « menace contre la paix » conditionne les compétences du Conseil de sécurité dans le cadre du Chapitre VII et que, dans ce sens, la notion n’a de fonction et de signification que dans « le cadre de l’architecture institutionnelle de la Charte »769 . En d’autres termes, elle n’a pas d’existence juridique indépendante en-dehors de la Charte (pas d’ « existence propre » en droit international selon les termes de l’auteur belge770). Selon la typologie utilisée par O. Corten entre la « coutume institutionnelle » et la « coutume de droit international général », la première régit uniquement les relations entre l’organisation et ses Etats membres dans la mesure où elle concerne essentiellement l’interprétation des compétences des organes des Nations Unies dans le cadre de la Charte, tandis que la seconde s’applique aux relations entre les Etats souverains eux-mêmes771. La « coutume de droit international général » a donc, de ce fait et de manière distincte de la « coutume institutionnelle », une « existence propre » en droit international772. 767 Voir à ce sujet supra, titre II, première section, 2.2.2.4., « conclusion ». 768 CORTEN, « La participation du Conseil de sécurité », op. cit. note 698, p. 89. 769 Idem. 770 Idem. 771 Idem. L’auteur reprend la typologie opérée par P.-M. DUPUY dans son intervention au colloque de la SFDI à Genève, « Le droit des Nations Unies et sa pratique dans la jurisprudence de la Cour internationale de justice », La pratique et le droit international, op. cit. note 737, pp. 139-157. Cette typologie permet à CORTEN de distinguer le rôle central, sinon primordial, de la pratique du Conseil de sécurité dans le processus coutumier de type institutionnel vis-à-vis du rôle très secondaire qu’elle joue dans le processus coutumier de type général (droit international général). Dans ce dernier, c’est en effet la pratique des Etats qui est au coeur du processus. Dans un sens voisin de cette typologie consacrée par CORTEN, DENIS qualifie le constat d’une menace contre la paix par le Conseil de sécurité (et l’adoption par celui-ci de mesures en vertu du Chapitre VII) de pouvoir normatif « temporaire » et « particulier » dans la mesure où le Conseil de sécurité ne fait que « concrétiser » une obligation plus générale contenue dans la Charte (sa responsabilité principale en matière de maintien de la paix et de la sécurité internationales) et l’exercice de cette compétence n’a pas d’impact direct sur le droit international général, DENIS, Le pouvoir normatif du Conseil de sécurité, op. cit. note 764, pp. 13-14. 772 Il nous faut ici préciser que la typologie utilisée par CORTEN repose conceptuellement sur l’idée que le droit issu de la Charte est un « droit international particulier » distinct et subordonné au droit international général, 203 Cela ne signifie pas que la « coutume de droit international général » ne peut pas concerner des règles ou des concepts qui sont également inscrit(e)s dans la Charte des Nations Unies. O. Corten prend ainsi à titre d’exemple d’une « coutume de droit international général » le droit relatif au recours à la force773. Ce droit est réglementé par la Charte à l’article 2 § 4 et au Chapitre VII. Ce dernier définit et délimite les compétences du Conseil de sécurité en la matière ainsi que le droit de légitime défense individuelle et collective des Etats. Le droit relatif au recours à la force conserve cependant une existence parallèle en droit international, du fait notamment que les règles prévues dans la Charte ne concernent pas uniquement la compétence des organes des Nations Unies en matière d’intervention militaire mais ont également trait à la prohibition et au droit du recours à la force par les Etats. Ainsi, l’article 2 § 4 (la prohibition) s’adresse aux Etats et non aux organes des Nations Unies. De même, l’article 51 (la permission) concerne d’abord la possibilité pour les Etats de recourir à la force selon le mécanisme de la légitime défense avant de traiter de la compétence subsidiaire774 du Conseil de sécurité à cet égard (cette compétence subsidiaire est d’ailleurs considérée comme étant une condition restrictive à la mise en œuvre du droit des Etats de recourir à la légitime défense). S’agissant de la notion de menace contre la paix, nous souscrivons à l’analyse d’O. Corten quant au fait qu’elle n’a pas d’existence juridique indépendante en-dehors de la Charte. Elle ne conditionne pas, en effet, de droits ou d’obligations pour les Etats hors du cadre institutionnel des Nations Unies et du champ de compétence du Conseil de sécurité en particulier. Ainsi, un Etat qui constaterait l’existence d’une menace contre la paix en rapport avec une situation ne serait pas en droit d’intervenir militairement de manière unilatérale (hormis dans le cas où la situation se confondrait avec une « agression armée » générant dans son chef un droit de réagir en légitime défense), de même qu’il ne pourrait pas déduire de ce voir sur ce point G. KAECKENBEECK, « La Charte de Sant Francisco dans ses rapports avec le droit international », 70 RCADI (1947), voir p. 114 et p. 121. Contra : certains auteurs considèrent qu’il n’existe pas de droit international général en-dehors de la Charte des Nations Unies, voir inter alia B. FASSBENDER, « The United Nations Charter as the Constitution of the International Community », 36 Columb.JTL (1998), p. 585 et du même auteur, « Review Essay. Quis judicabit ? », 11 EJIL (2000), p. 227 : « the Charter is the supporting frame of all international law existing today and, at the same time, the highest layer in a hierarchy of norms of international law ». FASSBENDER cristallise ici le point de vue des « constitutionnalistes » internationalistes pour lesquels la Charte des Nations Unies est la « constitution de la communauté internationale ». 773 CORTEN, « La participation du Conseil de sécurité », op. cit. note 698, p. 89. 774 Bien que si cette compétence est exercée, celle-ci comporte un effet suspensif du droit de l’Etat agressé de réagir en légitime défense. Dès lors, c’est le droit de l’Etat à la légitime défense qui devient subsidiaire. 204 (seul) constat des conséquences juridiques775. Il en serait de même dans le cas où le constat d’une menace contre la paix serait le fait du Conseil de sécurité. L’Etat ne serait pas en droit d’intervenir militairement ou d’adopter des mesures sinon illicites en droit international endehors de recommandations ou de décisions du Conseil de sécurité explicites en ce sens776. En d’autres termes, la notion de menace contre la paix ne produit d’effets juridiques que lorsque son existence est constatée par le Conseil de sécurité. Cette assertion est conforme au système prévu par la Charte puisque le Conseil de sécurité dispose, quant au constat d’une situation de l’article 39, d’une compétence exclusive777, contrairement à sa responsabilité en matière de maintien de la paix et de la sécurité internationales qui n’est que « principale » aux termes de l’article 24 § 1 de la Charte778. En outre, les conséquences juridiques découlant du constat d’une menace contre la paix par le Conseil de sécurité se restreignent à ce que le Conseil de sécurité recommande ou décide779 (sous réserve de l’interprétation, inévitable, des résolutions par les Etats au moment de leur mise en œuvre par ces derniers). Ainsi, G. Abi-Saab soutient que, même lorsque le Conseil de sécurité détermine à l’avance, dans des résolutions de type « thématique » (dont il a été question supra780), les conditions dans lesquelles il serait susceptible de constater une menace contre la paix dans le futur, sa 775 Il est possible, par contre, que la déclaration par un Etat de l’existence d’une menace contre la paix se confonde avec une situation illicite en droit international qui génère dans le chef de cet Etat le droit de prendre des contre-mesures (dans le cas par exemple de violations graves des droits de l’homme ou du droit international humanitaire). 776 Sous réserve encore une fois, sauf s’agissant du droit de recourir à la force, de la coïncidence de la situation avec un fait internationalement illicite (voir note précédente). 777 Bien que l’on puisse se demander si la résolution « Dean Acheson » (voir supra titre II, première section, 2.2.1.2.) ne confère pas à l’Assemblée générale une compétence d’attester l’existence d’une menace contre la paix en cas de paralysie du Conseil de sécurité (dans ce sens, COHEN-JONATHAN, « Article 39 », op. cit. note 517, p. 649). Cependant, l’Assemblée générale ne pourra que recommander des mesures (elles seront donc dépourvues de la force contraignante des mesures qui peuvent être décidées par le Conseil de sécurité en vertu du Chapitre VII) et, s’agissant du cas où « paraîtrait exister une menace contre la paix », elle ne pourrait pas, selon la lettre de la résolution « Dean Acheson » aller jusqu’à recommander l’emploi de la force armée (contrairement au cas où « paraîtrait exister » une rupture de la paix ou un acte d’agression). 778 L’article 24 § 1 de la Charte se lit ainsi : « Afin d’assurer l’action rapide et efficace de l’Organisation, ses Membres confèrent au Conseil de sécurité la responsabilité principale du maintien de la paix » (mis en italique par nous). Voir sur les compétences respectives et concurrentes du Conseil de sécurité et de l’Assemblée générale en matière de maintien de la paix et la sécurité internationales, l’avis de la CIJ Certains dépenses (1962), op. cit. note 292, pp. 163-165. 779 L’article 39 de la Charte permet les deux actions : « fait des recommandations ou décide quelles mesures seront prises ». 780 Concernant notamment de protection des civils dans les conflits armées, voir titre II, première section, 2.2.2.4. 205 capacité normative n’a d’effet qu’à l’égard de sa (propre) pratique ultérieure. Il s’exprime en ces termes: « That the Council declares beforehand what types of contingencies it will consider as ‘threats to peace’ and how it purports to handle them, partakes somewhat of legislation. But it is legislating for itself »781. Enfin, selon la réflexion d’un auteur, le fait que le Conseil de sécurité soit normalement782 amené, de par les termes de son instrument constitutif, à adopter des mesures pour un temps limité et à l’égard d’un Etat ou d’une situation déterminé(e), empêche a priori qu’il puisse être considéré comme participant à l’établissement de règles nouvelles de droit international (général)783. Sa capacité normative est réduite, de ce point de vue, en raison du mandat qui lui a été conféré par la Charte, celui de répondre dans l’urgence à une crise qu’il a identifiée comme représentant (au minimum) un danger pour la paix et la sécurité internationales. En conclusion sur ce point, les caractéristiques propres au constat d’une menace contre la paix par le Conseil de sécurité (l’exclusivité du Conseil de sécurité de constater et de déterminer les conséquences juridiques résultant de ce constat, ainsi que l’objet et le but du constat aux termes de la Charte) ont pour effet de limiter l’impact d’un tel constat sur les droits et obligations des Etats en général (c’est-à-dire, en-dehors de l’effet juridique temporaire et particulier attaché à la résolution)784. Ceci étant dit, il ne serait pas absurde ni erroné de soutenir que la pratique du Conseil de sécurité relative au constat d’une menace contre la paix puisse avoir un impact sur le développement du droit international, au-delà de l’interprétation du contenu de l’article 39. En effet, la notion de menace contre la paix s’avère être intimement liée à d’autres concepts de la Charte des Nations (énumérés ci-après) qui conservent parallèlement à leur inscription dans la Charte une « existence propre » en droit international (selon les termes d’O. Corten). Ainsi, l’impact de la pratique du Conseil de sécurité relative à la menace contre la paix sur ces autres 781 ABI-SAAB, « Legibus Solutus ? », op. cit. note 740, p. 28, souligné par nous. L’auteur poursuit ainsi : « It binds or limits, rather than extends, its own discretion, increasing the foreseeability of its future action while reducing by that much the risk of capriciousness and abuse of power. On condition, of course, that the Council sticks to its own directives and apply them in a consistent manner. For one of the main criticisms of the Council is its selectivity and inconsistent manner of like situations. In any case the resolutions and Presidential declarations carrying these general directives are not formally binding on the membership (nor beyond) and thus lack an essential element of legislation ». Voir aussi supra sur la mesure dans laquelle le Conseil de sécurité est lié par ses précédents, titre II, seconde section, 1.2. 782 Contra à cet égard : voir supra à propos des « menaces génériques », titre II, première section, 2.2.2.4. 783 SZASZ, « The Security Council Starts Legislating », op. cit. note 675, p. 902 ; contra : HIGGINS, The Development of International Law, op. cit. note 448, p. 5. 784 Voir supra DENIS, note 771. 206 concepts est susceptible d’avoir, par ricochet, un impact sur le droit international général. Cette hypothèse va être immédiatement examinée. 2.2. L’impact sur les règles de droit inscrites dans la Charte avec lesquelles la notion de menace contre la paix entretient des rapports étroits : un impact par ricochet sur le droit international général Comme nous venons de l’évoquer, la pratique du Conseil de sécurité relative au constat d’une menace contre la paix aux termes de l’article 39 de la Charte est susceptible d’avoir un impact sur la définition et le développement de règles de droit inscrites dans la Charte des Nations Unies avec lesquelles la notion est liée de manière intrinsèque. Ces liens sont dits « intrinsèques » car ils apparaissent à la lumière d’une lecture exégétique de la Charte. Ils peuvent consister soit en un champ d’application partiellement (ou en apparence) commun par le biais de notions au sens voisin (la « menace », « la paix et la sécurité internationales »), ou en un renvoi explicitement prévu par la Charte d’une disposition à l’autre. Ainsi en est-il particulièrement des liens tissés par la Charte entre la notion de menace contre la paix de l’article 39 et : - l’obligation des Etats de régler pacifiquement leurs différends (article 2 § 3) ; - l’interdiction qui pèse sur eux de recourir ou de menacer de recourir à la force (article 2 § 4) ; et - l’interdiction qui s’impose aux organes des Nations Unies de ne pas intervenir dans le domaine réservé des Etats (article 2 § 7). Dans les développements qui vont suivre, nous étudierons la question de savoir si les rapports étroits qui existent, à la lecture de la Charte, entre la menace contre la paix et les règles de droit évoquées ci-dessus, engendrent une modification du contenu et de la portée de ces règles par le fait spécifique de la pratique du Conseil de sécurité relative au constat d’une menace contre la paix. Le cas échéant, dès lors que ces règles conservent une existence parallèle en droit international coutumier785 et que leur signification et leur portée ne sont pas restreintes au cadre institutionnel de la Charte, l’impact de la pratique du Conseil de sécurité ne se limite pas au droit institutionnel de la Charte mais touche également le développement du droit international général. 785 Ce qu’il s’agira d’expliciter s’agissant de la règle inscrite à l’article 2 § 7 de la Charte. 207 2.2.1. L’obligation des Etats de régler pacifiquement leurs différends (article 2 § 3) 2.2.1.1. Les liens intrinsèques entre la menace contre la paix et l’obligation des Etats de régler pacifiquement leurs différends L’article 2 § 3 de la Charte énonce l’un des principes auxquels les Membres des Nations Unies, c’est-à-dire les Etats, sont tenus de se conformer dans la poursuite des buts énoncés à l’article 1 de la Charte. Selon l’expression du Comité I de la Commission I lors de la Conférence de San Francisco, ces principes correspondent aux « normes régulatrices et [aux] méthodes selon lesquelles l’Organisation et ses membres feront leur devoir en tâchant de réaliser les objectifs communs »786. L’article 2 § 3 dispose que : « Les Membres de l’Organisation règlent leurs différends internationaux par des moyens pacifiques, de telle manière que la paix et la sécurité internationales ainsi que la justice ne soient pas mises en danger ». La question se pose du rapport existant entre la notion de menace contre la paix de l’article 39 et l’expression, aux termes de l’article 2 § 3, « de telle manière que la paix et la sécurité internationales ne soit pas mises en danger ». Cette expression renvoie-t-elle implicitement à la notion de « menace contre la paix » ? Entre la « paix mise en danger » de l’article 2 § 3 et la « paix menacée » de l’article 39, n’y a-t-il qu’un pas ? Peut-on déduire de l’article 2 § 3 un devoir d’abstention des Etats de mettre la paix et la sécurité internationales en danger, voire de menacer la paix ? Il nous faut d’abord préciser le sens que l’article 2 § 3 attribue à l’expression « de telle manière que la paix et la sécurité internationales ainsi que la justice ne soient pas mises en danger ». S’agit-il : 1) d’une limite à la mise en œuvre du principe de règlement des différends ? Dans ce sens, le différend doit être réglé de manière pacifique afin que la paix et la sécurité internationales (ainsi que la justice) ne soient pas mises en danger. Il ne s’agirait donc que d’une justification du mode pacifique de règlement du différend. 2) d’une obligation de régler pacifiquement un différend lorsque la paix et la sécurité internationales sont (susceptibles d’être) mises en danger ? Dans cette seconde hypothèse de lecture, tout différend doit être réglé dès lors qu’il est de nature à mettre en danger la paix et la sécurité internationales et ce, de manière pacifique, afin d’éviter que la situation ne s’aggrave et que la paix, la sécurité et la justice soient d’autant plus menacées. 786 Rapport du Comité I à la Commission I, DCNUOI, tome VI, pp. 464-465. 208 Cette seconde interprétation est privilégiée par une lecture de l’article 2 § 3 à la lumière de l’article 1 § 1, lequel énonce le but premier des Nations Unies, dans son volet relatif au règlement des différends et des situations : « Maintenir la paix et la sécurité internationales et à cette fin: […] réaliser, par des moyens pacifiques, conformément aux principes de la justice et du droit international, l’ajustement ou le règlement des différends ou de situations, de caractère international, susceptibles de mener à une rupture de la paix »787 . Ainsi, l’article 2 § 3 imposerait « un devoir de chercher à régler un différend cristallisé, susceptible de menacer la paix du monde, par des moyens pacifiques »788. Dans le même sens, l’article 33 (Chapitre VI) requiert que « tout différend dont la prolongation est susceptible de menacer le maintien de la paix et de la sécurité internationales » soit soumis aux voies pacifiques de règlement des différends, l’Etat disposant à cet égard d’un libre choix des moyens. Est-ce à dire que les articles 1 § 1, 2 § 3 et 33 de la Charte forment un tout cohérent et que les articles 2 § 3 et 33 énoncent une même obligation789, celle pour les Etats de régler pacifiquement leurs différends qui présentent un danger pour la paix et la sécurité internationales ? A contrario d’une telle obligation, les différends qui ne remplissent pas cette condition n’entraîneraient aucune obligation de ce type790. Mais dès lors qu’il existe un différend « de caractère international », c’est-à-dire un différend entre Etats, il y a toujours un risque que celui-ci s’envenime de manière telle qu’il mette en danger la paix et la sécurité internationales. Dans ce sens : « disputes which are left unsettled can lead to eruptive disturbances »791. Ceci revient à dire que tout différend (interétatique) met potentiellement en 787 Mis en italique par nous. On saisit ici l’ambiguïté, relevée par J. SALMON dans son commentaire général sur l’article 2 de la Charte, entre les « buts », les « fins » et les « principes » dans le préambule, l’art. 1 et l’art. 2. En effet, l’art. 2, qui s’attache aux « principes » auxquels doivent se conformer les Etats membres et l’ONU dans la réalisation des « buts » énoncés à l’art. 1, formule aussi des moyens. L’utilisation de l’expression « à cette fin » en est la preuve, « Article 2 : commentaire général », La Charte des Nations Unies, commentaire article par article, op. cit. note 21, pp. 386-392. 788 KOLB, Introduction au droit des Nations Unies, Helbing Lichtenhahn/Bruylant (2008), p. 57. 789 On ne saurait dire, en effet, que l’article 1 § 1 formule une obligation de nature juridique en ce qu’il énonce un des buts des Nations Unies, au sens d’un objectif à atteindre et non pas d’une obligation directement adressée aux Etats membres. 790 C’était l’argument de certains Etats lors de la 2e session du Comité spécial des principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les Etats (dont les travaux ont abouti à la déclaration bien connue du même nom : AG/RES/2625), voir P.-H. HOUBEN, « Principles of International Law concerning friendly relations and co-operation among States », 61 AJIL (1967), p. 710, n. 38. 791 FROWEIN & KRISCH, « Article 39 » (édition de 2002), op. cit. note 578, p. 99 ; DAILLIER, FORTEAU et PELLET, Droit international public, op. cit. note 53, p. 938 (« tout différend est susceptible de créer une situation explosive pour la paix »). 209 danger la paix et la sécurité internationales. Le caractère de « danger potentiel pour la paix » de tout différend plaide donc en faveur d’une interprétation souple du fait-déclencheur de l’obligation pour les Etats de régler pacifiquement leurs différends. A cet égard, il semble cependant que le degré de gravité ou d’imminence du danger pesant sur la paix et la sécurité internationale puisse s’apprécier différemment s’agissant de l’article 2 § 3 et de l’article 33. L’article 2 § 3 énonce, en effet, une norme de comportement à l’attention des Etats (« Membres de l’Organisation ») dans la réalisation des buts que se sont solennellement fixées les Nations Unies à San Francisco. Ces buts sont au nombre de quatre et ne concernent ainsi pas seulement le maintien de la paix et de la sécurité internationales, mais aussi le développement des relations amicales entre les nations, la réalisation de la coopération internationale (incluant « le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour tous ») et, de manière générale, l’harmonisation des efforts des nations dans la réalisation de ces « fins communes ». Par conséquent, le principe du règlement pacifique des différends inscrit à l’article 2 § 3 ne doit pas être trop strictement interprété puisqu’il vise la réalisation de buts qui ne se restreignent pas au maintien de la paix. Dans cette optique, l’obligation contenue à l’article 2 § 3 concerne tout « différend international », qu’il menace de manière immédiate ou non la paix. Compte tenu de ce qui a été écrit ci-dessus, à savoir que tout différend entre Etats constitue un danger pour la paix, il semble que le fait-condition le plus important dans l’article 2 § 3 consiste en l’existence d’un « différend entre Etats », en d’autres termes de prétentions opposées entre deux ou plusieurs Etats. De manière distincte de l’article 2 § 3 qui s’inscrit dans le Chapitre I consacré aux buts et principes des Nations Unies, l’article 33 se situe à l’entrée du Chapitre VI qui traite de la compétence des organes des Nations Unies en matière de règlement pacifique des différends. Or, « en principe, sont de la compétence de l’ONU seulement les différends graves »792. En outre, il semble que l’article 1 § 1 soit le reflet des compétences des Nations Unis en vertu du Chapitre VII (« prendre des mesures collectives efficaces en vue de prévenir et d’écarter les menaces à la paix et de réprimer tout acte d’agression ou autre rupture de la paix ») et du Chapitre VI (« et réaliser, par des moyens pacifiques, conformément aux principes de la justice et du droit international, l’ajustement ou le règlement de différends ou de situations, de caractère international, susceptibles de mener à une rupture de la paix »). Ainsi, le différend 792 Ibid., p. 939. 210 visé à l’article 33 serait de même nature que celui auquel se réfère l’article 1 § 1, c’est-à-dire un différend « susceptible de mener à une rupture de la paix ». Les articles 1 § 1 et 33 de la Charte envisagent donc, à première vue, un danger pour la paix plus concret que celui visé par l’article 2 § 3. En définitive, malgré cette différence de degré, les articles 2 § 3 et 33 de la Charte formulent une obligation générale des Etats de régler pacifiquement leurs différends susceptibles de menacer la paix. Il existe ainsi un lien inextricable entre l’obligation des Etats de régler pacifiquement leurs différends et la notion de menace contre la paix. Ce lien était encore plus fort dans les Propositions de Dumbarton Oaks, qui préfigurent la Charte des Nations Unies : « Section B. Determination of Threats to the Peace or Acts of Aggression and Action With Respect Thereto. 1. Should the Security Council deem that a failure to settle a dispute in accordance with procedures indicated in paragraph 3 of Section A, or in accordance with its recommendations made under paragraph 5 of Section A, constitutes a threat to the maintenance of international peace and security, it should take any measures necessary for the maintenance of international peace and security in accordance with the purposes and principles of the Organization ». En effet, selon cette disposition, la défaillance d’un Etat à régler pacifiquement un différend était susceptible (« Should the Security Council deem ») de constituer une menace contre la paix au sens actuel de l’article 39. Si cette disposition n’a pas été retenue dans la Charte, celle-ci considère cependant, à son Chapitre VI, qu’un différend est de nature à menacer la paix et la sécurité internationales s’il se prolonge ou s’aggrave. A cet égard, le danger pour la paix qui résulte de l’existence d’un différend entre Etats se situe sur un échelon inférieur à la menace contre la paix de l’article 39. Or, dès lors qu’existe une différence de degré entre deux notions793, il existe une convergence de nature. En l’occurrence, la « paix mise en danger » comme fait-déclencheur de l’obligation des Etats de régler pacifiquement leurs différends partage un noyau conceptuel avec la « paix menacée » de l’article 39. La question se pose également de savoir si l’obligation des Etats de régler pacifiquement leurs différends, dès lors que la paix et la sécurité internationales sont susceptibles d’être menacées, emporte l’obligation corollaire de ne pas menacer la paix et la sécurité internationales. Dans les Propositions de Dumbarton Oaks, si le fait pour un Etat de ne pas mettre en œuvre l’obligation de régler pacifiquement ses différends (en ne se conformant pas aux mesures recommandées par le Conseil de sécurité à cet égard) pouvait constituer une menace 793 Dans ce sens, KOLB, Introduction au droit des Nations Unies, op. cit. note 788, p. 66 : « la distinction par rapport à la ‘menace contre la paix’ de l’article 39 n’est que graduelle ». 211 contre la paix, le non-respect de cette obligation n’était pas traduit en termes de responsabilité internationale des Etats ou de l’Etat fautif(s). En effet, c’est la situation caractérisée par la persistance du différend qui était considérée comme une menace contre la paix et non les Etats ou l’Etat fautif(s) en tant que tel(s). On ne saurait donc trouver dans les Propositions de Dumbarton Oaks le fondement d’une obligation des Etats de ne pas menacer la paix et la sécurité internationales. La même conclusion s’impose a fortiori dans le cadre de la Charte qui ne contient pas de disposition analogue à celle adoptée à Dumbarton Oaks. En outre, si une grande partie de la doctrine contemporaine considère que la pratique du Conseil de sécurité relative à la menace contre la paix s’est développée de manière à sanctionner la violation grave d’obligations essentielles du droit international794, ce lien de facto entre la menace contre la paix et le droit de la responsabilité internationale ne découle pas de l’obligation des Etats de régler pacifiquement leurs différends (à moins de considérer que l’obligation de règlement pacifique des différends constitue une obligation fondamentale de l’ordre juridique international795). En conclusion sur ce point, on peut dire que les articles 2 § 3 et 33 de la Charte font naître, dans le chef des Etats, une obligation de régler pacifiquement leurs différends dès lors que ceux-ci sont susceptibles de menacer la paix et la sécurité internationales mais que l’on ne saurait tirer de ces dispositions une interdiction générale de menacer la paix et la sécurité internationales dont le respect serait sanctionné par la mise en œuvre du Chapitre VII. 2.2.1.2. Le très faible impact de la pratique du Conseil de sécurité relative à la menace contre la paix sur l’obligation des Etats de régler pacifiquement leurs différends Puisque l’existence d’une menace contre la paix potentielle génère l’obligation pour les Etats de régler pacifiquement leurs différends, il y a lieu de se demander quel est l’impact des 794 Voir notamment GOWLLAND-DEBBAS, « Security Council Enforcement Action », op. cit. note 490, p. 55. Voir, pour les exemples servant d’appui à l’analyse de l’auteure, pp. 63-66 (exemples cités par l’auteur du lien entre la détermination d’une menace contre la paix et la violation d’obligations internationales : Rhodésie du Sud, Afrique du Sud, Irak, Ex-Yougoslavie, Libye : Lockerbie). Voir également infra titre III, 1.2.3. 795 Ce ne serait pas, en soi, déraisonnable étant donné le caractère impératif de l’interdiction de recourir à la force dont le principe de règlement des différends est « complémentaire » (Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis), CIJ, arrêt du 27 juin 1986, CIJ. Rec. (1986), p. 145, § 290, soulignant également, à propos du principe de règlement pacifique des différends, qu’il s’agit d’un principe de droit international coutumier « qu’il est indispensable de respecter dans le monde d’aujourd’hui », idem). Néanmoins, il n’existe pas de pratique claire du Conseil de sécurité en ce sens. Peut-être cela est-il dû au fait que « la pratique ne prévoit guère de sanctions en cas de contravention » au principe de règlement pacifique des différends, KOLB, Introduction au droit des Nations Unies, op. cit. note 788, p. 60. Cette absence de sanction découle, par ailleurs, du caractère d’obligation de moyens (et même du libre choix des moyens) qu’énonce l’article 2 § 3 ou l’article 33. A cet égard, « elle relève largement du vœu, de la soft obligation », ibid., pp. 60-62 (en italique dans l’original). 212 constats par le Conseil de sécurité, aux termes de l’article 39, de menaces contre la paix sur l’obligation contenue aux articles 2 § 3 et 33 de la Charte. Cet impact n’est pas si évident dans la mesure où, lorsque le Conseil de sécurité constate « l’existence » d’une menace contre la paix en vertu de l’article 39, la menace contre la paix n’est plus potentielle selon le Conseil de sécurité796 : elle existe (selon lui). Ainsi, les termes des articles 2 § 3 et 33, interprétés de manière stricte, peuvent laisser penser que, dès lors que le Conseil de sécurité a constaté l’existence d’une menace contre la paix (la menace n’est donc plus potentielle mais avérée), ce constat met fin à l’obligation, aux termes de l’article 2 § 3 ou de l’article 33 de la Charte, des Etats concernés de régler pacifiquement le différend à l’origine dudit constat. Il s’agit certainement d’une interprétation trop stricte dans la mesure où la mise en œuvre du Chapitre VII du fait du constat par le Conseil de sécurité d’une situation relevant de l’article 39 ne fait pas obstacle au règlement pacifique des différends. L’article 39 permet en effet au Conseil de sécurité de faire des « recommandations » de nature à maintenir la paix et la sécurité internationales. Ces recommandations peuvent inclure des modes de règlement des différends, sans qu’il soit nécessairement question de mesures économiques (article 41) ou militaires (article 42). Elles s’apparentent alors à celles que le Conseil de sécurité peut prendre sur le fondement de l’article 36 § 1 de la Charte (la différence entre l’article 39 et l’article 36 § 1 tenant précisément, de ce point de vue, à l’actualité du danger pesant sur la paix). Cependant, il est vrai que, dès lors que le Conseil de sécurité formule des recommandations en matière de règlement des différends, il en prescrit les termes. L’Etat ne dispose encore du libre choix des moyens que dans la mesure où il ne s’agit que de « recommandations », dépourvues donc d’effet obligatoire. Cette dernière remarque vaut qu’il s’agisse d’une menace contre la paix potentielle (article 36) ou avérée (article 39). Pour résumer, le constat d’une menace contre la paix par le Conseil de sécurité aux termes de l’article 39 ne décharge pas en soi les Etats de leur obligation de régler pacifiquement le différend à l’origine du constat. De par ce constat, les Etats sont susceptibles néanmoins de perdre la latitude d’action dont ils disposaient, aux termes de l’article 33 (« moyens pacifiques de leurs choix »), pour le choix du mode de règlement. Si l’on peut affirmer qu’il existe, de ce fait, un certain impact de la pratique du Conseil de sécurité relative au constat d’une menace contre la paix sur l’obligation des Etats de régler 796 « Selon le Conseil de sécurité » : la différence entre menace « potentielle » et « existante » est, en effet, une question d’appréciation compte tenu de la part de potentialité inhérente à la « menace », voir à ce sujet infra titre III. 213 pacifiquement leurs différends, il y a lieu cependant de se poser la question suivante : s’agit-il d’une véritable contribution au développement du « droit », considéré ici comme l’ensemble des droits et obligations qui découlent de la Charte des Nations Unies et en l’occurrence des articles 2 § 3 et 33 ? En d’autres termes, cet impact se réduit-il à la situation en cause ou comporte-t-il un effet à plus long terme (hors du contexte d’une situation donnée) de nature à modifier le contenu et la portée de l’obligation contenue aux dispositions précitées ? La seconde moitié de la question reçoit une réponse positive dans la mesure où l’on considère que la pratique du Conseil de sécurité relative à l’article 39 (et spécifiquement à la menace contre la paix) est cohérente. En effet, si c’est le cas, les Etats sont renseignés sur ce qui est susceptible de constituer une menace contre la paix dans le futur selon le Conseil de sécurité. Ces renseignements peuvent notamment avoir trait à la nature ou au degré d’évolution du différend tombant sous le coup de l’obligation du règlement pacifique. Elle reçoit une réponse négative dans le cas où l’on considère que la pratique du Conseil de sécurité relative à l’article 39 (a fortiori relative à la menace contre la paix) est uniquement tributaire des considérations d’opportunité politique de ses membres. Il ne peut y avoir, dans cette hypothèse, aucun impact à long terme sur le contenu et la portée de l’obligation pour les Etats de régler pacifiquement leurs différends susceptibles de menacer la paix et la sécurité internationales. Au fond, la véritable question de la contribution au développement du droit des Nations Unies par le Conseil de sécurité sous l’angle de l’interaction entre les articles 2 § 3 et 33, d’un côté, et l’article 39 de l’autre côté, consiste à se (re)poser la question de savoir si l’obligation des Etats de régler pacifiquement leurs différends comporte l’obligation corrolaire de ne pas menacer la paix et la sécurité internationales. Nous y avons déjà répondu par la négative. Il se pourrait cependant que cette obligation existe mais que son fondement réside dans une autre disposition de la Charte, l’article 2 § 4, qui prohibe non seulement le recours à la force par les Etats mais aussi, et surtout, la menace du recours à la force. 2.2.2. L’interdiction pour les Etats de recourir ou de menacer de recourir à la force (article 2 § 4) 2.2.2.1. Les liens intrinsèques entre la menace contre la paix et l’interdiction du recours ou de la menace du recours à la force L’article 2 § 4 de la Charte se lit ainsi : « Les Membres de l’Organisation s’abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l’emploi de la force, soit contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout Etat, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies ». 214 D’emblée, nous constatons que les notions de menace contre la paix et de l’interdiction de la menace de recourir à la force ont un point commun. Toutes deux font appel à une situation qui ne s’est pas encore matérialisée : la « menace de ». S’agissant de la première, il s’agit littéralement (et au sens étroit) de la menace de la survenance d’une rupture de la paix. Pour la seconde, il s’agit de la menace de la mise en œuvre de l’intention par un Etat d’employer la force armée797. Ce point commun sémantique798 suffit-il à dire que ces deux notions sont intrinsèquement liées ? L’un des premiers auteurs à s’être interrogé en détail, dans le cadre d’une étude doctorale, sur la notion de menace contre la paix aux termes de l’article 39 de la Charte, a établi un lien inextricable entre l’article 2 § 4 et l’article 39. Dans son ouvrage publié en 1975, J. Arntz considère en effet que ces deux dispositions concernent toutes deux la « paix » au sens étroit du terme, correspondant à l’absence de conflit armé international, c’est-à-dire à l’absence de l’emploi de la force armée entre Etats 799 . Ainsi, l’auteur allemand estime que le fait générateur de l’existence d’une menace contre la paix (« Friedensbedrohun ») est le même que celui de l’article 2 § 4 (qu’il s’agisse, indifféremment, de l’emploi ou de la menace de l’emploi de la force au sens de cette dernière disposition : « Androhung oder Anwendung »)800. Selon l’auteur, lorsqu’un Etat emploie (ou menace d’employer) la force contre un autre Etat, il se rend inévitablement responsable d’une menace contre la paix au sens de l’article 39. Inversement, on peut, selon J. Arntz, uniquement reprocher à un Etat d’avoir commis une menace contre la paix dans le cas où celui-ci aurait enfreint l’article 2 § 4801. Cette identité établie par J. Arntz entre l’article 39 et l’article 2 § 4 s’affaiblit, voire disparaît, dès lors que l’on considère que la « paix » de la notion de menace contre la « paix » de l’article 39 est plus étendue que l’absence de conflit armé international. Dans son 797 De manière distincte, ZAMBELLI considère que le « rapport étroit » entre l’article 2 § 4 et l’article 39 découle principalement de la notion de « force » utilisée par l’article 2 § 4 vis-à-vis de la notion de « paix » inscrite à l’article 39 à partir du moment où on définit la « paix » comme étant « l’absence de force », La constatation, op. cit. note 12, pp. 173-175. 798 Contra : ARNTZ, Der Begriff der Friedensbedrohung, op. cit. note 12, p. 27 qui considère que l’article 2 § 4 et l’article 39 ne présentent, au vue de leur formulation dans la Charte, qu’une ressemblance minime (« nur geringe Ähnlichkeit »). Malgré cela, il considère, comme on va le voir, que ces deux notions sont très étroitement liées. 799 Ibid., p. 28 notamment : « Die in Art. 39 […] geregelte Gewaltanwendung durch die Organisation ist dann ‘identisch’ mit der deliktischen Gewalt, die den Mitgliedern nach Art. 2 Z. 4 SVN verboten ist ». 800 Ibid., p. 44. 801 Idem. 215 acceptation large, la « paix » correspond, en effet, à une paix durable dont l’avènement requiert que soient réunies des circonstances la rendant structurellement possible. Ces circonstances peuvent aller du respect universel des droits de l’homme à l’absence de pauvreté. Contrairement à la « paix » au sens étroit du terme, elle se définit positivement par l’existence de ces circonstances. Ainsi, si la « paix » de la notion de menace contre la paix de l’article 39 ne correspond pas strictement à l’absence de l’emploi ou de la menace de l’emploi de la « force » armée dans les relations internationales au sens de l’article 2 § 4, le lien entre les deux dispositions s’avère plus ténu que tel qu’établi par J. Arntz. En effet, s’il demeure possible d’affirmer que la menace du recours à la force par un Etat contre un autre Etat est susceptible de constituer une menace contre la paix au sens de l’article 39802, une menace contre la paix peut également être constituée par une autre situation que celle de la menace de l’emploi de la force par un Etat, c’est-à-dire par une situation ne mettant pas en péril la « paix » au sens étroit du terme (la paix « militaire ») mais au sens large. Même si l’on considère que la notion de menace contre la paix concerne la « paix » au sens étroit du terme, celle-ci est susceptible d’être mise en danger par des circonstances n’impliquant pas nécessairement l’emploi ou la menace du recours à la force armée par un Etat803. En conclusion sur cette question, on peut dire que l’article 2 § 4 et l’article 39 ne sont pas étrangers l’un à l’autre mais ne sont pas non plus identiques quant à leur contenu et leur portée804. S’il existe en effet un devoir des Etats de ne pas menacer de rompre la paix aux termes de l’article 2 § 4 quant à l’interdiction de la menace de l’emploi de la force, on ne peut pas en dire de même d’un devoir des Etats de ne pas menacer la paix et la sécurité internationales qui découlerait de l’interdiction de menacer de recourir à la force805. 802 Le recours à la force en tant que tel (la réalisation de la « menace » de l’emploi de la force) correspond plutôt à la notion de la rupture de la paix de l’article 39. 803 Voir infra, titre III, 1.1.2. Un autre argument consiste à dire que l’article 2 § 4 implique la commission d’un acte illicite par un Etat tandis que la mise en œuvre de l’article 39 peut être la conséquence d’activités licites, GILL, « Legal and some political limitations », op. cit. note 10, p. 50, n. 83. 804 Dans ce sens H. KELSEN, « Théorie du droit international public », 84 RCADI (1953), p. 52. 805 Si KELSEN considère qu’il existe un devoir des Etats de ne pas menacer la paix et la sécurité inernationales, celui-ci découle, selon l’auteur autrichien, de l’article 39 et non de l’article 2 § 4 de la Charte, ibid., pp. 52-53 (dans le même sens, COMBACAU, Le pouvoir de sanction, op. cit. note 11, p. 16). Si nous avons abouti à une conclusion différente au terme de notre analyse de la notion de « menace contre la paix » dans les projets de paix perpétuelle et dans le système conceptualisé par VATTEL, c’était en raison de l’interdiction des Etats, dans ce contexte, de ne pas troubler la paix par la force, voir supra, titre I, 1.5., 4). Contra : N. STÜRCHLER, The Threat of Force in International Law, CUP (2007), p. 53 : « It is not excessively unworldly to suggest in a further step that in conjuction with Chapter VI and VII of the UN Charter, states have a farther reaching general 216 Ceci étant dit, le constat par le Conseil de sécurité d’une menace contre la paix emporte-t-il néanmoins des conséquences sur le contenu et la portée de l’interdiction contenue à l’article 2 § 4 de la Charte ? 2.2.2.2. L’absence d’impact de la pratique du Conseil de sécurité relative à la menace contre la paix sur l’interdiction des Etats de recourir à la force ou de menacer d’y recourir Malgré l’évolution de la notion de menace contre la « paix » dans la pratique du Conseil de sécurité, la notion de « force » de l’article 2 § 4 n’a pas subi d’évolution notable dans la perspective d’un élargissement de la notion permettant d’y inclure la « force » de nature non militaire (« coercition » économique ou politique notamment). En effet, bien que la notion de « force » de l’article 2 § 4 ne soit nulle part définie dans la Charte, les Etats et la doctrine s’en tiennent à la définition stricte (force « armée ») qui en avait été donnée lors de la Conférence de San Francisco. De même, si le Conseil de sécurité considère depuis les années 1990 qu’une situation interne à caractère humanitaire peut constituer une menace contre la paix et entraîner l’adoption de mesures sur la base du Chapitre VII, ce constat n’a pas entraîné, à notre avis, de modification de l’interdiction des Etats de recourir uti singuli à la force dans une situation similaire en cas de paralysie du Conseil de sécurité, même dans la perspective d’une « responsabilité de protéger » la population nécessiteuse. On notera cependant que cette dernière assertion est controversée806. Une partie de la doctrine défend en effet la proposition inverse807. I. Österdahl argue ainsi que le fait que le Conseil de sécurité ait qualifié de menaces contre la paix des situations à caractère humanitaire et décidé d’intervenir dans ce contexte en vertu du Chapitre VII a fait naître un droit des Etats à user individuellement de la force armée dans une situation similaire, dans le cas où le Conseil de sécurité serait paralysé par le veto ou la menace de veto de l’un de ses membres permanents808. Cependant, force est constater que duty to actively prevent situations that would put international peace and security at risk » (« prevent » est en italique dans l’original). 806 C. GRAY, International Law and the Use of Force, OUP (2008), p. 52 ; BOYLE & CHINKIN, The Making Of International Law, op. cit. note 765, p. 111 ; T. BOLANOS, « Military Intervention without Security Council’s Authorisation as a Consequence of the ‘Responsibility to Protect’ », in : R. WOLFRUM and C. KOJIMA (éds), Solidarity : A Structural Principle of International Law, Springer (2010), pp. 174-181. 807 C. GREENWOOD, « International Law and the NATO Intervention in Kosovo », 49 ICLQ (2000), p. 926 ; A. BANNON, « The Responsibility to Protect : the U.N. World Summit and the Question of Unilateralism », 115 YLJ (2006), pp. 1157-1163 ; Rapport de la CIISE, La responsabilité de protéger (décembre 2001), § 2.27. 808 ÖSTERDAHL, « The Exception as the Rule », op. cit. note 708, pp. 17-18 : « […] it is the consistent practice of the Security Council to authorise humanitarian intervention that has paved the way in a political sense for 217 l’auteure considère les résolutions du Conseil de sécurité adoptées en vertu du Chapitre VII dans leur ensemble. Elle ne distingue pas le constat de la menace contre la paix des mesures prises par le Conseil de sécurité sur la base de ce constat. Il est dès lors permis de s’interroger sur la portée exacte du constat d’une menace contre la paix sur le droit relatif au recours à la force dans le cadre des situations que l’auteure a examinées. Ceci nous amène à nous demander s’il est, en fait, possible de dissocier le constat d’une menace contre la paix des mesures adoptées en vertu du Chapitre VII quant à la portée de la pratique du Conseil de sécurité sur le droit international. L’exercice est délicat, on en convient, le Conseil de sécurité ne s’étant jamais borné à constater l’existence d’une menace contre la paix sans adopter de mesures au titre du Chapitre VII. C’est néanmoins possible, à notre avis, de distinguer entre les deux. Dès lors qu’on y parvient, les conséquences sur le droit international ne sont pas les mêmes si on considère isolément le constat de la menace contre la paix des mesures adoptées que si on les considère globalement. Reprenons en effet l’exemple avancé par I. Österdahl. Ayant considéré les résolutions du Conseil de sécurité dans leur ensemble au regard du Chapitre VII, l’auteure a relevé que ces résolutions avaient eu un impact sur le droit relatif au recours à la force dans son volet relatif à l’intervention humanitaire (s’agissant, pour rappel, du droit des Etats de recourir à la force uti singuli). Mais si on prend uniquement en considération le constat de la menace contre la paix dans les différentes situations examinées par l’auteure (Somalie, Haïti, Rwanda, etc.), on se rend compte que l’impact de ces constats sur le droit international est différent que celui unilateral action in case the Security Council cannot agree » (ibid., p. 18, souligné par nous ; les termes soulignés permettent cependant de relativiser l’impact de la pratique du Conseil de sécurité sur l’émergence dans le droit positif d’un nouveau droit, celui de recourir unilatéralement à la force dans des situations de détresse humaine extrême et de paralysie du Conseil. Les propos de l’auteure sont, en effet, à mettre en relation avec ce que celle-ci affirme vis-à-vis des précédents constitués par la pratique du Conseil de sécurité. Ils constituent selon elle une obligation morale plutôt que juridique. Il n’y aurait donc pas en tant que tel de « droit » des Etats de recourir unilatéralement à la force dans les circonstances susmentionnées mais d’une légitimité politique de le faire). Voir également le rapport sur la responsabilité de protéger de la CIISE, op. cit. note 807, § 2.25 (« […] l’intervention à des fins de protection humaine, y compris l’intervention militaire dans des cas extrêmes, est admissible lorsque des civils sont en grand péril ou risquent de l’être à tout moment et que l’Etat en question ne peut pas ou ne veut pas mettre fin à ce péril ou en est lui-même l’auteur. Le Conseil de sécurité lui-même s’est montré de plus en plus disposé, ces dernières années, à agir sur cette base, l’exemple le plus évident étant celui de la Somalie, où ce qui était une situation essentiellement interne a été défini comme une menace à la paix et à la sécurité internationales justifiant des mesures coercitives en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies ») et § 2.27 (« Partant de notre compréhension de la pratique étatique, des précédents du Conseil de sécurité, des normes existantes, des principes directeurs émergents et de l’évolution du droit international, la Commission estime que la polarisation fortement anti-intervention militaire de la Charte ne doit pas être considérée comme absolue lorsqu’une action décisive s’impose pour des raisons de protection humaine », mis en italique par nous). 218 relevé par l’auteure et concerne moins, en vérité, le droit relatif au recours à la force que celui relatif à la non-intervention (domaine réservé). En effet, comme le note I. Österdahl dans son étude, la plupart de ces résolutions concernaient des situations de conflits (ou de troubles) internes à un Etat. Or, il est significatif pour le Conseil de sécurité de dire qu’une situation a priori purement interne menace la paix et la sécurité internationales. C’est d’autant plus significatif si le Conseil de sécurité insiste sur le caractère humanitaire de la situation plutôt que sur les risques de conflagration du conflit ou des troubles aux Etats voisins809. Par le biais de ces différents constats de menace contre la paix dans des situations internes à dimension humanitaire, le Conseil de sécurité a envoyé un message à l’ensemble de la communauté internationale, en des termes tout autant politiques que juridiques : les exactions du droit international humanitaire et des droits de l’homme à l’intérieur d’un Etat, en tant que telles ou combinées à d’autres facteurs810, concernent la paix et la sécurité de tous 811. A cet égard, il n’y a donc pas, dans ces circonstances, de limites à l’action du Conseil de sécurité tenant au « domaine réservé » (dans un sens politico-moral812) des Etats dans lesquels se produisent ces exactions. De notre point de vue, il n’y a donc pas eu d’impact notable de la pratique du Conseil de sécurité relative au constat d’une menace contre la paix sur l’interdiction de recourir à la « force », ou de menacer d’y recourir, contenue à l’article 2 § 4 de la Charte. En tout état de cause, un tel impact ne saurait, par principe, se produire. En effet, selon la dichotomie élaborée par R.-J. Dupuy, l’article 2 § 4 s’inscrit, dans une logique relationnelle (Etat-Etat) tandis que l’article 39 s’inscrit dans une logique institutionnelle (Etat-Organisation)813. Par principe donc, la pratique relative à l’article 39 ne saurait avoir d’impact sur l’article 2 § 4814. 809 Voir sur les implications de telles justifications (tenant à la nature ou aux effets de la situation) sur la menace contre la paix, infra, titre III. 810 Le risque de conflagration du conflit par la participation d’acteurs étrangers ou par le flux de réfugiés dans les Etats limitrophes par exemple. 811 Dans ce sens GREENWOOD, « the NATO Intervention in Kosovo », op. cit. note 807, p. 927. 812 R. KOLB, « Du domaine réservé. Réflexions sur la théorie de la compétence nationale », 110 RGDIP (2006), p. 625. 813 R.-J. DUPUY, « Communauté internationale et disparités de développement : cours général de droit international public », 165 RCADI (1979), p. 46. 814 STÜRCHLER semble suggérer le contraire lorsqu’il se demande si l’article 2 § 4 de la Charte ne pourrait pas être interprété, à la lumière de la pratique du Conseil de sécurité relative à la menace contre la paix de l’article 39, comme interdisant « a government’s deliberate deportation of refugees, the bringing about of conditions of mass starvation, the defiance of disarmament obligations, to name examples, if the use of force against another state is a likely consequence of a situation. Article 2(4) would then closely correspond to Chapter VII threats to the peace », The Threat of Force, op. cit. note 805, p. 54. Lorsque l’auteur se demande si cette interprétation 219 2.2.3. L’interdiction pour les Nations Unies de s’immiscer dans le domaine réservé des Etats (article 2 § 7) 2.2.3.1. Les liens intrinsèques entre la menace contre la paix et le principe de la non-intervention des Nations Unies dans le domaine réservé des Etats membres L’article 2 § 7 consacre, dans le cadre de la Charte, le concept de « domaine réservé » ou de « compétence nationale » des Etats815. Il repose sur l’idée qu’il existe une sphère nationale distincte de la sphère internationale, quand bien même la distinction entre les deux n’est pas établie de manière fixe816. S’adressant aux organes des Nations Unies, cette disposition prohibe toute « intervention » de l’organisation dans les « affaires qui relèvent essentiellement de la compétence nationale » des Etats. Il contient également, à l’attention des Etats membres, une norme dérogatrice au principe de règlement pacifique des différends (article 2 § 3). In fine, l’article 2 § 7 précise que la limite à l’intervention des Nations Unies, tenant au respect de la compétence nationale des Etats membres, ne fait pas obstacle à l’application des « mesures de coercition » adoptées en vertu du Chapitre VII. A la lecture de l’article 2 § 7 in fine, le lien entre l’interdiction des organes des Nations Unies de s’immiscer dans les affaires relevant de la compétence nationale des Etats et la notion de menace contre la paix apparaît de manière évidente. La limite à l’intervention des Nations Unies s’efface dès lors que le Conseil de sécurité considère qu’il existe une menace contre la paix ou une autre des situations prévues par l’article 39. En effet, « l’application de mesures de coercition prévues par le Chapitre VII » suppose qu’une des trois situations de l’article 39 ait été constatée. Dans le Chapitre VII, seul l’article 40 permet au Conseil de sécurité « d’agir » sans avoir au préalable constater l’existence d’une situation de l’article 39 817 mais il ne peut, sur le fondement de cette disposition, adopter des « mesures de coercition » au sens de l’article 2 § 7 in fine, c’est-à-dire des mesures contraignantes. Cette reste dans la limite de l’interprétation « de bonne foi » (au sens de l’article 31 § 1 de la CVDT : « un traité doit être interprété de bonne foi […] »), il évoque surtout la différence entre l’article 2 § 4, qui est « international in character » (« Les Membres de l’Organisation s’abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l’emploi de la force […] », mis en italique par nous) et l’article 39 qui concerne des situations internes à un Etat n’impliquant pas toujours la force armée. Ainsi, STÜRCHLER n’évoque pas l’impossibilité, par principe, de l’impact de la pratique du Conseil de sécurité relative à la menace contre la paix sur l’article 2 § 4 en raison de la dichotomie entre règle institutionnelle (article 39) et règle relationnelle (article 2 § 4), mais estime que l’interprétation de l’article 2 § 4 en rapport avec l’article 39 tel qu’interprété par le Conseil de sécurité serait « so wide, abstract and over-generalised that the resulting rule retains hardly any specific meaning ». 815 KOLB, « Du domaine réservé », op. cit. note 812, p. 600 ; SCHÄFER, Der Begriff, op. cit. note 12, p. 35. 816 N. BLOKKER & M. KLEIBOER, « The Internationalization of Domestic Conflict : The Role of the UN Security Council », 9 LJIL (1996), p. 14. 817 Voir supra titre II, première section, 2.2.1.1. 220 affirmation découle de la formulation même de l’article 40, par lequel le Conseil de sécurité « peut inviter » les parties intéressées à se conformer à des mesures provisoires818. Par le renvoi explicite de l’article 2 § 7 in fine au Chapitre VII, le constat d’une menace contre la paix par le Conseil de sécurité dans un cas d’espèce peut donc avoir un impact direct sur le principe du respect du domaine réservé des Etats dans ce cas d’espèce. Cependant, au-delà des liens intrinsèques qui existent, incontestablement, entre la notion de menace contre la paix et le principe du respect du domaine réservé des Etats membres des Nations Unies, existe-t-il un impact à plus long terme de la pratique du Conseil de sécurité relative au constat d’une menace contre la paix et la portée et le contenu du concept du domaine réservé ? 2.2.3.2. Le fort impact de la pratique du Conseil de sécurité relative au constat d’une menace contre la paix sur le concept de domaine réservé des Etats La plupart des auteurs s’accordent pour donner une réponse positive à cette dernière interrogation. Au-delà de l’aspect conjoncturel de l’impact du constat d’une menace contre la paix sur la protection conférée aux Etats par le concept de domaine réservé dans un cas d’espèce (par le simple effet annihilant, juridiquement parlant, de la « protection » de l’article 2 § 7 par la mise en œuvre du Chapitre VII), ils voient une corrélation entre l’élargissement de la notion de menace contre la paix dans la pratique du Conseil de sécurité et le rétrécissement du contenu du domaine réservé des Etats819. Selon ces auteurs, la ligne de démarcation entre ce qui relève de la sphère interne des Etats et ce qui appartient à la sphère internationale s’est 818 Exception faite du cas où le Conseil de sécurité indiquerait des mesures provisoires en lien avec le constat d’une menace contre la paix, d’une rupture de la paix ou d’un acte d’agression aux termes de l’article 39 (GILL, « Legal and some political limitations », op. cit. note 10, p. 47). Le fait, en effet, qu’il s’agisse de mesures « provisoires », qui « ne préjugent en rien les droits, les prétentions ou la position des parties intéressées », ne signifie pas pour autant que ces mesures ne peuvent pas avoir d’effet contraignant. Ainsi, les mesures provisoires (ou « conservatoires » dans le vocabulaire du contentieux devant la CIJ) indiquées par la Cour EDH ou la CIJ revêtent un caractère obligatoire dans la mesure où leur non-respect constitue un obstacle à l’accomplissement de leur mission judiciaire (Mamatkulov et Askarov c. Turquie, Cour EDH, Grande Chambre, 4 février 2005, §§ 125-128 ; Affaire LaGrand (Allemagne c. Etats-Unis d’Amérique), CIJ, arrêt, 27 juin 2001, CIJ Rec. (2001), pp. 502-506). 819 SHRAGA, « The Security Council and Human Rights », op. cit. note 577, p. 13 ; GILL évoque de manière plus générale l’impact sur la « souveraineté » des Etats, « Legal and some political limitations », op. cit. note 10, p. 43. Contra : WELLENS, « New Threats to the Peace », op. cit. note 16, p. 56 : « The frequently temporary nature of the situation leading to a pronouncement of a threat justifies a temporary, reversible litfting out of the domestic jurisdiction, except in those cases where the subject-matter according to contemporary international law no longer belonged to that domestic jurisdiction. This is irrespective of the competence of the council to declare violations of those rules a threat to the peace ; in doing so the council has contributed to strengthening that pre-existing legal fact ». 221 déplacée au bénéfice de la seconde sphère, notamment (mais pas seulement 820 ) sous l’impulsion de la pratique du Conseil de sécurité relative à la notion de menace contre la paix821. R. Kolb parle même à cet égard d’un refoulement du « ‘domaine réservé’ de l’article 39 »822. Il n’est pas étonnant que la pratique du Conseil de sécurité relative à la menace contre la paix ait eu un tel impact sur le concept de « domaine réservé ». Il s’agit, en effet, d’une notion extrêmement relative823, ainsi que le notait la CPJI dans l’affaire des Décrets de nationalité en 1923 : « La question de savoir si une certaine matière rentre ou ne rentre pas dans le domaine exclusif d’un Etat est une question essentiellement relative : elle dépend du développement des rapports internationaux »824. A titre d’exemple, le droit international des droits de l’homme, que certains Etats considéraient comme ressortissant au domaine réservé au moment de l’entrée en vigueur de la Charte des Nations Unies, relève sans hésiter, dans l’état du droit actuel, de la compétence des Nations Unies825. Le concept de domaine réservé offrait donc un visage suffisamment malléable pour subir l’influence de la pratique du Conseil de sécurité relative au constat d’une menace contre la paix. 820 Dans son analyse de la pratique des organes des Nations Unies vis-à-vis de la situation d’apartheid en Afrique du Sud, SOHN met en exergue le rôle moteur joué par l’Assemblée générale dans la qualification de la situation de menace contre la paix par le Conseil de sécurité, « The UN System », op. cit. note 715, pp. 208-229. 821 S’agissant principalement du lien entre les violations des droits de l’homme et du droit humanitaire et le constat d’une menace contre la paix. 822 R. KOLB, Ius in Bello, Le droit international des conflits armés, Helbing Lichtenhahn/Bruylant (2003), p. 242. 823 Voir sur la relativité du concept de domaine réservé selon la conception classique (largement dominante) dudit concept, KOLB, « Du domaine réservé », op. cit. note 812, p. 304 (selon cette conception, « plus le droit international se développe, plus de matières il règle, et moins de questions restent dans la catégorie résiduelle de la compétence exclusive étatique ») ; HIGGINS, The Development of International Law, op. cit. note 448, pp. 76-77 ; BLOKKER & KLEIBOER, « The Internationalization of Domestic Conflict », op. cit. note 816, p. 15. 824 Décrets de nationalité promulgués en Tunisie et au Maroc, CPJI, avis consultatif du 7 février 1923, Recueil des avis consultatifs, série B, n°4, p. 24. La CPJI poursuit ainsi : « C’est ainsi que, dans l’état actuel du droit international, les questions de nationalité sont, en principe, de l’avis de la Cour, comprises dans ce domaine réservé ». 825 BLOKKER & KLEIBOER, « The Internationalization of Domestic Conflict », op. cit. note 816, p. 15 (« Whereas in 1945 the treatment given by a state to persons within its jurisdiction was still something which almost completely belonged to the domaine réservé referred to in Article 2(7), today it is generally accepted that this is also a matter of international concern ») ; SCHÄFER, Der Begriff, op. cit. note 12, p. 36 (« […] schwere Menschenrechtsverletzungen nicht mehr zum domaine réservé der Staaten gehören, sondern of « international concern » sind »). 222 Quant à l’impact de la pratique du Conseil de sécurité sur le droit international général par le biais du concept de domaine réservé, la question de savoir si ce concept inscrit à l’article 2 § 7 de la Charte conserve une existence parallèle en droit international peut être discutée. Certes, dans un sens, on peut estimer que la pratique et l’opinio juris y relatives constituent une « coutume institutionnelle » dans la mesure où le concept a pour objet de réglementer les relations entre l’Organisation des Nations Unies et ses Etats membres. Cependant, le concept n’existe pas seulement dans la Charte des Nations Unies. Il règlemente, en tant que concept général de droit international, les relations entre les organisations internationales et leurs Etats membres. Pour s’en convaincre, il suffit d’imaginer que l’Organisation des Nations Unies soit un jour dissoute et que, dès lors, l’article 2 § 7 de la Charte n’ait plus aucun ancrage en droit positif. Le concept de domaine réservé survivrait néanmoins dans ses aspects essentiels en droit international coutumier lorsqu’il s’agirait de délimiter les compétences d’une organisation régionale ou internationale et celles des Etats la composant826. En outre, il régit les relations entre les Etats entre eux dans la mesure où il est la transcription, dans le droit des organisations internationales, de l’interdiction qui est faite à un Etat « d’après un principe bien établi du droit international public […] de ne pas intervenir dans les affaires intérieures et extérieures d’un autre Etat »827. 826 Dans ce sens P. ULIMUBENSHI, L’exception du domaine réservé dans la procédure de la Cour internationale de justice. Contribution à l’étude des exceptions dans le droit judiciaire de la Cour internationale de justice, thèse, Institut universitaire des hautes études internationales (2003), pp. 70-71 (« […] le droit international périrait si les Etats n’avaient plus de domaine réservé »), p. 70, se basant sur l’idée que la notion de domaine réservé est consubstantielle au principe de l’égalité souveraine des Etats sur lequel s’est construit le droit international) ; A. VERDROSS, « Le principe de la non intervention dans les affaires relevant de la compétence nationale d’un Etat et l’article 2(7) de la Charte des Nations Unies », Mélanges offerts à Charles Rousseau. La Communauté internationale, Pedone (1974), p. 276 (« toute Organisation internationale, fondée sur le principe de l’égalité souveraine ‘de tous ses membres’ (article 2 § 1 de la Charte) doit d’une part prévoir une solution pacifique des conflits entre ses membres, mais d’autre part leur reconnaître une sphère de compétence propre, nécessaire pour la conservation de leur autonomie, dans laquelle l’Organisation internationale ne peut pas s’ingérer »). 827 VERDROSS, ibid., p. 267. 223 TITRE III. LE CONCEPT DE MENACE CONTRE LA PAIX : ESSAI DE SYNTHESE « Tout concept est un réservoir de contradictions qui se répandent et s’éparpillent quand il s’ouvre sous l’effet d’un choc suffisant de la réalité »828. 1. DEUX LECTURES JURIDIQUEMENT POSSIBLES DE LA MENACE CONTRE LA PAIX CONCEPTIONS DU ROLE DU CONSEIL DE SECURITE : DEUX Dans l’expression « menace contre la paix », il y a le terme « menace ». Ce terme porte en lui l’idée de potentialité. En effet, la « menace » suppose qu’un événement ou une chose quelconque ne s’est pas encore matérialisé(e), d’où le caractère parfois insaisissable de la notion de menace contre la paix829. Le terme « menace » évoque également l’idée que la matérialisation de cet événement ou de cette chose est redoutée. On en veut notamment pour preuve l’adjectif de « menaçant(e) » qui a pour synonyme ceux de « dangereux » et « inquiétant »830. Ainsi, le Petit Robert définit la « menace » comme étant le « signe par lequel se manifeste ce qu’on doit craindre de quelque chose ; [l’] indice d’un danger »831. De même, selon le Vocabulaire juridique de G. Cornu tel que cité par J. Salmon dans son Dictionnaire de droit international public, la « menace » est un « acte d’intimidation consistant (…) à inspirer (…) la crainte d’un mal projeté, par l’annonce (…) de la mise en exécution de ce projet » 832 . Cependant, si le Dictionnaire du droit international public poursuit la définition de la « menace » en ajoutant que « ce terme se rencontre habituellement en association avec un autre substantif précisant la nature du mal projeté », ce n’est pas le cas de la « menace contre la paix » qui ne spécifie pas « la nature du mal projeté » mais l’objet (la « paix ») à préserver de la « menace ». Dans ce sens, J.-M. Sorel écrit : « Cerner la menace 828 C. CHAUMONT, « L’ambivalence des concepts essentiels du droit international », in : J. MAKARCZYK (éd), Etudes de droit international en l’honneur du juge Manfred Lachs, Martinus Nijhoff Publishers (1984), p. 58. 829 Déclaration de la France au Conseil de sécurité à propos de la « question espagnole » : « l’article 39 de la Charte contient le mot ‘menace’ ; par lui-même, ce mot me paraît impliquer nécessairement un état de choses virtuel, une simple possibilité ; tant qu’il n’y a pas d’acte d’agression, tant qu’il n’y a que menace, cette menace a forcément un caractère éventuel, latent, ‘potentiel’ », Répertoire de la pratique du Conseil de sécurité (19461951), p. 451. 830 Dictionnaire Petit Robert (2013). 831 Idem. 832 SALMON, Dictionnaire de droit international public, op. cit. note 3, p. 693. 224 contre la paix, c’est établir ‘par défaut’ tout ce qui peut venir troubler une situation supposée paisible »833. L’idée de potentialité, qui se trouve donc au cœur de la notion de menace contre la paix, s’exprime de manière différente selon la conception que l’on retient de ladite notion. Selon une première conception, la menace contre la paix correspond au stade précédant celui de la « rupture de la paix » au sens de l’article 39. Dans ce sens, la menace contre la paix est une rupture de la paix en devenir si aucune action de la part des Nations Unies n’est entreprise. Ce « devenir » (la potentialité) peut être de nature temporelle ou de l’ordre de l’intensité, voire les deux à la fois. Ainsi, si la situation persiste dans le temps et/ou s’intensifie, elle deviendra un danger réel (et non plus potentiel) pour le maintien de la paix et de la sécurité internationales. Cette première conception trouve un écho dans le lien (continuum) existant, selon les travaux préparatoires834, le texte de la Charte et la doctrine, entre le Chapitre VI et le Chapitre VII quant à l’existence d’un danger pour la paix et la sécurité internationales. De « virtuel » ou « potentiel » dans le Chapitre VI, le danger devient « actuel » dans le Chapitre VII835. De manière logique, la paix est troublée avant d’être rompue. Selon cette première conception, la notion de menace contre la paix se définit, donc, par rapport à celle de rupture de la paix. A cet égard, il faut préciser que la notion de rupture de la paix recouvre une réalité mieux circonscrite que celle de menace contre la paix. Selon l’interprétation qui en est couramment faite par la doctrine et les Etats membres du Conseil de sécurité, la rupture de la paix correspond, en effet, à l’hypothèse d’un conflit armé international836 , c’est-à-dire un conflit armé opposant deux Etats au moins. Selon cette 833 SOREL, « L’élargissement de la notion de menace contre la paix », op. cit. note 6, p. 14. 834 On entend ici les « travaux préparatoires » de la Charte comme englobant, notamment, les « Propositions de Dumbarton Oaks relatives à l’établissement d’une organisation internationale générale » de 1944 (on peut en effet considérer, « sans difficultés » selon E. JOUANNET, que les Propositions de Dumbarton Oaks appartiennent aux travaux préparatoires de la Charte, « Les travaux préparatoires de la Charte des Nations Unies », La Charte des Nations Unies, commentaire article par article, op. cit. note 21, p. 12). Ainsi qu’il a déjà été cité supra, l’article 1, Section B du Chapitre VIII de ces propositions dispose (dans la version anglaise): « Should the Security Council deem that a failure to settle a dispute in accordance with procedures indicaded in paragraph 3 of Section A, or in accordance with its recommendations made under paragraph 5 of Section A, constitutes a threat to the maintenance of international peace and security […] ». 835 D’ARGENT et al., « article 39 », op. cit. note 21, p. 1154. 836 SIMMA, « From Bilateralism to Community Interest », op. cit. note 416, p. 271 (« breaches of the peace will in most cases be accompanied and followed by the open outbreak of violence »). 225 première vision de ce qu’est la menace contre la paix, l’événement dont la matérialisation est redoutée (la rupture de la paix) consiste, dès lors, en un conflit armé interétatique. La menace contre la paix correspond, dans cette perspective, à la menace de la survenance d’un conflit armé international. La notion de « paix » est ici considérée de manière négative, c’est-à-dire comme l’absence de conflit armé entre Etats837. Elle ne comporte, a priori, qu’une dimension militaire ou sécuritaire, c’est-à-dire : le silence des armes. Les auteurs qualifient d’ « étroite » cette définition de la « paix » s’agissant des multiples sens que l’acception peut recouvrir par ailleurs, et de « négative » dans la mesure où il s’agit d’une définition par défaut (la paix correspond à « l’absence de » guerre). La seconde conception de la menace contre la paix s’attache au sens « large » – par opposition au sens strict précédemment décrit - de la notion de « paix ». Au sens « large » ou « positif » du terme, la « paix » renvoie aux conditions structurelles d’une paix durable. Il s’agit notamment, aux termes de la Charte des Nations Unies838, du respect des droits de l’homme, du développement des relations amicales entre les nations et de la réalisation de la coopération internationale en matière économique, sociale, intellectuelle ou humanitaire. Ce qui est menacé, dans cette perspective, n’est pas l’état d’absence de guerre839 (c’est-àdire la « paix » au sens strict) mais l’existence et le maintien des conditions qui rendent possible une paix durable (la « paix » au sens large). Dans ce sens, la menace contre la paix ne renvoie pas nécessairement au danger de l’imminence d’un conflit armé international mais au danger pesant sur l’existence ou le maintien de ces conditions structurelles. Ces conditions correspondent, comme nous le verrons plus loin, aux valeurs que les Etats considèrent comme étant essentielles au titre de l’ordre juridique international ou de la cohésion de la communauté internationale. Selon certains auteurs néanmoins, il ne s’agit pour les Etats que de prétextes pour intervenir là où se trouvent leurs intérêts stratégiques840. 837 LAILACH, Die Wahrung des Weltfriedens, op. cit. note 484, p. 134 (« die Abwesenheit internationaler bewaffneter Gewalt »). 838 Article 1, §§ 2-4. 839 « Guerre » est ici entendue comme étant synonyme de conflit armé international (un conflit armé entre deux Etats au moins). 840 N. WHITE, Keeping the peace : the United Nations and the maintenance of international peace and security, Manchester University Press (1993), p. 37 et s. ; cette proposition constitue le leitmotiv de l’ouvrage de D. AMBROSETTI, Normes et rivalités diplomatiques à l’ONU : le Conseil de sécurité en audience, Peter Lang (2009). 226 La menace contre la paix correspond, selon cette seconde lecture, à la menace que pose une situation vis-à-vis des valeurs et/ou des intérêts de la communauté des Etats. La menace contre la paix ne résulte donc pas d’une menace de violence directe et physique à l’encontre de tous les Etats (en cas de conflagration du conflit, c’est-à-dire, d’embrasement mondial), mais d’une situation ou d’un événement qui n’a, a priori, pas de répercussions dramatiques directes pour chacun d’entre eux (ou de manière extrêmement hypothétique et à très long terme841). Dans ce sens, la paix mondiale est virtuellement en danger. Par cette « virtualité », on retrouve l’idée de potentialité qui caractérise la notion de menace contre la paix. Cependant, cette potentialité s’exprime différemment que s’agissant de la première conception de la menace contre la paix. Selon la première conception, la potentialité s’attache au moment (critère temporel) de la survenance de, ou à la forme revêtue (critère de l’intensité) par, l’événement ou la chose redouté(e). En comparaison, dans la seconde conception, la potentialité naît du fait que les Etats ne sont pas physiquement touchés par l’événement ou la chose redouté(e) mais de manière virtuelle (ou immatérielle), c’est-àdire par le biais de l’atteinte aux valeurs définies par eux comme étant essentielles au maintien de l’ordre international. On peut considérer, à première vue, que la part de potentialité est plus importante dans la seconde conception de la menace contre la paix que dans la première. En effet, il semble que les Etats membres du Conseil de sécurité jouissent, par nature, d’une plus grande marge d’appréciation pour définir les valeurs communautaires menacées et le degré de leur atteinte, que pour évaluer l’hypothèse de la survenance d’un conflit armé international qui relève, à notre avis, de données plus factuelles. Si ce présupposé est juste, le spectre de la menace contre la paix apparaît être plus large dans la seconde conception que dans la première. Ainsi que nous le verrons plus après, ce flou occasionné par cette seconde conception de la menace contre la paix a amené certains auteurs à lui préférer la première, plus restrictive des pouvoirs et compétences du Conseil de sécurité aux termes du Chapitre VII. Ces deux conceptions de la notion de menace contre la paix sont toutes deux juridiquement possibles (ou juridiquement acceptables selon l’expression de G. Abi-Saab842) c’est-à-dire, au 841 Dans cette hypothèse, c’est la première conception de la menace contre la paix qui est à nouveau visée, c’està-dire, la menace à long terme d’une rupture de la paix. 842 ABI-SAAB, « Opinion individuelle », Différend frontalier, op. cit. note 434, p. 112 : à propos d’une « solution juridique possible dans les limites de la marge de liberté existant en l’espèce ; et c’est la raison pour laquelle je la considère juridiquement acceptable. Mais elle n’est pas la seule qui soit juridiquement possible, ni à mon avis la meilleure ». 227 sens d’H. Kelsen, qu’aucune d’entre elles ne peut, a priori, être considérée comme étant la « véritable interprétation »843 du concept inscrit à l’article 39 de la Charte des Nations Unies. Selon le célèbre juriste autrichien, même la faveur, par les organes chargés de la mise en œuvre de la Charte, d’une interprétation parmi toutes celles qui seraient juridiquement possibles ne saurait laisser croire qu’il s’agit là de la « véritable » et que les autres interprétations seraient « fausses ». H. Kelsen considère en effet que la seule conséquence de ce choix en faveur d’une interprétation vis-à-vis de toutes les autres consiste dans l’effet obligatoire conféré à l’interprétation retenue844. Selon l’auteur, le choix qu’opère l’organe (qu’il s’agisse d’un organe judiciaire ou politique) entre plusieurs interprétations, toutes juridiquement valides, est motivé par des considérations politiques et non pas juridiques (étant donné que toutes ces interprétations se valent du point de vue de la plus pure technique juridique)845. La pratique des organes chargés de la mise en œuvre du traité ne saurait donc, selon H. Kelsen, permettre d’identifier la « véritable » interprétation du droit mais seulement, celle qui est « politically preferable » selon des considérations qui n’intéressent pas le technicien du droit846. Souscrivant à l’analyse d’H. Kelsen, il ne nous est pas possible de dire laquelle des deux conceptions de la menace contre la paix correspond à la « véritable interprétation » du concept inscrit à l’article 39. Nous ne saurions, en effet, nous baser sur l’interprétation littérale des termes de l’article 39847. Les termes « menace contre la paix » sont trop vagues pour que l’on puisse affirmer qu’ils colportent une signification littérale précise. La notion de « paix » revêt ainsi plusieurs sens, comme on vient de le voir ci-dessus s’agissant de la « paix » au sens étroit et au sens large. De même, la notion de « menace » se décline selon différents degrés tenant à 843 KELSEN considère à ce propos qu’il n’existe pas de « ‘true’ meaning of the law » d’abord et avant tout du fait que les concepts de droit sont transcrits dans le langage par des mots qui véhiculent souvent plusieurs sens ; également du fait que, parfois, le législateur laisse délibérément le sens de la loi ambiguë, renvoyant à l’organe chargé d’appliquer le droit le soin de déterminer ce sens dans des cas concrets, The Law of the United Nations, op. cit. note 14, pp. xiii-xv. 844 KELSEN fait la différence entre la portée de l’effet obligatoire résultant d’une interprétation authentique « générale » et celle résultant d’une interprétation authentique « individuelle ». Ainsi, lorsque l’interprétation émane du « législateur », elle est dite « générale » et s’impose à tous les sujets de droit, tandis que lorsqu’elle est le fait d’un organe chargé de l’application du droit (« law-applying organ »), elle ne s’impose a priori qu’aux sujets de droit concernés par le cas ou la situation soumis(e) à l’appréciation de cet organe, ibid., p. xv. 845 Idem. 846 Idem. 847 Dans ce sens, LAILACH, Die Wahrung des Weltfriedens, op. cit. note 484, p. 171. 228 l’imminence ou à la probabilité de réalisation du danger. Quant à la signification de la notion correspondant à la volonté du « législateur », il a été dit à plusieurs reprises au cours de ce travail que les rédacteurs de la Charte ont délibérément entendu priver la notion de menace contre la paix d’un sens originel. Il est également malaisé d’affirmer, avec certitude et de manière générale, quelle conception de la menace contre la paix, parmi les deux conceptions ci-dessus exposées, ressort de la pratique du Conseil de sécurité. Une résolution constatant une menace contre la paix dans un cas concret sera considérée par une partie de la doctrine comme étant la preuve d’une conception étroite de la menace contre la paix (première conception) tandis que l’autre partie de la doctrine y verra la preuve d’un élargissement de la notion de menace contre la paix (seconde conception)848. Ainsi, la situation en Rhodésie du Sud a donné lieu, comme on l’a vu, à deux, voire trois, interprétations de la part de la doctrine et des Etats membres du Conseil de sécurité. Selon la première interprétation, c’était le risque d’un conflit armé dans toute l’Afrique australe qui justifiait la menace contre la paix. Selon la seconde, c’était la violation du droit à l’autodétermination du peuple en Rhodésie et l’existence intolérable du régime raciste de Ian Smith. La troisième interprétation combinait les deux éléments849. Comme nous l’avons aussi constaté supra, une pluralité d’interprétations s’est également présentée s’agissant de la situation en Afrique du Sud850. Une partie de la doctrine privilégiait l’élément tenant à la politique d’armement et l’attitude provocative de cet Etat vis-à-vis de ses voisins, une autre partie mettait l’accent sur le caractère inadmissible pour la communauté internationale du régime de l’apartheid tandis que d’autres auteurs considéraient que c’était « the combination of a violent repressive internal system and an aggressive external behaviour [who] contributed to the determination of the existence of a threat to the peace »851. On peut généraliser ce constat à propos de la grande majorité des résolutions du Conseil de sécurité constatant une menace contre la paix. Qu’il s’agisse même de l’hypothèse classique du recours à la force non autorisé d’un Etat contre un autre, certains considèreront que la qualification par le Conseil de sécurité de menace contre la paix résulte du risque que le conflit armé ne s’étende aux autres Etats, tandis que d’autres considèreront que cette qualification vient sanctionner le non-respect d’une 848 SCHÄFER, Der Begriff, op. cit. note 12, p. 263. 849 Voir supra, titre II, première section, 2.2.2.1., cas n° 1. 850 Voir titre II, première section, 2.2.1.5. 851 KOOIJMANS, « The Enlargement », op. cit. note 390, p. 114. 229 norme impérative de l’ordre juridique international, à savoir la règle de l’interdiction du recours à la force inscrite à l’article 2 § 4 de la Charte. Pourquoi une telle incertitude règne-t-elle sur l’interprétation des résolutions du Conseil de sécurité relative au constat d’une menace contre la paix ? Certes, tout texte laisse à l’interprète une marge d’appréciation irréductible qui découle de l’usage du langage commun par le droit. Néanmoins, une difficulté particulière s’attache à l’interprétation des résolutions du Conseil de sécurité : ses résolutions sont le résultat de compromis, voire de tractations diplomatiques, entre ses Etats membres. Une résolution du Conseil de sécurité est parfois volontairement ambiguë afin de permettre son adoption852, laquelle impose de contourner le vote négatif d’un membre permanent du Conseil de sécurité. Même lorsque les Etats membres du Conseil de sécurité paraissent unanimes quant aux motifs ayant fondé le constat de la menace contre la paix et que cette unanimité ressort tant des termes de la résolution que de la teneur des débats, il est malaisé de dire si le Conseil a fait « triompher » la première ou la seconde des conceptions de la menace contre la paix. La situation en Libye en 2011, malgré le discours particulièrement homogène des Etats quant à l’opportunité d’intervenir en vertu du Chapitre VII (hétérogène toutefois vis-à-vis de l’autorisation des Etats de recourir à la force pour protéger la population civile), peut également être interprétée de deux manières au moins s’agissant de l’existence d’une menace contre la paix. Rappelons que, vis-à-vis de cette situation, les Etats membres du Conseil de sécurité ont insisté, au cours des débats, sur le caractère grave et intolérable de la répression de la population civile par les autorités libyennes et des violations du droit international humanitaire et des droits de l’homme applicables853. Par là-même, ils semblent avoir justifié l’action du Conseil de sécurité par la nature de la situation plutôt que par ses effets sur la stabilité de la région et du monde, épousant de ce fait la seconde des conceptions de la menace contre la paix telle que nous l’avons exposée ci-dessus. Pourtant, au-delà du fait qu’il ne s’agit que de l’étude d’un seul cas, le constat d’une menace contre la paix vis-à-vis de la situation de la Libye ne fait pas obstacle à la première lecture « juridiquement possible » de la menace contre la paix. En effet, selon cette première lecture, la menace contre la paix peut résulter de circonstances internes (la violation des droits de l’homme et du droit humanitaire en première ligne) mais cependant menacer la paix et la sécurité internationales en raison des effets de ces circonstances. Ainsi, certains auteurs considèrent que des exactions de cette 852 WOOD, « The Interpretation », op. cit. note 15, p. 82. 853 Voir supra, titre II, première section, 2.2.2.1., cas n° 3. 230 nature comportent, en soi, le risque de l’aggravation d’un conflit interne, de son internationalisation et de l’impossibilité de parvenir à la consolidation de la paix854. En outre, dès lors qu’existe un conflit armé non international (ce à quoi étaient incontestablement liées les violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire dans la situation de la Libye telle qu’examinée par le Conseil de sécurité en 2011855), il y a toujours un risque que celui-ci ne s’étende au-delà des frontières au-dedans desquelles il était initialement contenu856. Pour ces auteurs, malgré le discours des Etats membres du Conseil de sécurité et l’insistance sur les circonstances des violations du droit international humanitaire et des droits de l’homme, ce sont donc les effets de la situation qui menacent la « paix » au sens étroit du terme et non les circonstances en elles-mêmes, c’est-à-dire du seul fait de leur existence857. Les deux interprétations de la menace contre la paix, basées sur la « paix » au sens étroit ou au sens large (menace contre la paix en raison de ses effets ou par nature), demeurent de ce point de vue « juridiquement possibles »858 s’agissant de la situation en Libye (2011). Notons, enfin, que les deux conceptions de la menace contre la paix ne sont pas forcément exclusives l’une de l’autre. Ainsi, un auteur pourra considérer que le constat d’une menace contre la paix par le Conseil de sécurité reflète dans un cas la seconde conception et la première conception dans un autre cas. Le contraire n’est, cependant, pas nécessairement vrai. 854 Voir infra, titre III, 1.1.2. ; voir aussi LAILACH, Die Wahrung des Weltfriedens, op. cit. note 484, p. 135, qui souligne que les résolutions du Conseil de sécurité ayant constaté une menace contre la paix en rapport avec de graves exactions (« menschliches Leiden in extremen Ausmassen ») peuvent se justifier par la crainte du Conseil de sécurité que la situation n’évolue en un conflit armé international. 855 Voir la remarque de KRISCH supra note 633. En tout état de cause, dès lors qu’il est question de « violations du droit international humanitaire », cela implique qu’il existe un conflit armé (de nature internationale ou non internationale) hormis le cas très marginal de la violations des dispositions du droit international humanitaire applicables en temps de paix. 856 SCHÄFER, Der Begriff, op. cit. note 12, p. 264, mettant en exergue l’inconvénient de la première conception de la menace contre la paix qui comporte un aspect factice de par le jeu d’hypothèses lointaines et qui brouille, de ce fait, la distinction établie par la Charte entre les Chapitres VI et VII, c’est-à-dire entre la menace « potentielle » et la menace « atuelle ». 857 Dans ce sens KRISCH, « Article 39 », op. cit. note 404, p. 1287. 858 Dans ce sens, H. LAUTERPACHT écrivait, en 1950 déjà que : « The Security Council […] cannot, as a rule, be concerned with isolated violations of human rights. […] But [the Security Council] constitutes an unlimited reservoir of power […] for the protection of human rights and freedoms when their violation results in situations or disputes which might lead to international friction or endanger the maintenance of international peace and security or constitute a threat to the peace. Situations of disputes of this nature may arise in relation to States which by reason of a systematic and flagrant denial of human rights become a source of international friction and of an actual or potential danger to peace ; or they may originate in isolated outrages of such magnitude or cruelty as to shock the conscience of civilised mankind and impose an intolerable strain upon peaceful relations […] », International Law and Human Rights, Praeger (1950), pp. 185 et s., cité par FASSBENDER, « Introduction », Securing Human Rights ? », op. cit. note 10, p. 3. 231 Certains auteurs considèrent, en effet, que la pratique même récente du Conseil du sécurité relative au constat d’une menace ne fait pas apparaître d’évolution notable vis-à-vis de ce qu’ils estiment être la conception originelle de la menace contre la paix. Ils ne reconnaissent dès lors que la première des conceptions ci-dessus décrites, à savoir que tout constat d’une menace contre la paix par le Conseil de sécurité est en lien, de manière plus ou moins directe, avec l’hypothèse d’un conflit armé international. Nous allons nous intéresser à ces deux interprétations juridiquement possibles de la notion de menace contre la paix en brossant un tableau des positions adoptées par la doctrine à cet égard. Nous verrons que ce débat s’inscrit dans un débat plus large portant sur la nature et les limites des pouvoirs du Conseil de sécurité. L’intérêt de notre étude doctorale est double à cet égard. Premièrement, il s’agit de mettre en exergue l’existence d’un tel débat doctrinal. A notre connaissance, aucune autre étude ne s’est, jusqu’à présent, employée à systématiser les points de vue de la doctrine autour de ces deux conceptions de la menace contre la paix859. Or, une telle systématisation de ce débat (et la reconnaissance en premier lieu d’un tel débat doctrinal) permet, à notre avis, de jeter une lumière nouvelle sur le concept de menace contre la paix en droit international. Deuxièmement, il s’agit de révéler les présupposés autour desquels ce débat doctrinal s’articule. La prise de conscience de ces présupposés permet également de mieux comprendre les différences de perceptions, parmi la doctrine, vis-à-vis de la pratique du Conseil de sécurité relative à la notion de menace contre la paix. 1.1. Doctrine selon laquelle il existe toujours un lien de causalité entre le constat d’une menace contre la paix et l’hypothèse d’un conflit armé international (la doctrine de la « causalité nécessaire ») 1.1.1. L’hypothèse d’un conflit armé international Une partie de la doctrine s’étant intéressée, de près ou de loin, à la notion de menace contre la paix de l’article 39 de la Charte considère que la notion ne peut être dissociée de l’existence 860 ou de l’hypothèse 861 d’un conflit armé international. Reflétant la première 859 Si ZAMBELLI évoque les deux conceptions possibles de la menace contre la paix, ce n’est que pour distinguer le sens originel de la menace contre la paix (la première conception) de l’interprétation de la notion par le Conseil de sécurité depuis la fin de la guerre froide (la seconde conception), voir supra nos précisions note 12. 860 GAJA, « Réflexions », op. cit. note 400, p. 301 : « Il ne me semble pas que la notion de menace contre la paix puisse être dissociée de l’existence d’un conflit armé international ». 861 DE WET, The Chapter VII Powers, op. cit. note 20, p. 149 (« the potential outbreak of an international armed conflict ») ; M. GLENNON, « Sovereignty and Community after Haïti », AJIL (1995), p. 72 (« As a minimum, breach of the peace would seem to imply some violation of sovereignty or cross-border intervention 232 conception de la menace contre la paix telle que décrite supra, la menace contre la paix découle, selon ces auteurs, du risque que la « paix » au sens strict du terme ne soit rompue ou que le conflit armé existant ne s’étende862. J. Combacau souligne ainsi, dans son ouvrage publié en 1974, que la menace contre la paix est caractérisée dans la pratique du Conseil de sécurité863 par son caractère « explosif », c’est-à-dire par son « aptitude à déclencher un conflit »864. Dans le même sens, W. Weiss écrit : « for a situation to be regarded as a threat to the peace requires at least some violence »865. I. Österdahl, auteure d’un ouvrage spécifiquement dédié à la notion de menace contre la paix et à son interprétation par le Conseil de sécurité, estime qu’il serait possible (mais non réalisable ni souhaitable) d’exercer un contrôle ex post facto de l’opportunité et du bien-fondé causing armed conflict, and a threat to the peace would thus entail the creation of an unreasonable risk of such an occurrence ») ; KRISCH, « Article 39 », op. cit. note 404, p. 1291 (« so far the notion of a ‘threat to the peace’ remains limited to situations with a concrete, acute risk of conflict in a particular case ») ; A. STEIN, Der Sicherheitsrat der Vereinten Nationen und die Rule of Law, Nomos Verlagsgesellschaft (1999), p. 160 (« a grave and imminent danger of an outbreak of an armed interstate conflict », traduction anglaise par FASSBENDER, « Review Essay : Quis judicabit ?, op. cit. note 772, p. 222 ; WEISS, « Security Council Powers », op. cit. note 19, p. 59 (« a crisis that has the potential to spark international armed hostilities in the short or medium term ») et p. 61 (« a threat to the peace in the sense of Article 39 UN Charte requires a situation charged with the potential of an outbreak of an international armed conflict »), ce qui n’empêche pas l’auteur de considérer que le Conseil de sécurité est compétent pour restaurer de manière durable la paix après un conflit (selon l’acception positive de la « paix ») « once the scope of application of its powers is opened » par le constat d’une menace contre la « paix » au sens étroit du terme (p. 59). C’est dans ce sens que WEISS affirme, p. 61, que : « Both the objective of bringing weapons to silence and of restoring sustainable peace by building the necessary conditions, are therefore, embraced by the Chapter VII Powers ». 862 A cet égard, il serait plus logique de considérer que le conflit à l’origine de la menace contre la paix est un conflit armé non international dont on craint l’internationalisation. En effet, il est étrange de considérer que l’existence d’un conflit armé international constitue une menace contre la paix au sens de l’article 39 étant donné que ce type de conflit correspond déjà à l’hypothèse d’une rupture de la paix en vertu de la même disposition. Le Conseil de sécurité a néanmoins déjà considéré qu’un conflit armé international existant menaçait la paix et la sécurité internationales au sens de l’article 39 (voir par exemple CS/RES/307 adoptée en 1971 concernant le conflit entre l’Inde et le Pakistan). 863 La « pratique du Conseil de sécurité » est ici entendue par COMBACAU dans un sens large, comme désignant non seulement les résolutions adoptées par le Conseil de sécurité qui constatent une menace contre la paix mais aussi les projets de résolutions rejetés alors même qu’ils invoquaient une telle situation, Le pouvoir de sanction, op. cit. note 11, p. 100. 864 Idem. COMBACAU note néanmoins que certains Etats africains ont allégué, parfois avec succès, l’existence d’une menace contre la paix dans des situations (territoires gouvernés par une minorité blanche, sans autre précision par l’auteur, références implicites à la Rhodésie du Sud et à l’Afrique du Sud) qui ne constituaient pas, selon l’auteur, une menace de rupture de la paix à l’égard des Etats voisins mais une « situation intolérable en droit », c’est-à-dire « une offense permanente à la légalité », « pour des Etats ayant des conceptions politiques différentes », ibid., pp. 100-101. Dans ce cas cependant, COMBACAU considère que le rattachement de ces situations au concept de menace contre la paix de l’article 39 est absolument arbitraire, malgré que l’effet de droit attaché à la constatation d’une menace contre la paix, le cas échéant, est le même que s’agissant de constatations « plus légitimes » selon l’auteur, ibid., p. 101. 865 WEISS, « Security Council Powers », op. cit. note 19, p. 59. 233 de la pratique du Conseil de sécurité au regard de l’évolution de la situation en un conflit armé international ou non (étant précisé que ce critère serait uniquement pertinent dans le cas où le Conseil de sécurité se serait abstenu de qualifier une situation de menace contre la paix)866. I. Österdahl précise que, s’agissant d’une « menace » contre la paix, il n’est pas nécessaire que l’hypothèse du conflit armé international se soit effectivement réalisée867. Elle ne remet pas en cause, de fait, l’hypothèse du conflit armé international comme exigence à la base du constat d’une menace contre la paix par le Conseil de sécurité. Au contraire, l’auteure justifie qu’un tel constat soit intervenu dans des circonstances qui ne constituaient pas, a priori, une menace directe pour la paix et la sécurité internationales (le renversement par la force d’un gouvernement démocratiquement élu à Haïti notamment) par l’opinion généralement répandue selon laquelle : « the more democracies there are in the world the fewer wars they will be »868. Ainsi, même lorsque l’auteure évoque la question de savoir si la « paix », en tant qu’élément constitutif de la notion de menace contre la paix, revêt un sens large ou un sens étroit, l’exigence du lien de causalité entre la menace contre la paix et l’hypothèse d’un conflit armé international n’est pas affectée869. L’auteure semble considérer, en effet, que la dimension positive (large) ou négative (stricte) de la « paix » n’a de conséquence que sur la nature directe ou indirecte de la menace. En d’autres termes, la menace de nature militaire concerne directement la « paix » au sens strict, tandis que la menace de nature non militaire (résultant de circonstances à caractère social, économique, humanitaire ou écologique) ne comporte que des conséquences indirectes vis-à-vis de la « paix » entendue strictement. Il y a encore un détail intéressant dans l’argumentation d’I. Österdahl que nous souhaitons relever. Elle écrit que, si la « paix », dans la notion de menace contre la paix, devait être comprise dans sa dimension positive (c’est-à-dire, selon son sens le plus large), il s’ensuivrait 866 ÖSTERDAHL, Threat to the Peace, op. cit. note 714, p. 86. Voir aussi ibid., p. 87 : « Although the concept of a threat to the peace in Article 39 is inherently political it can at least be discussed, and potentially even empirically investigated through larges-scale historical analyses of which kinds of situations lead to or may lead to international armed conflict, i.e. whether a certain situation in reality seems to be of a kind which could escalate into an international war ». Dans le même sens, MARTENCZUK soutient que la notion de menace contre la paix de même que son constat par le Conseil de sécurité sont susceptibles de faire l’objet d’un contrôle de nature judiciaire dans la mesure où « it is judicially determinable whether a situation would indeed be so destabilizing as to result in the outbreak of a conflict that would destabilize international relations and therefore pose a threat to peace » (cité en anglais par DE WET & WOOD, Max planck EPIL, p. 4), Rechtsbindung und Rechtskontrolle, op. cit. note 20, p. 517. 867 ÖSTERDAHL, Threat to the Peace, op. cit. note 714, p. 86. 868 Idem (souligné par nous). 869 Ibid., p. 88. 234 que le concept de menace contre la paix aurait également un contenu élargi. L’analyse des éléments constitutifs du concept deviendrait plus complexe et dès lors, « unwieldly » 870. Nous reviendrons sur ce genre de considération qui témoigne, à notre avis, de ce qu’une certaine partie de la doctrine préfère souscrire à une conception « étroite » de la menace contre la paix (appelée ainsi en raison du lien de causalité avec la « paix » au sens étroit du terme) par crainte de voir le concept, et par conséquent les pouvoirs du Conseil de sécurité, s’étendre de manière incontrôlée. Nous reviendrons plus après sur ce point. 1.1.2. « The double strategy » : le lien entre une situation interne ou lointaine et la menace contre la paix Les auteurs adeptes de la théorie de « la causalité nécessaire » entre la menace contre la paix et le risque d’un conflit armé international n’excluent pas que des circonstances prima facie purement internes à un Etat (une guerre civile, des violations graves et massives des droits de l’homme, un putsch vis-à-vis d’un régime démocratiquement élu, etc.) puissent constituer une menace contre la paix au sens de l’article 39 dès lors que ces circonstances sont susceptibles d’être à l’origine d’un conflit armé de nature internationale, en d’autres termes dès lors que la « paix » au sens étroit du terme est susceptible d’être affectée871. De même, certains auteurs estiment que des pressions économiques ou politiques exercées par un Etat sur un autre peuvent menacer la paix et la sécurité internationales dans certaines circonstances particulières, c’est-à-dire, lorsque ces pressions peuvent être à l’origine d’un conflit armé entre ces Etats872. Dans cette seconde hypothèse, l’événement ou la circonstance à l’origine de la menace contre la paix se situe sur le plan international. Cependant, dans les deux cas, la question de savoir s’il existe une menace contre la paix est une question de potentialité. En effet, le « risque » d’un conflit armé international est la condition de 870 Idem. 871 MATHESON, Council Unbound, op. cit. note 490, pp. 6-7 (« The Council did so by substantially broadening the concept of ‘threats to the peace’ to include such internal crises where there was a plausible concern that their continuation might lead to regional and international escalation »), voir aussi pp. 46-47 ; LAILACH, Die Wahrung des Weltfriedens, op. cit. note 484, p. 205 ; WEISS, « Security Council Powers », op. cit. note 19, p. 59 ; ZAMBELLI, La constatation, op. cit. note 12, pp. 286-287 (ZAMBELLI n’est cependant pas à classer parmi les auteurs adeptes de la théorie de la « causalité nécessaire ». Il considère, certes, que cette théorie est conforme à la « normativité originaire » de la Charte, c’est-à-dire à la conception originelle de la menace contre la paix selon les auteurs du traité, mais qu’il existe une tension entre cette interprétation et l’interprétation qu’en donne le Conseil de sécurité lorsque celui-ci lie la menace contre la paix à des facteurs de « paix positive », voir supra nos explications note 12). 872 McDOUGAL & FELICIANO, Law and Minimum World Public Order, op. cit. note 453, p. 125 (« […] political and economic pressures may, in some particular contexts, endanger ‘international peace and security’ when they assume such proportions and intensity as to generate a substantial likelihood of or a need for a military response »). 235 l’existence d’une menace contre la paix. Il s’agit, de toute évidence, d’une question d’appréciation : l’appréciation du « risque ». Ainsi, pour certains auteurs, il existe une suite logique entre de graves exactions commises dans le cadre de troubles internes, un conflit armé non international et un conflit armé international. En effet, de graves violations des droits de l’homme peuvent être à l’origine d’une guerre civile873. Elles peuvent en être la cause, en précipiter la survenance ou empêcher l’apaisement et donc le retour à la paix. Puis, la guerre civile, comme tout conflit armé non international, est susceptible de se transformer en un conflit armé international, notamment du fait de l’intervention de puissances étrangères aux côtés de la population réprimée ou des rebelles874. Pour d’autres en revanche, le conflit armé international sera, dans certaines circonstances, trop hypothétique pour justifier le constat d’une menace contre la paix. Il doit exister selon eux un risque « direct » ou « sérieux » qu’un conflit armé international ne survienne875. Ces auteurs ont pour point commun, cependant, de considérer que la « paix » au sens strict du terme doit être affectée pour qu’une menace contre la paix puisse exister. Il doit y avoir un risque, plus ou moins avéré, qu’un conflit armé international ne survienne pour que le Conseil 873 BAILEY, The UN Security Council and Human Rights, op. cit. note 749, p. 123 (« it gradually became apparent that the denial of human rights sometimes constitutes a cause of armed conflict ») et de manière plus affirmative, p. 125 (« it is now widely understood that the perception that human rights are being denied is a frequent cause of armed conflict ») ; LAMB, « Legal Limits », op. cit. note 19, p. 379. 874 Q. WRIGHT, « International Law and Civil Strife », ASIL Proc. (1959), p. 151 : « History amply demonstrates that civil strife may result in international war because of the proclivity of states to intervene » ; GORDON, « United Nations Intervention », op. cit. note 477, p. 526 : « Almots all internal struggles can eventually become militarized, and any military conflict has the potential of spilling over borders, causing an exodus of refugees, or inviting outside intervention ». Ces facteurs d’internationalisation du conflit, qui sont accentués en cas de violations massives des droits de l’homme, élèvent selon GORDON le conflit interne au rang de « matter of international concern » aux yeux du Conseil de sécurité (pp. 538-545). Voir aussi, sur l’ensemble de la « suite logique », DE WET, The Chapter VII Powers, op. cit. note 20, p. 175 (« large-scale and systematic violations of human rights and humanitarian law within a country will almost inevitably lead to a destabilisation of the region »). DE WET n’entend pas cependant dire que, d’après la pratique du Conseil de sécurité, toute crise humanitaire constitue per se une menace contre la paix. Selon la « double stategy » utilisée par celui-ci selon DE WET - voir immédiatement infra dans le corps du texte –, une crise humanitaire à l’intérieur d’un Etat peut (est susceptible de) constituer une menace contre la paix au sens de l’article 39 si elle affecte la « paix » internationale au sens étroit du terme (l’auteure est cependant à la limite de la contradiction dans la mesure où elle admet plus haut que des violations graves et massives des droits de l’homme et du droit humanitaire comportent inévitablement des répercussions sur la paix dans la région). 875 ZAMBELLI, La constatation, op. cit. note 12, p. 287 (« pourvu que ce risque soit sérieux »), voir aussi p. 286, n. 1513 ; de manière moindre au contraire, LAMB considère que le seul fait que la stabilité internationale soit affectée (par des circonstances « such as refugee flows and economic effects ») suffit, « Legal Limits », op. cit. note 19, p. 379. 236 de sécurité intervienne sur la base du Chapitre VII. S’il y a des nuances entre ces auteurs, elles concernent la part de potentialité concédée quant à l’hypothèse du conflit armé international. « The double strategy ». C’est ainsi qu’E. De Wet, auteure d’un ouvrage important sur la nature et les limites des pouvoirs du Conseil de sécurité en vertu du Chapitre VII et la question corollaire du contrôle de la légalité de ses actes, a qualifié le processus par lequel le Conseil de sécurité considère qu’une situation interne constitue une menace contre la paix en raison de ses répercussions sur la paix et la sécurité internationales 876 . De telles répercussions existent lorsque la « paix négative » est affectée, c’est-à-dire lorsque la situation a pour effet de « déstabiliser » la région (l’afflux de réfugiés vers les Etats voisins par exemple 877 ) et risque de ce fait, ou en raison d’autres circonstances (la politique interventionniste d’un Etat tiers dans la région notamment878), d’entraîner un conflit armé de nature internationale879. 876 DE WET, The Chapter VII Powers, op. cit. note 20, pp. 150-155. Voir également ibid. pp. 155-175 (l’auteure s’interroge sur la question de savoir si, vis-à-vis de certaines situations ayant donné lieu à un constat de menace contre la paix depuis les années 1990, le Conseil de sécurité aurait modifié sa stratégie en opérant un « delinking » entre la situation interne et l’hypothèse d’un conflit armé international. Au terme d’une analyse de la pratique pertinente du Conseil de sécurité, elle parvient à la conclusion que ce « de-linking » n’a pas eu lieu. En effet, toutes les situations qui auraient pu faire douter de la persistance et de l’actualité de la « double strategy » par le Conseil de sécurité comportaient, selon l’auteure, une dimension internationale, c’est-à-dire un risque d’embrasement de la région, quand bien même la dimension humanitaire n’était pas négligeable en l’espèce et a été prise en compte par le Conseil. Elle émet uniquement une petite réserve s’agissant de la situation en Somalie tout en soulignant le caractère unique de la situation (en l’absence de gouvernement, la Somalie était considéré comme un « failed State » auquel se substituait la communauté internationale) et le fait que des résolutions ultérieures mentionnaient sa dimension internationale). 877 CS/RES/688 concernant la situation en Irak à propos de laquelle P. ALSTON écrit : « the third preambular paragraph underlines the view that the threat to international peace and security in this instance is not the repression itself but the ‘massive flows of refugees towards and across international frontiers and… cross border incursions’ », « The Security Council and Human Rights : Lessons to be Learned from the Iraq-Kuwait Crisis and its Aftermath », 13 AYBIL (1990-1991), p. 132. Du même avis s’agissant de la raison principale du constat d’une menace contre la paix dans la résolution précitée : GORDON, « United Nations Intervention », supra note 477, pp. 548-549. Voir A. DOWTY & G. LOESCHER, « Refugee Flows as Grounds for international Action », 21 International Security (1996), pp. 43-71, sur le lien entre l’afflux massif de réfugiés (potentiel ou avéré) et l’intervention d’Etats tiers (intervention unilatérale ou multilatérale, autorisée ou non autorisée par le Conseil de sécurité, par la force armée ou par des moyens en-deçà qualifiés par les auteurs de « soft intervention »). 878 DE WET donne ainsi l’exemple de la situation à Haïti à la suite du coup d’Etat ayant renversé le président Aristide. La dimension internationale de la situation découlait, selon l’auteure, à la fois de la déstabilisation régionale générée par l’afflux de réfugiés dans la région et du risque que les Etats-Unis ne décident d’intervenir à Haïti pour protéger leurs intérêts dans le sillon d’une ancienne politique interventionniste dans la region, The Chapter VII Powers, op. cit. note 20, pp. 160-161 ; voir également WRIGHT, supra note 874 (si l’auteur considère que la guerre civile peut constituer une menace à la paix et à la sécurité internationales en raison du risque d’internationalisation du conflit, il fait remarquer par ailleurs - en 1959 ! - que les conflits internes mettent 237 L’utilisation de la « double strategy » par le Conseil de sécurité permet à E. de Wet d’affirmer que le terme de « paix », contenu dans la notion de menace contre la paix de l’article 39 de la Charte, est demeurée d’essence « négative » malgré l’intervention accrue du Conseil de sécurité dans des situations internes à caractère humanitaire880. Elle lui permet également de conclure que la menace contre la paix est constatée par le Conseil de sécurité en raison des effets que comporte une situation pour la paix et la sécurité internationales plutôt qu’en raison de la nature des événements la caractérisant (crise humanitaire, coup d’Etat, etc.) ou l’origine de ceux-ci (en l’occurrence, le fait qu’ils soient internes à un Etat ou non)881. Cette conclusion à laquelle aboutit E. de Wet l’amène également à considérer qu’un constat d’une menace contre la paix par le Conseil de sécurité dans une situation purement interne à un Etat, sans que l’existence d’un effet déstabilisant sur la paix et la sécurité dans la région ne puisse être démontrée, est ultra vires. A ce titre, en signe de contestation, les Etats pourraient refuser d’appliquer la résolution adoptée par le Conseil de sécurité882. En revanche, poursuit l’auteure, l’absence de contestation par les Etats aurait pour conséquence de conférer un contenu « positif » au terme de « paix » contenu dans la notion de menace contre la paix de l’article 39883. 1.1.3. La crainte de voir la « paix » s’enrichir d’un contenu positif vis-à-vis de l’étendue des pouvoirs du Conseil de sécurité E. de Wet ne souhaite pas que la pratique du Conseil de sécurité et l’opinio juris des Etats membres des Nations Unies évoluent dans ce sens, c’est-à-dire dans le sens d’une conception de la menace contre la paix plus large que celle qui est actuellement la sienne selon l’analyse de l’auteure. En effet, l’élargissement de la notion de « paix » entraînerait inévitablement une expansion du concept de menace contre la paix et confèrerait de manière simultanée au souvent en jeu le respect des droits de l’homme et le principe de l’autodétermination des peuples, ce qui pourrait constituer des raisons supplémentaires pour les Nations Unies d’intervenir dans la mesure où « the interpretation of international obligations is always an international matter », ibid., p. 152) et GORDON supra note 477. 879 De manière moindre, C. DE JONGE OUDRAAT écrit qu’un conflit interne est susceptible d’être qualifié de menace contre la paix par le Conseil de sécurité dès lors qu’il « involves neighboring states in one way or another », « The United Nations and Internal Conflict », in : M. BROWN (éd), The international dimensions of internal conflict, MIT Press (1996), pp. 517-518. Voir p. 518 s’agissant des différentes hypothèses dans lesquelles des Etats limitrophes peuvent être « touchés » par un conflit interne (à noter que l’auteure évoque également, sans plus de précisions, que des conflits internes peuvent également constituer une menace contre la paix « if it involves serious violations of international humanitarian law », idem). 880 The Chapter VII Powers, op. cit. note 20, p. 175. 881 Ibid., pp. 175-176. 882 Ibid., p. 176. 883 Idem. 238 Conseil de sécurité un pouvoir discrétionnaire illimité (« unlimited discretion ») de constater l’existence d’une menace contre la paix884. Celui-ci pourrait en effet considérer qu’une situation constitue une menace contre la paix indépendamment de son impact sur la paix et la sécurité internationales (sous-entendu : au sens strict)885. Le constat par le Conseil de sécurité d’une menace contre la paix ne serait dès lors (plus) susceptible d’aucun contrôle de légalité886. En outre, l’auteure estime que cette omnipotence du Conseil de sécurité serait en désaccord avec la manière dont la Charte des Nations Unies détermine le rôle, définit les compétences et limite les pouvoirs de celui-ci887. E. de Wet entend par là, selon une idée largement répandue parmi la doctrine, que le Conseil de sécurité n’a pas été conçu par la Charte comme étant un « super gouvernement » (« world government »)888, c’est-à-dire un organe décidant de l’orientation et de la conduite des affaires internationales dans tous les domaines selon une stratégie à long terme. De manière similaire, des auteurs ont reproché au Conseil de sécurité de s’être comporté, dans le cadre de la lutte contre le terrorisme international, à la manière d’un « parlement mondial », à savoir un organe légiférant de manière abstraite et générale. Par l’effet de ses résolutions, il aurait, en effet, édicté de nouvelles obligations pour les Etats en contournant les processus traditionnels (traité et coutume) par lesquels ceux-ci se lient aux règles du droit international. Selon E. de Wet, la Charte des Nations Unies ne confie au Conseil de sécurité que la gestion de crises spécifiques : celles qui affectent la paix et la sécurité internationales, en d’autres termes « those international crises which have the potential to spark international armed conflict in the short or medium term »889. En vertu des pouvoirs qui lui sont dévolus par la Charte à cette fin, le Conseil de sécurité ne peut intervenir que de manière temporaire en vue, spécifiquement, du rétablissement de la situation présentant un danger pour la paix mondiale. Cette conception du rôle du Conseil de sécurité sur la scène internationale est 884 Idem et ibid., p. 149. 885 Ibid., p. 144. 886 Ibid., p. 144 (« non-justiciable »). « Plus » car DE WET considère que la pratique actuelle du Conseil de sécurité peut théoriquement être soumis à un contrôle de légalité. 887 Ibid., pp. 176-177 et p. 149 ; WEISS, « Security Council Powers », op. cit. note 19, p. 59 (« The wording and the purpose of the Security Council powers prohibit refraining from the requirement of a link between a threat to the peace and a danger of armed hostilities. Otherwise, the Security Council would turn from being a peace enforcer to a law enforcer »). 888 DE WET, The Chapter VII Powers, op. cit. note 20, p. 139 et p. 177. 889 Ibid., p. 139. 239 largement admise en doctrine890 et procède notamment, selon les auteurs, du partage de compétences entre les différents organes des Nations Unies891. A terme, ce serait donc l’efficacité et la crédibilité du Conseil de sécurité, mais aussi celles de l’organisation dans son entier (en raison de la remise en cause de ce partage des compétences), qui seraient affectées par un élargissement des notions de « paix » et de « menace contre la paix »892. Peu importe que cette analyse soit juste ou erronée893. Ce qui importe, c’est de saisir le présupposé qui est à la base de la conception de la menace contre la paix par E. de Wet, mais également par I. Österdahl, ainsi que par d’autres auteurs adeptes de ce que nous avons appelé « la doctrine de la causalité nécessaire ». Ce présupposé est le suivant : la menace contre la paix doit ou devrait être circonscrite à la menace d’une atteinte à la « paix » au sens étroit (ou négatif) du terme car la conception large de la notion de menace contre la paix n’est pas en conformité avec la manière dont les pouvoirs du Conseil de sécurité ont été définis et délimités aux termes de la Charte des Nations Unies. Ou, dit sans ambages : la conception étroite de la menace contre la « paix » doit être préférée à la conception large parce que cette dernière ne constitue pas de limite suffisante à l’étendue des pouvoirs du Conseil de sécurité en vertu du Chapitre VII. Dans ce sens, M. Bothe, après avoir exposé les deux acceptions possibles que peut revêtir la notion de « paix » (la notion-clé, selon lui, de la menace contre la paix), exprime sa préférence pour la définition la plus étroite qui « a au moins l’avantage de la clarté » 894. 890 SOREL, « L’élargissement de la notion de menace contre la paix », op. cit. note 6, p. 47 ; M. MERLE, La crise du Golfe et le Nouvel Ordre international, Economica (1991), p. 53 ; WECKEL, « Le Chapitre VII de la Charte », op. cit. note 702, p. 166. 891 En particulier entre le Conseil de sécurité, l’Assemblée générale et le Conseil économique et social. Dans le même sens que DE WET, voir inter alia P.-M. DUPUY, « Sécurité collective et organisation de la paix », RGDIP (1993), p. 623 ; KOSKENNIEMI, « The Police in the Temple », op. cit. note 6, pp. 342-345 ; MARTENCZUK, Rechtsbindung und Rechtskontrolle, op. cit. note 20, pp. 224-228. 892 DE WET, The Chapter VII Powers, op. cit. note 20, p. 144. 893 On pourrait, en effet, s’interroger sur le caractère presque tautologique de cette argumentation. Dire que le Conseil de sécurité n’est compétent que pour la gestion des crises affectant la paix et la sécurité internationales ne signifie pas automatiquement que la « paix et la sécurité internationales » se réfèrent à la « paix étroite » et donc, que la « paix », contenue dans la notion de menace contre la paix, doit être comprise dans ce sens. Imaginons qu’il soit établi que le Conseil de sécurité est compétent pour traiter des affaires affectant non pas seulement la « paix » au sens étroit mais également la « paix » au sens large du terme. L’expression « paix et sécurité internationales » de l’article 39 prendrait une toute autre signification. Il n’y aurait plus, dès lors, de contradiction entre la compétence du Conseil de sécurité, aux termes de la disposition précitée, de maintenir et de rétablir la « paix et la sécurité internationales » et une conception large de la menace contre la paix ne se limitant pas à la menace de la survenance d’un conflit armé international. 894 BOTHE, « Les limites aux pouvoirs du Conseil de sécurité », op. cit. note 19, p. 72. 240 « Toutes autres conceptions présupposent », selon l’auteur allemand, « une nouvelle définition de la paix qui est difficile à faire et pour laquelle, en l’absence du contrôle judiciaire, il est difficile de trouver des limites »895. Dans ce sens également, J. Frowein et N. Krisch écrivent, dans le commentaire de l’article 39 de la Charte (édition de 2002) faisant autorité en anglais, que : « it may be assumed that ‘peace’ in Chapter VII means the absence of the organized use of force between states. Any extension would result in the contours of the concept becoming completely blurred »896. M. Bothe admet également que la définition de la « menace » est « significative pour l’étendue des pouvoirs du Conseil » de sécurité897 et que la notion de menace contre la paix offre, parmi les autres notions de l’article 39, « les espaces les plus vastes pour une interprétation généreuse et pour une conception large des pouvoirs du Conseil »898. Certes, E. De Wet valide le présupposé exposé supra par une analyse juridique approfondie de la pratique du Conseil de sécurité (dans le sens où la pratique du Conseil de sécurité entérinerait l’acception de la menace contre la « paix » au sens étroit du terme). Cependant, la logique de son argumentation899 laisse très fortement à penser que son analyse a été influencée par ce présupposé. A cet égard, rappelons qu’une résolution du Conseil de sécurité est difficilement interprétable, notamment quant aux éléments ayant motivé le constat 895 Idem. 896 FROWEIN & KRISCH, « Article 39 » (édition de 2002), op. cit. note 578, p. 608 (souligné par nous). Dans l’édition 2012 du commentaire, KRISCH conserve cette approche, « Article 39 », op. cit. note 404, p. 1287 (« UN practice so far does not reflect a sufficiently broad consensus to extend the notion of a threat to the peace to grave violations of human rights as such, in the absence of the risk of armed conflict. This may well change once a sufficiently grave situation brings members to support quick and decisive action. Until then, the scope of the SC’s powers is better seen as more limited », souligné par nous), voir également p. 1288 s’agissant de l’absence de lien direct (selon l’auteur) entre la mise à mal d’un régime démocratique et la notion de menace contre la paix (« This caution [de la part du Conseil de sécurité] is in line with an understanding of SC powers as limited primarily to ‘police’ functions », souligné par nous). Voir aussi MARTENCZUK, Rechtsbindung und Rechtskontrolle, op. cit. note 20, pp. 226-227. 897 BOTHE, « Les limites aux pouvoirs du Conseil de sécurité », op. cit. note 19, pp. 72-73 ; WEISS, « Security Council Powers », op. cit. note 19, p. 58 (« […] the notion and concept of peace is crucial. It inevitably influences the scope of the powers of the Security Council. The more the concept of peace expanded beyond the mere absence of force and embraced broader concepts like a stable social and public order allowing people to act in self-determination, the broader the powers of the Security Council have to be developed. Therefore, the determination of the notion of peace is decisive for the Security Council and its powers »). 898 BOTHE, ibid., p. 72. 899 L’auteure exprime d’abord sa préférence pour une conception « étroite » des concepts de « paix » et de « menace contre la paix » (elle réfute, en effet, les arguments de ceux qui se positionnent en faveur d’une conception large de ces deux notions) avant de procéder à l’analyse de la pratique du Conseil de sécurité à cet égard. D’un point de vue méthodique, l’analyse est donc déjà « orientée ». 241 d’une menace contre la paix. Plusieurs motifs peuvent, en effet, être invoqués par les Etats membres du Conseil de sécurité pour justifier le constat d’une menace contre la paix à l’occasion de l’examen d’une même situation. Certains Etats peuvent ainsi alléguer le risque imminent d’un conflit armé international tandis que les autres mettent l’accent sur la nature de la situation (une crise humanitaire par exemple). En d’autres termes, les premiers établissent un lien entre la situation et la « paix » au sens étroit du terme alors que les seconds assoient leur argumentation sur l’atteinte aux conditions positives de la paix. Dans ces circonstances, il est très probable que la résolution adoptée au final par le Conseil de sécurité sera ambiguë quant aux motifs sur lesquels se fonde le constat de la menace contre la paix. Il n’y a également guère de doute sur le fait que l’auteur qui considère que la conception « positive » de la paix va de pair avec une expansion incontrôlée (et non désirée) du concept de menace contre la paix ainsi que des pouvoirs du Conseil de sécurité s’attachera en priorité aux arguments des Etats membres en rapport avec la conception « étroite » de la paix. Il sera ainsi en mesure de démontrer que, malgré les considérations de certains autres Etats membres attachées à la nature de la situation, c’est le risque d’un conflit armé international qui a fondé le constat par le Conseil de sécurité de l’existence d’une menace contre la paix. L’analyse de la pratique du Conseil de sécurité souffrira dès lors indéniablement d’un certain manque d’objectivité. A l’inverse, certains auteurs partisans d’une lecture plus large de la menace contre la paix et de la « paix » en particulier ne retiendront des débats au Conseil de sécurité que les éléments ayant un rapport avec la « paix positive ». 1.2. Doctrine selon laquelle il n’existe pas toujours un lien de causalité entre le constat d’une menace contre la paix et l’hypothèse d’un conflit armé international Parmi les auteurs qui ne lient pas le constat d’une menace contre la paix à l’hypothèse d’un conflit armé international, on peut distinguer deux courants doctrinaux principaux. 1.2.1. Premier courant doctrinal : l’absence de logique juridique Selon le premier courant, la pratique du Conseil de sécurité relative à la menace contre la paix ne suit aucune logique juridique. Ce courant doctrinal se fonde sur le présupposé selon lequel le Conseil de sécurité dispose d’un pouvoir discrétionnaire illimité aux termes de la Charte et de l’article 39 en particulier900. Ainsi, le Conseil de sécurité détermine l’existence 900 CONFORTI, The Law and Practice of the United Nations, Martinus Nijhoff publishers (2005), pp. 176-177 ainsi que les références indiquées supra note 390. 242 d’une menace contre la paix sans se référer à des critères en particulier901. Comme le relève en effet un de ces auteurs, le constat d’une menace contre la paix est moins considéré par le Conseil de sécurité comme étant une question de substance que de formalité préalable à la mise en œuvre du Chapitre VII902. En d’autres termes : « […] when the Council so determines, a Threat exists, for Chapter Seven purposes. There does not need to be any actual blood on the walls ; or even any oil in the tanker. In theory, the Council could say that a Threat had been caused by, say, the Prince of Liechtenstein challenging one of the Co-Princes of Andorra to a duel with water-pistols »903. Du point de vue de ces auteurs, le risque d’un conflit armé international ne saurait, donc, être considéré comme étant un critère d’application de la menace contre la paix. Sans appartenir ni à ce courant doctrinal (ni strictement à celui exposé ci-dessous), A. Orakhelasvili considère pour sa part que rien, aux termes de la Charte (du Chapitre VII en particulier), n’impose au Conseil de sécurité de justifier le constat d’une menace contre la paix dans une situation donnée par l’existence ou l’hypothèse d’un conflit armé international904. Il estime cependant que la pratique du Conseil de sécurité suit une certaine 901 De manière paradoxale, GILL, qui considère que le Conseil de sécurité n’est pas lié par le droit lorsqu’il constate l’existence d’une menace contre la paix aux termes de l’article 39 et qu’il peut, en conséquence, tout aussi bien décider qu’une guerre civile, des violations des droits de l’homme ou un coup d’Etat constitue une menace contre la paix, précise que cette dernière circonstance (à savoir, « the refusal of a government or opposition group to accept the results of an election ») n’entre, en jeu d’après la pratique du Conseil de sécurité, que « where it involves the outbreak of hostilities between contending fections or causes some aggravation of international tension, significant refugee flows or other (potential) cross-border effects », « Legal and some political limitations », op. cit. note 10, p. 43 (l’auteur se réfère aux cas d’Haïti, CS/RES/841 du 16 juin 1993, et de l’Angola, CS/RES/864 du 15 septembre 1993). Les éléments cités par GILL rattachent la menace contre la paix à la « paix » au sens étroit du terme bien que l’auteur n’aboutisse pas lui-même à cette opinion. 902 M. BERDAL, « The Security Council, peacekeeping and internal conflict after the cold war », 7 Duke JCIL (1996), p. 76. 903 BOYD, Fifteen Men, op. cit. note 658, p. 226. Voir aussi p. 224 : « As far as the UN is concerned, there is Threat (or a Breach) when the Council decides that there is one » ; dans le même sens, M. REISMAN, « Peacemaking », 18 Yale JIL (1993), p. 418. 904 ORAKHELASVILI, « The Power of the UN Security Council to Determine », op. cit. note 646, p. 78. Le raisonnement de l’auteur est le suivant : « The Chapter VII enforcement powers of the Council can, by their very essence, be applied in situations not transcending national borders of one State or not involving the use of systematic and organised force. The Council possesses the power to make choice among various enforcement measures under Chapter VII. It is empowered to resort to non-forcible compulsory sanctions in a situation not amounting to an armed conflict. Therefore, the suggestion that the notion of a threat to the peace is inextricably linked with armed conflicts is unfounded ». Nota : l’auteur ne peut pas être considéré comme appartenant au second courant doctrinal dans la mesure où il ne considère pas que certaines situations menacent « par nature » la paix et la sécurité internationales au sens de l’article 39 mais que la détermination d’une menace contre la paix dans des circonstances non directement liées à l’hypothèse d’un conflit international et purement internes est rendue possible par le large pouvoir discrétionnaire du Conseil de sécurité, voir en particulier p. 71 (il estime cependant que ce pouvoir est limité, notamment par les buts et principes de la Charte ainsi que par le principe de proportionnalité). 243 logique juridique. Il affirme en effet que, malgré le large pouvoir discrétionnaire dont le Conseil de sécurité dispose aux termes de l’article 39, la notion de menace contre la paix est un concept « whose content can be identified by reference to objective and observable criteria »905. 1.2.2. Second courant doctrinal : la conception classique (étroite) de la menace contre la paix est juridiquement dépassée (la doctrine de la menace contre la paix « par nature ») Selon le second courant doctrinal, la conception classique de la notion de menace contre la paix, qui était liée à l’hypothèse d’une rupture de la paix, ne correspond plus à la conception actuelle du concept dans la pratique du Conseil de sécurité. En d’autres termes, la conception traditionnelle de la menace contre la paix, liée à la « paix » au sens étroit du terme, est juridiquement dépassée906. Si la plupart de ces auteurs admettent, en effet, que la conception classique de la menace contre la paix correspond au sens originel (à la « normativité originaire » selon les termes de M. Zambelli) de la notion 907 , ils considèrent que l’interprétation de la notion par le Conseil de sécurité depuis la fin de la guerre froide a eu pour effet de délier la menace contre la paix de l’exigence du risque d’un conflit armé international908 (ce qui n’empêche pas ces auteurs de considérer qu’une menace de conflit armé international constitue une menace contre la paix au « sens classique » du terme909). Dans le même temps, cette nouvelle pratique du Conseil de sécurité a enrichi la menace contre la paix d’un contenu dit « positif », c’est-à-dire en lien avec la « paix positive »910. Il n’y a plus lieu d’éviter la survenance d’un conflit imminent mais de préserver les conditions structurelles d’une paix durable. Ainsi, selon les termes du commentaire de l’article 39 de la Charte qui fait autorité en français : 905 Ibid., p. 62. 906 SHRAGA, « The Security Council and Human Rights », op. cit. note 577, pp. 12-13. 907 ZAMBELLI, voir supra note 12. 908 CAHIN, « La notion de pouvoir discrétionnaire », op. cit. note 253, p. 569 : « Indépendante de l’existence ou du risqué d’un conflit armé international » ; GORDON, « United Nations Intervention », op. cit. note 477, p. 527 : « the international community is moving towards a new definition of ‘threat’ to the peace that requires something less than even the potential for incursions across international boundaries » (l’auteure parvient à cette conclusion à partir de son analyse du cas de la Somalie en 1992 : « the humanitarian crisis in and of itself was the ‘threat’ to the peace in Somalia » (p. 573), confirmée par le cas d’Haïti en 1994 : « the finding of a ‘threat’ to the peace seems to have been the existence of the regime itself » (idem)). Contra : DE WET, voir supra note 876 (et note 878 s’agissant d’Haïti). 909 Il s’agit de ce que KRISCH appelle le « settled core » du débat relatif au contenu de la notion de menace contre la paix de l’article 39 ou une « classical security threat », « Article 39 », op. cit. note 404, p. 1279 et p. 1280 et p. 1283 respectivement ; SHRAGA, « The Security Council and Human Rights », op. cit. note 577, p. 12 (« an international armed conflict – the classic concept of a ‘threat to the peace’ »). 910 N. SCHRIJVER, « The Future of the Charter of the United Nations », 10 Max Planck UNYB (2006), pp. 9-10. 244 « […] le temps n’est plus à comprendre la ‘paix’ en un sens étroit, purement sécuritaire. Sans nier cette dimension essentielle, elle doit s’entendre désormais de manière large et englobante. En ce sens, ce n’est plus tant de ‘paix’ dont il peut être fondamentalement question au titre du Chapitre VII, que de la préservation d’un certain ‘ordre social’, celui de la ‘communauté internationale’ »911. Selon ces auteurs, le constat d’une menace contre la paix ne résulte plus des effets d’une situation sur la « paix » au sens strict du terme mais de la nature de cette situation. En d’autres termes, la situation est considérée par le Conseil de sécurité comme étant une menace contre la paix en raison de ses caractéristiques endogènes par opposition à ses caractéristiques exogènes (c’est-à-dire ses répercussions internationales)912. Dans ce sens, une situation prima facie purement interne est susceptible de constituer une menace contre la paix selon le Conseil de sécurité s’il existe certains éléments qui comportent, par nature, une dimension internationale. Il en a été ainsi, par exemple, de « l’impératif humanitaire » (« the humanitarian imperative ») qui a justifié, selon N. Blokker et M. Kleiboer, la mise en œuvre du Chapitre VII vis-à-vis des situations en Somalie, au Rwanda et en Géorgie, de même que le souci de protection de la démocratie qui a suscité, selon ces deux auteurs, le constat d’une menace contre la paix s’agissant des situations à Haïti, en Angola et au Liberia913. La situation, par nature, intéresse le reste de la communauté internationale, soit du fait qu’elle choque les consciences : « When a state commits cruelties in such a way as to deny the fundamental human rights of its nationals and to shock the conscience of mankind, the situation ceases to be of sole concern to that State »914, 911 D’ARGENT et al., « Article 39 », op. cit. note 21, p. 1164. Par contraste, le commentaire rédigé par G. COHEN-JONATHAN dans l’édition 1985 du même ouvrage considère, d’un côté, que la menace contre la paix peut à la fois couvrir l’hypothèse d’un conflit armé entre Etats qu’une « situation interne grave qui menace la paix parce que l’on peut s’attendre à ce qu’elle ait des répercussions internationales » (épousant donc a priori la théorie de la « causalité nécessaire ») et de l’autre côté, que le Conseil de sécurité dispose d’un tel pouvoir discrétionnaire aux termes de l’article 39 qu’il peut constater l’existence d’une menace contre la paix même dans le cas où un conflit interne serait parfaitement maintenu à l’intérieur des frontières d’un Etat, « Article 39 », op. cit. note 517, p. 655. Un peu plus loin dans son commentaire, il entrevoit cependant le changement de paradigme entre la « paix » au sens étroit et la « paix » au sens large lorsqu’il note, s’agissant de la situation en Afrique du Sud, que : « les motifs de ‘légalité’ prennent le relais de ceux tirés de l’ordre public international et de la sécurité proprement dit » (ibid., p. 657) dans la pratique du Conseil de sécurité relative au constat d’une menace contre la paix (sous l’impulsion, note-t-il, de l’Assemblée générale qui souhaitait sanctionner un régime dictatorial, colonial et raciste jugé intolérable). 912 FARRALL, United Nations Sanctions, op. cit. note 577, pp. 81-105. 913 BLOKKER & KLEIBOER, « The Internationalization of Domestic Conflict », op. cit. note 816, pp. 32-33. 914 WEISS, « Security Council Powers », op. cit. note 19, p. 51 (bien que, paradoxalement, l’auteur considère que la « paix » au sens étroit du terme doive être affectée pour que le Conseil de sécurité constate une menace contre la paix aux termes de l’article 39). 245 soit en raison du caractère fondamental, pour l’ordre juridique international, de la norme violée (ce qui, s’agissant du droit international des droits de l’homme, se recoupe avec la proposition précédente)915. Pour illustrer le changement de paradigme intervenu, s’agissant de la notion de menace contre la paix, entre la « paix » au sens étroit et la « paix » au sens large, les auteurs s’appuient notamment sur la fameuse déclaration du président du Conseil de sécurité du 31 janvier 1992, déjà citée supra, selon laquelle : « L’absence de guerre et de conflits armés entre Etats ne garantit pas à elle seule la paix et la sécurité internationales. D’autres menaces de nature non militaire à la paix et à la sécurité trouvent leur source dans l’instabilité qui existe dans les domaines économique, social, humanitaire et écologique »916. Sur la base de cette déclaration, les auteurs établissent un lien entre, d’un côté, les sources d’instabilité pour la paix et la sécurité internationales de nature non-militaire, et de l’autre côté, l’objet de la menace, à savoir « la paix ». La « paix » se détache dès lors, dans leur perspective, de la circonstance strictement militaire (ou sécuritaire) de l’absence de conflits armés. Ces auteurs en concluent qu’une menace contre la paix peut résulter de sources d’instabilité qui ne sont pas directement en lien avec un conflit armé international917. M. Zambelli s’appuie pour sa part sur ce qu’il a appelé « les éléments interprétatifs fournis par le contexte extérieur » (par « contexte extérieur », il faut entendre « extérieur à la pratique du Conseil de sécurité ») 918. Il s’agit, dans la perspective de l’herméneutique juridique 915 CAHIN, « La notion de pouvoir discrétionnaire », op. cit. note 253, p. 569 : « la menace associe aujourd’hui à des situations de fait […] des violations graves d’obligations estimées essentielles pour la communauté internationale dans son ensemble, au premier rang desquelles, outre le recours à la force armée, les violations systématiques et à grande échelle des droits de l’homme et surtout du droit international humanitaire, le génocide, le soutien aux actions terroristes » ; voir WRIGHT supra note 878 s’agissant du principe de l’autodétermination et des droits de l’homme (« international obligations ») ainsi que la suite de ses développements au cours de son intervention : « While civil strife may result in barbarities which ‘shock the conscience of mankind’ and may, therefore, present humanitarian aspects which have in the past been utilized as justification for intervention, it would seem that at the present time remedial measures involving intervention belong, not to states indivually, but to the United Naitons, in pursuance of its responsibilities concerning human rights » (idem). 916 Note du président du Conseil de sécurité à l’issue de la 3046e séance tenue le 31 janvier 1992 et consacrée à la question intitulée « La responsabilité du Conseil de sécurité en ce qui concerne le maintien de la paix et de la sécurité internationales », S/23500, p. 3. 917 SCHÄFER, Der Begriff, op. cit. note 12, p. 265 (l’auteur souligne également que la Charte permet une interprétation de la notion de menace contre la paix qui se base sur une conception positive de la « paix », voir à ce sujet infra, titre III, 1.2.3.) ; SHRAGA, « The Security Council and Human Rights », op. cit. note 577, p. 13 ; WELLENS, « New Threats to the Peace », op. cit. note 16, p. 28 (qui considère cette déclaration comme étant le point de départ de l’élargissement de la notion de « paix » et par conséquent de celle de menace contre la paix). 918 ZAMBELLI, La constatation, op. cit. note 12, p. 312. GOWLLAND-DEBBAS parle, pour évoquer la même idée, du « systemic framework », « The Security Council as Enforcer of Human Rights », op. cit. note 10, p. 37. 246 contemporaine919, de saisir le cadre plus large dans lequel la pratique du Conseil de sécurité s’inscrit et que, de fait, le Conseil ne peut ignorer lorsqu’il prend des décisions ou des recommandations. Ce contexte reflète les sentiments et les expectatives de la communauté internationale. Ainsi, M. Zambelli met en exergue la tendance croissante, notamment dans le cadre de l’Organisation des Nations Unies, de considérer que la protection des droits de l’homme participe au maintien de la paix et de la sécurité internationales920. Il souligne également l’évolution subie par la réglementation relative aux droits de l’homme sur le plan international et le rang dont certains droits de l’homme jouissent dans la hiérarchie des normes en droit international (obligations erga omnes et normes de jus cogens)921. Il en déduit que, si l’on accepte de considérer le Conseil de sécurité comme étant « un organe assurant le respect des obligations essentielles de l’ordre juridique international »922, il existe une certaine logique à ce que le Conseil de sécurité détermine que la violation de ces obligations (en l’occurrence, du droit international des droits de l’homme) constitue une menace contre la paix923. Selon M. Zambelli donc, c’est en tenant compte de l’évolution des aspirations de la communauté internationale, vers une protection croissante de la personne humaine notamment, que le Conseil de sécurité a enrichi la « paix » d’un contenu « positif ». Dans la perspective d’une interprétation dynamique de la Charte, le constat d’une menace contre la paix par le Conseil de sécurité est ainsi directement lié à la question de savoir si les conditions de la « paix positive » sont menacées, sous réserve que l’on admette (en premier lieu le Conseil de sécurité) que ces conditions correspondent aux intérêts fondamentaux de l’ordre juridique international924. Cette conclusion s’approche de celle de P. Jessup qui considérait, dès 1948, que la notion de menace contre la paix se trouvait au cœur d’un mécanisme de réaction collective en réponse aux violations du droit international. 919 Voir supra ZAMBELLI note 12. 920 ZAMBELLI, La constatation, op. cit. note 12, pp. 313-314. 921 Ibid., pp. 314-318. 922 Ibid., p. 326. Il s’agit de la « thèse » (au sens propre et institutionnel du terme) de ZAMBELLI, c’est-à-dire que son travail vise pour l’essentiel à démontrer que la pratique du Conseil de sécurité post-guerre froide témoigne de l’évolution du rôle du Conseil de sécurité dans ce sens. 923 Ibid., p. 328 : « L’admission d’une relation directe entre violation d’obligations essentielles et menace contre la paix est fondée dès lors que l’on admet une interprétation dynamique de la Charte ». 924 ZAMBELLI, La constatation, op. cit. note 12, p. 328. 247 Dans son ouvrage A Modern Law of Nations, Jessup oppose le droit international classique (« traditional international law »), antérieur à la Charte des Nations Unies, au droit international moderne (« modernized law of nations ») issu de la Charte. Ce droit international moderne, dont Jessup propose dans son ouvrage de jeter et d’explorer les bases conceptuelles, doit selon l’auteur notamment reposer sur l’idée que : « there must be basic recognition of the interest which the whole international society has in the observance of its law. Breaches of the law must no longer be considered the concern of only the state directly and primarily affected. There must be something equivalent to the national concept of criminal law, in which the community as such brings its combined power to bear upon the violator of those parts of the law which are necessary to the preservation of the public peace »925. La paix est considérée comme un bien commun (« public peace »), c’est-à-dire que tous les membres de la communauté internationale ont un intérêt à ce qu’elle soit préservée926. Ainsi, alors que le droit international classique était fondé sur le droit souverain de l’Etat de recourir, en dernier ressort, à la force armée927, le droit international moderne est marqué par la quasi-substitution de l’Etat par l’Organisation des Nations Unies dans le maintien de la paix et de la sécurité internationales 928 . Dans le droit international moderne, les mesures individuelles sont supplantées par des mesures collectives, la légitime défense étant l’unique exception de l’interdiction pour les Etats de recourir individuellement à la force armée. Le mécanisme du « self-help » (c’est-à-dire, le recours à la force par un Etat aux fins de protéger ses ressortissants dont la vie ou la propriété serait menacée sur le territoire d’un autre Etat) illustre ce changement de paradigme. Licite en droit international classique, le « self-help » constitue dans le cadre de la Charte des Nations Unies une rupture de la paix ou une menace contre la paix, selon P. Jessup, dès lors qu’il s’agit d’une mesure individuelle de recours à la force armée929. 925 Ibid., p. 2 (souligné par nous). 926 Ibid., p. 159. Voir aussi p. 11 : « The philosophy underlying the Charter of the United Nations clearly embraces the notion of the community interest in matters affecting international peace » ; dans ce sens également, DUPUY, « Sécurité collective et construction de la paix », op. cit. note 615, p. 46 (« désormais, la paix internationale est un bien invidis, sorte de patrimoine commun avant la lettre, partagé par tous les Etats et dont tous sont également tributaires parce que chacun peut en être le destructeur aussi bien que la victime »). 927 P. JESSUP, A Modern Law of Nations : An Introduction, MacMillan (1948), p. 11. Voir aussi p. 157. 928 Ibid., p. 170 (« a modernized law of nations should insist that the collective measures envisaged by Article 1 of the Charter shall supplant the individual measures approved by traditional international law »). 929 Ibid., p. 169. Plus précisément, JESSUP estime que la mesure de « self-help », qui est par nature une mesure individuelle, est incompatible avec l’article 1 § 1 de la Charte qui dispose que le but des Nations Unies de maintenir la paix et la sécurité internationales doit être accompli par des « mesures collectives efficaces en vue de prévenir et d’écarter les menaces à la paix et de réprimer tout acte d’agression ou autre rupture de la paix » (mis en italique par JESSUP dans le texte original en anglais). Voir aussi p. 172 : « Reading the Charter as a whole, it is impossible to escape the conclusion that the Organization is responsible for the substitution of 248 Dans la perspective de P. Jessup, le constat d’une menace contre la paix par le Conseil de sécurité vient donc sanctionner, au nom de la communauté internationale, le manquement à la règle de l’interdiction du recours à la force dans la mesure où chacun de ses membres a un intérêt à ce que cette règle soit respectée. Cet intérêt réside dans la préservation de la paix. Ainsi, P. Jessup considère, dès les premières années de vie de l’Organisation des Nations Unies, que la menace contre la paix ne saurait être interprétée de manière trop étroite, en premier lieu la notion de « paix » : « It might be argued that the provisions of Chapter VII of the Charter […] were drafted with an eye to cases in which it was necessary to apply collective measures of force against a state which had begun or was about to begin a forcible attack on another state’s territory, and that they are not applicable to a situation such as the Nicaraguan incident of 1926, where the territorial safety of the United States was never endangered. But the language of the articles in Chapter VII is not so limited, and significance may be attached to the use of the term ‘threats to the peace’ and ‘breaches of the peace’ in addition to the term ‘acts of aggression’. Peace may be threatened by the need of the individual state to use selfhelp for the protection of its nationals as well as by the aggression of one state against another. It would be a narrow and stultifying interpretation of the Charter to assert that ‘peace’ is used in that instrument only as the antonym of ‘war’ and that therefore peace is not threatened or breached unless 930 war is in the offing or has broken out » . De cet exposé de la doctrine de P. Jessup découlent plusieurs remarques et interrogations. Premièrement, on peut s’interroger de savoir si la menace contre paix, dans la perspective de Jessup, fait partie d’un mécanisme de réaction collective contre : - les infractions à la règle de l’interdiction du recours à la force (articles 2 § 4 et 1 § 1 de la Charte) uniquement ? - les violations de certaines normes du droit international jugées essentielles, au même titre que les entend E. Root en 1915 (« violations of the law of such a character as to threaten the peace and order of the community of nations »931) ? - les violations du droit international considéré dans son ensemble ? P. Jessup ne répond pas clairement à cette question lorsqu’il écrit : « the discussion will proceed on the hypothesis that a new principle is accepted, in this instance the 932 principle of community interest in the prevention of breaches of international law » . collective measures of the individual measures of self-help which were legalized by international law before the world community was organized ». 930 Ibid., p. 171 (souligné par nous). JESSUP fait référence, dans ce passage, à l’intervention des Etats-Unis dans la guerre civile au Nicaragua en 1926 aux fins de protéger leurs ressortissants. 931 E. ROOT, « The Outlook of International Law », ASIL Proc. (1915), p. 9 (souligné par nous), cité par JESSUP, ibid., p. 11. 932 Ibid., p. 12 (souligné par nous). 249 Deuxièmement, le constat d’une menace contre la paix par le Conseil de sécurité n’est pas nécessairement lié pour P. Jessup à l’existence d’une menace physique et immédiate pour l’indépendance politique et l’intégrité territoriale des autres Etats (« where the territorial safety of the United States was never endangered »)933. En effet, c’est par l’intermédiaire de leur intérêt commun pour la préservation de la paix que la paix et la sécurité de tous les Etats sont menacées. Il peut donc exister une menace contre la paix sans risque immédiat de conflit armé international. Cependant, en lien avec ce qui vient d’être dit ci-dessus, P. Jessup n’est pas très clair quant à ce qui est susceptible de menacer la préservation de la paix : s’il s’agit principalement de la violation par un Etat de la règle de l’interdiction du recours à la force, laquelle est applicable, aux termes de l’article 2 § 4, uniquement aux relations entre Etats, cela revient à dire que la paix est menacée quand il existe un conflit armé international (qui se définit comme le recours à la force armée entre deux Etats au moins) ou, du moins, « un risque de ». P. Jessup n’est pourtant pas aussi restrictif s’agissant des cas qui seraient susceptibles, selon lui, de donner lieu à une intervention du Conseil de sécurité en vertu du Chapitre VII. Ainsi, il considère que la guerre civile au Nicaragua en 1926 ayant suscité une intervention américaine (en application du mécanisme du « self-help ») donnerait lieu dans le cadre de la Charte des Nations Unies à une intervention du Conseil de sécurité par le phénomène de substitution de l’Etat par l’Organisation dont il a été question plus haut (dans le cadre de la Charte des Nations Unies, P. Jessup précise que l’intervention américaine aurait été considérée comme étant illégale)934. De manière plus générale, il soutient que : « No doubt the Security Council could determine that a civil war constituted a ‘threat to the peace’ under Article 39 of the Charter »935. Il n’est pas clair si P. Jessup se réfère à la large marge d’appréciation dont dispose le Conseil aux termes de l’article 39 ou au risque inhérent à ce que toute guerre civile évolue en un conflit armé international. En tout état de cause, la doctrine de P. Jessup a ceci de particulière qu’elle envisage dès 1948 que la menace contre la paix doit être interprétée de manière large, c’est-à-dire de manière plus large que liée au risque d’un conflit armé international, dans la mesure où elle a été conçue par les rédacteurs de la Charte comme étant le maillon d’un mécanisme de réaction 933 Voir supra la citation entière dans le corps du texte auquel se rapporte la note 930. JESSUP fait le lien, à cet égard, avec l’article 11 du Pacte de la SDN qui dispose : « […] toute guerre ou menace de guerre, qu’elle affecte directement ou non l’un des Membres de la Société, intéresse la Société tout entière […] ». 934 JESSUP, ibid., p. 170. 935 Ibid., p. 54. 250 collective contre les violations du droit international936. Sa doctrine n’établit donc pas de distinction de type chronologique entre une conception dite « classique », c’est-à-dire originelle, de la menace contre la paix qui serait liée au risque d’un conflit armé international et une conception plus large qui serait apparue avec la pratique du Conseil de sécurité postérieure aux années 1990. P. Jessup considère en effet dès les premières années d’existence de l’Organisation des Nations Unies que la menace contre la paix ne doit pas être réduite à sa signification la plus étroite, liée à l’hypothèse d’un conflit mondial, au risque de vider la notion de sa substance. Cette substance, c’est précisément le résultat de l’œuvre créatrice, juridiquement parlant, des rédacteurs de la Charte des Nations Unies, œuvre dont la menace contre la paix constitue la clef de voûte : avoir placé au-dessus de la souveraineté individuelle des Etats le souci de protection d’un bien public, la paix et la sécurité internationales937. En cela, la doctrine de P. Jessup est extrêmement intéressante. Elle est visionnaire, même, s’agissant du rôle joué par la notion de menace contre la paix dans le cadre de la Charte des Nations Unies lorsqu’on considère l’analyse faite par une certaine partie de la doctrine de la pratique du Conseil de sécurité postérieure aux années 1990, à savoir que le constat d’une menace contre la paix par le Conseil de sécurité intervient, dans certains cas, en réaction à la violation d’obligations fondamentales de l’ordre juridique international938. 1.2.3. Le Conseil de sécurité, garant de la « paix positive » au nom des Nations Unies ? 936 Contra : KELSEN, The Law of the United Nations, op. cit. note 14, p. 294 (« the purpose of the enforcement action under Article 39 is not to maintain or restore the law, but to maintain or restore peace, which is not necessarily identical with the law »). 937 Dans ce sens également, SIMMA, « From Bilateralism to Community Interest », op. cit. note 416, pp. 257258. 938 Voir les références citées par ZAMBELLI, La constatation, op. cit. note 12, pp. 326-327, n. 1767-1787, dont B. GRAEFRATH, « International Crimes and Collective Security », in : K. WELLENS (éd), International Law : Theory and Practice, Essays in Honour of Eric Suy (1998), p. 246, qui écrit que le Chapitre VII « is the only agreed procedure to bring about a collective decision concerning a most serious violation of international law which threatens the international community » et P.-M. DUPUY, « The Constitutional Dimension of the Charter of the United Nations Revisited », 1 Max Planck UNYB (1997), p. 22, qui relève que la pratique du Conseil de sécurité couvre « not only the situations creating a risk of armed conflict but also several cases in which it seemed that the threat did not concern peace but the respect of some ‘international obligations so essential for the protection of fundamental interests of the international community’ that their breach ‘is recognized as a crime by that community as a whole’ ». Voir aussi GOWLLAND-DEBBAS, « The Security Council as Enforcer of Human Rights », op. cit. note 10, p. 49 (« such breaches of self-determination and other human rights, had been considered threats to the peace only in order that the mechanism provided for in the Charter as a response to such threats could be extended to them, the intention being law enforcement. Il could be argued therefore that in certain cases, in view of the fundamental nature of the norms in question, a process of collective enforcement of such norms has been sought by linking their violation to the consequences of the Chapter VII regime », à propos, déjà, de la situation en Rhodésie du Sud dans le contexte de la guerre froide). 251 Les auteurs qui défendent la théorie selon laquelle la menace contre la paix serait liée à une conception « positive » de la paix se basent sur certaines des résolutions adoptées par le Conseil de sécurité à partir des années 1990 pour affirmer que celui-ci a déterminé l’existence d’une menace contre la paix en raison de la nature de la situation, plutôt qu’en raison de ses effets, c’est-à-dire, en raison des qualités intrinsèques de la situation plutôt qu’en raison de ses répercussions internationales et du risque d’un conflit armé international qui en découle. Néanmoins, ainsi que nous avons déjà mis en garde le lecteur, l’interprétation d’une résolution du Conseil de sécurité constatant une menace contre la paix se révèle être une tâche ardue en raison de l’ambiguïté qui pèse sur les motifs de ce constat. En effet, comme on l’a déjà fait remarquer, la teneur des débats au Conseil de sécurité de même que les termes de la résolution peuvent donner lieu à plusieurs interprétations, que l’on peut considérer comme étant complémentaires ou divergentes : des éléments relatifs aux dangers des répercussions internationales de la situation coexistent souvent avec des éléments relatifs à la nature de la situation qui menaceraient, en soi, la paix et la sécurité internationales. En fonction du poids respectif que l’on accorde à ces éléments, on parvient à la conclusion que le Conseil de sécurité privilégie une conception étroite ou large de la notion de menace contre la paix. Notons que, même si la résolution et les débats parmi les Etats membres laissent uniquement transparaître des arguments relatifs à la nature de la situation, l’argument relatif au risque des répercussions internationales de la situation a néanmoins pu justifier, de manière officieuse, l’intervention du Conseil de sécurité en vertu du Chapitre VII. Ceci étant considéré, l’interprète d’une résolution du Conseil de sécurité doit donc veiller à ne pas retenir les arguments des Etats ou les éléments de la résolution qui confortent son hypothèse de départ ou un présupposé quelconque qu’il aurait. Dans ce sens, nous avons vu que le présupposé selon lequel les notions de paix et de menace contre la paix ne sauraient être entendues trop largement, en raison des conséquences sur l’étendue des pouvoirs du Conseil de sécurité que cette interprétation aurait, est susceptible d’orienter la conclusion de l’interprète en faveur d’une conception étroite de la « paix » et de la menace contre la paix. Un écueil similaire guette les auteurs qui affirment que la « nouvelle pratique » 939 du Conseil de sécurité témoigne de ce que le constat d’une menace contre la paix n’est plus (ou pas) lié au risque d’un conflit armé international mais aux conditions positives de la « paix ». Ces auteurs pourraient en effet être influencés dans leur analyse de deux manières. 939 C’est-à-dire, postérieure à 1990. 252 Premièrement, une conception large de la « paix » ressort tant de la pratique de l’Organisation des Nations Unies dans son ensemble (a) que de la Charte (b). a) Comme on l’a vu précédemment s’agissant des « éléments interprétatifs offerts par le contexte extérieur » à prendre en considération dans le cadre d’une interprétation dynamique de la Charte selon M. Zambelli, l’Organisation des Nations Unies privilégie depuis la fin de la guerre froide une vision « globalisante » de la « paix » qui ne correspond pas seulement à l’absence de conflits armés. La sécurité, non plus des Etats mais des individus, devient au centre des préoccupations selon le concept désormais bien connu de « sécurité humaine » : « The concept of global security must be broadened from the traditional focus of security of states to include the security of people and the security of the planet » 940. Selon les termes de K. Annan : « le plus important, c’est que l’être humain soit au centre de tout ce que nous faisons »941. La prévention est privilégiée vis-à-vis de la répression (les mesures coercitives notamment) : « il vaut mieux prévenir que guérir » ainsi que le note K. Annan dans son rapport Nous, les peuples942. Cette stratégie implique, selon l’ancien Secrétaire général des Nations Unies, qu’il faille s’attaquer aux « racines du mal » et non pas seulement aux actes de violence « qui en sont les symptômes »943. Il précise à cet égard, dans son rapport intitulé Dans une liberté plus grande, que la sécurité, le développement et les droits de l’homme 940 B. DE CARVALHO & N. NAGELHUS SCHIA, UN Reform and Collective Security. An Overview of PostCold War Initiatives and Proposals, Working Papers from Norsk Utenrikspolitisk Institutt (2004), p. 9 (à propos du programme de la 51e session de l’Assemblée générale (1997) qui traduit, selon eux, « a shift in security comprehension ») ; voir aussi les rapports des anciens secrétaires généraux des Nations Unies: B. BOUTROSGHALI, Agenda pour la paix (1992) et Agenda pour le développement (1994) ; K. ANNAN, Nous, les peuples. Le rôle des Nations Unies au XXIe siècle (2000) et Dans une liberté plus grande: développement, sécurité et respect des droits de l’homme (2005) ; Un monde plus sûr: notre affaire à tous (2004), rapport du Groupe de personnalités de haut niveau sur les menaces, les défis et le changement, commandité et endossé par K. ANNAN ; les rapports Cooperating for Peace: The Global Agenda for the 1990s and Beyond (1993) par G. EVANS ; Our Global Neighborhood (1995) par la Commission on Global Governance ; La responsabilité de protéger, rapport de la CIISE (2001), op. cit. note 807, qui ont été pris en consideration par les organes des Nations Unies ; sur cette problématique en général, voir P. DANCHIN & H. FISCHER (éds), United Nations and the New Collective Security, CUP (2010). 941 Nous, les peuples, ibid., § 16. Voir aussi § 10 : « Bien que l’ONU soit une organisation d’Etats, la Charte est écrite au nom des peuples (‘Nous, peuples…’) ». 942 Ibid., § 197. Dans ce sens également et s’agissant en particulier des « menaces contre la sécurité internationale » (voir infra sur la notion de « menace contre la sécurité internationale »), voir le rapport Un monde plus sûr, op. cit. note 940, p. 26 : « Il s’agira avant tout pour l’ONU et ses Membres de faire en sorte que les menaces lointaines ne deviennent pas imminentes et que les menaces imminentes ne se concrétisent pas. A cette fin, il faudra se doter d’un cadre d’action préventive qui permette d’appréhender toutes ces menaces dans leurs diverses manifestations ». 943 Nous, les peuples, note 940, § 198. 253 doivent être considérés comme étant indissociables944. La sécurité collective est entendue de maniière « globale »945. Il apparaît toutefois que c’est le concept de « sécurité » (en particulier celui de « sécurité collective »), plus que celui de « paix », qui fait l’objet d’une redéfinition par les Nations Unies (le Secrétaire général au premier plan)946, bien que K. Annan inclue dans le concept de « sécurité collective » les « menaces pour la paix et la sécurité » 947 . Le groupe de personnalités de haut-niveau sur les menaces, les défis et le changement, dont le rapport Un monde plus sûr a été endossé par K. Annan, donne quant à lui une définition de ce que constitue, au début du XXIe siècle, une « menace contre la sécurité internationale »948. La notion se réfère, selon le groupe de personnalités de haut-niveau, à : « Tout événement ou phénomène meurtrier ou qui compromet la survie et sape les fondements de l’Etat en tant qu’élément de base du système international »949. Il n’est donc pas clair si le groupe de personnalités de haut-niveau entend se référer, par cette définition de la menace contre la « sécurité » internationale, au concept de menace 944 Dans une liberté plus grande, op. cit. note 940, § 14 ; ANNAN s’inspire de ce point de vue du rapport du groupe de personnalités de haut niveau, Un monde plus sûr, op. cit. note 940, p. 11 (« la sécurité est inséparable du développement économique et de la liberté ») ; voir également le World Summit Outcome Document (2005) adopté par l’Assemblée générale le 16 septembre 2005, AG/RES/60/1, § 9. 945 Introduction d’ANNAN au rapport Un monde plus sûr, ibid., p. 2. 946 Nous, les peuples, op. cit. note 940, § 194 (« Du fait de ces conflits [internes], le concept de sécurité a peu à peu acquis un sens nouveau [à partir des années 1990]. Alors que naguère il consistait à défendre le territoire contre les attaques extérieures, il s’agit aujourd’hui de protéger les communautés et les individus des actes de violence internes »), § 195 (« La nécessité d’une approche centrée sur la sécurité se fait encore plus pressante lorsque l’on considère les menaces que les armes de destruction massive continuent de faire peser sur l’humanité, surtout les armes nucléaires »), § 197 (« les nouveaux défis qui se posent en matière de sécurité »), mis en italique par nous ; Dans une liberté plus grande, op. cit. note 940, § 23 (« Agir résolument aujourd’hui est le seul moyen de faire face aux problèmes de sécurité qui nous assaillent »), mis en italique par nous ; Un monde plus sûr, op. cit. note 940, pp. 11-12. Ce que confirme également par son titre et son champ d’investigation l’ouvrage collectif cité supra note 940 (DANCHIN & FISCHER, United Nations and the New Collective Security) qui analyse notamment ces rapports en détail. 947 Dans une liberté plus grande, ibid., § 78. 948 Mis en italique par nous. Ainsi que le note et le regrette L. BOISSON DE CHAZOURNES dans son article « Rien ne change, tout bouge, ou le dilemme des Nations Unies. Propos sur le Rapport du Groupe des personnalités de haut niveau sur les menaces, les défis et le changement », RGDIP (2005), p. 152. Elle note que le « prisme [du rapport] était celui de la sécurité collective » et regrette cette approche sécuritaire dans la mesure où elle tend à restreindre la portée des objectifs et des buts des Nations Unies : « la marque de la ‘sécurisation’ comporte en effet le risque d’actions prises dans l’urgence et à titre exceptionnel », or « l’exceptionnel et l’action ad hoc présentent le risque d’un effritement des principes d’action, qu’ils soient politiques ou juridiques » (idem). 949 Un monde plus sûr, op. cit. note 940, p. 12. 254 contre la paix de l’article 39 de la Charte950. Si certaines des menaces contre la « sécurité internationale » citées par le rapport correspondent à la pratique du Conseil de sécurité aux termes de cette disposition (ainsi en est-il des « conflits entre Etats », des « conflits internes (guerres civiles, génocide et autres atrocités) », de « armes nucléaires, radiologiques, chimiques et biologiques », du « terrorisme » et de la « criminalité transnationale organisée »), la première catégorie de « menaces » citées n’a jamais donné lieu à un constat de menace contre la paix en tant que tel par le Conseil de sécurité, à savoir « les menaces d’ordre économique et social (pauvreté, maladies infectieuses, dégradation de l’environnement, etc.)951. En effet, si le Conseil de sécurité a pu estimer que ces circonstances étaient susceptibles de constituer un danger pour la paix et la sécurité internationales et d’engager sa responsabilité à ce titre, aucun constat ou aucune action aux termes du Chapitre VII n’a jusqu’à présent eu lieu952. Nous estimons, pour notre part, que cette définition ne correspond pas exactement à celle de la menace contre la paix de l’article 39 telle que cette dernière ressort de la pratique du Conseil de sécurité, tout en reconnaissant qu’il y a quelques recoupements entre ces deux notions quant aux catégories de « menaces » visées. Cette définition a, selon nous, la valeur de « doctrine » selon la théorie des sources du droit international, c’est-à-dire qu’elle ne constitue pas une « source de droit » à proprement parler mais un « moyen auxiliaire de détermination des règles de droit »953. b) Comme le soulignent plusieurs auteurs dont B. Simma, certaines dispositions de la Charte témoignent également de ce que la paix n’a pas seulement été envisagée de manière étroite (« as a problem of military security, as the mere absence of war ») par les rédacteurs de la Charte, mais aussi dans une perspective plus large : « The Charter considers justice between, but also within, peoples and nations as a prerequisite of a lasting peace ; hence, paragraph 2 of the Preamble devotes itself exclusively to the rights of individual human beings while its paragraph 4 elevates the promotion of social progress and better standards of living in greater freedom into a matter of international concern »954. 950 M. ODELLO remarque ainsi qu’il n’est pas clair si le rapport a entendu confié au Conseil de sécurité la responsabilité de contrer ces menaces en faisant, notamment, usage de ses pouvoirs en vertu du Chapitre VII, « Commentary on the United Nations High-Level Panel on Threats, Challenges and Change », 10 JCSL (2005), p. 245. 951 Un monde plus sûr, idem. Voir pour de détails sur la conception par le groupe de personnalités de haut-niveau de ces « menaces », ibid., pp. 27-30. 952 Voir infra (dans cette partie) dans le corps du texte, contrairement à ce que semblait considérer le groupe de personnalités de haut-niveau : « En 2000, lorsque le Conseil de sécurité voyait pour la première fois dans le VIH/sida une menace pour la paix et la sécurité internationales […] »), ibid., p. 27. 953 Article 38, § 1, d) du Statut de la CIJ. 954 SIMMA, « From Bilateralism to Community Interest », op. cit. note 416, p. 257. 255 Si B. Simma insiste à cet égard sur le préambule de la Charte, d’autres auteurs s’attachent aux buts de l’Organisation des Nations Unies tels qu’inscrits aux paragraphes 2 à 4 de l’article 1er (le premier paragraphe concerne la « paix » au sens étroit du terme)955 : « Les buts des Nations Unies sont les suivants : […] 2. Développer entre les nations des relations amicales fondées sur le respect du principe de l’égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes, et prendre toutes autres mesures propres à consolider la paix du monde ; 3. Réaliser la coopération internationale en résolvant les problèmes internationaux d’ordre économique, social, intellectuel ou humanitaire, en développant et en encourageant le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour tous, sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion ; 4. Être un centre où s’harmonisent les efforts des nations vers ces fins communes ». L’article 55, qui ouvre le chapitre de la Charte consacré à la coopération économique et sociale, est également souligné par la doctrine comme postulant une conception large de la « paix » : « En vue de créer les conditions de stabilité et de bien-être nécessaires pour assurer entre les nations des relations pacifiques et amicales […], les Nations Unies favoriseront : a. le relèvement des niveaux de vie, le plein emploi et des conditions de progrès et de développement dan l’ordre économique et social ; b. la solution des problèmes internationaux dans les domaines économique, social, de la santé publique et autres problèmes connexes, et la coopération internationale dans les domaines de la culture intellectuelle et de l’éducation ; c. le respect universel et effectif des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour tous, sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion ». Cette analyse n’est pas en soi contestable. Les dispositions précitées de la Charte attestent de ce que les Nations Unies ne se sont pas uniquement fixées pour but, en 1945, d’éviter un nouveau conflit mondial mais aussi, de réaliser les conditions structurelles d’une paix durable, c’est-à-dire d’une « paix positive ». Cependant, cette conception large de la « paix » n’implique pas nécessairement que la notion de « paix » dans la notion de menace contre la paix de l’article 39 ait la même envergure. En effet, s’agissant de la pratique de l’Organisation des Nations Unies, ce sont avant tout des organes principaux de l’Organisation autres que le Conseil de sécurité qui contribuent à façonner et véhiculer une conception large de la « paix » (ainsi, l’Assemblée générale, le Secrétaire général et le Conseil économique et social). Quant aux dispositions de la Charte sur lesquelles repose cette conception, elles se situent en-dehors du cadre du 955 Ainsi SCHRIJVER, « The Future of the Charter », op. cit. note 910, p. 9 ; CAHIN, « La notion de pouvoir discrétionnaire », op. cit. note 253, pp. 570-573. 256 Chapitre VII et leur mise en œuvre est dévolue, d’un point de vue institutionnel, à l’Assemblée générale et au Conseil économique et social956. Certes, on pourrait arguer de ce que le Conseil de sécurité s’est aventuré sur le terrain de la « paix positive » lorsqu’il a considéré que l’épidémie du HIV/Sida pouvait s’avérer problématique au regard du maintien de la paix et de la sécurité internationales957 ou lorsqu’il a examiné, lors de débats convoqués à l’initiative du Royaume-Uni et de l’Allemagne, la question des implications du changement climatique sur le maintien de la paix et de la sécurité internationales958. Cependant, s’il a pu considérer que ces domaines étaient susceptibles de relever de sa compétence en matière de maintien de la paix et de la sécurité internationales959, il n’a pas constaté l’existence d’une menace contre la paix en raison de ces circonstances. En d’autres termes, le Conseil de sécurité n’a pas déterminé que l’épidémie de VIH/Sida ou le changement climatique menaçaient, en soi, la paix et la sécurité internationales960. Dans la perspective d’une vision 956 Articles 13 et 62 de la Charte ; SIMMA, « From Bilateralism to Community Interest », op. cit. note 416, p. 257 et p. 271. La suite de la déclaration présidentielle du 31 janvier 1992, telle que citée supra (voir référence note 916), ne remet pas en cause ce « partage de compétences » (« Il incombe à tous les Membres des Nations Unies, agissant dans le cadre des organes appropriés, d’attacher la plus haute priorité à la solution de ces problèmes », mis en italique par nous), KRISCH, « Article 39 », op. cit. note 404, p. 1277. 957 CS/RES/1983 (7 juin 2011) : le Conseil de sécurité rappelle au dernier paragraphe du préambule de la résolution sa responsabilité principale en matière de maintien de la paix et de la sécurité internationales, après avoir notamment souligné les conséquences négatives du VIH sur la santé et l’état physique du personnel des missions des Nations Unies. A cet égard, la résolution souligne « la nécessité d’intensifier les actions de prévention du VIH au sein des missions des Nations Unies » (§ 8 du dispositif) ; CS/RES/1308 (17 juillet 2000) : le Conseil de sécurité souligne, dans le préambule, que « la pandémie de VIH/Sida, si elle n’est pas enrayée, peut mettre en danger la stabilité et la sécurité » et se déclare préoccupé, dans le § 1 du dispositif, par « les potentiels effets négatifs du VIH/Sida sur la santé du personnel des opérations internationales de maintien de la paix ». 958 La première réunion du Conseil de sécurité, convoquée à l’initiative du Royaume-Uni en avril 2007, n’a pas abouti à l’adoption d’une résolution ou d’une déclaration du président du Conseil de sécurité. En revanche, la seconde réunion convoquée sur le sujet à l’initiative de l’Allemagne a abouti à l’adoption d’une déclaration présidentielle le 20 juillet 2011 en vertu de laquelle le Conseil de sécurité se déclarait inquiet de ce que « les effets préjudiciables éventuels des changements climatiques puissent, à long terme, aggraver les menaces existantes à la paix et la sécurité internationales » ainsi que des « répercussions » que les changements climatiques pourraient avoir sur la sécurité (en raison notamment de la perte de territoire de certains petits Etats insulaires de faible altitude par suite de l’élévation du niveau de la mer). Dans le dernier paragraphe, le Conseil de sécurité semble considérer que ces répercussions actionneraient ses compétences en matière de maintien de la paix et de la sécurité internationales dans la mesure où elles rendraient difficile la mise en œuvre de son mandat ou seraient de nature à compromettre la consolidation de la paix. 959 Bien qu’il ait également reconnu la responsabilité qui incombait à l’Assemblée générale et au Conseil économique et social s’agissant de ces deux grands domaines que constituent la santé publique et la protection de l’environnement. Voir plus précisément, s’agissant de l’épidémie VIH/Sida, le 7e alinéa du préambule de la CS/RES/1983 et, s’agissant de la question du changement climatique, le § 2 de la déclaration présidentielle du 20 juillet 2011. 960 Contra, s’agissant du HIV/Sida et la CS/RES/1308 : T. WEISS, « The Humanitarian Impulse », The UN Security Council. From the Cold War to the 21st Century, op. cit. note 632, p. 45. 257 étroite de la « paix », il pourrait faire un tel constat dans la circonstance où l’épidémie de VIH/Sida ou le changement climatique entraînerait le risque d’un conflit armé entre les Etats. Ainsi, même si le Conseil de sécurité aborde, dans le cadre de sa responsabilité en matière de maintien de la paix et de la sécurité internationales, certaines questions qui relèvent a priori des conditions positives de la « paix », cela ne signifie pas encore que la vision large de la « paix » épouse les contours de la notion de menace contre la paix de l’article 39. En outre, certains auteurs considèrent que le Conseil de sécurité n’a pas seulement pour rôle de gérer des crises internationales explosives. Ils estiment, pour certains dès 1948 (P. Jessup), que le Conseil de sécurité doit agir (selon la Charte) comme un organe exécutif, pour le compte de la communauté internationale, en cas de violations d’obligations essentielles de l’ordre juridique international961. En d’autres termes, ces auteurs considèrent qu’il existe un mécanisme de répression de ces violations incarné par le Conseil de sécurité dès lors que celui-ci adopte des résolutions revêtues de la force exécutoire du Chapitre VII. Dans cette perspective, ces résolutions peuvent être qualifiées de « sanctions stricto sensu » selon la définition qu’en donne G. Abi-Saab : « L’exécution forcée impliquant le recours à la contrainte […] ne constitue une sanction ou une réaction du système juridique lui-même que lorsqu’elle est effectuée à la suite d’une constatation et d’une décision sociales. Ce qui nous amène à définir les sanction stricto sensu comme des mesures coercitives prises en application d’une décision d’un organe social compétent »962. Si l’on conçoit le rôle du Conseil de sécurité comme n’étant pas restreint au maintien de la « paix » au sens strict mais comme celui d’un organe exécutif dans l’ordre juridique 961 JESSUP, voir notre analyse supra ; inter alia, SIMMA, « From Bilateralism to Community Interest », op. cit. note 416, p. 268 (« the ‘new’ Security Council has rendered effective community action possible for the first time ») ; C. TOMUSCHAT, « Obligations arising for states without or against their will », 241 RCADI (1993), p. 256 ; DUPUY, « Sécurité collective et organisation de la paix », op. cit. note 891, p. 617 ; du même auteur, « Sécurité collective et construction de la paix », op. cit. note 615, pp. 51-55 (ces obligations correspondent à titre symbolique, selon l’auteur, aux « valeurs indispensables à [la] survie » de l’Humanité », p. 54). R.-J. DUPUY considère, pour sa part, que le Conseil de sécurité agit comme l’agent de la communauté internationale, « cours général », op. cit. note 813, p. 90 et p. 82 : « on peut relever qu[e le Conseil de sécurité] a pris des décisions dans des domaines qui expriment l’existence d’une communauté internationale fondée sur le respect de certains principes reconnus par tous ». 962 G. ABI-SAAB, « Cours général de droit international public », 207 RCADI (1987), p. 277 (mis en italique par nous s’agissant des termes « constatation » et « décision sociales »). La « sanction lato sensu » est définie par ABI-SAAB comme recouvrant « l’ensemble des garanties et moyens dont dispose le système juridique pour assurer sa cohérence et son intégrité normatives, c’est-à-dire la conformité du comportement social avec ses règles, ainsi que son efficacité et, partant, sa crédibilité en tant qu’ordre juridique ; et cela que ces moyens soient matériellement coercitifs ou purement juridiques, qu’ils soient négatifs (punitifs) ou positifs (incitatifs) » (idem). L’auteur poursuit ainsi : « dans cette conception du système juridique et de la sanction, qui est la nôtre, la sanction lato sensu, ou génériquement parlant, est un attribut du système et non de la norme prise isolément »., idem. 258 international, la conception large de la « paix » et, de manière concomittante, de la menace contre la paix, devient acceptable, voire préférable à la conception étroite : « In my view, these regulatory activities of the Security Council [la mise en place vis-à-vis de l’Irak d’un système international de réglementation, de supervision et de sanctions par la résolution 687 et l’établissement de tribunaux pénaux internationaux ad-hoc en ex-Yougoslavie et au Rwanda] are justified in both cases […] by the broad meaning of the concept of ‘peace’ utilized in Article 39 of the Charter »963. Le Conseil de sécurité acquiert pour rôle, en effet, d’assurer le respect des conditions de la « paix positives », à savoir le respect des droits de l’homme, de la démocratie, voire du droit international, au nom de la communauté internationale : « it […] seems to be universally accepted today that massive death from starvation, as in Somalia, and blatant violations of human rights, for instance in the form of military attacks against the civilian population […] do justify Council action »964. 1.3. Conclusion intermédiaire : le « choix » entre les deux lectures juridiquement possibles de la menace contre la paix dépend principalement de la conception que l’on a du rôle du Conseil de sécurité dans l’ordre juridique international Il existe deux lectures juridiquement possibles de la menace contre la paix qui peuvent toutes deux être déduites de la pratique du Conseil de sécurité, même « nouvelle » (c’est-àdire, postérieure à 1990). Le choix de l’une ou de l’autre, surtout lorsque ce choix est particulièrement affirmé, va de pair avec la conception que les auteurs ont du rôle du Conseil de sécurité sur la scène internationale (rôle qui détermine, dans une certaine mesure, l’étendue des pouvoirs du Conseil)965. Si les auteurs considèrent qu’aux termes de la Charte, ce rôle est restreint à la gestion de crises internationales spécifiques (à la manière d’un pompier qui doit rapidement éteindre un feu), ils auront tendance à privilégier la première conception de la menace contre la paix qui repose sur une conception étroite de la « paix ». Toute autre conception de la menace contre la paix aboutirait, dans leur perspective, à une extension injustifiée et surtout incontrôlable des pouvoirs du Conseil de sécurité. 963 SIMMA, « From Bilateralism to Community Interest », op. cit. note 416, p. 276. 964 Ibid., p. 274. Il considère ainsi que les situations en Somalie (1992), au Rwanda (1994) et à Haïti (1994) ont suscité une action du Conseil de sécurité en vertu du Chapitre VII en raison de leurs circonstances intrinsèques (les violations massives des droits de l’homme et des libertés fondamentales et l’existence d’une crise humanitaire) et non en raison de « transboundary effects ». 965 Sur les liens entre la conception du rôle dévolu au Conseil de sécurité, l’étendue des pouvoirs de celui-ci et la conception large ou étroite de la menace contre la paix, voir notamment N. KRISCH, « Introduction to Chapter VII : The General Framework », The Charter of the United Nations : A Commentary, op. cit. note 404, pp. 12431245 ; STEIN, Der Sicherheitsrat, op. cit. note 861, p. 311. 259 S’ils considèrent au contraire que le Conseil de sécurité agit au nom de la communauté internationale pour assurer le respect des obligations juridiques considérées par cette dernière comme étant essentielles (le respect des droits de l’homme, de la démocratie, etc.), les auteurs privilégieront une conception large de la menace contre la paix. La conception du rôle du Conseil de sécurité dans l’ordre juridique international agit, dès lors, à la manière d’un présupposé quant au « choix » opéré entre les deux lectures juridiquement possibles (et non exclusives) de la menace contre la paix. 260 2. CONCLUSIONS QUANT AUX TRAITS COMMUNS ET DISTINCTIFS DES DEUX LECTURES JURIDIQUEMENT POSSIBLES DE LA MENACE CONTRE LA PAIX 2.1. La potentialité : le critère commun aux deux conceptions doctrinales de la menace contre la paix La différence entre les deux conceptions doctrinales de la menace contre la paix, l’une liée à la « paix négative » et l’autre à la « paix positive », est-elle de nature ou de degré ? Une première réponse à cette question se situe dans le but visé par les notions de « paix négative » et « paix positive ». Si la « paix négative » tend à l’absence de conflits armés entre Etats, c’est également la crainte d’un conflit mondial qui se situe en ligne de mire de la « paix positive ». La recherche d’une paix durable, ou « perpétuelle » en termes kantiens, implique par défaut que l’on souhaite éviter la guerre966. A cet égard, la différence entre la « paix négative » et la « paix positive » réside dans le temps alloué à la stratégie visant à pacifier les relations internationales : la « paix négative » est l’évitement de la guerre à court terme tandis que la « paix positive » est l’évitement de la guerre sur le long terme. Ainsi, dans son rapport Dans une liberté plus grande, l’ancien Secrétaire général des Nations Unies K. Annan considère que les rédacteurs de la Charte, « s’ils ont parlé de préserver les générations futures du fléau de la guerre, c’était en sachant que cet objectif ne pourrait être atteint s’il était conçu de façon trop restrictive. Ils ont donc décidé de créer une organisation chargée de veiller au respect des droits de l’homme, de créer les conditions nécessaires au maintien de la justice et de l’état de droit, de favoriser le progrès social et d’instaurer de meilleures conditions de vie dans une liberté plus grande »967. L’ objectif des Nations Unies, celui d’éviter un nouveau conflit mondial (« paix négative »), repose donc selon K. Annan sur une stratégie visant à créer les conditions structuelles d’une « paix » durable (« paix positive ») et à en assurer le respect. On pourrait donc considérer qu’il n’existe pas de différence de nature entre la conception étroite de la menace contre la paix qui admet que le risque de conflit armé international puisse être lointain, voire très hypothétique (ce risque résulterait notamment de plusieurs enchaînements logiques mais incertains entre la situation en cause et la matérialisation du conflit armé international) et la conception large. Les deux conceptions se situent dans une logique de prévention de la guerre, (très) en amont de la rupture de la paix. Elles procèdent 966 Ainsi que l’analyse des projets de paix perpétuelle ou d’organisation de la paix par le droit le démontrent : la réalisation de la « paix positive » vise à se sortir d’un état permanent d’entre-deux guerres (voir supra, titre I). 967 Dans une liberté plus grande, op. cit. note 940, § 13. Dans le même sens, T. FRANCK, Recourse to Force. State Action Against Threats and Armed Attacks, CUP (2002), p. 19, à propos de l’état d’esprit ayant animé les rédacteurs de la Charte (« To preserve peace, they knew, would also require an effective response to massive injustices of the kind perpetrated by Nazi and Fascist governments against their own and other populations »). 261 de la même idée : le Conseil de sécurité doit agir par anticipation de la rupture de la paix en s’attaquant à la « menace » qui pèse sur la « paix » (selon les deux sens qui peuvent être attachés à cette dernière acception)968. Cette action par anticipation du Conseil de sécurité se situe a priori plus en amont (de la rupture de la « paix ») dans le cas où l’on retient comme critère référentiel la « paix positive » plutôt que la « paix négative ». La différence entre les deux conceptions s’apprécie, de ce point de vue, en degré. Cette différence ne saurait cependant être appréciée de manière abstraite. Il est possible, comme on vient de le suggérer, que la conception étroite de la menace contre la paix ne renferme pas moins de potentialité que la conception large dès lors que l’on admet que les « effets » d’une situation sur la « paix » au sens négatif du terme peuvent être de nature très hypothétique. La différence de degré entre les deux conceptions de la menace contre la paix sera alors minime. Au fond, ces deux conceptions constituent les deux faces de la même médaille et expriment, comme cela a été dit au début de ce chapitre, l’idée de potentialité qui caractérise le concept de « menace » dans le langage commun comme dans le langage juridique. Dans la première conception, la potentialité se manifeste dans le « risque » d’un conflit armé international. Dans la seconde, cette potentialité peut se traduire de deux manières : soit, comme on l’a déjà écrit, du fait que les Etats ne sont pas directement mais virtuellement touchés par la situation ou les circonstances portant atteinte aux conditions positives de la « paix » (hormis l’Etat directement concerné dans le cas de circonstances internes) – en effet, selon la seconde conception de la menace contre la paix, la paix est affectée par la « nature » de la situation et non pas en raison des effets de celle-ci sur la sécurité et la paix des autres Etats ; soit, du fait que la menace pesant sur les conditions de la « paix positive » ne constitue 968 A cet égard, notons que le Conseil de sécurité est également compétent, aux termes du Chapitre VI de la Charte, pour connaître des différends ou des situations dont la prolongation serait susceptible de mettre en danger la paix et la sécurité internationales. Ainsi, « l’action par anticipation » du Conseil de sécurité s’étend, dans le cadre du Chapitre VI, à la menace contre la paix « potentielle » et vise à empêcher que celle-ci ne se transforme en menace contre la paix « actuelle ». Voir à cet égard H. HILDERBRAND, Dumbarton Oaks. The Origins of the United Nations and the Search for Postwar Security, The University of North Carolina Press (2001), pp. 129-130 (« Because [les participants à la conférence de Dumbarton Oaks, en particulier les Américains, les Britanniques et les Soviétiques] viewed peace and security as indivisible in the modern world, they thought that some way has to be found to prevent disagreements from escalating and resulting in war. Thus, provisions empowering the coucnil to engage in the peaceful settlement of political and diplomatic disputes were included in each nation’s preconference proposal, and they became a major topic of discussion at Dumbarton Oaks »). La controverse entre les participants à la conférence de Dumbarton Oaks porta, à cet égard, sur la portée obligatoire qu’il convenait de donner ou non aux mesures du Conseil de sécurité en matière de règlement pacifique des différends (ibid., pp. 130-136). 262 pas un risque direct mais éminemment potentiel pour la « paix » entendue cette fois dans son acception négative. Cette idée de potentialité, qui constitue le visage commun des deux conceptions doctrinales de la menace contre la paix, est précisément la raison pour laquelle le concept de menace de paix est unanimement considéré comme étant insaisissable. Toutefois, une autre réponse à la question de savoir si ces deux conceptions diffèrent par nature ou par degré peut être trouvée dans certains traits spécifiques (prima facie) de la conception large de la menace contre la paix. 2.2. Le sentiment d’appartenance à la « communauté internationale »: un trait distinctif de la conception large de la menace contre la paix vis-à-vis de la conception étroite ? L’idée, dans la conception large de la menace contre la paix, selon laquelle tous les Etats ne sont pas directement mais virtuellement touchés lorsqu’un danger pèse sur les conditions de la « paix positive » implique que les Etats partagent un sentiment d’appartenance à une même communauté, en l’occurrence la communauté internationale. Comment expliquer sinon que tous les Etats se sentent concernés par des circonstances purement internes à un Etat (une guerre civile ou de graves exactions à l’encontre de la population civile) du seul fait que ces circonstances existent ? Cette communauté internationale, en outre, n’est pas seulement une communauté d’Etats mais aussi et avant tout une communauté humaine. En effet, le fait que tous les Etats se sentent concernés par de graves violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire commises par un Etat à l’encontre de sa population civile969 (ou par le laissez-faire de cet Etat vis-à-vis d’exactions commises par des groupements non étatiques) suppose qu’il y ait un lien entre cette population civile et les Etats membres des Nations Unies. Au contraire, la conception étroite de la menace contre la paix, qui implique que la réaction du Conseil de sécurité soit subordonnée aux risques que pourraient avoir les effets d’une situation pour la « paix et la sécurité » des autres Etats entendues au sens strict, semble envisager les Etats comme étant distincts les uns des autres. En d’autres termes, pour reprendre la métaphore des boules de billard chère à G. Abi-Saab970, il n’y a menace contre la paix que lorsqu’une boule est susceptible d’entrechoquer toutes les autres. Par contraste, dans la conception large de la menace contre la paix (une situation menace la paix en raison de ses 969 Voir à cet égard supra, titre II, première section, 2.2.2.1., l’étude du cas n°3 concernant la Libye (2011). 970 ABI-SAAB, « Cours général », op. cit. note 962, p. 62 : « […] un Etat hermétique, que certains politologues ont appelé l’Etat ‘boule de billard’ ; des boules égales et opaques, dont on ne voit pas l’intérieur (ou on fait semblant de ne pas le voir ou on en fait abstraction) et qui ne se touchent que de l’extérieur ». La métaphore est reprise ibid., p. 75 à propos de la notion de « domaine réservé ». 263 qualités intrinsèques), les Etats ne peuvent plus être représentés par des boules de billard qui, comme chacun sait, sont opaques et ne laissent pas transparaître leur contenu. Il faudrait plutôt imaginer des boules transparentes, des bulles de savon par exemple, qui laissent passer le regard971. G. Abi-Saab établit ainsi un lien entre la conception négative de la « paix » et un système juridique ayant pour fonction la coexistence (« maintenir les sujets pacifiquement à part ») plutôt que la coopération des Etats972. A contrario, selon la summa divisio entre « droit international de coexistance » et « droit international de coopération » de W. Friedmann973 que reprend G. Abi-Saab, un système juridique de coopération reposerait sur une conception positive de la « paix ». Quant à la notion précisément de « communauté », G. Abi-Saab souligne que, dans le cadre du droit international de coexistence, « la tâche assignée au système juridique est […] de consacrer la désintégration de la communauté entre ses sujets et de gérer leur séparation »974 tandis que le droit international de coopération procède de la « présomption de communauté », c’est-à-dire « la conviction que certaines choses nécessaires ne peuvent être faites, ou bien faites, unilatéralement »975. Ainsi, selon G. Abi-Saab, le droit international de coexistence est lié à la conception négative de la « paix » et à l’absence de communauté d’Etats. Au contraire, le droit international de coopération repose sur la conception positive de la « paix » et suppose l’existence d’une communauté d’Etats. De ce point de vue, on pourrait estimer qu’il existe une différence de nature entre la première et la seconde conception de la menace contre la paix. Une telle conclusion nous semble néanmoins ignorer la base conceptuelle sur laquelle repose la notion de menace contre la paix, entendue hors du contexte spécifique du Chapitre VII de la Charte c’est-à-dire en tant que concept ancré dans un système quelconque d’organisation de la paix par le droit. Cette base conceptuelle, qui ressort de l’étude historique que nous avons conduite au titre I de ce travail 976 , est précisément le sentiment d’appartenance à une même communauté. Sans un sentiment d’une telle nature, même la conception étroite de la menace contre la paix de l’article 39 de la Charte ne tient plus. En 971 La conception large de la menace contre la paix va de pair, dès lors, avec une érosion du concept de souveraineté, érosion qui se manifeste, dans le cadre des rapports entre l’Organisation des Nations Unies et les Etats, par une réduction du « domaine réservé » de ces derniers. 972 ABI-SAAB, « Cours général », op. cit. note 962, p. 322. 973 W. FRIEDMANN, The Changing Structure of International Law, Stevens (1964). 974 ABI-SAAB, « Cours général », op. cit. note 962, pp. 321-322. 975 Ibid., p. 322. 976 Voir supra, titre I, 1.5., 2). 264 effet, même si on estime que le constat d’une menace contre la paix par le Conseil de sécurité se fonde sur les effets de la situation (le risque d’un conflit armé international) plutôt que sur sa nature, ces effets ne seront directs et immédiats que pour une fraction d’Etats. Les autres Etats membres des Nations Unies ne sont affectés par la menace d’un conflit armé international entre deux ou plusieurs autres Etats que dans la mesure où ils ont le sentiment d’appartenir à une même communauté, sauf à considérer qu’ils craignent uniquement une rupture de paix généralisée qui les affecteraient directement. Mais, dans ce cas, on peut dire de même de la conception large de la menace contre la paix : les Etats ne se sentent affectés par une situation menaçant la « paix positive » que dans la mesure où ils craignent, à terme, pour leur sécurité et la « paix » au sens strict. Qu’elle soit entendue selon une conception large ou étroite, la notion de menace contre la paix présuppose, selon notre opinion, l’existence d’un sentiment d’appartenance à une communauté d’Etats (au minimum)977. En d’autres termes, on ne saurait concevoir la notion de menace contre la paix, qui s’inscrit dans une logique de prévention de la guerre978, sans ce sentiment d’appartenance. Cette idée est parfaitement reflétée à l’article 10 § 1 de la « Draft Constitution of International Organization » (avant-projet de traité constitutif de la future Organisation des Nations Unies présenté par les Etats-Unis à la conférence de Dumbarton Oaks) qui disposait, sur le modèle de l’article XI du Pacte de la Société des Nations979 : « Any menace to the peace of nations, wherever it arises, is a matter of vital concern to all states. The International Organization through its Executive Committee or Council, shall take any action necessary to safeguard or restore peace »980. 977 Peut-être là réside la véritable différence entre la conception large et la conception étroite de la menace contre la paix quant à l’idée de « communauté » : la conception large repose sur l’idée d’une communauté « humaine » tandis que la conception étroite implique uniquement l’existence d’une communauté « d’Etats ». 978 Comme on l’a vu supra, on peut considérer en effet qu’il n’y a pas de différence de nature quant au but visé entre la conception étroite et la conception large de la « paix » (et de manière concomittante, de la menace contre la paix) : les deux visent l’évitement de la guerre, la première à court terme, la seconde à long terme. 979 « Il est expressément déclaré que toute guerre ou menace de guerre, qu’elle affecte directement ou non l’un des Membres de la Société, intéresse la Société tout entière et que celle-ci doit prendre les mesures propres à sauvegarder efficacement la paix des nations […] » (mis en italique par nous). 980 Postwar Foreign Policy Preparation (1939-1945). Department of State Publications 3580, General Foreign Policy Series 15 (February 1950), Appendix 38, p. 478 (souligné par nous); sur la « Draft Constitution » et la contribution en général des Etats-Unis au processus d’élaboration du projet d’établissement d’une organisation internationale (qui deviendra la Charte des Nations Unies), voir R. RUSSELL, History of the United Nations Charter: the Role of the United States, 1940-1945, The Brookings Institution (1958). La contribution des EtatsUnis fut très importante, selon RUSSELL, tant et si bien que l’on peut considérer que l’article 10 § 1 de la « Draft Constitution » reflète la philosophie sous-jacente de l’actuel article 39 de la Charte des Nations Unies (« the substance of the provisions finally written into the Charter in many cases reflected conclusions reached at 265 much earlier stages by the United States Government », ibid., p. 2); dans ce même sens, voir LUARD, A History of the UN, op. cit. note 635, p. 24. 266 CONCLUSION GENERALE Une notion « cernable en droit » Au cours de cette étude, nous avons tenté de cerner la notion de menace contre la paix à la lumière du droit international par tous les angles possibles (à savoir, par tous les angles d’étude qu’est susceptible d’offrir la discipline du droit international) : - la généalogie de la menace contre la paix à travers des textes de nature juridique ou philosophique (à portée juridique) préexistants à la Charte des Nations Unies et à son article 39 (titre I) ; - la nature « discrétionnaire » du pouvoir du Conseil de sécurité de constater une menace contre la paix (titre II, première section, 1 : « le droit comme cadre analytique ») ; - la teneur juridique des débats au Conseil de sécurité à propos des (ou révélant les) caractéristiques juridiques essentielles de la notion (titre II, première section, 2 : « le droit comme cadre matériel ») ; - la contribution du Conseil de sécurité, par sa pratique uniquement relative au constat d’une menace contre la paix, au développement du droit de la Charte et au-delà de la Charte, à savoir le droit international général (titre II, seconde section) ; - et enfin, la double lecture juridiquement possible de la notion telle qu’elle s’exprime parmi (ou ainsi qu’elle divise) la doctrine internationaliste (titre III). Au terme de cette étude, nous confirmons notre intuition (hypothèse) de départ, à savoir que la notion de menace contre la paix est « cernable » en droit. Cette affirmation sous-entend diverses propositions, dont deux au moins. Premièrement, la notion de menace contre la paix et sa mise en œuvre par le Conseil de sécurité peuvent être, respectivement, étudiée et analysée en droit international comme toute autre notion de droit international, ni plus ni moins. Plus précisément, les aspects politiques de sa mise en œuvre, du fait que cette mise en œuvre est le fait d’un organe politique (à l’extrême, en raison du pouvoir de veto de ses membres permanents) d’une organisation internationale : - n’empêchent pas la notion de menace contre la paix de produire des effets de droit (quant à l’interprétation du contenu de la notion comme vis-à-vis du développement – modification – du droit international général au-delà de la Charte des Nations Unies) ; 267 - ne signifient pas que l’acte – ou plutôt l’ensemble des actes (car il ne s’agit pas d’un acte monolithique) – par lequel le Conseil de sécurité « constate » ou « qualifie » (selon le point de vue) l’existence d’une menace contre la paix échappe totalement à l’emprise du droit entendu à la fois comme un cadre analytique (la question de la consistance du pouvoir discrétionnaire intéresse la discipline du droit et même, du droit international) et, d’un point de vue matériel, comme l’ensemble des normes s’appliquant à la société internationale (en effet, les Etats membres du Conseil de sécurité argumentent largement en droit lorsqu’ils se positionnent pour ou contre le constat de l’existence d’une menace contre la paix en vertu de l’article 39). Deuxièmement, la notion de menace contre la paix contient en son sein des éléments invariables qui élèvent la notion au rang de concept de droit981. Là encore, on peut entendre cette proposition (ou affirmation en l’espèce) de plusieurs manières : - on peut l’entendre comme signifiant que le discours juridique sur les conditions (de fond, avant tout) de mise en œuvre de la « menace contre la paix » par le Conseil de sécurité révèle les caractéristiques juridiques essentielles de la notion, à savoir les points d’achoppements du débat entre les Etats membres du Conseil de sécurité (qui correspondent, comme on l’a vu, aux questions juridiques qui se posent, de manière inévitable, aux Etats membres au moment d’argumenter pour ou contre le constat de l’existence d’une menace contre la paix) ; - on peut également l’entendre comme signifiant que la pratique du Conseil de sécurité relative à la menace contre la paix peut donner lieu à plusieurs lectures doctrinales (que l’on a simplifiées sous forme de deux grandes lectures dans cette thèse, celle relative à la « paix » au sens étroit et celle relative à la « paix » au sens large), chacune d’entre elles étant cohérente et renvoyant donc une image conceptuellement (et juridiquement) acceptable de la menace contre la paix. - on peut, enfin, l’entendre comme signifiant qu’au-delà des lectures doctrinales auxquelles la menace contre la paix donne lieu, il existe un concept juridique de la notion de menace contre la paix préexistant à la Charte des Nations Unies (dont se fait l’écho l’histoire du droit et des idées politiques) qui révèle sa nature la plus profonde. 981 Voir à cet égard supra (introduction générale) notre caveat sur l’utilisation des termes « notion » et « concept » dans le cadre de cette thèse. 268 L’essence du concept de la menace contre la paix On ne saurait dire, en effet, que la « substantifique moelle » de la menace contre la paix correspond aux caractéristiques juridiques essentielles de la notion telles qu’elles ont été dégagées du discours juridique des Etats membres du Conseil de sécurité (en tant que points d’achoppement des débats). Si elles permettent de tracer les contours de la notion telle qu’interprétée par le Conseil de sécurité, ces caractéristiques nous paraissent superficielles. Elles laissent insatisfait(e) quand il s’agit de répondre à la question de savoir ce qu’est au fond une menace contre la paix. A cet égard, l’éclairage historique de la notion de menace contre la paix nous semble plus… éclairant. En effet, l’étude des notions anciennes et voisines de la menace contre la paix des premiers projets de paix perpétuelle en Europe jusqu’au Pacte de la Société des Nations révèle d’abord et avant tout que la notion de menace contre la paix est consubstantielle à « l’institutionnalisation » (au sens de R.-J. Dupuy) de la société internationale. Ainsi, selon R.-J. Dupuy, de manière distincte du droit relationnel, il existe un droit dont les règles sont : […] d'une inspiration tout à fait différente. Elles relèvent d'un système non plus relationnel, mais institutionnel, et supposent à leur base la reconnaissance d'un certain intérêt commun, de certaines institutions destinées à faciliter la réalisation de [celui-ci], grâce à un minimum de discipline entre les Etats membres du sytème institué, discipline que les institutions ont pour objet de susciter et, éventuellement, de contrôler ou même de sanctionner982. Ce phénomène d’institutionnalisation de la société internationale (qui se mue dès lors en une « communauté » internationale au sens le plus premier du terme en raison de l’ « intérêt commun » parmi ses membres) inclut presque inévitablement une clause du type de celle qui consacre la notion de menace contre la paix à l’article 39 de la Charte des Nations Unies : prévenir plutôt que guérir (s’attaquer au problème dès que la paix est menacée, sans attendre qu’elle soit rompue) afin de préserver le long et fragile processus de la paix (la « paix » menacée), au nom de l’ « intérêt commun » à vivre en paix (et non pas au nom de ses intérêts propres, ce qui explique l’action de la « communauté » quand bien même ses membres ne seraient pas physiquement touchés). Ainsi, de la même manière que l’on dit que toute société génère du droit (« ubi societas, ibi jus »), nous estimons que toute société qui « s’institutionnalise » autour de cet « intérêt commun » (vivre en paix) au sens de R.-J. Dupuy, c’est-à-dire qui se donne des règles et qui s’assure que ces règles seront respectées, donne naissance au concept de la « menace contre la paix ». C’est pour cette raison qu’il 982 DUPUY, « cours général », op. cit. note 813, p. 46. 269 s’agit bel et bien d’un concept et non pas d’une notion uniquement fonctionnelle983. La « menace contre la paix » est indissociable du projet des Etats de vivre ensemble, au-delà d’un état de nature caractérisé par la guerre latente, la guerre imminente ou l’état de guerre. La menace contre la paix est, de ce point de vue, un concept fondamental du droit international depuis que celui-ci existe. 983 Contra : KERBRAT supra note 4. 270 BIBLIOGRAPHIE Notre bibliographie est structurée de la manière suivante : I. DOCUMENTS DES NATIONS UNIES i. Travaux préparatoires de la Charte ii. Pratique du Conseil de sécurité iii. Rapports des Secrétaires généraux iv. Autres rapports (endossés par les organes des Nations Unies) II. JURISPRUDENCE i. CPJI ii. CIJ iii. TPIY iv. Cour EDH III. DOCTRINE S’agissant de la littérature, il nous a semblé plus judicieux de la présenter de manière à distinguer la doctrine générale (principalement composée de manuels de droit international public et de cours généraux de l’Académie de La Haye, mais pas seulement) de la doctrine spécialisée sur notre sujet. Cette deuxième catégorie comporte donc uniquement des ouvrages et des articles qui concernent le droit des Nations Unies (ainsi que, marginalement, de la Société des Nations). Nous avons également présenté à part la doctrine relative à l’histoire du droit international et des idées ainsi que la doctrine relative à la notion de pouvoir discrétionnaire dont les références apparaissent dans le titre I consacré à l’étude historique de la notion de menace contre la paix. Enfin, compte tenu de l’abondante littérature sur notre sujet (sur le droit des Nations Unies en général et les pouvoirs du Conseil de sécurité et l’article 39 de la Charte en particulier), cette bibliographie ne prétend pas être exhaustive. Elle contient cependant, nous l’espérons, les publications incontournables sur la menace contre la paix, c’est-àdire qui permettent de cerner toutes les problématiques juridiques afférentes à l’interprétation et la mise en œuvre de la notion. a) Doctrine générale (droit international) i. Ouvrages généraux ii. Articles généraux b) Doctrine spécialisée (Société des Nations et Nations Unies) i. Commentaires (Pacte et Charte) ii. Ouvrages spécialisés iii. Articles spécialisés c) Doctrine relative à l’histoire des idées et du droit international (titre I) d) Doctrine relative à la notion de pouvoir discrétionnaire (titre I) 271 I. DOCUMENTS DES NATIONS UNIES i. Travaux préparatoires de la Charte - Documents de la Conférence des Nations Unies sur l’Organisation internationale, San Francisco, United Nations Information Organizations (1945-1955), 22 vols. - Dumbarton Oaks proposals. Washington Conversations on International Peace and Security Organization (October 7, 1944). - DEPARTMENT OF STATE, Postwar Foreign Policy Preparation (1939-1945), Washington, Department of State (1949). ii. Pratique du Conseil de sécurité - NATIONS UNIES, Procès-verbaux officiels du Conseil de sécurité, 1946- Les procès-verbaux des séances du Conseil de sécurité peuvent sinon être obtenus auprès du « Système de diffusion électronique des documents de l’ONU » à cette adresse : http://documents.un.org/default.asp (la cote du document est la suivante, s’agissant des procès-verbaux des séances du Conseil de sécurité : S/PV.numéro de la séance. On peut également utiliser ce site : http://www.un.org/fr/sc/meetings/searchrecords.shtml). - NATIONS UNIES, Répertoire de la pratique du Conseil de sécurité des Nations Unies, 1946- Version en ligne : http://www.un.org/fr/sc/repertoire/ (FR) et http://www.un.org/en/sc/repertoire/ (ENG, mises à jour plus régulières) iii. Rapports des Secrétaires généraux - B. BOUTROS-GHALI, Un agenda pour la paix : diplomatie préventive, rétablissement de la paix et maintien de la paix : rapport du Secrétaire général en application de la déclaration adoptée par la réunion au Sommet du Conseil de sécurité, le 31 janvier 1992 (17 juin 1992) [cité : Agenda pour la paix (1992)], S/24111. - B. BOUTROS-GHALI, Agenda pour le développement : rapport du Secrétaire général (6 mai 1994), A/48/935. - K. ANNAN, Nous, les peuples. Le rôle des Nations Unies au XXIe siècle. Rapport du Millénaire (27 mars 2000), A/54/2000. - K. ANNAN, Dans une liberté plus grande: développement, sécurité et respect des droits de l’homme pour tous. Rapport du Secrétaire général (24 mars 2005), A/59/2005. iv. Autres rapports (endossés par les organes des Nations Unies) - GROUPE DE PERSONNALITES DE HAUT NIVEAU SUR LES MENACES, LES DEFIS ET LE CHANGEMENT, Un monde plus sûr: notre affaire à tous (2004), le rapport est disponible en ligne ici : https://www.un.org/french/secureworld/ - GOMMISSION ON GLOBAL GOVERNANCE, Our Global Neighborhood, OUP (1995). - CIISE, La responsabilité de protéger (décembre 2001), disponible en ligne, notamment ici : http://idl-bnc.idrc.ca/dspace/bitstream/10625/17566/6/116999.pdf 272 II. JURISPRUDENCE i. CPJI - Jaworzina, avis consultatif du 6 décembre 1923, Recueil des avis consultatifs, série B, n°8. - Décrets de nationalité promulgués en Tunisie et au Maroc, avis consultatif du 7 février 1923, Recueil des avis consultatifs, série B, n°4. ii. CIJ - Conditions de l’admission d’un Etat comme Membre des Nations Unies (article 4 de la Charte), avis consultatif du 28 mai 1948, CIJ Rec. (1948). - Réserves à la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, avis consultatif du 28 mai 1951, CIJ Rec. (1951). - Certaines dépenses des Nations Unies (Article 17, paragraphe 2, de la Charte), avis consultatif du 20 juillet 1962, CIJ Rec. (1962). - Conséquences juridiques pour les Etats de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 du Conseil de sécurité, avis consultatif du 21 juin 1971, CIJ Rec. (1971). - Délimitation de la frontière maritime dans la région du golfe du Maine (Canada c. EtatsUnis), arrêt du 12 octobre 1984, CIJ Rec. (1984). - Différend frontalier (Burkina Faso/République du Mali), CIJ, arrêt du 22 décembre 1986, CIJ Rec. (1986). - Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. EtatsUnis), arrêt du 26 novembre 1984 sur la compétence de la Cour et la recevabilité de la requête, CIJ Rec. (1984) ; arrêt sur le fond du 27 juin 1986, CIJ. Rec. (1986). - Questions d’interprétation et d’application de la Convention de Montréal de 1971 résultant de l’incident aérien de Lockerbie, Libye c. Etats-Unis et Libye c. RoyaumeUni), ordonnances du 14 avril 1992, demande en indication de mesures conservatoires, Rec. CIJ (1992) ; arrêt du 27 février 1998, exceptions préliminaires, CIJ Rec. (1998) ; ordonnances du 10 septembre 2003, radiation du rôle, CIJ Rec. (2003). - Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif du 8 juillet 1996, CIJ Rec. (1996). - Affaire LaGrand (Allemagne c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt du 27 juin 2001, CIJ Rec. (2001). - Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, 9 juillet 2004, CIJ Rec. (2004). 273 - Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, avis consultatif du 22 juillet 2010, CIJ Rec. (2010). iii. TPIY - Chambre d’appel, Le Procureur c. Dusko Tadic, arrêt relatif à l’appel de la défense concernant l’exception préjudicielle d’incompétence, 2 octobre 1995. iv. Cour EDH - Mamatkulov et Askarov c. Turquie, Cour EDH, Grande Chambre, 4 février 2005. III. DOCTRINE a) Doctrine générale (droit international) i. Ouvrages généraux - AKEHURST Michael, A Modern Introduction to International Law, Routledge (1992). - AMSELEK Paul (éd), Interprétation et droit, Bruylant, PUAM (1995). - ANZILOTTI Dioniso, Cours de droit international, L.G.D.J. (1929). - BOYLE Alan & CHINKIN Christine, The Making Of International Law (Foundations of Public International Law), OUP (2007). - BRIERLY James, The Law of Nations. An introduction to the international law of peace, ed. by WALDOCK Humphrey, Clarendon Press (1981). - CORNU Gérard (éd), Vocabulaire juridique, Quadridge/PUF (2001). - CORTEN Olivier, Méthodologie du droit international public, Editions de l’Université de Bruxelles (2009). - CORTEN Olivier, L’utilisation du « raisonnable » par le juge international. Discours juridique, raison et contradictions, Bruylant (1997). - CRAWFORD James, Brownlie’s Principles of Public International Law, OUP (2012). - DAILLIER Patrick, PELLET Alain et FORTEAU Mathias, Droit international public, L.G.D.J. (2009). - DIEZ DE VELASCO VALLEJO Manuel, Les organisations internationales, Economica (2002). - FALK Richard, The Status of Law in International Society, PUP (1970), pp. 185-241. - FRIEDMANN Wolfgang, The Changing Structure of International Law, Stevens (1964). - JESSUP Philip, A Modern Law of Nations : An Introduction, MacMillan (1948). - JOVANOVIC S., Restriction des compétences discrétionnaires des Etats en droit international, Paris, Pedone (1988). - KOLB Robert, Interprétation et création du droit international. Esquisses d’une herméneutique juridique moderne pour le droit international public, Bruylant (2006). - KOLB Robert, Ius in bello : le droit international des conflits armés, Helbing Lichtenhahn (2003). 274 - KOLB Robert, Réflexions de philosophie du droit international, Bruylant (2003). - KOLB Robert, La bonne foi en droit international public : contribution à l’étude des principes généraux de droit, PUF (2000). - LASKI Harold, Grammaire de la politique, Librairie Delagrave (1933). - LAUTERPACHT Hersch (éd), Oppenheim’s International Law, Longmans (1962) [Volume I : Peace ; Volume II : Disputes, War and Neutrality]. - LAUTERPACHT Hersch, International Law and Human Rights, Praeger (1950). - LAWRENCE Thomas, Essays on some disputed questions in modern international law, Deighton, Bell (1885). - PERELMAN Charles, Logique juridique, nouvelle rhétorique, Dalloz (1999). - ROUSSEAU Charles, Droit des conflits armés, Pedone (1983). - ROUSSEAU Charles, Droit international public, Recueil Sirey (1974). - SALMON Jean, Dictionnaire de droit international public, Bruylant (2001). - SANDS Philippe & KLEIN Pierre, Bowett’s Law of International Institutions, Sweet & Maxwell (2009). - SCHACHTER Oscar, International Law in Theory and Practice, Martinus Nijhoff publishers. - SHAW Malcolm, International Law, CUP (2008). - SUR Serge, L’interprétation en droit international public (1974). - ULIMUBENSHI Pierre, L’exception du domaine réservé dans la procédure de la Cour internationale de justice. Contribution à l’étude des exceptions dans le droit judiciaire de la Cour internationale de justice, thèse, Institut universitaire des hautes études internationales (2003) - VILLALPANDO Santiago, L’émergence de la communauté internationale dans la responsabilité des Etats, PUF (2005). - VITE Sylvain, Les procédures internationales d’établissement des faits dans la mise en œuvre du droit international humanitaire, Bruylant (1999). - VIRALLY Michel, L’organisation mondiale, A. Colin (1972). - VISSCHER (de) Charles, Théories et réalités en droit international public, Pedone (1970). ii. Articles généraux - ABI-SAAB Georges, « Cours général de droit international public », 207 RCADI (1987), pp. 9-463. - AREND Anthony, « Do Legal Rules Matter ? International Law and International Politics », 38 Virginia JIL (1998), pp. 107-153. - BASDEVANT Jules, « Règles générales du droit de la paix », 58 RCADI (1936), pp. 471715. - BOURQUIN Maurice, « Règles générales du droit de la paix », 35 RCADI (1935), pp. 1232. 275 - BROWNLIE Ian, « General Course on Public International Law », RCADI (1995), pp. 211-227. - CHAUMONT Charles, « L’ambivalence des concepts essentiels du droit international », in : MAKARCZYK Jerzy (éd), Etudes de droit international en l’honneur du juge Manfred Lachs, Martinus Nijhoff Publishers (1984), pp. 55-64. - CHEMILLET-GENDREAU Monique, « Quelle méthode pour l’analyse des développements récents du droit international ? », Les nouveaux aspects du droit international, pp. 15-30. - DISTEFANO Giovanni, « L’interprétation évolutive de la norme internationale », 115 RGDIP (2011), pp. 373-396. - DISTEFANO Giovanni, « La pratique subséquente des Etats parties à un traité », AFDI (1994), pp. 41-71. - DUPUY René-Jean, « Communauté internationale et disparités de développement : cours général de droit international public », 165 RCADI (1979), pp. 9-232. - DUPUY René-Jean, « Le droit des relations entre les organisations internationales », 100 RCADI (1960), pp. 457-589. - FITZMAURICE Gerald, « Some Problems Regarding the Formal Sources of International Law », in : F. M. van Asbeck et al. (éds), Symbolae Verzijl. Présentées au Prof. J. H. W. Verzijl à l’occasion de son LXX-ième anniversaire (1958), pp. 153-176. - FRANCK Thomas, « Fairness in the international legal and institutional system : general course on public international law », 240 RCADI (1993), pp. 9-498. - HOUBEN Piet-Hein, « Principles of International Law concerning friendly relations and co-operation among States », 61 AJIL (1967), pp. 703-736. - KELSEN Hans, « Théorie du droit international public », 84 RCADI (1953), pp. 1-203. - LACHS Manfred, « Quelques réflexions sur la communauté internationale », Mélanges Virally. Le droit international au service de la paix, de la justice et du développement, Pedone (1991), pp. 349-357. - LAUTERPACHT Elihu, « The Legal Effect of Illegal Acts of International Organizations », Cambridge Essays in International Law, Essays in Honour of Lord McNair, Stevens & Sons, Oceana Publications (1965), pp. 88-121. - LAUTERPACHT Hersch, « The Nature of International Law and General Jurisprudence » [1932], in : LAUTERPACHT Elihu (éd), International Law: Being the Collected Papers of Hersch Lauterpacht, Vol. 2, Part. 1, CUP (1975), pp. 3-21. - MALAURIE Philippe, « Les précédents et le droit », 58 RIDC (2006), pp. 319-326. - McDOUGAL Myres, « Law as a Process of Decision : A Policy-Oriented Approach to Legal Study », 1 Natural Law Forum n°53 (1956), pp. 53-72. - OSIEKE Ebere, « The Legal Validity of Ultra Vires Decisions of International Organizations », 77 AJIL (1983), pp. 239-256. - PELLET Alain, « L’adaptation du droit international aux besoins changeants de la société internationale », Conférence inaugurale session de droit international public (2007), pp. 17-47. 276 - PELLET Alain, « Les articles de la CDI sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite. Suite et fin ? », 48 AFDI (2002), pp. 1-23. - PERELMAN Charles, « Droit, logique et épistémologie », Le droit, les sciences humaines et la philosophie, Librairie philosophique Vrin (1973), pp. 227-240. - POLITIS Nicolas, « Le problème des limitations de la souveraineté et la théorie de l’abus des droits dans les rapports internationaux », 6 RCADI (1925), pp. 1-121 - RIALS Stéphane, « Les standards, notions critiques du droit », in : PERELMAN Charles et VANDER ELST Raymond (éds), Les notions à contenu variable en droit, Bruylant, pp. 39-53. - SALMON Jean, « Langage et pouvoir en droit international », in : INGBER Léon et al. (éds), Le langage du droit, Nemesis (1991), pp. 305-319. - SALMON Jean, « Les notions à contenu variable en droit international public », in : PERELMAN Charles et VANDER ELST Raymond (éds), Les notions à contenu variable, Bruylant (1984), pp. 251-268. - SALMON Jean, « Le fait dans l’application du droit international », 175 RCADI (1982), pp. 261-410. - SCELLE Georges, « Théorie et pratique de la fonction exécutive en droit international », 55 RCADI (1936). - SCELLE Georges, « Règles générale du droit de la paix », 46 RCADI (1933), pp. 327703. - SIMMA Bruno, « From Bilateralism to Community Interests in International Law », 250 RCADI (1994), pp. 217-384. - TAYLOR G., « The Content of the Rule Against Abuse of Rights in International Law », 46 BYBIL (1972-1973), pp. 323-352. - THIERRY Hubert, « Les résolutions des organisations internationales dans la jurisprudence de la CIJ », 167 RCADI (1980), pp. 385-450. - TOMUSCHAT Christian, « Obligations arising for states without or against their will », 241 RCADI (1993), pp. 195-374. - TRUYOL Y SERRA A., « Théorie du droit international public : cours général », 173 RCADI (1981), pp. 9-443. - TUNKIN Grigory, « Remarks on the primacy of international law in politics », in Mélanges Virally. Le droit international au service de la paix, de la justice et du développement, Pedone (1991) pp. 455-463. - VAN KAN J., « Règles générales du droit de la paix (L’idée de l’organisation internationale dans ses grandes phases », 66 RCADI (1938), pp. 295-621. - VERDROSS Alfred, « Règles générales du droit international de la paix », 30 RCADI (1929), pp. 271-517. - VIRALLY Michel, « Les actes unilatéraux des organisations internationales », in : BEDJAOUI Mohamed (éd), Le droit international. Bilan et perspectives, Pedone (1991), pp. 347-365. 277 - VIRALLY Michel, « Résolution et accord international », in : MAKARCZYK Jerzy (éd), Etudes de droit international en l’honneur du juge Manfred Lachs, Martinus Nijhoff Publishers (1984), pp. 299-306. - (de) VUYST, « The Use of Discretionary Authority by International Organizations in their Relations with International Civil Servants », 12 Den.JILP (1983), pp. 237-268. - WATTS Arthur, « The Importance of International Law », in : BYERS Michael (éd), The Role of Law in International Politics, OUP (2001), pp. 5-16. - WEIL Prosper, « Le droit international en quête de son identité : cours général de droit international public », 237 RCADI (1992), pp. 11-370. - ZEMANEK Karl, « What is ‘State Practice’ and who Makes It ? », in : U. BEYERLIN et al. (éds), Recht zwischen Umbruch und Bewahrung, Festschrift für Rudolf Bernhardt, Springer-Verlag (1995), pp. 289-308. b) Doctrine spécialisée (Société des Nations et Nations Unies) i. Commentaires (Pacte et Charte) - COT Jean-Pierre, PELLET Alain et FORTEAU Mathias (éds), La Charte des Nations Unies, commentaire article par article, Economica (2005). - COT Jean-Pierre et PELLET Alain (éds), La Charte des Nations Unies. Commentaire article par article, Economica/Bruylant (1985). - GOODRICH Leland, HAMBRO Edvard & SIMONS Anne, Charter of the United Nations. Commentary and Documents, World Peace Foundation (1969). - GOODRICH Leland & HAMBRO Edvard, Charter of the United Nations. Commentary and Documents, World Peace Foundation (1946). - KELSEN Hans, The Law of the United Nations : a Critical Analysis of its Fundamental Problems, Stevens & Sons (1950). - SIMMA Bruno, KHAN Daniel-Erasmus, NOLTE Georg & PAULUS Andreas (éds) [cité : SIMMA et al.], The Charter of the United Nations : A Commentary, OUP (2012). - SIMMA Bruno (éd), The Charter of the United Nations. A Commentary, OUP (2002). - YEPES J. M. et DA SILVA Pereira, Commentaire théorique et pratique du Pacte de la Société des Nations et des Statuts de l’Union panaméricaine, 3 vols., Pedone (1935). ii. Ouvrages spécialisés - ABI-SAAB Georges, The United Nations Operation in the Congo 1960-1964, OUP (1978). - ALEXANDROV Stanimir, Self-defense against the use of force in international law, Kluwer Law International (1996). - AMBROSETTI David, Normes et rivalités diplomatiques à l’ONU : le Conseil de sécurité en audience, Peter Lang (2009). - ARNTZ Joachim, Der Begriff der Friedensbedrohung in Satzung und Praxis des Vereinten Nationen, Duncker & Humblot (1975). 278 - BAILEY Sydney & DAWS Sam, The Procedure of the UN Security Council, OUP (1998). - BAILEY Sydney, The UN Security Council and Human Rights, MacMillan Press (1994). - BARANDON Paul, Le système juridique de la Société des Nations pour la prévention de la guerre, Librairie Kundig et Pedone (1933). - BEDJAOUI Mohammed, Nouvel ordre mondial et contrôle de la légalité des actes du Conseil de sécurité, Bruylant (1994). - BOYD Andrew, Fifteen Men on a Powder Keg : a History of the UN Security Council, Methuen (1971). - BROWN Neville, Climate Change : a Threat to Peace, Research Institute for Study of Conflict and Terrorism (1994). - BYERS Michael (éd), The Role of Law in International Politics : Essays in International Relations and International Law, OUP (2000). - CAHIN Gérard, Les organisations internationales et la coutume internationale : l’incidence de la dimension institutionnelle sur le processus coutumier, Pedone (2001). - CHESTERMAN Simon, Just War or Just Peace ? Humanitarian Intervention and International Law, OUP (2001). - COMBACAU Jean, Le pouvoir de sanction de l’O.N.U. : étude théorique de la coercition non militaire, Pedone (1974). - CONFORTI Benedetto, The Law and Practice of the United Nations, Martinus Nijhoff publishers (2005). - CONWELL-EVANS T., The League Council in action : a study of the methods employed by the Council of the League to prevent war and to settle international disputes, OUP (1929). - CRONIN Bruce & HURD Ian (éds), The UN Security Council and the politics of international authority, Routlegde (2008). - DAMROSCH Lori (éd), Enforcing Restraint : Collective Intervention in Internal Conflicts, Council on Foreign Relations (1993). - DANCHIN Peter & FISCHER Horst (éds), United Nations Reform and the New Collective Security, CUP (2010). - DEDRING Juergen, The United Nations Security Council in the 1990s : Resurgence and Renewal, State University of New York Press (2008). - DELBRÜCK Jost (éd), The future of international law enforcement : new scenarios – new law ?: proceedings of an international symposium of the Kiel institute of international law, March 25 to 27, 1992, Duncker & Humblot (1993). - DELCOURT Barbara et CORTEN Olivier, Ex-Yougoslavie : droit international, politique et idéologies, Bruylant (1998). - DENIS Catherine, Le pouvoir normatif du Conseil de sécurité : portée et limites, Bruylant (2005). - DIALLO Alassane, Les Nations Unies face aux nouveaux enjeux de la paix et de la sécurité internationales, Editions l’Harmattan (2005). - DINSTEIN Yoram, War, Aggression and Self-Defense, CUP (2011). 279 - DUPUY René-Jean (éd), Le développement du rôle du Conseil de sécurité, colloque La Haye, Martinus Nijhoff Publishers (1993). - FALK Richard (éd), The International Law of Civil War, Johns Hopkins Press (1971). - FARRALL Jeremy, United Nations Sanctions and the Rule of Law, CUP (2007). - FASSBENDER Bardo, UN Security Council Reform and the Right of Veto : A Constitutional Perspective, Kluwer Law International (1998). - FRAAS Michael, Sicherheitsrat der Vereinten Nationen und Internationaler Gerihtshof, Peter Lang (1998). - FRANCK Thomas, Recourse to Force. State Action Against Threats and Armed Attacks, CUP (2002). - GOODRICH Leland & SIMONS Anne, The United Nations and the maintenance of international peace and security, The Brookings Institution (1955). - GOOLD Benjamin & LAZARUS Liona (éds), Security and Human Rights, Hart (2007) - GOWLLAND-DEBBSA Vera, Collective responses to illegal acts in international law : United Nations action in the question of Southern Rhodesia, Martinus Nijhoff Publishers (1990). - GRANT Thomas, Admission to the United Nations, Charter Article 4 and the Rise of Universal Organization, Martinus Nijhoff Publishers (2009). - GRAY Christine, International Law and the Use of Force, OUP (2008). - GRENVILLE Clark & SOHN Louis, World Peace through World Law : two alternative plans, HUP (1960), pp. 111-113. - HERDEGEN Matthias, Die Befügnisse Absolutismus im Völkerrecht ? (1998). - HIGGINS Rosalyn, The Development of International Law Through the Political Organs of the United Nations, OUP (1963). - HIGGINS Rosalyn, United Nations Peacekeeping : Documents and Commentary (4 Vols). - HILDERBRAND Robert, Dumbarton Oaks. The Origins of the United Nations and the Search for Postwar Security, University North Carolina Press (2001). - HUME C., The United Nations, Iran, and Iraq : How Peacemaking Changed, Indiana Univ. Press (1994). - JOYNER Daniel, International Law and the proliferation of weapons of mass destruction, OUP (2009). - KAHNG Tan, Law, Politics and the Security Council : an inquiry into the handling of legal questions involved in international disputes and situations, Martinus Nijhoff Publishers (1964). - KERBRAT Yann, La référence au Chapitre VII de la Charte des Nations Unies dans les résolutions à caractère humanitaire du Conseil de sécurité, L.G.D.J. (1995). - KOLB Robert, Ius contra bellum : le droit relatif au maintien de la paix, Helbing Lichtenhahn (2010). - KOLB Robert, Introduction au droit des Nations Unies, Helbing Lichtenhahn (2008). 280 des UN-Sicherheitsrates : Aufgeklärter - KUNZ Norbert, L’article 11 du Pacte et la Convention générale en vue de développer les moyens pour prévenir la guerre, Sirey (1933). - LAGRANGE Evelyne, Les opérations de maintien de la paix et le chapitre VII de la Charte des Nations Unies, L.G.D.J./Montchrestien (1999). - LAILACH Martin, Die Währung des Weltfriedens und der internationalen Sicherheit als Aufgabe des Sicherheitrates der Vereinten Nationen, Duncker & Humblot (1998). - LEE James, Climate change and armed conflict : hot and cold wars, Routledge (2009). - LEROY Maxime, La Société des Nations, guerre ou paix ?, Pedone (1932). - LOWE Vaughan et al. (éds), The United Nations Security Council and war : the evolution of thought and practice since 1945, OUP (2008). - LUARD Evan, A History of the UN : The Years of Western Domination, 1945-1955, Palgrave Macmillan (1982). - LUCK Edward, UN Security Council. Practice and Promise, Routledge (2006). - MALONE David (éd), The UN Security Council: from the Cold War to the 21st century, Viva Books Private Limited (2006). - MALONE David, Decision-Making in the Security Council: The Case of Haiti (19901997), Clarendon Press (1998). - MARTENCZUK Bernd, Rechtsbindung und Rechtskontrolle des Weltsicherheitsrates. Die Überprüfung nicht militärischer Zwangsmassnahmen durch den Internationalen Gerichtshof, Duncker & Humblot Berlin (1996). - MATHESON Michael, Council Unbound. The Growth of UN Decision Making on Conflict and Postconflict issues after the Cold War, US Institute of Peace Press (2006). - McWHINNEY Edward, United Nations Law Making, Holmes & Meier (1984). - McDOUGAL Myres & FELICIANO Florentino, Law and Minimum World Public Order : the Legal Regulation of International Coercion, YUP (1961). - NOVOSSELOFF Alexandra, Le Conseil de sécurité des Nations Unies et la maîtrise de la force armée, dialectique du politique et du militaire en matière de paix et de sécurité internationales, Bruylant (2003). - ORAKHELASHVILI Alexander, Collective security, OUP (2011). - ÖSTERDAHL Inger, Threat to the peace : the interpretation by the Security Council of Article 39 of the UN Charter, Iustus Forläg (1998). - PAPE Matthias, Humanitäre Intervention : Zur Bedeutung der Menschenrechte in den Vereinten Nationen, Nomos (1997). - REUTER Paul, Institutions internationales, PUF (1967). - RUSSEL Ruth, A History of the United Nations Charter. The Role of the United States 1940-1945, The Brookings Institution (1958). - SAROOSHI Danesh, The United Nations and the development of collective security : the delegation by the UN Security Council of its Chapter VII powers, OUP (1999). - SCHÄFER Andreas, Der Begriff der « Bedrohung des Friedens » in Artikel 39 der Charta der Vereinten Nationen. Die Praxis des Sicherheitsrat, Peter Lang (2006). 281 - SCHWEIGMAN David, The authority of the Security Council under Chapter VII of the UN Charter : legal limits and the role of the International Court of Justice, Martinus Nijhoff Publishers (2001). - SFDI, Les métamorphoses de la sécurité collective, Droit, pratique et enjeux stratégiques, Journée franco-tunisiennes, Pedone (2005). - SFDI, Les nouvelles menaces contre la paix et la sécurité internationales : New Threats to International Peace and Security, Journée franco-allemande, Pedone (2004). - SFDI, Le Chapitre VII de la Charte des Nations Unies, Actes du colloque de Rennes, Pedone (1995). - STAHN Carsten, The Law and Practice of International Territorial Administration, Versailles to Iraq and Beyond, CUP (2008), pp. 423-435. - STEIN Andreas, Der Sicherheitsrat der Vereinten Nationen und die Rule of Law, Nomos Verlagsgesellschaft (1999). - STERN Brigitte (éd), Les aspects juridiques de la crise et de la guerre du Golfe, Montchrestien (1991). - STROMSETH Jane, WIPPMAN D. & BROOKS R., Can Might Make Rights ? Building the Rule of Law After Military Intervention (2006). - STÜRCHLER Nicolas, The Threat of Force in International Law, CUP (2007). - SUR Serge, Le Conseil de sécurité dans l’après 11 septembre, L.G.D.J. (2004). - THOME Nathalie, Les pouvoirs du Conseil de sécurité au regard de la pratique récente du chapitre VII de la Charte des Nations Unies, PUAM (2005). - TOMUSCHAT Christian (éd), The United Nations At Age Fifty. A Legal Perspective, Kluwer Law International (1995). - TULLIE A., La Mandchourie et le conflit sino-japonais devant la Société des Nations, Thèse de doctorat, Faculté de droit de l’Université de Toulouse, Librairie du Recueil Sirey (1935). - TZANAKOOULOS A., Disobeying the Security Council : Countermeasures against Wrongful Sanctions, OUP (2011). - WEISS Thomas (éd), Collective Security in a Changing World, Lynne Rienner Publishers (1993). - WEBSTER Charles, League of Nations in theory and practice, G. Allen and Unwin (1933), pp. 142-179. - (de) WET Erika, The Chapter VII powers of the United Nations Security Council, Hart publishing (2004). - WHITE Nigel, Collective Security Law, Ashgate (2003). - WHITE Nigel, Keeping the peace : the United Nations and the maintenance of international peace and security, Manchester University Press (1993). - ZAMBELLI Mirko, La constatation des situations de l’article 39 de la Charte des Nations Unies par le Conseil de sécurité, Helbing & Lichtenhahn (2002). iii. Articles spécialisés 282 - ABI-SAAB Georges, « The Security Council Legibus Solutus ? On the Legislative Forays of the Council ? », in : KOHEN Marcelo & BOISSON DE CHAZOURNES Laurence (éds), International Law and the Quest for Its Implementation : Le droit international et la quête de sa mise en œuvre, Liber Amicorum Vera Gowlland-Debbas, Martinus Nijhoff Publishers (2010), pp. 23-44. - ABI-SAAB Georges, « The Role of International Law in the Peace Strategy of the Charter », in : NATIONS UNIES (éds), Is Universality in Jeopardy ? (1987), pp. 35-49. - ABI-SAAB Georges, « A New World Order ? », HYBIL (1994), pp. 87-93. - AKANDE Dapo, « The International Court of Justice and the Security Council : is there room for judicial control of décisions of the political organs of the United Nations ? », 46 ICLQ (1997), pp. 309-343. - ALSTON Philip, « The Security Council and Human Rights : Lessons to be Learned from the Iraq-Kuwait Crisis and its Aftermath », 13 AYBIL (1991), pp. 107-176. - ALVAREZ José, « Judging the Security Council », 90 AJIL (1996), pp. 1-39. - AMBROSETTI David, « L’humanitaire comme norme du discours au Conseil de sécurité : une pratique légitimatrice socialement sanctionnée », 60 Cultures & Conflits (2005). - ANGELET Nicolas, « International Law Limits to the Security Council », in : GOWLLAND-DEBBAS Vera (éd), United Nations Sanctions and International Law, Kluwer Law International (2001), pp. 71-82. - ANGELET Nicolas, « Protest Against Security Council decisions », in : WELLENS (éd), International Law : Theory and Practice – Essays in Honour of Eric Suy (1998), pp. 135147. - ANNAN Kofi, « Peace-keeping in Situations of Civil War », 26 NYUJILP (1993-1994), pp. 623-654. - ARANGIO-RUIZ Gaetano, « On the Security Council’s ‘Law-Making’ », 3 Riv. d. diritto int. (2000), pp. 609-729. - ARGENT (d’) Pierre, ASPREMONT (d’) LYNDEN Jean, DOPAGNE Frédéric & VAN STEENBERGHE Raphaël (cité : D’ARGENT et al.), « Article 39 », in : COT Jean-Pierre, PELLET Alain et FORTEAU Mathias (éds), La Charte des Nations Unies, commentaire article par article, Economica (2005), pp. 1131-1171. - AZNAR GOMEZ Mariano, « A Decade of Human Rights Protection by UN Security Council. A Sketch of Deregulation ? », 13 EJIL (2002), pp. 223-241. - BAEHR Peter, « The Security Council and Human Rights », in : LAWSON/DE BOIS (éds), The Dynamics of the Protection of Human Rights in Europe – Essays in Honour of Henry G. Schermers, Vol. III (1994), pp. 15-33. - BANNON Alicia, « The Responsibility to Protect : the U.N. World Summit and the Question of Unilateralism », 115 YLJ (2006), pp. 1157-1165. - BEN MESSAOUD Lamia, « La catégorie ‘menace contre la paix et la sécurité internationales’: harmonie ou contradictions », in : BEN ACHOUR Rafâa & LAGHMANI Slim (éds), Harmonie et contradictions en droit international, Colloque des 11-12 avril 1996, Pedone (1996), pp. 177-192. 283 - BENNOUNE Karima, « Sovereignty vs. Suffering ? Re-examining Sovereignty and Human Rights through the Lens of Iraq », 13 EJIL (2002), pp. 243-262. - BERDAL Mats, « The Security Council, Peacekeeping and Internal Conflict After the Cold War », 7 Duke JCIL (1996), pp. 71-92. - BERMAN Franklin, « The UN Charter and the Use of Force », 10 SYBIL (2006), pp. 917. - BIAD Abdelwahab, « Les arrangements internationaux pour garantir les Etats non dotés d’armes nucléaires contre l’emploi ou la menace de ces armes », AFDI (1997), pp. 227252. - BIANCHI Andrea, « Assessing the Effectiveness of the UN Security Council’s AntiTerrorism Measures : the Quest for Legitimacy and Cohesion », 17 EJIL (2006), pp. 881919. - BIANCHI Andrea, « Ad-hocism and the Rule of Law », 13 EJIL (2002), pp. 263-272. - BILLS David, « International Human Rights and Humanitarian Intervention : The Ramifications of Reform on the United Nations Security Council », 31 TILJ (1996), pp. 107-130. - BLOKKER Niels, « Is the Authorization Authorized ? Powers and Practice of the United Nations Security Council to Authorize the Use of Force by ‘Coalitions of the Able and Willing’ », 11 EJIL (2000), pp. 541-568. - BLOKKER Niels & KLEIBOER Marieke, « The Internationalization of Domestic Conflict : the Role of the UN Security Council », LJIL (1996), pp. 7-35. - BOLANOS Tania, « Military Intervention without Security Council’s Autorisation as a Consequence of the ‘Responsibility to Protect’ », in : WOLFRUM Rüdiger and KOJIMA Chie (éds), Solidarity : A Structural Principle of International Law, Springer (2010), pp. 169-192. - BOLLECKER Brigitte, « L’avis consultatif du 21 juin 1971 dans l’affaire de la Namibie », 17 AFDI (1971), pp. 281-333. - BOISSON DE CHAZOURNES Laurence, « Rien ne change, tout bouge, ou le dilemme des Nations Unies. Propos sur le Rapport du Groupe des personnalités de haut niveau sur les menaces, les défis et le changement », RGDIP (2005), pp. 147-161. - BOISSON DE CHAZOURNES Laurence, « Qu’est-ce que la pratique en droit international ? », in : SFDI, La pratique et le droit international, Colloque de Genève, Pedone (2004), pp. 13-47. - BORE EVENO Valérie, « Le contrôle juridictionnel des résolutions du Conseil de sécurité : vers un constitutionnalisme international ? », 110 RGDIP (2006), pp. 827-860. - BOTHE Michael, « Les limites aux pouvoirs du Conseil de sécurité », in : DUPUY RenéJean (éd), Le développement du rôle du Conseil de sécurité, Colloque La Haye 21-23 juillet 1992, Martinus Nijhoff Publishers (1993), pp. 67-81. - BOURLOYANNIS Christiane, « The Security Council of the United Nations and the Implementation of International Law », 20 Den.JILP (1992), pp. 335-356. - BOWETT Derek, « The Impact of Security Council Decisions on Dispute Settlement Procedures », 5 EJIL (1994), pp. 89-101. 284 - BRIERLY James, International Law and Resort to Armed Force », 4 CLJ (1930-1932), pp. 308-319. - BROUCKERE (de) Louis, « Prévention de la guerre », RCADI. - BROWNLIE Ian, « The Decisions of Political Organs of the United Nations and the Rule of Law », in : MACDONALD John (éd), Essays in Honour of Wang Tieya, Martinus Nijhoff Publishers (1993), pp. 91-102. - BROWN Michael, « Introduction », in : BROWN Michael (éd), The international dimensions of internal conflict, MIT Press (1996), pp. 1-31. - CAHIN Gérard, « La notion de pouvoir discrétionnaire appliquée aux organisations internationales », 107 RGDIP (2003), pp. 535-600. - CARON David, « The Legitimacy of the collective authority of the Security Council », 87 AJIL (1993), pp. 552-588. - CARRILLO SALCEDO Juan Antonio, « Le rôle du Conseil de sécurité dans l’organisation et la réglementation du ‘droit d’assistance humanitaire’ », in : DUPUY René-Jean (éd), Le développement du rôle du Conseil de sécurité, Colloque La Haye 2123 juillet 1992, Martinus Nijhoff Publishers (1993), pp. 157-168. - CARVALHO (de) Benjamin and SCHIA Niels Nagelhus, « UN Reform and Collective Security. An Overview of Post-Cold War Initiatives and Proposals, Working Papers from NUPI’s UN Programme « Challenges to Collective Security », Paper n°1, Norwegian Institute of International Affairs (2004). - CASSESE Antonio, « Terrorism is Also Disrupting Some Crucial Legal Categories of International Law », 12 EJIL (2001), pp. 993-1001. - CHAKSTE Mintauts, « Justice and Law in the United Nations Charter », 42 AJIL (1948), pp. 590-600. - CHRISTAKIS Théodore, « Prométhée déchainé », RBDI (2004), pp. 459-461. - COHEN-JONATHAN Gérard, « Le Conseil de sécurité et les droits de l’homme », in : FLAUSS Jean-François et WACHSMANN Patrick (éds), Le droit des organisations internationales, Recueil d’études à la mémoire de Jacques Schwob, Bruylant (1997), pp. 19-70. - COHEN-JONATHAN Gérard, « Article 39 », in : COT Jean-Pierre et PELLET Alain (éds), La Charte des Nations Unies. Commentaire article par article, Economica/Bruylant (1985), pp. 645-665. - COMBACAU Jean, « Le Chapitre VII de la Charte des Nations Unies : résurrection ou métamorphose ? », in : BEN ACHOUR/LAGHMANI (éds), Les nouveaux aspects du droit international, colloque des 14, 15 et 16 avril 1994, Pedone (1994), pp. 139-158. - CONDORELLI Luigi & CIAMPI Annalisa, « Comments on the Security Council Referral of the Situation in Darfur to the ICC », 3 JICJ (2005), pp. 590-599. - CONDORELLI Luigi & PETROVIC Drazen, « L’ONU et la crise Yougoslave », AFDI (1992), pp. 32-60. - CONFORTI Benedetto, « Le pouvoir discrétionnaire du Conseil de sécurité en matière de constatation d’une menace contre la paix, d’une rupture de la paix ou d’un acte d’agression », in : DUPUY René-Jean (éd), Le développement du rôle du Conseil de 285 sécurité, Colloque La Haye 21-23 juillet 1992, Martinus Nijhoff Publishers (1993), pp. 51-60. - CORM Georges, « Pour une approche profane des conflits de l’après Guerre froide », 68 La revue internationale et stratégique (hiver 2007-2008), pp. 25-41. - CORTEN Olivier, « La participation du Conseil de sécurité à l’élaboration, à la cristallisation ou à la consolidation des règles coutumières », 21 Arès n°55, Fascicule 3 (Mai 2005), pp. 87-99. Aussi publié dans la RBDI (2004), pp. 552-567. - CORTEN Olivier, « La résolution 940 du Conseil de sécurité autorisant une intervention militaire en Haïti : l’émergence du principe de légitimé démocratique en droit international ? », 6 EJIL (1995), pp. 166-133. - CORTEN Olivier et KLEIN Pierre, « L’autorisation de recourir à la force à des fins humanitaires : droit d’ingérence ou retour aux sources ? », 4 EJIL (1993), pp. 506-533. - COT Jean-Pierre, « Force du droit et droit de la force : En quoi la réforme du Conseil de sécurité est-elle pertinente pour notre débat ? », in : Le droit international à la croisée des chemins. Force du droit et droit de la force, Pedone (2004), pp. 43-47. - CRAWFORD James, « Democracy and International Law », BYBIL (1993), pp. 113-133. - CRONIN Bruce, « International consensus and the changing legal authority of the UN Security Council », in : CRONIN Bruce & HURD Ian (éds), The UN Security Council and the politics of international authority, Routlegde (2008), pp. 57-79. - CRONIN Bruce and HURD Ian, « Conclusion : Assessing the Council’s authority », in : CRONIN Bruce & HURD Ian (éds), The UN Security Council and the politics of international authority, Routlegde (2008), pp. 199-214. - CRYER Robert, « The Security Council and Article 39 : a Threat to Coherence », 1 JCSL (1996), pp. 161-195. - DAILLIER Patrick, « Elargissement et diversification de l’intervention des Nations Unies au titre du Chapitre VII de la Charte », in : SFDI, Le Chapitre VII de la Charte des Nations Unies, Pedone (1995), pp. 121-160. - DAMROSCH Lori, « The Permanent Five as Enforcers of Controls on Weapons of Mas Destruction : Building on the Iraq Precedent ? », 13 EJIL (2002), pp. 305-321. - DAUDET Yves, « Les particularismes juridiques de la crise d’Haïti », in : DAUDET Yves (éd), La crise en Haïti (1991-1996), Montchrestien (1996), pp. 29-46. - DE JONGE OUDRAAT Chantal, « The United Nations and Internal Conflict », in : BROWN Michael (éd), The international dimensions of internal conflict, MIT Press (1996), pp. 489-535. - DELBRÜCK Jost, « A Fresh Look at Humanitarian Intervention under the Authority of the UN », 67 InLJ (1992), pp. 887-901. - DELBRÜCK Jost, « Peacekeeping by the United Nations and the Rule of Law », in : AKKERMAN Robert et al. (éds), Declarations on principles : a quest for universal peace (liber amicorum discipulorumque Prof. Dr. Bert Röling), A. W. Sijthoff (1977), pp. 73-99. - DELON Francis, « La concertation entre les membres permanents du Conseil de sécurité », 39 AFDI (1993), pp. 53-64. 286 - DE SENA Pasquale & VITUCCI Naria, « The European Courts and the Security Council : Between Dédoublement fonctionnel and Balancing of Values », 20 EJIL (2009), pp. 193-228. - DINSTEIN Yoram, « Human Intervention from Outside, in the Face of Genocide, is Legitimate only when Undertaken by the Security Council », 27 Justice (2001), pp. 4-7. - DINSTEIN Yoram, « The Legal Lessons of the Gulf War », 48 AuJPIL (1995), pp. 1-17. - DIVAC ÖBERG Marko, « The Legal Effects of Resolutions of the UN Security Council and General Assembly in the Jurisprudence of the ICJ », 16 EJIL (2005), pp. 879-906. - DOMINICE Christian, « Le Conseil de Sécurité et l’accès aux pouvoirs qu’il reçoit du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies », in : BELHUMEUR Jeanne et CONDORELLI Luigi (éds), L’ordre juridique international entre tradition et innovation, Recueil d’études Christian Dominicé, PUF (1997), pp. 180-197. - DOWTY Alan & LOESCHER Gil, « Refugee Flows as Grounds for International Action », 21 International Security (1996), pp. 43-71. - DUPUY Pierre-Marie, « Le droit des Nations Unies et sa pratique dans la jurisprudence de la Cour internationale de justice », La pratique et le droit international, Pedone (2004), pp. 139-157. - DUPUY Pierre-Marie, « Le maintien de la paix », in : DUPUY René-Jean (éd), Manuel sur les organisations internationales – A Handbook on International Organizations, Martinus Nijhoff Publishers (1998), pp. 563-604. - DUPUY Pierre-Marie, « International Law : Torn between Coexistence, Cooperation and Globalization. General Conclusions », 9 EJIL (1998), pp. 278-286. - DUPUY Pierre-Marie, « The Constitutional Dimension of the Charter of the United Nations Revisited », 1 Max Planck UNYB (1997), pp. 1-34. - DUPUY Pierre-Marie, « Limits on the Control of Legality of the International Court of Justice on Security Council’s action », in : SALERNO Francesco (éd), Il ruolo del giudice internazionale nell’evoluzione del diritto internazionale e communitario, atti del convegno di Studi in memoria di Gaetano Morelli, Crotone 22-23 ottobre 1993, CEDAM (1995), pp. 221-223. - DUPUY Pierre-Marie, « Droit international humanitaire et maintien de la paix et de la sécurité internationales : harmonie ou contradiction ? », in Les nouveaux aspects du droit international (1994), pp. 87-108. - DUPUY Pierre-Marie, « Sécurité collective et organisation de la paix », RGDIP (1993), pp. 617-627. - DUPUY Pierre-Marie, « Sécurité collective et construction de la paix dans la pratique contemporaine du Conseil de sécurité », in : U. BEYERLIN et al. (éds), Recht zwischen Umbruch und Bewahrung, Festschrift für Rudolf Bernhardt, Springer-Verlag (1995), pp. 41-56. - EITEL Tono, « The UN Security Council and its Future Contribution in the Field of International Law », 4 Max Planck UNYB (2000), pp. 53-71. - ENGEL S., « ‘Living’ International Constitutions and the World Court (The Subsequent Practice of International Organs under their Constituent Instruments) », 16 ICLQ (1967), pp. 865-910. 287 - EVANS Cedric, « The Concept of ‘Threat to Peace’ and Humanitarian Concerns : Probing the Limits of Chapter VII of the U.N. Charter », 5 Transnational Law and Contemporary Problems (1995), pp. 213-236. - FARER Tom, « The United Nations and Human Rights : More Than A Whimper Less Than A Roar », 9 HRQ (1987), pp. 550-586. - FARER Tom, « An Inquiry into the Legitimacy of Humanitarian Intervention », in DAMROSCH Lori and SCHEFFER David (eds), Law and Force in the New International Order, Westview Press (1991), pp. 185-201. - FARER Tom, « The Regulation of Foreign Intervention in Civil Armed Conflict », 142 RCADI (1974), pp. 291-417. - FASSBENDER Bardo, « The Role for Human Rights in the Decision-Making Process of the Security Council », in : FASSBENDER Bardo (éd), Securing Human Rights ? Achievements and Challenges of the UN Security Council, OUP (2011), pp. 74-97. - FASSBENDER Bardo, « Uncertain Steps into a Post Cold War World : The Role and Functioning of the UN Security Council after a Decade of Measures against Iraq », 13 EJIL (2002), pp. 273-303. - FASSBENDER Bardo, « Review Essay : Quis judicabit ? The Security Council, its Powers and its Legal Control », 11 EJIL (2000), pp. 219-232. - FASSBENDER Bardo, « The United Nations Charter as Constitution of the International Community », 36 Columb.JTL (1998), pp. 529-619. - FAWCETT J., « Security Council Resolutions on Southern Rhodesia », 41 BYBIL (19651966), pp. 103-121. - FENWICK Charles, « Editorial Comment : When is there a threat to the peace ? – Rhodesia », 51 AJIL (1967), pp. 753-755. - FENWICK Charles, « The Development of Collective Security, 1914-1954 », 48 ASIL Proc. (1954), pp. 2-13. - FIDLER David, « Caught Between Traditions : The Security Council in Philosophical Conundrum », 17 MichJIL (1996), pp. 412-453. - FIELDING Lois, « Taking a Closer Look at Threats to Peace : the Power of the Security Council to Address Humanitarian Crises », 73 UDMLR (1996), pp. 551-568. - FISCHER WILLIAMS John, « The Covenant of the League of Nations and War », 5 CLJ (1933), pp. 1-21. - FORSYTHE David, « Human Rights and International Security : United Nations Field Operations Redux », in : CASTERMANS-HOLLEMAN et al. (éds), The Role of the Nation-State in the 21st Century, Essays in Honour of Peter Baehr, Kluwer Law International (1998), pp. 259-276. - FOX Gregory, « Democratization », in : D. MALONE (éd), The UN Security Council. From the Cold War to the 21st Century, Viva Books Private Limited (2006), pp. 69-84. - FOX William, « Collective Enforcement of Peace and Security », 39 APSR (1945), pp. 970-981. - FRANCIONI Francesco, « Of War, Humanity and Justice : International Law After Kosovo », 4 Max Planck UNYB (2000), pp. 107-126. 288 - FRANCK Thomas, « The United Nations as Guarantor of International Peace and Security : Past, Present and Future », in : TOMUSCHAT Christian (éd), The United Nations At Age Fifty. A Legal Perspective, Kluwer Law International (1995), pp. 25-38. - FRANCK Thomas, « The Security Council and ‘Threats to the Peace’ : Some Remarks on Remarkable Recent Developments », in : in : DUPUY René-Jean (éd), Le développement du rôle du Conseil de sécurité, Colloque La Haye 21-23 juillet 1992, Martinus Nijhoff Publishers (1993), pp. 83-110. - FRANCK Thomas, « The Emerging Right to Democratic Governance », 86 AJIL (1992), pp. 46-91. - FRANCK Thomas, « Who is the Ultimate Guardian of the UN Legality ? », 86 AJIL (1992), pp. 519-523. - FRANCK Thomas, « Intervention Against Illegitimate Regimes », in : DAMROSCH Lori Fisler and SCHEFFER David J. (éds), Law and Force in the New International Order, Westview Press (1991), pp. 159-176. - FRANCK Thomas, « Who killed Article 2(4) ? or : Changing norms governing the use of force by States », 64 AJIL (1970), pp. 809-837. - FREUDENSCHUSS Helmut, « Article 39 of the UN Charter Revisited : Threats to the Peace and the Recent Practice of the UN Security Council », 46 AuJPIL (1993), pp. 1-39. - FROWEIN Jochen & KRISCH Nico, « Article 39 », in : SIMMA Bruno (éd), The Charter of the United Nations : A Commentary (2002), pp. 701-729. - FROWEIN Jochen, « Unilateral Interpretation of Security Council Resolutions – A Threat to Collective Security ? », in : GÖTZ Volkmar, SELMER Peter & WOLFRUM Rüdiger (éds), Liber Amicorum Günther Jaenicke (1998), pp. 97-112. - GAJA Giorgio, « Use of Force Made or Authorized by the United Nations », in TOMUSCHAT Christian, The United Nations At Age Fifty. A Legal Perspective, Kluwer Law International (1995), pp. 39-58. - GAJA Giorgio, « Réflexions sur le rôle du Conseil de sécurité dans le nouvel ordre mondial », RGDIP (1993), pp. 297-320. - GARDAM Judith, « Legal Restraints on Security Council Military Enforcement Action », 17 MichJIL (1996), pp. 285-322. - GILL T., « Legal and some political limitations on the power of the UN Security Council to exercise its enforcement powers under Chapter VII of the Charter », NYBIL (1995), pp. 30-138. - GILMOUR D., « The Meaning of Intervene within Article 2(7) of the United Nations Charter – An Historical Perspective », 16 ICLQ (1967), pp. 330-351. - GLENNON Michael, « Sovereignty and Community after Haiti : Rethinking the Collective Use of Force », 89 AJIL (1995), pp. 70-74. - GOODRICH Leland, « Strengthening the United Nations : Maintenance of International Peace and Security », 44 ASIL Proc. (1950), pp. 143-149. - GOODRICH Leland, « Pacific Settlement of Disputes », 39 APSR (1945), pp. 956-970. - GORDON Ruth, « United Nations Intervention in Internal Conflicts : Iraq, Somalia, and Beyond », 15 MichJIL (1993), pp. 519-589. 289 - GOWLLAND-DEBBAS Vera, « The Security Council as Enforcer of Human Rights », in : B. FASSBENDER (éd), Securing Human Rights ? Achievements and Challenges of the UN Security Council, OUP (2011), pp. 36-73. - GOWLLAND-DEBBAS Vera, « The Functions of the United Nations Security Council in the International Legal System », in : BYERS Michael (éd), The Role of Law in International Politics, OUP (2001), pp. 277-313. - GOWLLAND-DEBBAS Vera, « The Limits of Unilateral Enforcement of Community Objectives in the Framework of Peace Maintenance », 11 EJIL (2000), pp. 361-383. - GOWLLAND-DEBBAS Vera, « Security Council Enforcement Action and Issues of State Responsibility », 43 ICLQ (1994), pp. 55-98. - GOWLLAND-DEBBAS Vera, « The Relationship between the International Court of Justice and the Security Council in the Light of the Lockerbie Case », 88 AJIL (1994), pp. 643-677. - GRAEFRATH Bernhard, « International Crimes and Collective Security », in : WELLENS Karel (éd), International Law : Theory and Practice - Essays in Honour of Eric Suy, Martinus Nijhoff Publishers (1998), pp. 237-252. - GRAEFRATH, « Leave to the Court what belongs to the Court », 4 EJIL (1993), pp. 184205. - GRAY Christine, « From Unity to Polarization : International Law and the Use of Force against Iraq », 13 EJIL (2002), pp. 1-19. - GRÜNFELD Fred, « Human Rights Violations : a Threat to International Peace and Security », in : CASTERMANS-HOLLEMAN et al. (éds), The Role of the Nation-State in the 21st Century, Essays in Honour of Peter Baehr, Kluwer Law International (1998), pp. 427-441. - HARPER Keith, « Does the United Nations Security Council have the competence to act as Court and Legislature ? », 27 NYUJILP (1994), pp. 103-157. - HE Qizhi, « The Crucial Role of the United Nations in Maintaining International Peace and Security », in : TOMUSCHAT Christian (éd), The United Nations At Age Fifty. A Legal Perspective, Kluwer Law International (1995), pp. 77-90. - HEINTSCHEL VON HEINEGG Wolff, « Iraq, Invasion of (2003) », Max Planck EPIL. - HERDEGEN Matthias, « Der Sicherheitsrat une die autoritative Konkretisierung des VII. Kapitels der UN-Charta », in : Recht zwischen Umbruch und Bewahrung, pp. 103-120. - HERDEGEN Matthias, « The ‘Constitutionalization’ of the UN System », 27 Vand.JTL (1994), pp. 135-159. - HERNDL Kurt, « Reflections on the Role, Functions and Procedures of the Security Council of the United Nations », 206 RCADI (1987-IV), pp. 289-396. - HERNDL Kurt, « Action by the Security Council : Evolving Practice Beyond Traditional Peacekeeping », in : ASIL/NVUR Proceedings 1995 – Contemporary International Law Issues : Conflicts and Convergences, La Haye (1996), pp. 281-295. - HEXNER Ervin, « Interpretation by Public International Organizations of their basic instrument », 53 AJIL (1959), pp. 341-370. - HIGGINS Rosalyn, « Peace and Security. Achievements and Failures », 6 EJIL (1995), pp. 445-460. 290 - HIGGINS Rosalyn, « The development of international law by the political organs of the United Nations », 59 ASIL Proc. (1965), pp. 116-124. - HIGGINS Rosalyn, « The Place of International Law in the Settlement of Disputes by the Security Council », 64 AJIL (1970), pp. 1-18. - HOFFMANN Stanley, « Thoughts on the UN at Fifty », 6 EJIL (1995), pp. 317-324. - HOWELL John M., « Domestic Questions in International Law », 48 ASIL Proc. (1954), pp. 90-98. - HUTSCHINSON Mark R., « Restoring Hope : UN Security Council Resolutions for Somalia and an Expanded Doctrine of Humanitarian Intervention », 34 HILJ (1993), pp. 624-640. - HUTSCHINSON D. N., « The Material Scope of the Obligation Under the UN Charter to Take Action to Settle International Disputes », 14 AYBIL (1992), pp. 1-128. - IPSEN Knut, « Auf dem Weg zur Relativierung der inneren Souveränität bei Friedensbedrohungen », 2 Vereinte Nationen (1992), pp. 41- 45. - JESSUP Philip, « Should International Law Recognize an Intermediate Status Between Peace and War ? », 48 AJIL (1954), pp. 98-108. - JIMENEZ DE ARECHAGA Eduardo, « Security Council », in : BERNHARDT Rudolf (éd), Encyclopedia of public international law, Elsevier (1992), pp. 1168-1172. - JOHNSTON Ian, « Security Council Deliberations : The Power of the Better Argument », 14 EJIL (2003), pp. 437-480. - JOUANNET Emmanuelle, « L’idée de communauté humaine à la croisée de la communauté des Etats et de la communauté mondiale », La Mondialisation entre Illusion et Utopie, 47 APD (2003), pp. 191-232. - JOUANNET Emmanuelle, « What is the Use of International Law ? International Law as a 21st Century Guardian of Welfare », 28 MichJIL (2007), pp. 815-862. - JOUANNET Emmanuelle, « Les Travaux préparatoires de la Charte des Nations Unies », in : COT Jean-Pierre, PELLET Alain et FORTEAU Mathias (éds), La Charte des Nations Unies : commentaire article par article, Economica (2005), pp. 1-24. - JOYNER Daniel, « Non-proliferation Law and the United Nations System : Resolution 1540 and the Limits of the Security Council Power », 20 LJIL (2007), pp. 489-518. - KADELBACH Stefan & KLEINLEIN Thomas, « International Law – a Constitution for Mankind ? An Attempt at a Re-appraisal with an Analysis of Constitutional Principles », 50 GYBIL (2007), pp. 303-347. - KAECKENBEECK Georges, « La Charte de San Francisco dans ses rapports avec le droit international », 70 RCADI (1947), pp. 109-330. - KELSEN Hans, « Collective Security and Collective Self-Defense under the Charter of the United Nations Charter », 42 AJIL (1948), pp. 783-796. - KELSEN Hans, « Organization and Procedure of the Security Council », 59 HLR (1946), pp. 1087-1121. - KERLEY Ernest, « The Powers of Investigation of the United Nations Security Council », 55 AJIL (1961), pp. 892-918. 291 - KHAN Rahmatullah, « United Nations Peace-keeping in Internal Conflicts », 4 Max Planck UNYB (2000), pp. 543-581. - KIRGIS Frédéric, « The Security Council’s First Fifty Years », AJIL (1995), pp. 506-539. - KOHEN Marcelo G., « There is no need to change the composition of the Security Council. It is time for stressing accountability », in : KOHEN Marcelo & BOISSON DE CHAZOURNES Laurence (éds), International Law and the Quest for Its Implementation : Le droit international et la quête de sa mise en œuvre, Liber Amicorum Vera GowllandDebbas (2010), pp. 85-94. - KOLB Robert, « L’occupation en Irak depuis 2003 et les pouvoirs du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies », 869 RICR (2008), pp. 29-50. - KOLB Robert, « Du domaine réservé. Réflexions sur la théorie de la compétence nationale », 110 RGDIP (2006), pp. 597-630. - KOLB Robert, « De la prétendue discrétion de la Cour internationale de justice », L’ordre juridique international, un système en quête d’équité et d’universalité, Liber Amicorum Georges Abi Saab, Martinus Nijhoff Publishers (2001), pp. 609-627. - KOLB Robert et GAGGIOLI Gloria, « Le Conseil de sécurité face à la protection des civils dans les conflits armés », in : VOYAME Maurice, KÄLIN Walter, KOLB Robert & SPENLE Christoph (éds) [cité M. VOYAME et al.], International Law, Conflict and Development. The Emergence of a Holistic Approach in International Affairs. Mélanges Joseph Voyame, Martinus Nijhoff Publishers (2010), pp. 49-104. - KOOIJMANS Peter, « The Enlargement of the Concept ‘Threat to the Peace’ », in : DUPUY René-Jean (éd), in : DUPUY René-Jean (éd), Le développement du rôle du Conseil de sécurité, Colloque La Haye 21-23 juillet 1992, Martinus Nijhoff Publishers (1993), pp. 111-121. - KOSKENNIEMI Martti, « ‘The Lady Doth Protest Too Much’. Kosovo and the Turn to Ethics in International Law », 65 The Modern Law Review (2002), pp. 159-175. - KOSKENNIEMI Martti, « The Police in the Temple. Order, Justice and the UN : a Dialectical View », 6 EJIL (1995), pp. 325-348. - KOSKENNIEMI Martti, « International Law in a Post-Realist Era », 16 AYBIL (1995), pp. 1-19. - KOSKENNIEMI Martti, « The Place of Law in Collective Security », 17 MichJIL (19951996), pp. 455-490. - KRISCH Nico, « Introduction to Chapter VII : The General Framework », in : SIMMA Bruno, KHAN Daniel-Erasmus, NOLTE Georg, PAULUS Andreas (éds), The Charter of the United Nations : A Commentary, OUP (2012), pp. 1237-1271. - KRISCH Nico, « Article 39 », in : SIMMA Bruno, KHAN Daniel-Erasmus, NOLTE Georg, PAULUS Andreas (éds), The Charter of the United Nations : A Commentary, OUP (2012), pp. 1272-1296. - KUNZ Joseph, « L’article XI du Pacte de la SDN », 39 RCADI (1932), pp. 679-820. - LAGRANGE Evelyne, « Le Conseil de sécurité peut-il violer le droit international ? », 21 Arès n°55, Fascicule 3 (Mai 2005), pp. 101-119. 292 - LAMB Susan, « Legal Limits ot United Nations Security Council Powers », in : GOODWIN-GILL Guy & TALMON Stefan (éds), The Reality of International Law. Essays in Honour of Ian Browlie, pp. 361-388. - LANDAUER Carl, « Antinomies of the United Nations : Hans Kelsen and Alf Ross on the Charter », 14 EJIL (2003), pp. 767-799. - LANFRANCHI Marie-Pierre, « La valeur juridique en France des résolutions du Conseil de sécurité », AFDI (1997), pp. 31-57. - LAUTERPACHT Hersch, « ‘Resort to War’ and the Interpretation of the Covenant during the Manchurian Dispute », 28 AJIL (1934), pp. 43-60. - LAVALLE Robert, « The Law of the United Nations and the Use of Force under the Security Council Resolutions of 1990 and 1991 to Resolve the Persian Gulf Crisis », 23 NYBIL (1992), pp. 3-65. - LIANG Yuen-Li, « Notes on Legal Questions Concerning the United Nations », 48 AJIL (1954), pp. 83-97. - LUCK Edward, « Tackling Terrorism », in : D. MALONE (éd), The UN Security Council. From the Cold War to the 21st Century, Viva Books Private Limited (2006), pp. 85-100. - LUCK Edward, « Making Peace », Foreign Policy (1992-1993), pp. 137-155. - LUKASHUK Igor, « The United Nations and Illegitimate Regimes : When to Intervene to Protect Human Rights », in : DAMROSCH Lori Fisler and SCHEFFER David (éds), Law and Force in the New International Order, Westview Press (1991), pp. 143-158. - MALONE Linda, « ‘Green Helmets’: A conceptual Framework for Security Council Authority in Environmental Emergencies », 17 MichJIL (1996), pp. 515-536. - MANUSAMA Kenneth, « The High Level Panel Report on Threats, Challenges and Change and the Future Role of the United Nations Security Council », 18 LJIL (2005), pp. 605-620. - MARTENCZUCK Bernd, « The Security Council, the International Court and Judicial Review: What Lessons from Lockerbie? », 10 EJIL (1999), pp. 517-547. - McDOUGAL Myres & REISMAN Michael, « Rhodesia and the United Nations : the Lawfulness of International Concern », 62 AJIL (1968), pp. 1-19. - MATHESON Michael, « Practical Considerations for the Development of Legal Standards for Intervention », 13 GJICL (1983), pp. 205-209. - McCARTHY Thomas, « Human Rights and Internal Conflicts : Some Aspects of the United Nations Approach », 13 GJICL (1983), pp. 335-339. - MILANO E., « Security Council Action in the Balkans : Reviewing the Legality of Kosovo’s Territorial Status », 14 EJIL (2003), pp. 999-1022. - MILLER E. [pseudonyme d’Oscar SCHACHTER], « Legal Aspects of UN Action in the Congo », 55 AJIL (1961), pp. 1-28. - MOURGEON J., « Les sessions peu ordinaires de l’Assemblée générale », 25 AFDI (1979), pp. 491-500. - MOUTON D., « La crise rwandaise de 1994 et les Nations Unies », AFDI (1994), pp. 241-242. 293 - MOORE John, « Legal Standards for Intervention in Internal Conflicts », 13 GJICL (1983), pp. 191-199. - MURPHY Sean D., « The Security Council, Legitimacy, and the Concept of Collective Security After the Cold War », 32 Columb.JTL (1994), pp. 201-288. - NANDA Ved, « Tragedies in Northern Iraq, Liberia, Yugoslavia, and Haïti – Revisiting the Validity of Humanitarian Intervention Under International Law – Part I », 20 Den.JILP (1992), pp. 305-334. - HEUHOLD Hanspeter, « Common Security : the Litmus Test of International Solidarity », in : WOLFRUM Rüdiger and KOJIMA Chie (éds), Solidarity : A Structural Principle of International Law, Springer (2010), pp. 193-223. - NGUYEN Huu Tru, « La Charte des Nations Unies et le nouvel ordre mondial », in : THUAN Cao-Huy et FENET Alain (éds), Mutations internationales et évolution des normes, PUF (1994), pp. 7-27. - NOLTE Georg, « The Limits of the Security Council’s Powers and its Functions in the International Legal System : Some Reflections », in : BYERS Michael (éd), The Role of Law in International Politics : Essays in International Relations and International Law, OUP (2000), pp. 315-326. - NOWLAN Jacqueline, « Der Begriff der Friedensbedrohung bei innerstaatlichen Konflikten in der jüngsten Praxis des Weltsicherheitsrats », in : Beiträge zum humanitären Völkerrecht, zur völkerrechtlichen Friedenssicherung und zum völkerrechtlichen Individualschutz, Festschrift für Georg Bock (1993), pp. 165-185. - O’BRIEN J., « The International Tribunal for Violations of Humanitarian Law in the Former Yugoslavia », 87 AJIL (1993), pp. 639-644. - O’CONNELL Mary, « Continuing Limits on UN Intervention in Civil War », 67 InLJ (1992), pp. 903-913. - ODELLO Marco, « Commentary on the United Nations High-Level Panel on Threats, Challenges and Change », 10 JCSL (2005), pp. 231-262. - OETER Stefan, « Civil War, Humanitarian Law and the United Nations », 1 Max Planck UNYB (1997), pp. 195-229. - OOSTHUIZEN Gabriel, « Playing the Devil’s Advocate : the United Nations Security Council is Unbound by Law », 12 LJIL (1999), pp. 549-563. - ORAKHELASHVILI Alexander, « The Acts of the Security Council : Meaning and Standards of Review », 11 Max Planck UNYB (2007), pp. 143-195. - ORAKHELASHVILI Alexander, « The Power of the UN Security Council to Determine the Existence of a ‘Threat to the Peace’ », IYBIL (2006), pp. 61-99. - ORAKHELASHVILI Alexander, « The Impact of Peremptory Norms on the Interpretation and Application of the UN Security Council Resolutions », 16 EJIL (2005). - ORAKHELASHVILI Alexander, « The Legal Basis of United Nations Peace-Keeping Operations », 43 Virginia JIL (2003), pp. 485-524. - ORAKHELASHVILI Alexander, « The Post-War Settlement in Iraq : the UN Security Council Resolution1483 (2003) and General International Law », 8 JCSL (2003). - ÖSTERDAHL Inger, « The Exception as the Rule of Law : Lawmaking on Force and Human Rights by the UN Security Council », 10 JCSL (2005), pp. 1-20. 294 - PAPASTAVRIDIS Efthymios, « Interpretation of Security Council Resolutions under Chapter VII in the Aftermath of the Iraqi crisis », 56 ICLQ (2007), pp. 83-118. - PATEL KING Faiza, « Sensible scrutiny : the Yugoslavia Tribunal’s development of limits on the Security Council’s powers under Chapter VII of the Charter », 15 Emory ILR (1996), pp. 509-591. - PELLET Alain, « Brief Remarks on the Unilateral Use of Force », 11 EJIL (2000), pp. 385-392. - PELLET Alain, « La formation du droit international dans le cadre des Nations Unies », 6 EJIL (1995), pp. 401-425. - PELLET Alain, « The Road to Hell is Paved with Good Intentions : The United Nations as Guarantor of International Peace and Security : A French Perspective », in : TOMUSCHAT Christian (éd), The United Nations At Age Fifty. A Legal Perspective, Kluwer Law International (1995), pp. 113-133. - PELLET Alain, « Conclusions » in : B. STERN (éd), Les aspects juridiques de la crise et de la guerre du Golfe, Aspects de droit international public et de droit international privé, actes du colloque des 7 et 8 juin 1991, Montchrestien (1991), pp. 487-495. - PENNY Christopher, « Greening the Security Council : climate change as an emerging ‘threat to international peace and security’ », 7 Int. Environ. Agreements (2007), pp. 3571. - PETCULESCU Ioana, « The Review of the UN Security Council Resolutions by the International Court of Justice », 52 NILR (2005), pp. 167-195 - PLATCHA Michael, « The Role of the Security Council in Enforcing the Principle Aut Dedere Aut Judicare », 12 EJIL (2001), pp. 125-140. - POLLUX, « The Interpretation of the Charter », 23 BYBIL (1946), pp. 54-82. - QUIGLEY John, « The ‘Privatization’ of Security Council Enforcement Action : A Threat to Multilateralism », 17 MichJIL (1996), pp. 249-284. - RATNER Steven, « The Security Council and International Law », in : D. MALONE (éd), The UN Security Council. From the Cold War to the 21st Century, Viva Books Private Limited (2006), pp. 591-605. - RAUCHBERG Heinrich, « Les obligations juridiques des membres de la Société des Nations pour le maintien de la paix », 37 RCADI (1931), pp. 83-204. - REISMAN Michael, « Stopping War and Making Peace : Reflections on the Ideology and Practice of Conflict Termination in Contemporary World Politics », 6 Tulane JICL (1998), pp. 5-56. - RODLEY Nigel, « Collective Intervention to Protect Human Rights and Civilian Population : the Legal Framework », in : RODLEY Nigel (éd), To Loose the Bands of Wickedness : International Intervention in Defence of Human Rights, Brassey’s (1992), pp. 14-42. - RUBIN A., « Libya, Lockerbie and the Law », 4(1) Diplomacy and Statecraft (1993), pp. 1-19. - SALMON Jean, « Article 2 : commentaire général », COT Jean-Pierre, PELLET Alain et FORTEAU Mathias (éds), La Charte des Nations Unies, commentaire article par article, Economica (2005). 295 - SASSOLI Marco, « The Concept of Security in International Law relating to Armed Conflicts », in : BAILLIET Cecilia (éd), Security : a Multidisciplinary Normative Approach, M. Nijhoff Publishers (2009), pp. 7-22. - SCHACHTER Oscar, « The United Nations Legal Order », in : JOYNER Christopher (éd), The United Nations and International Law, CUP (1997). - SCHACHTER Oscar, « United Nations Law », 88 AJIL (1994), pp. 1-23. - SCHACHTER Oscar, « Sovereignty and Threats to Peace », in : WEISS Thomas G. (éd), Collective security in a Changing World… - SCHACHTER Oscar, « United Nations Law in the Gulf Conflict », 85 AJIL (1991), pp. - SCHACHTER Oscar, « The United Nations and Internal Conflict », in : MOORE Norton John (éd), Law and Civil War in the Modern World, John Hopkins Univ. Press (1974), pp. 401-445. - SCHACHTER Oscar, « The Quasi-Judicial Role of the Security Council and the General Assembly », AJIL (1964), pp. 960-965. - SCHACHTER Oscar, « Preventing the Internationalization of Internal Conflict : A Legal Analysis of the U.N. Congo Experience », 57 ASIL Proc. (1963), pp. 216-223. - SCHRIJVER Nico, « The Future of the Charter of the United Nations », 10 Max Planck UNYB (2006), pp. 1-34. - SEYERSTED F., « United Nations Forces, Some Legal Problems », 37 BYIL (1961), pp. 351-475. - SHRAGA Daphna, « The Security Council and Human Rights – From Discretion to Promote to Obligation to Protect », in : B. FASSBENDER (éd), Securing Human Rights ? Achievements and Challenges of the UN Security Council, OUP (2011), pp. 8-35. - SIMMA Bruno, « Human Rights », in : TOMUSCHAT Christian (éd), The United Nations At Age Fifty. A Legal Perspective, Kluwer Law International (1995), pp. 263-280. - SMOUTS M., « Réflexions sur les méthodes de travail du Conseil de sécurité », 28 AFDI (1982), pp. 601-612. - SOHN Louis, « The UN System as Authoritative Interpreter of its Law », in : SCHACHTER Oscar & JOYNER Christopher (éds), United Nations Legal Order, CUP (1995), pp. 169-229. - SOHN Louis, « The Role of the United Nations in Civil Wars », 57 ASIL Proc. (1963), pp. 208-215. - SOHN Louis, « The Impact of the United Nations on International Law », 46 ASIL Proc. (1952), pp. 104-108. - SOREL Jean-Marc, « Le caractère discrétionnaire des pouvoirs du Conseil de sécurité : remarques sur quelques incertitudes partielles », 37 RBDI (2004), pp. 462-483. - SOREL Jean-Marc, « L’élargissement de la notion de menace contre la paix » (Rapport général), in SFDI, Le Chapitre VII de la Charte des Nations Unies, Actes du Colloque de Rennes, Pedone (1995), pp. 5-57. - SOREL Jean-Marc, « Les ordonnances de la Cour internationale de justice du 14 avril 1992 dans l’affaire relative à des questions d’interprétation et d’application de la 296 Convention de Montréal de 1971 résultant de l’incident aérien de Lockerbie », RGDIP (1993), pp. 689-725. - SOREL Jean-Marc, « La Somalie et les Nations Unies », AFDI (1992), pp. 61-88. - STAHN Carsten, « The Ambiguities of Security Council Resolution 1422 (2002) », 14 EJIL (2003), pp. 85-104. - STEIN Mark, « The Security Council, the International Criminal Court and the Crime of Aggression : How Exclusive is the Security Council’s Power to Determine Aggression ? », 16 Ind.ICLR (2005-2006), pp. 1-36. - STRAVOPOULOS Constantin, « The practice of voluntary abstentions by permanent members of the Security Council under article 27, paragraph 3, of the Charter of the United Nations », 61 AJIL (1967), pp. 737-752. - STROMSETH Jane, « New Paradigms for the Jus Ad Bellum », 38 Geo.Wash.ILR (2006), pp. 561-577. - SUR Serge, « Les Nations Unies en 2005. La sécurité collective : une problématique », Colloque, Sénat (6 juin 2005). - SUR Serge, « La résolution 1540 du Conseil de sécurité (28 avril 2004) : entre la prolifération des armes de destruction massive, le terrorisme et les acteurs non étatiques », RGDIP (2004), pp. 855-877. - SUR Serge, « Sécurité collective et rétablissement de la paix : la résolution 687 (3 avril 1991) dans l’affaire du Golfe », in : DUPUY René-Jean (éd), Le développement du rôle du Conseil de sécurité, Martinus Nijhoof Publishers (2003), pp. 13-40 - SZASZ Paul, « The Security Council Starts Legislating », 96 AJIL (2002), pp. 901-904. - SZASZ Paul, « The Role of the United Nations in Internal Conflicts », 13 GJICL (1983), pp. 345-354. - TALMON Stefan, « The Security Council as a World Legislator », 99 AJIL (2005), pp. 175-194. - TAMS Christian, « The Use of Force against Terrorists », 20 EJIL (2009), pp. 359-397. - TAVERNIER Paul, « Les déclarations du Président du Conseil de sécurité », AFDI (1993), pp. 86-104. - TAVERNIER Paul, « Le caractère obligatoire de la résolution 598 (1987) du Conseil de sécurité relative à la guerre du Golfe », 1 EJIL (1990), pp. 278-285. - TERCINET Josiane, « Le pouvoir normatif du Conseil de sécurité : le Conseil de sécurité peut-il légiférer ? », 37 RBDI (2004), pp. 528-551. - THIERRY Hubert, « L’Agenda pour la paix et la Charte des Nations Unies », in : DUPUY René-Jean (éd), Le développement du rôle du Conseil de sécurité, Académie de La Haye (1993), pp. 375-385. - THOMS Oskar, « Do Human Rights Violations Cause Internal Conflict ? », 29 HRQ (2007), pp. 674-705. - TOMUSCHAT Christian, « International Law », in : TOMUSCHAT Christian (éd), The United Nations At Age Fifty. A Legal Perspective, Kluwer Law International (1995), pp. 281-308. 297 - TORELLI M., « La dimension humanitaire de la sécurité internationale », in Le développement du rôle du Conseil de sécurité, pp. 339-349. - VÄRK René, « Terrorism as a Threat to Peace », 16 Juridica International (2009), pp. 216-223. - VERDROSS Alfred, « Le principe de la non intervention dans les affaires relevant de la compétence nationale d’un Etat et l’article 2(7) de la Charte des Nations Unies », in Mélanges offerts à Charles Rousseau. La Communauté internationale, Pedone (1974), pp. 267-276. - VISSCHER (de) Charles, « L’interprétation du Pacte au lendemain du différend italogrec », RDILC (1924), pp. - WARBRICK Colin, « The Invasion of Kuwait by Iraq », 40 ICLQ (1991), pp. 482-492. - WECKEL Philippe, « Le Chapitre VII de la Charte et son application par le Conseil de sécurité », AFDI (1991), pp. 165-202. - WEDGWOOD Ruth, « Unilateral Action in the UN System », 11 EJIL (2000), pp. 349359. - WEHBERG Hans, « Interdiction du recours à la force : le principe et les problèmes qui se posent », 78 RCADI (1951), pp. 1-121. - WEHBERG Hans, « La police internationale », 48 RCADI (1934), pp. 1-132. - WEISS Thomas, « The Humanitarian Impulse », in : D. MALONE (éd), The UN Security Council. From the Cold War to the 21st Century, Viva Books Private Limited (2006), pp. 37-54. - WEISS Wolfgang, « Security Council Powers and the Exigencies of Justice after War », 12 Max Planck UNYB (2008), pp. 45-111. - WELLENS Karel, « The UN Security Council and New Threats to the Peace : Back to the Future », 8 JCSL (2003), pp. 15-70. - WELLER M., « The Lockerbie case: a premature end to the ‘new world order’? », 4 AfrJICL (1992), pp. 302-324. - WESCHLER Joanna, « Human Rights », in : D. MALONE (éd), The UN Security Council. From the Cold War to the 21st Century, Viva Books Private Limited (2006), pp. 55-68. - WESTON Burns, « Security Council Resolution 678 and Persian Gulf Decision Making : Precarious Legitimacy », 85 AJIL (1991), pp. 516-535. - (de) WET Erika, « Human Rights Considerations and the Enforcement of Targeted Sanctions in Europe : The Emergence of Core Standards of Judicial Protection », in : FASSBENDER Bardo (éd), Securing Human Rights ? Achievements and Challenges of the UN Security Council, OUP (2011), pp. 141-171. - (de) WET Erika, « The Governance of Kosovo : Security Council Resolution 1244 and the Establishment and Functioning of Eulex », 103 AJIL (2009), pp. 83-96. - (de) WET Erika & WOOD Michael, « Peace, Threat to », Max Planck EPIL. - WHITE Nigel, « Self-Defence, Security Council authority and Iraq », in : BURCHILL Richard et al. (éds), International Conflict and Security Law. Essays in Memory of Hilaire McCoubrey, CUP (2005), pp. 235-285. 298 - WINKELMANN Ingo, « Bringing the Security Council into a New Era », 1 Max Planck UNYB (1997), pp. 35-90. - WOOD Michael, « Peace, Breach of », Max Planck EPIL. - WOOD Michael, « The Interpretation of Security Council Resolutions », 2 Max Planck UNYB (1998), pp. 73-96. - WOOD Michael, « Security Council Working Methods and Procedure : Recent Developments », 45 ICLQ (1996), pp. 150-161. - WRIGHT Quincy, « International Law and Civil Strife », ASIL Proc. (1959), pp. 145-153. - WYLER Eric, « La paix par le droit. Entre réalité, mythe et utopie », in : KOHEN Marcelo et BOISSON DE CHAZOURNES Laurence (éds), International Law and the Quest for its Implementation : le droit international et la quête de sa mise en œuvre, Liber Amicorum Vera Gowlland-Debas (2010), pp. 467-488. c) Doctrine relative à l’histoire des idées et du droit international (titre I) - ALIGHIERI Dante, La monarchie [1312], traduit du latin par M. GALLY, Belin (1993) - ARNAULD Antoine et NICOLE Pierre, La logique ou l’art de penser, Gallimard (1992). - BOURQUIN Maurice, « La Sainte-Alliance : un essai d’organisation européenne », 83 RCADI (1953), pp. 377-464. - CASTEL DE SAINT-PIERRE Charles-Irénée, Projet pour rendre la paix perpétuelle en Europe [1713], Fayard (1986). - CAVALLAR G., « The Universal Commonwealth : Locke, Wolff and Kant », in : V. GERHARDT (éd), Kant und die Berliner Aufklärung : Akten des IX. Internationalen Kant-Kongresses, De Gruyter (2001). - CHODZKO Léonard, Le Congrès de Vienne et les traités de 1815 / Comte d’Angeberg, Amyot (1864), 4 vols. - DRAKE Joseph, traduction anglaise de Jus Gentium methodo scientifica pertractatum [1764] de Christian WOLFF, Clarendon Press/Milford (1934) - DUROSELLE Jean-Baptiste, L’idée d’Europe dans l’histoire, Denoël (1965). - FENET Alain et GUILLAUME Astrid (éds), Le Nouveau Cynée ou Discours d’Etat par Emeric de CRUCE [1623], Presses Universitaires de Rennes (2004). - FENET Alain, « Emeric de Crucé aux origines du pacifisme et de l’internationalisme modernes », 1 Miskolc Journal of International Law (2004), pp. 21-34. - GOYARD-FABRE Simone, La construction de la paix ou le travail de Sisyphe, Librairie philosophique Vrin (1994). - GREENWOOD ONUF Nicholas, « Civitas Maxima : Wolff, Vattel, and the Fate of Republicanism », 88 AJIL (1994), pp. - GREWE Wilhelm, The Epochs of International Law, Translated and revised by BYERS Michael, Walter de Gruyter (2000). - JOUANNET Emmanuelle, Emer de Vattel et l’émergence doctrinale du droit international classique, Pedone (1998). 299 - KANT Emmanuel, Métaphysique des mœurs, Volume II : Doctrine du droit, Flammarion (1994). - KANT Emmanuel, Vers la paix perpétuelle, Flammarion (1991). - KOLB Robert, « La validité du modèle de Vattel après 1945 », in : SANDOZ Yves (éd.), Réflexions sur l’impact, le rayonnement et l’actualité de ‘Le droit des gens, ou Principes de la loi naturelle appliqués à la conduite et aux affaires des Nations et des Souverains’ d’Emer de Vattel, Actes du colloque organisé le 21 juin 2008 à Neuchâtel, Bruylant (2010), pp. 137-175. - KOLB Robert, Esquisse d’un droit international public des anciennes cultures extra européennes, Pedone (2010). - LANGE Christian, « Histoire de la doctrine pacifique et de son influence sur le développement du droit international », 13 RCADI (1926), pp. 171-426. - NUSSBAUM Arthur, A Concise History of the Law of Nations, The MacMillan Company (1947). - PERREAU-SAUSSINE Amanda, « Immanuel Kant on International Law », in : BESSON Samantha & TASIOULAS John (éds), The Philosophy of International Law, OUP (2010), pp. 53-75. - SABBAGH Daniel, « William Penn et l’abbé de Saint-Pierre : le chaînon manquant », in : GOYARD-FABRE Simone (éd) L’Européanisme de l’abbé de Saint-Pierre, Actes du Colloque de Saint-Pierre-Eglise de septembre 1993, pp. 83-105. - SCHULZ Matthias, Normen und Praxis, Das Europäische Konzert der Grossmächte als Sicherheitsrat 1815-1860, Oldenbourg Verlag München (2009). - SCHULZ Matthias, « Did Norms Matter in Nineteenth-Century International Relations? » in : H. AFFLERBACH & D. STEVENSON (éds), An Improbable War? The Outbreak of World War I and European Political Culture before 1914, Berghahn Books (2007), pp. 43-60. d) Doctrine relative à la notion de pouvoir discrétionnaire (titre I) - DWORKIN Ronald, Taking Rights Seriously, Duckworth (1997). - FISCHER Alfred, Rapport pour l’Allemagne fédérale (1976), http://www.juradmin.eu/colloquia/1988/germany.pdf - FRAENKEL-HAEBERLE Cristina, « Unbestimmte Rechtsbegriffe, techniches Ermessen und gerichtliche Nachprüfbarkeit : eine rechtsvergleichende Analyse », 58 Öffentliche Verwaltung (2005), pp. 808-815. - GALLIGAN Denis, Discretionary Powers. A Legal Study of Official Discretion, Clarendon Press (1986). - GALLIGAN Denis, « Pouvoirs discrétionnaires et principe de légalité », Pouvoir discrétionnaire de l’administration et problèmes de responsabilité, Actes du 25e colloque de droit européen, Oxford, 27-29 septembre 1995, Editions du Conseil de l’Europe (1997). - HAWKINS Keith, « The Use of Legal Discretion : Perspectives from Law and Social Science », in : HAWKINS Keith (éd), The Uses of Discretion, Clarendon Press (1992), pp. 300 - KOCH Hans-Joachim, Unbestimmte Rechtsbregriffe und Ermessensermächtigungen im Verwaltungsrecht : eine logische und semantische Studie zur Gesetzesbindung der Verwaltung, A. Metzner (1979). - LEFAS A., « Essai de comparaison entre le concept de ‘natural justice’ en droit administratif anglo-saxon et les ‘principes généraux du droit’ ainsi que les ‘règles générales de procédure’ correspondants en droit administratif français », 30 RIDC (1978), pp. - MARSHALL H., Natural Justice, Sweet & Maxwell (1959). - RIALS Stéphane, Le juge administratif français et la technique du standard (essai sur le traitement juridictionnel de l’idée de moralité, L.G.D.J. (1980). - RITLENG Dominique, « Le juge communautaire de la légalité et le pouvoir discrétionnaire des institutions communautaires », AJDA (1999), pp. 645-657. - RIVERO Jean et WALINE Jean, Droit administratif, Dalloz, (1996). - SCHWARZE Jürgen, Droit administratif européen, Bruylant (2009). - VAN DER ERSCH Bastiaan, Pouvoirs discrétionnaires de l’exécutif européen et contrôle juridictionnel, Dalloz (1968). - VEDEL Georges et DEVOLVE Pierre, Droit administratif, PUF (1992). - VENEZIA Jean-Claude, Le pouvoir discrétionnaire, L.G.D.J. (1958). - WADE William & FORSYTH Christopher, Administrative Law, OUP (2004). 301