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dalloz actualite - accord professionnel etendu un controle du juge judiciaire reduit - 2020-01-08

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Accord professionnel étendu : un contrôle du juge
judiciaire réduit
le 8 janvier 2020
SOCIAL | Négociation collective
Le juge judiciaire n’a pas à vérifier, en présence d’un accord professionnel étendu, que l’employeur,
compris dans le champ d’application professionnel et territorial de cet accord en est signataire ou
relève d’une organisation patronale représentative dans le champ de l’accord et signataire de
celui-ci. En effet, lorsqu’il s’agit d’un accord collectif professionnel, l’arrêté d’extension suppose
nécessairement, sous le contrôle du juge administratif, vérification de la représentativité dans ce
champ des organisations syndicales et patronales signataires ou invitées à la négociation.
Soc. 27 nov. 2019, FS-P+B+R+I, n° 17-31.442
Destiné à une large publication, l’arrêt du 27 novembre 2019 opère un revirement partiel de
jurisprudence en précisant que dans l’hypothèse où le juge judiciaire est saisi par un employeur
d’une demande en inopposabilité d’un accord professionnel étendu, il ne doit en aucun cas vérifier
que l’employeur, compris dans le champ d’application professionnel et territorial de cet accord en
est signataire ou relève d’une organisation patronale représentative dans le champ de l’accord et
signataire de celui-ci. L’arrêt précise également que le juge judiciaire ne peut pas non plus vérifier
la représentativité des organisations syndicales signataires relevant du secteur de l’accord.
En l’espèce, la solution est rendue à l’occasion d’un litige sur le champ d’application d’un avenant à
la convention collective nationale des bureaux d’étude. Pour rappel, les fédérations patronales
Syntec et Cinov d’une part, et les organisations syndicales F3C CFDT, FIECI CFE-CGC, FO,
CFTC/CSFV et CGT d’autre part, avaient conclu le 28 octobre 2009 un avenant nº 37 à la convention
collective nationale des bureaux d’études techniques, des cabinets d’ingénieurs-conseils et des
sociétés de conseil du 15 décembre 1987. Prévoyant notamment l’intégration, dans le champ
d’application de ladite convention, des activités d’analyses, essais et inspections techniques, cet
avenant nº 37 avait fait l’objet d’un arrêté d’extension du 17 mai 2010 (JO 22 mai). Rappelons que
cette technique permet de rendre obligatoire l’application de l’accord de branche à toutes les
entreprises relevant de son champ d’application professionnel et géographique, peu important
qu’elles aient adhéré ou non à une organisation patronale signataire ou adhérente (C. trav., art. L.
2261-15). Malgré le recours à l’extension, la cour d’appel avait en l’espèce satisfait aux demandes
en inopposabilité émanant de trois entreprises de l’avenant n° 37 et ce, au motif qu’elles n’étaient
pas adhérentes aux organisations patronales signataires et qu’aucune organisation patronale
représentative dans le secteur des activités de contrôle dont elles relèvent n’y avait adhéré. Ayant
de fait, procédé à une vérification de la représentativité des organisations patronales signataires
dans le secteur d’activité de l’employeur pour déterminer le champ d’application de l’avenant
étendu, la cour d’appel voit son arrêt partiellement censuré.
Plusieurs raisons expliquent pourquoi la Cour de cassation s’est prononcée en faveur de l’absence
de compétence du juge judiciaire à opérer pareil contrôle. Tout d’abord, une telle contraction du
périmètre du contrôle de ce dernier est explicitement fondée sur le principe de séparation des
pouvoirs, principe mentionné au visa de l’arrêt. En effet, si en présence d’un accord professionnel
étendu le juge judiciaire devait vérifier que l’employeur, compris dans le champ d’application
professionnel et territorial de cet accord en est signataire ou relève d’une organisation patronale
représentative dans le champ de l’accord et signataire de celui-ci, cela reviendrait à contrôler la
légalité de l’arrêté d’extension pris par le ministre du Travail. Or, un tel contrôle est réservé à
l’autorité administrative. Qui plus est, cette vérification est effectuée en amont de tout litige devant
le juge judiciaire. Ainsi, le rétrécissement du périmètre de son contrôle se comprend également eu
égard à l’antériorité du contrôle exercé par le juge administratif. En effet, l’arrêt commenté rappelle
utilement dans une motivation développée que la légalité de l’arrêté d’extension pris par le
ministre du Travail est déjà contrôlée par le juge administratif. Or, un tel contrôle suppose de
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vérifier que les conditions de négociation de l’accord permettent son extension. De manière plus
précise, le juge administratif doit s’assurer que toutes les organisations syndicales et patronales
représentatives dans le secteur ont bel et bien été invitées à la négociation de l’accord, peu
important que toutes ne l’aient pas signé (CE 6 déc. 2006, n° 273773) et que « les étapes
essentielles de la négociation de l’accord se soient déroulées en présence de toutes les
organisations syndicales représentatives dans leur champ d’application » (CE 4 juill. 2012, n°
337698, Lebon ; AJDA 2012. 1379 ; D. 2012. 2622, obs. P. Lokiec et J. Porta ). Lorsqu’il s’agit en
particulier d’un accord professionnel étendu, la chambre sociale rappelle en outre, que ce même
juge vérifie nécessairement la représentativité dans ce champ, des organisations syndicales et
patronales signataires ou invitées à la négociation. Ainsi, compte tenu du contrôle préalable exercé
par la juridiction administrative, le juge judiciaire ne saurait exercer postérieurement, un double
contrôle sur la représentativité des organisations patronales signataires dans le secteur d’activité
de l’employeur. Plus encore, il y a un risque non négligeable d’aboutir à une appréciation
contradictoire. Cette éventualité n’est pas à sous-estimer dès lors qu’en présence d’un accord
professionnel étendu, le contrôle du juge judiciaire et du juge administratif n’est pas identique (note
explicative de l’arrêt du 27 nov. 2019). Partant, la solution semble guidée par le souci de préserver
la cohérence des contrôles administratif et judiciaire et ainsi, d’éviter la cacophonie entre ces deux
juridictions.
Novateur cet arrêt rendu en formation plénière s’écarte des solutions antérieures de la chambre
sociale. Comme le résume la Cour de cassation, la chambre sociale juge de manière constante,
depuis un arrêt du 16 mars 2005 que « l’arrêté d’extension du ministre du Travail prévu par l’article
L. 133-8 du code du travail a pour effet de rendre obligatoires les dispositions d’un accord
professionnel ou interprofessionnel pour tous les employeurs compris dans son champ d’application
territorial ou professionnel, dont les organisations patronales signataires sont représentatives au
sens de l’article L. 133-2 du code du travail ». La Haute juridiction en déduisait alors que, si les
organisations patronales ne bénéficiaient pas d’une présomption de représentativité, même lorsque
l’accord a été étendu, le juge judiciaire devait en vérifier son champ d’application au regard de la
représentativité des organisations patronales signataires. Par conséquent ce même juge devait
vérifier concrètement si l’employeur auquel il était demandé l’application de l’accord en était
signataire, était adhérent d’une organisation patronale signataire, ou si l’organisation patronale
signataire était représentative dans le secteur d’activité de l’employeur (Soc. 16 mars 2005, n°
03-16.616 P, D. 2005. 1178 ; Dr. soc. 2005. 640, obs. P. Langlois ; 21 nov. 2006, n° 05-13.601 P ;
3 mars 2015 n° 13-21.792 ; 6 avr. 2016, n° 14-27.042 P). Toutefois, les juges précisent dans la note
explicative de l’arrêt que cette jurisprudence se heurtait à celle du Conseil d’État relative au
contrôle du juge administratif sur la légalité de l’arrêté d’extension.
Même s’il y a manifestement un rétrécissement du périmètre du contrôle effectué par le juge
judiciaire, il ne faut pas déduire de l’arrêt du 27 novembre 2019 un effacement complet de ce
dernier dans l’appréciation de la représentativité des organisations syndicales et patronales
signataires de l’accord. En effet, il ressort également de la solution, qu’en cas de doute sérieux sur
la légalité de l’arrêté d’extension, le juge judiciaire peut saisir le juge administratif d’une exception
d’illégalité (pt 12). Telle que formulée, la motivation suggère que le juge judiciaire ne saurait rester
passif, dès lors que la représentativité des organisations syndicales et patronales signataires
relevant du champ d’application de l’accord lui semble douteuse. Il reste, qu’il ne saurait lui-même
tirer les conclusions de pareille appréciation dans son jugement. Seul le juge administratif demeure
compétent pour le faire. Le rôle du juge judiciaire demeure quant à lui, résiduel. En cas de litige, il
doit simplement se contenter de vérifier que l’activité des sociétés concernées par le litige relève
du champ visé par l’accord. En l’espèce, il devait simplement s’assurer que ces mêmes sociétés
appartenaient au secteur analyses, essais et inspections techniques (pt préc.) .
Site de la Cour de cassation
par Valéria Ilieva
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