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Ce qu’il y a d’autocritique dans le texte « Notes de bas de pages »
de Jacques Monod
Il émane de ce court texte une volonté, toute emplie de modestie,
de bien vouloir se faire comprendre et, si le lecteur n’adhère guère aux
thèses défendues dans « Le hasard et la nécessité » ou ne les
comprend pas, la faute tout entière incombe à son auteur, coupable de
développer insuffisamment son propos (p.14, 16, 17). Car ce « petit
livre » (cette occurrence intervient six fois, dont trois fois dès les
quinze premières lignes du texte ; quatorze fois pour « livre ») est
« difficile, très difficile, très ennuyeux » et l’on peut se demander
pourquoi « a-t-il eu tant de succès ? » (p.11). Presque timidement,
Monod demande « permettez-moi d’ajouter un mot sur… » et rapporte
le dédain affiché de certains de ses détracteurs. L’ironie perce
toutefois à l’évocation de certaines critiques, celle, marxiste, sur le
langage, ou d’autres, sur la notion de hasard (p.18). Un ton familier est
volontiers employé : « vous me croirez si vous voulez », « je ne vous
cache pas non plus… », (p.20). Ce ton particulier traduit un Jacques
Monod volontiers plus pédagogue mais certainement peiné (voir
meurtri ?) devant les incompréhensions et les charges à son encontre.
Il y a bien peu de différence entre le manuscrit et le texte publié.
On pourra relever dans « Autocritique », texte tapé à la machine à
écrire, des espaces, des phrases barrées, des allusions à des auteurs
non nommés (dans le passage sur la théorie synthétique de
l’évolution) qui n’existent plus dans la version publiée. L’historien des
sciences ou le sémiologue y trouvera du sens.
Monod va, par ce court texte, mettre en exergue ce qui lui semble
essentiel. En premier, ce qui fonde à ses yeux la démarche
gnoséologique de la science : le postulat d’objectivité qui fut, et reste
toujours, objet de malentendu ou d’irritation. La notion de hasard et
l’apparition de la vie ou de celle de l’homme sur Terre sont encore
sources de polémiques. Par l’exemple de l’élaboration du langage
articulé au cours de l’évolution humaine, Monod défend
l’orthogenèse, théorie, toujours débattue, dans laquelle la causalité
stochastique est loin d’être la seule pour expliquer la spéciation :
l’évolution procéderait le long de voies définies en raison de facteurs
internes orientant la variation dans des canaux précis. Enfin l’éthique
de la connaissance qui sera défendue avec des accents de prédicateur.