Aucune ‘‘voie’’ n’est représentative de la réalité, elles ne sont que l’index pointé vers la lune ; l’erreur
c’est bien entendu d’identifier la réalité avec l’idée que nous en avons. La connaissance profonde des êtres
et des choses est inhérente à l’absence d’idée qui associe le réel avec des certitudes imaginaires. Cette
absence procède du silence de la pensée psychologique qui identifie le mot-image-émotion avec la chose
elle-même. Ce silence intérieur est synonyme d’une authentique connaissance de soi à la source de Sujet
connaissant.
« Les mots sont des étiquettes simplificatrices.
Ils sont fort utiles dans la pratique de la vie ; sans eux, notre pensée ne pourrait donner forme aux idées ni
les manier… Ce n’est pas leur faute s’ils recèlent un piège où nous tombons si souvent.
J’ai appris peu à peu à me méfier, non pas des mots, mais de la faiblesse de mon esprit qui, par paresse,
oublie leur piège et m’y fait tomber.
Plus la ‘‘chose’’ désignée par le mot est importante, plus est grand le danger de mal penser, à propos du
mot, à la chose ; plus sont grands les risques d’erreur, d’absurdité, de délire, avec toutes sortes de
conséquences déplorables dans nos actions. » (Hubert Benoit, auteur du livre La doctrine suprême selon la
pensée zen).
La raison est une fonction intellectuelle qui peut parfois troubler la conscience humaine en posant des
questions, où en montrant des évidences, qui nous plongent dans l’angoisse de l’incertitude. Songeons par
exemple à l'inéluctable prise de conscience de la mort du corps-mental ; cet inconnu (la mort) fait peser sur
notre vie affective une angoisse très difficile à maîtriser. Par l’exercice de la pensée réflexive, nous savons
que nous ne savons pas, l’absence de certitude invite la peur et fait trembler la ‘‘partie animale’’ de notre
être qui se sent abandonnée par une pensée qui pose des problèmes sans les résoudre ; et l’instinct,
‘‘dressé’’ à ne concevoir que le ‘‘vouloir exister’’, ne peut admettre les pensées qui nient, sous quelques
formes que ce soit, l’existence ; il ne peut admettre que celle-ci se transforme en non-existence alors que,
paradoxalement, la pensée conçoit parfaitement que la mort est un phénomène naturel et donc inévitable.
En fait, notre ‘‘partie animale’’ ne peut accepter les événements (réels et imaginaires) qui perturbent son
programme affectif et instinctif.
Pour compenser le vide que laisse derrière elle l’ignorance de sa nature profonde, l’être humain, qui a
besoin du sentiment d’identité, se fixe dans l’imaginaire, dans un monde qu’il façonne à sa convenance,
c’est la naissance du processus du moi et du temps psychologique que celui-ci implique. Notons, sans
aborder toutes les nuances que ce sujet impliquerait, que le temps psychologique est le passage temporel
entre ce qui est et ce que l’on souhaiterait qui soit, ou entre ce qui est et ce que l’on ne souhaiterait pas qui
soit ; c’est le temps requis pour devenir ou ne pas devenir en fonction des particularismes du moi.
« La source du conflit de l’humanité est-elle l’incapacité de l'individu à affronter la réalité de ce qu’il
‘‘est’’, psychologiquement, avec pour corollaire la quête chimérique de ce qu’il lui faut ‘‘devenir’’ ? Cette
incapacité a sa source dans les divisions profondes introduites dans la psyché, et plus particulièrement par
la pensée qui suscite l’expérience du temps et le ‘‘moi’’.
« On ne peut se libérer de cette activité égocentrique, irrationnelle et déroutante que grâce à un certain
type de vision pénétrante. Celle-ci permet de percevoir qu’au-delà de la pensée, il n’y a qu’énergie et
forme, pas de ‘‘moi’’, pas de temps, en fait pas la moindre chose ; au-delà de cette ‘‘non-chose’’, il y a ce
qui est beaucoup plus immense. C’est le terrain fondamental de toute existence, et ce ‘‘fondamental’’ est le
commencement et la fin de toute chose. La vie ne peut avoir de signification réelle que si l’humanité touche
ce ‘‘fondamental’’ ». (Extrait de la présentation du livre de Krishnamurti et Bohm, Le temps aboli, éditions
Le Rocher, quatrième de couverture).