Le Journal des psychologues n°244-février 2007
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DOSSIER
une estime de soi conditionnelle à l’appro-
bation par les autres : « Je m’aime lorsque je
me sens aimé par l’autre. » (Fanget, 2003.)
Sur le plan du mécanisme, l’inhibition
sociale ne peut pas se réduire, comme les
définitions de l’inhibition l’ont montré plus
haut, à un simple mécanisme de restric-
tion, de ralentissement ou de diminution
d’une activité physique ou psychique.
Dans l’anxiété sociale, c’est l’intensité de
l’émotion anxieuse qui va inhiber le com-
portement en empêchant les contacts
sociaux. Cela n’est pas de l’ordre du désir,
mais plutôt de l’angoisse et de la peur de
l’autre. La stimulation du système neuro-
végétatif, en situation sociale, va entraîner
tachycardie, sueur, tremblement, rougisse-
ment… La stimulation du système cognitif
va faire percevoir les situations sociales
comme dangereuses (comme une invita-
tion à dîner, une prise de parole en public
ou un entretien avec son supérieur hiérar-
chique) et entraîner des scenarii catastro-
phiques avant la situation avec des cogni-
tions comme : « Je ne serai pas à la hauteur,
je ne saurai pas quoi dire, les autres vont mal
me juger, on va me licencier… » L’activation
neurovégétative serait probablement le
reflet d’une hyperactivité du système lim-
bique émotionnel alors que l’activation
cognitive serait probablement le reflet
d’une hyperactivité corticale.
De l’inhibition sociale
à l’anxiété sociale
pathologique
L’inhibition sociale adaptative
Toute inhibition sociale n’est pas patholo-
gique. Pour des raisons éthologiques, en
cas de danger, un être humain peut décider
de se mettre en inhibition et de ne pas dis-
cuter. C’est le cas de l’incarcération par
exemple. C’est aussi le cas dans des expé-
riences sensorielles où des chercheurs des-
cendent volontairement dans une grotte
afin de mener des expériences. Ici l’inhibi-
tion d’isolement est volontaire. Cette inhi-
bition peut être utile pour l’individu afin de
se protéger. On pourrait encore citer des
expériences plus proches de nous dans
le monde professionnel. Un subalterne
inhibant ses comportements en ne disant
pas ce qu’il a à dire afin d’éviter les sanc-
tions d’un de ses supérieurs… ou plus glo-
balement des populations opprimées qui
pour survivre se protègent par l’inhibition.
C’est aussi le cas du petit enfant qui, à l’arri-
vée du grand oncle qu’il n’a pas vu depuis
des années et malgré l’insistance de sa
maman : « Dis bonjour à ton grand oncle », va
baisser le regard, la tête, arrêter de parler et
jouer tant il sera effrayé par cet inconnu.
Les adultes souffrant d’anxiété sociale
auront le même genre d’attitude lorsqu’ils
se retrouveront dans des situations sociales
inquiétantes pour eux. L’inhibition joue un
rôle donc essentiel dans l’homéostasie des
relations humaines.
Mais qu’en est-il du vécu de ces per-
sonnes qui extérieurement ne disent rien
et ne posent pas de problèmes ? On
retrouve ici une différence entre le com-
portement extérieurement visible (inhibi-
tion comportementale) et le comporte-
ment interne qui peut être fait d’émotions,
de souffrance, d’angoisse, d’anxiété, de
honte, et des cognitions négatives (« Je me
tais, mais je n’en pense pas moins »). Cette
inhibition « décidée » par le sujet pour se
protéger peut aussi l’aider dans sa pro-
gression et lui éviter des ennuis. Ces phé-
nomènes d’inhibition adaptative sont
temporaires et disparaissent lorsque le
sujet sort de la situation évaluée comme
dangereuse pour lui.
L’anxiété sociale
Mais il existe aussi des états d’inhibition
permanente que l’on rencontre en patho-
logie. La fréquence de l’anxiété sociale
pathologique se situerait en France entre
2 % et 3 % de la population (Lépine J.-P.,
1999). Il s’agit dans ce pourcentage de
forme grave avec un véritable handicap
social et professionnel. Les femmes sont
légèrement plus touchées que les
hommes (guère plus de trois femmes
pour deux hommes). Le taux de célibat
est anormalement élevé chez ces
patients. L’âge de début des troubles
semble précoce, à l’adolescence entre
treize et quinze ans. Un début de l’anxiété
sociale après vingt-cinq ans est tout à fait
inhabituel et doit faire évoquer un autre
diagnostic.
Les causes de l’anxiété sociale nous per-
mettent de dégager quatre grands fac-
teurs. Le premier est la prédisposition avec
des tendances anxieuses face à la nou-
veauté, à l’inconnu, décrit par Jérôme
Kagan qui évoque le tempérament inhibé
et la mise en évidence de facteurs géné-
tiques (travaux de Kendler, 1992). Le
deuxième facteur est un facteur éducatif.
On le retrouve fréquemment dans des
familles où tous les membres souffrent
d’anxiété sociale. Ils ont souvent reçu une
éducation peu affirmée. Le troisième facteur
est traumatique. Il semble très important
dans l’anxiété sociale. Une expérience
sociale traumatique est retrouvée plus
d’une fois sur deux. Elle a lieu le plus sou-
vent à l’adolescence ou au début de l’âge
adulte lors des premières confrontations
au groupe social (exposé oral au lycée ou
premières réunions professionnelles ou
premières expériences de drague). Le
quatrième facteur étiologique est culturel.
Au japon le « Taijin-Kyofu-sho » est la peur
d’offenser ou d’embarrasser les autres, de
les mettre mal à l’aise, avec un regard trop
insistant, une expression faciale insolente
ou même une odeur désagréable.
Cinq grands types de situations sociales
peuvent déclencher l’anxiété. Il s’agit des
situations de performances, d’échanges
superficiels, d’échanges approfondis,
d’affirmation de soi (faire valoir ses droits
en respectant ceux des autres), et d’ob-
servation par autrui.
La sémiologie de l’anxiété sociale est
émotionnelle. D’abord le sujet est anxieux
avant la situation sociale qu’il redoute.
Après la situation, il va ressentir une émo-
tion de honte. La sémiologie est aussi
cognitive et accompagne la précédente, il
y a une anxiété d’évaluation avant d’aller
dans la situation (« Je ne serai pas à la hau-
teur ») et une évaluation négative de soi-
même (« Je n’ai pas été à la hauteur »). Au
moment de la situation sociale, le sujet
anxieux a des cognitions de focalisation
sur lui-même avec auto-observation de
ses propres performances (« regarde, tu
n’es pas aussi intelligent que les autres, tu
n’arrives pas à prendre la parole ») et d’éva-
luation des autres sur lui, « ils se rendent bien
compte que tu es en train de rougir et que tu
n’as pas grand-chose à dire »…) La sémiolo-
gie est également neurophysiologique
avec des symptômes d’anxiété physique
intense et obsédante : palpitations, sueurs,
bouche sèche, pouvant aller jusqu’à la
panique. Insistons sur ce caractère neuro-
physiologique du trouble anxiété sociale,
le sujet pouvant aller à un véritable état de
panique qui va authentiquement lui faire
perdre ses performances comportemen-
tales. En effet, comment prendre la parole
en public lorsque l’on est soumis à une
véritable attaque de panique ?
Du normal au pathologique :
un continuum
L’inhibition sociale n’est donc pas un phé-
nomène pathologique en soi. Il y a une
sorte de continuum allant de la simple
gêne à la timidité, à la phobie sociale
Regard sur l’inhibition
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