DE L'INHIBITION SOCIALE À L'ANXIÉTÉ SOCIALE Frédéric Fanget Martin Média | « Le Journal des psychologues » 2007/1 n° 244 | pages 24 à 28 ISSN 0752-501X Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 83.112.137.226 - 22/12/2017 11h50. © Martin Média Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Frédéric Fanget, « De l'inhibition sociale à l'anxiété sociale », Le Journal des psychologues 2007/1 (n° 244), p. 24-28. DOI 10.3917/jdp.244.0024 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Martin Média. © Martin Média. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 83.112.137.226 - 22/12/2017 11h50. © Martin Média Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------https://www.cairn.info/revue-le-journal-des-psychologues-2007-1-page-24.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- DOSSIER Regard sur l’inhibition De L’inhibition sociale à l’anxiété sociale Frédéric Fanget La gamme des inhibitions reflète des troubles qui n’ont pas la même gravité, allant de la simple gêne à la phobie sociale inquiétante en passant par la timidité. La distinction entre l’inhibition sociale et l’anxiété sociale est ici éclairante pour différencier les registres. S’il n’y a pas de rupture entre le normal et le pathologique dans le domaine de l’inhibition, reste que le diagnostic différentiel est souhaitable pour préconiser un traitement adéquat. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 83.112.137.226 - 22/12/2017 11h50. © Martin Média Définitions, historique Définitions de l’inhibition L’inhibition est définie comme une restriction ou une interruption de l’activité d’un organe par stimulation d’une partie éloignée par voie nerveuse ou hormonale. L’autre définition étant un état caractérisé par un ralentissement ou une diminution d’une activité physique ou psychique. L’inhibition a été au départ un concept de physiologie. Vers le milieu du XIXe siècle, lors d’études sur le cœur, des physiologistes démontrent qu’une activité nerveuse stimulatrice peut entraîner une suspension d’activité, ce phénomène étant actif et temporaire. Mais l’on peut dans une approche purement sémantique repérer aussi d’autres significations. Au sens latin originel, ce mot signifiait le fait de freiner. Cicéron utilisait également ce terme pour désigner le mouvement d’un orateur se dégageant de son texte écrit sans que son auditoire s’en aperçoive. On voit à quel point, lorsque l’on suit des patients souffrant d’anxiété sociale, ces propos de Cicéron étaient visionnaires et montraient un sens de l’observation. On peut aussi 24 Le Journal des psychologues n°244-février 2007 trouver une signification plus récente dans le domaine juridique ou ecclésiastique de l’inhibition au sens proche d’interdiction ou de prohibition désignant l’acte ou la décision par lesquels on suspend les pouvoirs d’un individu. Le terme d’inhibition ne fait pas partie au départ du champ de la psychologie, il y est apparu plus tard. L’inhibition en psychologie et en psychiatrie Il faut attendre le début du XXe siècle pour voir ce mot surgir dans la littérature en psychologie. Pour Jackson, la notion d’inhibition est liée à celle d’une organisation hiérarchique des fonctions cérébrales dans lesquelles les fonctions situées à un niveau supérieur, « phylogénétiquement » les plus récentes, inhibent les fonctions situées plus bas dans le système nerveux central. Selon Janet (1909), « Les opérations mentales semblent se disposer en une hiérarchie dans laquelle les degrés supérieurs sont difficiles à atteindre et inaccessibles à nos malades tandis que les degrés inférieurs sont restés à leurs dispositions. » Pour lui, l’inhibition est active et les excès d’inhibition appauvrissent les fonctions supérieures sans libérer les fonctions inférieures. Freud, en 1926, dans Inhibition, symptômes et angoisse propose sa conception métapsychologique de l’inhibition qu’il dit exprimer « la limitation fonctionnelle du moi ». Freud (1965, p. 2) écrit : « Bien des inhibitions sont manifestement des renonciations à une fonction motivée par le fait que son exercice provoquerait un développement de l’angoisse. » Il a observé le rôle de l’inhibition au service du contrôle de l’angoisse que l’on retrouve effectivement en clinique chez les patients souffrant d’anxiété sociale. L’approche éthologique s’est intéressée à la notion d’inhibition comportementale. Des auteurs, comme Bowlby, attirent notre attention sur le fait qu’une inhibition peut être volontaire et tout à fait utile. Les éthologues prennent l’exemple d’un combat entre deux mouettes dans lequel chacune à tendance à attaquer ou à fuir. Pendant ce combat, elles inhibent des comportements pour lesquels elles ont pourtant de grandes compétences, comme lisser leurs plumes ou bâtir un nid. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 83.112.137.226 - 22/12/2017 11h50. © Martin Média Psychiatre, psychothérapeute Enseignant à l’université Lyon-I Centre hospitalier spécialisé Le Vinatier On le voit, petit à petit, on passe d’une conception physiologique de l’inhibition à une conception plus dynamique et psychologique où l’on se rend compte que l’inhibition sert à quelque chose pour le sujet. Les éthologistes commencent de plus à mettre l’accent sur l’utilisation de l’inhibition dans un contexte de relation à l’autre qui va nous amener progressivement à la notion d’inhibition sociale. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 83.112.137.226 - 22/12/2017 11h50. © Martin Média C’est la diminution des contacts sociaux. On introduit ici la notion d’altérité. Freud emploie l’expression de l’inhibé quant au but qu’il définit comme qualifiant une pulsion qui sous l’effet d’obstacles externes ou internes n’atteint pas son mode direct de satisfaction (ou but) et trouve une satisfaction atténuée dans des activités ou des relations qui peuvent être considérées comme des approximations plus ou moins lointaines du but premier. Les neurosciences modernes nous apportent des éléments de compréhension de l’inhibition sociale avec en particulier les travaux sur l’empathie et la cognition sociale. Ces travaux montrent que les mêmes aires cérébrales sont activées selon que l’on bouge soi-même sa main droite pour prendre un objet, qu’on imagine faire ce geste, mais sans le faire vraiment ou même que l’on regarde un sujet face à nous faire ce geste. Cela signifie que le cerveau active les mêmes régions, que l’on fasse l’action, que l’on pense la faire ou que l’on regarde un tiers la faire. Notre cerveau réagit lorsque nous sommes en relation avec l’autre. Les définitions de l’anxiété sociale Selon le DSM-IV, l’anxiété sociale est la peur persistante et intense d’une ou plusieurs situations sociales ou de situations de performances durant lesquelles le sujet est en contact avec des gens non familiers ou peut être exposé à des observations éventuelles d’autrui. Le sujet craint d’agir (ou de montrer les symptômes anxieux de façon embarrassante ou imminente). La définition de la CIM10 est la suivante : crainte d’être exposé à l’observation attentive d’autrui dans des groupes relativement restreints et habituellement à l’origine d’un évitement des situations sociales. L’anxiété sociale est donc un trouble relationnel. Le point commun entre les deux définitions est l’expression : « Exposer à l’observation attentive d’autrui. » Il faut distinguer l’anxiété sociale pathologique de l’anxiété de performances et du trac. Historique de l’inhibition sociale et de l’anxiété sociale En 1846, Caspers publie le premier cas d’éreuthophobie (phobie du rougissement en public dont on peut considérer qu’il s’agit du premier cas d’inhibition sociale pathologique décrit). En 1893 et 1895, Freud évoque la terreur des étrangers et des gens en général. En 1902, dans Les Obsessions et les impulsions, « Observation 31 », Pitres et Régis décrivent l’obsession idéative, la peur de ne plus savoir parler, et l’« éreuthose obsédante ». En 1909, Pierre Janet dans Les Névroses identifie et décrit « les phobies des situations sociales ». En 1970, Isaac Marks (en Grande-Bretagne) précise la position des phobies sociales parmi les autres phobies. En 1974, Alberti et Emmons développent les thérapies par affirmation de soi pour les patients souffrant d’anxiété sociale. En 1980, une classification des troubles mentaux considère la phobie sociale comme une entité clinique à part entière. En 1985, Liebowitz utilise les antidépresseurs de la classe des IMAO dans les phobies sociales. Les mécanismes de l’inhibition et de l’anxiété sociale La psychopathologie de l’anxiété sociale ne peut plus se comprendre uniquement à travers une vision intrapsychique de l’individu, mais à travers une psychodynamique qui concerne à la fois l’individu dans son rapport à lui-même et à son propre psychisme, mais aussi la vision qu’il a des autres et surtout ce qu’il pense que les autres pensent de lui. C’est à partir de là que les travaux sur l’estime de soi vont se développer. Elle est souvent basse chez les patients souffrant d’anxiété sociale. On va distinguer l’estime de soi personnelle et l’estime de soi sociale. Schématiquement, on peut dire que l’on peut avoir une estime de soi envers soi-même dite « inconditionnelle » : « Je m’aime quoi que je fasse » ; et Le Journal des psychologues n°244-février 2007 25 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 83.112.137.226 - 22/12/2017 11h50. © Martin Média La définition de l’inhibition sociale DOSSIER une estime de soi conditionnelle à l’approbation par les autres : « Je m’aime lorsque je me sens aimé par l’autre. » (Fanget, 2003.) Sur le plan du mécanisme, l’inhibition sociale ne peut pas se réduire, comme les définitions de l’inhibition l’ont montré plus haut, à un simple mécanisme de restriction, de ralentissement ou de diminution d’une activité physique ou psychique. Dans l’anxiété sociale, c’est l’intensité de l’émotion anxieuse qui va inhiber le comportement en empêchant les contacts sociaux. Cela n’est pas de l’ordre du désir, mais plutôt de l’angoisse et de la peur de l’autre. La stimulation du système neurovégétatif, en situation sociale, va entraîner tachycardie, sueur, tremblement, rougissement… La stimulation du système cognitif va faire percevoir les situations sociales comme dangereuses (comme une invitation à dîner, une prise de parole en public ou un entretien avec son supérieur hiérarchique) et entraîner des scenarii catastrophiques avant la situation avec des cognitions comme : « Je ne serai pas à la hauteur, je ne saurai pas quoi dire, les autres vont mal me juger, on va me licencier… » L’activation neurovégétative serait probablement le reflet d’une hyperactivité du système limbique émotionnel alors que l’activation cognitive serait probablement le reflet d’une hyperactivité corticale. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 83.112.137.226 - 22/12/2017 11h50. © Martin Média De l’inhibition sociale à l’anxiété sociale pathologique L’inhibition sociale adaptative Toute inhibition sociale n’est pas pathologique. Pour des raisons éthologiques, en cas de danger, un être humain peut décider de se mettre en inhibition et de ne pas discuter. C’est le cas de l’incarcération par exemple. C’est aussi le cas dans des expériences sensorielles où des chercheurs descendent volontairement dans une grotte afin de mener des expériences. Ici l’inhibition d’isolement est volontaire. Cette inhibition peut être utile pour l’individu afin de se protéger. On pourrait encore citer des expériences plus proches de nous dans le monde professionnel. Un subalterne inhibant ses comportements en ne disant pas ce qu’il a à dire afin d’éviter les sanctions d’un de ses supérieurs… ou plus globalement des populations opprimées qui pour survivre se protègent par l’inhibition. C’est aussi le cas du petit enfant qui, à l’arrivée du grand oncle qu’il n’a pas vu depuis 26 Le Journal des psychologues n°244-février 2007 des années et malgré l’insistance de sa maman : « Dis bonjour à ton grand oncle », va baisser le regard, la tête, arrêter de parler et jouer tant il sera effrayé par cet inconnu. Les adultes souffrant d’anxiété sociale auront le même genre d’attitude lorsqu’ils se retrouveront dans des situations sociales inquiétantes pour eux. L’inhibition joue un rôle donc essentiel dans l’homéostasie des relations humaines. Mais qu’en est-il du vécu de ces personnes qui extérieurement ne disent rien et ne posent pas de problèmes ? On retrouve ici une différence entre le comportement extérieurement visible (inhibition comportementale) et le comportement interne qui peut être fait d’émotions, de souffrance, d’angoisse, d’anxiété, de honte, et des cognitions négatives (« Je me tais, mais je n’en pense pas moins »). Cette inhibition « décidée » par le sujet pour se protéger peut aussi l’aider dans sa progression et lui éviter des ennuis. Ces phénomènes d’inhibition adaptative sont temporaires et disparaissent lorsque le sujet sort de la situation évaluée comme dangereuse pour lui. L’anxiété sociale Mais il existe aussi des états d’inhibition permanente que l’on rencontre en pathologie. La fréquence de l’anxiété sociale pathologique se situerait en France entre 2 % et 3 % de la population (Lépine J.-P., 1999). Il s’agit dans ce pourcentage de forme grave avec un véritable handicap social et professionnel. Les femmes sont légèrement plus touchées que les hommes (guère plus de trois femmes pour deux hommes). Le taux de célibat est anormalement élevé chez ces patients. L’âge de début des troubles semble précoce, à l’adolescence entre treize et quinze ans. Un début de l’anxiété sociale après vingt-cinq ans est tout à fait inhabituel et doit faire évoquer un autre diagnostic. Les causes de l’anxiété sociale nous permettent de dégager quatre grands facteurs. Le premier est la prédisposition avec des tendances anxieuses face à la nouveauté, à l’inconnu, décrit par Jérôme Kagan qui évoque le tempérament inhibé et la mise en évidence de facteurs génétiques (travaux de Kendler, 1992). Le deuxième facteur est un facteur éducatif. On le retrouve fréquemment dans des familles où tous les membres souffrent d’anxiété sociale. Ils ont souvent reçu une éducation peu affirmée. Le troisième facteur est traumatique. Il semble très important dans l’anxiété sociale. Une expérience sociale traumatique est retrouvée plus d’une fois sur deux. Elle a lieu le plus souvent à l’adolescence ou au début de l’âge adulte lors des premières confrontations au groupe social (exposé oral au lycée ou premières réunions professionnelles ou premières expériences de drague). Le quatrième facteur étiologique est culturel. Au japon le « Taijin-Kyofu-sho » est la peur d’offenser ou d’embarrasser les autres, de les mettre mal à l’aise, avec un regard trop insistant, une expression faciale insolente ou même une odeur désagréable. Cinq grands types de situations sociales peuvent déclencher l’anxiété. Il s’agit des situations de performances, d’échanges superficiels, d’échanges approfondis, d’affirmation de soi (faire valoir ses droits en respectant ceux des autres), et d’observation par autrui. La sémiologie de l’anxiété sociale est émotionnelle. D’abord le sujet est anxieux avant la situation sociale qu’il redoute. Après la situation, il va ressentir une émotion de honte. La sémiologie est aussi cognitive et accompagne la précédente, il y a une anxiété d’évaluation avant d’aller dans la situation (« Je ne serai pas à la hauteur ») et une évaluation négative de soimême (« Je n’ai pas été à la hauteur »). Au moment de la situation sociale, le sujet anxieux a des cognitions de focalisation sur lui-même avec auto-observation de ses propres performances (« regarde, tu n’es pas aussi intelligent que les autres, tu n’arrives pas à prendre la parole ») et d’évaluation des autres sur lui, « ils se rendent bien compte que tu es en train de rougir et que tu n’as pas grand-chose à dire »…) La sémiologie est également neurophysiologique avec des symptômes d’anxiété physique intense et obsédante : palpitations, sueurs, bouche sèche, pouvant aller jusqu’à la panique. Insistons sur ce caractère neurophysiologique du trouble anxiété sociale, le sujet pouvant aller à un véritable état de panique qui va authentiquement lui faire perdre ses performances comportementales. En effet, comment prendre la parole en public lorsque l’on est soumis à une véritable attaque de panique ? Du normal au pathologique : un continuum L’inhibition sociale n’est donc pas un phénomène pathologique en soi. Il y a une sorte de continuum allant de la simple gêne à la timidité, à la phobie sociale Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 83.112.137.226 - 22/12/2017 11h50. © Martin Média Regard sur l’inhibition Diagnostic différentiel et troubles associés En clinique, il est important de rechercher des troubles associés. En effet, l’anxiété sociale est très fréquemment comorbide et s’accompagne d’autres troubles qu’il faudra rechercher et mettre en évidence, car ils pourront influencer le traitement. Il s’agit essentiellement de l’anxiété de séparation, il sera alors nécessaire d’explorer l’enfance. Un diagnostic différentiel difficile est l’anxiété généralisée. Ici les situations qui angoissent le sujet ne sont pas que sociales. Il est aussi angoissé par l’argent, ses enfants, la maladie, tous les sujets d’actualité et les évitements sont faibles. Bien sûr, il faudra distinguer l’anxiété sociale pathologique de l’anxiété de performances et du trac présent chez les musiciens, les chanteurs, les sportifs, les conférenciers qui sont des phénomènes adaptatifs normaux et ne représentent pas en soi une anxiété sociale pathologique, sauf si leur intensité paralyse le sujet et l’empêche de faire sa prestation. En dehors de ces cas extrêmes, ils n’éprouvent pas de détresse, ils n’ont pas de handicap social, ils n’ont pas la peur des autres, ils n’évitent pas les situations. L’agoraphobie est relativement facile à différencier, le désastre est ici intérieur, c’est la peur de perdre le contrôle, de faire un malaise et même d’en mourir. Alors que, dans l’anxiété sociale, le désastre est extérieur, c’est le regard des autres sur nous qui nous préoccupe. La personnalité schizoïde est un diagnostic différentiel fondamental. Mais, ici, il n’existe pas de désir d’entretenir des relations sociales avec l’autre, le sujet ne recherche pas ces relations et il est relativement indifférent à la critique, à la différence de l’anxieux social qui lui est très sensible à la critique. Notons que les dépressions sont fréquemment Tableau I. Ce qui est normal et ce qui ne l’est pas. Inhibition sociale normale Anxiété sociale pathologique Votre anxiété sociale ne vous oblige pas à fuir les situations sociales. Vous êtes obligé(e) d’éviter un grand nombre de situations sociales. Au bout d’un certain nombre de rencontres avec les personnes ou les situations, votre anxiété est moins forte. Il arrive que vous ne soyez jamais rassuré(e) même auprès de personnes ou de situations que vous rencontrez très souvent. Vous ressentez surtout de la gêne et de l’embarras. Vous prouvez souvent une véritable panique et une grande honte. Vous avez des amis et des relations même sil vous faut du temps pour vous lier. Vous avez peu d’amis et de relations. Le Journal des psychologues n°244-février 2007 27 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 83.112.137.226 - 22/12/2017 11h50. © Martin Média Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 83.112.137.226 - 22/12/2017 11h50. © Martin Média grave avec évitements sociaux multiples. La gêne sociale concerne Monsieur ou Madame Tout-le-monde. Qui ne s’est pas retrouvé impressionné lors d’une situation sociale ? Par exemple en prenant la parole devant des professeurs éminents ? Ou pour ceux qui ont l’expérience de passer devant une caméra de télévision ? Ou lors des premières dragues au cours de l’adolescence ? En soi, la gêne sociale est donc un mécanisme psychologique normal et même adaptatif. D’ailleurs, elle permet en quelque sorte d’éviter l’impolitesse et l’agressivité. C’est parce que nous sommes parfois impressionnés par l’autre que nous aurons tendance à l’observer, mais aussi à le respecter et à tenir compte de lui. D’ailleurs, les thérapies par affirmation de soi permettent aux patients souffrant d’anxiété sociale de développer à la fois l’intérêt envers soimême mais aussi envers les autres. On s’exprime et l’on exprime nos besoins pour sortir d’une passivité, mais on tient compte de l’autre et des besoins des autres pour éviter l’agressivité. À ce titre, le traitement de l’inhibition sociale, pathologique si elle doit permettre aux sujets d’aller vers l’autre, doit aussi éviter des comportements agressifs qui ne respecteraient plus les autres. La timidité peut, selon les enquêtes, représenter jusqu’à 40 % de la population. La fréquence de la phobie sociale au sens strict du terme est évaluée à 3 %. Elle s’accompagne alors de nombreux évitements et représente un véritable handicap ayant d’importantes conséquences dans la vie sociale, professionnelle, amicale, affective de l’individu, l’empêchant de mener une vie normale. Elle justifie à ce titre une prise en charge par les professionnels du soin. Qu’est-ce qui relève de la timidité simple ou de la gêne sociale normale et qu’est-ce qui relève de l’anxiété sociale pathologique ? On peut résumer les principales différences sous forme d’un tableau (voir ci-contre). On le voit, ce qui va donner le caractère pathologique à l’inhibition sociale est d’abord la force de l’évitement qui est une obligation pour le sujet et non pas une décision de sa part, l’absence d’habituation lorsque le sujet se retrouve en situations sociales, l’intensité du malaise émotionnel en situations sociales, et l’appauvrissement des relations. DOSSIER Regard sur l’inhibition L’évolution de l’anxiété sociale au long cours Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 83.112.137.226 - 22/12/2017 11h50. © Martin Média Il s’agit de sujets discrets qui consultent peu et peuvent rester inhibés durant des années, enfermés sans demander d’aide. Ils ne sont pas toujours informés qu’il s’agit d’une maladie que l’on peut améliorer avec une prise en charge adaptée. Ils mettront souvent du temps à consulter, ils pensent qu’il s’agit de leur tempérament et que cela n’est pas modifiable. Il faudra alors que le psychologue sache leur expliquer que l’anxiété sociale nécessite souvent une thérapie. L’évolution au long cours la plus courante, en l’absence de prise en charge, est une aggravation progressive de l’anxiété sociale avec complication vers la dépression ou vers la dépendance à l’alcool. L’alcool ou les drogues sont utilisés comme des starters permettant au sujet d’affronter l’autre et de se désinhiber socialement. Les bulles de champagne bien connues de tous sont là pour désinhiber au cours des soirées. La bulle de gaz carbonique transporte rapidement la molécule d’alcool au cerveau et permet aux plus timides d’aborder les autres plus facilement. Une des raisons probables du succès de cette boisson en dehors de sa qualité bien sûr ! La psychothérapie de l’anxiété sociale Elle doit commencer par une bonne compréhension des mécanismes et des origines du problème (voir les détails de la thérapie dans Fanget F. et Rouchouse B., 2007). Deux grands mécanismes peuvent se rencontrer. Certaines personnes n’ont jamais appris les comportements sociaux adéquats pendant leur enfance. Il s’agit là d’un état déficitaire avec un véritable handicap 28 Le Journal des psychologues n°244-février 2007 social et relationnel que l’on va rencontrer dans les formes les plus significatives de phobie sociale et de troubles de la personnalité évitante. Dans le deuxième cas, ce sont des cognitions évaluant la situation comme dangereuse qui inhibent le comportement de l’individu. Ces cognitions concernent la performance : « Je ne serai pas à la hauteur », l’opinion des autres sur lui : « Ils vont voir mon malaise et me juger faible et incompétent. » C’est pour éviter ces catastrophes redoutées que le sujet préférera éviter la situation sociale et ne pas l’affronter. Souvent les deux mécanismes peuvent être couplés chez un même patient. Les débouchés thérapeutiques sont de deux ordres. Dans le cas où le déficit en compétences sociales prédomine, c’est par l’apprentissage de ces dernières que la thérapie devra commencer. Souvent la prise en charge en thérapie de groupe d’affirmation de soi, si elle est réalisable, représentera la solution la plus adaptée (Fanget F., 1999). Dans le deuxième cas de cognitions inhibant le comportement, c’est sur ces pensées dysfonctionnelles que la thérapie devra débuter. Ici une prise en charge individuelle sera préférée. Elle mettra au jour des schémas cognitifs sous-jacents à l’anxiété sociale, de soumission à l’opinion des autres (« je dois être apprécié par tout le monde, ma valeur dépend de ce que les autres pensent de moi »), des schémas cognitifs de soumission à l’autorité (« je ne dois jamais refuser quelque chose à quelqu’un qui me le demande ») et des schémas cognitifs de soumission à la performance sociale (« pour prendre la parole dans un groupe, il faut avoir quelque chose de particulièrement intéressant à dire »). La thérapie permettra d’aider le patient à assouplir ses schémas cognitifs (Fanget 2002 et 2006). Les deux types de prise en charge pourront se succéder chez un même patient, selon une séquence adaptée au cas selon l’analyse fonctionnelle des problèmes de la personne. En conclusion Le vieux débat entre le normal et le pathologique ressurgit avec acuité lorsque l’on aborde le thème de l’inhibition et de l’anxiété sociale. Deux pièges sont à éviter. Le premier piège étant de vouloir normaliser tout le monde en traitant la moitié de la population française, ce qui est à peu près la fréquence de la timidité. À moins que cette intervention ne constitue ce que l’on appelle maintenant du « développement personnel ». Mais cela ouvre un autre débat. Le deuxième piège étant de laisser sans soin, comme ce fut malheureusement le cas pendant longtemps (même encore actuellement parfois), des personnes présentant une anxiété sociale handicapante. Cela est d’autant plus désolant que l’on dispose actuellement de modalités de prise en charge efficaces par les professionnels du soin. J’espère que cette petite contribution aidera le lecteur à éviter ces pièges. ■ Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 83.112.137.226 - 22/12/2017 11h50. © Martin Média associées à l’anxiété sociale. Elles constituent le plus souvent une complication. Selon les auteurs, entre 50 % et 75 % des anxieux sociaux présenteraient des dépressions secondaires à l’anxiété sociale dans la majorité des cas. Toutefois, l’inverse peut exister, au cours de certaines dépressions, les sujets ont tendance à se retirer des relations sociales. Mais, dans ces cas, l’inhibition sociale va disparaître au fur et à mesure que la dépression s’améliore.