L’œuvre entre lieux d’un dessein et limites du dessin

Telechargé par Ghassen Khemakhem
Dr. GHASSEN KHEMAKHEM JEPTAV /ISBAS colloque 03/2020
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L’œuvre entre lieux d’un dessein et limites du dessin
Résumé
En se basant sur des exemples artistiques variés, cet article se propose d’étudier l’esthétique
de l’inachevé dans l’art à travers une approche chronologique, historique et psychologique qui
prend en compte la pensée humaine depuis l’apparition de l’art paléolithiques jusqu’à
aujourd’hui.
Nous nous sommes basés pour cela sur l’étude de la relation entre l’homme et l’univers pour
pouvoir expliquer les différentes raisons qui le poussent à recourir d’une façon consciente à
l’esthétique de l’inachevé.
En prenant les travaux de sculpteurs, de peintres et de romanciers comme exemples, nous
avons tenté de comprendre les raisons propres à chacun, et ce puzzle a contribué à son tour à
apporter un éclairage plus global à la personnalité humaine, ses rêves et ses angoisses.
Nous avons proposé une démarche basée sur une pratique personnelle récente baptisée la
désupporisation, étant donné, qu’elle rejoint l’esthétique de l’inachevé dans les buts et les
visions.
En dernier lieu, nous avons proposé les limites de la désupporisation que nous avons expliqué
en nous dotant d’une assise théorique et pratique contemporaine pour en mettre en relief le
rôle du spectateur dans le processus.
Mots clés : ascension, redécouverte, désupporisation, seuil, expérimentation.
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Introduction
L’homme a commencé à accorder de l’importance au temps au moment où il a pris conscience
du monde qui l’entoure. En prenant compte du potentiel de ses mains, il a commencé à
s’exprimer en peignant son quotidien, ses prouesses, ses exploits et ses craintes sur les murs
des cavernes préhistoriques.
Dans un univers démesurément grand qui le dépasse en tout, les premières représentations
artistiques humaines incarnent les premières formes d’expressions humaines face au temps et à
l’inconnu en général. En prenant conscience de la grandeur de l’univers et de sa petitesse dans
un milieu hostile, l’homme préhistorique a cherché à travers les productions artistiques
paléolithiques et primitives à s’approprier le temps et à dominer ce qui lui fait peur à travers la
peinture.
Les différentes représentations dans les grottes de Chauvet ou de Lascaux témoignent de
l’obsession de l’homme préhistorique pour l’expression de ses émotions et pour
l’extériorisation de ce qu’il ressent. Déjà à cette époque, d’une façon consciente ou
inconsciente, il a été fasciné par l’aspect insaisissable et fuyant du temps, la grandeur de la
nature et la nécessité de s’exprimer, d’émettre un avis et d’extérioriser ce qu’il a sur le cœur.
Même si l’art s’est diversifié et a évolué avec le temps la fascination pour la domination de ce
qui nous dépasse et la volonté de l’exprimer à travers l’art continuent aujourd’hui encore à
éveiller l’instinct artistique immanent et présent chez l’homme.
Depuis les origines, l’art a représenté une production codifiée et chargée d’une infinité de sens
et de signes. Comme en témoignent plusieurs œuvres primitives, Gombrich
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a souligné dans
ses travaux que la présence de certaines apparences curieuses sur les murs des grottes et des
cavernes ne s’expliquent pas par des contraintes fonctionnelles et formelles, de manque de
maitrise technique ou de maladresse mais sultent plutôt d’une conception spécifique du
monde et de l’univers. Il existe une continuité ininterrompue entre l’homme primitif, les
différentes formes artistiques antiques, médiévales, contemporaines et modernes. Si les
techniques de la représentation ont évolué, l’artiste a toujours entretenu une relation complexe
avec l’univers. Ce continuum artistique est le reflet d’une pensée qui s’est orientée vers le
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Enrich H. Gombrich, L’art et l’illusion, Psychologie de la représentation picturale [1960], G. Durand (trad.),
Paris, Gallimard, 1996, introduction, p. 16.
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perfectionnement de la représentation et l’expérimentation des techniques et des modes de
création pour rendre l’insaisissable saisissable, l’invisible visible et l’innommable implicite.
En effectuant une approche chronologique de l’art, nous constatons que l’Art en tant que forme
d’expression et de communication n’est pas opaque, ni clos. Il s’inscrit par nature dans
l’interculturel et l’acceptation de l’autre dans la constitution de soi. Ainsi, l’achèvement
représente une fermeture à l’autre.
Il représente depuis toujours un moyen pour communiquer, créer des liens, dominer son monde
intérieur et le dompter pour le rendre plus maniable et plus accessible. Autrement dit, l’art
représente une sorte de seuil, qui une fois franchi, permet à l’artiste d’entrer en contact avec les
éléments qui nous entourent mais aussi de mieux se découvrir et communiquer avec les autres.
Parmi les conséquences de cette influence temporelle, le non-finito s’est concrétisé à travers les
esquisses, les ébauches et les projets interrompus tandis que la rhétorique l’a exprimé à travers
l’ellipse, l’anacoluthe ou l’aposiopèse. Cette conséquence esthétique s’est transformée à travers
le temps pour prôner le concept de l’œuvre ouverte.
Nous avons choisi departir notre article sur trois parties d’égale importance. En premier lieu,
nous allons étudier l’histoire de l’inachevé dans l’art en prenant comme repère deux exemples
issus de la peinture, à savoir les créations de Michel-Ange et de la littérature, à savoir les écrits
de Mohammed Khaïr-Eddine. En second lieu, nous allons présenter la désupporisation en tant
que procédé artistique s’inscrivant dans la continuité des valeurs pronées par l’esthétique de
l’inachèvement. En dernier lieu, nous allons nous pencher sur les limites de la désupporisation
à mener à une œuvre spirituelle.
I- L’esthétique de l’inachevé dans l’Art
Dans les arts, le temps ne représente pas seulement une durée. Il est manié par l’artiste afin de
le raccourcir pour devenir un instant ou l’allonger pour se transformer en une éternité. En 1981,
Jacques Monory a crée ce qu’il a appelé la Time Machine, c’est une machine temporelle qui
restitue et expose les images à l’envers comme pour remonter le temps et le revisiter d’une
manière artistique.
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Le Non finito ou l’inachevé a commencé à se présenter comme une esthétique à part entière. Il
a vu le jour chez le peintre Donatello qui a volontairement laissé son œuvre incomplète et
inachevée pour suggérer l’intensité spirituelle des scènes peintes.
Michel Ange l’a transformée en une esthétique de l’inachèvement pour mieux traduire la fureur
créatrice et indiquer l’impossibilité d’atteindre la perfection souhaitée comme dans le cas de
l’exemple de la Chapelle des Médicis à San Lorenzo ou encore la Pietà, dans le Tombeau de
Jules II,.
Avec Auguste Rodin, l’esthétique de l’inachevé se manifeste comme un moyen d’expression
pour indiquer que le non-dit, le suggéré est beaucoup plus important que ce qui a été révélé.
Sur le plan littéraire et linguistique, l’inachevé dans la littérature représente une tentative
d’arrachement et de rejet par rapport à une situation et une réalité difficile et inacceptable. Nous
pouvons mentionner l’exemple du roman Une vie, un rêve, un peuple toujours errants de
l’écrivain Mohammed Khaïr-Eddine pour qui, l’inache a surtout représenté une attitude
d’esprit contestataire qui s’oppose aux discours totalitaires et totalisants.
Chez lui, l’inachevé se présente comme une remise en question des traditions littéraires et de
l’impérialisme culturel et un appel à la pluralité des perceptions et des cultures.
Par analogie, nous pouvons considérer l’œuvre artistique comme un espace d’affranchissement
qui projette l’acte artistique dans une dimension symbolique qui donne son sens à l’inter/dit.
Ce terme révèle mieux que jamais l’art comme un espace où la rencontre avec l’autre dévoilent
le non-dit et éclaire l’occulté et le terré. L’inachevé éclaire l’interdit et dévoile l’inter-dit car il
contribue à tisser des liens fort concernant le sens et la signification de l’Art de manière à
resituer l’artiste par rapport à son univers et par rapport à lui-même.
Dans l’écriture ou la peinture de l’inachevé se côtoient des univers artistiques variés avec des
codes différentes, des voix multiples, et des discours chargés de langues, de mots, de sens et de
significations. L’esthétique de l’inachevé masque le manque, dévoile les sentiments les plus
intenses mais aussi les plus profonds et les désirs les plus cachés.
L’inachevé permet un décloisonnement sur différents ordres pour mêler les différentes
dimensions de manière à ce que l’image véhiculée soit plus suggestive, plus expressive et
affranchie de tout ce qui dicté et imposé. L’art basé sur le Non-Finito et l’inachevé s’inscrit
dans une pratique de décloisonnement au niveau des formes, des genres, des discours, etc.
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L’œuvre artistique se caractérise dès lors par un déplacement, un style nomade, l’errance dans
l’espace pour s’aventurer au-delà des frontières de l’infini.
En faisant le choix de faire une peinture inachevée, l’artiste donne vie à une pensée en
mouvement, ou le pinceau donne naissance à une infinité de déconstruction et de reconstruction,
abolissant ainsi l’univocité du langage artistique et l’interprétation unique. Cette esthétique
place l’œuvre dans un perpétuel mouvement et le rend atemporel comme une victoire sur le
temps et l’espace, la rendant ainsi inclassable et immortelle.
Si l’artiste est limité dans sa forme, ses capacités, ses facultés motrices et son existence,
l’inachevé lui donne la possibilité de triompher de la mort, de l’existence, des affres du temps
et de toutes les limites.
La notion de l’esthétique de l’inachevé permet à l’artiste de nuancer et de tempérer, mais aussi
de promouvoir une singularité artistique et une manière d’exister unique et irréductible à toutes
les autres formes de pensée et d’actions. « Agir par soi-même en se donnant ses propres règles
», telle est la promesse de l’esthétique de l’inachevé.
À une période les règles se multiplient concernant les questions du faire, de l’acte, de la
matière et de la forme au point d’assujettir l’art en lui créant des limites, l’inachevé dans l’art
concilie l’essence de l’art et l’authenticité artistique. Il permet d’instaurer un renouvellement
dans le cadre d’une finalité sans fin à la fois constituante et instituante.
En nous basant sur les sculptures de Michel Ange, nous constatons que l’inachèvement
représente une nouvelle forme de création. Avec Michel-Ange, le non-finito acquiert le statut
de pratique artistique maitrisée à part entière. En nous penchant sur la genèse de l’œuvre, nous
pouvons mieux comprendre les modalités de l’œuvre artistique et l’évolution de son processus
créatif au lieu de nous intéresser au produit fini. L’ébauche et la formation de la prenne sont
des traits d’études importants car ils peuvent nous renseigner sur le processus créatif, les
difficultés techniques et esthétiques rencontrées mais également le traitement du mouvement et
du temps. Di Cagno (1996) considère l’inachevé chez Michel Ange comme repère comme une
conception riche en significations « Chez Michel-Ange, le terme ‘inachevé’ désigne des œuvres
de sa maturité pour la plupart, délibérément interrompues à un stade intermédiaire. Au delà
de cet aspect technique, cette approche de la sculpture revêt une signification profonde liée à
l’esprit même de l’artiste : l’image qui émerge laborieusement du carcan de la pierre brute
indique, comme le veut la pensée platonicienne, que la perfection totale est impossible. D’autre
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