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L’œuvre entre lieux d’un dessein et limites du dessin

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JEPTAV /ISBAS colloque – 03/2020
Dr. GHASSEN KHEMAKHEM
L’œuvre entre lieux d’un dessein et limites du dessin
Résumé
En se basant sur des exemples artistiques variés, cet article se propose d’étudier l’esthétique
de l’inachevé dans l’art à travers une approche chronologique, historique et psychologique qui
prend en compte la pensée humaine depuis l’apparition de l’art paléolithiques jusqu’à
aujourd’hui.
Nous nous sommes basés pour cela sur l’étude de la relation entre l’homme et l’univers pour
pouvoir expliquer les différentes raisons qui le poussent à recourir d’une façon consciente à
l’esthétique de l’inachevé.
En prenant les travaux de sculpteurs, de peintres et de romanciers comme exemples, nous
avons tenté de comprendre les raisons propres à chacun, et ce puzzle a contribué à son tour à
apporter un éclairage plus global à la personnalité humaine, ses rêves et ses angoisses.
Nous avons proposé une démarche basée sur une pratique personnelle récente baptisée la
désupporisation, étant donné, qu’elle rejoint l’esthétique de l’inachevé dans les buts et les
visions.
En dernier lieu, nous avons proposé les limites de la désupporisation que nous avons expliqué
en nous dotant d’une assise théorique et pratique contemporaine pour en mettre en relief le
rôle du spectateur dans le processus.
Mots clés : ascension, redécouverte, désupporisation, seuil, expérimentation.
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Introduction
L’homme a commencé à accorder de l’importance au temps au moment où il a pris conscience
du monde qui l’entoure. En prenant compte du potentiel de ses mains, il a commencé à
s’exprimer en peignant son quotidien, ses prouesses, ses exploits et ses craintes sur les murs
des cavernes préhistoriques.
Dans un univers démesurément grand qui le dépasse en tout, les premières représentations
artistiques humaines incarnent les premières formes d’expressions humaines face au temps et à
l’inconnu en général. En prenant conscience de la grandeur de l’univers et de sa petitesse dans
un milieu hostile, l’homme préhistorique a cherché à travers les productions artistiques
paléolithiques et primitives à s’approprier le temps et à dominer ce qui lui fait peur à travers la
peinture.
Les différentes représentations dans les grottes de Chauvet ou de Lascaux témoignent de
l’obsession de l’homme préhistorique pour l’expression de ses émotions et pour
l’extériorisation de ce qu’il ressent. Déjà à cette époque, d’une façon consciente ou
inconsciente, il a été fasciné par l’aspect insaisissable et fuyant du temps, la grandeur de la
nature et la nécessité de s’exprimer, d’émettre un avis et d’extérioriser ce qu’il a sur le cœur.
Même si l’art s’est diversifié et a évolué avec le temps la fascination pour la domination de ce
qui nous dépasse et la volonté de l’exprimer à travers l’art continuent aujourd’hui encore à
éveiller l’instinct artistique immanent et présent chez l’homme.
Depuis les origines, l’art a représenté une production codifiée et chargée d’une infinité de sens
et de signes. Comme en témoignent plusieurs œuvres primitives, Gombrich1 a souligné dans
ses travaux que la présence de certaines apparences curieuses sur les murs des grottes et des
cavernes ne s’expliquent pas par des contraintes fonctionnelles et formelles, de manque de
maitrise technique ou de maladresse mais résultent plutôt d’une conception spécifique du
monde et de l’univers. Il existe une continuité ininterrompue entre l’homme primitif, les
différentes formes artistiques antiques, médiévales, contemporaines et modernes. Si les
techniques de la représentation ont évolué, l’artiste a toujours entretenu une relation complexe
avec l’univers. Ce continuum artistique est le reflet d’une pensée qui s’est orientée vers le
Enrich H. Gombrich, L’art et l’illusion, Psychologie de la représentation picturale [1960], G. Durand (trad.),
Paris, Gallimard, 1996, introduction, p. 16.
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perfectionnement de la représentation et l’expérimentation des techniques et des modes de
création pour rendre l’insaisissable saisissable, l’invisible visible et l’innommable implicite.
En effectuant une approche chronologique de l’art, nous constatons que l’Art en tant que forme
d’expression et de communication n’est pas opaque, ni clos. Il s’inscrit par nature dans
l’interculturel et l’acceptation de l’autre dans la constitution de soi. Ainsi, l’achèvement
représente une fermeture à l’autre.
Il représente depuis toujours un moyen pour communiquer, créer des liens, dominer son monde
intérieur et le dompter pour le rendre plus maniable et plus accessible. Autrement dit, l’art
représente une sorte de seuil, qui une fois franchi, permet à l’artiste d’entrer en contact avec les
éléments qui nous entourent mais aussi de mieux se découvrir et communiquer avec les autres.
Parmi les conséquences de cette influence temporelle, le non-finito s’est concrétisé à travers les
esquisses, les ébauches et les projets interrompus tandis que la rhétorique l’a exprimé à travers
l’ellipse, l’anacoluthe ou l’aposiopèse. Cette conséquence esthétique s’est transformée à travers
le temps pour prôner le concept de l’œuvre ouverte.
Nous avons choisi de répartir notre article sur trois parties d’égale importance. En premier lieu,
nous allons étudier l’histoire de l’inachevé dans l’art en prenant comme repère deux exemples
issus de la peinture, à savoir les créations de Michel-Ange et de la littérature, à savoir les écrits
de Mohammed Khaïr-Eddine. En second lieu, nous allons présenter la désupporisation en tant
que procédé artistique s’inscrivant dans la continuité des valeurs pronées par l’esthétique de
l’inachèvement. En dernier lieu, nous allons nous pencher sur les limites de la désupporisation
à mener à une œuvre spirituelle.
I-
L’esthétique de l’inachevé dans l’Art
Dans les arts, le temps ne représente pas seulement une durée. Il est manié par l’artiste afin de
le raccourcir pour devenir un instant ou l’allonger pour se transformer en une éternité. En 1981,
Jacques Monory a crée ce qu’il a appelé la Time Machine, c’est une machine temporelle qui
restitue et expose les images à l’envers comme pour remonter le temps et le revisiter d’une
manière artistique.
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Le Non finito ou l’inachevé a commencé à se présenter comme une esthétique à part entière. Il
a vu le jour chez le peintre Donatello qui a volontairement laissé son œuvre incomplète et
inachevée pour suggérer l’intensité spirituelle des scènes peintes.
Michel Ange l’a transformée en une esthétique de l’inachèvement pour mieux traduire la fureur
créatrice et indiquer l’impossibilité d’atteindre la perfection souhaitée comme dans le cas de
l’exemple de la Chapelle des Médicis à San Lorenzo ou encore la Pietà, dans le Tombeau de
Jules II,.
Avec Auguste Rodin, l’esthétique de l’inachevé se manifeste comme un moyen d’expression
pour indiquer que le non-dit, le suggéré est beaucoup plus important que ce qui a été révélé.
Sur le plan littéraire et linguistique, l’inachevé dans la littérature représente une tentative
d’arrachement et de rejet par rapport à une situation et une réalité difficile et inacceptable. Nous
pouvons mentionner l’exemple du roman Une vie, un rêve, un peuple toujours errants de
l’écrivain Mohammed Khaïr-Eddine pour qui, l’inachevé a surtout représenté une attitude
d’esprit contestataire qui s’oppose aux discours totalitaires et totalisants.
Chez lui, l’inachevé se présente comme une remise en question des traditions littéraires et de
l’impérialisme culturel et un appel à la pluralité des perceptions et des cultures.
Par analogie, nous pouvons considérer l’œuvre artistique comme un espace d’affranchissement
qui projette l’acte artistique dans une dimension symbolique qui donne son sens à l’inter/dit.
Ce terme révèle mieux que jamais l’art comme un espace où la rencontre avec l’autre dévoilent
le non-dit et éclaire l’occulté et le terré. L’inachevé éclaire l’interdit et dévoile l’inter-dit car il
contribue à tisser des liens fort concernant le sens et la signification de l’Art de manière à
resituer l’artiste par rapport à son univers et par rapport à lui-même.
Dans l’écriture ou la peinture de l’inachevé se côtoient des univers artistiques variés avec des
codes différentes, des voix multiples, et des discours chargés de langues, de mots, de sens et de
significations. L’esthétique de l’inachevé masque le manque, dévoile les sentiments les plus
intenses mais aussi les plus profonds et les désirs les plus cachés.
L’inachevé permet un décloisonnement sur différents ordres pour mêler les différentes
dimensions de manière à ce que l’image véhiculée soit plus suggestive, plus expressive et
affranchie de tout ce qui dicté et imposé. L’art basé sur le Non-Finito et l’inachevé s’inscrit
dans une pratique de décloisonnement au niveau des formes, des genres, des discours, etc.
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L’œuvre artistique se caractérise dès lors par un déplacement, un style nomade, l’errance dans
l’espace pour s’aventurer au-delà des frontières de l’infini.
En faisant le choix de faire une peinture inachevée, l’artiste donne vie à une pensée en
mouvement, ou le pinceau donne naissance à une infinité de déconstruction et de reconstruction,
abolissant ainsi l’univocité du langage artistique et l’interprétation unique. Cette esthétique
place l’œuvre dans un perpétuel mouvement et le rend atemporel comme une victoire sur le
temps et l’espace, la rendant ainsi inclassable et immortelle.
Si l’artiste est limité dans sa forme, ses capacités, ses facultés motrices et son existence,
l’inachevé lui donne la possibilité de triompher de la mort, de l’existence, des affres du temps
et de toutes les limites.
La notion de l’esthétique de l’inachevé permet à l’artiste de nuancer et de tempérer, mais aussi
de promouvoir une singularité artistique et une manière d’exister unique et irréductible à toutes
les autres formes de pensée et d’actions. « Agir par soi-même en se donnant ses propres règles
», telle est la promesse de l’esthétique de l’inachevé.
À une période où les règles se multiplient concernant les questions du faire, de l’acte, de la
matière et de la forme au point d’assujettir l’art en lui créant des limites, l’inachevé dans l’art
concilie l’essence de l’art et l’authenticité artistique. Il permet d’instaurer un renouvellement
dans le cadre d’une finalité sans fin à la fois constituante et instituante.
En nous basant sur les sculptures de Michel Ange, nous constatons que l’inachèvement
représente une nouvelle forme de création. Avec Michel-Ange, le non-finito acquiert le statut
de pratique artistique maitrisée à part entière. En nous penchant sur la genèse de l’œuvre, nous
pouvons mieux comprendre les modalités de l’œuvre artistique et l’évolution de son processus
créatif au lieu de nous intéresser au produit fini. L’ébauche et la formation de la prenne sont
des traits d’études importants car ils peuvent nous renseigner sur le processus créatif, les
difficultés techniques et esthétiques rencontrées mais également le traitement du mouvement et
du temps. Di Cagno (1996) considère l’inachevé chez Michel Ange comme repère comme une
conception riche en significations « Chez Michel-Ange, le terme ‘inachevé’ désigne des œuvres
de sa maturité pour la plupart, délibérément interrompues à un stade intermédiaire. Au– delà
de cet aspect technique, cette approche de la sculpture revêt une signification profonde liée à
l’esprit même de l’artiste : l’image qui émerge laborieusement du carcan de la pierre brute
indique, comme le veut la pensée platonicienne, que la perfection totale est impossible. D’autre
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part, le combat du sculpteur pour atteindre la forme pure symbolise le parcours de l’homme
dans sa vie terrestre2. ».
Chez Michel-Ange le recours à l’inachevé se manifeste notamment par l’absence de signatures
au niveau d’une grande partie de ses œuvres à l’exception de la Pietà en 1499. Pour Schauder3,
l’absence de signature remplit plusieurs fonctions notamment l’impossibilité de considérer
l’œuvre comme achevée et l’incapacité chez l’artiste de s’en séparer comme pour affirmer un
lien fort de paternité artistique. Parmi les autres fonctions évoquées par Schauder 4, nous
pouvons mentionner l’inachèvement par choix, par nécessité ou par impossibilité de continuer.
Concernant l’inachèvement par choix, il faut comprendre que chez Michel-Ange, l’œuvre a
pour but de donner libre cours à la pensée à laquelle elle est intrinsèquement liée. Face à cet
état de subordination de l’œuvre à la libre pensée de l’artiste, Michel-Ange a choisi à plusieurs
reprises de suspendre la réalisation de l’œuvre par choix pour mettre en avant son intensité.
Autrement dit, l’œuvre est tellement intense qu’il n’est pas nécessaire de la terminer étant donné
que le message qu’elle véhicule a été atteint sans avoir besoin de la terminer.
Concernant le Tombeau des Médicis, l’œuvre a été laissée inachevée et l’inachèvement des
figures représente en lui-même l’essence même de l’œuvre car le contenu incarne une
métaphore de leurs formes qui renvoient à leurs tours au contenu. L’œuvre inachevée contribue
à créer une forte signification.
Le visage inachevé de la sculpture renvoie à l’espoir perçu à la lumière du jour tiraillé entre la
lumière et l’obscurité, le visible et l’invisible, la forme et la pierre. Pour Simmel5, la beauté
esthétique de l’œuvre réside précisément de cet inachèvement qui incarne la lutte entre les
différentes forces qui orchestrent le monde et dont le pouvoir échappe à l’être humain. Quant
aux sculptures des esclaves (1513-1520) du tombeau de Jules II, nous constatons que les statues
de L’esclave barbu, L’esclave s’éveillant, Le jeune esclave et Atlas, l’esthétique de l’inachevé
participe à créer une allégorie et à donner au visiteur la possibilité de lire le processus de
création de l’œuvre cat tandis que certains bustes sont visibles, d’autres sont encore empêtrés
Di Cagno, Gabrielle (1996). Michel-Ange. Le souffle de la création. Paris, Hatier, Coll. Terre de Sienne.
Schauder, S. (2000). Il ne naît en moi aucune pensée où la mort ne soit pour ainsi dire sculptée.Quelques notes
sur Michel-Ange poète. Communication présentée lors du 50e Jubilée de la WPA, Juillet 2000, Paris. Publié in :
Revue Française de Psychiatrie et de Psychologie Médicale, Novembre 2002, n°59, pp. 27-31.
4
Schauder, S. (2003). Il miglior fabbro… Notes sur le non finito dans les sculptures de Michel-Ange.
Communication présentée lors des Journées d´Etudes de la S.I.P.E. sur le thème L´inachèvement, du 19 au 24 mai
2003. Moscou, Russie.
5
Simmel, G. (1911). Michelangelo. Rodin. In : Philosophische Kultur. Neu verlegt bei Klaus Wagenbach, Berlin,
1983.
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dans la roche. De cette manière, le choix de l’artiste a enrichi l’œuvre en subjectivité et un sens
pour mieux mettre en relief le thème du corps emprisonné et qui ne demande qu’à être libéré.
L’œuvre inachevé est une invitation à à la réflexion car elle appelle à l’imagination, à
l’interprétation.
Elle représente par conséquent le point de départ d’un voyage initiatique dans l’inconscient car
par son inachèvement elle invite le spectateur à imaginer ce que le reste de l’œuvre pourrait
donner à avoir. Elle permet également de mieux retracer le processus de création en prenant en
considération les dimensions chronologique, historique, artistique et sociale dans lesquelles
l’œuvre à vu le jour.
L’inachèvement par nécessité s’explique de sa part par les conditions qui ont influencé les
activités artistiques de l’artiste. Michel-Ange a travaillé dans des conditions assez difficiles qui
ont contribué à ce que le travail commandé soit retardé, retardé, etc. Parmi ces raisons, nous
pouvons mentionner les livraisons égarées, les clients récalcitrants ou peu compréhensifs. Les
biographies de Vasari6 (1550, 1568) et Condivi7 (1553) représentent des sources d’informations
importantes qui expliquent l’inachèvement de certaines œuvres. Même si leur aspect incomplet
n’a pas été souhaité par l’artiste lui-même,
L’inachèvement nous renseigne notamment sur la personnalité de l’artiste mais aussi sur
l’homme qui croulait sous le travail et souhaitait retarder le moment de la livraison pour profiter
de gratifications supplémentaires. L’achèvement de l’œuvre représente pour l’artiste une
séparation définitive sans reprise possible ou un quelconque ajout ou retouche. L’inachèvement
s’explique dans ce contexte par une nécessité mais il nous permet de mieux comprendre la vie
des artistes au XVIème siècle, sa personnalité et son désir de perfection.
L’inachèvement par impossibilité
Dans certains cas de figures, Michel-Ange s’est retrouvé face à un dilemme, faute de matières
adaptées, il a dû opter pour un changement brusque d’orientation, ce fut le cas pour, la Pietà
Rondanini (1552–1564), où il y ‘avait des imperfections au niveau du marbre, quelques
crevasses et une porosité excessive au niveau des pierres. Dans le cadre de ce travail Michel-
Vasari, G. (1550,1568). Le vite de´piu eccellenti pittori, scultori ed architettori. Florenz, Giuntina. Deutsch : Das
Leben von Lionardo da Vinci, Raffael von Urbino und Michelagnolo Buonarotti. Hrsg. von Roland Kanz (1996),
Reclam, Stuttgart.
7
Condivi, A. (1553, trad.frs 1997). Vie de Michel-Ange. Présenté et traduit par Bernard Faguet. Cahors, Climats.
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Ange a procédé à une véritable exploration de la matière (Paolucci8, 2000). À ce propos
Parronchi (1980) a commenté l’aspect inachevé de l’œuvre de la manière suivante : « La
Rondanini Pietà a été considérée comme le point culminant de la spiritualité de Michel-Ange.
Précédemment négligée en tant qu’œuvre inachevée, c’est précisément en tant que telle qu’elle
a l'emprise la plus forte sur l'imagination moderne, qui l'a vue comme une sorte de monologue
de l'artiste, à la fois une aspiration suprême à l'expression humaine et réalisable et un aveu
d’impuissance, le témoignage de l’artiste à la poste et à l’anéantissement de l’homme face au
divin. C'est principalement sur la base l’identification moderne du problème de Michel-Ange
avec celui du non-finito, ou inachevé 9».
II-
La désupporisation au service de la communication
La désupporisation est un concept récent que nous avons développé dans le cadre d’une thèse
de doctorat l’année dernière. Elle est basée sur l’abolition des limites techniques à l’œuvre
artistique. À l’ère du numérique, l’art qui n’est pas clos de nature, a vu son potentiel s’agrandir
à travers le recours à des technologies modernes comme la vidéo 360° (Caméra 360° et VR), à
la réalité augmentée (QR code) et la vidéo Haptique (mécanisme doté de vibrations et montage
en temps réel) pour dépasser les frontières de l’image et réaliser une expérience artistique
différente qui renvoie à l’essence même de l’art. Cette technologie oriente le spectateur pour
qu’il sollicite ses différents sens lors de l’expérience. La réalité augmentée permet au spectateur
d’accepter la réalité virtuelle et de s’engager dans une dynamique d’expérimentation tandis que
la vidéo permet de tisser des liens entre le dehors et le dedans
Nous considérons que l’art dans sa dimension abstraite est devenu éloigné du monde commun.
En devenant de plus en plus complexe et implicite, il a été limité à une élite ce qui a conduit
l’art à devenir élitiste. La notion même de la réalité s’est morcelée en une multitude de
représentations subjectives qui ne renvoient plus à l’univers réel.
La désupporisation est un acte qui puise son essence à partir d’une conscience imageante. En
recourant à une technologie avancée, le spectateur ou le public ne perçoit plus la représentation
artistique comme un produit fini mais comme un processus créatif en cours de création. Il rejoint
ainsi l’esthétique de l’inachèvement. En effet, comme face à une sculpture inachevée de Michel
Paolucci, A. (2000). Les trois Pietà, Paris, Seuil.
Parroncchi, A. (1980). Pietà Rondanini, in La comunità cristiana fiorentina e toscana nella dialettica religiosa del
Cinquecento, exhibition catalogue, Florence, pp. 267.
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Ange ou de Rodin, le spectateur participe au processus créateur pas seulement dans le cadre
d’un processus abstrait mais d’une façon active à part entière. Nous avons tenté l’expérience à
travers trois représentations artistiques que nous avons baptisées respectivement JASSAD acte
1, JASSAD acte 2 et JASSAD acte 3.
Le spectateur n’est pas passif car il est équipé de moyens techniques comme le VR, le QR code
et d’un mécanisme doté de vibrations. Cela s’est accompagné d’un montage en temps réel afin
que le public participe activement au processus créateur. Ses sens et son imagination sont
rassemblés afin de participer à l’acte de la création.
Alors que l’esthétique inachevée conduit à un voyage spirituel et à l’emploi de l’imagination,
la «désupporisation» entraine le spectateur à participer à part entière. Il n’est plus un simple
spectateur mais il est présent tout au long du processus de création.
Lors de la «désupporisation», il interagit avec l’œuvre artistique selon son bon vouloir, ses
préférences et ses appréhensions. Durant ce processus et grâce à la vidéo 360°, la réalité
augmentée et les moyens techniques utilisés, la scène se transforme en un espace de création
où le réel et le virtuel se côtoie. Le spectateur communique avec l’œuvre, la manie, la renouvelle
et la co-crée. Il est élevé au rang d’artiste. À travers les moyens techniques et le montage, le
spectateur est appelé à interagir sur l’espace artistique, à agir, à le transformer en y laissant
l’empreinte de son passage et à être transformé par lui. L’interaction avec l’œuvre artistique est
réalisée par des moyens naturels et sensoriels propres à l’homme comme les cinq sens, la voix
et les gestes.
La désupporisation s’inscrit dans la continuité de l’esthétique de l’inachevé entamée quelques
siècles auparavant à l’époque de la Renaissance mais elle la dépasse car le spectateur est plongé
au vrai sens du terme dans l’univers artistique tout en faisant partie du monde réel. Elle lui
permet de redécouvrir l’art, ses relations avec ce qui l’entoure via des mécanismes qui lui
permettent d’avoir la main sur une réalité augmentée à la fois concrète et virtuelle.
Le processus créatif se base sur trois axes ; la machine, l’environnement et l’homme. Chacun
de ces éléments remplit une fonction bien déterminée. Les moyens techniques utilisés sont les
moyens de la représentation tandis que l’environnement est à la fois virtuel et réel. Le spectateur
interagit avec un univers de représentations.
Cette interaction réelle tourne autour de trois entités : la machine qui joue le rôle du moyen de
représentation ; un environnement, fictif, dont nous pouvons définir les propriétés avec
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précision et l’homme, en interaction effective avec la machine et l’environnement évoqué à
travers des processus de représentation.
Le spectateur ne se contente pas de visualiser la réalité virtuelle mais il entre dans une
immersion totale grâce à la 3D, à l’image, à ses sens et à la manière avec laquelle il conçoit
l’œuvre artistique. Grâce à l’interface du dispositif de visualisation mis en place, le spectateur
a l’impression d’être à la fois dans le dehors et le dedans, à l’extérieur du processus car il le
domine et à l’intérieur d’un espace tridimensionnel.
L’impression d’être à la fois dedans et dehors est accentuée par le recours à la réalité augmentée.
Cette technologie permet à l’artiste d’utiliser le monde réel comme espaces à la création. Les
données virtuelles sont intégrées à la surface réelle avec une interface interactive qui donne un
mélange qui fait appel aux différents sens de manière à donner un résultat artistique qui éveille
les sens et transporte le public dans un univers qui oscille entre la réalité et le virtuel et qui
donne au spectateur une marge d’action importante.
La liberté dont bénéficie le spectateur lui permet d’outre passer les contraintes matérielles et
humaines pour atteindre l’essence de la créativité. La Désupporisation contribue à forger une
connexion avancée qui dépasse les supports classiques pour donner libre court à la créativité et
à la fibre artistique. Chaque expérience est unique puisque la réaction du public est liée
intrinsèquement à l’expérience propre à chaque individu qui se transforme à son tour en un
spectateur/participant ou en un «spectateur-acteur».
Ainsi le terme désupporisation représente au-delà d’un simple terme-valise ou un néologisme
lexical doté d’une connotation sémantique et référentielle. Il s’agit bel et bien d’une expérience
artistique numérique. La technologie utilisée conjugue l’approche personnelle, l’apport
individuel du public participant et des supports sans limites. La réalisation des trois
représentations JASSAD acte 1, JASSAD acte 2 et JASSAD acte 3 nous a permis d’atteindre
une expérimentation artistique du réel qui s’est reconstruite à chaque représentation étant donné
que le comportement des spectateurs varie, tout comme la manière qu’il a eu d’interagir lors de
l’expérience immersive.
Tout comme dans les exemples de non-finito, son interprétation a connu un renouvellement lors
de chaque expérience perceptive et offre au spectateur la possibilité de faire sa propre
expérience du monde, du corps et du temps. À l’image des œuvres inachevées, la
désupporisation représente un seuil vers un univers métaphorique où les sens et l’art n’ont
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jamais été aussi près. L’exploration de la méta-réalité a engagé le public à expérimenter un
univers en pleine construction dont il est le véritable artisan au côté de l’artiste. Ils sont tous les
deux amenés dans ce contexte à habiter l’espace vidéo et toucher l’image vidéographique.
La dimension haptique de l’œuvre permet au spectateur de toucher l’œuvre mais également
d’être touché par elle. Merleau-Ponty a présenté dans son approche de la phénoménologie
qu’ « Un film ne se pense pas, il se perçoit10 ». La mise en abime de la vidéo permet de faire
l’expérience d’un enchainement réflexif basé sur l’expérimentation de la spatialité, de la
temporalité, du mouvement et du toucher.
Le spectateur dépasse de loin l’aspect du spectateur-acteur ou du collaborateur car il devient un
co-créateur à part entière. Pour Merleau-Ponty «Dans notre manière de percevoir est impliqué
tout ce que nous sommes.11 ». En acceptant de participer à l’expérience vidéographique du
projet « JASSAD », le spectateur adhère à une dimension sensible, immatérielle et à un
processus de création dont il est l’artisan et le l’objet. Le recours au numérique a intégré le
spectateur dans un processus de création où il ne peut plus faire semblant. Son immersion et
son insertion dans le processus créateur rend le projet artistique plus vivant et plus intense
Pour Silke Schmickl « En tant que spectateurs nous avons sur ce public, certes, un avantage
d’information susceptible de créer une certaine ironie. Mais nous restons toujours conscients
que nous-mêmes pourrions être l’objet d’une ironie analogue, si quelqu’un nous observait parderrière à la manière de Struth. Cette prise de conscience nous empêche de juger trop
sévèrement ce public photographié qui nous ressemble tant12.».
Le spectateur créateur est bel et bien un élément artistique important qui participe à l’esthétique
et qui donne vie à l’œuvre.
Selon Liliane Brion-Guerry : « Avec l’art moderne il n’y a plus de spectateur privilégié, l’œuvre
plastique n’a plus à être contemplée d’un point de vue déterminé, l’observateur s’est dynamisé,
il est un point de référence mobile. La perception esthétique exige du regardant un parcours,
un déplacement imaginaire ou réel par lequel l’œuvre est recomposée en fonction des
références et associations propres de l’observateur. Indéterminée, modifiable, l’œuvre
moderne met ainsi en place une première forme de participation systématique, l’observateur
Merleau-Ponty et la perception cinématographique », op. cit., p.106
Maurice Merleau-Ponty, Le monde sensible et le monde de l’expression
12
Silke Schmickl, Les Museum photographs de Thomas Struth, une mise en abyme, 2005, Paris, Ed. de la Maison
des Sciences de l’Homme, p. 66 14. Rikrit Tiravanija, Free 1992, 2007 73
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est ‘‘appelé en quelque sorte à collaborer à l’œuvre du créateur’’, il en devient le ‘‘cocréateur’’13».
Si l’œuvre artistique est appréciée dans les meilleurs des cas par le public qui la réactualise à
chaque exposition, la désupporisation transforme le spectateur en une extension de l’œuvre
artistique à chaque fois qu’il prend part à l’expérience.
Christian Ruby propose de son côté «un nouveau concept de spectateur, lié à une formation
par des exercices qui ne sont pas des épreuves. Ces exercices, artistiques et non plus
esthétiques, ont pour propriété de configurer progressivement le corps du spectateur dans et
par le rapport à l’autre. Ils induisent des formes nouvelles de construction de soi, dans
l’interférence.14».
Pour Bernard Lamizet : « La création artistique n’a d’existence sociale pleine qu’à partir du
moment où elle fait l’objet d’une diffusion, puis d’une appropriation indistincte par les acteurs
de la sociabilité, ainsi constitués collectivement en un acteur que l’on nomme le public.15».
La désupporisation entraine le spectateur dans une relation nouvelle avec l’art tout en renouant
avec les objectifs de l’art depuis la nuit des temps, car elle permet d’ «interpeller en sujet
esthétique et se laisse interpeller de cette manière par une œuvre qui se fait véritablement
“adresse’’ à lui16.».
III-
Les limites de la désupporisation
Il est vrai que la désupporisation appliquée à la phénoménologie a contribué d’actualiser les
contours de l’art à une époque où les représentations artistiques sont devenues élitistes.
Toutefois, en permettant une expérimentation aussi claire et nette chez le spectateur qui
rassemble ses sens et éclaire ses différentes réactions et interprétations de l’œuvre artistique,
Pour mieux expliquer notre enchainement, nous allons nous baser sur une très belle présentation
Liliane Brion-Guerry, « L’évolution des formes structurales dans l’architecture des années 1910-1914 », in
L’Année 1913, Ed. Klincksieck, 1971, tome I, p.142, in L’ère du vide, op. cit., pp. 145-146
14
Christian Ruby, L’Age du public et du Spectateur, Essai sur les dispositions esthétiques et politiques du public
moderne, 2007, Bruxelles, Ed. la lettre volée, p. 184
15
Bernard Lamizet, La médiation culturelle, edition universitaire. Paris. 2006., p. 177
16
Christian Ruby, « Esthétique des interférences », in EspacesTemps, Les Cahiers n°78-79, « À quoi œuvre l’art
? Esthétique et espace public », 2002, Paris
13
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de l’art par René Dubos « L'art est le produit d'une magie suggestive intégrant le sujet et l'objet,
et il résulte toujours du rapport étroit entre l'artiste et le monde extérieur 17».
La beauté de l’art n’est-elle pas dans le suggéré plus que dans le perçu ? Il est vrai que la
désupporisation s’inscrit au niveau de certains facteurs dans l’esthétique de l’inachevé car la
participation du spectateur donne vie à l’œuvre et la complète mais toutefois, la désupporisation
fait appel aux sens du spectateur plus qu’à son esprit étant donné que les sens sont de l’ordre de
l’instinct plutôt que de l’esprit.
D’autre part, si l’esthétique de l’inachevé permet au public d’imaginer la genèse de l’œuvre, sa
conception et les données historiques qui ont contribué à sa création, la désupporisation propose
au spectateur une œuvre non pas inachevée mais à moitié achevée car le public ne la découvre
qu’à moitié entamée. Il est juste appelé à prendre le train en marche sans connaitre
véritablement les péripéties ni l’itinéraire que la locomotive a du traverser pour arriver jusqu’à
lui.
Wassili Kandinski a compris le danger que représente le recours excessif à la technologie dans
l’art. Il a dénoncé le matérialisme de ce siècle dans son ouvrage Du spirituel dans l’art, et dans
la peinture en particulier.
Il préconise dans son analyse «Une œuvre favorisant l’aspect extérieur par son harmonie des
formes et des couleurs, et malheureusement, étouffant toute résonance intérieure. Œuvre qu’on
regarde d’un œil froid et indifférent, admirant la « pâte » du peintre comme on admire un
pâté…. La surproduction, la coterie, etc, cet art matérialiste détourne l’art de son véritable but.
Mais « l’art pour l’art » n’est qu’éphémère car il ne renferme aucun potentiel d’avenir. C’est
un « art castré » dit-il! « La chasse au succès rend la recherche toujours plus superficielle. »
car il considère que le matérialisme entraine la perte de l’âme de l’artiste et sa force d’influence
au profit de la technologie.
De plus, il estime qu’en recourant à la technologie, la vision de l’artiste doit être basée sur la
spiritualité car seul l’esprit est susceptible d’élever la foule à un rang supérieur de
compréhension.
17
René Dubos, Les dieux de l'écologie 1980, p 142.
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Il est vrai que la désupporisation favorise l’ouverture du public sur un univers sensoriel et
sensible mais elle ne favorise pas l’évolution des mentalités, de la réflexion ou de la spiritualité
car le processus demeure profondément sensoriel et instinctif.
Figure 1: triangle spirituel de Kandinsky
Le schéma de la théorie du triangle spirituel de Kandinsky révèle que l’évolution n’est pas un
acquis. L’artiste et l’art jouent un rôle majeur dans ce processus d’élévation. Il est vrai
qu’actuellement, nous sommes dans une ère de surproduction artistique rendue possible grâce
à l’évolution des sociétés et de la technologie.
Toutefois, c’est la profondeur de l’œuvre qui conduit au tournant spirituel. Autrement dit et en
se basant sur le triangle, plus la foule pense que l’élévation spirituelle est importante, plus ils
ne chercheront pas à se poser des questions et à réfléchir en profondeur. D’un autre côté, plus
la spiritualité sera présente à un point élevé, plus la foule se posera de véritables questions,
jusqu’à atteindre la pointe du triangle qui représente le point où la foule trouve des réponses qui
leur fait gagner en esprit et en sérénité.
Par contre si les moyens mis à disposition de la foule se trouvent à portée de main comme c’est
le cas pour la technologie mise en application dans le projet de la désappropriation, moins la
foule sera prédisposée à faire des efforts afin de s’élever sur le plan spirituel. Vu la simplicité
de moyens pour tenter l’expérience artistique que propose la désupporisation, le public ne peut
atteindre la liberté artistique véritablement.
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Pour l’écrivain « La liberté artistique ne peut pas être absolue, mais les limites peuvent être
dépassées18 » et « Et quiconque approfondit les trésors intérieurs cachés de son art est à envier,
car il contribue à élever la pyramide spirituelle19. »
Figure 2: pyramide de Kandinsky
Ainsi, l’effet du recours à la technologie est assez superficiel si on le compare à d’autres arts
qui appelle à la création à partir d’un déclic intérieur car plus la création répond à un écho
émanant de son fort intérieur, plus il gagnera en spiritualité et en impact et plus la société sera
amenée à évoluer spirituellement parlant.
L’artiste n’est pas un artiste grâce à sa caméra ou à son appareil photo, encore moins à ses
techniques de montage, car il doit outre passer l’inutile dans sa composition pour atteindre
l’enrichissement intérieur. Pour Kandinsky, lorsqu’on se concentre sur l’essentiel, les
possibilités artistiques s’élargissent.
« L’artiste doit avoir quelque chose à dire, car sa tache ne consiste pas à maîtriser la forme,
mais à adapter cette forme au contenu20 ».
Wassili Kandinski, Du spirituel dans l’art, et dans la peinture en particulier, 1910, éditions folio essais, p 46
Ibid. p 52
20
Ibid. p 67.
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Conclusion
Pour conclure, en nous basant sur les sculptures de Michel-Ange et le roman de Mohammed
Khaïr-Eddine comme repère, les différents artistes peu importe leurs disciplines rencontrent des
problèmes semblables. L’esthétique de l’inachevé a mis en relief la relation entre l’artiste,
l’espace, le temps et la temporalité et offre au public une texture de l’infini, car au-delà des
formes et des mouvements, l’œuvre alimente la réflexion et la pensée à travers son potentiel
contenu dans une phrase inachevée ou une pierre immobile.
Les œuvres inachevées renseignent sur la réserve créatrice de l’artiste, sur ses peurs, ses
angoisses, sa vie, sa vision de l’art. Ainsi, l’inachèvement donne vie à l’œuvre et l’empêche de
s’effondrer au moment où elle est terminée car cette esthétique protège l’œuvre artistique du
dehors et le place dans un dedans infini. Le renoncement volontaire à l’achèvement de la
création nous renseigne sur les origines de la création, la genèse de l’œuvre et les origines de
l’art depuis l’homme de Cro-Magnon jusqu’à nos jours.
La désupporisation, en tant que représentation artistique, s’inscrit dans la continuité des valeurs
défendues par l’esthétique de l’inachèvement et la communication qu’elle suscite avec le
public, mais au lieu de suggérer, la co-création se base sur l’instinctif et le visible plus que sur
les symboles et les non-dits.
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Bibliographie
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