renoncement total sans se soucier du monde et de ses conventions ‘’civilisées’’ pour
demeurer concentrés et identifiés au Soi éternel.
La date réelle de la paternité de l’Avadhuta Gita est inconnue, mais si l’on en juge
d’après sa terminologie et son style, elle semble avoir été écrite, non pas durant le
millénaire qui précède l’ère actuelle, comme le voudrait la légende, mais quelque
part autour du 9ème ou du 10ème siècle de l’ère actuelle, ce qui n’empêche pas, bien
sûr, la possibilité d’une transmission orale jusqu’alors. Son thème est identique à
celui des Upanishads, de la Bhagavad Gita et des écrits de tous les voyants
illuminés : le Soi. Elle évoque non pas l’âme ou Dieu, mais parle plutôt de la
conscience expérientielle où cette relation sujet-objet n’existe plus. C’est un chant sur
la Réalité ultime et irréductible réalisée comme ‘’Je’’.
Quoique son point de vue soit non-confessionnel et iconoclaste, il utilise
fréquemment des termes comme Shiva, Brahman et Purusha pour représenter le Soi
absolu, mais il n’emploie ces termes que pour démontrer leur inadéquation. Son but
est d’anéantir tout sentiment de dualité qui provient du concept d’un Dieu distinct
de son propre Soi, de son propre Etre essentiel. Sa position est similaire en fait à celle
du grand Shankaracharya qui a vécu à peu près à la même période. En réalité, le
Chant de l’Avadhuta est presqu’impossible à distinguer de certains écrits de l’illustre
acharya. Tous les deux chantaient la nécessité de reconnaître Brahman-Shiva-Purusha
comme l’Atman ou le Soi. Tous les deux affirmaient que l’accomplissement spirituel
ultime était l’identification à l’Absolu en ne reconnaissant aucune autre déité que le
Je éternel. La dévotion duelle peut effectivement conduire quelqu’un jusqu’à la
connaissance du Soi, mais à partir de là, il devient nécessaire d’abandonner toutes les
dualités illusoires et de s’établir dans la Conscience aham brahmasmi (Je suis Brahman)
ou shivoham (Je suis Shiva).
Pour sûr, il y a peu d’hommes qui sont capables d’atteindre un tel sommet de la
Conscience et plus rares encore sont ceux qui sont capables d’une endurance durable
dans l’atmosphère raréfiée qui est présente à une telle altitude de la Conscience. C’est
pour cette raison qu’un guide comme l’avadhuta est particulièrement nécessaire et
réconfortant pour nous. Il nous emmène avec assurance au-delà du terrain accidenté
de la pensée jusqu’au royaume isolé de la Conscience qui n’est soumise à aucune
condition. En le suivant vers les hauteurs vertigineuses de la Conscience unitive,
nous bénéficierons du rare privilège de partager, dans une certaine mesure, son état
d’exaltation. En ne lisant que quelques versets du Chant de l’Avadhuta, notre esprit
s’élèvera immédiatement jusqu’à un royaume d’un calme et d’une certitude
incommensurable. Quelques versets encore et nous deviendrons inébranlables,
invincibles, imperturbables, en sécurité dans la conscience retrouvée de notre propre
Soi éternel que nous avions pu oublier. Ainsi, juste en lisant les paroles de ce guide
magistral, nous sommes soulevés jusqu’à la liberté et l’exaltation de sa pure
Conscience et nous pouvons goûter un peu du doux nectar de notre propre Félicité
intrinsèque.