Fondements de l’intervention de l’Etat Biens collectifs Le marché risque d’être défaillant à offrir des biens et services - que l’on sait pourtant techniquement produire à un moment donné - dont l’utilité est avérée - pour le plus grand nombre Il s’agit de biens non rivaux et non excluables, c’est-à-dire « collectifs purs » : les phares, l’éclairage des villes, la connaissance… pour lesquels des initiatives privées risquent d’être dissuadés, du fait du caractère non excluable (ou difficilement excluable) qui empêche une rentabilisation des coûts de production. Sauf à compter sur la « beauté du geste » et l’altruisme (Coase rappelle que des phares ont vu le jour sans initiative d’Etat mais d’initiative collective spontanée), l’Etat doit s’en charger s’il poursuit des objectifs d’intérêt général. La plupart des biens sont toutefois imparfaitement collectifs purs : - que l’on songe à des routes, qui peuvent devenir rivales si elles sont trop empruntées, et excluables si on y installe des péages (très nombreux au Moyen-Age et entravant la libre circulation des personnes et des biens) - à des évolutions technologiques qui permettent à des biens collectifs de devenir excluables (cryptage de réseaux, comme Canal + à l’origine) - à des biens que l’on pensait collectifs purs mais dont la surexploitation amène à penser qu’ils se raréfient, donc deviennent rivaux, donc « en commun » : l’air et l’eau. Armée et sécurité extérieure, police et sécurité intérieure, justice c’est-à-dire des fonctions dites régaliennes – mais aussi santé publique, éducation, recherche (CNRS par exemple)… risquent d’être « non offerts » du fait d’une logique de passager clandestin (chacun attend que d’autres prennent l’initiative de les offrir donc de les financer pour en profiter sans y avoir contribué) alors qu’elles semblent, par nature être utile au bien-être de chacun et élevant le bien-être collectif. Ces ressources - peuvent être rivales selon les circonstances (guerres, comportements incivils, babyboom…) en cas de sous-investissement - et d’être réservées à un petit nombre donc excluables (si seuls des revenus élevés peuvent assumer les dépenses d’éducation et de santé) - alors qu’ils génèrent, comme les biens collectifs purs, des externalités positives dont on sait qu’elles participent à la productivité globale des facteurs, donc à la croissance, donc au revenu global et au bien-être social. L’Etat peut donc choisir de les rendre « publics » et d’investir de manière à ce qu’ils ne soient pas rivaux, en rendant le coût marginal nul en supportant des coûts fixes suffisamment importants pour assurer une capacité d’offre supérieure à la demande potentielle, Monopoles naturels Certains secteurs, potentiellement rivaux et excluables, sont à rendements d’échelle croissants et caractérisés par une fonction de coût sous-additive : ce sont des monopoles dits naturels qui, s’ils sont privés, risquent d’offrir un volume de biens ou services restreints à des prix élevés dans le but de maximiser le profit. L’Etat peut donc : - nationaliser (s’il a émergé de manière privée, comme l’électricité, les chemins de fer) ou créer un monopole public « de toutes pièces » - conserver une entreprise privée se voyant concéder ce monopole en échange d’une régulation de la tarification de ce monopole - tarification qui peut varier si le monopole est multi-produit - en compensant les pertes induites pour cette entreprise par une tarification au coût marginal, voire la gratuité Il s’avère que ces monopoles sont le résultat d’une construction historique et sociale et que leur périmètre d’intervention géographique n’est pas donné par la « nature » mais déterminé par des choix d’aménagement du territoire et de cohésion sociale. Ceci a deux incidences : - la tarification relève le plus souvent (prix du timbre, du kwh…) d’une rupture avec un principe de rationalité pure au profit d’une principe d’équité sociale - le périmètre du monopole lui-même a été défini par l’association du réseau et de son exploitation (voies ferrées et trains qui y circulent, réseau électrique et distribution de l’électricité…). De l’économie publique à la nouvelle économie publique L’Etat n’est cependant pas infaillible. Il fait face : - à des problèmes d’efficacité, donc de légitimité (que ce soit pour l’école, la santé publique, pôle emploi, la sécurité, l’assurance sociale…) qui expliquent l’existence d’une offre privée concurrente et complémentaire dans tous ces domaines - à des problèmes d’information quant aux besoins réels des services publics qui peuvent le conduire à sous-investir ou surinvestir, ce qui est plus probable lorsque les budgets sont aussi pour ceux qui les gèrent le reflet de leur prestige - au risque de capture par des intérêts privés lorsque ceux-ci conditionnent aussi, dans des démocraties, les votes que les élus peuvent chercher à maximiser - à des problèmes de financement, tant du point de vue de la fiscalité, dont l’optimalité n’est pas aisée à établir et dont la perception pas toujours aisée à garantir (évasion fiscale) Privatisations d’entreprises, totales ou partielles, cessions d’activité à des opérateurs privés (autoroutes par exemple), révision du périmètre géographique des monopoles (chemins de fer anglais) ou dissociation du réseau et de son exploitation pour introduire une concurrence du distributeur historique (Orange, SNCF, Engie…), public, semi-public ou privé par de nouveaux offreurs sont ainsi privilégiés dans les pays industrialisés depuis les années 80. Ils soulèvent évidemment : - l’épineuse question de l’arbitrage entre rentabilité et équité sociale (aménagement du territoire) et l’enclavement de territoires « délaissés » par les services publics car insuffisamment utilisés - la question de l’efficacité - - la question des asymétries d’information qui subsistent entre réglementeurs et réglementés, car l’entreprise privée en charge d’un service public délégué peut toujours surestimer ses coûts de production et il faut donc compter sur la concurrence des appels d’offres des marchés publics pour sélectionner les offreurs assurant la meilleure combinaison qualité (dont la sécurité)-prix, avec cependant le risque d’antisélection et qu’une fois accordé, le monopole concédé peut ne pas respecter son cahier des charges (opportunisme et aléa moral) Principes de révélation de l’information et mécanismes d’incitation sont donc au cœur des avancées de la science économique sur ces sujets. Concernant les externalités, l’Etat doit veiller - à maximiser les positives, notamment en acceptant de réduire la diffusion de connaissance en introduisant des droits de propriété intellectuelle afin d’inciter à la production de connaissance (brevets dont on peut céder des licences) - à minimiser les négatives en introduisant normes, fiscalité ou droits de propriété (cf. politiques environnementales) La complémentarité entre l’Etat et des principes de marché apparaît ainsi non seulement souhaitée pour une économie du bien commun et souhaitable, comme le révèle le cas de l’environnement.