SOPHIE SOCCARD
RSÉAA XVII-XVIII 65 (2008)
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quelque deux années plus tard, qu’un primat de l’Église anglicane
l’accusait à son tour d’athéisme.2Quelle corrélation établir entre deux
pôles opposant, d’une part, a condamnation par Locke de l’athéisme
et, d’autre part,le reproche qui lui est fait d’entretenir l’état d’esprit
que par ailleurs il dénonce ? Une tension de cet ordre suggère que sa
position est certainement beaucoup moins transparente que ne le
laisse supposer sa célèbre exclusion de « ceux qui nient l’existence
d’une puissance divine» et qui « ne doivent être tolérés en aucune
façon », dans la Lettre sur la Tolérance de 1689.3Cependant, en dépit
de la prégnance de cette question à son époque en général et dans sa
théorie en particulier, Locke a peu écrit sur l’athéisme.On ne trouve
trace de ses positions que dans un seul paragraphe de l’Essai sur la
tolérance (qui, d’ailleurs, fut supprimé dans la version définitive),
dans une note rédigée en 1676, dans un passage des Constitutions de
la Caroline, dans la Lettre sur la tolérance, où sept lignes seulement
y sont consacrées, ou encore dans Le Christianisme raisonnable.
Dans le système lockien, la question de l’exclusion des athées se
situe à la croisée des chemins entre l’éthique, le religieux et le
politique et révèle la domination du postulat théologique de l’Angleterre
à la fin du XVIIe siècle. Pour rendre compte très succinctement de la
polarisation de l’idée que l’on se faisait alors de Dieu,il faut rappeler
que le concept divin incarnait, pour certains, les vérités humaines les
plus profondes, tandis que, pour d’autres, l’idée de Dieu était associéeà
une sorte de fiction répressive, qui inhibait toute tentative d’expression
publique. Si l’athéisme était problématique, comme le montre ce schéma
sociétal, c’est parce qu’il était lié à une atmosphère de controverse et
que sa définition était d’autant plus confuse qu’elle rendait compte
des télescopages de points de vue divergents, sinon contradictoires.
Àqui pense Locke lorsqu’il placeles athées hors du sanctuaire de
la tolérance ? Comment définir « ceux […] qui ne doivent être tolérés
deductions and consequences, which he himself does not own, or, at least, do not
manifestly and unavoidably flow from what he asserts » (A Vindication of the
Reasonableness of Christianity 161).
2. « Dr Sherlock has been pleased to declare against my doctrine of no innate
ideas, from the pulpit in the Temple, and, as I have been told, charged it with no less
than atheism » (Locke to W. Molyneux, Oates, 22 Feb. 1697, Selected Correspondence
237). Sherlock avait critiqué l’Essai sur l’entendementdans A Discourse Concerning
the Happiness of Good Men (1704).
3. « Qui numen esse negant, nullo modo tolerandi sunt » (Lettre sur la tolérance
82-83).