Introduction à la littérature francophone

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Introduction à la littérature francophone
I- La francophonie : enjeux et délimitations
A première vue, si on ne considère que le seul critère de la langue française, le terme
« francophonie » semble symboliser l’unité.
En se penchant davantage sur le terme, l’on se rendra compte qu’il est plutôt le signe d’une
diversité aussi bien linguistique que culturelle.
Ce propos sur le Même et le Divers nous renvoie aux thèses d’Edouard Glissant (21 septembre
1928- 3 février 2011), auteur martiniquais
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, écrivain, poète, essayiste, fondateur de concepts
d’« antillanité » et de « créolisation ». Glissant soutient que le Même représente l’univers
fondamental imposé par l’Occident alors que le Divers est un acquis, arraché de droit par les
peuples colonisés. Un autre nom, Calixthe Beyala (née en 1961 à Douala), romancière d’origine
camerounaise, soutient la même chose, à sa façon, dans son roman Les Honneurs perdus (Paris
Albin Michel, 1986) :
« Le Français est francophone, mais la francophonie n’est pas française ».
Pour approfondir notre vision des choses en ce qui concerne la littérature francophone, il sied de se
demander initialement ce que la francophonie veut dire, ce qu’est un écrivain francophone, et surtout
en quoi consiste la légitimité du francophone, pou en arriver finalement à envisager ce qu’il en est de
la littérature maghrébine et ensuite de la mouvance de la littérature algérienne.
A- Qu’est-ce que la francophonie ?
C’est à Onésime Reclus (1837-1916), un géographe français, qu’on doit ce terme de francophonie.
En effet, c’est dans son ouvrage
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que le terme a été, semble-t-il, employé pour la première fois.
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Edouard Glissant, Le Discours antillais, Paris, Le Seuil, 1981.
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Onésime Reclus, France, Algérie et colonies, Paris, Hachette, 1886.
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Onésime croyait à l’excellence de la France et de la langue française et définit les francophones
comme « tous ceux qui sont ou semblent être destinés à rester ou à devenir participants de notre
langue. »
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A l’époque, le terme recouvrait la zone d’influence française en Afrique, à la suite du
partage colonial entre les grandes puissances, scellé par le Traité de Berlin en 1878.
Ce mot connaîtra une sorte de déclin pour plusieurs dizaines d’années avant de ressurgir en 1962,
avec la publication d’un numéro spécial de la revue Esprit.
Cette fois, rassemblant d’anciennes colonies de l’Empire français, d’Afrique occidentale, du
Maghreb, d’Indochine, des Antilles… appartenant à un espace culturel et économique délimité par
la langue française, la francophonie se présente, d’abord, à l’instar du Commonwealth britannique,
sous des allures politiques, avant de désigner un champ linguistique et littéraire.
Cette charge politique très forte reconnue au terme francophonie a poussé certains auteurs à lui
substituer les appellations « d’expression française » ou de « langue française ».
Mais, finalement, après la disparition des tutelles françaises et vu que même ces dénominations ne
sont pas exemptes de ces connotations politiques, le terme francophonie survit, résiste et souligne
cette double appartenance que la francophonie est, d’abord, un rassemblement autour de l’élément
linguistique, à savoir la langue française, et c’est aussi un terme porteur de la diversité de ses
constituants.
A ce propos, on peut citer Jean-Louis Joubert (né le 29 avril 1938), professeur à l’Université de
Paris XIII, qui a publié des études et des anthologies consacrées aux littératures francophones :
« La langue française n’est donc plus la propriété exclusive du peuple français : les
Français sont même minoritaires parmi les utilisateurs du français.
Cependant, la dispersion francophone vient conforter l’ambition de ceux qui veulent
maintenir la langue française à son rang de langue internationale : on insiste alors sur
l’unité du français. A l’inverse, le désir d’autonomie et d’affirmation culturelle de chaque
groupe francophone tend à faire émerger les particularismes : on découvre alors la diversité
du français. »
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Elena Prus, Pierre Morel, La Francopolyphonie : langues et identités, ULIM, 2007, p.95.
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Joubert ,Encyclopaedia Universalis
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De façon minimale, réductrice aussi, on peut dire que la francophonie est le fait de parler français
alors que la littérature francophone est le fait de choisir la langue française pour écrire.
Géographiquement et administrativement parlant, le territoire de la francophonie est énorme et
considérable. Culturellement aussi, un nombre considérable d’écrivains « hors hexagone » occupe la
scène littéraire française. Beaucoup parmi eux se sont vu d décerner des prix de littérature. On peut
citer ici comme exemples : Taher Benjelloun, Patrick Chamoiseau, Ahamadou Kourouma, Amine
Maalouf.
En voyant de plus près l’itinéraire ou le parcours des littératures francophones, l’on peut constater
que ces littératures sont l’expression artistique d’une réalité sociale et historique donnée et remettent
en question le concept d’identité, voire de littérature nationale.
B- Qu’est-ce qu’un écrivain francophone ?
De nombreux critiques soutiennent que l’appartenance d’un écrivain dépend moins de son origine
que de « la circulation littéraire » de son œuvre.
Ainsi un texte est dit maghrébin s’il renvoie à la fois , dans son écriture et dans sa lecture, à la
culture maghrébine.
Dans la réalité, la distinction est très subtile. En effet, certains textes participent de l’un ou de
l’autre : français si on se place du point de vue français, francophone si on se place du point de vue
décentré.
D’autres textes passent, avec le temps, d’une appartenance à une autre.
Parler de l’appartenance d’un auteur et de son texte revient à centrer la flexion sur l’identité
francophone et son rapport avec le texte littéraire. Etre francophone n’est pas forcément toujours
l’identité dominante de l’écrivain dit francophone, tant il faut prendre en compte des éléments
déterminants dont : la religion, l’ethnie, l’âge, la couleur de la peau qui peuvent bien l’emporter sur
l’identité francophone.
Deux citations peuvent nous éclairer à ce sujet.
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La première est celle de Jean Michel Grassin : « être wallon, c’est être aussi francophone, être
rwandais, c’est être aussi ou d’abord tutsi ou hutu et, accessoirement, francophones. »
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La seconde est empruntée à Amine Maalouf : « l’identité de chaque personne est constituée d’une
foule d’éléments qui ne se limitent évidemment pas à ceux qui figurent sur les registres officiels. Il y
a, bien sûr, pour la grande majorité des gens, l’appartenance à une tradition religieuse ; à une
famille plus ou moins élargie ; à une profession ; à une institution, à un certain milieu social. »
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L’identité francophone revêt un caractère paradoxal : si le contexte de la colonisation lui
donne, généralement, naissance, elle n’émergera davantage et ne sera mise en évidence qu’à
partir de la tentative de déconstruction d’une littérature et d’une langue dominantes. C’est
pour cela qu’elle est marquée par l’hétérogène.
Dans leurs œuvres, les écrivains francophones participent à la modification de certaines conceptions
relatives, entre autres, au système de valeurs, aux rapports avec la langue, à la définition de la
littérature française, à la fonction de la littérature…
Le français n’étant pas forcément la langue maternelle de ces écrivains, il s’ensuit que leur écriture
traduit certaines tensions, certains tiraillements et certaines préoccupations qui sont ceux des
autres langues utilisées par les communautés francophones.
L’exemple de l’écrivain Azouz Begag, de parents algériens, illustre ce propos.
En effet, dans son roman Le Gone du Chaâba, cet écrivain mêle, dans son roman , le parler de Sétif
en Algérie et celui de Lyon en France. Il insère à la fin de son roman un petit dictionnaire explicatif
de ce qu’il appelle la phraséologie bouzidienne.
Le caractère polyphonique des textes francophones fait que ceux-ci résistent à une appropriation
univoque de la part des récepteurs. Leur charge culturelle variée, ce trait conflictuel qui les marque
leur confèrent une portée sémantique très féconde au point que le lecteur français aurait du mal à s’y
retrouver et à saisir tout le contenu culturel implicite qu’ils renferment. En témoigne La Nuit sacrée,
roman de Taher Benjelloun.
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Jean-Michel Grassin, « L’émergence des identités francophones : le problème théorique et
méthodologique », in Francophonie et identités culturelles, Paris, Karthala, 1999.
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Amine Maalouf, Les Identités meurtrières, Grasset, 1998.
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Même si les textes sont écrits en français, les auteurs y traitent des thématiques autres, différentes
de celles de la littérature centrale, surtout celles relatives à l’espace et à l’identité.
En ce qui concerne plus particulièrement l’identité comme notion, il serait malaisé d’en fonder le
discours sur la langue, dans la mesure où les choses connaissent une certaine évolution : dans les
années 50, les écrivains s’efforçaient de respecter le français académique, alors qu’à partir des
années 80, le rapport à la langue française est vécu sur un autre mode : celui de la subversion, en
quelque sorte, du jeu avec les structures du français pour en tirer des mots ou des constructions
difficiles qui rebuteraient même les grammairiens.
Albert Memmi , concrétisant l’ancienne vision des choses, dit à ce propos : « Obscurément, je
sentais que je prénétrais l’âme de la civilisation en maîtrisant la langue (…) En mon cœur, je
pleurai de joie. Moi, fils d’un juif d’origine italienne et d’une berbère, je découvrais spontanément
ce qu’il y avait de plus racinien en Racine »
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L’identité francophone renvoie à une diversité d’éléments et l’espace littéraire francophone a donné
naissance à des écrivains d’une autre ossature par rapport au centre et donc à d’autres littératures ;
ces littératures sont dénommées parfois littératures émergentes ou mineures et suivent le modèle
développé par la pensée postmoderne, articulé autour de la création et de la déconstruction.
C- La légitimité des littératures francophones
S’il s’est avéré qu’il y a cette tension entre un centre, la métropole, et des littératures en langue
française, provenant d’espaces très divers, c’est bel et bien cette partition spatiale de la littérature
qu’il faut tout d’abord interroger.
Dans ce sens, un second problème apparaît, qui relève toujours de l’usage universitaire : cet
ensemble (faute de meilleur terme, espace ou aire étant problématiques, comme l’a montré M
Beniamino
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est le seul, dans les études littéraires françaises, qui soit défini par rapport à une langue
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Albert Memmi, La Statue de sel, Paris, Gallimard 1966, pp.123-128.
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Beniamino Michel (2003) « La francophonie littéraire », in Lieven D’Hulst et Jean-Marc Moura (éd.) Les études
littéraires francophones : état des lieux, actes du colloque de mai 2002, , 2003, Lille, éditions du Conseil Scientifique de
l’Université Charles-de-Gaulle.
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