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24. LETTRE XXIV.
Rica à Ibben, à Smyrne
Nous sommes à Paris depuis un mois, et nous avons toujours été dans un mouvement continuel.
Il faut bien des affaires avant qu’on soit logé, qu’on ait trouvé les gens à qui on est adressé, et qu’on se
soit pourvu des choses nécessaires, qui manquent toutes à la fois.
Paris est aussi grand qu’Ispahan : les maisons y sont si hautes, qu’on jugerait qu’elles ne sont
habitées que par des astrologues. Tu juges bien qu’une ville bâtie en l’air, qui a six ou sept maisons les
unes sur les autres, est extrêmement peuplée, et que, quand tout le monde est descendu dans la rue, il
s’y fait un bel embarras.
Tu ne le croirais pas peut-être : depuis un mois que je suis ici, je n'y ai encore vu marcher
personne. Il n’y a pas de gens au monde qui tirent mieux parti de leur machine1 que les Français : ils
courent, ils volent. Les voitures lentes d’Asie, le pas réglé de nos chameaux, les feraient tomber en
syncope. Pour moi, qui ne suis point fait à ce train, et qui vais souvent à pied sans changer d’allure,
j’enrage quelquefois comme un chrétien : car encore passe qu’on m’éclabousse depuis les pieds jusqu’à
la tête ; mais je ne puis pardonner les coups de coude que je reçois régulièrement et périodiquement.
Un homme qui vient après moi et qui me passe me fait faire un demi-tour, et un autre qui me croise de
l’autre côté me remet soudain le premier m’avait pris ; et je n’ai pas fait cent pas, que je suis plus
brisé que si j’avais fait dix lieues.
Ne crois pas que je puisse, quant à présent, te parler à fond des mœurs et des coutumes
européennes : je n’en ai moi-même qu’une légère idée, et je n’ai eu à peine que le temps de m’étonner.
Le roi de France est le plus puissant prince de l’Europe. Il n’a point de mines d’or comme le roi
d’Espagne son voisin ; mais il a plus de richesses que lui, parce qu’il les tire de la vanité de ses sujets,
plus inépuisable que les mines. On lui a vu entreprendre ou soutenir de grandes guerres, n’ayant
d’autres fonds que des titres d’honneur à vendre2 ; et, par un prodige de l’orgueil humain, ses troupes
se trouvaient payées, ses places munies3, et ses flottes équipées.
D’ailleurs ce roi est un grand magicien : il exerce son empire sur l’esprit même de ses sujets ; il
les fait penser comme il veut. S’il n’a qu’un million d’écus dans son trésor et qu’il en ait besoin de deux,
il n’a qu’à leur persuader qu’un écu en vaut deux, et ils le croient. S’il a une guerre difficile à soutenir, et
qu’il n’ait point d’argent, il n’a qu’à leur mettre dans la tête qu’un morceau de papier est de l’argent, et
ils en sont aussitôt convaincus. Il va même jusqu’à leur faire croire qu’il les guérit de toutes sortes de
maux en les touchant4, tant est grande la force et la puissance qu’il a sur les esprits.
Ce que je dis de ce prince ne doit pas t’étonner : il y a un autre magicien plus fort que lui, qui n’est
pas moins maître de son esprit qu’il l’est lui-même de celui des autres. Ce magicien s’appelle le pape :
tantôt il lui fait croire que trois ne sont qu’un ; que le pain qu’on mange n’est pas du pain, ou que le vin
qu’on boit n’est pas du vin, et mille autres choses de cette espèce5.
Et, pour le tenir toujours en haleine et ne point lui laisser perdre l’habitude de croire, il lui donne
de temps en temps, pour l’exercer, de certains articles de croyance. Il y a deux ans qu’il lui envoya un
grand écrit qu’il appela Constitution6, et voulut obliger, sous de grandes peines, ce prince et ses sujets
de croire tout ce qui y était contenu. Il réussit à l’égard du prince, qui se soumit aussitôt, et donna
l’exemple à ses sujets. Mais quelques-uns d’entre eux se révoltèrent, et dirent qu’ils ne voulaient rien
croire de tout ce qui était dans cet écrit. Ce sont les femmes qui ont été les motrices de toute cette
révolte qui divise toute la cour, tout le royaume et toutes les familles. Cette Constitution leur défend de
lire un livre que tous les chrétiens disent avoir été apporté du ciel7 : c’est proprement leur Alcoran. Les
femmes, indignées de l’outrage fait à leur sexe, soulèvent tout contre la Constitution : elles ont mis les
hommes de leur parti, qui, dans cette occasion, ne veulent point avoir de privilège. On doit pourtant
avouer que ce moufti ne raisonne pas mal, et, par le grand Hali, il faut qu’il ait été instruit des principes
1
Du mécanisme de leur corps.
2
Allusion à la vénalité des offices royaux et des titres de noblesse.
3
Fortifiées.
4
Allusion au pouvoir divin prêté au roi de France de guérir les écrouelles (scrofule, maladie lymphatique des glandes du cou).
5
Il faut qu'un Turc voie, parle et pense en Turc : c'est à quoi des gens ne font point attention en lisant les Lettres Persanes. (Mont., Lettre à l'abbé de Guasco, du
4 octobre 1752.)
6
La bulle Unigenitus, condamnation par le pape Clément XI du jansénisme, ou plus exactement de cent une proposition du père Quesnel, publiée le 8
septembre 1713 ; notre lettre la recule à 1710.
7
Dans son article 83, la bulle interdisait la lecture de la Bible aux femmes.
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de notre sainte loi. Car, puisque les femmes sont d’une création inférieure à la nôtre, et que nos
prophètes nous disent qu’elles n’entreront point dans le Paradis, pourquoi faut-il qu’elles se mêlent de
lire un livre qui n’est fait que pour apprendre le chemin du Paradis ?
J’ai ouï raconter du roi des choses qui tiennent du prodige, et je ne doute pas que tu ne balances
à les croire.
On dit que, pendant qu’il faisait la guerre à ses voisins, qui s’étaient tous ligués contre lui, il avait
dans son royaume un nombre innombrable d’ennemis invisibles8 qui l’entouraient. On ajoute qu’il les
a cherchés pendant plus de trente ans, et que, malgré les soins infatigables de certains dervis9 qui ont
sa confiance, il n’en a pu trouver un seul. Ils vivent avec lui : ils sont à sa cour, dans sa capitale, dans ses
troupes, dans ses tribunaux ; et cependant on dit qu’il aura le chagrin de mourir sans les avoir trouvés.
On dirait qu’ils existent en général, et qu’ils ne sont plus rien en particulier : c’est un corps, mais point
de membres. Sans doute que le ciel veut punir ce prince de n’avoir pas été assez modéré envers les
ennemis qu’il a vaincus, puisqu’il lui en donne d’invisibles, et dont le génie et le destin sont au-dessus
du sien.
Je continuerai à t’écrire, et je t’apprendrai des choses bien éloignées du caractère et du génie
persan. C’est bien la même terre qui nous porte tous deux ; mais les hommes du pays je vis, et ceux
du pays où tu es, sont des hommes bien différents.
De Paris, le 4 de la lune de Rebiab 2, 1712
Rica : auteur de la lettre
Ibben : destinataire de la lettre
férences à l’Orient (regard étranger)
Le roi de France, Louis XIV
Le pape Clément XI
Les Parisiens, les Français, les sujets du roi
Les femmes
Les jansénistes
La lettre 24 est donnée dans son intégralité pour une question de compréhension d’ensemble. Pour l’explication linéaire au
format de l’EAF, on pourra étudier séparément ou associées les quatre parties séparées exceptionnellement par une
interligne : Paris (l. 1 à 19), le roi (l. 20 à 30), le pape (l. 31 à 48), les « ennemis invisibles » du roi (l. 49 à 62).
1. Hyacinthe Rigaud, Portrait de Louis XIV (1643-1715) en costume de sacre, 1701. 2. Nicolas Guérard le fils (XVIIIe siècle) gravure, papier, H. 43,3 cm x L. 53,7 cm
Paris, musée Carnavalet, inv. G 31882. Cette estampe de Nicolas Guérard le fils, éditeur et graveur, montre l'effervescence du cœur de Paris.© Centre historique
des Archives nationales et la Réunion des musées nationaux. 3. Clément XI (1700-1721) (auteur inconnu).
EXPLICATION LINEAIRE
Usbek et Rica, deux Persans ont quitté la Perse en 1711 et arrivent à Paris en juin 1712. Rica écrit à Ibben à Smyrne pour lui
relater sa découverte de Paris, des Français, du roi Louis XIV, du pape Clément XI et des débats théologiques concernant
notamment les Jansénistes. 4 grandes parties dans la lettre :
1. La taille de Paris et la brutalité des Parisiens (l. 1 à 19)
2. Le roi de France et la crédulité de ses sujets (l.20 à 30)
3. Le pape, la croyance et les femmes (l.31 à 48)
4. Le roi et ses « ennemis invisibles » (l.49 à 63)
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Les jansénistes.
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Dervis, dans l’ensemble du texte, désigne les moines. Ici, les jésuites.
I. PARIS ET LES PARISIENS
1er § : Agitation et difficultés de la vie parisienne
- Rica est à Paris depuis un mois, suffisamment pour tirer un premier bilan de son expérience parisienne.
- Paris est comparée par Rica à Ispahan. Pour lui l’activité de la ville est marquée par une grande agitation : « mouvement
continuel »
- Le logement y est compliqué : pénurie de logements et difficultés administratives (trouver le bon interlocuteur,
nombreuses formalités).
2e § : Taille de Paris et embarras des rues
- Selon les voyageurs occidentaux au XVIIe siècle, Ispahan était la ville la plus grande de Perse : population des deux
villes estimée à environ 500 000 habitants.
- Taille des maisons parisiennes : métaphores : « si hautes quon jugerait qu’elles ne sont habitées que par des
astrologues », « ville bâtie en l’air qui a six ou sept maisons les unes sur les autres » : une ville en hauteur (le Paris du
Moyen-Âge).
- Cette population et la disposition des maisons créent beaucoup dencombrements dans les rues : « quand tout le monde
est descendu dans la rue, il sy fait un bel embarras ».
3e § : Précipitation et bousculades
- A Paris, les gens sont pressés. Ils ne marchent pas : « ils courent, ils volent » (gradation, hyperbole).
- A Ispahan : « voitures lentes, pas réglé de nos chameaux » : un rythme beaucoup plus lent qui ferait « tomber en
syncope » les Parisiens.
- Cette comparaison générale entre le mode de vie des Français et celui des Persans concerne aussi Rica. En tant que
Persan, il est habità un rythme lent : « Pour moi, qui ne suis point fait à ce train, et qui vais souvent à pied sans
changer d’allure ». Cette agitation influe sur son humeur : il devient de mauvaise humeur comme les Parisiens :
« j’enrage comme un chrétien ».
- Exemples de la grossièreté, de la brutalité, de limpolitesse des Parisiens : il se fait éclabousser depuis les pieds jusqu’à la
tête (boue dans les rues), bousculades : il reçoit sans arrêt des coups de coudes ; scène burlesque de rue : un premier
homme lui fait changer de direction et un autre le remet dans sa direction initiale.
- Conséquence : « je nai pas fait cent pas, que je suis plus brisé que si j’avais fait dix lieues ».
- Le tableau de la vie parisienne n’est guère flatteur : ville peuplée et agitée et des Parisiens très désagréables. Limage de
la ville a-t-elle vraiment changée ?
4e § : Surprise et perplexité devant les mœurs euroennes (transition)
- Mais l’expérience de Rica est trop courte pour pouvoir en tirer des conclusions sur les « mœurs et coutumes
européennes ». Sa première réaction en tant qu’étranger est néanmoins la surprise : « je nai eu à peine que le temps de
m’étonner ».
II. LE ROI DE FRANCE ET SES SUJETS
1er § : Un roi puissant et riche grâce à ses sujets.
- Dans la deuxième partie du texte, Rica parle de Louis XIV sans jamais le nommer directement : « le roi de France », « ce
prince ». Le « Roi Soleil » est à cette époque « le plus puissant prince de lEurope ».
- Sa puissance n’est pas liée à la richesse de son voisin espagnol, puissance coloniale majeure en Amérique latine depuis le
XVIe siècle mais à la richesse quil tire de la « vanité de ses sujets plus inépuisable que les mines ». Autant que le
bellicisme de Louis XIV et la monarchie absolue, c’est la soumission et la crédulité des sujets du roi de France que Rica
dénonce ainsi.
- Pour financer ses guerres, le roi vend des offices royaux et des titres de noblesse. Le peuple lui aussi est accablé
d’impôts. « Par un prodige de l’orgueil humain, ses troupes se trouvaient payées, ses places munies, et ses flottes
équipées. » rythme ternaire, gradation. Lambition militaire du roi (voir COMPLEMENT 1) se fait au détriment de la
population. Seul un observateur étranger naïf et lucide peut se permettre une telle critique du roi.
2e § : Emprise du roi sur ses sujets
- Le roi est présenté comme un grand manipulateur qui exerce une grande influence sur ses sujets : « ce roi est un grand
magicien : il exerce son empire sur l’esprit même de ses sujets ; il les fait penser comme il veut. » Magicien,
prestidigitateur, illusionniste, quil appartienne au domaine du spectacle ou de l’ésotérisme, le terme est assez péjoratif
pour le souverain cenest « de droit divin ». Il semble gouverner ses sujets par le mensonge et la tromperie notamment
sur le plan financier. Construction symétrique des deux phrases
« S’il n’a qu’un million d’écus dans son trésor
et qu’il en ait besoin de deux,
il n’a qu’à leur persuader qu’un écu en vaut deux,
et ils le croient.
S’il a une guerre difficile à soutenir,
et qu’il n’ait point d’argent,
il n’a qu’à leur mettre dans la tête qu’un morceau de papier est de l’argent,
et ils en sont aussitôt convaincus. »
La logique systématique paraît simple : une situation initiale problématique, un moyen pour y parvenir base de stricte
argumentation) et un effet immédiat sur le public : convaincus, ils le croient. Le problème est toujours lié à un déficit
financier ou à une volonté de faire la guerre. La critique porte autant sur la manipulation royale que sur la crédulides
sujets.
- Rica évoque même le pouvoir divin prêté au roi de guérir les écrouelles (voir notes ci-après) : « Il va même jusqu’à leur
faire croire qu’il les guérit de toutes sortes de maux en les touchant, tant est grande la force et la puissance quil a sur
les esprits. » Une telle croyance irrationnelle ne peut que choquer le philosophe des Lumières quest Montesquieu.
III. LE PAPE, LA FOI ET LES FEMMES
1er § : Le pape, un grand magicien.
- Parallèle entre le roi : « un grand magicien » et le pape : « il y a un autre magicien plus fort que lui » « Ce magicien
sappelle le pape » ; le roi « exerce son empire sur l’esprit même de ses sujets ; il les fait penser comme il veut », le pape
« n’est pas moins maître de son esprit quil lest lui-même de celui des autres ». Tous les deux procèdent à des tours de
passe-passe. Le roi transforme des « titres dhonneur » en troupes, du papier en argent et guérit les maux par simple
toucher.
- Pour le pape, Montesquieu évoque le mystère de la Trinité (voir COMPLEMENT 6) et l’Eucharistie (voir
COMPLEMENT 7). Tandis que sa mère très pieuse l'a élevé dans le respect du christianisme, ses études classiques et
romaines ont préparé Montesquieu à l'indifférence et à l'incrédulité. En matière religieuse, il peut être considéré comme
un déiste et un libre-penseur allant parfois jusqu'à l'irrévérence et à l'hostilité envers la foi chrétienne. Les croyances
chrétiennes étonnent beaucoup le Persan qu’est Rica même s’il concède n’avoir pas tout assimilé : « et mille autres
choses de cette espèce ».
2e § : La bulle papale contre les Jansénistes (l.35 à 40)
- D’après Montesquieu, le pape, comme le roi, tient à maintenir le peuple (et le roi) en situation de croyance, cest-à-dire
de dépendance : « et pour le tenir toujours en haleine et ne point lui laisser perdre lhabitude de croire, il lui donne de
temps en temps, pour lexercer, de certains articles de croyance. » « voulut obliger, sous de grandes peines, ce prince
et ses sujets de croire tout ce qui y était contenu ». La croyance pour les philosophes des lumières s’oppose au savoir, à
la science.
- L’exemple donné est celui de la bulle Unigenitus (voir COMPLEMENT 4 et 5) par laquelle le pape Clément XI
condamnait le jansénisme (voir note) et plus exactement les 101 propositions du père Quesnel le 8 septembre 1713
(Montesquieu déplace l’événement en 1710). Cette bulle papale a eu de leffet sur le roi et sur de nombreux sujets : « Il
réussit à l’égard du prince, qui se soumit aussitôt, et donna l’exemple à ses sujets ». Ainsi, si le roi exerce son emprise
sur ses sujets, le pape a une emprise encore plus grande sur le roi.
- Parmi les « sujets », certains cependant résistent aux injonctions du pape : « Mais quelques-uns dentre eux se
révoltèrent, et dirent qu’ils ne voulaient rien croire de tout ce qui était dans cet écrit. » (Voir COMPLEMENT 4). Cette
bulle a pour effet de coaliser les oppositions gallicane, richériste et janséniste contre le pape.
2e § : La révolte des femmes (l. 40 à 48)
- Depuis la réforme engagée par Mère Angélique (voir COMPLEMENT 10 : La querelle des femmes au ur du
Jansénisme) jusqu’à la destruction de labbaye de Port-Royal en 1709, les religieuses de cette abbaye ont joué un le
important dans la diffusion du jansénisme et dans lopposition aux pouvoirs royal et papal. Rica commence par
reconnaître cette importance des femmes dans ce combat : « Ce sont les femmes qui ont été les motrices de toute cette
révolte qui divise toute la cour, tout le royaume et toutes les familles. » On lira dans l’article cité combien cette querelle
religieuse divise le pays et notamment la noblesse de robe et la noblesse d’épée ». Rica ajoute en faisant un parallèle
entre la Bible et le Coran : « Cette Constitution leur défend de lire un livre que tous les chrétiens disent avoir é apporté
du ciel : c’est proprement leur Alcoran. » On retrouve là le thème du regard étranger qui permet le principe de
comparaison entre deux cultures.
- Mais les choses se gâtent dans la suite du commentaire : « Les femmes, indignées de l’outrage fait à leur sexe, soulèvent
tout contre la Constitution : elles ont mis les hommes de leur parti, qui, dans cette occasion, ne veulent point avoir de
privilège. On doit pourtant avouer que ce moufti ne raisonne pas mal, et, par le grand Hali, il faut qu’il ait été instruit
des principes de notre sainte loi. Car, puisque les femmes sont d’une création inférieure à la nôtre, et que nos prophètes
nous disent quelles n’entreront point dans le Paradis, pourquoi faut-il qu’elles se mêlent de lire un livre qui n’est fait
que pour apprendre le chemin du Paradis ? » Car si Rica s’étonne et parfois s’indigne des Français, des pouvoirs du roi
et du pape, il est un point sur lequel il se range à leurs côtés : cest dans la misogynie, la phallocratie, le machisme et le
sexisme. L’idée que les femmes puissent lire un livre saint, qu’elles se révoltent contre les hommes est tout aussi
intolérable au Persan musulman qu’au Français chrétien. Rica approuve ici le pape au point de lui conférer le titre de
« moufti ».
IV. LE ROI ET LES « ENNEMIS INVISIBLES »
1er § : Reprise du débat sur les relations du roi avec les Jansénistes
- « J’ai ouï raconter du roi des choses qui tiennent du prodige, et je ne doute pas que tu ne balances à les croire. » Après
la présentation du pape, de la bulle Unigenitus et la longue digression sur les femmes, Rica va revenir à son sujet : le roi
et les Jansénistes. Cette phrase reprend le verbe « croire » que l’on a déjà commenté et le mot « prodige » à rapprocher de
« magicien » (champ lexical de la magie). Rica se fait de nouveau le témoin un peu plus neutre des débats français.
2e § : La chasse aux « ennemis invisibles »
- Ce paragraphe met en parallèle les ennemis extérieurs de Louis XIV, bien visibles (voir COMPLEMENT, Louis XIV un
roi qui aimait trop la guerre) et ces soi-disant « ennemis invisibles » intérieurs que sont les Jansénistes. Veuf depuis 1683,
Louis XIV s’est remarié secrètement avec sa maîtresse la marquise de Maintenon. Sous son influence et celle de ses
confesseurs jésuites (le père La Chaise et le père Tellier), il mène une vie plus pieuse. Il reprend la lutte contre les
jansénistes. Rica fait référence à cette période de trente ans de lutte contre les Jansénistes. Les « dervis » chargés de lutter
contre les jansénistes sont ici les jésuites. Le Persan insiste sur un paradoxe : « On ajoute qu’il les a cherchés pendant
plus de trente ans, et que, malgré les soins infatigables de certains dervis qui ont sa confiance, il n’en a pu trouver un
seul. Ils vivent avec lui : ils sont à sa cour, dans sa capitale, dans ses troupes, dans ses tribunaux ; et cependant on dit
qu’il aura le chagrin de mourir sans les avoir trouvés. On dirait qu’ils existent en général, et qu’ils ne sont plus rien en
particulier : c’est un corps, mais point de membres. » Ils sont partout, mais on ne les trouve nulle part, c’est une idée et
non une puissance physique. On rappellera la présence chez les Jansénistes desprits comme Blaise Pascal et Jean
Racine. La conclusion que suggère Rica : le roi est puni davoir trop voulu faire la guerre : « Sans doute que le ciel veut
punir ce prince de n’avoir pas été assez modéré envers les ennemis quil a vaincus, puisqu’il lui en donne d’invisibles, et
dont le génie et le destin sont au-dessus du sien. »
3e § : Formule conclusive de la lettre.
- « Je continuerai à t’écrire, et je t’apprendrai des choses bien éloignées du caractère et du génie persan. C’est bien la
même terre qui nous porte tous deux ; mais les hommes du pays où je vis, et ceux du pays où tu es, sont des hommes bien
différents. » Rica se veut pédagogue avec son interlocuteur en promettant de continuer à comparer les deux peuples, les
deux cultures qui vivent pourtant sur « la même terre ».
Conclusion : La Lettre XIV est une des plus connues des Lettres Persanes. Adoptant la forme épistolaire, Montesquieu donne la
« plume » à différents interlocuteurs. Parmi eux, Usbek et Rica qui découvre l’Europe et Paris en particulier. La lettre de Rica,
écrite en 1712, un mois après son arrivée aborde tour à tour les embarras de Paris et le mauvais caractère des Parisiens, lemprise
de Louis XIV sur ses sujets, son goût pour la guerre et son obsession des jansénistes qu’il pourchassa pendant tut son règne, les
pouvoirs du pape. Avec la liberté présumée d’un regard étranger et naïf, Rica s’autorise des libertés sur la France et sur ces
personnages que les auteurs français noseraient pas attaquer. La couleur orientale participe évidemment à lexotisme du roman
mais sert aussi de protection. On sait bien que derrière Usbek et Rica, cest Montesquieu qui assène ses critiques.
COMPLEMENTS : Montesquieu, Lettre XXIV, Lettres persanes.
1. Louis XIV, le roi qui aimait trop la guerre
Louis XIV peut se reprocher d'avoir trop cédé à sa passion de la guerre. Quatre guerres principales marquent son règne, chacune
plus dure et plus longue que la précédente, passant du conflit de frontière à la guerre mondiale !
Les guerres du Roi-Soleil
- La guerre de Dévolution
Invoquant une coutume brabançonne, la « dévolution », Louis XIV revendique au nom de sa femme certaines provinces des Pays-
Bas espagnols. Cette guerre de Dévolution contre l'Espagne tourne très vite à l'avantage de Louis XIV grâce à son Secrétaire
d'État à la guerre, Louvois, et à Vauban, ingénieur talentueux qui enlève la citadelle de Lille le 27 août 1667. Elle se conclut le 2
mai 1668 par le traité d'Aix-la-Chapelle. Le roi en tire quelques gains territoriaux mais aussi beaucoup de ressentiment envers les
Provinces-Unies (Pays-Bas) et le grand pensionnaire Jan de Witt qui a monté contre la France une Triple-Alliance avec
l'Angleterre et la Suède.
- La guerre de Hollande
À l'instigation de Louvois, nouveau ministre d'État, les Français envahissent la Hollande, avec le roi à leur tête, et franchissent
audacieusement le Rhin le 12 juin 1672. Louis XIV refuse une offre de paix généreuse et du coup, les Hollandais se ressaisissent.
Le 20 juin, ils n'hésitent pas à rompre les digues pour freiner la progression des troupes ennemies et protéger Amsterdam. lls
renversent qui plus est le gouvernement de Witt et portent à leur tête Guillaume III d'Orange, élu stathouder de Hollande et
capitaine général des Provinces-Unies. Il va se révéler pendant trente ans l'ennemi le plus acharné du Roi-Soleil. Avec la
résurgence d'une nouvelle coalition européenne contre la France, la guerre de Hollande, qui devait n'être qu'une expédition
éclair, va se révéler une guerre longue et coûteuse. La guerre se conclut le 5 février 1679 par la paix de Nimègue qui permet à la
France d'annexer la Franche-Comté et la Flandre du sud. Elle marque l'apogée du règne de Louis le Grand.
- Politique des Réunions et guerre de la Ligue d'Augsbourg
Trop sûr de lui-me, trop arrogant, Louis XIV prétexte d'arguments juridiques douteux pour réunir à la couronne des places
fortes frontalières. C'est ainsi que, sans combat, il fait son entrée à Strasbourg le 24 octobre 1681. Ces « Réunions » ont le don
d'irriter les souverains étrangers. L'Espagne se lance dans la guerre mais l'on convient très vite d'une trêve, signée à Ratisbonne le
15 août 1682. À force d'accumuler contre lui les griefs de toute l'Europe, Louis XIV provoque le 9 juillet 1686 une nouvelle
coalition : la Ligue d'Augsbourg. Le motif en est le Palatinat, dont le Prince Électeur vient de mourir. La guerre, victorieuse mais
longue, rude et coûteuse, oblige Louis XIV à se montrer accommodant lors des traités de paix signés à Ryswick, en Hollande, les
20 septembre et 30 octobre 1697. La France ne garde pratiquement que Strasbourg et Sarrelouis des précédentes « réunions ».
- La guerre de la Succession d'Espagne
Le 16 novembre 1700, Louis XIV entérine le testament du roi d'Espagne Charles II de Habsbourg, mort le 1er novembre
précédent sans héritier : il autorise son petit-fils, le duc d'Anjou, à ceindre la couronne d'Espagne sous le nom de Philippe V. De
lui descend l'actuel roi Juan Carlos 1er. Les grandes puissances se montrent a priori bien disposées mais le roi de France multiplie
les provocations à leur égard. Il occupe les Pays-Bas espagnols (l'actuelle Belgique) et laisse planer la perspective d'une union
dynastique avec l'Espagne. Le 13 mai 1702, la Grande Alliance, qui regroupe les principales puissances de l'Europe du nord, y
compris l'Angleterre, déclare la guerre à Louis XIV et à son petit-fils le roi d'Espagne. Commence la longue guerre de la
Succession d'Espagne, ponctuée de famines et de défaites. Marlborough (ancêtre de Churchill) remporte à Blenheim, en
Allemagne, une victoire retentissante le 13 août 1704. La même année, la Royal Navy s'empare de Gibraltar. Louis XIV sollicite la
paix mais sa demande est repoussée. Alors il en appelle à la nation. Il se produit un sursaut patriotique. Le 11 septembre 1709, le
maréchal de Villars arrête non sans mal les troupes austro-anglaises à Malplaquet, dans les Flandres. L'Angleterre se retire de la
coalition en 1711 et des négociations s'ouvrent le 29 janvier 1712 à Utrecht, en Hollande. Le 24 juillet 1712, alors que la France
paraît en très mauvaise posture, le vieux maréchal de Villars remporte à Denain une victoire inespérée sur les Austro-Hollandais.
Grâce à cette victoire, Louis XIV sauve les meubles. Par le traité d'Utrecht du 11 avril 1713, Louis XIV cède aux Anglais Terre-
Neuve, la baie d'Hudson et l'Acadie mais préserve l'essentiel. Notons que le traité d'Utrecht est rédigé en français et non plus en
latin, faisant du français la langue de la diplomatie pour deux siècles.
2. Les écrouelles : Nom ancien de l'adénite cervicale chronique, d'origine tuberculeuse, qui donnait lieu à un abcès froid qui
se fistulisait durablement, puis laissait des cicatrices. (Les rois de France étaient censés guérir les écrouelles par imposition des
mains, le jour de leur sacre.)
3. Le jansénisme est une doctrine théologique à l'origine d'un mouvement religieux, puis politique et philosophique, qui se
développe aux XVIIe et XVIIIe siècles, principalement en France, en réaction à certaines évolutions de l'Église catholique et à
l'absolutisme royal. La finition même du jansénisme s’avère problématique, car les jansénistes ont rarement assumé cette
appellation, se considérant seulement comme catholiques. Ils possèdent toutefois quelques traits caractéristiques, comme la
volonté de s’en tenir strictement à la doctrine de saint Augustin sur la grâce, conçue comme la négation de la liberté
humaine pour faire le bien et obtenir le salut. Cela ne serait possible selon eux que par le biais de la grâce divine. Les
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