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RIDE 253 0281 (2) DROIT CONCURR

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PERSPECTIVES EUROPÉENNES SUR LA POLITIQUE DE LA
CONCURRENCE DANS L'ESPACE OHADA
Josef Drexl
De Boeck Supérieur | « Revue internationale de droit économique »
2011/3 t.XXV | pages 281 à 304
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ISSN 1010-8831
ISBN 9782804165321
PERSPECTIVES EUROPÉENNES
SUR LA POLITIQUE DE LA CONCURRENCE
DANS L’ESPACE OHADA
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Résumé: Sur le plan supranational en Afrique, le droit de la concurrence est visé
par les systèmes d’intégration existants ou émergents comme ceux de l’UEMOA en
Afrique de l’Ouest et de la CEMAC en Afrique centrale. Par contre, jusqu’à l’heure
actuelle, l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires
(OHADA) ne s’occupe pas du droit de la concurrence, ce qui pose la question de
savoir si l’OHADA devrait avoir un rôle à jouer dans ce domaine. Le présent article
aborde cette question dans une perspective européenne, en analysant l’approche
de l’Union européenne en matière d’harmonisation du droit de la concurrence de
ses États membres. En particulier, cette analyse met en relief les particularités du
droit de la concurrence par rapport à d’autres matières du droit des affaires. Ces
particularités peuvent expliquer les raisons pour lesquelles l’UE, jusqu’à maintenant, n’a pas harmonisé le droit de la concurrence dans les États membres. Mais la
nécessité d’appliquer le droit de l’Union d’une manière décentralisée et les règles
procédurales qui en résultent ont abouti à une harmonisation « souple » des droits
nationaux. Pour l’OHADA, l’expérience européenne explique que la création d’une
loi uniforme, en conformité avec l’approche traditionnelle de l’OHADA, ou la
création d’un droit de la concurrence supranational de l’OHADA, qui s’ajouterait
aux systèmes existants, ne produiraient guère des réponses adéquates. Par contre,
l’article propose la création d’une politique concurrentielle pour l’Afrique, basée
sur des recommandations ou des lignes directrices non contraignantes, qui pourraient être appliquées par les autorités nationales et supranationales existantes ou
émergentes en Afrique subsaharienne. De même, il fait l’analyse critique de la poli1.
Dr. iur., LL.M. (Berkeley), directeur de l’Institut Max Planck pour la propriété intellectuelle et le
droit de la concurrence, Munich, professeur honoraire à l’Université de Munich.
Revue Internationale de Droit Économique – 2011 – pp. 281-304 – DOI: 10.3917/ride.253.0281
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Josef DREXL1
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Perspectives européennes sur la politique de la concurrence dans l’espace OHADA
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1 Introduction
2 Avant-propos sur la nécessité d’une politique de la concurrence en Afrique
3 L’expérience européenne
3.1 Notions divergentes du concept de l’harmonisation dans l’UE et dans l’espace
OHADA
3.2 L’harmonisation dans le domaine du droit de la concurrence se distingue
fondamentalement de l’harmonisation dans d’autres domaines du droit des affaires
3.3 L’existence d’un droit de la concurrence national dans tous les États membres
3.4 Développement historique de l’harmonisation du droit de la concurrence en Europe
3.5 L’harmonisation souple du droit de la concurrence en Allemagne en particulier
3.6 Mesures pour promouvoir une harmonisation « souple » du côté européen
4 Conclusion pour l’OHADA
5 Conclusion pour l’Union européenne
6 Conclusion générale
Summary
1 INTRODUCTION
Ces dernières années, le droit de la concurrence a connu un développement extrêmement rapide dans les pays d’Afrique subsaharienne2. Ce développement s’est
effectué non seulement au niveau national, mais aussi et surtout dans le cadre des
organisations d’intégration économique régionales. Avec la conclusion du traité sur
l’Union Économique et Monétaire Ouest-Africaine (UEMOA) en 19943, un accord
qui inclut des règles sur la concurrence4, l’Afrique francophone a été la première à
connaître l’émergence de systèmes supranationaux pour la protection de la concur2.
3.
4.
Cependant, l’Afrique est bien en retard en ce qui concerne le développement du droit de la concurrence. Sur les raisons de ce retard v. D. Gerber, Global Competition – Law, Markets, and Globalization, Oxford, Oxford University Press, 2010, pp. 248-257.
Traité signé à Dakar le 10 janvier 1994, entré en vigueur le 1er août 1994. Texte disponible sur :
http://www.uemoa.int/documents/TraitReviseUEMOA.pdf. Aujourd’hui, l’UEMOA est composée
de huit États membres : le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, la Guinée-Bissau, le Mali, le
Niger, le Sénégal et le Togo.
Art. 88, 89 et 90 du traité. Ces dispositifs ont été mis en œuvre le 1er janvier 2003 par divers règlements et directives. V. en général M. Bakhoum, L’articulation du droit communautaire et des droits
nationaux de la concurrence dans l’Union Économique et Monétaire Ouest-Africaine (UEMOA),
Berne et Bruxelles, Stämpfli Éditions et Bruylant, 2007, p. 11.
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tique de l’UE envers les pays en développement qui, dans le cadre des négociations
pour des accords de partenariat économique (APE), pourrait facilement mener à un
« regroupement géographique » des systèmes d’intégration économique en Afrique.
Par conséquent, l’Europe ferait mieux de promouvoir l’idée d’un centre de politique
de la concurrence africain qui, en formulant des recommandations ou des lignes
directrices relatives à la politique de la concurrence pour l’Afrique, contribuerait
davantage au développement durable des économies africaines et à leur intégration
dans l’économie mondialisée.
Perspectives européennes sur la politique de la concurrence dans l’espace OHADA
283
5.
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6.
7.
8.
9.
L’art. 75 c) du Traité sur la Communauté de l’Afrique de l’Est inclut l’établissement d’une Union
douanière avec une politique concurrentielle. V. Treaty for the Establishment of the East African
Community, signé le 30 novembre 1999, entré en vigueur le 7 juillet 2000 ; texte disponible sur:
http://www.eac.int/treaty/. La Communauté a cinq États membres, le Burundi, le Kenya, l’Ouganda,
le Rwanda et la Tanzanie, dont deux sont francophones. La première étape pour l’établissement
d’un système de contrôle supranational a conduit à l’adoption d’une loi de la concurrence en 2006
(EAC Competition Act, 2006) par l’Assemblé législative de l’EAT ; texte disponible sur : http://www.
eac.int/trade/. Cette loi prévoit aussi l’établissement d’une Autorité de contrôle communautaire
(East African Community Competition Authority). En 2009, un règlement sur la concurrence a été
adopté qui prévoit des pouvoirs spécifiques pour l’Autorité, laquelle, à l’heure actuelle, n’a pas
encore été installée. V. le projet de règlement (The East African Community Competition Regulations, 2010), disponible sur : http://www.eac.int/trade/index.php?option=com_docman&task=cat_
view&gid=38&Itemid=124. En outre, l’adoption d’une loi de la concurrence nationale en Ouganda
et au Rwanda fait défaut.
V. Treaty for the Establishment of COMESA, signé le 5 novembre 1993, entré en vigueur en
1994, disponible sur : http://about.comesa.int/attachments/149_090505_COMESA_Treaty.pdf. Le
COMESA compte actuellement 19 États membres : le Burundi, les Comores, le Djibouti, l’Égypte,
l’Érythrée, l’Éthiopie, le Kenya, la Libye, Madagascar, le Malawi, l’Île Maurice, l’Ouganda, la
République démocratique du Congo, le Rwanda, les Seychelles, le Soudan, le Swaziland, la Zambie
et le Zimbabwe. L’art. 55 para. 1 du traité interdit les ententes restrictives. Selon l’art. 55 para. 2, le
Conseil des ministres peut déclarer inapplicable cette interdiction en suivant le modèle de l’art. 101
para. 3 TFUE. Selon l’alinéa 3, le Conseil a le pouvoir supplémentaire de régler la concurrence à
l’intérieur du Marché commun. Sur la base de ces dispositifs, le COMESA, en 2004, a adopté un
règlement de la concurrence (COMESA Competition Regulations) avec des règles substantielles,
institutionnelles et procédurales ; texte disponible sur : http://www.givengain.com/cause_data/
images/1694/COMESACompetitionRegulations.pdf. Surtout, ce règlement prévoit la création
d’une autorité de contrôle (COMESA Competition Commission), qui a été établie à Blantyre, au
Malawi, en 2008.
V. Traité du CEDEAO de 1993, disponible sur : http://www.parl.ecowas.int/french/documentations/
traite.pdf.
Tous les États membres de l’UEMOA sont aussi membres de la CEDEAO. Les autres États membres
sont le Cap Vert, la Gambie, le Ghana, la Guinée, le Liberia, le Nigéria et la Sierra Leone.
V. http://www.cemac.int/. La CEMAC est composée de six États membres : le Cameroun, le CongoBrazzaville, le Gabon, la Guinée équatoriale, la République centrafricaine et le Tchad. V. surtout
l’étude commissionnée par la CEMAC et réalisée par G. Charrier, Projet de révision du dispositif
institutionnel concurrence de la CEMAC, février 2010, disponible sur : http://patronat-ecam.org/
Documents/Projet_de_revision_Dispositif_institutionnel_concurrence_Cemac.pdf.
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rence sur le continent. Aujourd’hui, des règles de la concurrence existent également
dans le cadre de la Communauté de l’Afrique de l’Est (East African Community,
EAC)5 et du Marché commun de l’Afrique orientale et australe (Common Market
for Eastern and Southern Africa, COMESA)6. En outre, la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO)7 est actuellement en train de
négocier une politique de la concurrence, même si une telle politique existe déjà à
l’intérieur de la CEDEAO pour le sous-groupe des États membres de l’UEMOA8.
Enfin, un projet vise également à élaborer une politique régionale de la concurrence
dans le cadre de la Communauté Économique et Monétaire de l’Afrique Centrale
(CEMAC)9 et une autre dans celui de la Communauté de développement d’Afrique
284
Perspectives européennes sur la politique de la concurrence dans l’espace OHADA
australe (Southern African Development Community, SADC)10. Il résulte de cette
coexistence de diverses politiques régionales de la concurrence une image d’une
extrême complexité dont l’affiliation d’un nombre d’États à plusieurs régimes
supranationaux est la cause principale.
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Par conséquent, dans notre analyse, nous allons examiner le rôle que l’OHADA
peut ou pourrait jouer dans le développement d’une politique concurrentielle et d’un
droit de la concurrence en Afrique. Pour ce faire, nous allons explorer trois pistes
de réflexion. Premièrement, nous nous pencherons sur l’expérience européenne en
matière d’harmonisation du droit de la concurrence. Certes, le droit de la concurrence
de l’Union européenne est le droit supranational le plus performant du monde. Toutefois, dans notre analyse, ce droit n’est pas recommandé en tant que tel pour servir
de modèle pour l’Afrique, mais plutôt comme source de comparaison et d’inspiration
dans la recherche d’un droit de la concurrence adapté à l’Afrique. Deuxièmement,
sur la base de notre analyse, nous définirons le rôle de l’OHADA par rapport au droit
de la concurrence et, troisièmement, nous évaluerons la politique de l’Union européenne vis-à-vis des États africains dans le domaine de la concurrence. Auparavant,
il nous semble néanmoins important de mettre en relief, sous forme d’avant-propos,
la nécessité de promouvoir une politique de la concurrence plus efficace en Afrique.
2 AVANT-PROPOS SUR LA NÉCESSITÉ D’UNE
POLITIQUE DE LA CONCURRENCE EN AFRIQUE
Il n’est pas évident pour tout le monde de considérer la concurrence comme étant
une politique pertinente. En effet, la question se pose de savoir si, à l’ère de la mondialisation, les pays en développement seront capables de faire face à la concurrence
et au pouvoir économique des grandes entreprises multinationales. À cet égard, la
concurrence économique peut même apparaître comme une menace et peut être un
facteur générateur de soucis et d’angoisses pour les citoyens des pays en développement. À coup sûr, la mondialisation peut avoir des perdants, bien que, à l’échelle
globale, les bénéfices économiques prédomineront au moins à long terme.
10. V. http://www.sadc.int/. La SADC a 15 États membres : l’Afrique du Sud, l’Angola, le Botswana,
le Lesotho, Madagascar, le Malawi, l’Île Maurice, le Mozambique, la Namibie, la République
démocratique du Congo, les Seychelles, le Swaziland, la Tanzanie, la Zambie et le Zimbabwe.
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Le droit de la concurrence fait partie du droit des affaires. Au regard de la forte
activité législative menée en droit de la concurrence dans les autres organisations
régionales, il est étonnant que, jusqu’à présent, l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA) n’ait pas légiféré en droit de la
concurrence. En tant qu’organisation de grande expertise en droit des affaires, qui,
traditionnellement, s’occupe du droit en Afrique francophone, elle pourrait surtout
s’orienter dans le sens d’une politique uniforme pour tous les États francophones de
l’Afrique, en regroupant les États membres de l’UEMOA et de la CEMAC.
Perspectives européennes sur la politique de la concurrence dans l’espace OHADA
285
Néanmoins, il n’y a pas d’alternatives à la libéralisation économique et à la
mondialisation, ni pour les États développés ni pour ceux en développement. Un
pays qui s’exclut volontairement de l’économie du marché mondialisé, par crainte
de finir du côté des perdants, perd instantanément toute chance de bénéficier de la
mondialisation.
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L’introduction d’un droit de la concurrence peut produire beaucoup d’avantages
pour les économies africaines. Premièrement, bien sûr, la concurrence garantit le
bon fonctionnement des marchés en promouvant l’usage efficace des ressources
limitées dans les pays en développement. La concurrence ne sert pas seulement les
intérêts des consommateurs, elle favorise aussi l’initiative économique, ce qui est
extrêmement important dans des économies caractérisées par une grande pénurie
d’emplois et un secteur informel considérable12. Deuxièmement, le droit de la
concurrence a une portée politique et constitutionnelle : ce droit constitue un élément
central de l’État de droit dans le secteur économique. Les actions des opérateurs
économiques sur les marchés ne se définissent pas seulement par des rapports de
pouvoir économique, mais également par des règles juridiques qui contrôlent ce
pouvoir. Plus particulièrement, il existe un lien étroit entre le droit de la concurrence et la lutte contre la corruption. À l’égard des marchés publics, le droit de la
11. Selon une étude de 2004, commissionnée par la Banque mondiale, en 1997, les seules ententes
restrictives de portée internationale qui ont été examinées par les autorités de contrôle aux États-Unis
et en Europe ont produit un dommage économique aux pays en développement de 54,7 milliards de
dollars US. V. M. Levenstein & V.Y. Suslow, « Contemporary International Cartels and Developing
Countries : Economic Effects and Implications for Competition Law », Antitrust Law Journal, 71,
2004, p. 801.
12. Sur l’aspect économique également, Gerber (op. cit. (note 2), p. 258) soutient : « The potential benefits of competition law are particularly significant for Africa, and thus there are potentially strong
incentives for competition law development. In addition to the generic benefits of reducing prices,
enhancing consumer choice and providing a more flexible and efficient economy, competition law
in Africa can help address the fundamental issue of economic diversification. By most accounts the
most significant problem facing many African countries is the lack of diversity in their economies.
The colonially-imposed and state-controlled economic model has proven difficult to change, but
without such structural changes the countries of Africa will be left exposed to the vagaries of world
markets that have periodically devastated their economies. »
V. aussi le volume publié par la CNUCED: United Nations Conference on Trade and Development
(dir.), The Effects of Anti-Competitive Business Practices on Developing-Countries and Their
Development Prospects, United Nations, New York et Genève, 2008. Les nombreuses contributions
mettent en relief les effets positifs de la politique de la concurrence surtout pour les consommateurs
et comme élément d’une politique contre la pauvreté.
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C’est dans cette perspective qu’il faut évaluer les effets du droit de la concurrence. L’introduction d’un ordre concurrentiel et la création d’une « culture concurrentielle » dans les pays en développement, surtout dans les pays africains ayant
un passé d’économie planifiée et de sous-développement, sont loin d’être aisées.
Cependant, sans protection de la concurrence, les consommateurs et les PME de
ces pays seraient des proies faciles pour les prédateurs de l’économie nationale et
internationale11.
286
Perspectives européennes sur la politique de la concurrence dans l’espace OHADA
concurrence empêche que les concurrents ne se mettent d’accord sur l’entreprise
qui aura le prochain contrat dans la mesure où il devient trop périlleux de « graisser
la patte » du pouvoir adjudicateur13.
Les États africains sont affectés par toutes les formes de restrictions possibles.
Sans droit de la concurrence, par exemple, les grandes entreprises maritimes pourraient facilement augmenter les prix du transport et leurs profits en se répartissant
les ports des pays africains à titre exclusif, ce qui aurait des conséquences néfastes
sur le commerce extérieur des pays concernés et sur les prix de la consommation
pour les produits d’importation.
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Il s’agit du marché de la bière en Tanzanie. Le plus grand producteur de bière
dans ce pays est Tanzanian Breweries qui, dans les années 1990, avait besoin d’un
investisseur. Par conséquent, en 1993, South Africain Breweries (SAB) est entrée
dans un joint-venture avec Tanzanian Breweries, laquelle devenait ainsi une filiale
de SAB14. Dans les années suivantes, Tanzanian Breweries/SAB et East African
Breweries Limited (EABL), du Kenya, se sont fait une concurrence intense sur les
deux marchés nationaux. En 2002, les deux entreprises ont terminé leur « guerre
de la bière » : Tanzanian Breweries/SAB a consenti d’arrêter des ventes directes au
Kenya et EABL a fait de même en Tanzanie. En même temps, Tanzanian Breweries/
SAB est devenue le distributeur exclusif de EABL en Tanzanie et EABL celui de
Tanzanian Breweries/SAB au Kenya15.
Par cet accord, SAB a réussi à étendre la position dominante qu’elle avait acquise
en Afrique du Sud grâce à la politique de monopole du régime de l’apartheid à la
Tanzanie. En 1998, SAB détenait encore 98 % du marché de la bière en Afrique
du Sud. Mais dans ce pays, elle se voit confrontée aujourd’hui à une autorité de
contrôle performante qui l’accuse de pratiques abusives visant à exclure de nouveaux
13. V., par exemple, D. Lewis, « Bid Rigging and its Interface with Corruption », in OECD, Global Forum
on Competition : Collusion and Corruption in Public Procurement, 2010, Document de l’OCDE
n° DAF/COMP/GF/WD(2010)36, disponible sur : http://www.oecd.org/dataoecd/38/28/44511361.
pdf.
14. En 1998, SAB était le 4e producteur de bière au monde et la 3e entreprise sud-africaine. V. http://
en.wikipedia.org/wiki/South_African_Breweries. Après avoir acheté l’entreprise américaine Miller, SABMiller est aujourd’hui le 2e producteur mondial de bière.
15. V. « Deal Ends East African “Beer War” », BBC World, 14 mai 2002, disponible sur : http://news.
bbc.co.uk/2/hi/business/1987479.stm. Comme conséquence, SAB a aussi fermé une brasserie
ultramoderne au Kenya avec la perte d’un nombre significatif d’emplois. Auprès du public, les
entreprises ont justifié leur comportement par la surproduction de bière dans les deux pays.
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À titre d’illustration, nous évoquerons une affaire qui se trouve au carrefour
de l’économie nationale, internationale et même mondialisée. Cet exemple montre
non seulement les difficultés institutionnelles que connaissent les jeunes systèmes
de la concurrence en Afrique pour affronter les pratiques anticoncurrentielles, surtout face aux entreprises multinationales, mais aussi le potentiel de ces systèmes
de faire des progrès.
Perspectives européennes sur la politique de la concurrence dans l’espace OHADA
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Le traitement de l’affaire en Tanzanie est étonnant, étant donné que ce pays
dispose d’un droit de la concurrence depuis 200318. Mais les résultats bénéfiques du
droit de la concurrence commencent à se manifester aussi dans ce pays. En 2009,
la Fair Competition Commission de la Tanzanie a soutenu la plainte introduite par
Serengeti Breweries contre Tanzanian Breweries/SAB et qui l’accuse d’avoir abusé
de sa position dominante en concluant des accords avec les gérants de bars privilégiant les produits de Tanzanian19. Et en 2010, la Fair Competition Commission
a finalement permis l’achat de Serengeti par EABL20, ce qui devrait renforcer le
petit concurrent de SAB en Tanzanie justement par l’initiative de l’autre partie de
l’entente anticoncurrentielle qui, aujourd’hui, ne veut plus respecter le partage de
marchés du passé. La relation entre les deux parties avait déjà commencé à se détériorer, semble-t-il, quand l’entreprise britannique Diageo avait acquis la majorité de
EABL, cette opération ayant eu des conséquences considérables pour la coopération
au Kenya où la consommation était en train de baisser considérablement21. Nous
pouvons donc constater que ce n’était pas seulement grâce à l’autorité de contrôle en
Tanzanie que la concurrence a été rétablie dans le cas présent, mais aussi et surtout
grâce à l’apparition d’une autre multinationale avec laquelle SAB se trouvait dans
une situation de forte concurrence sur les marchés internationaux. Quoi qu’il en soit,
16. L. Gedye, « No Chance for Independent Distributors Against SAB », Mail & Guardian
Online, 12 août 2010, disponible sur: http://www.mg.co.za/article /2010-08-12
-no-chance-for-independent-distributors- against-sab.
17. V. A. Wilson, « Trouble Brews in Africa for Diageo and SAB », The Telegraph, 18 août 2009,
disponible sur: http://www.telegraph.co.uk/finance/newsbysector/retailandconsumer/6050587/
Trouble-brews-in-Africa-for-Diageo-and-SAB.html.
18. The Fair Competition Act, 2003, disponible sur : http://www.competition.or.tz/fcc_files/public/
fca_no_8-2003.pdf. Le Kenya a déjà adopté une loi de la concurrence (« Restrictive Trade Practices,
Monopolies and Price Control Act ») en 1988 (entrée en vigueur le 1er janvier 1989). Au Kenya,
l’autorité de contrôle, le Monopolies and Prices Commission, est un département du ministère des
Finances.
19. Serengeti Breweries Limited v. Tanzanian Breweries Limited, Decision of the Commission, Complaint No 2 of 2009, disponible sur : http://www.competition.or.tz/fcc_files/public/sbl_vs_tbl_final_
ruling_-_2010.pdf. Serengeti a augmenté sa part de marché de 2 à 17 % de 2002 à 2008, mais a
ensuite perdu 2 % pendant les douze mois suivants ; v. « Tanzanian Competition Authority Investigates SAP », in Nortons, Inc., Competition Brief, 10 novembre 2009, disponible sur : http://www.
graphicmail.co.za/new/viewnewsletter2.aspx?SID=14&SiteID=10415&NewsletterID=143290.
20. D. Mulupi, « East African Breweries Acquires Tanzanian Beer Maker », How We Made
It in Africa, 29 juillet 2010, disponible sur : http://www.howwemadeitinafrica.com/
east-african-breweries-acquires-tanzanian-beer-maker/2968/.
21. V. M. Kimani, « EABL Takes Beer War to SABMiller’s Doorsteps », JamiiForums, 29 juillet 2010,
disponible sur : http://www.jamiiforums.com/business-and-economic-forum/68245-eabl-takesbeer-wars-to-sabmiller%92s-doorsteps.html.
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concurrents du marché16. Même EABL du Kenya est devenu un concurrent de SAB
sur le marché sud-africain, en coopérant avec Heineken. Par contre, en 2009, la Cour
suprême de la Tanzanie, par un jugement en faveur de SAB sur la base de l’accord
de 2002, a empêché EABL d’acheter Serengeti Breweries, un petit concurrent de
Tanzanian Breweries/SAB en Tanzanie, jusqu’en janvier 201117.
288
Perspectives européennes sur la politique de la concurrence dans l’espace OHADA
l’existence d’une autorité plus expérimentée et plus puissante pouvait soutenir ce
retour à la concurrence par des décisions raisonnables.
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Un droit supranational peut comporter plusieurs avantages pour une région
composée de pays en développement24. Premièrement, dans le sens classique
bien connu du modèle européen, l’autorité de l’organisation régionale mettrait
l’accent sur la protection du commerce intra-communautaire contre les restrictions
anticoncurrentielles25. Deuxièmement, une autorité supranationale peut créer un
contre-pouvoir plus convaincant vis-à-vis des grandes entreprises multinationales.
En particulier, il est moins facile pour une telle entreprise de menacer l’autorité
supranationale, dans le cas d’une intervention par cette autorité, de se retirer des
marchés de tous les États membres que de faire face à une autorité nationale d’un
seul pays africain. Troisièmement, une autorité supranationale bénéficie d’une plus
grande indépendance par rapport aux pouvoirs politiques nationaux qui sont plus
susceptibles d’agir sous la pression économique des entreprises concernées. Malgré
ces avantages certains, un système de protection supranational peut comporter des
désavantages par rapport à un système national. Le défi consiste surtout à créer un
équilibre entre un système de contrôle national et supranational ainsi qu’un régime
adéquat pour les interactions entre les deux niveaux26.
22. Sur les problèmes d’application du droit de la concurrence en général, v. M. S. Gal, « Antitrust in a
Globalized Economy : The Unique Enforcement Challenges Faced by Small and Developing Jurisdictions », Fordham International Law Journal, 33, 2009, p. 1. V. sur les difficultés institutionnelles
en Amérique latine I. De Leon, An Institutional Assessment of Antitrust Policy – The Latin American
Experience, Austin, Wolters Kluwer, 2009, pp. 533-581.
23. V. note 5.
24. V. surtout M. S. Gal, « Regional Competition Law Agreements: An Important Step for Antitrust
Enforcement », University of Toronto Law Journal, 60, 2010, p. 239.
25. Il faut noter qu’en Afrique également certains droits supranationaux s’appliquent aussi aux pratiques
de portée purement interne. C’est le cas pour le droit de l’UEMOA : confirmé par la Cour de justice
de l’UEMOA, avis 3/2000/UEMOA ; v. Bakhoum, op. cit. (note 4), pp. 29-30.
26. Concernant le système de l’UEMOA, ces problèmes sont décrits par M. Bakhoum, op. cit. (note
4). V. aussi D. P. Weick, « Competition Law and Policy in Senegal : A Cautionary Tale for Regional
Integration ? », World Competition, 33, 2010, p. 521.
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Cet exemple de la « guerre de la bière » met en relief les difficultés institutionnelles d’un jeune ordre de la concurrence. On comprend que, du point de vue
politique, ce n’est pas facile pour une autorité de contrôle d’un petit pays en développement d’agir contre une entreprise étrangère qui vient d’investir des sommes
considérables dans l’économie nationale22. Cette « guerre de la bière », du fait de
sa dimension transfrontalière, aurait aussi été un cas exemplaire pour l’application
du nouveau droit de la concurrence de la Communauté de l’Afrique de l’Est23. En
effet, notre analyse montre que les deux systèmes de la concurrence nationaux de
la région, ceux du Kenya et de la Tanzanie, ont eu, pendant plusieurs années, des
problèmes à réagir de manière effective et immédiate à la restriction de la concurrence transfrontalière sur le marché de la bière.
Perspectives européennes sur la politique de la concurrence dans l’espace OHADA
289
De plus, les arguments en faveur d’un système supranational ne justifient pas
automatiquement non plus un droit de la concurrence de l’OHADA, surtout face
à la situation particulière qui règne dans l’espace OHADA, caractérisée par une
multitude de systèmes de concurrence supranationaux non coordonnés. Nous aborderons cette question du rôle de l’OHADA dans le domaine de la concurrence dans
les parties suivantes de notre analyse.
3 L’EXPÉRIENCE EUROPÉENNE
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3.1 Notions divergentes du concept de l’harmonisation
dans l’UE et dans l’espace OHADA
Mais la notion d’« harmonisation » a des acceptions différentes dans le cadre de
l’Union européenne, d’une part, et de l’OHADA, de l’autre.
Selon les articles 5 et 10 du traité OHADA, le but de l’organisation consiste en
la création de lois uniformes qui sont directement applicables dans l’ordre juridique
des États membres. Au sein de l’Union européenne, bien sûr, on connaît aussi des
règles directement applicables. Elles se trouvent dans les traités fondateurs, donc
dans le Traité sur l’Union européenne (TUE) et le Traité sur le Fonctionnement de
l’Union européenne (TFUE), et dans les « règlements » du droit secondaire qui, selon
l’art. 288 TFUE, sont directement applicables dans les États membres.
Par contre, quand on parle de l’« harmonisation » dans l’Union européenne, on
évoque principalement la politique du rapprochement des droits nationaux par le
moyen des « directives ». Selon l’art. 288 TFUE, les directives sont exclusivement
adressées aux États membres et obligent ceux-ci à transposer les règles supranationales des directives en droit national. En principe, c’est donc seulement la loi
nationale qui s’applique aux citoyens27.
Le droit de la concurrence européen, pour concrétiser les règles de la concurrence
du TFUE, utilise surtout le mécanisme des règlements, y compris les importants
règlements d’exemption par catégorie qui déclarent inapplicable l’interdiction des
ententes anticoncurrentielles au sens de l’art. 101 para. 1 TFUE. Mais ces règle27. Dans cet article, on n’expliquera pas les règles découlant du principe général de l’« effet utile » selon
lesquelles les tribunaux des États membres doivent aussi accorder un effet juridique aux directives.
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La comparaison entre le droit de l’OHADA et le droit de l’Union européenne n’est
pas aisée. L’espace OHADA n’établit pas une région d’intégration économique mais
uniquement un espace d’harmonisation juridique. Mais à l’égard de l’harmonisation,
l’Union européenne ne semble pas trop différente de l’OHADA. L’harmonisation
juridique – surtout du droit des affaires – est aussi un des concepts centraux pour
l’établissement du marché intérieur de l’Union européenne.
290
Perspectives européennes sur la politique de la concurrence dans l’espace OHADA
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3.2 L’harmonisation dans le domaine du droit
de la concurrence se distingue fondamentalement
de l’harmonisation dans d’autres domaines du droit
des affaires
L’approche de l’UE pour une harmonisation du droit de la concurrence est aussi
substantiellement différente de l’approche appliquée dans d’autres domaines du
droit des affaires.
Les points majeurs sont les suivants :
D’abord, en droit des affaires, on préfère le rapprochement des droits nationaux
en utilisant des directives, tandis que les règles sur la concurrence contenues dans
le TFUE et dans les règlements d’application créent un droit de la concurrence
supranationale et uniforme.
Ensuite, le rapprochement des droits nationaux dans le domaine du droit des
affaires en général ne couvre pas seulement les situations transfrontalières, mais
aussi les situations purement internes. Par contre, le droit européen n’oblige pas les
États membres à harmoniser leur droit de la concurrence nationale avec les règles
européennes. Les États membres restent libres de définir leur propre politique de la
concurrence concernant la régulation des pratiques qui n’affectent pas le commerce
entre les États membres.
Enfin, tandis que les directives se concentrent surtout sur le rapprochement des
principes de droit substantiel et ne contiennent que très rarement des règles sur les
procédures relatives à la mise en œuvre des droits nationaux harmonisés, en droit de
28. C’est aussi évident pour le Règlement (CE) n° 139/2004 du Conseil du 20 janvier 2004 relatif au
contrôle des concentrations entre entreprises (« le règlement CE sur les concentrations »), J.O. L
24 du 29 janvier 2004, p. 1. Ce règlement s’applique seulement aux concentrations de « dimension
communautaire ».
29. En anglais: soft harmonisation.
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ments sont uniquement créés pour jouer un rôle dans le cadre juridique du droit de
la concurrence européenne28. Ils n’ont pas pour objectif d’harmoniser le droit de la
concurrence national des États membres. En effet, le droit de l’Union européenne
ne prévoit aucune obligation de la part des États membres d’introduire un droit de
la concurrence national. De même, il n’y a pas d’obligation d’harmoniser le droit de
la concurrence national avec le droit européen. Cependant, tous les États membres
disposent aujourd’hui d’un droit de la concurrence qui s’harmonise, dans la majorité
des cas, largement avec les principes du droit européen. Ce fait s’explique par un
processus que nous appellerons, dans le cadre de notre analyse, l’ « harmonisation
souple »29.
Perspectives européennes sur la politique de la concurrence dans l’espace OHADA
291
la concurrence européenne, le règlement n° 1/200330 a créé, en tant qu’instrument
d’une politique de décentralisation, un cadre institutionnel et procédural qui intègre
les institutions nationales – les autorités de contrôle et les tribunaux – dans le système
d’application du droit de l’Union.
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Le règlement n° 1/2003 oblige les États membres à désigner l’autorité de la concurrence nationale qui aura les compétences nécessaires pour appliquer le droit de la
concurrence européen selon les dispositifs du règlement31. Cette réglementation
mène à la situation un peu contradictoire où le droit de l’Union requiert des États
membres d’avoir des autorités de contrôle nationales, bien qu’ils ne soient pas obligés, par le droit européen, d’introduire un droit de la concurrence national. Toutefois,
cette contradiction est seulement théorique puisque tous les États membres, y compris même les plus petits comme Malte, Chypre et le Luxembourg, ont aujourd’hui
un droit de la concurrence national et des autorités de contrôle nationales.
Ce qui importe, c’est que les règles substantielles comme les règles procédurales
des droits de la concurrence dans les États membres s’harmonisent largement avec
les règles de la concurrence au niveau de l’Union européenne.
De plus, la pratique des autorités et des tribunaux, en appliquant le droit national, suit normalement la pratique des institutions européennes, bien qu’il n’y ait
pas d’obligation selon le droit européen à cet égard. C’est surtout le cas lorsque le
droit européen et le droit national sont applicables en même temps. Selon l’art. 3
para. 1 du règlement n° 1/2003, les États membres sont autorisés à appliquer leur
droit national aux pratiques qui sont susceptibles d’affecter le commerce entre les
États membres ; l’application « parallèle » du droit national et du droit européen
est donc permise. Selon l’art. 3 para. 2 de ce règlement, on empêche seulement les
États membres d’interdire des ententes qui sont permises selon l’art. 101 TFUE. Par
conséquent, le règlement, concernant les ententes, ne poursuit qu’une « harmonisation des résultats » qui laisse toute la liberté aux législateurs, aux autorités et aux
juges nationaux de définir leurs propres règles et concepts du droit de la concurrence.
Par contre, certains États membres, comme l’Italie, garantissent sur la base d’une
décision purement autonome, l’interprétation du droit national en conformité avec
le droit européen, même au-delà du champ d’application du droit européen32.
30. Règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise en œuvre des règles
de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité, J.O. L 1 du 4 janvier 2003, p. 1.
31. Art. 35 du règlement.
32. Ici, on parle de la fameuse « clause italienne ». L’art. 1 para. 4 de la « legge antitrust », loi du 10
octobre 1990, n° 287, Gazzetta ufficiale du 13 octobre 1990, n° 240 prévoit : « L’interpretazione
delle norme contenute nel presente titolo è effettuata in base ai principi dell’ordinamento delle
Comunità europee in materia di disciplina della concorrenza. »
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3.3 L’existence d’un droit de la concurrence national
dans tous les États membres
292
Perspectives européennes sur la politique de la concurrence dans l’espace OHADA
3.4 Développement historique de l’harmonisation du droit
de la concurrence en Europe
La situation actuelle en Europe s’explique mieux dans une perspective historique.
En effet, le processus d’harmonisation du droit de la concurrence en Europe s’est
effectué en quatre phases33.
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Quant au concept de l’harmonisation, cette première phase est caractérisée
par l’existence d’une loi uniforme inappliquée, au moins pour le droit de la CEE.
Les règles du Traité restaient largement inappliquées étant donné qu’à l’époque, le
législateur européen n’avait pas encore précisé quelle était l’institution compétente
pour la mise en œuvre des règles de la concurrence. Ainsi, les règles incluses dans
les traités étaient – et sont – limitées aux pratiques à portée communautaire. L’Allemagne était le seul État membre qui, à la même époque, a introduit sa première loi
moderne contre les restrictions de la concurrence35.
La deuxième phase commence en 1962 avec l’adoption du règlement n° 17/6236,
qui a donné compétence à la Commission européenne pour la mise en œuvre des
normes sur la concurrence contenues dans le traité CEE. Avec cette deuxième phase,
la Communauté est entrée dans la période d’application centralisée de la loi uniforme. Durant beaucoup d’années encore, la majorité des États membres sera restée
sans droit de la concurrence national.
Le règlement n° 17/62 a conféré à la Commission un monopole de contrôle
jusqu’en 2004, année de l’entrée en vigueur du règlement n° 1/200337. Mais on
peut identifier une troisième phase qui a déjà commencé au début des années 1990.
Après la chute du mur de Berlin, l’ancienne Communauté européenne a conclu une
série d’« accords européens » avec d’anciens États socialistes de l’Europe centrale
et orientale qui, en 2004, sont devenus États membres de l’Union européenne. Ces
accords contenaient des obligations de la part des nouveaux États associés à introduire dans leurs législations des dispositifs sur la protection de la concurrence en
33. Sur le développement historique du droit de la concurrence européen v. surtout D. Gerber, Law and
Competition in Twentieth Century Europe – Protecting Prometheus, Oxford, Oxford University
Press, 1998.
34. Les articles 85 et 86 du Traité CEE se retrouvent aujourd’hui dans les articles 101 et 102 TFUE.
35. Gesetz gegen Wettbewerbsbeschränkungen (GWB) du 17 juillet 1957, BGBl. partie I, p. 1081 ;
entrée en vigueur le 1er janvier 1958. Avant cette date, l’Allemagne de l’Ouest appliquait un droit
de la concurrence de style américain adopté par le gouvernement d’occupation d’après-guerre.
36. Règlement n° 17/CEE du Conseil : Premier règlement d’application des articles 85 et 86 du traité,
J.O. n° 13 du 22 février 1962, p. 204.
37. Op. cit. (note 30).
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La première phase est marquée par l’entrée en vigueur des traités fondateurs,
notamment le traité sur la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier
(CECA) en 1951 et du traité sur la Communauté Économique Européenne (CEE)
en 1957. Les deux traités incluaient des normes directement applicables dans l’ordre
juridique des États membres34.
Perspectives européennes sur la politique de la concurrence dans l’espace OHADA
293
conformité avec le droit de la concurrence européen. C’est donc par rapport à ces
États que nous pouvons constater l’application du concept classique d’harmonisation du droit des affaires qui a mené au rapprochement du droit de la concurrence
national pour quelques États.
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3.5 L’harmonisation souple du droit de la concurrence
en Allemagne en particulier
L’effet harmonisateur du règlement n° 1/2003 s’est surtout manifesté en Allemagne.
Tandis que les États membres qui ont tardé à adopter un droit de la concurrence
national, comme l’Italie, ont dès le début essayé de suivre le modèle européen,
l’Allemagne a toujours mené sa propre politique de la concurrence nationale,
avec des règles juridiques qui se distinguaient nettement de l’approche législative
européenne.
L’entrée en vigueur du règlement n° 1/2003 signifiait une révolution pour
l’Allemagne. En particulier l’obligation de l’autorité de contrôle allemande et des
tribunaux d’appliquer les règles de la concurrence des articles 101 et 102 TFUE, en
relation avec l’introduction du principe de la primauté absolue du droit européen
en matière d’ententes anticoncurrentielles, a poussé l’Allemagne à entièrement harmoniser son droit sur les ententes avec les règles européennes dans le cadre d’une
réforme de la loi allemande en 200538. Dans le cadre de cette réforme, le législateur
allemand a pesé les avantages concurrentiels d’une harmonisation avancée dans
l’espace économique élargi de l’Union européenne contre des arguments concurrentiels en faveur de l’approche allemande existante à l’époque.
Le législateur allemand de 2005 a pris les décisions suivantes :
Face à la possibilité prévue par l’art. 3 para. 1 du règlement n° 1/2003 d’appliquer le droit national aussi aux pratiques qui, potentiellement, affectent le commerce
38. Version de la loi contre les restrictions de la concurrence (Gesetz gegen Wettbewerbsbeschränkungen) du 15 juillet 2005, BGBl, partie I, p. 2114. V. aussi l’analyse plus détaillée de J. Drexl,
« Europäisierung und Ökonomisierung des deutschen Kartellrechts », in K. J. Hopt & D. Tzouganatos (dir.), Europäisierung des Handels- und Wirtschaftsrechts - Gemeinsame oder unterschiedliche
Probleme für das deutsche und griechische Recht?, Tübingen, Mohr Siebeck, 2006, p. 223.
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En effet, la quatrième phase, qui subsiste encore aujourd’hui, a commencé le 1er
mai 2004. C’est non seulement la date de l’élargissement de l’Union européenne avec
10 nouveaux États membres situés surtout en Europe de l’Est, mais aussi la date de
l’entrée en vigueur du règlement n° 1/2003, qui réalise le projet de décentralisation
de la mise en œuvre du droit de la concurrence européen. Du point de vue juridique,
l’entrée en vigueur de ce règlement ne change pas l’approche européenne face à
l’harmonisation du droit de la concurrence. Cependant, le projet de décentralisation
a joué un rôle décisif dans l’« harmonisation souple » sus-mentionnée des droits de
la concurrence nationaux.
294
Perspectives européennes sur la politique de la concurrence dans l’espace OHADA
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En vertu du principe de la primauté absolue du droit européen en matière
d’ententes entre entreprises, qui empêcherait l’Allemagne d’interdire une entente
qui n’est pas considérée comme restrictive selon le droit européen, le législateur
allemand a harmonisé son droit sur les ententes restrictives de manière quasiment
complète avec les normes européennes. Surtout concernant les ententes verticales
– conclues par des entreprises situées sur des niveaux différents de production et
de distribution –, l’Allemagne avait appliqué un système plus libéral que le droit
européen40. Aussi, en 2005, le législateur aurait-il préféré maintenir un régime plus
libéral. Mais l’argument en faveur de la création d’un espace unique de concurrence
non faussée, dans lequel les entreprises ne sont pas obligées de se poser la question de
savoir si le droit européen est applicable ou non, a convaincu le législateur national
d’harmoniser son droit selon les principes du droit européen. Un des éléments les
plus étonnants de cette harmonisation est la référence dynamique aux règlements
d’exemption par catégorie du droit européen41. Selon cette référence, toutes les
ententes qui sont permises selon les règlements européens sont aussi permises selon
le droit allemand. Cette référence dynamique mène à une intégration universelle des
règlements européens dans l’ordre juridique allemand ; la transposition de ces règles
européennes se réalise de manière immédiate et automatique dès que les règlements
européens sont modifiés.
Le législateur allemand a aussi réfléchi à la faculté d’opter pour une « clause
italienne »42, qui aurait forcé les autorités et les juges à interpréter la loi allemande
en conformité avec les règles européennes. Une telle règle ne s’est plus retrouvée
dans la version finale de la loi de réforme. Cependant, la volonté du législateur
d’harmoniser le droit allemand dans le champ des ententes anticoncurrentielles
est bien documenté dans les actes préparatoires de la loi. Par conséquent, on peut
s’attendre aussi à une harmonisation progressive de la pratique allemande avec la
pratique européenne43.
39. Par contre, le droit de la concurrence italien s’applique seulement aux pratiques qui ne sont pas
contrôlées par le droit européen ; art. 1 para. 1 de la legge antitrust, op. cit. (note 32).
40. Avec des exceptions, surtout s’agissant des ententes qui fixent les prix de vente, la loi allemande n’a
pas interdit en tant que telles les ententes verticales. Elles étaient seulement soumises à un contrôle
d’abus par l’autorité de contrôle. Par conséquent, sauf interdiction individuelle par l’autorité, de
telles ententes étaient juridiquement admises selon le droit allemand.
41. Art. 2 para. 1 de la loi allemande.
42. V. note 32.
43. Récemment, on a surtout discuté en Allemagne la question de savoir s’il faut suivre la jurisprudence
de la Cour de Justice de l’UE (CJUE) concernant le concept d’« entreprise ». Selon la CJUE, une
entreprise se caractérise par une activité économique liée à l’offre de biens ou de services sur un
marché. Contrairement à la pratique allemande, une activité qui se limite à l’achat de biens ou à
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entre les États membres, l’Allemagne a opté pour l’application parallèle39. Cette
décision a été inspirée par le constat que, dans les cas pratiques, l’applicabilité du
droit européen n’est pas toujours claire. Par conséquent, l’application parallèle du
droit de la concurrence allemand garantit que l’autorité ou le juge allemand décide
sur la base de dispositions qui sont, en effet, applicables.
Perspectives européennes sur la politique de la concurrence dans l’espace OHADA
295
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Si le règlement n° 1/2003 a introduit une primauté absolue du droit européen
des ententes, une telle primauté n’existe pas en matière d’abus de position dominante au sens de l’art. 102 TFUE. Selon le règlement, les États membres ne sont pas
empêchés d’adopter et de mettre en œuvre des règles plus strictes qui interdisent un
comportement unilatéral d’une entreprise44. Cette formule est le résultat de la résistance de l’Allemagne à la proposition de la Commission en faveur de l’introduction
du principe de primauté absolue pour les comportements unilatéraux également.
En effet, l’Allemagne connaît des règles détaillées qui jouent un rôle important sur
le contrôle du pouvoir économique « relatif » (relative Marktmacht) en dessous du
seuil d’une position dominante45. Dès lors, il faudra voir si l’Allemagne, un beau
jour, harmonisera aussi ses règles sur les comportements unilatéraux en les adaptant
aux principes européens.
3.6 Mesures pour promouvoir une harmonisation « souple »
du côté européen
L’harmonisation souple n’est pas seulement opérée par l’action des États membres
suite à la décentralisation de l’application des règles européennes. La Commission
s’est également rendu compte que la centralisation pose des défis pour l’application uniforme du droit de l’UE. Ce souci explique pourquoi la Commission a pris
des mesures spécifiques pour garantir cette application uniforme qui, en même
temps, favorise une harmonisation souple du droit de la concurrence dans l’Union
européenne.
L’instrument le plus efficace est probablement l’établissement d’un Réseau
Européen de la Concurrence (REC)46. Le REC garantit surtout une poursuite plus
coordonnée des infractions dans le système décentralisé. Mais ce réseau a aussi un
l’usage de services ne suffirait pas ; v. CJUE, arrêt du 11 juillet 2006, affaire C-205/03 P, FENIN
contre Commission, Rec., 2006, p. I-6295, para. 25-26. La différence se manifeste surtout pour les
achats par les organismes publics qui, souvent, disposent d’un pouvoir de monopole sur les marchés.
44. Art. 3 para. 2, phrase 2 du règlement.
45. Relativement au contrôle des positions dominantes au sens propre, l’Allemagne a décidé d’harmoniser son droit avec les principes européens déjà en 1999. Cependant, il y a encore des différences.
Il existe surtout une présomption de dominance à partir d’une part de marché d’un tiers, laquelle
présomption, au moins théoriquement, peut faciliter l’application du droit allemand par rapport au
droit européen.
46. En anglais : European Competition Network (ECN). Une coopération entre les différentes autorités
nationales appliquant le droit européen est prévue par l’art. 11 du règlement n° 1/2003. V. aussi
http://ec.europa.eu/competition/ecn/index_en.html.
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L’effet harmonisateur se révèle encore plus clairement dans la réglementation
des procédures. Comme l’autorité allemande doit aussi appliquer les articles 101 et
102 TFUE, l’Allemagne a complètement harmonisé les règles procédurales applicables à la poursuite d’infractions avec les règles qui sont applicables à la procédure
devant la Commission européenne selon le règlement n° 1/2003.
296
Perspectives européennes sur la politique de la concurrence dans l’espace OHADA
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Un autre défi pour l’uniformité de l’application réside dans la nécessité d’appliquer une loi uniforme par des juges nationaux dans 27 États membres, avec un
nombre considérable de langues différentes. Le moyen classique du droit européen
pour répondre à ce défi est la possibilité de référer des questions d’interprétation
préjudicielles à la Cour de justice48. Le règlement n° 1/2003 y ajoute le droit de la
Commission d’intervenir dans des procédures judiciaires nationales relatives au
droit de la concurrence européen49. De plus, le règlement prévoit la possibilité pour
les juges nationaux de transmettre une question à la Commission européenne50.
Bien qu’il soit peu probable qu’un juge national préfère saisir la Commission d’une
question préalable plutôt que la CJUE, l’ensemble de ce système a certes le potentiel
de générer une plus grande convergence de la pratique, qui inclura aussi la pratique
relative au droit de la concurrence national.
La décentralisation a aussi changé le rôle des nombreuses lignes directrices de
la Commission européenne. Autrefois, les lignes directrices servaient à informer les
entreprises des principes d’application du droit de la concurrence par la Commission
elle-même pour créer plus de sécurité juridique. Aujourd’hui, elles servent aussi
comme instrument de persuasion envers les institutions nationales. La Commission
espère que les institutions nationales appliqueront la politique de la concurrence établie dans les lignes directrices. Grâce à leur caractère plus économique que normatif,
elles ont le pouvoir d’influencer l’application non seulement du droit européen mais,
surtout à long terme, aussi du droit national51.
47. « Programme modèle du REC en matière de clémence », disponible sur : http://ec.europa.eu/
competition/ecn/model_leniency_fr.pdf.
48. Art. 267 TFUE.
49. Art. 15, para. 3, du règlement.
50. Art. 15, para. 1, du règlement.
51. Un bon exemple est fourni par les lignes directrices sur l’application de l’art. 81, para. 3, du traité,
publiées justement avant l’entrée en vigueur du règlement n° 1/2003. V. Communication de la
Commission – Lignes directrices concernant l’application de l’art. 81, para. 3, du traité, J.O. C
101 du 27 avril 2004, p. 97. para. 4 : « Les présentes lignes directrices exposent l’interprétation selon
laquelle la Commission donne aux conditions de l’exécution contenues dans l’article 81, paragraphe
3. Elles fournissent ainsi des orientations sur la manière dont elle appliquera cette disposition dans
des cas individuels. Bien que ces lignes directrices ne soient pas contraignantes pour les juridictions
et les autorités des États membres, elles ont aussi pour objet de leur fournir des orientations pour
l’application de l’article 81, paragraphes 1 et 3, du traité. »
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impact énorme sur l’harmonisation générale de la pratique des autorités nationales.
On ne doit surtout pas sous-estimer les effets harmonisateurs des contacts étroits et
des débats communs sur des thèmes multiples entre les autorités de contrôle des États
membres et l’Union européenne. Il y a aussi des projets très concrets du réseau qui
aboutissent instantanément à une harmonisation de la pratique. Le meilleur exemple
est peut-être le programme modèle du REC qui a pour but d’harmoniser les régimes
de clémence des autorités de contrôle47.
Perspectives européennes sur la politique de la concurrence dans l’espace OHADA
297
4 CONCLUSIONS POUR L’OHADA
Quelles leçons pourrait-on tirer de l’analyse précédente sur l’expérience européenne
pour définir le rôle de l’OHADA dans le domaine du droit de la concurrence ? Il ne
s’agit certainement pas de copier simplement le modèle européen en vue de l’appliquer à l’Afrique. Comme points de départ, plusieurs facteurs devront être pris en
compte pour définir ce rôle. Ces facteurs sont :
(i) le cadre juridique de l’OHADA,
(ii) l’émergence de plusieurs systèmes de concurrence supranationaux dans la
région (UMEOA, CEDEAO, CEMAC),
(iii) l’absence relative de commerce entre les États membres de l’OHADA et
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L’analyse de la situation dans l’Union européenne met en relief plusieurs options
pour une politique de la concurrence de l’OHADA :
La première option serait la création d’une loi uniforme pour le droit de la
concurrence. Cette approche serait en conformité avec le traité OHADA. Mais, en
droit de la concurrence, une loi sur le droit substantiel ne suffit pas. Il faut aussi
offrir un cadre institutionnel – supranational ou national – qui garantisse l’application efficace du droit de la concurrence. L’expérience de l’OHADA se limite à la
création du droit substantiel. Jusqu’à présent, l’OHADA ne dispose pas d’organes
d’exécution adéquats qui pourraient agir en tant qu’autorité de contrôle.
La deuxième option consisterait donc en la création d’un système d’application
supranationale. L’établissement d’une « nouvelle » autorité de contrôle supranationale au sein de l’OHADA garantirait une application plus efficace. Pourtant, une telle
application ne serait pas en conformité avec le traité OHADA, qui permet seulement
la création de lois uniformes substantielles. D’ailleurs, étant donné la multiplicité
de systèmes d’intégration économique qui existent déjà à l’intérieur de l’espace
OHADA et qui ont légiféré en droit de la concurrence, la mise en place d’un système
additionnel de concurrence qui crée non seulement des règles substantielles, mais
aussi une autorité de contrôle supranationale ne semble guère souhaitable.
La troisième option consiste dans le rapprochement des droits nationaux. Cette
approche répondrait au besoin de décentraliser la politique de la concurrence et d’établir des politiques nationales qui seraient plus susceptibles de créer une culture de la
concurrence au niveau national. Bien que l’option de rapprocher les droits nationaux
par l’OHADA serait plus en conformité avec son traité, il faut constater que les effets
bénéfiques d’une politique de rapprochement seront très limités sans un système de
contrôle centralisé au niveau régional. De plus, une approche de l’harmonisation
des normes juridiques serait aussi insuffisante du point de vue substantiel. En droit
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(iv) les particularités socio-économiques et politiques dans les États africains
subsahariens qui requièrent l’adaptation de la politique de la concurrence aux
spécificités locales.
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Perspectives européennes sur la politique de la concurrence dans l’espace OHADA
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En quatrième option, le seul rôle que nous pouvons imaginer pour l’OHADA
pour promouvoir le développement du droit de la concurrence en Afrique consiste
en une harmonisation « souple ». L’harmonisation souple nous semble offrir trois
avantages. Premièrement, dans la situation actuelle, caractérisée par une multitude
de systèmes nationaux qui s’occupent du droit de la concurrence et quelques droits
nationaux en Afrique francophone, l’harmonisation souple peut avoir des effets
bénéfiques sur les droits supranationaux et nationaux qui existent ou qui sont en train
d’émerger à l’heure actuelle. Deuxièmement, en répondant à un tel rôle, l’OHADA
pourrait contribuer à la création d’une politique de la concurrence qui réponde mieux
aux besoins des économies en voie de développement en Afrique. Troisièmement,
pour transposer une telle politique de la concurrence, des règles contraignantes ne
sont guère souhaitables. Bien au contraire, pour avoir un impact sur les différents
systèmes d’intégration économique à l’intérieur de l’espace OHADA, l’approche
consistant en des recommandations qui se pencheraient surtout sur les aspects économiques de la politique de la concurrence en Afrique et qui se caractériseraient par
une grand souplesse nous semble préférable à toute autre approche qui ne pourrait
que créer un autre système de droit de la concurrence supranationale. Ce qui manque
avant tout en Afrique, c’est un centre de recherche qui promeut une politique de
la concurrence conçue pour l’Afrique. L’OHADA pourrait jouer un tel rôle surtout
pour les pays francophones.
5 CONCLUSIONS POUR L’UNION EUROPÉENNE
La question qui se pose n’est pas seulement celle de savoir comment l’OHADA
devrait se définir par rapport à la politique et au droit de la concurrence. L’Union
européenne elle-même joue un rôle extrêmement important dans le développement
du droit de la concurrence en Afrique par sa politique de commerce extérieur. Dans
le cadre des négociations d’accords de partenariat économique qui se déroulent
actuellement entre l’Union européenne, d’une part, et différents groupes de pays en
développement, d’autre part, l’Union européenne essaie d’obliger les pays en développement d’introduire des droits de la concurrence et même d’établir des régimes
supranationaux. Dans cette lancée, l’Union européenne a déjà réussi à inclure des
obligations relatives à la politique de la concurrence dans le premier accord signé,
notamment celui avec les pays des Caraïbes (UE-CARIFORUM APE)52.
52. V. Accord de partenariat économique entre les États du Cariforum, d’une part, et la Communauté
européenne et ses États membres, d’autre part, J.O. L 289/1/3 du 30 octobre 2008. L’accord a été
signé le 15 octobre 2008. Texte disponible sur : http://ec.europa.eu/delegations/haiti/documents/
eu_haiti/texte%20ape_139515.pdf.
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de la concurrence, ce n’est pas tellement la loi écrite qui compte, mais sa mise en
œuvre. Les règles normatives en droit de la concurrence peuvent être très similaires
dans différentes législations, toutefois la pratique de la politique de la concurrence
peut varier considérablement.
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On peut croire que l’Union européenne, dans sa politique de promotion de
systèmes de concurrence dans les pays en développement, soit effectivement
convaincue que cette politique serve le développement durable pour les pays partenaires. À cet égard, il nous semble néanmoins que l’Union européenne applique une
approche trop simpliste, en exportant le concept d’une politique de la concurrence
basée sur l’idée d’une intégration économique. Ce concept a eu un grand succès en
Europe. Mais il faut aussi tenir compte des circonstances particulières des différentes
régions des Caraïbes, de l’Afrique et du Pacifique ; des objectifs divergents d’un droit
de la concurrence supranational dans un environnement de sous-développement
avec toutes ses contraintes ; de l’application d’un tel système dans le contexte de
l’économie mondialisée et des facteurs économiques, politiques et socio-culturels
locaux. Une politique européenne qui tente purement d’exporter le modèle européen risque de manquer l’objectif principal qui consiste à établir des systèmes de
concurrence opérationnels, qui servent le développement économique durable et la
promotion de l’intégration équitable des économies en voie de développement dans
l’économie mondialisée53. Surtout, l’Union européenne, dans sa politique de commerce internationale, ne doit pas répéter l’erreur qu’elle a commise dans le cadre de
l’OMC, après la Conférence ministérielle de Singapour en 1996, avec la proposition
d’un droit de la concurrence international qui fonctionne uniquement comme un
moyen d’ouverture des marchés des pays en développement en faveur des grandes
entreprises venant des pays développés. À juste titre, les États africains, surtout, se
sont opposés aux propositions européennes lors de la Conférence ministérielle de
Cancún en 200354, ce qui a abouti à l’exclusion de la thématique de la concurrence
des négociations au sein de l’OMC en 200455. Espérons que les accords de partenariat économique ne se révèlent pas être des instruments bilatéraux qui remplacent
simplement la politique multilatérale ratée de l’Union européenne.
53. V. aussi J. Drexl, « Le droit de la concurrence international, menace ou gardien des droits de
l’homme ? », in L. Boy, J.-B. Racine & F. Siirinainen (dir.), Droit économique et droits de l’homme,
Bruxelles, Larcier, 2009, p. 335, où nous expliquons qu’un droit de la concurrence international doit
se baser sur les principes constitutionnels d’égalité. Dans cette perspective, nous recommandons de
préférer un droit de la concurrence qui transpose les principes des marchés ouverts à un droit qui
ne suit que le concept étroit de l’efficience économique.
54. V. aussi J. Drexl, « International Competition Policy After Cancún : Placing a Singapore Issue on
the WTO Development Agenda », Competition World, 27, 2004, p. 419.
55. Par ceci, nous ne voulons pas dire que l’OMC n’a pas besoin d’un droit de la concurrence pour
équilibrer ses autres régimes juridiques sur le libre-échange de marchandises et de services et sur
la protection de la propriété intellectuelle. Sur ce besoin d’introduire un droit de la concurrence
au sein de l’OMC, v. W. Abdelgawad, « Les règles de concurrence dans les accords de l’OMC : le
déséquilibre d’un système de libre-échange sans police des marchés », in W. Abdelgawad (dir.),
Mondialisation et droit de la concurrence, Paris, Litec, 2008, p. 237. Une alternative pour un droit
de l’OMC est proposée par Drexl, op. cit. (note 54), pp. 437-456. Par rapport à la propriété intellectuelle v. aussi J. Drexl, « Intellectual Property and Competition : Sketching a Competition-Oriented
Reform of TRIPS », in A Bakardjieva Engelbrekt, U. Bernitz, B. Domeij, A. Kur & P. J. Nordell
(dir.), Festskrift till Marianne Levin, 2008, Stockholm, Norstedts Juridik, p. 261.
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Perspectives européennes sur la politique de la concurrence dans l’espace OHADA
Perspectives européennes sur la politique de la concurrence dans l’espace OHADA
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Concernant les États des Caraïbes, l’accord de partenariat prévoit même l’établissement d’une Commission de la concurrence pour les pays du Marché commun
des Caraïbes (CARICOM), qui a été établie à Paramaribo, la capitale du Suriname,
en 200856. Mais, à vrai dire, l’idée de créer ce droit de la concurrence supranational,
muni d’une autorité communautaire, n’a pas été lancée par l’Union européenne. Ce
nouveau système est déjà envisagé par le Traité révisé de Chaguaramas de 200157.
Ce qui reste plutôt criticable est la politique de l’Union européenne de « regroupement géographique », selon laquelle l’Union définit les groupes d’États de manière
unilatérale, avec lesquels sont négociés des accords de partenariat sans beaucoup
tenir compte des conflits possibles parmi ces États. Pour la région des Caraïbes, cette
politique européenne a même conduit à la mise en place d’une nouvelle organisation
sous le nom de « CARIFORUM », qui inclut non seulement les États membres du
CARICOM, mais aussi la République dominicaine58. Le CARIFORUM a été fondé
seulement pour constituer une entité qui peut gérer les négociations des États des
Caraïbes avec l’Union européenne. Dès la conclusion de l’accord de partenariat, la
discussion au sein du CARICOM est dominée par la question de savoir si l’accord
de partenariat a obligé les Bahamas, État membre du CARICOM depuis 1983, à
signer le Traité révisé de Chaguaramas, bien que ce pays, du point de vue culturel
et économique, soit beaucoup plus attaché aux États-Unis. En effet, l’accord de
partenariat semble accepter seulement deux autorités de contrôle, notamment la
Commission de la concurrence du CARICOM et l’autorité nationale de la République dominicaine59.
Ainsi, en ce qui concerne l’Afrique, cette politique européenne de « regroupement géographique » pourrait aussi priver les États africains de leur décision
souveraine de rejoindre un certain système d’intégration régionale ou bien de rester
membre d’un tel système. En effet, l’Union européenne a regroupé les États africains
en cinq régions qui ne coïncident pas entièrement avec les organisations d’intégration
existantes et qui disposent déjà d’une politique de la concurrence régionale ou qui
sont en train d’introduire une telle politique60. Un des cas les plus intéressants est
56. Informations disponibles sur : http://www.CARICOM.org/jsp/community/competition_commission.jsp.
57. Revised Treaty of Chaguarams Establishing the Caribbean Community de 2001, disponible sur:
http://www.CARICOM.org/jsp/community/revised_treaty-text.pdf. Ce traité remplace le premier
traité de Chaguaramas de 1973. Le nouveau traité prévoit l’établissement d’un « marché et économie
unique » (« single market and economy ») pour les États du CARICOM.
58. Informations disponibles sur: http://www.crnm.org/index.php?option=com_content&view=article
&id=276&Itemid=76.
59. L’art. 125 n° 1 de l’accord prévoit: « Aux fins du présent chapitre, on entend par : 1. “autorité de la
concurrence”, pour la partie CE, la Commission européenne et, pour les États du CARIFORUM,
selon le cas, l’une des deux ou les deux autorités de la concurrence suivantes : la commission de
la concurrence de la CARICOM et la Comisión Nacional de Defensa de la Competencia de la
République dominicaine. »
60. Ces cinq régions africaines sont :
(i) l’Afrique australe : l’Afrique du Sud, l’Angola, le Botswana, le Lesotho, la Namibie, le
Mozambique et le Swaziland ;
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En conclusion, nous souhaitons formuler trois recommandations sur la politique
européenne :
Premièrement, l’Union européenne devrait réorienter sa politique de commerce
extérieur pour autant que le droit de la concurrence soit concerné. En Afrique, comme
dans les autres pays en développement, l’Union européenne devrait promouvoir un
concept du droit de la concurrence qui se concentre sur la protection du processus
concurrentiel dans les marchés pertinents dans une perspective de marchés ouverts et
qui protège les intérêts des consommateurs ainsi que les opportunités économiques
des entreprises locales. Surtout, il ne faut pas utiliser le droit de la concurrence
comme simple instrument d’ouverture des marchés des États africains en faveur
des grandes entreprises de l’étranger.
Deuxièmement, l’Afrique n’a pas besoin d’une nouvelle géographie d’intégration imposée par les Européens. Déjà à l’heure actuelle, on a l’impression que
la situation en Afrique est caractérisée par trop d’initiatives d’intégration qui ne
peuvent que provoquer des conflits juridiques et institutionnels. À long terme, une
consolidation sera certes requise. Mais c’est aux États africains de définir leur propre
géographie d’intégration.
(ii) l’Afrique orientale et australe : les Comores, le Djibouti, l’Érythrée, l’Éthiopie, Madagascar,
le Malawi, l’Île Maurice, les Seychelles, le Soudan, la Zambie et le Zimbabwe ;
(iii) l’Afrique de l’Est avec les cinq États de la Communauté d’Afrique de l’Est (le Burundi, le
Kenya, l’Ouganda, le Rwanda et la Tanzanie) ;
(iv) l’Afrique de l’Ouest avec les 15 États de la CEDAO et la Mauritanie ;
(v) l’Afrique centrale avec les six États de la CEMAC ainsi que la République démocratique du
Congo et São Tomé et Príncipe.
61. La politique européenne fait penser au tracé des frontières en Afrique à l’ère coloniale. Cependant,
nous ne voulons pas accuser l’Union européenne d’être responsable d’une nouvelle colonisation
en Afrique.
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peut-être celui de la région ouest-africaine pour laquelle l’Union européenne ajoute
la Mauritanie, pays avec une culture bien différente, aux 15 États de la CEDEAO. Et
on peut se poser la question de savoir pourquoi le Zimbabwe est mis dans un groupe
avec l’Éthiopie et le Soudan, tandis que des pays voisins comme le Mozambique
et l’Afrique du Sud, qui sont fort importants pour le commerce extérieur du Zimbabwe, se trouvent dans un autre groupe. Cette politique européenne, qui consiste
à vouloir créer une nouvelle géographie économique pour l’Afrique, peut avoir des
conséquences néfastes aussi à l’égard de la politique de la concurrence. À l’heure
actuelle, les États africains semblent encore tester l’efficacité de la coopération
dans le domaine de la concurrence au sein de différentes organisations d’intégration
parfois concurrentes et, quelquefois, deviennent même membres de plusieurs de ces
organisations. Pour le moment, cette stratégie crée des problèmes complexes mais,
à long terme, elle peut aussi apporter des bénéfices considérables en identifiant le
système de politique de la concurrence le plus efficace. Cette stratégie ne serait plus
possible selon la géographie imposée par les Européens61.
Perspectives européennes sur la politique de la concurrence dans l’espace OHADA
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Troisièmement, l’Union européenne ferait mieux de contribuer à la tâche
majeure du développement de la politique de la concurrence en Afrique, laquelle est
largement ignorée à cause de la focalisation des débats sur le système d’intégration
adéquat et les questions institutionnelles. Dans cette optique, elle devrait contribuer
au développement d’une politique de la concurrence qui réponde aux circonstances économiques, politiques et socioculturelles des pays africains. Pour l’Union
européenne, il ne suffit pas de recommander simplement aux nouvelles autorités
africaines de suivre les lignes directrices de la Commission européenne. L’Union
européenne devrait plutôt promouvoir un « centre de politique de la concurrence en
Afrique » avec un siège en Afrique même et muni d’experts africains. Un tel centre
pourrait s’engager dans l’analyse de la pratique de la concurrence émergente aux
niveaux nationaux et supranationaux, et pourrait produire des documents sur des
thèmes spécifiques de la politique de la concurrence. De la même manière que
l’harmonisation « souple » du droit de la concurrence en Europe, ces documents
pourraient être utilisés aux différents niveaux de la mise en œuvre des droits de la
concurrence nationaux et supranationaux en Afrique pour finalement aboutir à une
pratique de la concurrence proprement « africaine ».
6 CONCLUSION GÉNÉRALE
Notre dernière recommandation concernant la politique européenne coïncide avec
le rôle que nous venons d’envisager pour l’OHADA (partie 5 de notre analyse).
L’OHADA offre d’ores et déjà un cadre d’experts africains en droit des affaires
auxquels pourrait s’ajouter un centre d’experts de politique de la concurrence. Elle
a l’avantage d’être un organisme établi et reconnu surtout dans les pays de l’Afrique
francophone. Elle offre aussi la possibilité de lier les deux systèmes d’intégration
économique de langue française en Afrique, notamment ceux de l’UEMOA et de la
CEMAC. Une autre question est celle de savoir si un tel centre d’expertise au sein
de l’OHADA pourrait aussi s’ouvrir à l’ensemble des États africains, y compris les
États anglophones et lusophones.
Cependant, nous souhaitons aussi clarifier le fait que nos propositions concrètes
sur l’OHADA et sur l’Union européenne ne constituent pas forcément la partie la
plus importante de notre analyse. Ce qui importe le plus, c’est de comprendre que
l’Afrique n’a pas besoin d’un autre système supranational qui s’occupe du droit de la
concurrence, mais plutôt d’un centre d’expertise qui a la capacité de promouvoir une
politique de la concurrence propre pour l’Afrique et dont les documents pourraient
être mis en œuvre par un processus d’harmonisation souple aux différents niveaux
d’application des droits de la concurrence nationaux et supranationaux. De même,
nous ne voulons pas trop nous exprimer en faveur d’un financement d’un tel centre
par l’Union européenne, étant donné que sa politique sera toujours influencée par
ses propres intérêts commerciaux. Ce qui importe avant tout, c’est d’analyser la
politique européenne vis-à-vis de l’Afrique en distinguant entre ce que l’Union ne
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devrait pas faire, d’une part, et ce que l’Union pourrait faire pour promouvoir la
politique de la concurrence en Afrique, d’autre part.
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OHADA, the Organisation for the Harmonization of Business Law in Africa, has a
long tradition in drafting uniform business laws for the French speaking countries
of West and Central Africa. However, OHADA has so far not addressed the topic of
competition law, although several regional economic integration systems in Africa
have already supranational competition law in place, such as the competition law
of the French speaking West African Monetary and Economic Union (WAEMU), or
are about to draft and implement such laws.
This article discusses what role OHADA could play in the future in the field of competition law. It thereby adopts a European perspective by relying on the experience
of the European Union regarding harmonization of the domestic competition law
of its Members States.
As a basis for the analysis, the article first describes the advantages of having
competition law for African states in general. It identifies a dual, economic and
political, function of competition law. First, it helps to increase efficiency of the
African domestic economies and to protect these economies against restraints of
competition initiated in particular by multinational firms. Second, competition
policy should be part of a policy package of good governance that addresses problems of corruption and bid rigging in particular. The need for and the advantages
deriving from competition law as well as the institutional challenges are illustrated
by a discussion of the Tanzanian beer case, which was dealt with by the Tanzanian
Fair Trade Commission, but which would also have been a candidate for the new
regional competition law of the East African Community.
In the framework of the substantive analysis, the article first explains that the EU
and OHADA apply different concepts of harmonization. Whilst the EU uses the term
with regard to the approximation of domestic laws, OHADA adopts uniform laws
directly applicable in its Member States. Here, it may be surprising the the EU has
never obliged its Member States to harmonize their national competition laws. Yet,
in the framework of Regulation 1/2003, EU law has set up a decentralized procedural system that integrates the national authorities and courts for enforcing EU
competition law. It is this procedural approach that has most recently accelerated
a process of autonomous harmonization of domestic competition laws with the EU
standards. The article explains the reasons for this kind of “soft” harmonization
against the background of the decisions of the German legislature in reaction to the
adoption of Regulation 1/2003.
Then, the article discusses different options for OHADA to deal with competition
law in the future. Thereby, it rejects the classical approach of drafting a uniform
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SUMMARY: EUROPEAN PERSPECTIVES OF COMPETITION
LAW IN THE OHADA REGION
Perspectives européennes sur la politique de la concurrence dans l’espace OHADA
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competition law applicable in all OHADA Member States, the adoption of a supranational OHADA competition law, which would also include the creation of an OHADA
competition authority as well as the approximation of the domestic competition laws
of the Member States. Rather, it proposes an approach of “soft harmonisation” This
approach would consist in the development of non binding recommendations on
competition policy issues, which could be followed by any, domestic or regional,
competition authority and would take into account the specific socio-economic
situation as well as the need for sustainable development and for integrating the
sub-Saharan countries in the world economy.
Finally, the article criticizes the current EU policy of exporting competition law
in the framework of its negotiations of Economic Partnership Agreements with the
developing countries in particular. Instead of promoting regional competition law,
which might easily involve “regional reorganisation”, the article recommends the
EU to support the creation of an African competition policy centre that would be
able to work on policy guidelines in view of developing an African competition
policy. Whether, however, the financing of such a centre should come from the EU
and whether this centre should be established as part of the OHADA institutional
framework are purely secondary questions.
Mots clés : OHADA, Afrique, droit de la concurrence, droit des affaires, intégration
régionale, harmonisation, Union européenne
Keywords: OHADA, competition law, business law, regional integration, harmonisation, Europa Union
Subject Descriptors (Econlit Classification System): F130 ; F150 ; K 200 ; L400
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