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Ainsi donc, l’objet d’étude, la matière première de l’herméneutique littéraire est le texte, en tant que
discours fixé par l’écriture. Dans cette approche littéraire du texte, ce qui est important, c’est le texte lui-
même dans sa nudité. Toute référence du texte est « interceptée », c’est-à-dire voilée, cachée, oblitérée.
L’arrière-monde du texte, la référence n’est pas recherchée, non pas volontairement, mais par l’absence de
l’auteur et des circonstances de rédaction. Car, comme le dit Paul Ricœur, dès l’instant que le texte s’institue
comme texte, le mouvement de la référence vers la monstration se trouve intercepté, en même temps que
le dialogue se trouve interrompu par le texte. Les évènements circonstanciels de rédaction du texte sont
absents. Ils ne peuvent exister que par le dialogue avec l’auteur. Par-là, ce qui se présente au lecteur, à
l’herméneute, c’est l’écrit. Et la démarche face à cette textualité est proprement linguistique. Alors, nous
pouvons nous demander, en quoi consisterait justement cette démarche linguistique de l’herméneutique
littéraire ?
Il faut noter que, tout écrit, tout texte possède en soi un vouloir-dire, une manifestation cachée de
l’intention originelle de l’auteur. La distanciation qui nous sépare de l’auteur, rend difficile ce contact
directe avec lui. Ainsi l’herméneutique littéraire, ne cherchera pas à réveiller ce contact, ce dialogue avec
l’auteur, mais analysera le texte tel qu’il se présente à nous. C’est une analyse linguistique, voire
sémantique, sémiologique, avec les méthodes, les techniques d’analyses du langage. En fait, c’est expliquer
le texte à partir de sa structure. Et pour Paul Ricœur, « ce comportement explicatif, à la différence de ce
que pensait Dilthey, n’est aucunement emprunté à un autre champ de connaissance et à un autre modèle
épistémologique que celui du langage lui-même »
. Pour cela, les mots cessent de s’effacer devant les
choses, devant leurs désignations. Les mots écrits deviennent mots pour eux-mêmes. Ainsi, l’analyse
sémantique constitue l’objectivité même du texte, et que Paul Ricœur structure en quatre petits points. A
savoir, la fixation de la signification, la dissociation du texte d’avec l’intention de l’auteur, le déploiement
de références non ostensives, et l’éventail universel de ses destinataires. De cette situation littéraire, le texte
s’ouvre ainsi aux autres œuvres littéraires, aux autres récits. Ce rapport de texte à texte, dans l’effacement
du monde sur quoi parle l’auteur, engendre le monde de la littérature. De ce statut épistémologique,
l’herméneutique littéraire, dans son approche analytique, fait appel à l’imagination et à la créativité de
l’herméneute. Ce caractère imaginaire est le propre de l’herméneutique littéraire, et qui fait advenir un
monde propre à la littérature, avec son langage, ses mondes imaginaires qui stimulent et fascinent par la
beauté qu’elles présentent.
En somme, nous pouvons dire que, l’herméneutique littéraire a pour démarche d’analyse,
l’explication par les procédés linguistiques. Sa méthode s’arrête au niveau de la clarification des textes.
Cependant, si l’herméneutique littéraire a pour démarche, l’explication linguistique des récits, qu’en est-il
de l’herméneutique philosophique ?
Paul RICOEUR, Du texte à l’action, Essais d’herméneutique II, Paris, Du Seuil, 1986, p. 146.