Stilling-Duane-Türk. Depuis les descriptions initiales, la littéra-
ture concernant ce syndrome a été abondante, et seuls les
progrès de l’imagerie cérébrale (imagerie par résonance magné-
tique [IRM]) ont permis récemment de proposer une explication
physiopathologique univoque
[6]
à ce tableau clinique détaillé
depuis environ un siècle.
■Épidémiologie
La fréquence du syndrome de Duane dans la population
strabique est estimée à 1-4 %
[7-9]
. Il est classiquement admis
que le syndrome de Duane est plus fréquent du côté gauche, et
plus fréquent chez la femme
[4]
. Les formes bilatérales sont plus
rares que les formes unilatérales. La plupart des études trouvent
des résultats similaires concernant le sexe et la latéralité
(Tableau 1).
■Physiopathologie
La physiopathologie du syndrome de Duane a été l’objet de
conjectures pendant presque un siècle. Des anomalies structu-
relles ont été invoquées par les premiers auteurs : anomalies de
l’insertion du droit médial (dont l’insertion postérieure majore-
rait l’effet rétracteur, qui est minime physiologiquement),
manque d’élasticité du droit latéral ; les phénomènes verticaux
étaient attribués à une hyperaction de l’oblique inférieur (qui
compenserait le déficit d’abduction du droit latéral), etc.
L’hypothèse « dysinnervationnelle », suspectée sur des
arguments électromyographiques et anatomopathologiques, a
bénéficié des progrès de l’imagerie médicale et tout particuliè-
rement de l’IRM. Elle est aujourd’hui celle qui est retenue pour
rendre compte de l’ensemble du syndrome de Duane
[4, 11]
.La
forme la plus fréquemment rencontrée (type I) est due à une
agénésie de la 6
e
paire crânienne, dont le tronc ne serait jamais
visible en IRM
[6]
. Une innervation aberrante du droit latéral est
alors assurée par un rameau de la 3
e
paire crânienne (« compé-
tition » entre le III et le VI) (Tableau 2), avec pour conséquence
le déficit d’abduction (absence de stimulus du droit latéral par
les branches du VI) et une diminution de la fente palpébrale en
adduction, secondaire à l’énophtalmie due à la cocontraction
des droits médial et latéral, tous deux innervés par les rameaux
de la banche inférieure du III. Dans les syndromes de Duane de
types II et III, les tableaux moteurs sont différents en raison de
la variation de la quantité d’innervation aberrante se répartis-
sant entre les droits horizontaux en provenance du III et du VI.
En effet, dans une étude de 2005, Kim et al. ont rapporté que
le tronc du VI était visible en IRM dans tous les cas de syn-
drome de Duane de type II (ou l’abduction est bonne mais
l’adduction limitée), mais seulement dans une partie des cas de
type III (dont la motilité est variable, probablement en raison
d’innervations aberrantes croisées du III vers le droit latéral et
éventuellement du VI vers le droit médial)
[6]
.
Les anomalies musculaires rencontrées éventuellement au
cours des chirurgies oculomotrices (fibrose musculaire) pour-
raient s’expliquer par l’autonomisation anatomique de contrac-
tures secondaires aux anomalies d’innervation. Les troubles
verticaux, quant à eux, seraient à relier à des troubles d’inner-
vation sur les muscles ayant des actions verticales, ou à des
effets de bride dus aux muscles horizontaux ne se relâchant pas
normalement.
Le syndrome de Duane est donc à considérer comme une
pathologie de l’innervation des muscles oculomoteurs droits
horizontaux par leurs nerfs respectifs, le III innervant anorma-
lement le droit latéral, le VI pouvant faire défaut (tous les
types I et certains types III), ou être présent (tous les types II et
certains types III) (Fig. 1).
La cause initiale du syndrome serait donc souvent une
agénésie au moins partielle au niveau du noyau du VI. Une
anomalie survenant au cours de son développement (entre 4
e
et
8
e
semaine de gestation) en serait responsable ; elle pourrait
avoir une cause génétique (comme en attestent les formes
familiales du syndrome et les résultats des recherches généti-
ques), ou toxique (cas rapportés après administration de
thalidomide pendant la grossesse), mais dans la majorité des cas
le syndrome est sporadique, sans cause retrouvée
[4, 10-12]
.
Miller a récemment rapproché le syndrome de Duane des
fibroses oculomotrices congénitales (qui semblent en fait
souvent secondaires à des agénésies des noyaux oculomoteurs),
les classant au sein d’un cadre nosologique intitulé Congenital
Cranial Dysinnervation Disorders (CCDDs)
[11]
.
■Hérédité et génétique
La possibilité d’un facteur génétique associé au syndrome de
Stilling-Duane a été une éventualité envisagée dès la fin du
XIX
e
siècle. Si la grande majorité des syndromes de Stilling-
Duane sont sporadiques, l’incidence des cas s’intégrant dans
une histoire familiale est d’environ 20 % (5%à23%)
[10]
.
Plusieurs locus ont été identifiés : DURS 1 (pour Duane Retraction
Syndrome 1), en 8q13, et surtout DURS en 2q31. Le locus
DURS 1 a été identifié comme codant une carboxypeptidase
jouant un rôle possible dans le développement des muscles
oculomoteurs et de leur innervation (cette enzyme est connue
pour avoir d’importantes fonctions régulatrices dans le processing
des protéines et des peptides au niveau du système nerveux
central)
[13-15]
. Le locus de DURS 2 a été très étudié, car retrouvé
dans une famille de 188 membres, originaire d’Oaxaca au
Mexique
[16-19]
, chez qui existait une forme héréditaire de
syndrome de Duane autosomique dominante (25 membres
atteints). Le locus DURS 2 contient un groupe de gènes appelé
homeobox d gene cluster, qui sont des gènes de contrôle du
développement qui régulent la morphogenèse et la différentia-
tion cellulaire chez l’animal. Ce groupe de gènes est notamment
nécessaire au développement normal de la tête, du tronc
cérébral et des structures associées, ce qui en fait des gènes
candidats importants pour le syndrome de Stilling-Duane.
Le troisième locus dont la liaison avec le syndrome de Duane
est la plus documentée porte un gène de la famille SALL, SALL4
Tableau 1.
Distribution (sexe et latéralité) de 835 patients atteints de syndrome de
Duane (d’après
[10]
).
Femmes Hommes Œil gauche Œil droit Bilatéralité
58 % 42 % 59 % 23 % 18 %
Tableau 2.
Synthèse des formes cliniques de syndrome de Stilling-Duane (d’après
[12]
).
Anomalie innervationnelle Œil atteint : abduction Œil atteint : adduction
Type I Innervation aberrante du droit latéral par le
III : fibrose du droit latéral
Co-inhibition du droit médial
+ latéral : pas de mouvement
Cocontraction du droit médial et du droit latéral :
adduction + rétraction du globe
Type II Innervation double du droit latéral par le III
et le VI : droit latéral fonctionnel
Contraction isolée du droit latéral :
abduction
Cocontraction du droit médial et du droit latéral : pas de
mouvement + rétraction du globe
Type III Innervation ± égale du droit médial et du
droit latéral par le III : ± fibrose des deux
muscles
Co-inhibition du droit médial
+ latéral : pas de mouvement
Cocontraction du droit médial + latéral : pas de
mouvement + rétraction du globe
Type IV Innervation des deux muscles par le III, mais
prédominante pour le droit latéral
Co-inhibition du droit médial
+ latéral : pas de mouvement
Contraction du droit latéral : divergence synergique
21-550-A-14
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Syndromes de Stilling-Duane
2Ophtalmologie