La pathophysiologie du syndrome de Duane: les implications des nouvelles images IRM et une nouvelle approche chirurgicale Cameron F. Parsa, M.D. Wilmer Ophthalmological Institute Johns Hopkins University School of Medicine La présentation mise à votre disposition n'a pas fait l'objet d'une relecture par le comité scientifique de l'AFS et n'engage que la responsabilité de son auteur. Duane syndrome Le syndrome de Stilling-Türk-Duane Décrit en 1887 par Stilling, en 1889 par Türk, et puis plus en détail par Duane en 1905, ce syndrome est caracterisé par une abduction et une adduction limitée, avec rétraction du globe et un rétrécissement de la fente palpébrale dans les tentatives d’adduction. Les premières théories avaient attribué la sémiologie clinique à une fibrose essentielle du muscle droit externe, ou bien à une double insertion du muscle droit interne. En 1965, Hoyt and Nachtigaller ont émis l’hypothèse selon laquelle l’étiologie serait dûe à une absence ou à une hypoplasie congénitale du sixième nerf crânien. En conséquence, l’innervation du muscle droit externe se ferait par une branche du troisième nerf crânien qui normalement devait innerver le muscle droit interne uniquement. Hoyt WF, Nachtigaller H. Anomalies of ocular motor nerves. Neuroanatomic correlates of paradoxical innervation in Duane’s syndrome and related congenital ocular motor disorders. Am J Ophthalmol 1965; 60:443-8. Subdivisions du syndrome de Duane Des subdivisions en syndrome de Duane types 1, 2 et 3 ont été crées plus tard par Huber. Ces types représentent des différences de proportion d’innervation et de force produite par le muscle droit externe par rapport au muscle droit interne. Huber A. Electrophysiology of the retraction syndromes. Br J Ophthal 1974; 58: 293-300. 1 Syndrome de Duane type 1 Quand le muscle droit externe ne reçoit que peu de fibres du troisiéme nerf crânien, la force developpée par le muscle droit interne est superieure a celle du muscle droit externe. L’œil peut encore aller en adduction avec une limitation minime, tandis que le globe se retracte dans l’orbite. Si les muscles droits interne et externe reçoivent un même nombre de fibres nerveuses, les forces produites se neutralisent. Le globe ne pourra aller ni en adduction, ni en abduction, mais uniquement se retracter dans l’orbite. Syndrome de Duane type 3 La divergence synergistique Si le muscle droit externe reçoit une plus grande innervation que le muscle droit interne, l’œil peut même diverger lors des tentatives d’adduction. Dans la version gauche, le muscle droit externe gauche est raide et tendu. La co-innervation produit une rétraction sans rotation du globe. La divergence synergistique Cependant, ce phénomène est observé plus fréquemment après recul excessif du muscle droit interne chez des patients avec syndrome de Duane de type 1. Ceci s’explique par la diminution du moment-force. Ce phénomène de disjonction oculaire, ou de divergence active, est parfois appelé “ocular splits” (Jampolsky). Syndrome de Duane type 2 Rarement rencontré, le syndrome de Duane type 2 est défini par un meilleur pouvoir d’abduction que d’adduction. Les patients sont souvent exotropiques. L’adduction est limitée par une co-innervation du muscle droit externe suffisante pour contrebalancer l’adduction par le droit interne, comme on le voit avec le syndrome de Duane type 3. 2 Syndrome de Duane Les “upshoots” et “downshoots” souvent observés, sont la conséquence d’un muscle droit externe contracté, raide et tendu, lequel bride l’œil lors des tentatives d’adduction. Jampolsky A. Strategies in strabismus surgery. In: Pediatric Ophthalmology and Strabismus. Transactions of the New Orleans Academy of Ophthalmology. New York: Raven Press; 1985. p. 363. Von Noorden GK. A magnetic resonance imaging study of the upshootdownshoot phenomenon of Duane's retraction syndrome. Am J Ophthalmol 1991; 112:358-9. Histopathologie La fibrose du muscle droit externe que Türk et d’autres auteurs ont d’abord cru la cause principale, s’est finalement révélée n’être présente que dans les parties non innervées du muscle. La fibrose du muscle est donc un phénomène secondaire, plutôt que primaire. L’hypothèse de Hoyt et Nachtigaller a été vérifiée par l’absence du sixième nerf crânien notée sur deux cas d’autopsie par Hotchkiss et par Miller et al. Hotchkiss MG, Miller NR, Clark AW, Green WR. Bilateral Duane syndrome. A clinico-pathologic case report. Arch Ophthalmol 1980;98:870-4. Miller NR, Kiel SM, Green WR, Clark AW. Unilateral Duane’s retraction syndrome (type 1). Arch Ophthalmol 1982;100:1468-72. En dépit de l’absence du sixième nerf crânien démontrée sur deux autres cas d’autopsies, Hickey WF, Wagoner MD. Bilateral congenital absence of the abducens nerve. Virchows Arch A Pathol Anat Histopathol 1983;402:91-8 Mulhern M, Keohane C, O’Connor G. Bilateral abducens nerve lesions in unilateral type 3 Duane’s retraction syndrome. Br J Ophthalmol 1994;78:588-91 quelques strabologues ont toujours cru que la fibrose musculaire pourrait suffire à expliquer le strabisme. De combien de preuves avait-on encore besoin? Il n’est pas facile d’obtenir des cas d’autopsies. Dèja, le Dr. Miller avait fait l’objet de plaisanteries en réussissant à obtenir deux cas d’autopsie consécutifs. Y avait-il d’autres moyens de vérifier? Entre le pont et le canal de Dorello, le sixième nerf crânien est à nu, sans être entouré de tissus mous, et donc décelable par l’IRM. 3 4 Syndrome de Duane L’ IRM s’est montrée suffisamment sensible pour détecter la présence ou l’absence, du sixième nerf crânien dans le syndrome de Duane. Parsa CF, Grant E, Dillon WP Jr, du Lac S, Hoyt WF. Absence of the abducens nerve in Duane syndrome verified by magnetic resonance imaging. Am J Ophthalmol 1998;125:399-401. Toutes les données histopathologiques et neuroradiologiques acquises chez ces six patients soutenaient l’idée selon laquelle le syndrome de Duane était dû à une absence congénitale du sixième nerf crânien. Ozkurt H, Basak M, Oral Y, Ozkurt Y. Magnetic resonance imaging in Duane’s retraction syndrome. J Pediatr Ophthalmol Strabismus 2003;40:19-22. Ont noté la présence duVI chez cinq des onze patients avec syndrome de Duane. Syndrome de Duane L’absence du sixième nerf crânien a été aussi demontrée chez un autre patient par l’IRM. Kamada Y, Tanaka YI, Watanabe A, Hata YI. MRI of Duane’s retraction syndrome; absence of the abducens nerve. Neuroophthalmol Jpn 2003;20:174-7. Une ancienne associée, Jeong-Min Hwang, a pu poursuivre l’étude IRM, à son retour en Corée, de façon systématique. Kim JH, Hwang JM. Presence of abducens nerve according to the type of Duane’s retraction syndrome. Ophthalmology 2005;112:109-13. Kim JH, Hwang JM. Presence of abducens nerve according to the type of Duane’s retraction syndrome. Ophthalmology 2005;112:109-13. Le sixième nerf crânien était toujours absent dans le syndrome de Duane type 1, toujours présent dans les cas de type 2, et cela variait dans les cas de type 3! 5 Syndrome de Duane de type 1 gauche Syndrome de Duane de type 2 gauche Comment peut-on expliquer ces résultats? Ozkurt et al: Existence d’autres causes de syndrome de Duane. Syndrome de Duane de type 3 gauche. Kim and Hwang: Une hypoplasie des branches du troisième nerf crânien qui innerve le muscle droit interne pourrait être la cause du syndrome de Duane types 2 et 3, sachant que ce nerf, entouré d’autres tissus, ne peut être vu en IRM. Pourtant l’hypothèse originelle de Hoyt et de Nachtigaller n’exigeait pas l’absence du sixième nerf crânien. La simple hypoplasie était suffisante. Dans les deux cas le muscle droit externe peut être co-innervé par des branches du troisième nerf crânien. Hoyt WF, Nachtigaller H. Anomalies of ocular motor nerves. Neuroanatomic correlates of paradoxical innervation in Duane’s syndrome and related congenital ocular motor disorders. Am J Ophthalmol 1965; 60:443-8. 6 Les études en EMG avaient déjà indiqué que le muscle droit externe pouvait avoir une double innervation dans le syndrome de Duane, type 2: Huber A. Electrophysiology of the retraction syndromes. Br J Ophthal 1974; 58: 293-300. Wilcox LM Jr, Gittinger JW Jr, Breinin GM. Congenital adduction palsy and synergistic divergence. Am J Ophthalmol 1981;91:1-7. Dans les cas de syndrome de Duane de type 2 sans exotropie évidente qui démontraient une capacité d’abduction, on aurait pu prévoir la présence du sixième nerf crânien d’après les données sémiologiques seules. Les quatre autopsies pratiquées sur des malades avec le syndrome de Duane de type 1 ou 3, et les deux premières études IRM, sur des patients de type 1, avaient dérouté certains auteurs. L’absence du sixième nerf crânien s’était généralisée comme la cause unique du syndrome de Duane. Syndrome de Duane, type 2 œil gauche. Le VI gauche est moins visible que celui de droite. Inutile d’émettre de nouvelles hypothèses Syndrome de Duane type 3 gauche. L’origine anormale décrite dans la publication pourrait-etre aussi une hypoplasie. 7 Autres questions On pourrait légitimement se demander pourquoi seule la branche du troisième nerf crânien, normalement destinée au muscle droit interne, est celle qui co-innerve le muscle droit externe? Ce n’est, en effet, pas toujours le cas Les branches du troisième nerf crânien qui innerve les muscles droit verticaux peuvent parfois aussi innerver le muscle droit externe, produisant alors des formes verticales du syndrome de Duane. Kommerell G, Bach M. A new type of Duane’s syndrome. Twitch abduction on attempted upgaze and V-incomitance due to misinnervation of the lateral rectus by superior rectus neurons. Neuro-ophthalmology 1986;6:159-64. Weinacht S, Huber A, Gottlob I. Vertical Duane’s retraction syndrome. Am J Ophthalmol 1996; 122:447-449. La co-existence de formes verticales et horizontales du syndrome de Duane peut ne pas être remarquée. Syndrome de Duane : le problème Tous les symptomes cliniques, y compris les upshoots et les downshoots, ont leur origine dans la mauvaise innervation du muscle droit externe. On note une plus grande exotropie dans le regard vers le haut. Le muscle droit externe est co-innervé par une branche qui déssert le muscle droit supérieur. Syndrome de Duane : la solution Des cas de strabisme apparemment “complexes” peuvent ainsi être interprétés de façon très simple. Approches possibles Le recul maximal du muscle droit externe. Eliminer l’action du muscle mal-innervé. Les résultats sont en général peu satisfaisants, particulièrement chez les patients exotropiques, puisque le muscle se trouve toujours attaché au globe. 8 Méthodes possibles L’extirpation du muscle droit externe. On ne peut extirper que partiellement, jusqu’à la capsule de Tenon. Des liens persisteront entre le muscle et la capsule, permettant toujours une rétraction du globe. En pratique, cependant, il y aura une amélioration. La “manœuvre” de Scott Cette technique consiste à désinserer, puis à réinserer le muscle droit externe au perioste de la paroi latérale de l’orbite avec une suture nonrésorbable (i.e., polyester). Utilisée par Alan Scott pour réduire l’exotropie dans les cas de paralysie du troisième nerf crânien, cette technique peut être transposée au syndrome de Duane. Cette manœuvre recrée le scenario d’une paralysie totale et ancienne du sixième nerf crânien. On peut combiner cette technique avec une fixation croisée des tendons des muscles droits verticaux en transposition latérale “augmentée”, en utilisant la technique de sutures ajustables. Seul, le tonus élastique au repos de ces muscles permet une abduction limitée. Une technique épargnant les vaisseaux ciliaires est utilisée pour minimiser le risque d’ischémie du segment antérieur. Freedman HL, Waltmann DD, Patterson JH. Preservation of anterior ciliary vessels during strabimus surgery: a nonmicroscopic technique J Pediatr Ophthalmol Strabismus 1992;29:38-43. Une nouvelle technique combinée 9 10 11 Pré-opératoire Post-opératoire (le jour même) Pré-opératoire Post-opératoire Pré-opératoire Pré-opératoire Post-opératoire Quel est le meilleur moment pour opérer? • Une chirurgie plus tardive permet d’agir sur un systeme visuel plus mature, réduisant ainsi les risques d’amblyopie. Post-opératoire • Une chirurgie plus précoce peut avoir l’avantage de réduire au minimum la fibrose des tissus orbitaires et du muscle. Cette fibrose secondaire, exacerbée par les restrictions des mouvements oculaires durant une longue période, peut en effet, aggraver le strabisme. 12 Les résultats à long terme Une amélioration continue des mouvements d’abduction mais aussi d’adduction a été notée sur une période de plus de trois ans. Une transposition de la totalité des tendons est nécessaire. Quant à la transposition partielle, elle a été tentée par un de nos associés, Mostafa Sanjari, sur quatre patients, ainsi que par Rosenbaum et al, sur quatre autres patients. Leurs resultats, d’abord satisfaisants, ont pourtant été suivis d’une récidive de l’ésotropie. Pourquoi le sixième nerf crânien est-il toujours en cause dans le syndrome de Duane? Par définition simple. Si d’autres nerfs étaient dysplasiques, le bilan clinique serait different, tout comme l’appellation qu’on lui donnerait. Un tel scenario clinique a-t-il été jamais observé? En effet, deux rapports ont décrit un phénomene appellé syndrome de Duane “inverse.” •Chatterjee PK, Bhunia J, Bhattacharyya I. Bilateral inverse Duane's retraction syndrome--a case report. Indian J Ophthalmol 1991; 39:183-5. Une technique optimale en théorie, peut aussi être pratiquée Cette technique, plus longue à pratiquer, et avec relativement peu d’indications, représente néanmoins l’approche théoriquement optimale pour toutes les formes marquées du syndrome de Duane, que ce soit du type 1, 2 ou 3. Cette technique semble pour l’instant fiable. Si, par exemple, la branche du troisième nerf crânien destinée au muscle droit interne était hypoplasique -hypothèse proposé par Kim et Hwang pour expliquer la présence du sixième nerf crânien dans le syndrome de Duane type 2on aurait pu s’attendre à ce que le sixième nerf crânien innerve mal a son tour le muscle droit interne. Le bilan clinique consisterait alors en une retraction du globe sur tentative d’abduction au lieu d’adduction. Mais, comme Türk lui-même, ces auteurs en ont attribué l’origine à une fibrose primitive, ici du muscle droit interne au lieu du muscle droit externe. •Lew H, Lee JB, Kim HS, Han SH. A case of congenital inverse Duane’s retraction syndrome. Yonsei Med J. 2000; 41:155-8. 13 Quels symptomes seraient les plus frequents avec une dysplasie du troisième nerf crânien? En 1989, une hypothèse avait été avancée par Michael Brodsky, Stephen Pollack et Edward Buckley, pour expliquer… J Pediatr Ophthalmol Strabismus 1989;26:159-61. Résumé Le syndrome de Duane est bien un syndrome de mauvaise innervation, dûe à l’absence ou à l’hypoplasie du sixième nerf crânien. Même dans les cas apparemment complexes, toutes les formes sont dues à la mauvaise innervation et activation du muscle droit externe. Ophthalmology 2005;112:728-732. Celui-ci peut recevoir, ou non, une innervation du sixième nerf crânien (type 2 ≠ type 1). Résumé Résumé Dans les formes majeures, la technique chirurgicale proposée : La neutralisation de l’action du muscle droit externe en le suturant à la paroi externe de l’orbite, transforme tout type de syndrome de Duane en une forme simple de paralysie totale, mais aussi ancienne, du sixième nerf crânien. 1) attachement du muscle droit externe à la paroi de l’orbite, 2) la transposition totale croisée ajustable des tendons des droits verticaux, 3) épargne des vaisseaux ciliaires, est à la fois théoriquement optimale et réalisable. 14 Résumé La mauvaise innervation d’autres nerfs crâniens produit des syndromes connus sous des noms différents, tel que le syndrome de fibrose congénitale oculaire. L’approche chirurgicale que nous venons de voir peut également être envisagée chez ces patients dans les rares cas où cette mauvaise innervation serait limitée à un seul muscle. 15