1
UNIA 2015-16 conférence n°5
République et restauration impériale (1848-1870)
Durant toute la période que nous avons abordée jusqu’à présent (de 1789 à 1848),
presque sans interruption, la France a été conduite par un pouvoir ayant deux fondements :
- un pouvoir issu ou cautionné par un électorat de notables (un régime censitaire)
- un pouvoir s’appuyant sur Paris au détriment de la province.
A partir de 1848 et durant toute la période qui va jusqu'en 1870 (fin du second empire) les
données de la vie politique sont bouleversées :
- Le pouvoir est désormais assis sur le suffrage universel, traduction de l'esprit
démocratique de 1848. Mais cela va avoir une conséquence essentielle sur la vie politique =
elle est désormais placée sous l'influence des masses provinciales et paysannes qui exercent le
droit de vote.
On pourrait donc s’attendre avec le suffrage universel à un changement radical de la
vie politique. Et bien non.
Paradoxalement c'est le suffrage universel, conçu comme un gage de démocratie, qui
va conduire au second césarisme.
En effet, nous allons le voir, c'est en s'appuyant sur des masses paysannes souvent
illettrées, mais attachées à l'ordre et à l'autorité, que Louis Napoléon Bonaparte va réussir à
confisquer la République, à établir l'Empire, et à conserver ce régime pendant près de vingt
ans.
Autrement, dit, la France a à peine le temps de faire l'apprentissage de la République
et des effets du suffrage universel, qu'un homme réussit à retourner la souveraineté nationale à
son profit pour établir un Empire autoritaire, qui survivra jusqu'en 1870 au prix de quelques
concessions libérales.
Commençons par évoquer, l'apprentissage de la République (1848-1851)
Les journées de 1848 apparaissent aujourd'hui comme la conséquence logique des
impasses dans lesquelles le gouvernement orléaniste s'était enfermé = refus de la réforme,
immobilisme, indifférence face à la misère de la classe ouvrière.
Mais en fait, en 1848, les vainqueur sont aussi étonnés de leur rapide victoire, que les
vaincus le sont de leur débâcle.
La rapidité de l'effondrement de la monarchie surprend les contemporains.
Dautant plus que toute l'Europe va s'embraser à la suite des événements parisiens =
« le printemps des peuples ».
Comment les Révolutionnaires vont-ils régirent une fois au pouvoir ?
Dans la foulée de la proclamation de la République après la fuite de Louis-Philippe se
constitue à l'Hôtel de ville de Paris, le 24 février 1848 au soir un gouvernement provisoire
est constitué.
Il est composé de républicains convaincus et de quelques socialistes = des
journalistes, un avocat Ledru-Rollin, un savant Arago, un socialiste Louis Blanc, plade
l'égide du poète romantique Lamartine.
2
Il s'agit dans l'ensemble de républicains modérés, romantiques, hostiles aux
bouleversements sociaux et ne souhaitant pas porter atteinte à l'Eglise et à la religion.
Geste symbolique : Lamartine réussit à préserver le drapeau tricolore de la République
au détriment du drapeau rouge des socialistes.
Les débuts sont prometteurs. La République naît dans l’enthousiasme. Mais très vite le
gouvernement provisoire va connaître de sérieuses difficultés.
Dans cet esprit quarante-huitard enthousiaste, désintéressé et fraternel, un certain
nombre de mesures démocratiques vont être prises par le gouvernement provisoire. Elles
s'inspirent des grands principes de la Révolution française, liberté, égalité et fraternité :
- rétablissement de la liberté de la presse et de la liberté de réunion (les clubs sont
protégés).
- abolition de l'esclavage dans les colonies
- abolition des titres de noblesse et des majorats
- abolition des châtiments corporels en droit pénal
- et pour prouver que la Révolution de 1848 ne rime pas avec une nouvelle terreur,
pour rassurer Paris et la province, la peine de mort en matière politique est abolie.
Les quarante-huitards entendent démontrer qu'on peut faire la révolution sans
l'imposer par la répression (sans tuer les opposants).
Tout au plus, procèdent-ils à quelques purges républicaines = épuration de
l'administration et de la magistrature = l'inamovibilité des juges est suspendue et on envoie
dans les départements des commissaires extraordinaires de la République pour remplacer les
Préfets du régime précédent.
- Mesure la plus importante au plan politique = instauration du suffrage universel
direct et secret (décret du 5 mars 1848) ce qui fait passer l'électorat de 300 000 personnes à
plus de 9 millions d'électeurs. La France est le premier pays au monde à faire un tel bond en
avant dans le sens de la démocratie.
Mais le gouvernement provisoire, malgré la générosité de son esprit va vite rencontrer de
sérieuses difficultés :
- elles sont liées d'abord aux divisions internes au gouvernement provisoire.
La majorité bourgeoise du gouvernement (Lamartine) est favorable à une démocratie
politique que l'on réalise par le suffrage universel, mais pas plus.
A gauche, au contraire, on souhaite établir une véritable démocratie économique et
sociale.
Poussé par la gauche, le gouvernement proclame le "droit au travail" et commence à
ouvrir des "ateliers nationaux" = Ces ateliers vont vite devenir le réceptacle de milliers de
désœuvrés (100 000!) qui entretiennent malgré cela une propagande hostile au gouvernement.
- elles sont liées ensuite au résultat des élections de l'assemblée nationale
constituante qui ont lieu en avril 1848.
Le résultat des élections (avec 84% de participation) est à la hauteur des craintes des
socialistes. La France rurale a fait preuve d'un grand conservatisme et a voté pour les notables
traditionnels.
Sur 900 députés, on ne compte que
- 25 ouvriers, une poignée de députés socialistes,
3
- et à gauche une centaine de "radicaux démocrates" favorables à une république
sociale et égalitaire ;
- La grande majorité (environ 500) sont des républicains modérés (Lamartine,
Arago) favorables au suffrage universel mais déterminer à s'opposer aux
socialistes,
- enfin environ 250 monarchistes.
Autrement dit, les artisans de la révolution ("les républicains de la veille") qui se
rattachent à la tradition de 1792, sont supplantés par "les républicains du lendemain",
nettement plus modérés et conservateurs.
Néanmoins, cette assemblée s'empresse de proclamer à nouveau la république,
officiellement cette fois ci (alors qu'elle l'avait été de manière très spontanée le 24 février).
Pour contrer cette république conservatrice qui est en train de se mettre en place,
quelle va être l’attitude de l’extrême gauche ?
L'extrême gauche va organiser une journée révolutionnaire le 15 mai 1848 sous
prétexte de soutenir le soulèvement que le « printemps de peuples » a déclenché en Pologne.
Les émeutiers envahissent le palais Bourbon, déclarent la dissolution de l'assemblée et
proclament même un nouveau gouvernement provisoire. Mais la réaction de Garde Nationale
est immédiate = elle rétablit rapidement la situation, tandis que l'extrême gauche est capitée
= les principaux inspirateurs de l'insurrection (Louis Blanc, Blanqui) prennent la fuite,
certains sont emprisonnés.
L'échec de cette insurrection politique ne décourage pas les milieux populaires dont
les espoirs réformistes ont été déçus par les élections et par la répression du 15 mai.
Ayant l'impression d'avoir été dépossédés de leur révolution par la bourgeoisie, le
peuple parisien s'insurge le 22 juin 1848. L'est de la capitale se couvre de barricades, et
l’armée est chargée de "nettoyer" Paris.
Systématiquement, durant trois jours de bataille rangée (du 23 au 26 juin = les
journées de juin 1848) il donne l'assaut aux barricades provoquant la mort de plusieurs
milliers de personnes (5 000) de part et d'autre.
Un fossé s'est désormais creusé entre les ouvriers assoiffés de justice sociale et les
conservateurs bourgeois et paysans.
Le général Cavaignac, auteur de cette répression est d'ailleurs nommé président du
conseil des ministres (ce qui confirme l'orientation conservatrice du régime) par l'assemblée
qui va à présent s'atteler à sa fonction primordiale = élaboration de la constitution.
L’élaboration de la constitution est rapide, de même que les discussions qui s’en
suivent et le texte peut être adopté rapidement = le 4 novembre 1848.
* L'organisation des pouvoirs publics repose sur une interprétation rigoureuse du
principe de séparation des pouvoirs.
Le pouvoir législatif est exercé par une assemblée législative unique, nombreuse
(750 membres) ce qui rappelle la période révolutionnaire, élue au scrutin départemental pour
trois ans (suffrage universel direct).
Sont électeurs tous les citoyens de plus de 21 ans, jouissant de leurs droits civils et
politiques, mais sans conditions censitaire.
L'exécutif est confié à un Président de la République, élu directement par le peuple
pour quatre ans (et il n'est pas immédiatement rééligible). C'est le modèle américain qui a
4
servi d'exemple, même si on n'a pas manqué de souligner le risque de césarisme lié à cette
origine.
On a beaucoup débattu sur le mode d'élection du PR, mais on a considéré que le faire
élire par l'assemblée diminuait son pouvoir et présentait un risque = l'assemblée est davantage
exposée aux pressions que l'ensemble de l'électorat.
En application du principe de la séparation des pouvoirs, l'exécutif et le législatif, qui
sont tous deux des pouvoirs forts, car issus du suffrage universel, n'ont que des moyens
limités d'agir l'un sur l'autre =
Le président ne peut ni sanctionner les lois, ni dissoudre l'assemblée. Celle-ci ne peut
révoquer le président. Tout au plus les ministres sont choisis par le président au sein de la
Chambre.
En fait rien ce qui manque le plus c'est que rien n'est prévu pour aménager des
relations efficaces entre les pouvoirs, parce que la constitution a été faite pour fonctionner
dans l'atmosphère consensuelle des débuts de la Révolution.
Ce qui fait qu'il n'y a aucune solution en cas de conflit entre les deux pouvoirs = C'est
l'impasse hormis le coup d'Etat.
Par ailleurs, si cette constitution est de manière incontestable un texte démocratique,
cela ne veut pas dire que le régime qu'elle met en place le sera également.
En quelques mois, la France fait l'apprentissage du suffrage universel et on se rend
compte à quel point l'électorat est versatile = il peut, en l'espace de quelques mois élire une
constituante républicaine puis une assemblée gislative conservatrice, capable de rétablir un
régime bourgeois.
* La mise en place des institutions débute par l'élection du PR prévue pour le 10
décembre 1848. Sont candidats :
- Cavaignac, qui a réprimé les émeutes du mois de juin n'obtient que 1,5 M de voix,
- un socialiste (Raspail)
- un Républicain radical (Ledru-Rollin)
- Lamartine se partagent 400 000 voix et
- Louis-Napoléon Bonaparte triomphe avec 5,5 M de voix.
Cette élection est une surprise. Louis-Napoléon Bonaparte était presque inconnu quelques
mois auparavant (il avait été ridiculisé sous Louis-Philippe par deux tentatives de coup d'Etat
qui avaient lamentablement échoué).
Mais il a su mener une campagne adroite axée sur des thèmes très mobilisateurs. Il a
d'abord l'habileté de rassurer l'électorat = il se présente :
- comme un garant de l'ordre pour la bourgeoisie et les paysans,
- mais en même temps comme quelqu'un qui est prêt à écouter les
revendications des plus déshérités.
- Qui plus est, le fait d'être le neveu de Napoléon Ier, fait de lui le vengeur des
humiliations de 1815, prêt à remettre enfin en cause le traité de Vienne.
On retrouve déjà toute l'ambiguïté du bonapartisme, capable de satisfaire des
aspirations contraires.
Mais essentiellement, il est l'élu des masses paysannes, parfois nostalgiques de
l'Empire, hostiles à la "république des riches" et sensibles à son discours sécuritaire.
Marx considère le 10 décembre comme "le coup d'Etat des paysans".
Vient ensuite l'élection de l'Assemblée législative, le 13 mai 1849, qui traduit la
désaffection du corps électoral puisque les abstentions atteignent 40%. Sur les 750 députés :
5
- entre 450 et 500 appartiennent à la droite catholique monarchiste = le parti de l'ordre.
- on ne trouve au centre que 75 députés républicains modérés,
- à gauche 180 démocrates dirigés par Ledru-Rollin.
IMP : C'est un véritable revirement de l'électorat par rapport aux élections de la constituante
d'avril 1848 = par crainte du socialisme l'électorat se replie à droite dans un réflexe
conservateurs.
En quelques mois, le parti de l'ordre, qui peut légiférer sans entraves, d'autant plus que
le PR le laisse faire, va produire toute une série de lois conservatrices voire réactionnaires.
On assiste en quelques mois à un véritable reflux des idées républicaines et à la parution de
textes bien éloignés de l'esprit démocratique de 1848. 3 exemples :
- tout d'abord pour museler l'opposition politique, on revient sur la liberté d'association
en interdisant tous les clubs et les réunions politiques (loi du 19 juin 1849), et on restreint
la liberté de la presse (rétablissement du cautionnement et du droit de timbre) = loi du 16
juillet 1850.
- un moyen plus radical est encore de restreindre le droit de vote pour les électeurs
de gauche. La loi électorale du 31 mai 1850, sans revenir sur le principe du suffrage universel,
va limiter le droit de vote.
Elle multiple les cas de déchéance électorale (perdent le droit de vote tous ceux qui ont
été condamnés pour faits de presse, pour outrages ou violences envers des dépositaires de
l'autorité publique...
Mais surtout, elle réserve le droit de vote aux seuls électeurs domiciliés dans la même
commune ou le même canton depuis trois ans = les ouvriers et les journaliers qui constituent
une main d'œuvre instable, mouvante, et qui sont supposés voter à gauche sont ainsi écartés
(le corps électoral diminue d'un tiers environ).
- en matière d’enseignement, la loi Falloux 15 mars 1850 établit un régime de liberté
mais qui est essentiellement favorable à l'Eglise.
Diverses mesures sont prises pour faciliter l'ouverture d'écoles catholiques qui sont
placées sur le même plan que les écoles publiques.
Le but est surtout de permettre d'instaurer un enseignement secondaire chrétien
indépendant, pour assurer aux enfants de la bourgeoisie une éducation préservée des idées
socialistes.
Le caractère conservateur, voire réactionnaire de ces lois inquiète l'opinion, mais il y a
d'autres causes d'inquiétude = les monarchistes qui sont largement majoritaires à
l'assemblée restent très divisés (légitimistes, orléanistes) ; quant au PR, s'il est un gage de
stabilité il n'est en place que jusqu'en 1852 (car il n'est pas rééligible).
L’avenir est donc très incertain.
Et justement, pendant que l’assemblée gislative effectue ce travail de déstabilisation
de l'ordre républicain, le Prince-Président reste discret, et laisse l'Assemblée prendre ses
responsabilités.
Mais en même temps, il fait tout de même connaître son opposition = c'est une
période de tension croissante entre le PR et l'Assemblée = en fait le PR se prépare à tirer
parti de la situation. En même temps, par des voyages dans le pays, il cultive sa popularité, en
se présentant çà la fois comme un partisan des réformes sociales et comme un tenant de
l'ordre et de la tranquillité publique.
1 / 14 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !