LA NUIT ÉTOILÉE : RÊVE, TRANSFERT ET VISION DU MONDE Danièle Pierre De Boeck Supérieur | « Cahiers de psychologie clinique » 2014/1 n° 42 | pages 129 à 146 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 91.170.61.236 - 11/11/2019 12:30 - © De Boeck Supérieur Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------https://www.cairn.info/revue-cahiers-de-psychologie-clinique-2014-1-page-129.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour De Boeck Supérieur. © De Boeck Supérieur. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 91.170.61.236 - 11/11/2019 12:30 - © De Boeck Supérieur ISSN 1370-074X ISBN 9782804186395 LA NUIT ÉTOILÉE : RÊVE, TRANSFERT ET VISION DU MONDE Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 91.170.61.236 - 11/11/2019 12:30 - © De Boeck Supérieur Abstract In the current transcultural psychoanalytic therapy, is it possible to confront the Freudian theory with other cultural conceptions of the dream? To consider this question, we propose to study the “secondary elaboration” of the dream - which is a link-concept between psyche and culture ; then we shall review the works of two pioneers in the transcultural fields: Roheim and Devereux. Finaly we’ll analyze in detail the dream of a Moroccan woman in the context of an ethnopsychoanalytic therapy in Brussels. And we’ll see that psychoanalysis has finaly nothing to fear about this confrontation to other’s cultural thinking and conception ! Key-words Dream’s interpretation - secundary elaboration conception of universe - fantasy “a child is beaten” - ethnopsychiatry. Résumé Dans la clinique transculturelle d’aujourd’hui, la théorie freudienne peut-elle sans dommage se confronter à d’autres conceptions culturelles du rêve ? Pour réfléchir à cette question, nous proposons d’approfondir le concept d’élaboration secondaire - concept charnière entre psychisme et culture - et de parcourir rapidement les travaux de deux DOI: 10.3917/cpc.042.0129 1 Psychiatre, psychanalyste, Centre Chapelle-aux-champs, e-mail : daniele.pierre@ apsyucl.be. 129 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 91.170.61.236 - 11/11/2019 12:30 - © De Boeck Supérieur Danièle PIERRE1 130 La nuit étoilée : rêve, transfert et vision du monde pionniers dans le champs transculturel, Roheim et Devereux. Ensuite nous analyserons en détail le rêve d’une patiente marocaine dans le contexte d’une thérapie ethnopsychanalytique à Bruxelles. Nous verrons que la psychanalyse n’a finalement rien à craindre de cette mise à l’épreuve de l’altérité culturelle ! Mots-clés Interprétation des rêves - élaboration secondaire vision du monde (Weltanschauung) - fantasme « Un enfant est battu » - ethnopsychiatrie. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 91.170.61.236 - 11/11/2019 12:30 - © De Boeck Supérieur 3 Cf De Neuter 1994. On voit que Freud hésite entre deux positions : la première, prudente, consiste à dire que la psychanalyse n’est ni religieuse ni areligieuse ; elle est compatible avec diverses visions du monde - la science, dont elle se réclame, n’ayant rien à voir avec toutes ces constructions de l’esprit humain (religions, systèmes philosophiques) qui visent à répondre aux questions du sens et à baliser ainsi le voyage de la vie. La seconde (cf L’avenir d’une illusion (1927) et Nouvelles conférences sur la psychanalyse (1932)), c’est la tentation de faire de la science - voire de la psychanalyse ellemême - une nouvelle Weltanschauung en devenir : un jour, peut-être, la démarche scientifique finirait par embrasser l’univers tout entier et répondrait à toutes les grandes questions humaines … Introduction Dans la conception traditionnelle marocaine, le rêve est comme un voyage dans l’autre monde, un message de l’au-delà, ou une sorte d’espace de voyance. On peut y voir le djinn qui menace le rêveur, le saint qui le protège de sa baraka ou encore les morts qui pourraient l’emmener avec eux dans l’autre monde. Tout un système thérapeutique s’organise à partir de là : visite dans un lieu saint pour recevoir la guérison en rêve, offrandes aux morts, sacrifices pour éloigner ou pacifier les djinns2. Ainsi, quand nous parlons des rêves avec nos patients marocains, c’est tout un univers de sens qui est convoqué là, devant nous ; c’est toute une vision du monde qui se déploie de séance en séance. Il s’agit de cette Weltanschauung dont il est question chez Freud, à l’occasion3, et que l’on peut traduire en français par « vision du monde » ou « conception de l’univers ». Cette dernière expression est celle retenue par Lévi-Strauss dans « L’efficacité symbolique » (1949) : elle accentue le caractère de construction intellectuelle de l’ensemble. L’expression de vision du monde accentue quant à elle le fait que cette mise en ordre logique des choses concerne déjà l’activité de perception - comme le souligne Freud dans Totem et tabou (1912 : 111). On peut se garder, éventuellement, d’adhérer à une « croyance », mais on ne peut pas ne pas avoir de « vision du monde » ! Bien sûr, pour nous-mêmes, dans notre propre culture, nous n’avons pas l’impression d’avoir une « vision » du monde - ou celle-ci nous est « transparente », cela revient au même - nous avons l’impression de « voir » le monde, et puis c’est tout. Mais chaque culture Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 91.170.61.236 - 11/11/2019 12:30 - © De Boeck Supérieur 2 Cf Aouattah 1993, 2003 ; Dermenghem 1954 ; Kilborne 1978 ; Pierre 2005. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 91.170.61.236 - 11/11/2019 12:30 - © De Boeck Supérieur a cette même impression, évidemment - par définition ! Par ailleurs, l’expérience clinique de l’ethnopsychiatrie nous permet de comprendre comment telle vision du monde, tel univers de sens, soutient le travail d’élaboration psychique tout au long de la thérapie, de même que la construction et la reconstruction du sujet humain, de manière particulièrement « efficace » - au sens de « L’efficacité symbolique » que nous évoquions ci-dessus4. Par exemple, expulser les djinns par des ablutions rituelles, cela revient à expulser hors de ses frontières ce qui ne peut être accepté comme humain, ce qui ne peut être admis dans la définition que le moi se donne de lui-même ; c’est donc une façon de se définir et de se redéfinir sans cesse, en étant particulièrement attentif au caractère « incertain et flottant » du moi, au caractère éminemment perméable de ses frontières. Autrement dit, c’est une conception de l’humain qui n’est pas dupe de l’illusion d’unité et de fermeture du moi : c’est une conception plus subtile - et même « structuraliste », pourrait-on dire ! Revenons à présent aux idées sur le rêve dans la culture traditionnelle marocaine. Confrontée à cet univers de sens différent, la théorie freudienne du rêve comme accomplissement de désir - et la méthode qui en découle et qui nous est chère, la méthode de l’association libre - est-elle encore pertinente ? Autrement dit : la psychanalyse est-elle en mesure de proposer un modèle théorique du rêve - et peut-être à partir de là, du sujet - qui permette de dépasser, de surplomber, de transcender les enjeux relatifs à la culture de nos patients ? Étant entendu que nous ne sommes pas là pour convertir ceux-ci à notre propre vision du monde (en l’occurrence) occidentale5. Pour réfléchir à cette question, nous allons d’abord reprendre certains éléments de la théorie freudienne ; nous redécouvrirons ainsi l’importance d’un concept qui permet de penser l’articulation psychisme-culture : le concept d’élaboration secondaire du rêve. Ensuite, nous évoquerons les travaux des deux grands pionniers de l’anthropologie psychanalytique et de l’ethnopsychanalyse, Géza Roheim et Georges Devereux. Nous en viendrons alors à notre clinique actuelle et nous analyserons en détail le rêve d’une patiente marocaine dans le cadre de sa thérapie au Centre Chapelle-aux-champs. 131 4 Cette « efficacité symbolique », LeviStrauss l’attribue au fait que le chaman propose à la parturiente (dont la conscience est obscurcie par l’accouchement) de se représenter mentalement ses douleurs selon les termes de leur culture commune, selon les termes de leur conception de l’univers. Or il nous semble qu’il s’agit là, précisément, de cette activité de pensée dont parle Freud à propos de l’élaboration secondaire des rêves (Pierre 2005), dont nous discuterons ci-dessous. 5 C’est un enjeu éthique majeur pour la psychanalyse, qui se doit de rester neutre sur le plan philosophique ou religieux. Étant entendu que la science ne propose pas elle-même une vision du monde : elle cherche seulement à établir ça et là quelques « noyaux durs » (« hard core ») de certitude, quelques îlots de clarté, comme des étoiles dans la nuit. La question du sens ne la concerne pas ! Il y a peut-être une vision du monde occidentale, moderne, positiviste … mais il ne peut pas y avoir de vision du monde « scientifique » ! Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 91.170.61.236 - 11/11/2019 12:30 - © De Boeck Supérieur La nuit étoilée : rêve, transfert et vision du monde 132 La nuit étoilée : rêve, transfert et vision du monde Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 91.170.61.236 - 11/11/2019 12:30 - © De Boeck Supérieur 6 Il n’est peut-être pas inutile de rappeler ici que l’interprétation psychanalytique des rêves n’a aucun sens en dehors de la cure et du transfert ! En ce qui concerne les rêves rapportés et analysés par Freud dans la Traumdeutung, il s’agit soit des siens propres - ces rêves qu’il étudie dans le cadre de son auto-analyse et de sa relation transférentielle à Fliess (Anzieu 1959) soit de ceux de ses tout premiers patients. 7 Et nous dirions prélangagier, ou plutôt, comme dit Laplanche : « non structuré comme un non-langage » (1987 : 55-56) - Laplanche qui parle encore de la « mécanique affolée du processus primaire » (Id.). Pour Freud, dans la Traumdeutung (OC 1900), le rêve est d’abord un accomplissement hallucinatoire des désirs inassouvis de la veille. « De quoi rêve l’oie ? De maïs ! » dit un dicton populaire. Et l’enfant privé de dîner rêve d’avoir un rôti entier pour lui tout seul. Le rêve joue ainsi le rôle de gardien du sommeil : grâce à la satisfaction hallucinatoire, le désir ne vient plus troubler le repos du rêveur, qui peut donc continuer à dormir. Alors, bien sûr, les choses se compliquent très vite, parce que le ou les désirs dont il est question « dans la vie mentale des névrosés » en analyse6, ce sont les désirs inassouvis d’origine infantile, qui ont été réprimés par l’éducation et l’intériorisation des interdits parentaux. Ainsi, la théorie du rêve devient une théorie des névroses. Freud en a l’intuition dès 1899 quand il écrit à son ami Fliess : « J’arriverai à décrire le processus psychique des rêves de telle manière qu’y soit inclus le processus de la formation du symptôme hystérique » (Freud 1887-1902). En fait, dans l’après coup de sa théorisation, il apparaît que deux tendances se conjuguent tout le temps dans les rêves. Certes, il y a la satisfaction de désir, mais il y a aussi la tentative de maîtrise rétroactive des traumatismes - qui est indépendante, « Au-delà… » (1920) du principe de plaisir. Soulignons que pour satisfaire à ces deux tendances, le rêve s’appuie toujours, pour Freud, sur les traces mnésiques, c’est-à-dire sur le souvenir. Ce n’est pas un détail, c’est même peut-être un des fondements de la construction du sujet comme expérience historique, ou mieux : comme processus d’historicisation. Nous y reviendrons dans la discussion. Les procédés relevant du processus primaire : condensation, déplacement, figuration en images Freud identifie quatre procédés qui entrent en jeu dans la formation ou le « travail » du rêve. Les trois premiers relèvent du processus primaire gouvernant l’inconscient - qui est prélogique7 et ne connait pas la contradiction. Il s’agit de la condensation (de plusieurs éléments en un seul) ; du déplacement (d’un élément sur un autre plus ou moins apparenté afin de tromper la censure) ; et de la figuration en images des idées abstraites. Ces procédés relèvent du processus primaire, Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 91.170.61.236 - 11/11/2019 12:30 - © De Boeck Supérieur Freud et la Traumdeutung La nuit étoilée : rêve, transfert et vision du monde 133 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 91.170.61.236 - 11/11/2019 12:30 - © De Boeck Supérieur Le quatrième facteur ou procédé : l’élaboration secondaire Vient ensuite le quatrième procédé, qu’il appelle « l’élaboration secondaire ». Le travail du rêve s’achève, dit Freud, par le remaniement préconscient de sa façade, qui le rend intelligible et communicable dans le registre de la pensée diurne. Contrairement aux trois premiers, ce quatrième procédé relève du processus secondaire propre au conscient et au préconscient. C’est lui qui met de l’ordre dans les pensées du rêve pour satisfaire aux exigences logiques de la pensée diurne. Avec l’élaboration secondaire, le rêve est pour ainsi dire déjà interprété une première fois de l’intérieur (OC : 541). Freud en donne un exemple très éclairant avec l’autoanalyse de son propre cauchemar d’enfance : « Mère chérie et personnages à becs d’oiseaux ». L’angoisse liée à la satisfaction du désir sexuel œdipien est interprétée - déjà dans l’expérience-même du rêve en tant que remanié par l’élaboration secondaire - comme résultant du spectacle de la mort de la mère. Ce faisant, quelque chose de l’interdit - quelque chose d’une dimension de renoncement au désir incestueux - entre aussi déjà dans l’expérience elle-même du rêve. Pourtant, cette dimension de l’élaboration secondaire des rêves est souvent négligée, voire méprisée par les psychanalystes… Sans doute voudrait-on atteindre l’inconscient directement, sans passer par les productions, les élaborations, les Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 91.170.61.236 - 11/11/2019 12:30 - © De Boeck Supérieur mais les éléments sur lesquels ils portent peuvent être euxmêmes secondarisés, comme par exemple le scénario complexe d’une scène ancienne condensé avec celui d’une autre plus récente, ou évoqué par allusion moyennant son déplacement sur un objet apparenté à celui qui intervenait dans la scène en question. Évidemment, quand Freud dit que la condensation, le déplacement et la figuration en images sont à l’œuvre dans le rêve, il indique en même temps la marche à suivre pour en décoder le sens caché (ce qu’il appelle le contenu latent) : il s’agit de faire associer le rêveur à partir de chaque détail du scénario onirique, et de suivre ainsi les chaînes associatives qui mènent finalement aux souvenirs, aux pensées, aux désirs inconscients. La théorie du rêve implique et justifie la méthode de l’association libre. 134 La nuit étoilée : rêve, transfert et vision du monde remaniements du préconscient ? Nous allons donc reprendre ici les éléments qui nous semblent importants - notamment pour la clinique transculturelle - dans cette part-là du travail du rêve chez Freud, tout au long de sa théorisation8. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 91.170.61.236 - 11/11/2019 12:30 - © De Boeck Supérieur 8 Dans la nouvelle édition des Œuvres Complètes de Freud traduites par Laplanche, tous les ajouts, les notes, les remaniements postérieurs à la première édition de 1900 sont datés, ce qui se révèle très précieux à cet égard. 9 Et c’est à ce niveau, nous semble-t-il, que l’on peut vraiment saisir l’œuvre du « Langage », au sens lacanien, qui vient ainsi pénétrer et façonner l’âme humaine, le psychisme, de l’extérieur (du « social ») jusqu’à son noyau le plus intime, en particulier dans les rêves, comme nous allons le voir plus loin. Tout d’abord, c’est la même activité psychique spontanée qui ordonne de manière cohérente - c’est-à-dire qui interprète - nos perceptions de la veille et celles de nos rêves. Cette activité d’interprétation permanente répond aux exigences d’unité et d’intelligibilité de l’esprit humain. Dans Totem et tabou (1912), Freud la compare à l’activité qui consiste à se créer une conception de l’univers tout entier, une « vision du monde », panoramique, globalisante, et qui permet à l’homme d’apprivoiser l’angoisse en l’interprétant. Ce parallèle que Freud établit entre l’élaboration secondaire du rêve et la vision du monde nous amène à franchir ici un pas supplémentaire : l’activité du préconscient qui remanie, interprète, met en ordre les éléments rassemblés dans le désordre par les trois premiers procédés (c’est-à-dire la condensation, le déplacement et la figuration visuelle), cette activité au fond s’appuie sur l’ensemble logique et cohérent de la vision du monde que le rêveur a reçue de son groupe culturel9. Elle s’appuie dessus, elle l’utilise, et du coup elle l’introduit dans l’expérience elle-même du rêve. Elle vient l’amener au cœur du vécu onirique : nous en verrons trois exemples avec Roheim et son informateur indigène en Nouvelle Guinée, Devereux et son patient indien dans une Réserve américaine, et enfin Saïda, notre patiente marocaine dans la clinique transculturelle d’aujourd’hui à Bruxelles. C’est là le premier point sur lequel nous attirons l’attention : l’élaboration secondaire inscrit le rêve dans le contexte de la « vision du monde ». Alors, l’expérience du rêve confirme la vision du monde en question. Le rêve est ainsi à l’articulation précise de ce qui se noue entre l’individu et sa culture : il s’agit d’adopter le système de sens proposé par le groupe dont il est issu. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 91.170.61.236 - 11/11/2019 12:30 - © De Boeck Supérieur Rêve et « vision du monde » : l’adoption culturelle La nuit étoilée : rêve, transfert et vision du monde 135 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 91.170.61.236 - 11/11/2019 12:30 - © De Boeck Supérieur Ensuite, c’est à propos de l’élaboration secondaire que Freud introduit pour la toute première fois la notion de fantaisie ou « fantasme ». Première ébauche de ce concept - majeur, évidemment, pour la psychanalyse - qui n’atteindra son plein développement qu’en 1919 avec l’article « Un enfant est battu ». Or déjà en 1900, dans la toute première version de L’interprétation des rêves, le « fantasme » est ce qui donne forme aux symptômes hystériques ; il se rapporte aux souvenirs d’enfance, mais uniquement de la même manière que les palais baroques utilisent dans leurs constructions les matériaux épars des ruines antiques (OC 543) - c’est-à-dire qu’il y a remaniement, de fond en comble, dans l’édification du fantasme, comparable au travail d’un architecte ou d’un style architectural ; enfin, le fantasme comporte une partie consciente (la rêverie diurne) et une partie inconsciente (qui organise à son insu la vie psychique du névrosé), comme si ces deux parties devaient mystérieusement « communiquer de l’intérieur et se symboliser l’une l’autre » (selon l’heureuse expression du Vocabulaire de la psychanalyse de Laplanche et Pontalis : 1967). Voici donc ce que dit Freud : dans son effort d’intelligibilité, de mise en ordre, il arrive que l’élaboration secondaire utilise des fantasmes (ou fantaisies de désir) qui étaient déjà là, tout prêts, et même « impatients d’être utilisés », dans le matériel des pensées du rêve. Dès lors, il peut arriver que la façade du rêve soit la révélation la plus immédiate de son « noyau » (Sur le rêve 1901 : 105-106 ; il s’agit d’une note rajoutée en 1911). C’est le second point qui nous semble important : élaboration secondaire et fantasme sont deux concepts co-émergeants dans la Traumdeutung. On pourrait peut-être en déduire que l’un ne va pas sans l’autre : le fantasme n’est-il pas toujours déjà le produit d’une activité d’élaboration par le processus secondaire ? N’est-il pas toujours déjà le produit d’un remaniement préconscient qui intègre au cœur-même du processus désirant une dimension de renoncement, c’est-à-dire l’intériorisation de la Loi, de l’interdit ? Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 91.170.61.236 - 11/11/2019 12:30 - © De Boeck Supérieur Rêve et fantasme : l’intériorisation de la loi 136 La nuit étoilée : rêve, transfert et vision du monde Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 91.170.61.236 - 11/11/2019 12:30 - © De Boeck Supérieur 10 À partir des remarques d’un de ses contemporains, H. Silberer, qui avait souligné que le rêve pouvait aussi représenter l’état « fonctionnel » du rêveur et pas seulement le contenu de ses pensées ou de ses désirs (OC p.557 - passage ajouté en 1914) ; il s’agit donc d’une forme d’autoobservation. Mais ce n’est pas tout : c’est encore à partir de l’élaboration secondaire que Freud « introduit le narcissisme », dans le célèbre article de 1914, à partir de la dimension de l’autoobservation dans les rêves10. Car un « moi » qui se prend pour objet de sa propre activité d’observation en rêve - de sa propre pulsion scopique, et de la satisfaction hallucinatoire de celleci à la faveur du rêve - c’est bien un « moi » qui se fait l’objet de son propre investissement libidinal, c’est-à-dire un « moi » auto-érotique. Et voilà la première ébauche de ce qui deviendra la deuxième topique en 1923 avec « Le moi et le ça ». Car l’instance « auto-observante » se porte garante de l’ « estime de soi qu’a le moi », et elle va mesurer celui-ci à une instance d’ « Idéal » - instance qui bientôt prend la forme du surmoi : le sujet apparaît alors clairement divisé en trois instances, des instances qui s’articulent les unes aux autres, qui se séparent en même temps qu’elles se nouent, dans le scénario du fantasme - comme nous allons le voir tout à l’heure de façon particulièrement claire dans le rêve de l’arbre de Saïda. Nous voyons ici que la théorie du rêve entraîne avec elle toute la théorie du Moi, toute la métapsychologie. D’autre part, Freud souligne qu’avec cette dimension d’auto-observation, ce n’est pas seulement l’interdit, c’est-à-dire la censure morale qui entre dans la composition du rêve ; c’est aussi quelque chose d’une activité de penser préconsciente qui permet d’apprivoiser et d’apaiser l’angoisse en l’interprétant - comme dans la création d’une « vision du monde ». Alors - forcément, dirons-nous ! - cette activité intellectuelle préconsciente va utiliser les outils de pensée que le rêveur a reçus de son groupe culturel ; elle va articuler son auto-interprétation dans les termes, précisément, de la « vision du monde » véhiculée, partagée par celui-ci - dans « la langue », dirait-on en termes lacaniens - reçue de son groupe culturel. D’ailleurs, dans un ajout de 1914 à son introduction (OC p.26), regrettant de ne pas pouvoir étudier dans le cadre de sa Traumdeutung les idées sur le rêve dans les cultures dites « primitives », Freud évoque l’influence de celles-ci à la fois sur leur vision du monde et sur leur conception de l’âme : évidemment, l’une ne va pas sans l’autre ! C’est forcément un même regard que la culture porte sur le monde tout autour Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 91.170.61.236 - 11/11/2019 12:30 - © De Boeck Supérieur Rêve et narcissisme : l’intériorisation du regard culturel 137 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 91.170.61.236 - 11/11/2019 12:30 - © De Boeck Supérieur et sur le monde intérieur de l’humain. Nous voyons ainsi que le rêve occupe une place centrale dans ce qui se noue entre l’individu - le psychisme, le sujet - et sa culture. Voilà donc le troisième point sur lequel nous voulions insister : l’élaboration secondaire permet à Freud d’introduire le narcissisme et toute la métapsychologie ; elle va nous permettre aussi de penser plus précisément l’articulation psychisme/culture. Car si la vision du monde s’engouffre dans le rêve avec l’élaboration secondaire, notamment au service de cette dimension d’auto-observation, elle entre ainsi dans la constitution du sujet qui rêve et qui se rêve ; l’expérience subjective confirme la vision du monde - le sujet peut en témoigner, il s’en fait même le plus ardent défenseur11. Car lorsqu’il se regarde, lorsqu’il s’aime et se reconnaît, c’est toujours à travers le regard de sa vision du monde : alors, il l’aime, il la reconnaît à travers lui - de même qu’il s’aime et se reconnaît à travers elle12. Géza Roheim Précurseur de la démarche ethnopsychiatrique, cet anthropologue et psychanalyste hongrois (1891-1953) est le premier à vouloir croiser les données recueillies sur le terrain ethnographique avec les données psychanalytiques. Il est le premier à recueillir les rêves des informateurs indigènes avec les associations qu’ils ont suscitées. Dans un article publié en 1947, il étudie une série de quatorze rêves recueillis auprès d’un indigène en Papouasie-Nouvelle Guinée, sur l’île Normanby, non loin des îles Trobriand étudiées précédemment par Malinowski. Dans le premier rêve qu’il raconte à l’anthropologue, l’indigène, Ramoramo, est poursuivi par des sorciers ; alors, il va se réfugier près d’un homme blanc et lui promet de travailler pour lui. Roheim ne le relève pas, mais Ramoramo « croit » à ses rêves - dont nous dirions aujourd’hui qu’ils sont « culturellement codés ». Et lorsqu’il les raconte à un anthropologue blanc, il est vraisemblablement animé d’une attente à son égard, qu’on pourrait appeler un « pré-transfert ». Dans le second rêve, il est question d’un repas d’offrande pour les morts. Puis dans le troisième, le rêveur est poursuivi par un cochon, et pour se sauver, il grimpe à un arbre. Le cochon 11 Ce qu’on pourrait mettre en rapport avec la formule de Lacan : « un sujet, c’est ce qui représente un signifiant pour un autre signifiant ». 12 Voilà pourquoi nous « tenons » tellement à notre vision du monde (dans les deux sens du terme : elle nous est chère et c’est elle qui nous fait tenir) ! Mais évidemment, ce qui est vrai pour nous est vrai aussi pour les « autres », ceux qui ont une « autre » vision du monde. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 91.170.61.236 - 11/11/2019 12:30 - © De Boeck Supérieur La nuit étoilée : rêve, transfert et vision du monde Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 91.170.61.236 - 11/11/2019 12:30 - © De Boeck Supérieur 13 Selon lui, les deux lectures psychanalytique et anthropologique - sont amenées à se croiser constamment en clinique, mais sans jamais se confondre mutuellement. C’est la définition du complémentarisme, comme principe méthodologique fondateur de l’ethnopsychanalyse. Ainsi, il n’est pas légitime d’interpréter du point de vue psychanalytique un élément culturel, par exemple le « cochon de brousse » (qui est une des figures que prennent les sorciers dans cette culture-là), comme le fait Roheim (c’est-à-dire comme s’il s’agissait d’un symbolisme universel) et d’y voir d’emblée par exemple le surmoi du rêveur. 14 L’histoire de cette thérapie a été portée à l’écran par Arnaud Desplechin sous le titre : « Jimmy P. », présenté au festival de Cannes, 2013. La nuit étoilée : rêve, transfert et vision du monde du rêve apparaît comme une figure composite : d’une part, il évoque le cochon d’offrande que Ramoramo est occupé à engraisser pour le festin en l’honneur de sa mère - nous apprenons alors qu’elle est morte depuis peu. D’autre part, il évoque un cochon de brousse, car il est pourvu de défenses : c’est une des formes que prennent les sorciers pour emporter leurs victimes. Roheim propose ici une interprétation « symbolique » : le cochon de brousse représente la culpabilité et le surmoi - un surmoi pourvu de défenses mâles, et donc, un surmoi héritier du complexe d’Œdipe. C’est ce qu’il espérait bien démontrer, par rapport à ceux qui pensaient que les « Primitifs » ne connaissaient ni l’Œdipe ni le refoulement. Mais ce qui est dommage, c’est que Roheim ne tient pas compte de l’interprétation culturelle des rêves de Ramoramo ; du coup, il ne peut pas tenir compte non plus de ce qui nous apparaît (de manière assez évidente, aujourd’hui) comme une interpellation à son égard. Bref, l’avancée méthodologique de Roheim est capitale, mais elle est encore insuffisante. Georges Devereux D’origine hongroise (1908-1985), comme Roheim avec qui il a été très lié, anthropologue avant d’être psychanalyste, et comme lui grand voyageur, Devereux - qui allait devenir le père de l’ethnopsychanalyse complémentariste13 - s’est beaucoup intéressé aux rêves. En particulier dans un ouvrage publié en 1951 (réédité en 1998 avec une préface d’E. Roudinesco) : Psychothérapie d’un Indien des plaines. Réalité et rêve14. Il s’agit du compte rendu de la première psychothérapie transculturelle, celle de Jimmy Picard, un Indien élevé dans une Réserve américaine, et que Devereux rencontre lors d’un stage de psychanalyse à l’hôpital pour vétérans où le jeune homme avait échoué, après la deuxième guerre mondiale. L’Indien avait en effet été enrôlé dans l’armée américaine, à la fin de la guerre, pour aller en Allemagne, et là, il a été victime d’un accident : il est tombé d’une jeep en état d’ivresse. Juste avant, il avait appris que sa femme lui était infidèle. Suite à cet accident, il est rapatrié aux USA, démobilisé et reconnu invalide. Il retourne dans la Réserve, il divorce de sa femme infidèle mais il déprime, il boit, il a des vertiges, Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 91.170.61.236 - 11/11/2019 12:30 - © De Boeck Supérieur 138 La nuit étoilée : rêve, transfert et vision du monde 15 Il pourrait s’agir, nous semble-t-il, de symptômes posttraumatiques, mais ce n’est pas le diagnostic retenu à l’époque par les médecins de l’hôpital. 16 Ce qui constitue évidemment un « appel des rêves » pour la suite de la thérapie. 17 Ce point paraît très important et précieux sur le plan méthodologique. 18 Les Indiens continueraient-ils à invoquer leurs esprits gardiens si ceux-ci n’apparaissaient pas régulièrement dans leurs rêves ? 19 De nouveau, la théorisation de Lacan apparaît ici irremplaçable, avec l’omniprésence de cette dimension du « Langage » et du « Symbolique », dans les productions de l’inconscient (rêve, symptôme, transfert). Du moment que la catégorie de l’inconscient lacanien « structuré comme un langage » englobe celle du préconscient chez Freud, qui remanie, qui réélabore sans cesse au moyen du processus secondaire, tout ce qui fait irruption sur la scène psychique. Le reste, la part d’inconscient sur laquelle le processus secondaire et le langage (le « Symbolique ») n’auraient pas réussi à exercer leur emprise, .../.... Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 91.170.61.236 - 11/11/2019 12:30 - © De Boeck Supérieur Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 91.170.61.236 - 11/11/2019 12:30 - © De Boeck Supérieur des maux de tête, des cauchemars (singulièrement à thème de chute)15. On lui présente Devereux comme un docteur qui connaît bien sa culture et d’emblée celui-ci l’interroge sur ses rêves16 - en anthropologue confirmé, Devereux reconnaît immédiatement les éléments culturels dans les rêves de Jimmy. Étant par ailleurs débutant en psychanalyse, il ose s’exposer dans ses doutes et ses hésitations17 - jamais il n’adopte une position de maîtrise et il est animé d’un réel souci thérapeutique envers l’Indien. Très vite (lors du sixième entretien), le jeune homme raconte un rêve de chasse dans lequel Devereux l’accompagne et le conseille (p.266) ; aussitôt, l’anthropologue reconnaît le style de rêve typique de sa culture, dans lequel un esprit gardien vient apporter au rêveur courage et protection. « Dans votre rêve », lui dit-il, « je suis exactement comme l’esprit gardien des chasseurs de jadis ». On voit bien qu’il accorde pleinement confiance au système de sens traditionnel pour aider le patient à élaborer ses souffrances ; il lui accorde pleinement crédit. Et c’est pourquoi, nous semble-t-il, la thérapie qui se déroule pendant les six mois d’hospitalisation du jeune homme se révèle féconde. Voici comment nous proposons de relire cette histoire après coup : irruption soudaine du non-sens, l’accident est d’abord constamment revécu dans les rêves et les cauchemars à thème de chute. Jusqu’au jour où Jimmy rencontre Devereux : en redonnant consistance à son cadre culturel d’origine, à son univers de sens traditionnel, l’anthropologue redonne vie à l’esprit gardien, il crée véritablement les conditions de son apparition, dans les rêves et dans le transfert. On pourrait dire : il convoque véritablement l’esprit gardien ! Alors, tout ce qui est arrivé à l’Indien depuis la guerre (son périple en Europe, sa chute, peut-être même déjà son divorce), tout cela prend sens et apparaît après coup comme une sorte de parcours initiatique qui devait lui permettre de rencontrer enfin son esprit gardien, d’être enfin « adopté » par lui. Eh oui ! Voilà ce que la clinique transculturelle met clairement en lumière : le rêve n’est pas un phénomène « naturel » ni spontané ! Il s’agit d’un événement culturel et transférentiel : il s’inscrit dans un univers de sens - qu’il contribue d’ailleurs à nourrir, à confirmer par l’expérience18. En même temps19, il interpelle, il s’adresse à un « Autre », celui qui est « supposé en savoir » quelque chose… 139 140 La nuit étoilée : rêve, transfert et vision du monde .../... leur domination, correspondrait finalement au seul refoulé originaire, ou encore à la catégorie du « Réel », avec notamment certaines productions délirantes dominées par le processus primaire. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 91.170.61.236 - 11/11/2019 12:30 - © De Boeck Supérieur 20 Cette histoire clinique est exposée en détail dans Voyager la nuit (Pierre 2005) et elle est reprise et commentée dans Comment la souffrance se dit en rêve. Un regard ethnopsychiatrique (Pierre 2012) ; elle est aussi évoquée dans plusieurs articles consacrés à l’interprétation des rêves en clinique transculturelle (1999a, 2000, 2006, 2009). Elle nous a semblé particulièrement intéressante parce que le rêve dont il va être question ici encore s’est révélé après coup comme un « rêve-programme », qui résumait l’ensemble de la problématique de la rêveuse ; en même temps, une étiologie traditionnelle se trouvait clairement figurée dans son contenu manifeste, comme en attente de lui être révélée par les thérapeutes. Cf ci-dessous. Dans la culture marocaine aussi le rêve est très important. Comme nous le disions plus haut, on peut y voir le djinn qui attaque le rêveur (souvent un homme avec un couteau), le saint (le marabout) qui le protège de sa bénédiction, ou encore les morts (souvent habillés en blanc) qui pourraient l’attirer auprès eux dans l’au-delà. Finalement, à travers les rêves, c’est toute une vision du monde qui se déploie, c’est tout un univers de sens qui donne forme à l’expérience humaine. Ainsi, dans l’histoire de Saïda20, cette jeune femme marocaine (en Belgique depuis vingt ans), qui vient à la consultation avec son mari parce qu’elle se dispute tout le temps avec lui et avec ses enfants, depuis son dernier accouchement, quelques mois plus tôt. Nous les recevons, un collègue psychologue et moi, avec aussi la psychologue qui l’a d’abord reçue à l’hôpital. Dès le premier entretien, nous suggérons que Saïda pourrait être possédée : peut-être y a-t-il des conflits à la maison parce qu’il y a des conflits à l’intérieur d’elle-même, entre elle-même et une « force » qui ne lui appartient pas. Autrement dit, d’emblée, nous accordons pleinement confiance aux représentations et aux pensées propres à l’univers de sens marocain pour donner forme au vécu de la jeune femme. Un mois plus tard, au quatrième entretien, elle raconte le rêve suivant : Elle est poursuivie, elle et une autre jeune fille, par un homme avec un couteau et une femme en blanc. Elles s’enfuient toutes les deux, elles arrivent au pied d’un arbre. Saïda réussit à se sauver en grimpant en haut de l’arbre, mais l’autre fille se fait attraper : l’homme au couteau la frappe, pendant que la femme en blanc l’empêche de crier ; elle saigne, elle va mourir. À ce moment, Saïda qui assiste à la scène du haut de l’arbre où elle s’est réfugiée, Saïda pense « ma fille, je t’abandonne ! » Elle pense à son tout premier bébé, une petite fille prématurée qui est morte à la naissance, après quelques jours de vie. Elle voudrait crier, mais elle étouffe, et c’est alors qu’elle se réveille. Vous aurez remarqué qu’au moment où l’autre fille est bâillonnée par ses agresseurs au pied de l’arbre, c’est elle - Saïda, la rêveuse - qui étouffe et qui n’arrive plus à crier, en haut de l’arbre. Nous disions tout à l’heure que la façade du rêve Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 91.170.61.236 - 11/11/2019 12:30 - © De Boeck Supérieur La clinique transculturelle actuelle : l’exemple d’une patiente marocaine Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 91.170.61.236 - 11/11/2019 12:30 - © De Boeck Supérieur peut être la révélation la plus immédiate de son noyau : ce moment où la rêveuse étouffe et s’angoisse en assistant à la scène où l’autre fille se fait battre à ses pieds, nous proposons d’y voir le moment où elle s’identifie à la victime. Comme dans le fantasme décrit et analysé par Freud « Un enfant est battu » (1919), dans lequel le sujet joue ce jeu auto-érotique et masochiste qui consiste à s’identifier, dans ses rêveries, à un enfant battu21. Par ailleurs, quand on est un peu familiarisé avec l’univers de sens traditionnel marocain, on reconnaît sans peine, dans la façade du rêve, dans son contenu manifeste, une étiologie traditionnelle, à savoir l’étiologie du travail sorcier sur le placenta. En Afrique et au Maghreb, notamment, on enterre rituellement le placenta au pied d’un arbre, comme s’il était le « double », le « jumeau » du bébé, qui doit retourner dans l’autre monde et qui, de là, protégera l’enfant tout au long de sa vie. La face obscure de cette pensée traditionnelle, c’est qu’il est possible de travailler en sorcellerie sur le placenta et que cela se répercute à distance sur la personne du bébé. Le lien qui unit de façon si singulière Saïda et l’autre jeune fille, laissée pour morte et tout en sang au pied de l’arbre - ce lien par lequel leurs destins à la fois se séparent et se nouent - tout cela (c’est-à-dire tout un ensemble logique, en plus de la scène visuelle) contribue à évoquer la théorie du travail sorcier sur le « jumeau-placenta ». Notez bien que ceci est indépendant des associations libres de la rêveuse : c’est comme pour le cochon de brousse de Ramoramo, qui est une des formes que prennent les sorciers dans sa culture. Ou comme pour le rêve de chasse de l’Indien dans lequel Devereux se reconnaît à la place de l’esprit gardien. Et nous pensons qu’il s’agit d’une construction du rêve lui-même : pour être précis, une construction culturelle par le processus d’élaboration secondaire qui relève du préconscient. À la manière d’une rêverie diurne, cette pensée propre à l’univers de sens traditionnel viendrait symboliser le scénario inconscient : comme s’il y avait une mystérieuse « communication de l’intérieur » entre les deux, selon l’expression (citée plus haut) de Laplanche et Pontalis (1967) dans le Vocabulaire de la psychanalyse. Cependant Saïda n’est pas une patiente « facile » ; au lieu de nous parler d’elle, de son enfance, de ses rêveries, au lieu d’associer librement, elle préfère rejouer devant nous avec 141 21 Pour Freud (1919), le premier temps logique du « montage » de ce fantasme est le souvenir d’une scène à laquelle l’enfant a assisté et au cours de laquelle son rival œdipien s’est fait battre par le père ou un substitut de celui-ci. Le second temps, régulièrement inconscient, organise à son insu toute la vie psychique du sujet : il s’agit du retournement contre soi du sadisme envers le rival - il s’agit donc du masochisme - mais qui constitue aussi une satisfaction régressive du désir sexuel envers le père. Enfin, dans un troisième temps logique, le sujet s’adonne à la rêverie consciente dans laquelle il s’identifie avec une jubilation féroce à tout ce qui peut représenter l’« enfant battu ». Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 91.170.61.236 - 11/11/2019 12:30 - © De Boeck Supérieur La nuit étoilée : rêve, transfert et vision du monde Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 91.170.61.236 - 11/11/2019 12:30 - © De Boeck Supérieur 22 Après coup, bien sûr, il apparaît que c’est elle qui essayait sans succès de nous interpeller, à travers la façade de ses rêves ! C’était notre propre résistance à entrer véritablement dans sa vision des choses qui faisait obstacle au déploiement du transfert ! 23 Cf. Construction dans l’analyse (Freud 1937). 24 C’est le noyau pervers de la névrose ce plaisir « pas à coup sûr sexuel, pas même sadique, mais pourtant la matière dont doivent sortir l’un et l’autre » (Freud 1919 : 227). La nuit étoilée : rêve, transfert et vision du monde son mari les disputes qui font rage à la maison. La violence intrafamiliale prend souvent des proportions inquiétantes. Et nous n’arrivons pas à interpeller la jeune femme de façon à ce qu’elle se mette au travail dans la thérapie22. Dans ce contexte - après des mois d’hésitations et après avoir essayé en vain de la mobiliser autrement - je dois bien accepter enfin d’interpréter les choses « à la manière marocaine » ; je dois me risquer, comme le ferait une voyante ou une guérisseuse de son pays, en lui révélant le sens caché de son rêve : « on a travaillé (en sorcellerie) sur son placenta ! » Alors bien sûr, nous ne savons pas ce que cela recouvre, mais nous pensons que c’est là l’interprétation (préconsciente) que Saïda se donne en rêve (dans le contenu manifeste, remanié par l’élaboration secondaire et culturellement codé). C’est là sa « vérité » qui se fait jour et elle attend que nous la lui confirmions. Nous dirions après coup que nous avons seulement validé ainsi sa propre interprétation en rêve, son auto-interprétation. Alors, suite à cette intervention - qui correspond bien à ce que nous pouvons attendre d’une interprétation en psychanalyse, c’est-à-dire qu’elle fait émerger un matériel nouveau dans la cure23 - Saïda réagit enfin et sa famille aussi se mobilise, au Maroc. Un véritable processus d’élaboration se déclenche et se poursuit durant plus ou moins deux ans. Ce processus, nous pouvons l’appréhender dans la logique traditionnelle marocaine mais nous pouvons aussi le suivre avec nos repères freudiens habituels : notamment l’analyse patiente, la décomposition minutieuse de tout ce qui vient confluer dans un fantasme du type « Un enfant est battu », fantasme qui affleure déjà en façade du rêve, tout au début de la thérapie. Ainsi, elle se souvient que leur père les avait menacées toutes les deux, sa petite sœur et elle ; il avait menacé de les enterrer dans une carrière d’argile, si elles continuaient d’aller jouer dans le champ du voisin. Une autre fois, Saïda avait vu sa sœur et une vieille femme qui la poursuivait avec sa faucille, comme pour la frapper. Voilà le premier temps sadique du fantasme, basé sur le souvenir : il y a du plaisir à voir l’autre, la rivale, qui se fait battre par le père ou un substitut du père24. Mais une autre figure de rival se profile aussi là derrière : le premier bébé de sa mère, un petit garçon, qui était tout bleu et qui est mort à la naissance ; on a dit qu’il Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 91.170.61.236 - 11/11/2019 12:30 - © De Boeck Supérieur 142 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 91.170.61.236 - 11/11/2019 12:30 - © De Boeck Supérieur avait été frappé par un djinn dans le ventre de sa mère. Et puis, bien sûr, son premier bébé à elle aussi, Saïda - c’était une petite fille - son premier bébé à elle aussi est mort à la naissance… Ce premier bébé, elle y pense à la fin du rêve de l’arbre : « mon bébé, ma fille, je t’abandonne ! » À ce moment-là - nous reprenons ici l’analyse du rêve elle s’identifie (telle est notre hypothèse) à cette figure de l’enfant battu. Et c’est le second temps, masochiste, du fantasme : quand au plus fort de l’excitation devant le spectacle de l’autre enfant battu par le père, le sadisme se retourne contre la personne propre. À ce moment-là, le moi se dégage de sa collusion avec le ça, en même temps que l’instance naissante du surmoi prend à son compte et assume désormais le sadisme contre le moi25. Nous voyons que c’est le scénario du fantasme - et on pourrait même dire la structure narrative du fantasme - qui crée et qui entretient cette tension entre les instances psychiques. C’est-à-dire qu’il n’y a pas un sujet qui serait entièrement constitué et qui s’adonnerait au fantasme de façon subsidiaire : non, c’est bel et bien le fantasme qui le traverse de part en part, qui l’anime et qui le fonde, dans toute son épaisseur subjective ! Comme dans le rêve - où le sujet apparaît divisé en instances qui à la fois se séparent et se nouent dans un même scénario - le sujet divisé apparaît « pris dans les rets » du fantasme qui le constitue26. Un sujet ou un fantasme qui s’inscrit dans une dimension historique, ou en tout cas, qui revendique son historicité dans la mémoire et la reconstruction après coup des scènes traumatiques de l’enfance. Quant à l’étiologie traditionnelle, elle rassemble et dramatise - en un mot : elle « symbolise » - toute cette richesse, toute cette complexité du fantasme, y compris dans sa dimension narrative ou « historicisante » (il y a eu un « avant » et un « après »), en même temps qu’elle permet à Saïda d’interpeller sa famille aussi bien que ses thérapeutes, de réclamer réparation : on ne l’a pas assez aimée, on a voulu sa mort… Au terme d’une thérapie ethnopsychanalytique qui aura duré plusieurs années, nous n’aurons certes pas assisté à une levée totale de tout ce qui faisait symptôme pour la jeune femme, mais nous aurons tout de même obtenu un apaisement réel et durable de son vécu personnel et de la situation familiale. 143 25 Cf J.Florence 1978. 26 On pourrait y retrouver les différents termes du schéma L de Lacan (1955) : Saïda et l’autre jeune fille en positions a et a’, l’homme au couteau et la femme en blanc en position de S (Es), et lorsque la rêveuse, du haut de l’arbre, assiste à la scène, c’est de l’Autre absolu - le divin, la voûte céleste - c’est de là qu’elle reçoit ce regard (ou ce savoir) nouveau sur elle-même. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 91.170.61.236 - 11/11/2019 12:30 - © De Boeck Supérieur La nuit étoilée : rêve, transfert et vision du monde 144 La nuit étoilée : rêve, transfert et vision du monde Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 91.170.61.236 - 11/11/2019 12:30 - © De Boeck Supérieur Alors au fond, que s’est-il passé, en réalité, entre Saïda et nous ? Nous avons redonné consistance à son univers de sens traditionnel marocain pour soutenir ses élaborations personnelles. Et nous avons tout simplement créé ainsi les conditions de possibilité de l’aventure transférentielle comme mobilisation du sujet par rapport au savoir et à la vérité. En somme, il s’agissait d’interroger ce lieu de l’Autre - le divin, la voûte céleste, le trésor des signifiants - cette dimension qui tout à la fois transcende et fonde l’être humain. Les rêves y ont joué un rôle déterminant - ne représentent-ils pas la quintessence de la subjectivité ? Une expérience de pur sujet (il n’y a pas d’objet à percevoir, le rêveur est bien seul avec lui-même), de pure mémoire, de pur fantasme ; un pur sujet réécrivant son histoire, dans cette incroyable activité d’auto-interprétation. Une autointerprétation qui s’adressait alors à nous, thérapeutes, comme « supposés savoir », afin que nous la confirmions, que nous la validions, en quelque sorte, que nous lui accordions pleinement confiance. Or ceci ne pouvait se faire que dans le contexte d’ensemble de la vision du monde de la jeune femme, c’est-à-dire en formulant les choses comme la patiente se les formulait à elle-même (elle est victime d’une attaque de sorcellerie depuis sa naissance), et en acceptant d’intervenir à la manière d’une « chouwafa », d’une voyante traditionnelle qui « lirait » dans les rêves les messages provenant d’un « au-delà » de la rêveuse. Alors, oui, avec ceux de nos patients qui viennent d’autres horizons culturels, la psychanalyse peut bien prétendre aller à la rencontre de quelque chose d’universel dans l’expérience humaine… Pourvu qu’elle respecte les modalités du transfert propres à leur culture, évidemment ! Cela peut sembler paradoxal, mais c’est ainsi qu’elle est à la fois pleinement, véritablement éthique et scientifique : en respectant la vision du monde de ceux qui viennent d’ailleurs. Enfin, l’acte de foi du psychanalyste, c’est de parier pour et sur l’efficacité qu’on peut bien appeler « symbolique » de leur vision du monde, ce trésor culturel qu’ils ont emporté avec eux… et qui nous emmène à son tour dans le plus passionnant des voyages ! Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 91.170.61.236 - 11/11/2019 12:30 - © De Boeck Supérieur Discussion La nuit étoilée : rêve, transfert et vision du monde Aouattah A. Ethnopsychiatrie maghrébine. Paris : L’Harmattan ; 1993. 145 Bibliographie Aouattah A. Le rêve : de la maladie à la guérison dans le maraboutisme marocain. L’autre. 2003 ; 4(1) : 43-52. Anzieu D. (1959) L’auto-analyse de Freud et la découverte de la psychanalyse. Paris : PUF ; 1988. Dadoun R. Géza Roheim et l’essor de l’anthropologie psychanalytique. Paris : Payot ; 1972. De neuter P. (1994) Freud et la question de la Weltanschauung psychanalytique. Le Bulletin Freudien. 1994 ; 23-24 : 9-20. Dermenghem E. (1954) Le culte des saints dans l’islam maghrébin. Paris : Gallimard ; 1982. Devereux G. (1951) Psychothérapie d’un Indien des Plaines - Réalité et rêve. Paris : Fayard ; 1998. Devereux G. (1972) Ethnopsychanalyse complémentariste. Paris : Flammarion ; 1985. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 91.170.61.236 - 11/11/2019 12:30 - © De Boeck Supérieur Freud S. (1887-1902) La naissance de la psychanalyse. Paris : PUF ; 1991. Freud S. (1900) L’interprétation des rêves. Paris : PUF ; 1987. Freud S. (1901) Sur le rêve. Paris : Gallimard ; 1988. Freud S. (1912) Le maniement de l’interprétation des rêves en psychanalyse. La technique psychanalytique, Paris, PUF, 1989. Freud S. (1912-1913) Totem et tabou, Paris, Payot, 1988. Freud S. (1914) Pour introduire le narcissisme. La vie sexuelle, Paris, PUF, 1988. Freud S. (1918a) Extrait de l’histoire d’une névrose infantile (L’homme aux loups). Cinq psychanalyses. Paris : PUF ; 1985. Freud S. (1919) Un enfant est battu. Névrose, psychose et perversion. Paris : PUF ; 1985. Freud S. (1920) Au-delà du principe de plaisir. Essais de psychanalyse. Paris : Payot ; 1988. Freud S. (1923) Le moi et le ça. Essais de psychanalyse. Paris : Payot ; 1988. Freud S. (1926) Inhibition, symptôme et angoisse. Paris : PUF ; 1986. Freud S. (1927) L’avenir d’une illusion. Paris : PUF ; 1996. Freud S. (1937) Constructions dans l’analyse. Résultats, idées, problèmes. Paris : PUF ; 1985. Lacan J. (1955) Le Moi dans la théorie de Freud et dans la technique psychanalytique. Livre II. Paris : Seuil ; 1978. Laplanche J., Pontalis J.B. (1967) Vocabulaire de la psychanalyse. Paris : PUF ; 1984. Laplanche J., Pontalis J.B. Fantasme originaire, fantasmes des origines, origines du fantasme. Les temps modernes. 1964 ; 215 : 1833-68. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 91.170.61.236 - 11/11/2019 12:30 - © De Boeck Supérieur Florence J. L’identification dans la théorie freudienne. Bruxelles : Publication des Facultés Universitaires Saint Louis ; 1978. 146 La nuit étoilée : rêve, transfert et vision du monde Laplanche J. (1987) Nouveaux fondements pour la psychanalyse. Paris : PUF ; 2008. Lévi-Strauss Cl. (1949) L’efficacité symbolique. Anthropologie structurale. Paris : Plon ; 1974. Muensterberger W. L’anthropologie psychanalytique depuis « Totem et tabou ». Paris : Payot ; 1976. Pierre D. Zohra, le mauvais œil et la citrouille. Clivage du moi chez les enfants de migrants. Nouvelle Revue d’Ethnopsychiatrie. 1993 ; 20 : 201-230. Pierre D. Maniement des interprétations étiologiques traditionnelles dans la thérapie de migrants. Cahiers de psychologie clinique. 1995 ; 4 : 109-119. Pierre D. L’interprétation des rêves en ethnopsychiatrie. Acta Psychiatrica Belgica. 1998 ; 5 : 241-254. Pierre D. Rêve et prescription. Nouvelle Revue d’Ethnopsychiatrie. 1999a ; 35-36 : 39-48. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 91.170.61.236 - 11/11/2019 12:30 - © De Boeck Supérieur Pierre D. Images du rêve et construction de la réalité culturelle. Annales d’histoire et de philosophie du vivant. 2000b ; 3 : 103-114. Pierre D. A propos du cauchemar dans la théorie freudienne : l’élaboration secondaire comme inscription dans la culture. L’autre. 2001 ; 2 (1) : 129-142. Pierre D. Voyager la nuit. L’interprétation des rêves en ethnopsychiatrie. Grenoble : La Pensée sauvage ; 2005. Pierre D. L’élaboration secondaire du rêve. Un concept clef dans la rencontre transculturelle. Santé mentale au Québec. 2006 ; XXXI (2) : 109-122. Pierre D. Rêve et contre-transfert en ethnopsy : le thérapeute « métissé ». L’autre. 2009 ; 10 (3) : 327-332. Pierre D. Comment la souffrance se dit en rêve. Un regard ethnopsychiatrique. Paris : PUF ; 2012. Roheim G «Dream analysis and fieldwork in anthropology», Psychoanalysis and the social sciences. 1947 ; 1: 87-130 ; trad. fr. in W. Muensterberger. L’anthropologie psychanalytique depuis «Totem et Tabou». Paris : Payot ; 1976 : 117-154. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 91.170.61.236 - 11/11/2019 12:30 - © De Boeck Supérieur Pierre D. Maniement des représentations traditionnelles et interprétation des rêves en ethnopsychiatrie. Thèse de doctorat en sciences médicales. Université Catholique de Louvain. 1999b.