52 MANAGEMENT © phototechno-istock Du management de la qualité à la qualité du management, une évolution gagnante Passer du concept un peu creux de « management de la qualité » à celui, bien plus pertinent, de « qualité du management » n’est pas si compliqué. Et cela est essentiel pour augmenter la performance et construire le succès des entreprises. Mais comment changer la qualité de son management ? En suivant le mode d’emploi... Novembre-Décembre 2018 ❘ Biologiste infos L e concept de « management de la qualité » s’est imposé à la fin des années 1980, avec la publication du triptyque de normes ISO 9001 - 9002 - 9003. Il s’agissait alors d’organiser, au sein même des entreprises, une fonction censée garantir la conformité des produits et des services proposés à un cahier des charges supposé complet et pertinent. Dans les organigrammes, sont alors apparus des « RQ » (responsables qualité) ou des « RAQ » (responsable assurance qualité), dont le rattachement au plus haut de la pyramide hiérarchique était symbolisé par un trait en pointillé le reliant à la direction 53 MANAGEMENT Hubert BAZIN, Consultant en management générale. Les évolutions successives des normes de la série ISO 9000, l’apparition de l’accréditation n’ont rien fait bouger dans cette représentation. Le modèle ne fonctionne pas Trente ans plus tard, force est de constater que le modèle n’a pas apporté toutes les retombées positives que l’on pouvait en attendre. En effet, les clients continuent à se tromper de temps à autre lorsqu’ils passent commande, les fournisseurs persistent (parfois) à se méprendre sur les produits qu’ils expédient ou envoient des marchandises qui se révèlent non-conformes. Les audits continuent à mettre Le management de la qualité n’est pas enseigné à ceux qui deviendront dirigeants, ils ne savent pas ce qu’ils peuvent en retirer. en évidence des procédures mal écrites, mal comprises, mal appliquées, quand elles ne sont pas inconnues du personnel chargé de les mettre en œuvre. Ce même personnel auquel il arrive encore de commettre des erreurs, alors qu’il est censé avoir été formé et que son habilitation est régulièrement confirmée. Des revues de direction se terminent encore sans que l’on ait clairement statué sur l’adéquation des moyens aux objectifs affichés. Même le secteur automobile, qui a poussé très loin le concept, est parfois amené à rappeler plusieurs dizaines ou centaines de véhicules présentant un défaut grave. Dans les laboratoires, on réalise toujours certains essais en double – faute de confiance dans le premier résultat –, on subit encore des pannes de matériel, les tubes utilisés ne sont pas toujours adaptés à l’essai demandé… Bref, nous sommes encore loin du zéro défaut ! Pourtant, les principes managériaux contenus dans les normes telles que les ISO 9001, 15189, 17025 ou 13485 sont excellents. Pourquoi le modèle ne fonctionne-t-il donc pas ? La première raison qui vient à l’esprit est le manque de formation des décideurs en matière de management de la qualité. Dans les écoles de management, les Instituts d’études politiques et même dans les écoles d’ingénieurs, cette matière est très accessoire, abordée rapidement en fin de cursus, et principalement tournée vers la présentation des systèmes normatifs et de la certification. Il en est aussi ainsi dans les formations des médecins et des pharmaciens. Seuls les pharmaciens ayant choisi l’option « industrie » auront droit à un peu plus de contenus, mais principalement dédiés au contrôle de conformité et non à l’aspect managérial. La seconde raison est psychologique. L’expression « management de la qualité » (que j’ai pourtant utilisée plus haut) porte en elle une dimension d’infériorité. Il existerait un management « noble » de l’entreprise, avec ses fonctions « régaliennes » (définition de la stratégie, activités commerciales, marketing, finances, juridique…) et un management « de la qualité », ne s’intéressant qu’à une petite fraction forcément subalterne. Il est alors légitime pour la direction de ne pas s’y intéresser (il serait même presque inconvenant qu’elle le fasse). On va donc recruter ou désigner un « responsable qualité » auquel on fixera l’objectif de conserver la certification ou l’accréditation, et auquel on ne donnera que peu de pouvoir sur le système. Il (ou elle) n’obtiendra donc pas de résultats spectaculaires. Son activité risque de glisser progressivement vers une bureaucratie confortable, sans vagues, organisée autour de la rédaction de documents et la mise en forme de tableaux de bord. De temps à autre, il (ou elle) organisera les audits internes et relancera les pilotes de processus sur les actions correctives à réaliser. La valeur ajoutée pour l’entreprise n’est pas toujours évidente, mais au moins conserve-t-elle la certification… Il est possible, et même facile, de faire mieux ! Leadership et approche processus Le lien entre un système de management efficace et des résultats économiques optimisés est pourtant une évidence triviale. Dans la mesure où ces résultats économiques font toujours partie des objectifs des directions, il devrait être facile de mettre les deux en phase. Annoncer que l’on va donner plus de pouvoir au « responsable qualité » est à mon avis un leurre. Si on ne change pas radicalement la vision des directions vis-à-vis des qualiticiens, ce pouvoir se limitera vraisemblablement à une déclaration d’intention, sans réelle traduction opérationnelle. En effet, la grande majorité des opportunités d’amélioration se situent au niveau du système, de l’organisation. Et, seule la direction peut agir à ce niveau. Il est donc temps d’introduire le concept de qualité du management. Cette simple inversion des mots permet de faire remonter la responsabilité, mais aussi l’opérationnalité au plus haut niveau de la hiérarchie. On ne va plus rechercher la certification ou l’accréditation du fait Biologiste infos ❘ Novembre-Décembre 2018 54 MANAGEMENT EN SAVOIR PLUS La qualité du management - levier de la compétitivité, Hubert Bazin, AFNOR éditions, août 2018. de la contrainte imposée par les clients ou l’administration. On va plutôt utiliser dans les normes de management (que sont l’ISO 9001 ou l’ISO 15189) les principes de management qui pourront optimiser la rentabilité des investissements, diminuer les coûts sans toucher à la masse salariale et fidéliser les clients, les salariés et les fournisseurs. Ce préalable sémantique posé, il convient d’insister sur la dimension régalienne du management, qui se trouve aussi être un des principes fondamentaux du management de la qualité : le leadership. On ne parle pas ici des capacités à influencer les comportements ou à manipuler les personnes, mais de l’attitude qui consiste à fixer un cap et à distribuer auprès de personnes choisies pour leurs compétences des moyens en lien avec les objectifs. Cela nous amène à un autre principe de base de la qualité : l’approche processus. Il ne s’agit pas de créer un graphique en couleurs, mais bien de découper l’activité – donc les zones de responsabilité – en unités cohérentes. Deux laboratoires différents n’ont pas nécessairement la même organisation, puisqu’ils ne travaillent pas dans le même contexte, avec les mêmes clients, les mêmes équipements, les mêmes contraintes. Le schéma fourni il y a dix ans par l’association Bio Qualité, qui accompagne les laboratoires de biologie médicale dans le développement de la qualité depuis 2002, proposait une organisation « moyenne », représentative d’un laboratoire libéral avec un ou deux biologistes, une personne au secrétariat et quelques technicien(ne)s devant les paillasses. Les évolutions récentes du secteur, en particulier les regroupements, ont rendu ce modèle obsolète. Il convient donc de consacrer tout le temps nécessaire pour que le découpage affiché représente réellement les diverses activités. Chaque laboratoire doit pouvoir justifier du découpage – nécessairement original – qu’il a réalisé. Et seule la direction peut valider ce découpage. Il ne lui reste alors qu’à apporter quelques changements quant à sa manière de manager. • Fixer un cap et des objectifs stratégiques. • Déterminer de véritables priorités, en nombre limité. • Avoir confiance dans les équipes – les pilotes ayant été choisis pour leurs compétences, il serait même dangereux qu’une personne moins compétente décide à leur place… Novembre-Décembre 2018 ❘ Biologiste infos Néanmoins, on doit continuer à ne pas faire confiance aux équipements et à passer des contrôles. • Se montrer enthousiaste, humble et juste. • Se pencher sérieusement sur les formations dont les salariés ont besoin. • Savoir prendre des décisions. Ensuite, utiliser quelques méthodes appropriées est nécessaire. • Écrire seulement les choses utiles : la compétence est bien plus efficace qu’une procédure pour garantir un résultat. • Utiliser l’approche « risques » pour identifier les points qu’il est indispensable de maîtriser. Cela est vrai pour à peu près toutes les décisions à prendre. • Se montrer intraitable sur toutes les activités de conception : nouvelle méthode, nouvel équipement, nouvelle organisation, c’est avant la mise en œuvre que les dysfonctionnements potentiels doivent être éliminés. Et là encore, l’analyse de risques est un outil incontournable. • S’astreindre à formaliser le retour d’expérience ; c’est ce qui nourrit vraiment l’amélioration continue. • Se concentrer sur les modifications à apporter au système plutôt que sur les dysfonctionnements (qui n’en sont que les symptômes). W. Edwards Demig, théoricien de la qualité, disait que 96 % des opportunités d’amélioration étaient aux mains de la direction générale, puisqu’elles avaient trait à l’organisation : les responsables qualité font la chasse aux 4 % restant… Six points de comportement à modifier et cinq outils à utiliser... Peu de choses sont donc à changer pour augmenter de manière considérable la performance du laboratoire. Malheureusement, il n’est pas possible de ne retenir que ce qui vous convient dans la liste qui précède. Et, le retour d’expérience ne sera d’aucune utilité si la direction n’adopte pas le principe d’humilité, de même que la confiance dans les équipes est indispensable le jour où l’on réalise une analyse de risques. Mais ce n’est ni impossible, ni même difficile. De plus, cela ne vient en aucune façon en contradiction avec les principes énoncés dans l’ISO 15189, pas plus que cela ne rend inutile les contrôles de qualité ou la validation des méthodes. C’est seulement une manière de voir différente, pour passer du concept un peu creux de « management de la qualité » à celui, bien plus pertinent, de « qualité du management ». Cette qualité de management, indispensable pour construire le succès des entreprises. ■ Hubert BAZIN, ingénieur, consultant en management, accompagne les entreprises dans leurs projets de certification ou d’accréditation. Il est partenaire du cabinet lyonnais SFC Formation Consulting.