AMMIEN MARCELLIN HISTOIRE DE ROME Ammien Marcellin est né vers 330 à Antioche, en Syrie, importante ville de l'Empire romain, dans une famille grecque. C'est un païen modéré qui suit une carrière militaire puis quitte l'armée à la mort de l'empereur Julien en 363 et s'établit à Rome où il meurt vers 395. C'est là qu'il écrit son histoire romaine qui poursuit l'œuvre de Tacite. Sur les 31 livres de cet ouvrage, les 13 premiers sont perdus. Les livres parvenus jusqu'à nous forment une chronique qui va du règne de Constance II, et en particulier de celui du César Gallus, son cousin, en poste à Antioche de 351 à 354, à la mort de l'empereur Valens en 378, à la bataille d'Andrinople, en passant par les règnes de Julien dit l'apostat, Jovien, Valentinien et Gratien. Cette chronique, écrite par un contemporain, parfois acteur des faits racontés, relate les guerres incessantes de Rome contres les barbares européens et les Perses ainsi que les errements du gouvernement impérial. Elle s'achève avec l'arrivée des Huns qui poussent les tribus germaniques devant eux contre l'empire romain. I – Le César Gallus (351-354) Devenu César, Gallus montra sa cruauté et on voyait que la force seule lui manquait pour s'attaquer à l'empereur Constance. Il était poussé par sa femme, sœur de celui-ci. L'âge ne fit que développer chez eux le goût du mal. Des accusations de magie ou d'aspiration au trône frappaient des innocents. La belle-mère de Clémace, un notable d'Alexandrie, éprise de lui mais repoussée, obtint de la reine, contre un collier, un ordre d'exécution. Et Clémace, à qui on n'avait rien à reprocher, fut mis à mort. Sur un soupçon, les condamnations se multipliaient. Ce que César voulait était tenu pour légal et l'exécution suivait de près la sentence. Des misérables allaient et venaient dans Antioche, pénétrant dans les maisons riches sous prétexte d'obtenir une aumône. Ensuite ils faisaient leur rapport. Gallus parcourait même les tavernes le soir avec quelques gardes, demandant à chacun ce qu'on pensait de César. D'autres malheurs touchaient l'Orient. Les Isauriens se lancèrent dans une véritable agression. Ils prétextèrent le sentiment national outragé, des prisonniers isauriens ayant été livrés aux bêtes. Quittant leurs montagnes, ils s'abattirent sur la côte. Ils guettaient les navires de commerce. Quand les marins dormaient, ils montaient à bord, ne faisaient pas de quartier et prenaient tout. Dès lors les navires évitèrent la côte d'Isaurie. Les Isauriens se jetèrent alors sur la Lycaonie. Au début les nôtres, inférieurs en nombre, eurent le dessous. Finalement on évita le combat tant que l'ennemi était sur les hauteurs pour tomber dessus dès qu'il était en rase campagne. Des partis d'Isauriens furent ainsi taillés en pièces. Ces brigands se dirigèrent vers la Pamphilie. Ils durent s'arrêter au bord du fleuve Mélas, qui fait la frontière, et virent qu'on ne pouvait le franchir à la nage. Ils fabriquèrent des radeaux mais nos légions anéantirent tous ceux qui traversèrent. Les Isauriens se tournèrent vers Laranda mais un détachement de cavalerie les en chassa. La faim les mena devant Paléa, sur la côte, mais, comme ils n'avaient aucun moyen d'en faire le siège, ils repartirent saccager Séleucie. Le comte Castrice s'y trouvait avec trois légions. Il trouva absurde de se battre quand il avait l'abri de fortes murailles. Mais l'abondance régnait chez les Isauriens qui s'étaient emparés des bateaux d'approvisionnement tandis qu'en ville on était menacé de famine. Gallus l'apprit et ordonna à Nébride, comte d'Orient, de dégager la place. Les Isauriens regagnèrent alors leurs montagnes. Le roi de Perse était en guerre contre des peuples lointains mais un de ses officiers, nommé Nohodarès, surveillait la Mésopotamie. Il s'embusqua non loin de Batné, grand centre de commerce qui, chaque année en septembre, attirait une foule de marchands. C'est ce moment qu'il envisageait pour un coup de main. Mais sa présence fut révélée par des déserteurs. Par ailleurs les Sarrasins se montraient ici ou là, pillant tout ce qu'ils trouvaient. Ce peuple est répandu de l'Assyrie aux cataractes du Nil et aux confins du pays des Blemmyes. Ce sont des guerriers nomades. Ils ne cultivent pas la terre et errent dans de vastes solitudes, sans foyer et sans loi. Le mariage chez eux n'est qu'un contrat de location. L'épouse apporte en dot une lance et une tente à son mari, prête à le quitter au moindre signe. Une femme se marie en un lieu, accouche dans un autre et élève ses enfants ailleurs. Ils se nourrissent de gibier, du lait de leurs bêtes et d'herbes. Ils ignorent l'usage du pain et du vin. C'est une nation dangereuse. Pendant ce temps l'empereur Constance, qui passait l'hiver à Arles, célébrait sa trentième année de règne. Son goût pour la tyrannie lui faisait écouter toute accusation, même douteuse. Un nom avait été prononcé, c'était assez pour un arrêt de mort ou d'exil. Ce penchant était renforcé par les flatteurs, en particulier par Paul. Cet Espagnol avait été envoyé en Bretagne pour arrêter des officiers signalés comme ayant été du parti de Magnence. Cela prit une ampleur inouïe. Martin, qui administrait ces provinces, intercéda en faveur des victimes et menaça de démissionner. Paul, craignant que son influence n'en souffre, le compromit et Martin se tua. Ainsi un honnête homme mourut en voulant sauver des milliers d'infortunés. Paul revint auprès de l'empereur avec une foule de captifs. Certains furent exilés, d'autres exécutés. A cette époque Orfite, homme habile mais inculte, était préfet de Rome. Il y eut des révoltes causées par le manque de vin. La tyrannie de César passa bientôt toute mesure. Il voulut faire exécuter des notables d'Antioche qui avaient mal répondu à l'agent du fisc. Pas un n'y aurait échappé sans la résistance du comte Honorat. La cruauté du prince se voyait à sa passion pour les spectacles violents comme les combats de ceste. Cette tendance s'accentua à l'annonce d'un complot ourdi par des soldats. L'aveu venait d'une femme du peuple qui fut comblée de présents pour encourager les dénonciations. Gallus partait pour Hiérapolis quand la population d'Antioche implora son aide contre la famine. Il ne fit rien mais offrit Théophile en sacrifice à la foule, répétant que les vivres ne manquaient que si le gouverneur le voulait bien. Le gouverneur fut massacré. Au même moment Sérénien, accusé de lèse-majesté, obtenait on ne sait comment son pardon. Un de ses gens était allé sur son ordre à un temple où on prédisait l'avenir et avait demandé si son maître obtiendrait l'empire. Constance, sachant cela, continua à se montrer aimable avec Gallus mais commença à lui retirer les forces dont il disposait. Il envoya aussi le préfet Domitien en Syrie lui rappeler son invitation à venir le voir. Domitien, à Antioche, ne se présenta pas à César comme l'exigeait l'étiquette et resta plusieurs jours enfermé au prétoire. A la fin, sommé par le prince de paraître devant lui, il lui ordonna de partir en le menaçant de supprimer ce qui lui était alloué pour son entretien. Gallus, outré, le fit arrêter. Le questeur Montius, s'échauffant, dit aux chefs des cohortes qu'après cela on n'avait plus qu'à renverser les statues de l'empereur. Gallus réagit comme un serpent blessé lorsqu'on lui rapporta ces paroles. Il déclara aux troupes que Montius l'accusait de rébellion parce qu'il faisait surveiller un préfet insolent. Il n'en fallut pas plus aux soldats. Montius et Domitien furent traînés à travers la ville et tués. Apollinaire, gendre de Domitien, parcourait les cantonnements de Mésopotamie pour voir si Gallus n'était pas trop ambitieux. A la nouvelle des événements d'Antioche, il s'enfuit mais fut rejoint et emprisonné à Antioche. On apprit qu'un manteau royal avait été clandestinement fabriqué à Tyr sans qu'on puisse savoir qui l'avait commandé. Ce fut assez pour faire arrêter le gouverneur de la province, père d'Apollinaire. Ursicin, qui commandait à Nisibe, et sous les ordres duquel j'étais, fut convoqué à Antioche et chargé de présider l'instruction de l'affaire. Il était homme de tête et d'action mais incapable de diriger une procédure. Alarmé en voyant ceux qui lui étaient associés, il décida de rapporter à Constance ce qui se passait, demandant les moyens de tenir en bride la fougue de Gallus. Au jour fixé pour les interrogatoires, le maître de la cavalerie prit place au milieu d'assesseurs qui savaient leur leçon. Des notaires recueillaient les réponses et couraient les rapporter à César. Cachée derrière une tapisserie, la reine écoutait. On fit comparaître Epigonius et Eusèbe, victimes d'une homonymie. Epigonius s'abaissa aux supplications puis, sous la torture, avoua un complot imaginaire. Eusèbe, au contraire, nia tout. Il furent envoyés à la mort. Vint ensuite l'enquête sur le manteau royal. Les ouvriers torturés déclarèrent avoir teint un corps de tunique sans manches. Sur cet indice, on arrêta un nommé Maras, diacre chrétien dont on produisit une lettre à la manufacture de Tyr. Torturé à mort, il ne révéla rien. La question fut aussi employée sur beaucoup d'autres, avec des résultats variés. Les deux Apollinaire, père et fils, furent exilés puis mis à mort sur ordre de Gallus. Constance quitta Arles à la belle saison pour lutter contre les Alamans dont les incursions, sous la conduite du roi Gundomade et de son frère Vadomaire, ruinaient la Gaule. Il attendit à Valence des convois de vivres d'Aquitaine retardés par les pluies. Là, Herculanus, fils d'Hermogène, général de la cavalerie tué à Constantinople dans un soulèvement populaire, lui fit un rapport inquiétant sur Gallus. Les troupes concentrées à Chalons s'irritaient du retard et les distributions vinrent à manquer. Rufin, préfet du prétoire, reçut la dangereuse mission de leur faire entendre raison. C'était un coup monté pour perdre cet oncle de Gallus. Mais il se tira d'affaire avec adresse. Eusèbe, grand chambellan, arriva ensuite à Chalons avec une forte somme dont la distribution ramena le calme. Bientôt les convois arrivèrent, on put partir et on atteignit le Rhin près de Rauraque. Les Alamans empêchèrent les Romains de jeter un pont de bateaux. L'empereur ne savait que faire quand se présenta un guide qui indiqua un gué. L'ennemi en fut averti par des Alamans de notre armée. Devant le danger, les barbares implorèrent la clémence de l'empereur. Un traité fut donc conclu et l'empereur alla passer l'hiver à Milan. Constance voulut en finir avec Gallus et le convoqua. On voulait l'isoler pour lui porter le dernier coup. Certains, dont Arbétion et Eusèbe, n'étaient pas d'accord. Ces deux scélérats, soutenus par les eunuques du palais, disaient qu'Ursicin allait se retrouver seul en Orient et qu'on avait poussé Gallus à des excès pour donner le pouvoir au général de la cavalerie. Ces propos arrivèrent aux oreilles du prince qui décida de s'assurer d'abord d'Ursicin qui fut invité à se rendre à la cour. On avait besoin, soi-disant, de s'entendre avec lui sur des mesures à prendre contre les Parthes. Le comte Prosper fut chargé de le remplacer. Au reçu de la lettre, il partit pour Milan. Il ne restait plus qu'à faire partir Gallus. Constance insista pour qu'il amène sa femme, sa sœur. Celle-ci hésita, sachant de quoi Constance était capable, puis accepta, comptant sur son influence sur son frère. Mais elle mourut en Bithynie d'un accès de fièvre. Son époux en fut frappé au point de ne plus savoir que faire mais les lettres de l'empereur se multipliaient et le tribun Scudilon le décida à partir par ses flatteries. Gallus entra à Constantinople en homme qui n'a rien à craindre. Constance avait dégarni de troupes les villes sur son passage. Diverses personnes se présentèrent de la part de l'empereur, soi-disant pour remplir tel ou tel office, en réalité pour le garder. A Andrinople, Gallus apprit que des détachements de la légion thébaine, cantonnés dans les villes voisines, lui avaient envoyé une députation pour l'engager à rester. Mais la surveillance était si stricte qu'il ne put s'entendre avec les légionnaires. Il repartit, sans cesse pressé par ses gardiens. Il franchit rapidement la distance grâce aux relais de l'Etat et arriva à Pétobion, en Norique. Le comte Barbation parut avec Apodème, intendant de l'empereur, et un détachement de soldats incorruptibles. Le masque était levé. Des sentinelles entourèrent le palais. Barbation entra chez Gallus, lui fit quitter les vêtements royaux et le conduisit près de Pola en Istrie. Arrivèrent Eusèbe et Mellobaudes, chargés par l'empereur de l'interroger sur les meurtres commis en son nom à Antioche. Gallus rejeta la responsabilité sur sa femme. Constance en fut outré et envoya Sérénien avec ordre de procéder à l'exécution. Gallus eut la tête tranchée. Il avait vécu vingt-neuf ans et en avait régné quatre. II était né à Massa, en Toscane, de Constance, frère de l'empereur Constantin. Apodème, courut à Milan annoncer la nouvelle. Les courtisans portèrent aux nues le courage de l'empereur et Constance en vint à se croire au-dessus de la condition humaine, lui qui imitait jusqu'alors ceux de ses prédécesseurs qui avaient gardé les habitudes républicaines. La fin de Gallus fut le signal de nouvelles persécutions. La jalousie parvint à susciter une accusation de lèsemajesté contre Ursicin. On disait que le nom de Constance n'était plus prononcé en Orient et que tous appelaient Ursicin, seul capable de tenir les Perses en respect. Ursicin voulait préserver son honneur mais ses amis l'abandonnaient et son collègue Arbétion lui portait des coups tout en affectant pour lui une vive sympathie. Arbétion était habile et son crédit était grand. Ce simple soldat parvenu aux premiers grades était dévoré de l'envie de nuire. Il fit si bien qu'on décida qu'Ursicin serait tué loin des yeux de l'armée. On attendait un moment favorable mais il y eut un retour à la modération et on jugea devoir remettre l'affaire à plus tard. La calomnie se tourna alors contre Julien qui avait quitté sa retraite de Macellum, en Cappadoce, pour voyager en Asie. Il s'était trouvé à Constantinople sur le passage de son frère Gallus mais put prouver que ses démarches étaient licites et la reine Eusébie intercéda pour lui. On se borna à le reléguer à Côme puis on lui permit de se retirer en Grèce. D'autres procès eurent aussi une heureuse issue néanmoins il arriva souvent que le riche obtienne l'impunité par la corruption. Beaucoup d'officiers et de dignitaires étaient prisonniers à Aquilée. On les accusait d'avoir été les ministres de Gallus. Arboreus et Eusèbe, sans prendre la peine d'enquêter, exilèrent les uns après les avoir fait torturer, en dégradèrent d'autres, les derniers moururent. Dès lors, Constance se livra totalement aux délateurs. Dans ce climat, la persécution s'alluma en Illyrie. Dans un dîner donné à Sirmium par le gouverneur Africanus, des convives avaient critiqué les excès du gouvernement. Parmi eux se trouvait Gaudence, agent du fisc, qui vit un crime dans ces propos de table et s'empressa d'en rendre compte à Rufin, chef des appariteurs du préfet du prétoire, qui se rendit aussitôt à la cour et fit si bien qu'on ordonna d'arrêter tout ceux qui avait pris part au banquet. Teutomer eut mission de se saisir des personnes dénoncées. Le tribun Marin se tua. Les autres captifs, conduits à Milan, avouèrent sous la torture leurs paroles imprudentes. On les jeta en prison. Peu après, la guerre fut déclarée aux Alamans Lentiens qui ne cessaient de violer la frontière. Constance prit en personne le commandement de l'expédition et alla camper aux Champs Canins, en Rhétie. Arbétion, chef de la cavalerie, marcha à l'ennemi en longeant le lac Brigance. Le Rhin prend sa source dans de hautes montagnes. Il débouche ensuite dans un vaste lac que les peuples de Rhétie ont nommé lac Brigance. Il traverse cette eau dormante et court se perdre au loin dans l'Océan. Arbétion commit l'erreur d'avancer sans attendre les rapports de ses éclaireurs et donna dans une embuscade. Les nôtres durent s'enfuir. Cela nous coûta dix tribuns et de nombreux soldats. Les Alamans, après ce succès, vinrent jusque sous nos retranchements hurler des menaces. Une sortie fut arrêtée par la cavalerie barbare. Les nôtres appelèrent le camp à leur aide mais Arbétion ne voulait pas engager tout son monde. Trois tribuns, spontanément, rejoignirent ceux qui étaient dehors. C'étaient Arinthée, Seniauchus et Bappo. Ils fondirent sur l'ennemi et forcèrent les barbares à reculer. Alors ceux que l'hésitation avait retenus au camp se précipitèrent sur les barbares qui furent écrasés. Cela mit fin à la campagne et l'empereur revint en triomphe passer l'hiver à Milan. Depuis longtemps l'incurie du gouvernement laissait la Gaule ouverte aux incursions. L'empereur y envoya Silvain, maître de l'infanterie. Arbétion, jaloux, voulait l'éloigner par cette mission risquée. Un nommé Dynamius avait sollicité de Silvain des lettres de recommandation et les avait gardées. Tandis que Silvain était en Gaule, il les falsifia. Ne gardant que la signature, il y substitua un autre texte. C'était une circulaire adressée par Silvain à ses amis où ils étaient invités en termes ambigus à aider le signataire à prendre le pouvoir. Dynamius confia ces faux au préfet. Lampade montra ces fausses lettres à Constance. Malarie proclama qu'il était indigne de laisser menacer par des factieux les hommes les plus dévoués au service de l'empereur et déclara Silvain incapable de trahison. Il se fit fort d'aller le chercher et de le ramener à Milan. Il proposa même sa famille pour otage et la caution de Mellobaudes pour garantie de son retour. Ou bien il offrait que Mellobaudes se charge de la mission. Silvain était prompt à s'effaroucher et lui députer tout autre qu'un compatriote risquait d'en faire un rebelle. Le conseil était bon mais l'avis d'Arbétion prévalut et ce fut Apodème qui fut dépêché à Silvain porteur d'une lettre de rappel. Sitôt en Gaule, il prit contre les amis du général des mesures vexatoires. Pendant ce temps Dynamius, pour assurer l'effet de sa manœuvre, adressa au tribun de Crémone, au nom de Silvain et de Malarie, des lettres analogues à celles qu'il avait fait remettre à l'empereur. Il y était invité, comme sachant de quoi il s'agissait, à tout disposer pour l'exécution. Le tribun ne comprit rien. Il fit retourner la missive à Malarie par le porteur accompagné d'un soldat. Malarie comprit tout. Il rassembla aussitôt les Francs du palais et leur fit part de sa découverte. Un complot était dirigé contre eux. L'empereur, instruit de ce qui se passait, ordonna aussitôt une révision de l'affaire et voulut qu'elle ait lieu en présence de tous les membres du conseil. Florence, examinant les pièces, acquit la certitude que c'était l'œuvre d'un faussaire. L'empereur cassa le préfet et le fit juger. Mais sa cabale réussit à le faire acquitter. Eusèbe confessa sous la torture avoir eu connaissance de la machination. Edèse nia tout. Quant à Dynamius, il fut envoyé diriger la Toscane. Silvain, à Agrippine, apprit les menées d'Apodéme contre lui. Connaissant le caractère du prince, il se vit à la veille d'être traité en criminel. Il songea à demander asile aux barbares. Mais il en fut dissuadé par le tribun Laniogaise. De la part de ses compatriotes francs, Silvain pouvait s'attendre à être assassiné ou vendu à ses ennemis. Une résolution extrême était donc inévitable. Silvain eut des pourparlers avec les principaux chefs, leur fit des promesses et se proclama empereur. Cette usurpation fut pour Constance un coup de foudre. Le conseil fut aussitôt convoqué. On évoqua Ursicin, ses qualités militaires et les torts qu'on avait envers lui. Dans cet homme que naguère on accusait de convoiter le pouvoir, on voyait le seul qui puisse le protéger. En fait, tout en voulant abattre Silvain, on voyait, en cas d'échec, l'occasion de se défaire d'Ursicin. On chercha à convaincre Silvain que l'empereur ignorait tout et on le rappela en le maintenant dans ses fonctions tout en lui donnant Ursicin pour successeur en Gaule. Ursicin reçut l'ordre de partir avec dix officiers, dont moi. Le voyage fut long. Nous voyagions à grandes journées pour atteindre la frontière avant que la défection ne soit publique en Italie. Mais à notre arrivée à Agrippine la révolte avait pris un développement qui nous dépassait. Il n'y avait pour Ursicin qu'un seul parti à prendre, flatter la vanité du rebelle. Il fut traité par l'usurpateur avec égards. Nous entendions frémir autour de nous l'impatience des soldats qui criaient famine et brûlaient de franchir les Alpes Cottiennes. Nous décidâmes de tenter la fidélité douteuse des Braccates et des Cornutes, milices prêtes à suivre le plus offrant. Le marché fut bientôt conclu. Au point du jour, des gens armés pénétrèrent dans le palais et tuèrent Silvain après t'avoir arraché d'une chapelle chrétienne où il s'était réfugié. Ainsi périt un officier de mérite qui n'avait voulu que sauver sa tête. La joie de Constance fut grande mais Ursicin n'obtint pas même un éloge. L'empereur se plaignit même de détournements effectués au préjudice du trésor public en Gaule. La sécurité était rétablie, c'était le tour des persécutions. Civils ou militaires, tous les membres du conseil durent prendre part aux enquêtes. On appliqua la question à Procule, appariteur de Silvain, ce qui donna beaucoup d'alarmes. On craignait que les bourreaux ne parviennent à en tirer des révélations mais il affirma que la tentative de Silvain n'était qu'un hasard. Procule acquitté, Poeménius fut traîné au supplice. Puis furent exécutés plusieurs comtes. A cette époque le préfet de Rome était Léonce, un homme juste. Il y eut contre lui une sédition. II avait fait arrêter le cocher Philocome. Le peuple s'ameuta mais le préfet resta ferme et fit arrêter quelques mutins. Un peu plus tard, le peuple s'étant attroupé sous prétexte d'une disette de vin, Léonce marcha droit au rassemblement alors qu'une partie de son escorte s'enfuyait. Il apostropha dans la foule un individu remarquable par sa taille et ses cheveux roux et lui demande s'il n'était pas Pierre Valvomère. Le préfet, à qui cet homme était signalé comme un meneur, le fit arrêter en dépit des cris. Dès qu'on vit Valvomère au poteau, la foule disparut. Valvomère fut relégué dans le Picentin. C'est à l'époque de Léonce que Libère, pontife chrétien, fut convoqué devant Constance comme réfractaire à la volonté impériale. Un synode avait déposé Athanase, évêque d'Alexandrie, pour des activités incompatibles avec la prêtrise. L'empereur ordonna à Libère de confirmer ce décret. Mais Libère contestait un jugement où l'accusé n'avait pas été entendu. L'empereur, qui détestait Athanase, tenait à ce que sa condamnation soit confirmée par l'évêque de Rome. Il fit enlever Libère. Mais l'attachement du peuple à son évêque fit que cette arrestation eut lieu de nuit. II - Julien est nommé César Constance avait d'autres sujets d'inquiétude. En Gaule les barbares, ne rencontrant pas de résistance, mettaient tout à feu et à sang. Il décida alors de s'associer Julien, fils de son oncle maternel. On essaya de l'en détourner mais l'impératrice le soutenait. Finalement l'empereur, devant les troupes présentes à Milan, tenant Julien par la main, monta à la tribune. Il leur expliqua que, les barbares profitant de son éloignement pour ravager la Gaule, il avait décidé de nommer Julien César et il le couvrit de la pourpre aux acclamations de l'assemblée. Puis se tournant vers le nouveau prince, il lui confia la défense de la Gaule. La troupe fit résonner le bouclier sur le genou, ce qui exprime la joie chez le soldat. Ceci se passait le 8 des ides de novembre. Julien épousa Hélène, la sœur de Constance, et partit, le jour des calendes de décembre. A Turin, une triste nouvelle l'attendait. Agrippine, colonie de la Germanie inférieure, venait d'être prise et saccagée par les barbares. A son entrée à Vienne, la population se précipita au-devant du prince que le ciel accordait à ses vœux. L'Orient, depuis la mort de Domitien, était gouverné par Musonien. Il s'était fait une réputation par sa facilité à s'exprimer en grec et en latin. Constantin désirait connaître le dogme des manichéens et autres sectaires et ne savait à qui s'adresser. Musonien lui fut recommandé. Le prince le récompensa en l'élevant à la préfecture. Sage et conciliant, il aurait rendu son administration douce sans son avidité. Tout prévenu pauvre était condamné. Tout prévenu riche, même coupable, était acquitté au prix de sa ruine. Musonien avait un émule en fait de rapacité en la personne de Prosper qui remplaçait par intérim le général de la cavalerie en Gaule. Pendant ce temps, les Perses ne cessaient d'inquiéter notre territoire. C'était tantôt l'Arménie, tantôt la Mésopotamie qu'ils choisissaient pour cible sous les yeux des gouverneurs romains qui ne songeaient qu'à s'enrichir. Julien hivernait à Vienne quand il apprit une attaque de barbares contre Autun dont l'enceinte était en ruine. C'en était fait de la place si les vétérans n'étaient accourus à son secours. Il s'y rendit le 8 des calendes de juillet. Il prit avec lui les cataphractes et quelques archers et gagna Autosidore. De là, il se dirigea sur les Tricasses. Ce mouvement ne se fit pas sans plusieurs attaques des barbares. Julien se contentait de les observer en renforçant sa colonne sur les flancs. Mais, quand il avait l'avantage des hauteurs, il prenait l'offensive et les culbutait. Rassuré par ces premiers succès, il parvint jusqu'aux Tricasses puis poussa vers Reims. Il y fut rejoint par le reste de l'armée sous le commandement de Marcel et par Ursicin lui-même, qui avait ordre de rester en Gaule jusqu'à la fin de la campagne. On décida d'aller vers les Dix Bourgs. Tout à coup les barbares attaquèrent dans le brouillard et auraient écrasé deux légions de l'arrière-garde si les cris n'avaient attiré le corps auxiliaire. Julien, dès lors, fut plus prudent. Il apprit qu'Argentoratum, Brocomagum, les Trois Tavernes, Salizon, les Némètes, Vangion et Moguntiacum étaient entre les mains des barbares mais que ceux-ci n'occupaient que l'extérieur. Il prit Brocomagum. Un corps germain se porta à sa rencontre mais lâcha pied au premier choc. Le chemin d'Agrippine était ouvert. Il y entra donc et n'en sortit qu'après avoir fait souscrire aux rois francs effrayés une convention et après l'avoir mise sur pied de défense. Il alla ensuite hiverner à Sens, chez les Trévires. Là il dut affronter une guerre générale et se multiplier pour répondre à la situation. Il s'agissait de regarnir de postes militaires les points menacés, de rompre le front des nations liguées contre Rome et d'assurer la subsistance de l'armée. Au plus fort de la crise, les ennemis attaquèrent dans l'espoir d'emporter la place. Cette audace leur était inspirée par la dispersion des troupes qu'on avait dû, pour faciliter le ravitaillement, répartir dans diverses villes. Julien organisa la résistance. Le trentième jour les barbares levèrent le siège. Marcel, bien que cantonné tout près, ne lui porta pas le moindre secours. Aussitôt délivré, Julien dut lutter contre la rareté des vivres dans un pays dévasté. Il se contentait, comme un simple soldat, du premier aliment venu. Il faisait trois parts de ses nuits, consacrées au repos, à l'Etat et aux Muses. Il se levait au milieu de la nuit, quittant un simple tapis de peau à longs poils, et, après un culte secret à Mercure, il s'appliquait à guérir les plaies de l'Etat puis se livrait au perfectionnement de son esprit. Il aimait la philosophie, la poésie et la littérature. Son goût le portait aussi vers l'histoire de son pays et des nations étrangères. Il savait assez le latin pour soutenir n'importe quel entretien mais improvisa son éducation militaire. Un jour, ayant convoqué les agents du fisc pour leur remettre de l'argent, l'un deux tendit les mains au lieu de présenter, comme le veut l'usage, un pan de sa chlamyde. Il lui reprocha de savoir prendre et non recevoir. Des parents ayant porté plainte contre un homme qui avait violé leur fille, le coupable fut exilé et Julien leur dit que la clémence était une loi primordiale. Lors d'un départ en expédition, des pétitionnaires se présentèrent. Julien les renvoya aux gouverneurs des provinces et, sitôt de retour, se fit rendre compte des suites qui avaient été données. Sans parler des défaites infligées aux barbares, la marque la plus visible du soulagement qu'apporta sa présence en Gaule est qu'à son arrivée la moyenne des tributs était de vingt-cinq pièces d'or par tête et qu'on n'en payait plus que sept quand il partit. Il n'accorda jamais de remise d'arrérages, ayant compris que cela ne profitait qu'aux riches. A la cour, on accusait Arbétion de s'être commandé des ornements impériaux. Son ennemi le plus acharné était Dorus. Le succès de l'accusation paraissait assuré quand les chambellans prirent fait et cause pour le prévenu. Aussitôt, comme par miracle, les complices supposés virent tomber leurs chaînes et Dorus disparut. Constance, instruit de l'isolement où César avait été laissé à Sens, ôta son commandement à Marcel. Celui-ci considéra cela comme une injustice et se mit à intriguer contre Julien. Celui-ci, méfiant, envoya Euthère, son chambellan, sur ses pas. A Milan, Marcel accusa Julien d'aspirer au pouvoir. Euthère démontra ses mensonges. Marcel fut confondu et confiné à Serdique, sa ville natale. Euthère était arménien. Enlevé tout jeune, il avait été fait eunuque, vendu à des marchands romains et amené au palais de l'empereur Constantin. En grandissant, il s'était fait remarquer par son intelligence et sa mémoire. Il avait, de plus, la passion de la justice. Devenu chambellan de Julien, il ne craignait pas de reprendre son maître. Mais plus tard ce genre d'accusation se propagea dans l'entourage de Constance et de prétendus actes de lèse-majesté servirent de prétexte à des persécutions. Avait-on consulté un devin, on était jugé et mis à mort sans savoir d'où cela venait. Un nommé Danus s'était fait un ennemi de Rufin, chef des appariteurs de la préfecture du prétoire. Rufin séduisit la femme de Danus puis lui fit lancer contre son mari une accusation de lèse-majesté. Elle disait qu'il avait dérobé au tombeau de Dioclétien un voile de pourpre. Rufin courut chez l'empereur exploiter cette calomnie. Aussitôt ordre fut donné à Mavortius, préfet du prétoire, d'enquêter et on lui adjoignit le trésorier Ursule. Après de vaines tortures, le doute commençait à s'installer quand l'épouse dénonça Rufin. La peine de mort fut aussitôt prononcée contre eux deux. Constance ordonna aussitôt à Ursule de revenir. Sans se laisser intimider, il exposa les faits tels qu'ils s'étaient passés. Son courage le sauva. En Aquitaine, un homme, à un dîner, vit des couvertures disposées de façon à former une bande de pourpre. Ce fut assez pour ruiner le maître du logis un procès. Le prince voyait partout des attentats contre sa personne. Musonien entretenait des espions chez les Perses et cherchait à pénétrer leurs intentions. Il s'entendait aussi avec Cassien, duc de Mésopotamie. Sapor, disaient les rapports, était occupé ailleurs. Ils négocièrent alors secrètement avec Tamsapor qui commandait les forces perses de notre côté et l'engagèrent à conseiller à son maître de faire la paix avec Rome. Tamsapor accepta et écrivit en ce sens à Sapor. Mais sa lettre mit longtemps à arriver à son maître qui avait pris ses quartiers d'hiver dans le pays des Chioniles et des Eusènes. Pendant ce temps Constance, comme s'il avait abattu tous ses ennemis, voulut visiter Rome et y triompher. Il voulait étaler l'or de ses étendards et ses troupes d'élite devant ce peuple qui n'imaginait pas revoir de tels spectacles. Ce fut sous la seconde préfecture d'Orfite que Constance arriva. Le sénat vint lui rendre ses devoirs. Précédé de bataillons aux enseignes déployées, il avançait sur un char d'or, resplendissant de pierres précieuses. Suivaient des cataphractes. Un tonnerre d'acclamations répétait le nom d'Auguste. Constance en fut troublé. Au Forum, il resta un moment frappé de stupeur. Après une allocution à la noblesse dans la salle du sénat et une autre au peuple, il se rendit au palais. En présidant les jeux équestres, il prit plaisir aux saillies du peuple. Il observait un juste milieu entre la raideur et l'oubli de son rang, laissant, selon l'usage, dépendre des circonstances la durée de la représentation. Il parcourut la ville avec émerveillement. Au forum de Trajan, il dit vouloir un cheval comme celui de la statue équestre. Près de lui se trouvait Hormisdas, un émigré perse qui lui répondit, avec toute la finesse de sa nation, de commencer par bâtir l'écurie. Après délibération sur la question de savoir ce qu'il pourrait faire pour ajouter aux beautés de la ville, l'empereur décida d'ériger un obélisque dans le cirque. Pendant ce temps l'impératrice Eusébie se montrait odieuse contre Hélène, sœur de Constance et femme de Julien, qu'elle avait amenée à Rome avec elle. Stérile, elle fit prendre à sa belle-sœur un breuvage destiné à la faire avorter chaque fois qu'elle serait enceinte. Déjà un fils était mort à cause d'une sagefemme complice tant on tenait à empêcher que Julien ne laisse de postérité. III – La bataille d'Argentoratum (357) L'empereur voulait prolonger son séjour quand il apprit que la Rhétie était ravagée par les Suèves, la Valérie par les Quades et que les Sarmates faisaient des incursions en Moesie supérieure et en basse Pannonie. Il quitta Rome le 4 des calendes de juin, un mois après son arrivée, et alla en Illyrie en passant par Tridentum. De là il envoya Sévère en Gaule remplacer Marcel et rappela Ursicin qui le rejoignit à Sirmium. On tint conseil sur la paix proposée par Musonien aux Perses et Ursicin fut envoyé en Orient. César, après un hiver passé à Sens où les Alamans le tinrent en alerte, entra en campagne et se dirigea vers Reims, heureux d'avoir un lieutenant comme Sévère, rompu à l'obéissance des camps. Sur ordre de l'empereur, un renfort de vingt-cinq mille hommes lui était arrivé d'Italie à Rauraque, sous le commandement de Barbation, maître de l'infanterie depuis la mort de Silvain. C'était un plan pour rétrécir le cercle des dévastations par la marche de deux armées romaines parties de deux points opposés pour prendre les barbares en tenaille. Les Lètes tombèrent à l'improviste sur Lyon qu'ils auraient ravagé si on n'avait à temps fermé les portes mais dont ils ruinèrent les environs. César fit surveiller les trois routes par où devait nécessairement s'effectuer leur retour et ils y laissèrent la vie. Seule fut épargnée une colonne qui longea le camp de Barbation et que celui-ci laissa passer. L'approche des deux armées avait effrayé la population barbare de la rive gauche du Rhin. Certains voulurent couper les routes. Les autres, réfugiés dans les îles du fleuve, hurlaient des malédictions contre nous. Julien voulut se saisir de ces misérables et demanda à Barbation sept des barques qu'il avait réunies pour construire un pont. Celui-ci préféra les brûler. A la fin, des ennemis tombés aux mains de Julien indiquèrent un endroit guéable. Il réunit aussitôt les vélites et les y envoya sous la conduite de Bainobaude, tribun des Cornutes. Ils abordèrent l'île voisine et massacrèrent tout le monde. Là, trouvant des barques, ils parcoururent ces retraites. Quand ils furent las de tuer, ils rentrèrent chargés de butin. La population des autres îles, ne s'y croyant plus en sûreté, gagna l'autre rive. Julien releva le fort des Trois Tavernes que les barbares avaient détruit. Il y mit moins de temps qu'il ne pensait et laissa à la garnison des vivres pour un an. Pour cela, on prit le grain de l'ennemi. Cela permit aussi à Julien d'approvisionner sa troupe pour vingt jours. Le soldat gagnait ses rations à la pointe de l'épée et sa satisfaction en était d'autant plus vive qu'il venait d'être frustré d'un convoi. Barbation avait pris ce qui était à sa convenance, faisant brûler le reste. Tandis que Julien se fortifiait, que l'armée organisait des postes retranchés et ramassait du grain, les barbares fondirent sur Barbation qui continuait d'opérer séparément et le refoulèrent au-delà de Rauraque. Barbation, comme s'il avait été vainqueur, distribua tranquillement ses troupes dans les cantonnements et revint à la cour accuser Julien. On apprit bientôt l'affront qu'il venait d'essuyer. Les rois alamans Chnodomaire et Vestralpe unirent leurs forces, auxquelles s'ajoutèrent Urius, Ursicin, Sérapion, Suomaire et Hortaire, et allèrent camper près d'Argentoratum, croyant que Julien s'était replié alors qu'il s'occupait des fortifications des Trois Tavernes. Un déserteur leur avait dit que Julien n'avait pas plus de treize mille hommes. Les barbares lui envoyèrent une députation pour lui ordonner de quitter leur pays. Il reçut ce message sans émotion mais il retint les envoyés près de lui jusqu'à la fin des travaux. Parmi les confédérés, Chnodomaire s'agitait beaucoup. Il avait battu le César Décence et dévasté nombre de villes. Il venait encore de chasser devant lui un général romain. César, lui, se voyait réduit à engager une poignée de braves gens contre des populations entières. A l'aube l'infanterie s'ébranla, flanquée par la cavalerie renforcée des cataphractes et des archers à cheval. L'armée avait encore quatorze lieues à franchir quand Julien proposa d'établir le camp. Le soldat, montrant son impatience en heurtant sa pique contre son bouclier, voulait immédiatement être mené à l'ennemi. L'année précédente les Romains avaient franchi le Rhin et parcouru la rive droite sans voir personne. Les barbares avaient passé l'hiver sans abri. Mais les circonstances avaient changé. Les Alamans, la première fois, étaient pressés à la fois par l'empereur en Rhétie, par César en Gaule et par des nations qui s'étaient déclarées contre eux. La paix conclue, l'empereur avait retiré son armée. Ils avait alors réglé leurs différends avec leurs voisins et la fuite d'un général romain les avait encouragés. Un autre événement aggravait notre position. Les rois Gundomade et Vadomaire, liés par le traité obtenu de Constance l'année précédente, n'avaient pas osé jusque-là prendre part au mouvement. Mais Gundomade mourut victime d'une trahison. Son peuple aussitôt rejoignit la ligue et Vadomaire ne put retenir le sien. Un porte-étendard cria à César de montrer le chemin. Alors l'armée arriva au pied d'une colline proche du Rhin. Trois cavaliers ennemis en observation coururent annoncer aux leurs notre approche. Un quatrième fut pris et nous apprîmes que l'armée germanique avait mis trois jours à passer le Rhin. Nos chefs pouvaient déjà la voir former ses colonnes. Aussitôt les fantassins se mirent en ligne, présentant un front de bataille aussi solide qu'un mur. Les ennemis nous imitèrent. Voyant la cavalerie à droite, ils lui opposèrent leurs meilleurs cavaliers parmi lesquels, inspirés par un transfuge, ils placèrent des fantassins pour se glisser sous les chevaux et les éventrer. Cette armée avait pour chefs Chnodomaire et Sérapion, les plus puissants des rois confédérés. A l'aile gauche, où, selon les barbares, la mêlée devait être plus furieuse, était Chnodomaire, l'auteur de la levée de boucliers. Sérapion commandait à droite. C'était le fils de Médérich, frère de Chnodomaire. Médérich, qui avait été otage en Gaule, s'y était initié aux mystères religieux grecs. C'est à cela qu'était dû le changement de nom d'Agénarich, son fils, en celui de Sérapion. Cette armée comptait trente-cinq mille combattants de diverses nations. Le signal avait résonné lorsque Sévère, qui conduisait notre aile gauche, vit devant lui des tranchées pleines d'hommes armés. Sans s'émouvoir, il s'arrêta. César vit cette hésitation. Il y vola avec deux cents cavaliers. Comme l'étendue des lignes s'opposait à une allocution générale, il se contenta d'aller çà et là, jetant à chacun des mots énergiques. Il fit avancer la plus grande partie de ses forces contre la première ligne des barbares. Il y eut alors dans l'infanterie germanique des cris contre les chefs à cheval. Il fallait, disait-on, qu'ils combattent à pied comme les autres. Chnodomaire descendit alors de cheval et son exemple fut suivi. Pas un ne mettait en doute la victoire. On lutta avec ardeur. Les Germains se jetèrent sur nous en rugissant comme des bêtes féroces. Pendant que la cavalerie soutenait la charge, l'infanterie serrait ses rangs et formait un mur de boucliers. Nous combattions avec des chances diverses car les Germains, rompus à cette manœuvre, s'aidaient de leurs genoux pour enfoncer nos lignes. Enfin notre aile gauche, chassant les ennemis devant elle, venait prendre part à cet engagement lorsque la cavalerie lâcha pied à droite et se replia jusqu'aux légions où, trouvant un point d'appui, elle put se reformer. Le chef des cataphractes avait été blessé. Ce fut assez pour que le reste se disperse. César aperçut cette cavalerie éparse et se précipita pour ramener les fuyards à la charge. Profitant de leur avantage, les Alamans fondirent sur notre première ligne. Mais le choc fut soutenu. Les masses désordonnées des barbares avançaient avec la fureur d'un incendie et plus d'une fois ils parvinrent à rompre la tortue dont se protégeaient nos rangs. Les Bataves virent le danger et arrivèrent au pas de course au secours de nos légions et le combat se rétablit. Les Germains l'emportaient par la taille et l'énergie, les nôtres par la tactique et la discipline. Tout à coup les barbares, rois en tête, s'ouvrirent un passage jusqu'à la légion d'élite placée au centre, formant la réserve prétorienne. Le combat recommença avec une nouvelle vigueur. Nos soldats touchaient aisément leurs adversaires qui, dans leur fureur, négligeaient de se couvrir. Les assaillants ne se succédaient que pour tomber tour à tour. Enfin leur courage fléchit. Accablés par leurs pertes, il s'enfuirent. Nos soldats chargèrent les fuyards. Il n'y eut pas de quartier. Les barbares ne virent de salut que dans le Rhin. Quelques-uns se précipitèrent dans les flots. César interdit aux nôtres de les suivre. La plupart d'entre eux trouvèrent la mort dans le fleuve. Au milieu du désastre, le roi Chnodomaire s'efforçait de regagner son campement. Il avait fait réunir, en cas d'échec, des barques pour chercher une retraite et attendre un changement de la fortune. Il approchait de la rive lorsque son cheval s'abattit et il dut se rendre. Les barbares, insolents dans le succès, sont sans dignité dans le malheur. Chnodomaire montra, tandis qu'on l'entraînait, la contenance d'un esclave. Le soir, notre armée put enfin prendre du repos. Les Romains perdirent dans cette action deux cent quarante-trois soldats et quatre chefs. Du côté alaman, six mille morts restèrent sur le terrain, en plus des noyés. Julien réprimanda des soldats qui l'avaient appelé Auguste et jura que ce titre était loin de ses vœux. Il fit amener Chnodomaire qui se prosterna à ses pieds, implorant son pardon. Quelques jours plus tard, il fut conduit à la cour de l'empereur puis envoyé à Rome par ce dernier qui lui assigna pour demeure le quartier des étrangers, sur le Palatin. Il y mourut de tristesse. Malgré ce succès, il ne manquait pas de gens qui trouvaient à Julien des torts ou des ridicules. On le surnommait Victorin. On parvint à persuader Constance qu'il ne se faisait rien de grand que par lui. Cela lui monta au cerveau. Les archives conservent une relation dé l'affaire d'Argentoratum où on voit Constance réglant l'ordre de bataille, combattant près des enseignes, poursuivant les barbares et recevant la soumission de Chnodomaire. Voyant le Rhin dégagé, Julien congédia les porteurs du message qu'il avait reçu la veille de la bataille et retourna aux Trois Tavernes. De là il partit pour Mogontiacum, confiant le butin et les prisonniers aux Mediomatrices. Son but était de jeter un pont sur le Rhin et d'aller chercher les barbares sur leur territoire. Le dévouement du soldat l'enchaînait aux pas du chef qui s'associait à ses fatigues et n'usait de sa prérogative que pour prendre une plus grande part des périls et des peines. A Mogontiacum, le pont fut jeté et l'armée s'avança sur le sol ennemi. D'abord la hardiesse de l'opération frappa de stupeur les barbares. Alarmés en songeant au désastre récent de leurs compatriotes, ils feignirent un grand désir de paix pour laisser passer la première furie de l'invasion et envoyèrent une députation. Mais celle-ci fut suivie d'une autre nous ordonnant de quitter la contrée. Julien se procura des barques et y fit monter de nuit huit cents hommes avec ordre de remonter le Rhin et de tout mettre à feu et à sang. Au point du jour, voyant les barbares sur les hauteurs, cette troupe s'y porta au pas de course et ne trouva personne. L'ennemi avait eu le temps de s'enfuir. Mais des fumées lui annoncèrent le débarquement des nôtres et le ravage de ses terres. Les Germains embusqués repassèrent le Main pour voler au secours de leurs familles. Bien que pressés par les soldats de la flotte et par notre cavalerie, grâce à leur connaissance des lieux ils réussirent leur retraite. On tomba sur de riches bourgades et on fit main basse sur ce qu'elles contenaient. On délivra aussi des captifs et toutes les habitations élevées sur le modèle romain furent incendiées. Nos soldats trouvèrent les sentiers obstrués par des arbres abattus et durent reculer. De plus on avait passé l'équinoxe d'automne et le pays était déjà sous la neige. Julien renonça donc à poursuivre sa marche mais il voulut qu'un monument en marque le progrès. Il fit relever un fort construit jadis par Trajan. Une garnison temporaire y fut placée et le pays fut mis à contribution pour la pourvoir de vivres. Les Germains, voyant s'élever cette construction, implorèrent la paix. César leur accorda une trêve de dix mois. Trois des plus violents parmi les rois qui avaient fourni des contingents à la ligue vaincue promirent d'observer le pacte, de respecter ce fort et d'apporter des vivres à la garnison. La crainte cette fois l'emporta sur leur duplicité et ces conditions furent fidèlement remplies. Julien put donc se glorifier de cette campagne. Ses détracteurs soutenaient pourtant que sa bravoure n'était que calcul et qu'il cherchait une mort glorieuse de peur de mourir, comme son frère Gallus, de la main du bourreau. Sévère, général de la cavalerie, se rendant à Reims par Agrippine et Iuliacum, se heurta à une bande de Francs qui profitaient de notre absence pour ravager le pays. A l'approche de l'armée, ils se jetèrent dans deux forts vides et s'y défendirent. Julien les assiégea. L'opiniâtreté des barbares l'y retint cinquante-quatre jours en décembre et janvier. Les nuits étaient sans lune et la rivière était gelée. Comme Julien craignait que l'ennemi n'en profite pour partir, du soir au matin des soldats montés sur des barques parcouraient la rive pour rompre la glace. Réduits par la faim, les assiégés se rendirent et César passa le reste de l'hiver chez les Parisiens. On était menacé d'une coalition encore plus forte mais, comme la trêve laissait quelque répit, Julien s'occupa de soulager la Gaule par une équitable répartition des charges dont elle était accablée. Florence, préfet du prétoire, prétendait que la capitation laisserait un déficit qui ne pourrait être comblé que par des prestations extraordinaires. Mais Julien savait quelles blessures sont faites aux provinces par ces spoliations. Florence fit grand bruit de ce qu'on refusait de s'en rapporter à l'homme auquel l'empereur avait donné la haute main sur cette partie de l'administration. Julien lui démontra que la capitation suffisait aux besoins de la province et de l'armée et donnerait même un excédent. L'empereur écrivit à Julien, l'engageant à mettre moins de raideur dans ses rapports avec Florence. A quoi Julien répondit qu'il fallait savoir gré à la province, dévastée comme elle l'était, d'acquitter l'impôt. C'est à sa fermeté que la Gaule dut de se voir délivrée d'exactions vexatoires. César donna encore un exemple. La seconde Belgique était écrasée de charges. Il obtint du préfet de s'en remettre à lui de cette partie de son administration. Cela eut son effet. Ce fut à qui s'empresserait de s'acquitter. Pendant ce temps Rome voyait un obélisque s'élever dans le cirque. A Thèbes, il y avait beaucoup d'obélisques. Ils sont faits d'une pierre polie et leur forme imite les rayons du soleil. Y sont gravées des hiéroglyphes. Les flatteurs se déchaînèrent. Octavien Auguste, disaient-ils, avait fait venir d'Héliopolis deux obélisques mais celui qui venait d'arriver, il n'avait même pas essayé de le bouger, effrayé de sa masse. En fait Auguste s'était abstenu d'y toucher par respect pour la religion du pays. Constantin, qu'un tel scrupule touchait peu, déplaça ce monument qu'il laissa couché en attendant que les préparatifs du transport soient terminés. L'obélisque fut laissé sur le rivage à Alexandrie où l'on construisit un navire énorme. Mais le prince mourut. Ce ne fut que longtemps après que cette masse traversa la mer et remonta le Tibre. Arrivé à trois milles de Rome, l'obélisque fut hissé sur des rouleaux et lentement introduit jusqu'au grand cirque. A l'aide de câbles et des efforts de plusieurs milliers de bras, cette montagne se souleva et se tint debout. L'obélisque fut surmonté d'un globe d'airain couvert d'or. Mais il fut frappé par la foudre et on y substitua une torche du même métal. IV – Autres guerres Le roi de Perse, longtemps en lutte avec ses voisins, venait de s'allier aux deux plus puissants d'entre eux, les Chionites et les Gélanes, quand il reçut la lettre où Tamsapor annonçait l'offre de paix de l'empereur romain. Il en conclut que l'empire était affaibli. Sa fierté s'en accrut et, tout en acceptant, il voulut y mettre ses conditions. Il envoya un certain Narsès à Constance avec une lettre. Il revendiquait l'Arménie et la Mésopotamie et menaçait, si son ambassadeur revenait sans rien, d'entrer en guerre après l'hiver. Constance répondit qu'il serait déshonorant d'accepter le démembrement de l'empire. L'envoyé perse reçut un congé pur et simple mais aussitôt Constance fit partir, avec des présents, Prosper et Spectate et, sur le conseil de Musonien, leur adjoignit le philosophe Eustathe qui passait pour être persuasif. Les députés devaient tout tenter pour suspendre les préparatifs de Sapor pendant qu'on ferait des efforts pour mettre notre frontière du nord en état de défense. Les Juthunges, peuple germanique voisin de l'Italie, firent irruption en Rhétie. Barbation, qui avait remplacé Silvain à la tête de l'infanterie, les extermina. Un tremblement de terre se fit sentir en Macédoine et en Asie Mineure. Nicomédie, capitale de la Bithynie, fut détruite. Le 9 des calendes de septembre, le ciel se couvrit tout à coup de nuages noirs et une tempête éclata. Le sol trembla et renversa la cité. La ville étant construite en partie à flanc de coteau, les édifices croulèrent les uns sur les autres. Le ciel redevenu serein révéla le désastre. Beaucoup étaient morts sous les décombres, certains mouraient faute de secours. D'autres, emprisonnés vivants, étaient condamnés à périr. De ce nombre fut Aristénète, qui venait d'obtenir le titre de gouverneur de cette province. Enfin un incendie survint qui, durant cinquante jours, dévora tout. César, tout en hivernant chez les Parisiens, prenait ses dispositions contre les Alamans. Les Gaulois n'entrent en campagne qu'en juillet. Les opérations ne pouvaient commencer avant la fonte des neiges et l'arrivée des convois d'Aquitaine. Julien décida de devancer la saison pour tomber sur les barbares à l'improviste. Il ouvrit donc les magasins et fit prendre à ses soldats une provision de vingt jours de ce pain qu'on appelle biscuit. Cela fait, il se porta d'abord contre les Francs Saliens qui s'étaient établis de leur propre autorité sur le territoire romain en Toxiandrie. A Tongres, il rencontra une députation de ce peuple qui, le supposant encore dans ses quartiers d'hiver, lui offrait la paix. Ils étaient chez eux, à les entendre, et promettaient de s'y tenir tranquilles pourvu qu'on ne vienne pas les y troubler. Julien amusa les députés par des paroles ambiguës et finalement les congédia avec des présents, leur laissant croire qu'il attendrait leur retour. Mais ils n'eurent pas le dos tourné qu'il se remit en marche et, faisant suivre à Sévère la rive du fleuve, il tomba sur le gros de la nation qu'il trouva plus disposée à s'humilier qu'à se défendre. Le succès le disposait à la clémence. Aussi les reçut-il en grâce quand ils vinrent se livrer. Puis il défit les Chamaves qu'il voulait punir d'une agression. Les vaincus implorèrent la paix. Elle leur fut accordée à la condition de retourner dans leur ancien pays. Heureux jusque-là dans ses entreprises, Julien décida de réparer trois forts construits pour défendre le passage de la Meuse. L'exécution fut assez prompte pour ne pas causer de suspension des opérations militaires et Julien approvisionna ces forteresses avec une partie des rations qu'il convoyait avec lui depuis le début de la campagne. Il comptait, pour les remplacer, sur les moissons des Chamaves. Mais cet espoir fut déçu. Les soldats épuisèrent leurs provisions avant que le grain soit mûr et se répandirent en menaces et traitèrent Julien d'Asiatique et de Grec efféminé. Depuis qu'il commandait, les hommes n'avaient eu ni gratification ni solde, Constance refusant d'ouvrir le trésor public et Julien étant trop pauvre pour y suppléer. Il y avait chez l'empereur plus de malveillance que de parcimonie. Mais César vint à bout de la sédition. On passa le Rhin et on entra sur le territoire des Alamans. Alors Sévère, qui avait jusque-là fait preuve de bravoure, ne sut plus que conseiller d'éviter d'en venir aux mains. Il voulut que les guides déclarent qu'ils ignoraient le chemin. Intimidés, ils n'osèrent plus faire un pas. Durant cette inaction forcée arriva tout à coup Suomaire, un roi alaman jusqu'alors ennemi de Rome, qui venait en suppliant. Julien le reçut en grâce. Suomaire obtint la paix la condition de rendre les prisonniers et de procurer des vivres aux troupes. Ce fut fait aussitôt. Il s'agissait d'atteindre la résidence d'un autre roi nommé Hortaire et on avait besoin d'un guide. On se saisit d'un jeune Alaman à qui Julien promit la vie à condition qu'il montre le chemin. L'armée, sous la conduite de ce guide, atteignit sa destination. La colère des soldats se signala par l'incendie des moissons, le pillage des troupeaux et le massacre de tout ce qui résista. Le roi, frappé de ce désastre, implora son pardon et jura de libérer les prisonniers. Cependant il n'en rendit qu'un petit nombre et retint le reste. Ce manque de foi indigna Julien et quand le roi vint recevoir les présents d'usage, quatre de ses officiers furent gardés en otages. Sommé de paraître devant César, Hortaire se prosterna et dut fournir les voitures et les matériaux nécessaires à la reconstruction des villes détruites par les barbares. Quant aux vivres, on n'en exigea pas de lui comme de Suomaire. La dévastation de son pays aurait rendu tout tribut de ce genre illusoire. Ainsi l'orgueil de ces rois pliait devant Rome. Cela fait, César distribua ses troupes dans leurs cantonnements et revint prendre ses quartiers d'hiver. Quand ces nouvelles parvinrent à la cour, les flatteurs les tournèrent en ridicule. Ils disaient en avoir assez de la chèvre, allusion à la barbe de Julien. Auguste passait l'hiver à Sirmium quand il apprit la jonction des Quades et des Sarmates qui ravageaient par petits groupes les deux Pannonies et la haute Mésie. Ces peuples préfèrent la guérilla aux batailles rangées. Ils portent de longues lances et des cuirasses de toile sur lesquelles des lames de corne s'étagent à la façon des plumes sur le corps d'un oiseau. Ils ont des chevaux hongres parce qu'ils ne s'emportent pas à la vue des juments et qu'ils sont moins sujets à trahir les embuscades. Les Sarmates peuvent, avec ces coursiers, franchir les plus grandes distances. Un cavalier en mène un ou deux en laisse, et les monte alternativement, pour ménager leurs forces. Sitôt l'équinoxe de printemps passé, Constance se mit en campagne. Il passa l'Ister enflé et alla ravager les terres de l'ennemi. Surpris, les barbares s'enfuirent. Ceux qui trouvèrent refuge dans la montagne purent voir le désastre de leur patrie. Ils firent alors des offres de paix, voulant profiter des négociations pour nous attaquer. Les Quades firent cause commune avec eux. Mais leur coup de main échoua et on fit d'eux un grand carnage. Ce succès donna du cœur à nos troupes qui marchèrent en colonnes serrées contre les Quades. Ceux-ci, jugeant du sort qui les attendait, se présentèrent en suppliants devant l'empereur. Zizaïs, jeune Sarmate de sang royal, arriva avec les siens. A la vue de l'empereur, il jeta ses armes et se prosterna ventre à terre. On lui dit d'exposer sa demande. Il resta à genoux et implora le pardon de ses torts. Sa suite fut admise aussi à faire entendre sa prière. Tous jetèrent leurs boucliers et, levant les mains, s'efforcèrent de surpasser leur prince en démonstrations d'humilité. Parmi les compagnons de Zizaïs se trouvaient trois petits rois ses vassaux, Rumon, Zinafre et Fragilède. Tous demandaient à se racheter. On leur ordonna de rentrer chez eux et de nous renvoyer leurs captifs. Cette clémence eut son effet. On vit arriver Araharius et Usafre. L'un était chef d'une fraction des Transjugitains et des Quades, l'autre d'un parti de Sarmates. En les voyant si nombreux, l'empereur jugea prudent de tenir à distance ceux qui représentaient les Sarmates jusqu'à ce qu'il ait fini de négocier avec Araharius et les Quades. Ceux-ci se présentèrent pliés en deux, suivant leur coutume. Ils acceptèrent de livrer des otages. Cela fait, Usafre, à son tour, fut admis à solliciter son pardon. Mais Araharius soutint que le pacte conclu avec lui concernait aussi son vassal. Il fut décidé que les Sarmates, de tout temps clients des Romains, n'étaient sujets à aucune autre dépendance et qu'ils étaient séparément tenus de livrer des otages, ce qu'ils acceptèrent. Ce fut alors un afflux de peuples et de rois qui, apprenant qu'Araharius avait obtenu sa grâce, venaient aussi nous supplier de les épargner. La même faveur leur fut octroyée et ils offrirent pour otages les enfants des meilleures familles. Ils rendirent aussi leurs prisonniers. On reprit ensuite le cas du peuple sarmate qui parut plus digne de pitié que de ressentiment. Une race indigène avait jadis dominé ce pays mais il y eut contre elle une révolte d'esclaves. Les maîtres succombèrent et s'enfuirent chez les Victohales. Quand ceux-ci furent reçus par nous en grâce, les Sarmates réclamèrent notre protection. L'empereur, touché, leur adressa en présence de toute l'armée des paroles bienveillantes, leur enjoignit de n'obéir qu'à lui et, pour sanctionner leur réhabilitation par un acte solennel, il leur donna pour roi Zizaïs. Celui-ci se montra digne de cette confiance. On se porta ensuite sur Bregetium où des Quades restaient hostiles. A la vue de notre armée, Vitrodore, fils du roi Viduaire, et son vassal Agilimunde, accompagnés des chefs de diverses tribus, vinrent se prosterner devant nous et jurèrent sur l'épée, seule divinité connue de ce peuple, de rester fidèles. Il fallait encore marcher contre les Limigantes, les esclaves révoltés des Sarmates, et faire justice des griefs qui s'élevaient contre eux. Quand leurs anciens maîtres envahissaient notre territoire, ils s'étaient empressés d'en faire autant. Ils sentaient que la guerre allait retomber sur eux et se disposèrent à conjurer l'orage en mettant en œuvre ruse, force et prière. Mais à la vue de l'armée, croyant leur dernier moment venu, ils demandèrent la vie, offrant un tribut en argent et en hommes. Mais ils refusaient l'émigration. Les Limigantes passèrent de notre côté du fleuve par bravade. Constance divisa l'armée en plusieurs corps et, pendant que les barbares avançaient, les fit envelopper avant qu'ils s'en aperçoivent. Le jour baissant conseillait de brusquer les événements. On leva les enseignes et nos soldats abordèrent l'ennemi avec fureur. De leur côté, les Limigantes serrèrent leurs rangs et se précipitèrent vers l'empereur. L'armée adopta l'ordre de bataille triangulaire appelé dans l'argot des soldats tête de porc, fondit sur l'ennemi et le culbuta. La cohorte prétorienne préposée à la garde du prince avait soutenu l'attaque. Elle n'eut bientôt plus qu'à prendre à dos les fuyards. Le champ de bataille était jonché de blessés. Aucun ne demanda grâce. Le massacre prit à peine une demi-heure. Altérés de sang, les soldats coururent aux habitations et massacrèrent tous ceux qu'ils y rencontraient. Pour en finir on brûla tout. Quelques fuyards se jetèrent dans le fleuve et s'y noyèrent pour la plupart. On ne s'en tint pas là. On rassembla toutes les barques des barbares pour aller chercher ceux que le fleuve séparait de nous. Les vélites pénétrèrent ainsi dans les retraites des Sarmates. Ceux-ci crurent d'abord avoir affaire à des compatriotes. Mais les armes qui brillaient leur apprirent la réalité. Ils s'enfuirent dans les marais où ils furent suivis par nos soldats qui en tuèrent an grand nombre. Les Acimicences détruits ou dispersés, on marcha contre les Pincences. Cette peuplade était dispersée sur un vaste territoire où il nous aurait été difficile de l'aller chercher. On eut recours aux Taïfales et aux Sarmates libres. Nos troupes passèrent par la Mésie et nos alliés occupèrent chacun la contrée qui lui faisait face. Les Limigantes, enfin, décidèrent dans un conseil des vieillards de se rendre mais pas à leurs anciens maîtres. Ils allèrent au camp romain d'où ils furent dispersés dans une vaste contrée. Ils vécurent quelque temps en paix mais leur férocité naturelle les poussa à mériter plus tard leur destruction entière. L'empereur couronna cette série de succès en donnant à l'Illyrie un double gage de sécurité. Ce fut le retour dans son pays d'un peuple d'exilés dont il pouvait attendre plus de prudence à l'avenir. Et il lui donna pour roi un homme de son choix. L'armée décerna à Constance pour la seconde fois le titre de Sarmatique. Le prince promit des récompenses et revint à Sirmium en triomphe. L'armée ensuite rentra dans ses cantonnements. Dans le même temps les négociateurs envoyés au roi de Perse arrivaient à Ctésiphon. Ils lui remirent la lettre et les présents dont ils étaient porteurs et, fidèles à leur mandat, proposèrent de prendre le statu quo pour base du traité, insistant sur ce qu'aucun changement ne soit apporté à l'état des choses à l'égard de l'Arménie et de la Mésopotamie. Voyant que le roi s'entêtait sur la cession de ces deux provinces, ils revinrent sans rien avoir conclu. A cette mission succéda, sans plus de succès, celle du comte Lucillien et du notaire Procope. Julien travaillait au bien-être des provinces. Veiller à l'égale répartition de l'impôt, prévenir les abus de pouvoir, écarter des affaires ceux qui spéculent sur les malheurs publics, ne souffrir chez les magistrats aucune malversation, telles étaient ses occupations. Il siégeait lui-même comme juge. Numerius, ancien gouverneur de Narbonnaise, devait répondre de dilapidation. Il niait et les preuves manquaient. Son adversaire, Delphidius, demanda où seraient les coupables s'il suffisait de nier. A quoi Julien demanda où seraient les innocents s'il suffisait d'accuser. Il méditait une expédition contre les Alamans qui lui faisaient craindre une nouvelle agression. Sous prétexte d'une ambassade à Hortaire, un roi en paix avec nous et voisin du pays visé, il lui envoya le tribun Hariobaude. De là cet officier, qui parlait la langue des barbares, pouvait surveiller les mouvements de l'ennemi. De son côté Julien, dès que la saison d'entrer en campagne fut venue, rassembla ses troupes. Il tenait beaucoup, avant d'engager les hostilités, à mettre en état de défense un certain nombre de villes. Il devait rétablir ses magasins de subsistances incendiés pour recueillir les envois de grains de Bretagne. Ce fut fait très vite et les magasins regorgèrent aussitôt de vivres. Sept villes furent occupées, le Camp d'Hercule, Quadriburgium, Tricésime, Novesium, Bonna, Antennacum et Bingion. Là, il fut rejoint par Florence, préfet du prétoire. Restait à réédifier les murailles des sept villes. On put juger de l'ascendant de Julien sur les barbares et sur ses soldats. Les rois alamans envoyèrent les matériaux nécessaires et les soldats auxiliaires, récalcitrants d'habitude, aidèrent aux constructions. L'ouvrage touchait à sa fin lorsque Hariobaude revint. L'armée partit pour Mogontiacum où s'éleva une contestation. Florence et Lupicin, qui avait succédé à Sévère, voulaient passer le fleuve et Julien refusait parce que, si on mettait le pied sur le territoire des rois avec qui nous étions en paix, les mauvaises habitudes des soldats entraîneraient la rupture des traités. La fraction du peuple alaman contre qui l'expédition était dirigée, voyant le péril s'approcher, demanda au roi Suomaire, un des signataires du traité, de nous empêcher de franchir le Rhin. Comme il se déclarait incapable d'y parvenir seul, une masse de barbares se porta sur ce point, décidée à s'opposer au passage de l'armée. On comprit alors que césar avait eu raison et que, pour jeter le pont, il fallait chercher un endroit où on ne serait exposé ni à dévaster les terres d'un ami, ni à sacrifier des vies dans une lutte avec une telle foule. Les barbares suivaient nos mouvements. Arrivée au point choisi, l'armée se retrancha. César ordonna à des tribuns sûrs de tenir prêts trois cents hommes munis de pieux, sans donner d'explication. Dans la nuit, il fit monter ce détachement dans quarante barques avec l'ordre de descendre le fleuve en silence et de gagner l'autre rive. Alors que ce coup de main se préparait, le roi Hortaire qui, sans rompre avec nous, conservait des relations avec ses compatriotes, avait invité les rois alamans nos ennemis à un dîner qui se prolongea, selon l'usage de ces peuples, tard dans la nuit. Le hasard voulut qu'en se retirant ils rencontrent les nôtres. Aucun ne fut tué ni pris mais on fit main basse sur les valets qui les suivaient. Cela effraya les Alamans qui se dispersèrent. Le pont fut construit et les barbares virent nos légions traverser, sans causer le moindre dommage, les possessions du roi Hortaire. Mais une fois sur le sol ennemi, tout fut mis à feu et à sang. Enfin l'armée arriva au lieu appelé Capellati, à la limite des territoires alaman et burgonde. On y campa pour recevoir la soumission de deux frères, les rois Macrien et Hariobaude, qui avaient senti venir l'orage. Cet exemple fut suivi par le roi Vadomaire, dont les possessions touchaient à Rauraque et qui fit valoir une lettre de Constance en sa faveur. Il fut accueilli avec les égards dus à un prince client du peuple romain. Macrien et son frère se voyaient pour la première fois au milieu de nos aigles et de nos étendards. Surpris par la tenue de nos troupes, il s'empressa de demander grâce pour les siens. On concéda la paix à Macrien. Vadomaire sollicitait aussi au nom des rois Urie, Ursicin et Vestralpe. Or un traité conclu par intermédiaire a peu de force pour les barbares dès qu'ils ne sont plus contenus par la présence de l'armée. Mais quand on eut brûlé leurs moissons et leurs demeures, tué ou pris une partie des leurs, ils s'empressèrent de négocier. Leur contrition leur valut la paix aux mêmes conditions qu'aux autres. Pendant ce temps, une nouvelle tourmente s'élevait à la cour. Un essaim d'abeilles était apparu dans la maison de Barbation, général de l'infanterie. Les devins dirent qu'il était à la veille d'un grand événement. Barbation étant en expédition, sa femme, Assyria, lui adressa une lettre où elle le conjurait, quand il succéderait à Constance, dont elle tenait la mort pour proche, de ne pas lui préférer l'impératrice Eusébie. Assyria s'était servie d'une esclave pour écrire. La lettre fut expédiée en secret mais l'esclave s'évada et fut recueillie par Arbition à qui elle révéla tout. Celui-ci alla chez l'empereur. Barbation, qui ne put nier avoir reçu la lettre, et sa femme furent décapités. Barbation était détesté pour l'hypocrisie avec laquelle il avait trahi Gallus. V - En Orient Le roi de Perse attendait le printemps pour mettre à exécution ses projets d'invasion. Cependant la cabale des eunuques du palais ne cessait de s'agiter et Ursicin, pour l'empereur, était devenu en quelque sorte la tête de Méduse. On lui répétait sans cesse que, vainqueur de Silvain et désigné pour défendre l'Orient, il rêvait d'une position plus haute encore. Ce manège n'avait d'autre but que de gagner les bonnes grâces du grand chambellan Eusèbe qui détestait le maître de la cavalerie. Eusèbe dressait les jeunes eunuques à profiter de leur influence sur le prince. On est tenté de réhabiliter la mémoire de Domitien qui, malgré la réprobation attachée à son règne, a interdit la castration des enfants dans l'empire romain. On voulut cependant user contre Ursicin de circonspection et attendre une bonne occasion. Ursicin et moi arrivâmes à Samosate, ancienne capitale du royaume de Commagène. Là, il apprit l'histoire d'Antonin, un riche négociant devenu intendant du duc de Mésopotamie. Menacé de ruine, il avait voulu plaider mais il avait affaire à des hommes puissants et son bon droit avait été méconnu. Préparant sa vengeance. Il avait pénétré les ressorts de l'Etat et de l'administration. Il avait bientôt tout su de nos troupes et de leur destination en cas de guerre. Il avait ensuite préparé sa fuite en Perse avec sa famille. Afin de donner le change, il avait acheté une terre au bord du Tigre, s'assurant ainsi un prétexte pour ses voyages à la frontière. Il avait aussi pu, par l'entremise de serviteurs sachant nager, communiquer avec Tamsapor, qui commandait sur la rive opposée. Un jour, il s'était embarqué avec sa famille et était passé sur l'autre côté. Les eunuques trouvèrent enfin à nuire à Ursicin. Il fut décidé que Sabinien, vieillard décrépit mais riche, était l'homme qu'il fallait à la tête de l'Orient et qu'Ursicin succéderait à Barbation comme maître de l'infanterie. Pendant ce temps Antonin, conduit auprès du roi de Perse, était reçu à bras ouverts et décoré de la tiare, ce qui permet de s'asseoir à la table royale et de donner son avis dans les délibérations. Antonin en usa sans scrupule et attaqua l'empire. Il trouvait des auditeurs attentifs. Le transfuge poussait le roi à se mettre en campagne dès que l'été serait venu. En même temps Sabinien, gonflé de son importance, venait trouver en Cilicie l'homme qu'il devait remplacer et lui remettait une lettre du prince qui le rappelait à la cour. Cette nouvelle consterna les provinces. On savait qu'en perdant Ursicin on allait voir lui succéder un incapable. Les Perses furent avertis. Ils arrêtèrent le plan, proposé par Antonin et fondé tant sur l'absence d'Ursicin que sur la nullité de son successeur, de forcer la barrière de l'Euphrate et d'aller droit devant eux, sans s'attarder devant les places fortes. Leur armée occuperait sans coup férir des provinces qui s'étaient enrichies par une longue paix. Antonin s'offrait même comme guide. Les préparatifs durèrent le reste de l'hiver. Quant à nous, nous retournions en Italie quand, au bord de l'Hèbre, nous trouvâmes une lettre de l'empereur nous enjoignant de retourner en Mésopotamie. Ainsi, au cas où les Perses échoueraient dans leur entreprise, le nouveau général aurait tout l'honneur du succès mais on se ménageait, dans le cas contraire, une accusation contre Ursicin. Nous retournâmes donc auprès de Sabinien qui nous fit le plus dédaigneux accueil. C'était un personnage petit, dépourvu de cœur et d'esprit. Les rapports de nos espions s'accordaient avec les déclarations des transfuges sur l'activité des Perses. Nous laissâmes le petit homme bailler à son aise et courûmes mettre Nisibe en état de défense. Alors que nous pressions les travaux, des fumées apparurent au-delà du Tigre, dans la direction de Sisara et du Camp des Maures, qui témoignaient du passage du fleuve par l'ennemi et du début des dévastations. Nous sortîmes pour lui leur couper la route. A deux milles des murs, nous trouvâmes un enfant qui pleurait. A l'approche de l'ennemi sa mère l'avait abandonné. Le général, ému, m'ordonna de le ramener en ville. Mais déjà des coureurs pillaient les alentours. Je craignis d'être enfermé et, déposant ma charge près d'une poterne entrouverte, je regagnai nos escadrons. Peu s'en fallut que je ne sois pris. Le valet du tribun Abdigilde fut pris. On lui demanda qui venait de sortir de la ville. Il répondit que c'était Ursicin. Les Perses le tuèrent et se mirent à nous poursuivre. Près d'Amudis, petit fort en mauvais état, les nôtres se reposaient. Je leur signalai que l'ennemi était là. On fit retraite aussitôt. La lune était pleine et nous traversions une plaine découverte. On fixa une lanterne au dos d'un cheval et on le poussa sur la gauche tandis que nous prenions à droite vers la montagne. Sans cela nous aurions été pris. Nous arrivâmes dans un canton couvert de vignes et d'arbres fruitiers nommé Meiacarire. Les habitants avaient fui. On y trouva un soldat caché que l'on mena au général. Ses réponses nous le rendirent suspect. Il avoua qu'il était natif de Paris et qu'il avait servi dans notre armée. La peur d'un châtiment l'avait fait passer chez les Perses. Il s'y était marié et avait des enfants. Lors de sa capture il retournait faire son rapport a Tamsapor et Nohodarès. On le mit à mort. A Amida, on nous remit un message de Procope qui avait fait partie de la seconde ambassade en Perse. Il disait, en termes codés, que le roi de Perse allait franchir l'Anzabe et le Tigre et que, poussé par Antonin, il visait à la domination de tout l'Orient. Quand on l'eut déchiffré, on prit des précautions. Il y avait alors au gouvernement de la Corduène, pays dépendant des Perses, un satrape nommé Jovinien qui entretenait de bons rapports avec nous. Ancien otage, il avait passé sa jeunesse en Syrie, y avait pris le goût des études libérales et désirait revenir parmi nous. Je fus envoyé près de lui pour obtenir des renseignements. Il me donna un guide qui me conduisit sur un rocher d'où la vue portait à cinquante milles. Nous restâmes en observation deux jours entiers sans rien voir. Mais au lever du troisième, l'horizon sembla se couvrir d'escadrons. Le roi était à leur tête. A sa gauche marchait Grumbatès, roi des Chionites. A sa droite était le roi des Albains. Après eux venait l'élite des nations voisines. Les rois alliés traversèrent Ninive, principale ville de l'Adiabène. Quant à nous, pensant que le reste de l'armée mettrait au moins trois jours à défiler, nous retournâmes vers les nôtres. Nous pûmes leur affirmer que les Perses avaient jeté un pont et qu'ils avançaient. On envoya des cavaliers dire à Cassianus, duc de Mésopotamie, et à Euphrone, gouverneur de la province, d'évacuer Carrhes et d'incendier les campagnes afin que nulle part l'ennemi ne trouve de vivres. Des détachements couvraient la rive de l'Euphrate de redoutes qu'ils garnissaient de machines de guerre. Pendant ce temps, Sabinien passait son temps au milieu des tombeaux. Sans doute se figurait-il, en paix avec les morts, n'avoir rien à craindre des vivants. L'armée perse évita Nisibe et longea le pied des monts à la recherche de vallées où il pouvait rester quelque verdure et arriva bientôt à la ferme de Bebase. Les chefs apprirent qu'une subite fonte de neiges avait fait déborder l'Euphrate, le rendant impraticable à gué. Antonin proposa d'appuyer sur la droite et de gagner les forteresses de Barzalo et de Claudias. On traverserait une contrée fertile et le fleuve y était guéable. Sa proposition fut acceptée. Apprenant cela, nous prîmes nos dispositions pour passer le fleuve à Samosate et, après avoir rompu les ponts de Zeugma et de Capersane, repousser l'ennemi. Nos mesures furent contrecarrées par un incident. Nous avions un poste avancé de cavaliers illyriens. Cette troupe abandonnait sa garde le soir, c'est-à-dire à l'heure où il fallait redoubler de surveillance. Cela fut remarqué par les Perses qui, profitant de l'ivresse et du sommeil de ces hommes, passèrent inaperçus et s'embusquèrent derrière les hauteurs proches d'Amida. Nous étions en marche vers Samosate. Tout à coup on vit un reflet d'armes. Le signal du combat se fit entendre et les rangs se serrèrent. Nous voyions déjà la retraite peu sûre et attaquer était courir à une mort certaine, ayant devant nous une force très supérieure en cavalerie. Ursicin vit Antonin qui paradait en tête des ennemis et l'insulta. Celui-ci mit pied à terre et s'inclinant jusqu'au sol, appela Ursicin maître et seigneur et lui dit que seul l'acharnement de créanciers impitoyables l'avait poussé à cela. Tout à coup notre dernier rang, qui bordait la crête de la colline, s'écria que des cataphractes nous prenaient à dos. L'ennemi nous encerclait. Alors on ne songea plus qu'à vendre chèrement sa vie. Nous fûmes acculés aux rives du Tigre. Un certain nombre de nos gens furent poussés dans le fleuve. Certains cherchèrent à gagner les gorges du mont Taurus. De ce nombre fut notre général. Séparé de mes camarades, me voyant entouré, je pris ma course vers la ville. Une poterne s'ouvrit pour nous et je trouvai la ville envahie par une immense cohue. Ce jour était celui d'une grande foire qui fait affluer la population des campagnes voisines. C'était un concert de lamentations. Amida n'était primitivement qu'une bourgade mais Constance, alors César, avait voulu en faire une place de guerre redoutable et lui donner son nom. Elle est baignée au sud par le Tigre. Elle domine à l'est les plaines de Mésopotamie. Au nord, elle est proche de la rivière de Nymphée et des crêtes du Taurus qui forment la frontière de l'Arménie. A l'ouest, elle touche à la Gumathène. La garnison était composée de la Vème légion Parthique et de cavaliers indigènes. Mais l'approche des Perses avait fait accourir six légions qui avaient mis la place en défense. Deux de ces légions portaient les noms de Magnence et de Décence. L'empereur les avait, après la guerre civile, reléguées en Orient. Les quatre autres étaient la XXXème, la Xème Fortensis, et deux autres formées des soldats nommés Voltigeurs et Eclaireurs, sous le commandement du comte Elien. Se trouvait là aussi un corps d'archers barbares. Sapor écoutait Antonin et avançait comme s'il n'avait aucune visée sur Amida. Il rencontra sur sa route deux forts romains, Reman et Busan, et apprit d'un transfuge que plusieurs particuliers y avaient déposé leurs richesses. Il s'y trouvait aussi, disait-on, une femme d'une beauté singulière, avec sa fille. C'était l'épouse de Craugase, membre du corps municipal de Nisibe. A la première sommation, les garnisons ouvrirent les portes. On vit alors sortir des femmes et des enfants. Le roi s'informa de l'épouse de Craugase, lui dit d'approcher sans crainte et l'assura qu'on la respecterait et qu'elle reverrait son mari. Il savait que ce dernier avait pour elle une grande passion et comptait négocier à ce prix la reddition de Nisibe. Il étendit la même protection à des vierges consacrées suivant le rite chrétien au culte des autels, leur permettant de continuer sans crainte leur pratique religieuse. Cette clémence avait pour but d'amener à lui ceux qu'effrayait sa réputation de barbarie. Sapor repartit pour Amida. L'horizon resplendissait de l'éclat des armes. Une immense cavalerie bardée de fer couvrait les plaines et les collines. On distinguait le roi à sa haute taille, à son bonnet d'or et à son entourage de princes. La garnison était persuadée qu'il ne ferait que passer devant la ville. Mais le monarque croyait qu'à sa vue les assiégés demanderaient grâce. Aussi alla-t-il caracoler devant les portes de la ville. Il fut accueilli par une volée de flèches. Cela lui parut sacrilège. Il aurait aussitôt donné l'assaut si on ne lui avait expliqué que cela compromettrait l'entreprise. On le calma mais il décida de faire des sommations à la place. Grumbatès, roi des Chionites, en fut chargé et, dès l'aurore, il s'avança vers la muraille. Un trait d'arbalète tua son fils. Des cris de vengeance appelèrent alors aux armes. Une grêle de traits fut échangée. Beaucoup de soldats tombèrent de part et d'autre et cela se prolongea jusqu'à la nuit. Le deuil du père fut partagé par toute la cour perse. Une suspension d'armes fut décidée pour les obsèques. Le corps, revêtu de son armure, fut exposé sur une estrade entouré de dix lits funéraires sur chacun desquels était déposée l'effigie d'un mort. Les hommes passèrent sept jours en banquets mêlés de danses et d'hymnes en l'honneur du jeune homme. Les femmes gémissaient et se frappaient la poitrine. Quand le corps eut été brûlé, on mit les cendres dans une urne que le père avait résolu de ne confier qu'au sol natal. VI - Le siège d'Amida Les Perses décidèrent de détruire la ville en expiation de la mort du jeune prince. Deux jours furent consacrés au repos. Le troisième, à l'aurore, une ceinture de cinq rangs de boucliers se forma autour de la ville. Une innombrable cavalerie remplissait l'espace aussi loin que la vue portait. L'est était échu aux Chionites. C'est là que leur prince était mort. Les Kouchans se rangèrent au sud et les Albaniens au nord. A l'ouest étaient les Ségestans. Au milieu d'eux s'avançait les éléphants. Rien n'est plus terrifiant que ces monstres, citadelles mouvantes chargées d'hommes armés. A la vue de cette masse de peuples, notre espoir s'éteignit. Toute la journée, les ennemis restèrent immobiles et silencieux. Le lendemain, au signal d'un javelot sanglant lancé en l'air par Grumbatès, l'armée perse se précipita vers les murs. Beaucoup d'ennemi furent tués par les pierres parties de nos scorpions, par nos flèches et nos javelots de rempart. Mais nos pertes étaient douloureuses. Les machines de guerre que les Perses s'étaient procurées à Singare furent fatales à plus d'un parmi nous. Le massacre durait encore le soir. Ce fut la même chose le lendemain. Le courage faiblissait. Outre la présence de sept légions appelées à la défense de la ville, beaucoup de gens y étaient réfugiés. Vingt mille hommes se pressaient dans l'étroite enceinte. Pendant ce temps Sabinien ne faisait rien. Ursicin l'exhorta à intervenir. Sabinien parla de désobéissance et montra une lettre dans laquelle l'empereur enjoignait de ne pas déplacer de troupes. On sacrifiait des provinces pour ôter à un grand homme de guerre l'honneur d'une action d'éclat. Ursicin en était réduit à communiquer avec nous par messages et à former plan sur plan sans pouvoir en mettre un seul à exécution. Dans la ville jonchée de morts vint s'ajouter la peste. Mais elle fit peu de victimes. Une pluie purgea l'air et ramena la santé. L'ennemi construisait des mantelets, entourait les murs de terrasses, élevait des tours armées d'une baliste destinée à nettoyer les remparts. Le tout pendant que ses frondeurs et ses archers nous accablaient de projectiles. Il y avait dans la garnison deux légions venues de Gaule qui avaient combattu pour Magnence. C'étaient des hommes excellents en campagne mais n'entendant rien à la défense d'une place. Ils ne savaient que s'exposer dans des sorties dont ils revenaient chaque fois affaiblis après s'être vaillamment battus sans avoir contribué vraiment à la défense. Ils se virent enfin refuser l'ouverture des portes. Dans la partie méridionale des fortifications qui domine le Tigre, se dressait une grande tour où aboutissait un passage secret pratiqué dans la base de la roche. On avait percé ce souterrain pour puiser de l'eau dans le fleuve. L'escarpement de la ville sur ce point rendant la vigilance des assiégés moins active, soixante-dix archers de la garde du roi de Perse s'engagèrent de nuit dans cette galerie, guidés par un habitant. Ils gagnèrent le troisième étage. Au jour, ils arborèrent une casaque rouge, signal convenu de l'assaut. Puis ils se mirent à tirer çà et là. Aussitôt l'armée perse se précipita. On hésita d'abord, ne sachant à qui courir. Enfin la défense se partagea. On dressa contre la tour cinq balistes et la place fut bientôt nette. Ensuite les assiégés remirent les balistes à leur place et l'effort se reporta sur la défense des murailles. L'indignation contre la trahison doublait l'énergie du soldat. Les ennemis furent repoussés avec des pertes sensibles. Le lendemain, on vit une foule qui se dirigeait vers le camp ennemi. C'était la population de Ziata, prisonnière. Parmi les captifs se trouvaient des vieillards. Quand les forces manquaient à l'un d'eux, on lui coupait les tendons et on le laissait là. Les soldats gaulois, émus, voulurent faire une sortie, menaçant de mort leurs chefs s'ils les retenaient. Comme des furieux, ils frappaient de leurs glaives les portes fermées. On ne vit d'autre moyen que de leur permettre de tomber sur les gardes avancées des Perses. En attendant, la garnison se défendait. Les Perses élevaient deux terrasses. Les nôtres construisaient des échafaudages. Profitant d'une nuit sans lune, les Gaulois sortirent. Ils surprirent un poste avancé qu'ils massacrèrent. Au bruit, le camp se réveilla et on cria aux armes. Les Gaulois, aussi vaillants que robustes, firent bonne contenance, abattant tout ce qui osait les affronter de près. Mais beaucoup d'entre eux tombèrent. Ils commencèrent donc à reculer, mais sans qu'un seul tourne le visage, pied à pied. C'est ainsi qu'ils repassèrent le fossé du camp, essuyant charges sur charges. Les Gaulois purent rentrer au point du jour mais cette nuit leur avait coûté quatre cents hommes. Après la perte d'Amida, l'empereur, en mémoire de ce fait d'armes, fit élever sur la place principale d'Edesse les statues des officiers qui avaient commandé le détachement. Le jour révéla aux Perses leur malheur. Des satrapes étaient parmi les morts. On entendit alors un concert de lamentations. Les rois indignés s'en prirent aux avant-postes qui avaient laissé passer les Romains. Les Perses ne songeaient plus qu'à presser les travaux. Nous vîmes un matin des tours couvertes de lames de fer s'avancer contre nos murs. Leurs plates-formes étaient garnies de balistes dont les coups écartaient les défenseurs des remparts. Le jour montra les bataillons qui marchaient en lignes serrées sous la protection de leurs machines et couverts par des claies d'osier. Mais quand ils furent à portée de nos balistes, l'infanterie perse eut beau présenter le bouclier, aucun trait ne se perdit. Les rangs se relâchèrent. Les cataphractes eux-mêmes faiblirent et durent se replier. Mais sur tous les points exposés aux projectiles de leurs tours les assiégeants reprenaient l'avantage par leur position dominante et nous faisaient un mal considérable. Nous passâmes la nuit à chercher un moyen de conjurer les effets de cet engin. Nous plaçâmes quatre scorpions en face des balistes. Le jour se leva, montrant les phalanges perses rangées en bataille et renforcées d'éléphants. D'énormes boulets de pierre lancés par nos scorpions brisèrent les tours et précipitèrent en bas les balistes et leurs servants. Les éléphants, environnés de feux qu'on lançait des remparts, rebroussèrent chemin malgré les efforts de leurs conducteurs. L'incendie des ouvrages ne ralentit pas le combat car le roi, que l'usage dispense pourtant d'assister en personne aux batailles, se jeta dans la mêlée. Mais comme il était trop voyant, il fut le but de traits qui firent autour de lui beaucoup de victimes. Cependant il fallut la nuit pour qu'il laisse à son armée quelque repos. Dès que Sapor vit reparaître le jour, il reprit le combat. L'attaque cette fois fut tentée au moyen des terrasses élevées contre nos murs. L'action fut longue et sanglante. Les choses en étaient là quand notre échafaudage s'écroula, comblant l'intervalle qui séparait le mur de la terrasse. Cela ouvrit à l'ennemi un passage et mit hors de combat un grand nombre des nôtres. Aussitôt l'armée perse se porta sur ce point. Une mêlée furieuse s'engagea, un flot d'ennemis pénétra dans la ville et le massacre commença. Je profitai de la nuit pour me cacher avec deux compagnons et gagner une poterne non gardée. Nous franchîmes dix milles en peu de temps. J'étais mal préparé par mon existence aristocratique à de telles fatigues. Je me sentais défaillir quand survint un accident. Un palefrenier ennemi montait un cheval très vif et avait noué la courroie à son poignet. Il fut jeté à bas et, ne pouvant se dégager, fut mis en pièces par l'animal qui s'arrêta, retenu par le cadavre. Je profitai de la monture que le sort m'amenait si à propos. La soif nous dévorait. Nous découvrîmes un puits profond et sans corde. Nous en fîmes une de nos vêtements découpés en lanières et y attachâmes la calotte que l'un de nous portait sous son casque. Nous atteignîmes ainsi l'eau. Nous nous dirigeâmes ensuite vers un point de l'Euphrate où se trouvait un bac. Tout à coup nous vîmes des cavaliers romains fuyant devant les Perses. Nous comprîmes qu'il n'y avait de salut pour nous que dans la fuite et, nous glissant entre les buissons, nous gagnâmes les montagnes. De là nous parvînmes à Mélitène, en Arménie Mineure. Nous y trouvâmes notre général et revînmes avec lui à Antioche. L'automne touchait à sa fin. Les Perses songeaient à retourner chez eux avec leur butin et leurs captifs. Pour couronner les scènes de meurtre et de pillage dont Amida avait été le théâtre, ils pendirent le comte Elien et les tribuns qui leur avaient fait éprouver de grandes pertes. Tous les individus nés au-delà du Tigre furent massacrés. La femme de Craugase avait été respectée mais elle déplorait l'absence de son mari. Elle chargea un serviteur d'aller le trouver à Nisibe pour lui donner des nouvelles et le presser de venir la joindre. Le messager gagna Nisibe en se faisant passer pour un évadé. Il communiqua sans peine avec Craugase et reçut de celui-ci l'assurance qu'il ne demandait pas mieux que de rejoindre sa femme dès qu'il le pourrait. L'esclave rapporta la réponse à sa maîtresse. Elle supplia alors le roi de faciliter l'évasion de son mari. Le serviteur qu'on avait vu revenir puis disparaître excita les soupçons du duc Cassien. Craugase eut peur d'être accusé de trahison et, tremblant qu'un transfuge ne révèle que sa femme vivait, feignit de rechercher en mariage une fille de haute distinction. Sous prétexte de préparatifs de noces, il se rendit à sa maison de campagne, à l'écart de Nisibe, et de là courut au-devant d'un corps de fourrageurs perses. Il fut remis aux mains de Tamsapor qui le présenta au roi. On lui rendit ses biens, sa famille et sa femme, qu'il perdit quelques mois après. Sapor, bien qu'il ait l'air de triompher, songeait aux sacrifices par lesquels avait payé son succès. Son armée, durant les soixante-treize jours qu'elle avait passés devant Amida, avait perdu trente mille combattants. VII – Julien proclamé empereur par ses troupes Pendant ce temps, Rome était menacée de famine et le peuple, pour qui c'est le pire des maux, s'en prenait au préfet Tertulle. C'était absurde car il ne dépendait pas du préfet que les navires chargés de vivres arrivent à temps quand l'état de la mer rendait la tentative périlleuse. Le préfet se crut perdu mais il eut l'idée de présenter à la foule ses deux petits enfants. Cette scène touchante fit effet sur le peuple qui s'attendrit volontiers. Peu de jours après, la mer se calma et la flotte ramena l'abondance dans les greniers de la ville. Constance hivernait à Sirmium quand il reçut une nouvelle alarmante. Les Sarmates Limigantes avaient quitté la région qu'on leur avait assignée et se montraient sur nos frontières. Il réunit ses troupes et se mit en campagne au début du printemps. Il avait deux motifs de confiance. D'un côté la cupidité du soldat, exaltée par les dépouilles rapportées de la guerre précédente, lui était garante de nouveaux efforts dans celle qui allait s'ouvrir. Et l'armée se trouvait, grâce aux soins d'Anatolius, préfet d'Illyrie, pourvue de tout sans recourir à des moyens vexatoires. Nulle autre administration, avant la sienne, n'avait répandu autant de bienfaits sur nos provinces du nord. Anatolius avait réduit les impôts. C'était assoupir bien des germes d'irritation et de plaintes. L'empereur se porta vers cette région de Pannonie nommée Valérie. Il campa au bord de l'Ister et observa les mouvements des barbares qui avaient pensé le devancer et ravager la Pannonie pendant que la glace du fleuve empêchait nos troupes de tenir campagne. Constance leur envoya deux tribuns pour demander des explications. Les barbares finirent par demander grâce, implorant la permission de venir exposer leurs misères à l'empereur. Ils étaient prêts à se fixer dans quelque district lointain de l'empire et à accepter la condition de sujets. Ces propositions comblèrent Constance de joie. Il se voyait, sans conflit, débarrassé d'une préoccupation sérieuse. L'avarice trouvait aussi son compte à cet arrangement. Il campa près d'Acimincum. Des barques montées d'hommes armés se tinrent près du rivage afin de prendre à dos les barbares à la moindre démonstration hostile. Ces dispositions n'échappèrent pas aux Limigantes mais ils n'en gardèrent pas moins leur attitude de suppliants. L'empereur se préparait à les traiter en repentis quand l'un d'eux lança sa chaussure contre la tribune en poussant le cri de guerre. La foule, à ce signal, se précipita vers le prince. L'empereur s'enfuit et le petit groupe qui l'escortait fut taillé en pièces. Le bruit aussitôt se répandit que l'empereur avait failli périr. Les nôtres ne firent aucun quartier. Les Limigantes furent tous tués ou dispersés. Constance tirait ainsi vengeance d'un ennemi perfide et assurait l'intégrité de nos frontières. Il revint ensuite à Sirmium d'où il se rendit à Constantinople. De là, il pouvait remédier au désastre d'Amida et recruter une armée pour s'opposer au roi de Perse. Au milieu de tout cela, un fléau courant chez nous, cette tendance à voir partout le crime de lèse-majesté, réapparut. Le notaire Paul n'hésitait pas à employer la fraude pour peu que sa cupidité s'y trouve intéressée. A Abydos de Thébaïde, se rendent les oracles du dieu Bésa. On peut le consulter par mandataire et les demandes restent parfois au temple. Quelques-unes, choisies avec une maligne intention, furent mis sous les yeux de l'empereur. Paul fut aussitôt envoyé en Orient pour prendre en main l'enquête. On lui adjoignit Modestus, comte d'Orient, à qui ce rôle convenait à merveille. Hermogène du Pont était préfet du prétoire mais sa douceur était suspecte. On le laissa de côté. Dès lors la bride fut lâchée à la calomnie. On choisit pour les exécutions la ville de Scythopolis en Palestine à cause de son isolement et de sa position entre Antioche et d'Alexandrie. Simplice et Parnase comparurent pour avoir, disait-on, consulté l'oracle pour savoir s'ils parviendraient à l'empire. Il furent déportés. Le savant et poète Andronicus fut absous. Démétrius Cythras le Philosophe, accusé d'avoir souvent offert des sacrifices. Répondit que c'était une vieille habitude. Ses réponses ne variant pas sous la torture, on le laissa repartir. Mais on vit des victimes sans nombre subir la condamnation capitale. Il naquit vers ce temps à Daphné, près d'Antioche, un enfant barbu avec deux bouches, deux dents, quatre yeux et deux oreilles à peine visibles. Ces phénomènes sont le présage de convulsions politiques. Après une longue inaction, les Isauriens reprenaient leur brigandage. On envoya le comte Laurice qui sut imposer plutôt que sévir et l'ordre fut rétabli dans la province. En Bretagne, les Ecossais et les Pictes avaient rompu leurs engagements envers nous et terrorisaient le pays. César, qui avait alors son quartier d'hiver à Paris, craignait de laisser la Gaule à la merci des Alamans. Il chargea donc Lupicin de pacifier l'île. Lupicin était bon soldat mais on n'aurait su dire ce qui dominait chez lui de la dureté ou de l'amour du gain. Il partit en plein hiver avec un corps de vélites et deux légions. Après avoir débarqué à Rutupiae, il gagna Londres. Après la chute d'Amida, Ursicin avait repris son service auprès du prince en qualité de maître de l'infanterie. Il succédait à Barbation. Ses ennemis ne l'y laissèrent pas en repos. L'empereur avait chargé Arbition et Florence d'enquêter sur l'affaire d'Amida. Ceux-ci, de peur de déplaire au grand chambellan Eusèbe en montrant que Sabinien était la cause du désastre, s'attachèrent à des détails. Cela mit Ursicin hors de lui. Il prédit à l'empereur que, s'il se fiait à ses eunuques, rien n'empêcherait la perte de la Mésopotamie. Cela irrita Constance au point qu'il le dépouilla de sa charge et le remplaça par Agilon, qui n'était que tribun. A cette époque le ciel, à l'est, était brumeux et, jusqu'à midi, on voyait des étoiles intermittentes. On savait par les transfuges une invasion perse imminente. Constance accourut au secours de l'Orient mais était jaloux de la gloire de Julien qui avait arraché la Gaule aux barbares. Sur le conseil du préfet Florence, il envoya en Gaule le tribun Décence avec mission de prendre à l'armée de Julien les troupes auxiliaires composées d'Hérules, de Bataves, de Pétulants et de Celtes, plus trois cents hommes choisis dans chacun des autres corps et de diriger le tout sur l'Orient. Julien protesta. Les soldats natifs d'outre-Rhin avaient stipulé qu'on ne les ferait jamais servir au-delà des Alpes. Porter atteinte à cet engagement était compromettre le recrutement futur. Mais il parlait en vain. Le tribun écréma les légions de leurs meilleurs hommes et partit avec eux. Restait à envoyer les autres troupes demandées. César était inquiet. Dans son embarras, il convoqua le préfet qui s'était prudemment éloigné et qui refusa de venir. Alors Julien jugea fit mettre en marche les troupes déjà sorties de leurs quartiers. Un pamphlet fut jeté au pied des enseignes. Il disait qu'on les reléguait au bout du monde comme des proscrits et que leurs familles allaient retomber sous le joug des Alamans. Ce texte fut portée à Julien qui, reconnaissant sa justesse, permit aux femmes et aux enfants des soldats de les suivre en Orient. Ducence proposa que les soldats traversent Paris, que Julien n'avait pas encore quitté. A leur arrivée, le prince alla au-devant d'eux. Il les félicita de rejoindre l'empereur auprès duquel les attendaient des récompenses dignes d'eux. Pour leur faire honneur, il réunit les chefs dans un dîner d'adieu. Mais la bonté de son accueil accrut leur amertume. Dans la nuit les esprits s'échauffèrent. On courut aux armes et on se porta vers le palais. Des clameurs proclamèrent Julien Auguste, en insistant pour qu'il se montre. Au point du jour le prince, obligé de paraître, fut de nouveau salué du nom d'Auguste par des acclamations. Julien les adjura de ne pas ternir par cette révolte l'éclat de tant de victoires puis leur promit qu'ils ne partiraient pas. Alors les clameurs prirent une force nouvelle. César fut forcé d'accepter. Elevé sur le bouclier d'un fantassin, il fut unanimement salué Auguste. On voulut qu'il ceigne le diadème et, comme il dit n'en avoir jamais eu, on demanda le collier de sa femme. Julien refusa, disant qu'un bijou féminin inaugurerait mal un début de règne. On proposa une aigrette de cheval afin qu'un insigne quelconque montre le pouvoir suprême. Julien s'en défendit encore. Alors un certain Maurus prit le collier qui marquait son grade et le mit sur la tête de Julien. Celui-ci comprit qu'il y allait de sa vie s'il refusait encore et promit à chaque soldat cinq sous d'or et une livre d'argent. Mais cela n'était pas fait pour tranquilliser Julien qui se renferma chez lui. Comme il se cachait, un décurion cria que le nouvel empereur avait été assassiné. Les soldats occupèrent les issues du palais. L'effervescence s'apaisa mais les hommes avaient craint pour la sûreté du prince et ne quittèrent la place qu'après l'avoir vu en costume impérial dans la salle du conseil. A la nouvelle des événements de Paris, l'unité qui avait pris les devants revint sur ses pas. Julien convoqua alors les troupes au champ de Mars pour le lendemain. Il monta à une tribune décorée d'aigles et d'étendards. Ne voyant que joie autour de lui, il leur rappela que c'était eux qui l'avaient porté au pouvoir et comment il avait partagé leurs peines dans la lutte contre les barbares. Ils devaient maintenant le défendre. Il décréta que, pour les promotions, il ne tiendrait compte que du mérite personnel. Les simples soldats, depuis longtemps exclus des grades et des récompenses, saluèrent cette déclaration en frappant leurs boucliers de leurs piques. Pendant ce temps, le roi de Perse se montrait impatient de conquérir la Mésopotamie. Profitant de l'éloignement de Constance, il passa le Tigre et vint assiéger Singare. Cette place était bien gardée. Le roi voulut négocier. N'ayant rien obtenu, la ville fut investie. Apportant des échelles, dressant des machines, les Perses essayèrent de s'ouvrir un chemin jusqu'aux murs pour les saper. Les assiégés les accablèrent de pierres et de traits. L'assaut se renouvela ainsi plusieurs jours de suite. Le dernier jour enfin, vers le soir, les Perses firent avancer un énorme bélier et en battirent une tour à coups redoublés. Tous les efforts alors se concentrèrent sur ce point et on s'y battit avec fureur. L'engin destructeur perça néanmoins le ciment frais de la maçonnerie, l'édifice s'écroula et es Perses se répandirent dans les rues. Les habitants, sur ordre de Sapor, furent pris vivants et envoyés au fond de la Perse. La garnison, composée de deux légions, la Ière Flavienne et la Ière Parthique, d'un corps indigène et d'un détachement de cavalerie, fut emmenée. Après la chute de Singare, le roi laissa de côté Nisibe, se souvenant des affronts qu'il y avait reçus. Il voulait s'assurer la possession de Bézabde, une place forte sur le Tigre. La garnison se composait de trois légions, la IIème Flavienne, la IIème Arménienne et la IIème Parthique, avec un corps d'archers zabdicènes. Le roi vint caracoler autour des murs de la ville. Il fut accueilli par des flèches. Contenant sa colère, il envoya aux assiégés une députation pour leur conseiller la reddition s'ils voulaient sauver leurs biens et leurs vies. Les députés s'étaient fait accompagner par des prisonniers de Singare, ce qui fit qu'aucune flèche ne fut lancée. Mais ses offres furent laissées sans réponse. Le lendemain, à l'aurore, toute l'armée perse s'avança jusqu'au pied des murailles et le combat s'engagea. Les assiégés se défendirent avec énergie. Beaucoup de Parthes furent blessés en portant des échelles ou derrière les mantelets qui les obligeaient à avancer en aveugles. Mais les nôtres souffrirent beaucoup aussi. La nuit seule mit fin au carnage. Le jour suivant, la lutte recommença. Le troisième jour, une suspension fut décidée. A ce moment le pontife chrétien fit signe des remparts qu'il voulait sortir et se fit mener à la tente du roi. Il demanda que les Perses se retirent. Assez de vies avaient été sacrifiées de part et d'autre. Mais il n'obtint rien. Le roi jura de ne se retirer qu'après la destruction de la ville. Un bruit accusa l'évêque d'avoir révélé à Sapor quel côté de la place était le plus faible. Nos balistes et nos scorpions accablaient les ennemis d'énormes javelots et de quartiers de rocs. On leur envoyait aussi des paniers remplis de poix et de bitume dont le liquide enflammé coulait le long des machines de guerre tandis que des milliers de torches et de brandons jetés du haut des murs achevaient de les consumer. Mais les assiégeants s'obstinaient à s'assurer avant l'hiver la possession d'une place si bien défendue. Un bélier plus fort que les autres et qu'un revêtement de cuir frais mettait à l'épreuve des flammes parvint à s'établir au pied du mur. Une tour finit par s'écrouler. Une mêlée furieuse s'engagea dans les rues. Les nôtres résistèrent avec l'énergie du désespoir puis furent contraints de céder au nombre. La prise de Bézabde remplit Sapor de joie. Il ne s'en éloigna qu'après avoir fait réparer le rempart. Il approvisionna la ville et choisit les meilleurs de son armée pour leur en confier la défense de peur que les Romains n'essayent de la reprendre. De là, il alla assiéger Virta, place fondée, dit-on, par Alexandre de Macédoine. Cette place, sur la frontière de la Mésopotamie, avait tout pour être imprenable. Sapor épuisa les promesses et les menaces. Il fit mine d'utiliser des terrassements et des machines mais fut contraint à la retraite. Tous cela s'était accompli entre le Tigre et l'Euphrate en une année. Constance qui, de Constantinople, en avait su les détails, rassemblait des armes et levait des soldats. Il cherchait aussi à s'assurer le concours des Scythes afin d'être rassuré sur la Thrace quand il la quitterait pour se porter sur le théâtre des hostilités. Pendant ce temps, à Paris, Julien réfléchissait. Il savait le peu d'affection que lui portait Constance et n'espérait pas qu'il accepte la nouvelle situation. Il décida de lui envoyer une députation pour lui rappeler qu'il n'avait jamais cherché le pouvoir et qu'il n'avait pas compté ses efforts pour défendre le pays. Ce qui venait de se passer était le fait des soldats. L'ordre de partir pour l'Orient avait été décisif. Ils l'avaient appelé Auguste, le menaçant de mort s'il refusait. Si Constance acceptait ces nouvelles conditions. Julien fournirait des chevaux de trait et des contingents de jeunes rhénans. De son côté, Constance lui désignerait pour préfets du prétoire des hommes de talent. Rien ne ferait que la Gaule envoie des recrues au loin. Le pays avait été trop cruellement éprouvé. Lui enlever sa jeunesse était lui porter le dernier coup. Il était d'ailleurs imprudent de dégarnir la défense en Gaule. Julien confia cette commission à Pentadius, maître des offices, et au grand chambellan Euthère. Les fonctionnaires de l'Etat leur créèrent obstacles sur obstacles et ils eurent mille peines à traverser l'Italie et l'Illyrie. Ils parvinrent cependant à passer le Bosphore et joignirent enfin Constance à Césarée en Cappadoce. En écoutant leurs explications, Constance s'emporta et expulsa les députés. Il se demandait s'il devait marcher contre les Perses ou contre Julien. Finalement il se tourna vers l'Orient et envoya en Gaule le questeur Léonas avec une lettre où il désavouait Julien. Pour montrer son pouvoir, il nomma Nébride préfet du prétoire, donna au notaire Félix la charge de maître des offices et fit encore d'autres promotions dans le gouvernement des Gaules. Julien reçut Léonas en homme qu'il honorait. En présence des troupes et du peuple, il reçut la lettre dont il était porteur, l'ouvrit et en donna lecture à haute voix. Quand il en vint au passage où Constance désavouait ce qui s'était passé, les cris firent entendre que Julien était Auguste par le vœu de la province et de l'armée. Des nominations faites par Constance, le nouvel empereur ne confirma que celle de Nébride. Quant à la charge de maître des offices, il en avait déjà disposé en faveur d'Anatole. Lupicin lui inspirait des craintes malgré l'éloignement où le tenait sa mission en Bretagne. Il le savait homme à exciter de nouveaux troubles. Un notaire fut dépêché à Boulogne, avec ordre de ne laisser personne passer le détroit. Cela fit que Lupicin, qui ne sut rien avant son retour, n'eut aucune occasion de remuer. Julien était réconforté par la confiance que lui témoignait l'armée. Il envoya une ambassade à Constance et se porta sur les frontières de la seconde Germanie et de là sur la ville de Tricensime. Passant le Rhin, il tomba sur le pays des Francs Attuaires qui violaient régulièrement la frontière. Il leur tua beaucoup de monde et leur imposa la paix. Il passa ensuite en revue les places fortes de la frontière qu'il remit en état, poussa jusqu'à Rauraque et, après avoir pourvu à la sûreté de tout ce pays, se dirigea par Besançon sur Vienne où il voulait passer l'hiver. Constance, pendant ce temps, convoquait Arsace, roi d'Arménie, et mettait tout en œuvre pour le décider à rester attaché à Rome. Il savait que le roi de Perse avait tout fait pour l'attirer dans son parti. Arsace jura de nous rester fidèle et repartit comblé de présents. Des liens multiples l'attachaient à Constance qui lui avait fait épouser Olympias, auparavant fiancée à son frère, l'empereur Constant. Constance gagna ensuite Edesse. Il s'y arrêta pour attendre des renforts. Il ne repartit qu'après l'équinoxe d'automne pour se rendre à Amida. Il vit avec chagrin la ville en cendres. De là, l'armée se porta sur Bézabde. L'empereur fit le tour de la ville. Les défenses avaient été réparées. Il offrit aux assiégés de retourner chez eux avec leur butin ou d'accepter la domination romaine. Devant leur refus, les légions formèrent la tortue et tentèrent de saper le pied des murs mais la retraite dut être sonnée. Le surlendemain, les nôtres recommencèrent l'assaut. Le circuit des remparts était tendu de cilices qui cachaient les assiégés à notre vue mais ils n'hésitaient pas, quand il le fallait, à sortir de derrière ce rideau pour nous accabler de pierres et de traits. Ils laissaient nos mantelets s'approcher des murs mais, dès qu'ils y touchaient, des tonneaux remplis de terre, des meules de moulins, des fragments de colonnes brisaient ces abris et forçaient les assaillants à se disperser. Le siège durait depuis dix jours lorsqu'on mit en service un bélier monstrueux qui jadis avait permis aux Perses la prise d'Antioche et qu'ils avaient laissé à Carrhes. Les assiégés s'ingénièrent à neutraliser ce terrible instrument. Tandis que les assiégeants rajustaient les pièces de ce vieux bélier qu'on avait démonté pour le transport, les balistes et les frondes de la ville ne cessaient de tirer. Nos terrasses cependant faisaient des progrès rapides. Les Perses les voyaient s'élever et le grand bélier s'avancer. Ils faisaient pleuvoir dessus des traits incendiaires, sans résultat car les machines étaient couvertes de cuir frais, de tissus mouillés et enduites d'alun, ce qui les rendait incombustibles. Les Romains avaient de grandes difficultés à les mouvoir mais l'espoir leur faisait braver les plus grands périls. Les assiégés, au moment où le grand bélier allait enfin jouer contre une de leurs tours, saisirent à l'aide de longues cordes sa tête de fer de manière à en arrêter le mouvement. Ils l'inondèrent en même temps de poix bouillante. Les autres machines restèrent longtemps immobiles à cause des projectiles qu'on leur envoyait. Mais les assiégés voyaient leur perte imminente et décidèrent de faire une sortie pour incendier les béliers. Ils furent repoussés. Lors d'une autre sortie, les incendiaires jetèrent sur nos machines des corbeilles de fer pleines de sarments enflammés. Seul le grand bélier put être sauvé, des soldats ayant réussi à le tirer du milieu des flammes. La nuit mit fin à la mêlée. Les soldats reçurent l'ordre de reculer toutes les machines et on prépara une attaque depuis les terrasses qui dominaient les fortifications. On y dressa deux balistes pour chasser des remparts leurs défenseurs. Dans l'après-midi, une triple ligne de combattants munis d'échelles s'avança pour l'assaut. Les Romains recommencèrent à battre la tour avec le bélier. Les Perses, écrasés par les décharges de nos balistes, crurent le moment fatal arrivé. Une troupe d'élite sortit l'épée à la main suivie d'une autre qui portait des feux. Pendant que les premiers occupaient les Romains, les autres se glissèrent au pied d'une des terrasses, faite en partie de branches et de roseaux, et y mirent le feu. Les nôtres n'eurent que le temps de retirer les machines. L'empereur considérait comme indispensable la prise de Bézabde mais la saison était trop avancée pour songer à l'emporter de vive force. Il décida donc de se contenter d'un blocus quand des pluies continuelles détrempèrent le sol et le rendirent impraticable. Cela inquiéta Constance. Une surprise était à redouter. L'état des chemins rendait les mouvements difficiles. Le soldat exaspéré pouvait s'insurger à tout moment. L'empereur abandonna alors son entreprise et revint passer l'hiver à Antioche, ulcéré par cette année qui lui avait amené des revers. Une sorte de fatalité semblait peser sur lui chaque fois qu'il combattait les Perses en personne. Pendant ce temps Julien, à Vienne, décidait de se poser fièrement devant son rival. C'est ainsi qu'il ne confirma que la nomination de Nébride et qu'il présida la célébration des fêtes quinquennales paré d'un diadème de pierreries, lui qu'on n'avait encore vu qu'avec une modeste couronne. Un motif renforçait chez Julien la volonté de prévenir l'attaque de Constance. Il pratiquait la divination et était sûr de la fin prochaine de cet empereur. Il décida cependant de prendre calmement les mesures de circonstance pour augmenter ses forces. Il avait depuis longtemps renoncé en secret au christianisme mais feignait d'y rester attaché et alla jusqu'à se montrer dans une église le jour de l'Epiphanie. Au début du printemps Julien fut informé que des Alamans du canton de Vadomaire, dont il croyait n'avoir plus rien à craindre, ravageaient les frontières de la Rhétie. Il y envoya le comte Libinon. Celui-ci, près de la ville de Sanction, tomba dans une embuscade et fut mis en déroute. C'est Constance qui avait poussé Vadomaire aux hostilités pour inquiéter Julien et le forcer à rester en Gaule. Un secrétaire de Vadomaire, porteur d'une lettre pour Constance, fut arrêté aux avant-postes de Julien. La lettre dénonçait l'insubordination de César. Vadomaire ne manquait pourtant jamais, en écrivant à Julien, de l'appeler Auguste. Julien comprit les embarras que pouvait lui causer cette intrigue et ne songea plus qu'à capturer Vadomaire. Il envoya son secrétaire Philagre, lui donnant une lettre qu'il ne devait ouvrir que si Vadomaire venait sur la rive gauche du Rhin. Philagre arriva au lieu désigné et Vadomaire traversa le Rhin comme en pleine paix. Philagre ouvrit la lettre et arrêta Vadomaire qui fut conduit auprès du prince et se crut perdu. Julien se contenta de le reléguer en Espagne. Il voulut ensuite punir les barbares du désastre du comte Libinon. Il passa le Rhin de nuit, entoura les ennemis, fondit sur eux, en tua un grand nombre, fit grâce à ceux qui offraient la restitution de leur butin et accorda la paix au reste sur l'assurance qu'ils ne la troubleraient plus. Julien comprenait qu'il fallait aller droit au but. Après un sacrifice secret à Bellone, il rassembler les soldats et leur rappela qu'il avait repoussé avec eux les Alamans et les Francs et ouvert le Rhin aux armes romaines. Il leur proposa de profiter du désarmement de l'Illyrie pour en occuper la frontière du côté des Daces. Une fois là, ils aviseraient à étendre leurs succès. Il leur demanda leur concours. Il y eut un tonnerre d'acclamations. Tous jurèrent d'offrir leur sang à leur empereur. Nébride seul refusa. Les soldats l'auraient massacré si Julien ne l'avait laissé se retirer chez lui en Toscane. Après cela Julien donna le signal de la marche et se dirigea vers la Pannonie. Constance arriva à Antioche. C'est à cette époque qu'il épousa Faustine. Depuis longtemps il avait perdu Eusébie, cette princesse à la protection de laquelle Julien devait la vie et son élévation au rang de César. On pressait à la fois les préparatifs de la guerre étrangère et de la guerre civile. Pour recruter les légions, on ordonna des levées dans les provinces. Chaque ordre de l'Etat, chaque profession fut taxée soit en argent, soit en nature. Le roi de Perse ne s'était retiré que devant l'hiver et on s'attendait à son retour dès le printemps. Des députés furent envoyés aux rois et aux satrapes des contrées transtigritaines pour s'assurer de leur concours ou de leur neutralité. On s'efforça surtout de gagner les rois Arsace et Méribane, l'un d'Arménie, l'autre d'Ibérie. Finalement, Constance décida de composer avec les Perses puis, une fois assuré sur ses arrières, de traquer Julien. Pour prévenir une tentative sur l'Afrique, il y envoya Gaudence. Celui-ci, aussitôt arrivé, se mit à l'œuvre. Il se fit fournir par les deux Mauritanies une cavalerie légère avec laquelle il protégea le littoral. Tant qu'il administra le pays, pas un soldat ennemi n'en approcha. Constance apprit que les forces perses, roi en tête, avançaient vers le Tigre sans qu'on puisse prévoir où le passage aurait lieu. Il se rendit à Edesse où il fit halte pour s'assurer de la direction de l'ennemi. Julien, qui se disposait à quitter Rauraque, voulait longer les rives du Danube. Il était peu sûr du pays. Il divisa son monde en deux corps. Les uns, sous la conduite de Jove et de Jovin, prirent la route de l'Italie. Les autres passèrent par la Rhétie avec Névitte. Il poursuivit sa route avec précaution. Arrivé à un endroit où on disait le fleuve navigable, il trouva des embarcations et descendit le courant, dérobant ainsi sa marche autant que possible. Il le pouvait d'autant mieux qu'avec sa frugalité les aliments les plus grossiers lui étaient bons, ce qui le dispensait de toute communication avec les villes. Cependant on ne tarda pas à savoir en Illyrie que Julien s'avançait à la tête d'une formidable armée. A cette nouvelle, le préfet du prétoire Taurus s'enfuit, entraînant son collègue Florence. Le comte Lucillien commandait à Sirmium. Il voulut résister. Julien dépêcha aussitôt Dagalaif et quelques hommes avec ordre de le lui amener de gré ou de force, ce qui fut fait. Julien marcha alors sur Sirmium. Habitants et soldats vinrent au-devant de lui, le saluant du nom d'Auguste. Cette réception le combla. Il imaginait les autres villes suivant cet exemple. Le lendemain il donna au peuple le spectacle d'une course de chars et le jour suivant gagna le pas de Sucques qu'il occupa sans coup férir et dont il confia la défense à Névitte. Cette position est un défilé formé par la jonction des chaînes du Rhodope et de l'Hémus. Ces montagnes élèvent entre la Thrace et l'Illyrie une barrière, laissant d'un côté le pays des Daces et la Serdique, et de l'autre les cités de Thracie et de Philippopolis. En fermant ce passage, on a souvent arrêté des armées. Julien y laissa le général de la cavalerie et revint à Nysse. Renonçant à tout accommodement avec Constance, il adressa au sénat un mémoire rempli d'accusations contre lui. Le préfet Tertulle le lut à l'assemblée qui montra sa préférence pour l'autre empereur. Constantin n'était pas épargné. Il lui était reproché d'avoir prostitué à des barbares les ornements consulaires. Julien fut inconséquent car Névitte, dont il fit le collègue de Mamertin au consulat, ne pouvait ni par la naissance, ni par les talents soutenir la comparaison avec ceux que Constantin avait honorés de la suprême magistrature. Julien renvoya en Gaule, parce qu'il s'en méfiait, deux légions et une cohorte d'archers trouvées à Sirmium. Cette troupe, mécontente, suivit le tribun mésopotamien Nigrinus. La troupe révoltée se jeta dans Aquilée, aidée par la population à qui le nom de Constance était resté cher. Elle ferma les portes et mit tout en défense, proclamant ainsi qu'il existait encore un parti de Constance et invitant l'Italie à se ranger de son côté. Julien en fut informé à Nysse. Jovin, maître de la cavalerie, reçut l'ordre d'empêcher à tout prix l'incendie de se propager. C'est alors que Julien apprit la mort de Constance et entra à Constantinople. Il rappela Jovin pour l'employer ailleurs et confia les opérations à Immon. Aquilée fut cernée et on en vint aux mains. Un assaut échoua. Le sol ne permettait d'utiliser ni le bélier, ni des machines, ni d'ouvrir une mine mais on mit à profit le cours du fleuve Natison qui baigne les murs de la ville. Des barques servirent de base à des tours qui écartaient des murs les défenseurs tandis que des ouvertures, pratiquées plus bas, livraient passage à des vélites qui jetèrent des ponts pour essayer de faire une brèche dans les murs. Mais les tours prirent feu. La certitude d'échouer amena du relâchement. On abandonnait son poste pour marauder. L'armée se gorgeait de vin et de nourriture. Julien hivernait alors à Constantinople. Averti de ce désordre par Immon, il envoya Agilon, maître de l'infanterie, porter à Aquilée la nouvelle de la mort de Constance. En attendant, le siège continuait. On essaya de réduire la ville par la soif en coupant les aqueducs et on détourna le fleuve. Les habitants burent l'eau des citernes qu'on distribuait à petites rations. Agilon arriva et se présenta au pied des remparts. Il exposa la situation. Constance était mort et Julien en possession du pouvoir suprême. On lui répondit d'abord par des injures. Ce ne fut qu'en venant confirmer ses dires sur le rempart même qu'il put enfin se faire entendre. Cette fois la ville ouvrit ses portes. Une enquête fut faite par Mamertin, préfet du prétoire, et Nigrinus fut brûlé vif. Les sénateurs Romulus et Saboste périrent par le fer. On fit grâce aux autres. Les rapports que Constance recevait à Edesse le laissaient perplexe. Il voulait donner un nouvel assaut à Bézabde. Il était prudent en effet d'assurer la défense de la Mésopotamie. Mais de l'autre côté du Tigre il y avait le roi de Perse, n'attendant pour traverser qu'une réponse favorable des auspices et qui, si on ne faisait rien, aurait bientôt atteint l'Euphrate. Constance hésitait à risquer ses soldats dans un siège quand il allait avoir besoin d'eux pour la guerre civile. Les généraux furent envoyés en avant mais avec ordre d'éviter tout engagement avec les Perses. Ils devaient se borner à garnir la rive du Tigre. Il leur était recommandé de se replier si l'ennemi tentait le passage. Eclaireurs et transfuges se contredisaient. Arbétion et Agilon conjuraient l'empereur de venir les appuyer. Là dessus survint l'annonce que Julien allait arriver en Thrace. Constance se rassurait en pensant à la chance qu'il avait toujours eu contre ses ennemis de l'intérieur. Il apprit le lendemain que Sapor, ayant trouvé les auspices contraires, avait rebroussé chemin. Délivré de cette crainte, il retourna à Hiérapolis. VIII - Julien empereur Constance voulut raffermir le zèle de l'armée. Il fit un discours qui allait droit au cœur des soldats qui agitèrent leurs lances et demandèrent à être menés contre le rebelle. Cela rassura l'empereur mais des visions troublaient son repos. L'ombre de son père lui était apparue tenant un enfant dans ses bras. Constance avait pris l'enfant sur ses genoux et celui-ci, lui arrachant un globe qu'il tenait à la main, l'avait jeté au loin. Ce songe annonçait clairement une révolution. Constance se plaignait aussi de la disparition de son bon génie. Impatient d'en venir aux mains avec les rebelles, il gagna Antioche d'où, ses apprêts terminés, il eut hâte de repartir. Beaucoup trouvaient cette précipitation excessive mais nul n'osait élever une objection. L'automne était avancé. A trois milles d'Antioche, près d'un village nommé Hippocéphale, il vit un cadavre. Ce présage effraya le prince mais il s'entêta à avancer. A Tarse, il eut un accès de fièvre et, croyant le dissiper par le mouvement, il poussa jusqu'à Mopsucrène, au pied du Taurus. Le lendemain, le mal empira. Après une longue agonie, il expira le 3 des nones de novembre. Quand on lui eut rendu les derniers devoirs, on envoya à Julien les comtes Théolaiphe et Aligilde pour lui annoncer la mort de son parent et le prier de venir. Le bruit courait que Constance avait laissé un testament où il l'instituait son héritier. Constance avait su contenir l'arrogance militaire et tous, civils ou militaires, s'inclinaient devant le préfet du prétoire. Il fut ménager du soldat. On le vit rarement confier à des militaires les affaires civiles mais nul, sans un long apprentissage du métier de soldat, n'obtint de commandement. Il était peu éloquent. Sa vie était frugale et sobre. Il dut à sa modération de n'être que rarement malade. Il savait au besoin prendre sur son sommeil et se montrait chaste. Excellent cavalier, il maniait le javelot et l'arc avec adresse et était aussi habile aux exercices de l'infanterie. Mais, pour peu qu'il soit sur la voie d'une accusation d'aspirer au trône, même absurde, il ne lâchait plus prise. Et ce prince, qu'on pourrait ranger parmi les modérés, surpassait alors en atrocité les Caligula, les Domitien, les Commode. La façon dont il se défit de ses parents, au début de son règne, annonçait un émule de ces monstres. La torture était appliquée sur le plus léger soupçon. Il était alors ennemi de toute justice, lui qui tenait si fort à paraître clément. Il fut malheureux dans les guerres étrangères mais remporta des succès contre les révoltes intérieures. Il osa consacrer par des arcs de triomphe, en Gaule et en Pannonie, la soumission de provinces romaines. On sait quel ascendant prenaient sur lui la voix des femmes et des eunuques et quel faible il montrait pour les flatteurs. La rapacité des agents du fisc accumulait plus de haine sur sa tête que d'argent dans ses coffres. Le christianisme était chez lui dénaturé par des superstitions de vieille femme. Ce n'étaient sur les routes que nuées de prêtres allant disputer dans ce qu'ils appellent leurs synodes pour faire triompher telle ou telle interprétation. Et ces allées et venues continuelles épuisaient le service des transports publics. Il était brun, avait l'œil perçant, la chevelure fine. Il se rasait tout le visage pour faire ressortir son teint. Ses jambes étaient courtes et arquées. Quand on eut embaumé son corps, Jovien eut ordre de le conduire à Constantinople. Assis sur le char qui portait les restes de son maître, cet officier se vit, sur la route, offrir, suivant le cérémonial habituel, les échantillons des subsistances militaires et faire hommage de combats de bêtes. C'étaient comme autant de présages de sa grandeur future, grandeur illusoire et éphémère comme les honneurs rendus au conducteur d'une pompe funèbre. Pendant ce temps, Julien 'examinait les entrailles des victimes et interrogeait le vol des oiseaux pour savoir ce que le sort lui préparait. Il était inquiet lorsqu'il eut un présage qui était une manifestation de la mort de Constance. Au moment où l'empereur expirait en Cilicie, Julien montait à cheval. Le soldat qui venait de l'aider à se mettre en selle fit une chute et Julien s'écria que l'auteur de son élévation était tombé. Il persista quand même à ne pas dépasser la frontière de la Dacie, jugeant qu'il n'était pas prudent de s'aventurer sur de telles conjectures. Alors arrivèrent Théolaiphe et Aligulde qui lui annoncèrent que Constance n'était plus et que sa dernière volonté avait été qu'il soit son successeur. Cette nouvelle, qui le débarrassait des soucis d'une guerre, l'emplit de joie en lui inspirant pour la divination une confiance sans bornes. Il donna aussitôt l'ordre de marche, franchit le pas de Sucques et arriva à Philippopolis. Les soldats le suivaient joyeusement, comprenant qu'au lieu d'une lutte pour l'empire il ne s'agissait plus que d'une prise de possession légitime. Aussitôt la nouvelle parvenue à Constantinople, la population se répandit hors des murs. Il y fit son entrée le 3 des ides de décembre, salué par le sénat et les acclamations du peuple. Le premier acte du nouveau règne fut d'ouvrir des enquêtes qui furent confiées à Secundus Salustius, nommé préfet du prétoire. Le prince lui donna pour assesseurs Mamertin, Arbétion, Agilon et Névitte auxquels il adjoignit Jovin, qu'il venait de créer maître de la cavalerie. Si on excepte quelques grands coupables punis avec justice, la commission procéda généralement avec une rigueur exagérée. Elle exila en Bretagne Pallade, soupçonné d'avoir desservi Gallus. Taurus, préfet du prétoire, fut relégué à Verceil. On envoya en Dalmatie le maître des offices Florence, fils de Nigrinien. L'autre Florence, préfet du prétoire, se cacha et ne reparut qu'à la mort de Julien. Le bannissement fut prononcé contre Evagre, trésorier du domaine privé, Saturnin, intendant du palais, et le notaire Cyrine. La justice elle-même a pleuré la mort du trésorier Ursule et a taxé l'empereur d'ingratitude car au temps où Julien, césar en Occident, était limité dans ses ressources au point de ne pouvoir rien donner aux soldats, cet Ursule avait écrit au trésorier des Gaules de lui remettre tout ce qu'il exigerait. Julien chercha plus tard à pallier un acte inexcusable en prétextant qu'il s'était fait sans son aveu. Ce fut également une erreur que le choix d'Arbétion pour présider les enquêtes. Il était impossible pour Julien de le considérer autrement que comme ennemi après son rôle dans les guerres civiles. A côté de cela, l'intendant Apodème, qui s'était acharné contre Gallus et Sylvain, et le notaire Paul trouvèrent sur le bûcher un supplice mérité. La peine de mort fut également appliquée à Eusèbe, grand chambellan de Constance. Le nouvel empereur se tourna ensuite vers le palais qui était devenu un lieu de vice. Certains de ses habitants, passés de la pauvreté à l'opulence, pillaient et prodiguaient sans frein. Cela avait gagné les mœurs publiques et même la discipline militaire. Féroce et rapace envers ses concitoyens, le Romain était devenu lâche et mou devant l'ennemi. Voyant un jour entrer un coiffeur somptueusement vêtu, Julien chassa toute cette clique. Une fois libre d'agir à sa guise, il révéla le secret de sa conscience. Il enjoignit de rouvrir les temples et d'offrir de nouveau des victimes aux autels abandonnés. Il convoqua au palais les évêques et les représentants des diverses sectes et leur signifia qu'il fallait que chacun puisse professer le culte de son choix. Il espérait que la liberté multiplierait les schismes et qu'ainsi il n'aurait pas l'unanimité contre lui, sachant par expérience que, divisés sur le dogme, les chrétiens sont les pires des bêtes féroces les uns pour les autres. En janvier, Mamertin et Névitte devinrent consuls. Le prince se mêla aux gens qui assistaient à la cérémonie, ce qui fut critiqué par certains. Mamertin donna ensuite des jeux et, les esclaves qui devaient être affranchis suivant la coutume étant introduits, Julien prononça lui-même la formule. Mais, averti que ce jour-là le droit d'affranchir appartenait à un autre, il se condamna luimême pour cette erreur à une amende de dix livres d'or. Il allait souvent au sénat. Un jour, on lui annonça que le philosophe Maxime venait d'arriver d'Asie. Il s'oublia jusqu'à courir à sa rencontre, l'embrassa et l'introduisit avec respect dans la salle des séances. Deux anciens intendants proposèrent de lui révéler la retraite de Florence s'il les réintégrait. Il refusa. Il n'oubliait pas l'armée. Il ne confia les commandements qu'à des chefs éprouvés, releva en Thrace les fortifications en ruines et veilla à ce que les postes de la rive droite de l'Ister ne manquent de rien. On lui conseilla une expédition contre les Goths mais il voulait des adversaires d'une autre trempe. De tous côtés arrivaient des ambassades. Il en vint pour négocier la paix avec lui d'Arménie et des contrées au-delà du Tigre. Des extrémités de l'Inde, jusqu'à Dib et Serendib, partirent des députations chargées d'offrandes. Les plages australes de la Mauritanie demandèrent à être reconnues dépendances de l'empire. Enfin au nord et au levant, les peuples riverains du Bosphore et de la mer qui reçoit les eaux du Phase offrirent un tribut annuel pour continuer à vivre sur le sol qui les avait vus naître. Une nouvelle mit le comble aux joies du moment. La garnison d'Aquilée avait ouvert enfin ses portes. Tant que Julien tint le sceptre, pas un mouvement n'eut lieu à l'intérieur, pas un barbare n'osa franchir la frontière. Après avoir pris toutes les mesures nécessaires, harangué les soldats et, par ses libéralités, s'être assuré de leurs bonnes dispositions, Julien partit pour Antioche. Il était né dans cette ville et avait pour elle l'affection qu'on a souvent pour le lieu de sa naissance. Il passa le détroit et arriva à Nicomédie. Il pleura sur les murs qui n'étaient plus que cendres. Ce fut pire quand il vit venir le sénat et la population. Tant de misère après tant de splendeur mit le comble à son affliction. Il gratifia la ville d'un subside pour l'aider à réparer son désastre et se rendit ensuite sur les frontières de la Gallo-Grèce. De là, il alla visiter à Pessinonte le temple de Cybèle dont, pendant la deuxième guerre punique, on avait fait transporter la statue à Rome. Julien, après avoir fait ses dévotions à la déesse, revint à Ancyre. Il y fut assiégé par une foule de plaignants et se montra sévère à l'égard des calomniateurs. En d'autres occasions il pouvait se montrer partial. Personne, réclamé par les magistrats municipaux pour faire partie de leur groupe, ne pouvait y échapper malgré les exemptions. On se résignait à acheter son repos à prix d'argent. De là il gagna Antioche par Pyles et Tarses. L'accueil reçu des habitants fut un vrai culte. Lui-même s'étonna de ce concert de voix saluant en sa personne un astre nouveau qui se levait sur l'Orient. C'était l'époque de l'antique fête d'Adonis, image de la moisson coupée dans sa maturité. On regarda comme mauvais présage que des lamentations de deuil se fassent entendre à l'arrivée du chef de l'Etat. Julien donna à cette occasion une preuve de mansuétude qui lui fit honneur. Thalasse lui était odieux pour avoir été complice des pièges tendus à Gallus. Des gens qui plaidaient contre lui voulurent en profiter. Mais Julien ordonna au préfet d'ajourner l'affaire jusqu'à ce que Thalasse soit reçu en grâce, ce qui ne tarda pas. Julien passa l'hiver à Antioche. Mais, au lieu de se laisser aller aux plaisirs, il jugeait les procès, rendant à chacun bonne justice, réprimant la fraude et autorisant ses assesseurs à l'avertir de ses erreurs. Le poète Aratus a peint la Justice fuyant au ciel la perversité des hommes. Julien disait que son règne avait ramené cette déesse sur la terre. Le mot aurait été exact si, trop souvent, le prince n'avait mis sa décision propre à la place de la loi. Il y a encore de lui un trait d'intolérance. Il interdit l'enseignement aux chrétiens. Gaudence, à qui Constance avait confié l'Afrique, fut, ainsi que son lieutenant Julien, transféré à Constantinople et mis à mort. La peine capitale fut également appliquée à Artémius, duc d'Egypte, contre lequel les Alexandrins élevaient des charges accablantes. Le fils de Marcellus, maître de la cavalerie, qui avait aspiré au trône, périt aussi par la main du bourreau. On exila les tribuns Romain et Vincent, convaincus d'ambitions excessives. Quand on apprit à Alexandrie la mort d'Artémius, les habitants se tournèrent contre George, l'évêque de la ville. Fils d'un artisan de Cilicie, il avait réussi à se faire ordonner évêque d'Alexandrie. On connaît la turbulence de cette ville et sa promptitude à s'insurger sans cause. La conduite de George attisa le feu des esprits. Oubliant sa mission de paix, il était toujours prêt à dénoncer les Alexandrins à Constance comme hostiles à son gouvernement. On l'accusait d'avoir suggéré que le revenu des édifices de la ville revienne au trésor parce que le fondateur Alexandre les avait élevés aux frais publics. Un propos inconsidéré fut la cause de sa perte. Passant devant le temple de Sérapis, il se demanda jusqu'à quand on le laisserait debout. On crut ce temple voué à la destruction. Le peuple écartela le prélat. Draconce, directeur de la monnaie, et le comte Diodore subirent le même sort, le premier pour avoir abattu un autel, le second parce qu'il avait tonsuré des enfants, croyant voir dans leur chevelure un hommage aux dieux. On brûla les cadavres et on jeta leurs cendres à la mer afin que nul ne s'avise de les recueillir et de leur élever des temples, allusion à ceux qu'on appelle martyrs. Les chrétiens euxmêmes détestaient George. Julien méditait une expédition contre les Perses. Depuis soixante ans, ceux-ci dévastaient l'Orient. Julien brûlait de joindre le surnom de Parthique à ses autres trophées. Ses détracteurs ne manquaient pas mais il suivait son idée. Les autels étaient inondés du sang des victimes. Il sacrifiait parfois jusqu'à cent bœufs ainsi que des milliers d'oiseaux blancs. On voyait aussi chaque jour dans les temples les soldats montrer leur ivrognerie puis parcourir les rues sur les épaules des passants qu'on obligeait à les ramener à leur quartier. La dépense des cérémonies religieuses prenait une extension sans bornes. Le premier venu pouvait rendre des oracles. Julien voulut dégager l'orifice de la source de Castalie. On disait que l'empereur Adrien l'avait fait murer parce qu'il y avait reçu l'annonce de son avènement futur et qu'il ne voulait pas qu'un autre y puisse trouver semblable avertissement. En novembre, le temple d'Apollon élevé à Daphné par Antiochus Epiphane brûla. L'empereur ordonna une enquête et fit fermer la cathédrale d'Antioche, soupçonnant les chrétiens de cet attentat. En fait, le philosophe Asclépiade avait déposé au pied de la statue une figurine de la mère des dieux qu'il avait, suivant l'usage, entourée de cierges et ne s'était retiré qu'au milieu de la nuit, heure où personne n'était là pour surveiller. Les flammes des cierges avaient gagné les parois du temple et l'édifice avait été réduit en cendres. En décembre, ce qui restait de Nicomédie fut renversé par un nouveau tremblement de terre et Nicée éprouva le même sort. Julien voulut se rendre populaire en baissant le prix des denrées. Cette opération est délicate et a pour résultat ordinaire la famine. Les magistrats municipaux lui montrèrent l'inopportunité d'une telle mesure mais il n'en tint aucun compte et montra le même entêtement que son frère Gallus. Les railleurs s'amusaient à l'appeler Cercope et à le décrire comme un petit homme à barbe de bouc. Puis on l'appela le sacrificateur, allusion à ses boucheries de victimes. On ne faisait pas grâce à sa manie de se mêler des fonctions sacerdotales et de se montrer au milieu de processions de dévotes. Ces sarcasmes irritaient Julien qui n'en persistait pas moins dans ses pratiques. Il voulut un jour sacrifier à Jupiter sur le Casius, montagne qui reçoit les premiers rayons du soleil. Il se livrait aux soins du sacrifice lorsqu'il vit un homme prosterné à ses pieds implorer son pardon. C'était Théodote, ancien président du conseil d'Hiérapolis qui, reconduisant Constance à la tête des notables de la ville, avait eu la bassesse de le supplier de leur envoyer la tête du rebelle Julien. Il lui dit de compter sur la clémence de son empereur. Et il continua le sacrifice à l'issue duquel il reçut d'Egypte une lettre qui lui annonçait qu'on avait enfin découvert le dieu Apis, ce qui, dans les croyances du pays, présage une production abondante de tous les biens de la terre. Julien voulut relever le temple de Jérusalem et en chargea Alypius d'Antioche. Les travaux avançaient quand des globes de feu s'élancèrent des fondements de l'édifice. Ce prodige se renouvela chaque fois qu'on revint à la charge, il fallut renoncer. Le trésorier Félix et le comte Julien moururent l'un après l'autre, ce qui donnait lieu à de sinistres remarques quand on lisait sur les effigies du prince l'inscription Felix, Julianus Augustusque. Le jour des calendes de janvier, au moment où le prince arrivait au temple, le doyen des prêtres tomba mort. Il y eut d'autres funestes présages. A l'ouverture de la campagne arriva la nouvelle d'un tremblement de terre à Constantinople et des lettres de Rome annonçaient que les livres sibyllins interdisaient de passer la frontière cette année. De tous côtés arrivaient des offres d'aide. Julien répondait que Rome savait venir en aide à ses amis mais qu'il n'était pas digne d'elle d'employer leur assistance pour venger ses injures. Il avait cependant prévenu Arsace, roi d'Arménie, de se tenir prêt. Ses dispositions prises, il ordonna aux troupes de passer l'Euphrate au début du printemps. Au moment de quitter Antioche, Julien nomma gouverneur Alexandre d'Héliopolis, un homme méchant. Il disait que les habitants d'Antioche ne méritaient pas mieux. A ceux qui lui souhaitaient un glorieux retour, ulcéré de leurs sarcasmes, il répondit qu'ils le voyaient pour la dernière fois. IX - Opérations en Orient Il partit le 3 des nones de mars pour Hiérapolis. A son entrée dans cette ville, un portique s'écroula et écrasa cinquante soldats. Il se porta sur la Mésopotamie si vite que l'Assyrie était occupée avant que le bruit de sa marche ait circulé. Renforcé d'un corps de Scythes, il passa l'Euphrate et arriva à Batné, capitale de l'Osrhoène. On fait en ce pays de grands tas de paille. Des valets voulurent en entamer un et la masse en s'écroulant étouffa une cinquantaine d'entre eux. Julien quitta Batné plein de sombres pensées et se rendit à Carrhes, ville connue par le désastre des deux Crassus. Là se présentent deux routes pour aller en Perse, à gauche par l'Adiabène et le Tigre, à droite par l'Assyrie et l'Euphrate. Julien resta quelques jours dans cette ville pour offrir, suivant le rite local, un sacrifice à la Lune. Il remit le paludamentum de pourpre à son parent Procope et lui recommanda de prendre les rênes de l'empire au cas où il succomberait. Julien fut troublé par des rêves sinistres. Les devins à qui il fit part de ses visions convinrent avec lui de noter ce qui arriverait le lendemain, 14 des calendes d'avril. Or, ainsi qu'on le sut plus tard, cette nuit là le temple d'Apollon Palatin à Rome brûla et les livres sibyllins manquèrent être la proie des flammes. Des coureurs vinrent annoncer à Julien que l'ennemi avait fait irruption sur la frontière. Trente mille hommes furent mis sous le commandement de Procope et de Sébastien, duc d'Egypte. Il leur ordonna de manœuvrer sur la rive gauche du Tigre en se gardant des mauvaises surprises et d'opérer, si possible, leur jonction avec Arsace pour ravager ensemble le district de Chiliocome, le plus fertile de toute la Médie, puis de revenir le seconder dans ses opérations en Assyrie. Il simula ensuite une pointe sur le Tigre puis, tout à coup, tourna sur la droite. Le lendemain matin, le cheval qu'on lui amena s'appelait Babylonien. Soudain l'animal tomba. Julien fut ravi du présage. Après avoir fait un sacrifice pour en assurer les effets, il se rendit à Davana, forteresse située à la source du Bélias, affluent de l'Euphrate. L'armée arriva ensuite à Callinice, place forte et centre d'un commerce important. Le 5 des calendes, Julien y célébra les mystères de la Mère des dieux. Il repartit le lendemain, longeant les rives du fleuve. Il reçut l'hommage de différents chefs de tribus sarrasines, auxiliaires excellents pour les coups de main, qui lui offrirent une couronne d'or et l'adorèrent comme souverain du monde entier. Pendant ce temps arriva la flotte commandée par le tribun Constantien et le comte Lucillien, forte de mille navires de charge, de cinquante galères de combat et d'autant de barques destinées à former des ponts. L'empereur, renforcé du contingent sarrasin, arriva à Cercusium, au confluent de l'Aboras et de l'Euphrate. La construction d'un pont de bateaux le retint quelques jours. Il reçut de Salluste, préfet des Gaules, une lettre qui le conjurait de suspendre son expédition. Les dieux, disait-il, y étaient défavorables. Julien n'en poursuivit pas moins sa marche et fit même rompre le pont pour ôter à l'armée toute idée de retraite. Nous gagnâmes Zaïthan, ce qui signifie olivier, où vîmes le tombeau de l'empereur Gordien. Julien lui rendit les honneurs et continua vers Doura. En approchant de cette ville déserte, il vit venir à lui des soldats qui lui présentèrent le corps d'un énorme lion criblé de coups. On tira un heureux présage de cette aventure et la route se continua joyeusement. Le fait toutefois pouvait s'interpréter de deux manières. Un souverain devait succomber, mais lequel ? Pour les haruspices étrusques de l'armée ce présage était contraire au prince assaillant. Mais ils étaient méprisés par les philosophes qui disaient que, lors de l'expédition du César Maximien contre Narsès, roi des Perses, il lui avait été fait hommage d'un lion et d'un sanglier tués dans les mêmes circonstances et qu'il était revenu victorieux. Ils oubliaient que c'était l'assaillant qui était menacé, suivant le présage, et que Narsès avait pris l'initiative des hostilités. Le lendemain, il y eut un orage et un soldat fut foudroyé. Les devins déclarèrent que c'était un nouvel avertissement contraire à l'entreprise. Julien harangua les hommes. Il leur rappela qu'ils venaient se débarrasser d'une race ennemie et leur recommanda de s'abstenir du pillage pour ne pas se disperser. Enthousiasmés, les soldats s'écrièrent que ni périls ni travaux ne les étonnaient avec un chef qui en prenait une part plus forte que le dernier d'entre eux. L'ardeur était surtout extrême parmi les légions gauloises chez qui était encore présent le souvenir de Julien marchant à leur tête. Il voulut alors frapper un grand coup. Après une nuit de repos, il fit sonner le départ et entra en Assyrie. Comme la connaissance des lieux lui manquait, il fit prendre aux troupes l'ordre de marche par carrés. Il avait envoyé en avant et sur ses flancs quinze cents coureurs pour prévenir toute surprise. Se tenant lui-même au centre avec l'infanterie, il prescrivit à Névitte de longer l'Euphrate à sa droite avec quelques légions. La cavalerie, à gauche, sous les ordres d'Arinthée et d'Hormisdas, avançait par escadrons serrés. Dagalaif et Victor commandaient l'arrière-garde et la marche était fermée par Sécondin, duc d'Osrhoène. Pour grossir son armée aux yeux de l'ennemi, il espaça les rangs. Les intervalles furent remplis par les bagages, les valets et tout ce qu'une armée traîne à sa suite. La flotte, malgré les sinuosités du fleuve, dut se tenir à notre hauteur. Nous arrivâmes à Doura, sur l'Euphrate, que nous trouvâmes déserte. Il y avait des troupeaux de cerfs. Nous en abattîmes de quoi nourrir l'armée. Nous fîmes ensuite quatre étapes et, le soir de la dernière, le comte Lucillien reçut l'ordre de prendre mille hommes et des barques et d'enlever le fort d'Anathan situé, comme presque tous ceux du pays, sur une île du fleuve. Les barques prirent position autour de la place. A l'aube, un habitant qui sortait puiser de l'eau alerta la garnison. Julien passa alors le bras du fleuve avec deux navires de renfort et d'autres qui portaient des machines de siège. Il voulut convaincre les assiégés. Ceux-ci voulurent parler à Hormisdas qui se porta garant de la bonté avec laquelle ils seraient traités. Ils se soumirent donc, précédés d'un bœuf couronné qui pour eux est un signe de paix. Le fort fut aussitôt détruit. Pusée, son commandant, obtint le tribunat en récompense et par la suite, le duché d'Egypte. Les habitants furent transférés à Chalcis en Syrie. Parmi eux se trouvait un soldat romain de l'expédition de Maximien qui, malade, était resté en arrière. Il avait pris plusieurs femmes, à la mode du pays, et avait une nombreuse famille. Quand on l'avait abandonné, il était tout jeune et nous le retrouvions sous les traits d'un vieillard. La reddition de la place, à laquelle il avait contribué, le comblait de joie. Il avait prédit qu'il serait enterré en terre romaine. Le lendemain, le fleuve submergea plusieurs barques chargées de grains. Des barrages destinés à retenir les eaux pour les distribuer dans des canaux d'irrigation avaient été emportés. On n'a jamais su si c'était volontaire. Nous avions pris la seule forteresse ennemie rencontrée. L'armée montrait son enthousiasme mais la circonspection de Julien n'en était pas diminuée. Il savait avoir affaire au plus rusé des ennemis. Il fit incendier les moissons après que chacun ait fait ses provisions, ménageant ainsi les provisions de la flotte. Un soldat ivre passa sur l'autre rive et fut tué sous nos yeux. Nous arrivâmes devant le fort de Thilutha. La garnison, quand on lui proposa de se rendre, répondit qu'elle le ferait si nous parvenions à nous emparer du royaume. Cela dit, elle laissa notre flotte défiler au pied de ses murs. Pareil refus nous attendait à Achaiachala. A deux cents stades de là, le lendemain, nous trouvâmes un fort abandonné et nous le brûlâmes. Nous fîmes encore deux cents stades et arrivâmes à Baraxmalcha où nous passâmes le fleuve pour occuper Diacira, désertée par ses habitants qui nous laissaient des magasins de blé et de sel. Après une source de bitume, nous entrâmes dans Ozogardana évacuée. La ville fut incendiée. Hormisdas faillit tomber entre les mains du suréna, la plus haute dignité après le roi chez les Perses, qui lui avait tendu une embuscade avec Malek Posodacès, le chef des Sarrasins Assanites, un célèbre brigand. Ils avaient été avertis d'une reconnaissance que notre allié devait faire. Mais le coup manqua parce que Hormisdas ne put trouver de gué. Nous vîmes les Perses à l'aube. Ils furent si vite rejoints qu'il ne purent décocher une flèche. Animés par ce premier succès, les nôtres poussèrent jusqu'à Macépracta. Là le fleuve se partage en deux bras dont l'un forme de larges canaux qui vont fertiliser les campagnes et distribuer l'eau dans les villes de Babylonie. L'autre bras, qu'on appelle Naarmalcha, c'est-à-dire fleuve royal, baigne les murs de Ctésiphon. On établit des ponts pour l'infanterie et les cavaliers fendirent le courant. Une grêle de traits les accueillirent de l'autre côté mais nos auxiliaires s'acharnèrent sur les tireurs. Nous arrivâmes après cela devant Pirisabora. L'empereur en fit le tour à cheval, prenant ostensiblement toutes les dispositions d'un siège. Il espérait ainsi ôter aux habitants l'idée de résister mais les pourparlers échouèrent. Un jour entier, on échangea des projectiles. La garnison garnit les remparts d'épais rideaux en poil de chèvre. Derrière leurs boucliers d'osier couvert de cuir frais, les Perses résistaient bien. On aurait dit des statues de fer car des lames de métal superposées les enveloppaient de la tête aux pieds. Plusieurs fois ils voulurent parler à Hormisdas, leur compatriote. Mais, à chaque fois, il fut accablé d'injures. La nuit, on fit avancer des machines et on combla le fossé. Le jour révéla aux habitants les progrès qu'avaient faits nos ouvrages et, un coup de bélier ayant abattu un bastion, ils se retirèrent dans la citadelle. Une muraille en briques cimentées avec du bitume l'entourait. Rien n'égale en solidité ce genre de construction. Aux coups de nos balistes et de nos catapultes, les habitants opposèrent l'effet non moins destructeur de leurs arcs qui lancent un roseau ferré dont l'atteinte est toujours mortelle. On se battit tout le jour. Le combat recommença le lendemain et l'empereur voulut hâter la décision. A la tête d'un détachement formé en tortue, il s'élança contre une des portes de la citadelle. Bien qu'assailli de pierres et de balles de fronde, il pressa les siens d'ouvrir un passage et ne se retira qu'au moment où il allait être écrasé. Il revint sans avoir perdu un homme. Julien, voyant traîner la confection des mantelets et des terrasses, ordonna de construire au plus vite la machine connue sous le nom d'hélépole, à l'emploi de laquelle Démétrius dut le surnom de Poliorcète. Voyant cela, les habitants implorèrent la pitié des Romains. Comme le travail s'arrêtait, ils demandèrent à conférer avec Hormisdas, ce qui fut accordé. Mamersidès, le commandant de la place fut conduit à l'empereur et obtint la vie sauve pour lui et les siens. Les portes s'ouvrirent alors et tous sortirent, louant la grandeur d'âme de César. On trouva dans la citadelle des approvisionnements considérables en armes et en provisions. On en prit le nécessaire. Le reste fut incendié. Le lendemain, le suréna surprit trois de nos escadrons et s'empara d'un étendard. Julien, furieux, cassa les deux tribuns survivants et décima leurs escadrons. Après l'incendie de Pirisabora, il promit une gratification de cent pièces d'argent par tête. Entendant les murmures dus à la modicité de la somme, il dit aux hommes que s'ils voulaient s'enrichir ils n'avaient qu'à prendre leurs richesses aux Perses. Cela calma l'irritation. En quatorze milles nous joignîmes ensuite un point du fleuve où sont des écluses qui irriguent la campagne voisine. Les Perses les avaient ouvertes et avaient provoqué une inondation. A grand renfort d'outres gonflées, de bateaux en cuir et de pilotis, l'empereur parvint, non sans peine, à établir une multitude de petits ponts sur lesquels passa l'armée. Les vignobles et les fruitiers abondent dans la région. Des palmiers forment de véritables forêts jusqu'à la Mésène et à la grande mer. On en tire du miel et du vin. Les palmiers, dit-on, s'accouplent et chez eux la différence de sexe est sensible. On prétend que ces arbres sont susceptibles d'amour réciproque. L'armée se gorgea des fruits qu'elle trouvait et on eut même à se garder des excès. Nous laissâmes ensuite plusieurs îles derrière nous et nous arrivâmes à un endroit où le bras principal de l'Euphrate se divise en une multitude de canaux. Il y avait là une ville juive désertée. Les soldats l'incendièrent. Julien atteignit ensuite Mahozamalcha, grande et forte ville. Il y dressa ses tentes. Prenant avec lui quelques vélites, il fit à pied une reconnaissance de la place mais tomba dans une embuscade. Dix soldats perses, sortis par une porte masquée, fondirent sur lui. Il tua l'un. Un autre fut criblé de coups par son escorte. Les huit autres s'enfuirent. Julien rapporta la dépouille des deux morts comme trophée au camp où il fut reçu avec enthousiasme. Le lendemain, l'armée passa un bras du fleuve pour trouver un meilleur campement. Julien était déterminé à emporter Mahozamalcha car ç'aurait été s'exposer que de pénétrer plus avant en laissant tant d'ennemis sur ses arrières. Le suréna essaya d'enlever des chevaux qu'on faisait paître dans un bois mais fut repoussé par les cohortes de garde. La population de deux villes voulut se retirer à Ctésiphon. Les uns furent protégés par des forêts. D'autres s'embarquèrent sur des troncs d'arbres creusés. Nos soldats en tuèrent une partie. Eux-mêmes parcouraient le fleuve sur des barques, ramassant des prisonniers. Tandis que l'infanterie se livrait aux travaux du siège, la cavalerie battait la campagne pour se procurer des vivres. L'armée, de la sorte, vivait aux dépens de l'ennemi. Mais, s'il était indispensable de prendre la place, il n'était pas aisé d'y réussir. La citadelle était sur un rocher à pic. Des tours hérissaient les approches de la partie basse de la ville, construite sur une pente qui aboutissait à la rivière et la garnison était inaccessible à toute séduction. Nos troupes montraient une ardeur qu'on avait peine à contenir. Chacun reçut sa tâche. Ici on travaillait aux terrasses, là on comblait le fossé, plus loin on ouvrait des souterrains. Les ingénieurs disposaient les machines. Névitte et Dagalaif surveillaient les travaux. Diriger les assauts et protéger les ouvrages contre les sorties et les feux jetés des murailles fut le rôle de l'empereur. Le duc Victor, qui avait fait une reconnaissance jusqu'à Ctésiphon, ne vit l'ennemi nulle part. La joie de nos troupes accrut leur ardeur belliqueuse. D'abord les Romains tentèrent de diviser l'attention de l'ennemi par de feintes attaques. Leurs boucliers formaient une voûte au-dessus de leurs têtes. Les Perses, abrités sous les lames de fer qui les couvraient, firent bonne contenance. Ils mirent tout en œuvre pour nous faire reculer. Les balistes ne cessèrent d'envoyer des traits et les scorpions nous accablèrent de boulets. L'assaut se renouvela plusieurs fois mais vers midi la chaleur devint trop forte. Les deux partis s'arrêtèrent. Le lendemain l'action recommença, sans résultat. Le prince était présent partout. Vers la fin d'un assaut, un coup de bélier fit écrouler la plus haute des tours. A la fin de la nuit, on annonça à l'empereur que les légionnaires chargés de pratiquer la mine avaient poussé une galerie jusque sous les fondements des murailles et qu'ils n'attendaient que ses ordres pour pénétrer dans l'intérieur. L'assaut eut lieu sur deux points opposés pour distraire l'attention des assiégés. Exsupère, soldat de la légion Victorine, sortit le premier, puis le tribun Magnus, puis le notaire Jovien, suivis par les autres. On égorgea les sentinelles qui chantaient à tue-tête, suivant l'usage de leur nation, les louanges de leur souverain. Ceux qui croient que Mars participe aux combats eurent ce jour-là confirmation de leur croyance. Un guerrier colossal qu'on avait remarqué lors de l'assaut ne fut jamais revu. Tous ceux qui s'étaient distingués reçurent une couronne et leur éloge fut prononcé devant l'armée. La ville fut occupée et ses défenseurs massacrés. Seuls Nabdatès, chef des gardes du roi, et quatre-vingts de ses hommes furent capturés. L'empereur donna l'ordre de les épargner. Le butin fut équitablement réparti. L'empereur se réserva trois pièces d'or et un enfant muet. Parmi les captives il s'en trouvait de très séduisantes car la Perse est renommée pour la beauté de ses femmes. Julien ne voulut pas même les voir. Il apprit que des ennemis étaient cachés dans un souterrain. Les soldats les y enfumèrent. Ainsi Rome triompha de cette puissante cité et n'en laissa que des cendres. Victor fut tenu quelque temps en échec au passage d'une rivière par le fils du roi venu de Ctésiphon. Mais ce prince, voyant arriver l'armée, se retira. On poursuivit la marche à travers les cultures. Un palais de style romain dut sa conservation au plaisir que sa vue nous causa. Nous trouvâmes aussi un parc qui contenait les animaux destinés aux chasses royales, des lions, des sangliers et des ours. Nos soldats les tuèrent. L'empereur s'y fortifia à la hâte et, trouvant de l'eau et du fourrage, fit reposer l'armée deux jours. La ville de Coché, que nous appelons Séleucie, était proche. Julien, prenant les devants avec des éclaireurs, en visita l'enceinte déserte. Une source y forme un lac qui se décharge dans le Tigre. Il vit des pendus. C'étaient les parents du gouverneur qui avait capitulé dans Pirisabora. Ce même lieu vit le supplice de Nabdatès, pris à Mahozamalcha, qui périt sur un bûcher. Son pardon inespéré l'avait rendu insolent au point de perdre toute retenue dans les propos qu'il tenait contre Hormisdas. Peu après le départ, un détachement perse nous prit des bêtes et tua des fourrageurs. Julien, furieux, marcha sur Ctésiphon. Une forteresse l'arrêta. Il fit une reconnaissance et reçut une volée de flèche. Cela le décida à assiéger le fort mais la garnison préparait sa défense, comptant sur l'arrivée prochaine du roi. Lors d'une sortie nocturne, elle tailla en pièces une de nos cohortes. Un autre détachement passa le fleuve et fit des prisonniers. L'empereur mit à pied les cavaliers de la cohorte qui avait si mal soutenu le choc. Sa colère se tourna ensuite contre le fort et il employa tous les moyens pour s'en emparer. La place fut emportée et brûlée. Nous arrivâmes ensuite au Naarmalcha, ou Rivière des rois. C'est un bras artificiel du fleuve que nous trouvâmes à sec. Trajan et Sévère avaient ouvert ce canal pour relier l'Euphrate au Tigre. Les Perses, comprenant le parti qu'un ennemi pouvait en tirer, l'avaient comblé. Nous le rouvrîmes et il reçut assez d'eau pour porter la flotte et la faire passer dans le Tigre. L'armée se dirigea sur Coché. Une verdoyante campagne nous offrit le repos dont nous avions besoin. Au milieu d'un bois de cyprès s'élevait une maison de plaisance dont les murs intérieurs, couverts de peintures, montraient le roi tuant des bêtes sauvages. C'est dans ce goût que sont généralement les fresques du pays où l'art ne s'attache qu'à reproduire des scènes de carnage. Jusque là tout avait réussi à Julien et cela lui donnait confiance. Sur son ordre, les plus solides navires furent déchargés et chacun reçut quatre-vingts soldats. Il forma ensuite trois groupes de la flotte, en garda deux sous son commandement et remit à Victor le troisième, composé de cinq navires, avec mission de passer le fleuve au début de la nuit et d'occuper la rive opposée. Au moment d'aborder, les galères furent accueillies par un déluge de feu et auraient été détruites sans Julien qui cria que ces feux étaient un signal convenu et entraîna le reste de la flotte. Cela dégagea les cinq navires qui accostèrent sans dommage et les troupes purent occuper les escarpements du fleuve et s'y maintenir. Certains des nôtres se risquèrent, sans autre soutien que leurs larges boucliers, sur l'eau du fleuve et luttèrent de vitesse avec les navires. Les Perses nous opposèrent leurs cataphractes aux chevaux caparaçonnés de cuir épais. Ils s'appuyaient sur plusieurs lignes d'infanterie armées de longs boucliers en osier recouvert de peaux. Derrière manœuvraient les éléphants. L'empereur, de son côté, intercala les éléments les moins sûrs de son infanterie entre le premier corps de bataille et la réserve. Cette troupe, mise en première ligne, aurait suffi à entraîner la déroute des autres. Les Perses reculèrent vers Ctésiphon et s'y jetèrent. Nos gens y seraient entrés si le duc Victor, qui avait reçu une flèche, ne leur avait fait signe de s'arrêter, craignant que les portes ne se referment sur eux. Deux mille cinq cents Perses étaient morts et nous n'avions pas à regretter plus de soixante-dix des nôtres. Julien voulut faire un sacrifice à Mars. Mais, de dix taureaux qu'on amena, neuf tombèrent morts avant d'arriver à l'autel et le dixième, qui rompit ses liens, n'offrit, quand on l'eut immolé, que des signes de mauvais augure. Julien jura qu'il ne sacrifierait plus à Mars. Julien tint conseil avec ses officiers pour savoir si on assiégerait Ctésiphon. Ceux qui connaissaient la place pensaient que ce serait imprudent. Le prince envoya Arinthée avec un peu d'infanterie piller la campagne et chasser les ennemis éparpillés dans les bois. Cela donna un butin considérable. Julien reprochait à ses lieutenants de vouloir laisser inachevée la conquête de la Perse et décida d'avancer. Il laissa le fleuve à sa gauche sur la foi de guides peu sûrs, et ordonna d'incendier à la flotte. Il ne garda que douze petits navires pour jeter des ponts et les fit suivre sur des chariots. Il crut avoir bien agi en rendant disponibles les vingt mille hommes que la manœuvre des bateaux occupait. Mais en cas d'échec la retraite vers le fleuve devenait impossible. Les transfuges avouèrent qu'ils avaient menti. On ordonna alors d'éteindre les flammes mais c'était trop tard. On avançait en masses compactes dans l'intérieur des terres. Les ennemis mettaient le feu aux moissons et nous harcelaient. D'autre part, on n'entendait pas parler des secours promis par Arsace ni de l'arrivée des deux corps détachés. Les soldats disaient qu'il fallait retourner par où on était venu. Le prince montra l'impossibilité de retraverser des plaines où tout était détruit. Les chemins d'ailleurs étaient détrempés par la fonte des neiges et les crues. En plus la chaleur engendrait des myriades de mouches et de moustiques. On immola des victimes et les dieux furent consultés pour savoir s'il fallait retourner par l'Assyrie ou tourner les montagnes pour tomber sur la Chiliocome. On décida d'occuper la Gordyène. Le 16 des calendes de juillet, on vit une fumée. Dans l'incertitude l'armée campa au bord d'un ruisseau. Ce nuage resta en vue jusqu'au soir. Au jour, le reflet des cuirasses nous annonça la présence de l'armée royale. Nos soldats brûlaient d'en venir aux mains mais l'empereur interdit de bouger. Pourtant une escarmouche s'engagea entre nos éclaireurs et les Perses. Les escadrons ennemis furent finalement dispersés. Dans un mouvement de retraite que nous fîmes alors, les Sarrasins tentèrent d'enlever nos bagages. Mais à la vue de l'empereur, ils se replièrent. Nous atteignîmes après cela un bourg nommé Hucumbra où nous trouvâmes des vivres. Après deux jours de repos, nous brûlâmes ce que nous ne pouvions emporter. Le lendemain, l'armée poursuivait sa marche quand les Perses tombèrent sur l'arrière-garde et l'auraient enlevée sans l'intervention d'un corps de cavalerie. Dans cet engagement le satrape Adacès, autrefois chargé d'une mission près de l'empereur Constance, fut tué. Les légions accusèrent un corps de cavalerie de s'être dérobé au moment où elles abordaient l'ennemi. L'empereur, indigné, le priva de ses étendards, fit briser les lances des cavaliers et les condamna à marcher avec les bagages. Quatre tribuns des auxiliaires furent dégradés. Soixante-dix stades plus loin, l'armée manquait de vivres et les moissons brûlaient. On les disputa aux flammes. Nous arrivâmes en un canton nommé Maranga où nous vîmes les Perses. Ils venaient à nous sous le commandement du Mérane, chef suprême de la cavalerie, qui avait avec lui les deux fils du roi. Leurs lanciers restaient immobiles, les archers tendaient leurs arcs. Derrière eux venaient les éléphants. Les chevaux surtout s'épouvantaient de leurs cris et de l'odeur qu'ils exhalent. Les conducteurs, depuis la défaite de Nisibe où les éléphants s'étaient retournés contre leurs propres bataillons, portaient tous, attachés au poignet, de longs couteaux, se tenant prêts, si l'animal devenait furieux, à l'en frapper. Julien rangea sa troupe en bataille. Pour racheter la disproportion du nombre, il adopta l'ordonnance en croissant et, craignant que les archers persans ne mettent le désordre dans les bataillons, se porta en avant si vite qu'il neutralisa l'effet de leur décharge. L'infanterie romaine rompit les premières lignes ennemies. Les Perses soutiennent mal le corps à corps. Leur tactique est de se tenir à distance, de céder le terrain au moindre désavantage et de lancer, tout en fuyant, des grêles de traits qui ôtent l'envie de les poursuivre. Les Perses eurent dans ce combat de grosses pertes. Les nôtres furent insignifiantes. X - Mort de Julien (26 juin 363) Nous souffrions de la faim. Les provisions des chefs furent distribuées aux soldats. Quant à l'empereur, qui soupait d'une bouillie dont un valet d'armée n'aurait pas voulu, il abandonnait aux plus démunis ce qu'on parvenait à se procurer pour lui. Une nuit qu'il méditait, il vit, ainsi qu'il l'a dit à des amis, le génie de l'empire, l'air triste, traverser la tente en silence. L'empereur se levait pour conjurer par un sacrifice les malheurs dont il semblait menacé lorsqu'une traînée de lumière parcourut le ciel. Il pensa que c'était l'étoile de Mars qui se manifestait à lui sous cet aspect sinistre. Avant l'aube, Julien consulta les haruspices étrusques. Selon eux, il fallait ajourner toute entreprise. Ils s'appuyaient sur l'autorité du livre de Tarquitius qui recommande, en cas d'apparition d'un météore, de s'abstenir de livrer bataille. Comme Julien ne tenait pas compte de leur avis, ils le supplièrent au moins de suspendre sa marche quelques heures. Mais l'empereur refusa. Le camp fut levé dès l'aurore. Les Perses, à qui leurs échecs avaient appris à craindre l'infanterie romaine en bataille rangée, ne firent plus qu'observer notre marche, guettant le moment de nous surprendre. On se renforça sur les flancs et on marcha par bataillons. Tout à coup on annonça à Julien qu'on attaquait l'arrière-garde. Il prit le premier bouclier venu et, sans cuirasse, courut au combat. Il apprit en route que l'avant-garde était également compromise. Il y retournait quand des cataphractes perses chargèrent de flanc la colonne, débordèrent notre aile gauche, qui plia, et s'acharnèrent sur nos bataillons ébranlés par les éléphants. La vue du prince provoqua un élan de notre infanterie légère qui, prenant les Perses à dos, tailla en pièces les hommes et trancha les jarrets des éléphants. Julien lui-même donnait l'exemple quand il reçut un javelot qui s'enfonça dans son foie. Il fut transporté au camp. Quand la douleur fut un peu calmée, il voulut retourner au combat. Mais ses forces faiblissaient. L'espoir s'éteignit en lui quand on lui dit que l'endroit s'appelait Phrygie car, suivant une prédiction, Phrygie était le nom du lieu où l'attendait la mort. La soif de vengeance s'empara des soldats à la vue de leur prince qu'on rapportait au camp. Ils se ruèrent sur les Perses qui, de leur côté, multipliaient les volées de flèches. Cela ne cessa qu'à la nuit. Cinquante satrapes périrent dans cette mêlée avec une foule de soldats. Le Mérane et Nohodarès furent au nombre des morts. Mais notre avantage était balancé par des pertes sensibles. Un groupe des nôtres réussit à se jeter dans un petit fort voisin et rejoignit l'armée trois jours plus tard. Pendant ce temps Julien, couché dans sa tente, partagea sa fortune privée entre ses amis. Les assistants pleuraient mais Julien leur dit que c'était inconvenant car il allait au ciel prendre place parmi les astres. Il eut un entretien avec les philosophes Maxime et Priscus sur la transcendance de l'âme. Il expira au milieu de la nuit, dans sa trente et unième année. Il était né à Constantinople. Orphelin dès l'enfance, il avait perdu son père dans la proscription générale qui suivit la mort de l'empereur Constantin et était déjà privé de sa mère Basiline. Julien mérite d'être compté au nombre des plus grands pour ses qualités et les grandes choses qu'il a accomplies. On admet quatre vertus principales, la chasteté, la prudence, la justice et le courage, et quatre accessoires, le talent militaire, l'autorité, le bonheur, la libéralité. Julien consacra sa vie à les acquérir. II s'abstint, après avoir perdu sa femme, de tout commerce charnel. Sa continence était favorisée par les restrictions qu'il s'imposait en nourriture et en sommeil. En campagne, il n'était pas rare qu'il mange debout comme les soldats et son repas était sommaire. Après un court sommeil, il se levait et allait visiter les sentinelles, puis revenait se livrer à ses réflexions. Son intelligence était aussi vaste que saine. Il possédait l'art de gouverner et de faire la guerre. II était affable. Il aimait les sciences. Sa maxime favorite était que le sage doit s'occuper de l'âme sans se soucier du corps. Il brilla dans l'administration de la justice et sut la faire apparaître terrible sans qu'elle soit cruelle. Ses campagnes témoignent de sa valeur guerrière comme de son endurance. C'est par le corps que vaut le soldat, et le général par la tête. Mais on a vu Julien se battre corps à corps. Sa présence au premier rang était l'âme de son armée. Quant à ses talents stratégiques, les preuves en sont notoires. Il avait sur les soldats un tel ascendant qu'ils le chérissaient comme un camarade. N'étant que César, il leur fit, sans solde, affronter les barbares et, par la menace de sa démission, ramena à l'ordre parmi eux. Il lui suffit d'une simple exhortation aux soldats des Gaules pour les entraîner jusqu'en Assyrie. II fut longtemps guidé par la main de la fortune. Témoin, après qu'il eut quitté l'Occident, cette immobilité où restèrent jusqu'à sa mort les nations barbares. Nul prince, en fait d'impôts, n'eut la main plus légère. Julien avait aussi des défauts. Il se montrait parfois léger, mais il permettait qu'on le reprenne quand il avait tort. Il parlait trop. Il abusait de la divination. Il avait plus de superstition que de vraie religion. Sa consommation de bœufs pour les sacrifices était telle qu'on disait que l'espèce manquerait s'il revenait de Perse. Il aimait la louange. Malgré cela, on pourrait répéter avec lui que son règne allait ramener la justice sur la terre dont l'avaient bannie les vices des hommes. Ses lois, en général, étaient exemptes de despotisme. Mais il y a des exceptions comme l'interdiction d'enseigner prononcée contre les chrétiens. Ce fut encore un abus que de forcer des personnes normalement exemptées à faire partie des conseils municipaux. Il était de taille moyenne, avait la chevelure lisse, la barbe fournie et en pointe. Il avait de beaux yeux, le nez droit, la bouche un peu grande, la lèvre inférieure proéminente, les épaules larges et la poitrine développée. Il était vigoureux et agile à la course. Ses détracteurs l'accusent d'avoir attiré la guerre sur son pays. En fait ce n'est pas à Julien qu'il faut attribuer la guerre avec les Perses, mais à Constance. Quant à la Gaule, Julien y avait trouvé une guerre ancienne. La pensée de relever l'Orient lui fit faire la guerre aux Perses et sans doute il en aurait rapporté des trophées si le ciel avait répondu à sa valeur. Le lendemain, 5 des calendes de juillet, tandis que les Perses encerclaient l'armée, les chefs délibérèrent sur l'élection d'un empereur. Arinthée, Victor et les officiers de l'ancienne armée de Constance voulaient que le choix ait lieu parmi eux, tandis que Névitte, Dagalaif et les autres chefs gaulois insistaient pour qu'il tombe sur un des leurs. On s'accorda sur Salutius mais celui-ci prit prétexte de son âge pour refuser. Un officier prit la parole pour dire que l'essentiel était de sauver l'armée. S'ils regagnaient la Mésopotamie, ils décideraient alors à qui donner l'empire. Quelques impatients élurent alors Jovien, chef des gardes, fils du comte Varronien. Un choix fait dans de telles circonstances ne saurait être raisonnable. On ne blâme pas des matelots, après la perte d'un pilote dans la tempête, de confier le gouvernail à celui qui l'accepte. Un officier qui avait eu des altercations avec Jovien eut peur de son ressentiment et s'enfuit chez les Perses. Admis devant Sapor, il lui annonça la mort de Julien et l'élection de Jovien. Sapor, à cette nouvelle qui comblait ses vœux, donna l'ordre de tomber sur notre arrière-garde. On consulta les entrailles des victimes. La réponse fut qu'en rase campagne l'avantage nous resterait. On se mit donc en marche. Les Perses firent charger les éléphants. Les légionnaires en tuèrent quelques-uns et tinrent bon contre les cataphractes. Comme la nuit approchait, nous doublâmes le pas pour arriver au fort de Sumère. Nous fûmes rejoints par les soldats qui s'étaient jetés dans le fort de Vaccat. Le lendemain, nous campâmes dans une vallée en entonnoir, les montagnes formant une sorte de muraille naturelle, et nous y ajoutâmes un renfort de pieux aiguisés. Nous voyant retranchés, l'ennemi, qui occupait les défilés, se contenta de nous envoyer des flèches tout en nous insultant car des transfuges leur avaient rapporté un bruit selon lequel l'arme qui avait frappé Julien était romaine. Des escadrons ennemis forcèrent la porte prétorienne mais furent repoussés. Le jour des calendes de juillet, après une marche de trente stades, nous approchions de Doura quand les conducteurs des bagages, que la fatigue des bêtes ralentissait, furent entourés de Sarrasins qui en auraient eu raison si quelques escadrons n'étaient venus les dégager. Les Sarrasins s'étaient retournés contre nous depuis la fin des subsides dont on leur avait donné l'habitude. Les Perses, par des escarmouches, nous retinrent quatre jours. Le bruit s'était répandu que nous n'étions plus loin de notre frontière et l'armée voulait passer le Tigre. L'empereur montra aux soldats le fleuve en crue. Beaucoup d'entre eux ne savaient pas nager et l'ennemi occupait les rives. Mais l'impatience de l'armée était extrême. On finit par céder et on ordonna aux Germains et aux Gaulois d'entrer les premiers dans le fleuve. On pensait que s'ils étaient emportés par le courant cela servirait de leçon aux autres. A la faveur de la nuit, ils atteignirent l'autre rive. De là, rampant vers les postes ennemis endormis, ils en firent un carnage et levèrent les mains en signe de succès. L'armée brûlait de les rejoindre mais il fallait attendre. Les ingénieurs avaient promis d'établir un pont et la construction traînait. Sapor voyait que l'armée romaine s'était aguerrie et que, depuis la mort de son chef, ce n'était plus de salut qu'il était question pour elle mais de vengeance. Nous avions dans nos provinces des forces que nous pouvions rassembler et il savait quel effet produit en Perse un désastre sur le moral des populations. Il était frappé par ce passage du fleuve par cinq cents hommes. De notre côté, deux jours furent perdus pour établir le pont. Exaspéré par la faim, le soldat préférait mourir pour y échapper. Mais le ciel veillait sur nous. Les Perses nous envoyèrent des négociateurs. Eux aussi perdaient courage mais leurs conditions étaient dures. Nous envoyâmes de notre côté Salutius et Arinthée. Quatre jours s'écoulèrent en pourparlers. Il n'aurait pas fallu plus de temps, si le prince avait su le mettre à profit, pour atteindre la Gordyène. Notre rançon devait être la restitution de cinq provinces transtigritaines, l'Arzanène, la Moxoène, la Zabdicène, la Réhimène et la Gordyène, avec quinze places fortes, plus Nisibe, Singare et Le-Camp-des-Maures. Combattre aurait mieux valu mais le prince était entouré de flatteurs qui évoquaient Procope. Un prompt retour était indispensable sinon ce général pouvait prendre le pouvoir. Jovien finit par tout accepter. Il obtint que Nisibe et Singare passent aux Perses sans leurs habitants et que, pour les autres places, les sujets romains puissent partir. Par une clause déloyale, il fut stipulé qu'Arsace ne pourrait être secouru par nous contre les Perses. L'ennemi voulait ainsi punir ce prince du ravage de la province de Chiliocome qu'il avait opéré sur l'ordre de Julien et se ménager des facilités pour envahir l'Arménie. Le traité eut effectivement pour résultat la captivité d'Arsace et des déchirements intérieurs dont profitèrent les Perses pour s'emparer d'Artaxate et de presque toute la frontière de l'Arménie du côté des Mèdes. Dès que cette ignoble transaction eut été ratifiée, des otages furent échangés. Ce furent de notre côté Nevitte, Victor et quelques tribuns, et du côté perse le satrape Binésès et trois autres personnages de marque. La paix fut conclue pour trente ans. Nous prîmes pour le retour une route qui évitait les sinuosités du fleuve. La soif se joignit alors à la faim. Certains restaient en arrière et ne reparaissaient plus. D'autres gagnaient le fleuve et s'y noyaient en voulant traverser. Ceux qui réussissaient tombaient aux mains des Sarrasins et étaient tués ou vendus. Finalement, l'empereur traversa le premier sur les embarcations sauvées de l'incendie puis fit ramener peu à peu les autres. Ainsi tous ceux qui avaient été patients arrivèrent sur l'autre bord. Nous n'étions pas cependant au terme de nos angoisses. Nous apprîmes que les Perses jetaient un pont plus loin, sans doute pour intercepter les traînards. Mais ils renoncèrent quand ils virent le projet éventé. Cette alarme nous fit forcer la marche et nous arrivâmes près d'Hatra, ville déserte. Là, comme nous avions devant nous soixante-dix milles sans eau ni nourriture, nous remplîmes d'eau douce tous nos ustensiles et nous nous procurâmes une nourriture malsaine en tuant nos chameaux. Après six jours, l'herbe même manqua mais nous fûmes rejoints près du château d'Ur par Cassien, duc de Mésopotamie, et le tribun Maurice avec un convoi de vivres. Le notaire Procope et le tribun Mémoride partirent informer l'Illyrie et la Gaule de la mort de Julien. Le prince leur remit, pour les offrir à son beaupère Lucillien, retiré à Sirmium, les brevets de maître de l'infanterie et de la cavalerie. Ils devaient aller le trouver et le presser de se rendre à Milan pour organiser la répression si une rébellion survenait. Dans une lettre, Jovien conseillait à Lucillien de s'entourer d'hommes sûrs. Il choisit Malaric pour remplacer Jovin dans le commandement militaire des Gaules et il lui en envoya les insignes. C'était écarter un mérite supérieur, et donc suspect, et intéresser Malaric au maintien du régime dont il tiendrait cet avancement. Les deux mandataires devaient présenter sous le meilleur jour la transaction qui terminait la guerre avec les Perses, voyager jour et nuit et revenir faire leur rapport. Ce fut un coup de foudre pour les habitants de Nisibe quand ils apprirent que leur ville allait être livrée à Sapor. Ils espéraient que l'empereur reviendrait sur cet abandon du plus ferme rempart de l'Orient. Nous eûmes bientôt achevé les ressources du convoi de vivres et, si la chair des bêtes de somme avait manqué, nous aurions été réduits à nous dévorer les uns les autres. Il en résulta l'abandon des bagages et des armes. La disette était telle que le boisseau de froment, quand on en trouvait, se payait dix deniers d'or. Nous arrivâmes à Thilsaphate où Sébastien et Procope vinrent à notre rencontre. De là nous hâtâmes la marche et Nisibe apparut. Jovien campa à l'extérieur et refusa de loger au palais. Il aurait rougi de consacrer par sa présence dans les murs la cession de cette ville à l'ennemi. Le soir même, le notaire Jovien, celui qui s'était introduit au moyen d'une mine dans les murs de Mahozamalcha, fut jeté dans un puits que l'on combla. Il avait été désigné par certains, à la mort de Julien, comme digne de l'empire. Le lendemain, le perse Binésès vint réclamer l'exécution du traité. Il entra en ville et arbora sur la citadelle son étendard. C'était le signal de l'expulsion des citoyens. Les malheureux protestaient. Ils se faisaient fort de défendre seuls la place comme ils l'avaient souvent fait. Mais c'était peine perdue. L'empereur refusait d'être parjure. Sabinus, un magistrat municipal, observa que Constance était mort sans avoir cédé un pouce de territoire. Jovien n'en fut pas ému. Mais, alors qu'on lui offrait une couronne, l'avocat Sylvain lui souhaita d'être ainsi couronné par les villes qui lui restaient. Cette fois il fut piqué au vif et donna l'ordre d'évacuer la ville en trois jours. On vit une foule de malheureux en larmes encombrer les routes, saisissant à la hâte ce qu'ils pouvaient transporter et abandonnant le reste. Après cela, le tribun Constance fut désigné pour remettre aux Perses les autres places. Procope fut chargé d'accompagner à Tarse la dépouille de Julien. Il s'acquitta de ce devoir mais, aussitôt après, il se cacha jusqu'au moment où il reparut revêtu de la pourpre à Constantinople. Tout étant fini, nous retournâmes à Antioche. Là, la colère divine sembla se manifester. La sphère d'airain que tenait la statue de Maximien disparut. Les solives de la salle du conseil craquèrent. Des comètes parurent en plein jour. Jovien, inquiet, repartit au cœur même de l'hiver et se rendit à Tarse. II lui tardait également de s'en éloigner. Toutefois il voulut embellir le tombeau de Julien sur le chemin qui mène aux défilés du Taurus. De Tarse, Jovien gagna Tyane en Cappadoce où il rencontra le notaire Procope et le tribun Mémoride qui lui rendirent compte de leur mission. Lucillien s'était rendu à Milan avec les tribuns Séniauchus et Valentinien et, apprenant que Malaric refusait le commandement qui lui était offert, il en était reparti pour Reims. Là il s'était lancé dans une discussion avec l'intendant. Celui-ci, qui avait à se reprocher des fraudes, s'était enfui dans un cantonnement où il avait répandu le bruit que Julien n'était pas mort. Cette fable avait excité parmi les troupes une violence dont Lucillien et Séniauchus avaient été victimes. Ils ajoutèrent qu'une députation allait arriver de la part de Jovin pour lui annoncer que son pouvoir était reconnu par l'armée des Gaules. Jovien envoya ensuite Arinthée en Gaule avec une lettre pour Jovin. Il confirmait ce dernier dans son poste et l'engageait à lui rester fidèle. Il lui enjoignait de punir l'auteur de la sédition et d'envoyer à la cour ceux qui y avaient figuré. Après cela, il se rendit à Aspuna, en Galatie, pour recevoir les députés de l'armée des Gaules. Il accueillit gracieusement les nouvelles dont ils étaient porteurs et les renvoya chargés de présents. A Ancyre l'empereur prit le consulat avec Varronien, son fils encore presque au berceau. Les cris que poussa l'enfant pour n'être pas placé dans la chaise curule, comme le veut l'usage, présageaient l'événement qui ne tarda pas à arriver. La nuit de son arrivée à Dadastane, entre la Galatie et la Bithynie, Jovien fut trouvé mort dans son lit. On supposa une asphyxie causée par l'enduit des murs de sa chambre ou par le charbon qui y brûlait, ou encore par une indigestion. Il avait trente-trois ans. Il avait la démarche digne, la physionomie gaie et les yeux bleus. Il était d'une corpulence telle qu'on eut peine à trouver des ornements impériaux à sa taille. Comme Constance, qu'il préférait à Julien comme modèle, on le voyait remettre à l'après-midi les affaires sérieuses et badiner en public avec ses courtisans. Il était attaché à la religion chrétienne. Il aimait aussi les femmes et la table. XI - Valentinien empereur Le corps de Jovien fut envoyé à Constantinople. L'armée continua vers Nicée, en Bithynie. Là on délibéra sur le choix du nouvel empereur. Le tribun Equitius fut rejeté. Janvier, parent de Jovien et intendant en Illyrie, était trop loin. Soudain Valentinien fut élu, sans que personne ne s'y oppose. Jovien l'avait laissé à Ancyre. On lui demanda de venir. Il y eut cependant un interrègne de dix jours. Valentinien s'empressa de déférer à l'invitation mais averti, dit-on, par des présages, il ne voulut ni sortir ni se laisser voir le lendemain de son arrivée qui était l'intercalaire du mois de février d'une année bissextile, jour qu'il savait réputé néfaste chez les Romains. Le soir de ce jour, on consigna chez soi toute personne supposée ambitieuse. Enfin la nuit s'écoula et le jour parut. L'armée entière était rassemblée. Valentinien fut proclamé chef de l'empire au milieu des applaudissements, revêtit les habits impériaux et mit la couronne. Il commençait un discours quand la foule réclama un second empereur. Il reconnut l'intérêt de partager le pouvoir mais expliqua qu'il fallait la concorde entre les deux collègues. Il s'engagea donc à choisir quelqu'un et renvoya les soldats avec la promesse d'une gratification. Cela ramena le calme et l'empereur fut reconduit au palais. Pendant ce temps Apronien, préfet de Rome, se montrait un juge probe et sévère. Son principal souci, au milieu des soins dont l'administration de cette ville est chargée, était de faire juger les magiciens et leurs complices. Il avait perdu un œil, ce qu'il attribuait à la magie. On jugea qu'il allait trop loin quand on le vit traiter ces affaires capitales en plein cirque, au milieu de la foule. La dernière exécution qu'il ordonna fut celle du cocher Hilarin qui avait livré son fils à un magicien pour l'instruire dans sa science, voulant par là s'assurer la réussite. Le coupable se réfugia dans un temple chrétien d'où il fut arraché pour être décapité. Mais l'impunité qui reparut avec l'administration suivante ramena le désordre. La licence alla au point qu'un sénateur qui avait fait comme Hilarin se racheta par une grosse somme. Valentinien donna l'ordre du départ pour le surlendemain mais d'abord il consulta les hauts personnages de l'Etat sur la désignation d'un collègue. Dagalaif, maître de la cavalerie, répondit que l'empereur avait bien un frère mais qu'on pouvait trouver plus digne. Valentinien fut vexé. A Constantinople, le 5 des calendes d'avril, il donna le titre d'Auguste à son frère Valens qui n'était en fait que l'instrument de ses volontés. Les deux empereurs eurent en même temps un accès de fièvre. Cela dura peu mais une enquête eut lieu. Le bruit courut qu'elle était dirigée contre les amis de Julien qu'on accusait d'avoir usé de maléfices. Mais on ne put rien trouver. Cette année, toutes nos frontières furent malmenées. Les Alamans ravagèrent la Gaule et la Rhétie, les Quades et les Sarmates les deux Pannonies, les Pictes, les Saxons, les Scots et les Attacottes mirent à feu et à sang la Bretagne, les Austoriens et les Maures multiplièrent leurs courses en Afrique et des Goths dévastèrent la Thrace. Le roi de Perse, de son côté, menaçait l'Arménie, prétendant qu'il avait traité avec Jovien et que, celui-ci mort, rien ne s'opposait à ce qu'il reprenne cette possession de ses ancêtres. Après l'hiver, les deux empereurs traversèrent la Thrace pour se rendre à Naissus. La veille de leur séparation, ils firent se partagèrent les grands officiers de la couronne. A Valentinien, qui disposait de tout à son gré, échurent Jovin et Dagalaif. Victor dut, avec Arinthée, suivre Valens en Orient. Lupicin y resta maître de la cavalerie. Equitius eut le commandement militaire en Illyrie avec le titre de comte. Sérénien reprit du service parce qu'il était pannonien et fut placé près de Valens. On régla aussi le partage des troupes. Les deux frères firent ensuite leur entrée à Sirmium et adoptèrent leurs résidences respectives. Valentinien s'adjugea Milan, capitale de l'empire d'Occident, et Valens partit pour Constantinople. Salutius était déjà en possession de la préfecture d'Orient. Mamertin eut l'autorité civile sur l'Italie, l'Afrique et l'Illyrie et Germanien, l'administration de la Gaule. L'année fut désastreuse. Les Alamans avaient envoyé une ambassade à la cour et l'usage, dans ces occasions, était de faire aux députés de riches présents. On leur en offrit de peu de valeur qu'ils rejetèrent avec indignation. Là-dessus le maître des offices Ursace les maltraita et, de retour chez eux, ils soulevèrent sans peine le ressentiment des barbares qui se crurent méprisés. C'est à cette époque qu'éclata la révolte de Procope. Valentinien l'apprit au moment où il entrait à Paris, le jour des calendes de novembre. Il venait d'envoyer Dagalaif contre les Alamans. La nouvelle le jeta dans un trouble extrême. Il ne savait si Valens était mort ou vivant car Equitius n'avait fait que transmettre un rapport du tribun Antonin, commandant au fond de la Dacie, qui n'était instruit que vaguement des faits. Valentinien, de peur que le rebelle n'entre en Pannonie, se prépara à reculer vers l'Illlyrie. Les conseils ne lui manquaient pas pour tempérer son empressement à revenir sur ses pas. On lui montrait la Gaule menacée. Des députations des villes joignaient leurs instances à ces objections. Il ne pouvait les abandonner dans cette crise. Il finit par se rendre à ces avis. Réfléchissant que Procope n'était que son adversaire personnel alors que les Alamans étaient les ennemis de l'empire, il prit le parti de ne pas quitter la Gaule et se rendit à Reims. Cependant, comme il n'était pas non plus sans inquiétude pour l'Afrique, il en confia la défense à Neoterius, Masaucio et Gaudence. Procope, né en Cilicie, était parent avec Julien. Une conduite sans reproche l'avait mené aux premiers rangs dans l'armée. A la mort de Constance, il avait obtenu le titre de comte et on pouvait prévoir qu'il remuerait un jour l'Etat si l'occasion lui en était donnée. Lorsque Julien entra en Perse, il mit Procope et Sébastien à la tête de la réserve qu'il laissait en Mésopotamie et on dit qu'il lui avait ordonné de prendre le titre d'empereur si lui-même succombait. Procope s'acquittait de sa mission quand il apprit la mort de Julien et l'avènement de Jovien. Il se cacha en apprenant la fin tragique du notaire Jovien, suspect de prétention à l'empire. Il se réfugia à Chalcédoine. De là, il faisait des voyages incognito à Constantinople et recueillait les murmures sur l'avarice de Valens. Ce défaut, chez le prince, était excité par son beau-père Pétrone, un personnage ignoble. Pétrone, avide de dépouilles, infligeait la torture puis l'amende du quadruple à tort ou à raison. Sa fortune grossissait ainsi. Dans le peuple et dans l'armée on rêvait d'un changement de régime. Procope jugea qu'il pouvait saisir le pouvoir. Valens était parti pour la Syrie après l'hiver et entrait en Bithynie quand il apprit que les Goths s'étaient réunis pour attaquer la Thrace. Il se contenta d'y envoyer des troupes. Procope profita de son éloignement et risqua le tout pour le tout. De jeunes soldats des légions Divitense et Tongrienne se partaient pour la guerre et devaient passer deux jours à Constantinople. Il en connaissait beaucoup et s'adressa à ceux sur lesquels il pouvait compter. Ceux-ci, séduits par la perspective de brillantes récompenses, s'engagèrent à lui obéir et promirent le concours de leurs camarades. Au jour dit, Procope se rendit au quartier des deux légions. On lui avait dit qu'il s'y tiendrait un conciliabule nocturne. Procope, qui n'avait pu se procurer de manteau impérial, se tint debout, revêtu de la tunique brodée d'or d'un officier du palais et chaussé de pourpre, une lance à la main droite. Après cette parodie du cérémonial d'avènement et la promesse qu'il fit aux soldats de les combler de richesses dès qu'il serait au pouvoir, il se montra en public. Lorsqu'il voulut parler, la foule l'accueillit par un silence maussade puis il fut salué empereur tant bien que mal. Il se rendit au sénat, dont les principaux membres étaient absents, puis courut s'emparer du palais. Les petits marchands, les employés du palais, les militaires en retraite prirent parti pour Procope. Les autres quittèrent la ville. Le notaire Sophrone atteignit Valens comme il allait quitter Césarée et présenta les choses de manière à persuader le prince de gagner au plus vite la Galatie pour rassurer les esprits. Pendant ce temps, Procope se démenait. Ses agents annonçaient que Valentinien était mort. Nébride, préfet du prétoire, et Cesarius, préfet de Constantinople, furent arrêtés. L'administration de la ville fut confiée à Phronémius et la charge de maître des offices à Euphrase, deux Gaulois. Gomoarius et Agilo, rappelés au service, eurent la direction des affaires militaires. Procope s'inquiétait de la proximité du comte Jules qui commandait pour Valens en Thrace. Une lettre que Nébride fut forcé d'écrire, soi-disant sur l'ordre de Valens, l'attira à Constantinople où il fut arrêté. Ainsi la Thrace fut acquise à la rébellion. Restait à s'entourer de la force militaire. Ce fut facile. Les détachements dirigés sur Constantinople pour prendre part aux opérations de Thrace formaient le noyau d'une armée. Fascinés par les séductions de Procope, ils s'engagèrent à le servir. Il avait imaginé un moyen d'agir sur leurs esprits, c'était de parcourir les rangs, tenant dans ses bras la fille de l'empereur Constance, dont le nom était cher à l'armée. Il associait ainsi les souvenirs aux droits personnels qu'il tirait de sa parenté avec Julien. L'impératrice Faustine avait mis à sa disposition quelques pièces du costume impérial. Procope voulait s'emparer de l'Illyrie. Ses agents crurent avoir tout fait avec quelques pièces d'or mais ils tombèrent aux mains d'Equitius, commandant militaire du pays, qui les tua et fit garder les trois défilés qui font communiquer l'empire d'Orient et les provinces du nord. Cela fit perdre à l'usurpateur l'espoir d'obtenir l'Illyrie et les ressources qu'il en aurait pu tirer. Le découragement s'empara de Valens au point qu'il pensa abdiquer. Revenu à lui-même, il ordonna que les légions des Joviens et des Victorins marchent contre les rebelles. A leur approche Procope, qui venait d'entrer à Nicée, revint sur ses pas avec les Divitenses et les déserteurs dont il s'était entouré. Au dernier moment, il avança seul, de l'air d'un homme qui veut en provoquer un autre au combat singulier. Dans les rangs adverses, un certain Vitallien s'écria que des braves gens allaient mourir pour des inconnus et acceptaient qu'un misérable Pannonien jouisse du pouvoir. Le devoir leur commandait plutôt de soutenir la famille de leurs souverains. Ces quelques mots lui gagnèrent tous les esprits. Les plus résolus passèrent dans les rangs de l'usurpateur. Un plus grand succès lui était encore réservé. Le tribun Rumitalque, qui avait pris parti pour lui, occupa Nicée grâce à des intelligences avec la garnison. Valens aussitôt envoya pour reprendre cette place Vadomaire, ex-roi des Alamans. Quant à lui, il se rendit devant Chalcédoine. Les habitants, du haut des murs, l'insultaient, l'appelant brasseur, c'est-à-dire fabriquant de cette boisson extraite de l'orge qui est en Illyrie la boisson du pauvre. Manquant de vivres, il allait se retirer quand une sortie de la garnison, sous le commandement de Rumitalque, tailla en pièces une partie de ses troupes. L'entreprise aurait réussi si le prince n'avait traversé en hâte le lac Sunon et mis le fleuve Gallus entre lui et ses poursuivants. Ce coup de main fit de Procope le maître de la Bithynie. Revenu à Ancyre, Valens apprit l'arrivée de Lupicin. L'espoir lui revint et il s'empressa d'envoyer contre l'ennemi Arinthée, le meilleur de ses généraux. Près de Dadastane, celui-ci rencontra Hypéréchius. Arinthée dédaigna de se mesurer avec un tel adversaire et, avec l'ascendant que lui donnait sa taille et son renom, ordonna aux ennemis d'arrêter leur capitaine. Ce chef dérisoire fut fait prisonnier par ses propres soldats. Vénuste, un commis de Valens envoyé en Orient pour payer la solde des troupes, s'était réfugié à Cyzique avec les fonds dont il était chargé. Il trouva là le comte Sérénien et ce qu'il avait pu ramasser de troupes. La ville a une forte enceinte. Procope avait réuni des forces considérables pour l'assiéger afin de se rendre maître de l'Hellespont. Les habitants, pour fermer leur port aux galères ennemies, avaient tendu une chaîne en travers de l'entrée. Les assiégeants commençaient à se lasser lorsqu'un tribun nommé Aliso réussit à surmonter l'obstacle. Trois vaisseaux furent fixés ensemble et sur leurs ponts se placèrent des soldats formant la tortue. Ainsi protégé, Aliso parvint à rompre la chaîne à coups de hache et ouvrit ainsi le passage vers la ville. Cet exploit lui valut, après l'échec de la révolte, la vie sauve et le maintien dans son grade. Procope, à qui ce fait d'armes assurait la possession de la ville, s'empressa d'y faire son entrée et prononça une amnistie pour tous, sauf Sérénien. Il conféra ensuite au jeune Hormisdas, fils du royal proscrit Hormisdas, la dignité de proconsul. Traqué plus tard par des soldats de Valens, un navire qu'il tenait prêt put l'enlever, lui et sa femme. Procope se crut alors au-dessus de l'humanité. La maison d'Arbition fut pillée sur son ordre parce que le propriétaire ne s'était pas rendu devant lui. Tout retard était dangereux pour l'usurpateur pourtant il s'amusait à négocier tantôt avec une ville, tantôt avec une autre. Ces événements s'étaient passés en hiver. Au printemps, Valens et Lupicin se rendirent à Pessinonte et, après y avoir mis une garnison, se dirigèrent vers la Lycie pour attaquer Gomoarius. Ce projet avait des opposants qui insistaient sur la présence dans les rangs ennemis de la fille de Constance et de sa mère Faustine. Mais Valens s'entendit avec Arbition qui vivait éloigné des affaires. Il l'invita à la cour, certain que la vue de ce vétéran de Constantin ramènerait plus d'un rebelle au devoir. De fait, de nombreuses conversions s'opérèrent quand on entendit ce doyen de l'armée traiter Procope de brigand et, s'adressant aux rebelles, les appeler ses enfants, ses compagnons et les supplier de se confier à lui comme à leur père plutôt que d'obéir à un misérable. Gomoarius lui-même se rendit au camp de Valens. Animé par ce succès, l'empereur transporta son camp en Phrygie. Les ennemis étaient rassemblés près de Nacolia. Au moment d'en venir aux mains, Agilo, leur chef, changea de camp, imité par beaucoup d'autres. Procope alors s'enfuit à pied dans les bois et les montagnes, suivi des tribuns Florence et Barchalba. Ils errèrent une partie de la nuit. Voyant que tout espoir était vain, ses compagnons se jetèrent sur lui et le menèrent au camp de l'empereur. On lui trancha aussitôt la tête. Florence et Barchalba furent également exécutés alors qu'ils n'avaient trahi qu'un rebelle et avaient droit à une récompense. Procope avait quarante ans. A cette nouvelle Marcellus, son parent, qui appartenait à la garnison de Nicée, s'introduisit dans le palais où Sérennien était gardé et le tua. Cela sauva plus d'une tète. S'il avait vu le triomphe de son parti, Sérénnien aurait flatté la cruauté du prince. Marcellus courut s'emparer de Chalcédoine et devint lui-même un fantôme d'empereur. Les rois goths avaient envoyé à Procope un secours de trois mille hommes qu'il espérait gagner à sa cause. Il comptait aussi sur la tentative d'Illyrie, dont le résultat n'était pas encore connu. Equitius, voyant que la guerre allait se concentrer en Asie, avait franchi le pas de Sucques pour prendre Philippopolis, tenue par les rebelles. Cette place était importante pour lui. S'il devait traverser la région de l'Hémus pour secourir Valens, il était dangereux de la laisser au pouvoir de l'ennemi. Mais, informé de l'affaire de Marcellus, il envoya un détachement le saisir et le fit jeter dans une prison dont il ne sortit que pour subir la torture et la mort. La mort de Procope mit fin à l'effusion du sang sur les champs de bataille mais, dans les représailles, on passa souvent la mesure. Elles furent surtout impitoyables envers la garnison de Philippopolis qui n'avait capitulé qu'en voyant la tête de Procope qu'on portait en Gaule et qu'on lui fit voir en passant. Cette rigueur fut parfois fléchie par des sollicitations influentes. Ainsi Araxius obtint, grâce à son gendre, d'être relégué dans une île d'où il s'évada. Euphrase et Phronème se virent le premier absous, le second déporté à Chersonèse parce qu'il avait été bien vu de Julien. Une série d'enquêtes s'ouvrit. Quiconque convoitait le bien d'autrui trouvait accès à la cour. On était sûr, avec une accusation, de s'enrichir des dépouilles de l'innocent. L'empereur provoquait les dénonciations et jouissait des supplices. Sa victoire en fut ternie. Quand la soif de meurtres fut assouvie, vint le tour des confiscations et des exils. Ils tombèrent de préférence sur les notables. Aux calendes d'août, il y eut un tremblement de terre. La mer se retira, laissant à nu ses cavités profondes et la population des abîmes palpitante sur le sable. Pour la première fois depuis que le monde est né, le soleil visita de ses rayons de hautes montagnes et d'immenses vallées dont on ne faisait que soupçonner l'existence. Les équipages des navires échoués purent ramasser à la main les poissons. Mais tout à coup les vagues revinrent, envahissant îles et terre ferme. Le reflux montra plus d'un navire échoué et des milliers de cadavres. A Alexandrie, de grosses embarcations furent poussées jusque sur le toit des maisons. XII – Résistance sur tous les fronts Les Alamans s'étaient remis des coups de Julien. Aux calendes de janvier, profitant de l'hiver, plusieurs bandes firent irruption et, divisées en trois corps, se répandirent en pillant. Le comte Charietto, qui commandait dans les deux Germanies, s'avança contre le premier groupe. Il avait appelé à lui Sévérien, cantonné à Châlons avec les Divitenses et les Tongriens. Quand leurs forces furent réunies, l'action s'engagea. Notre ligne de bataille prit la fuite à la vue de Sévérien renversé de cheval par un javelot. Charietto voulut retenir les fuyards. Lui-même fut tué. Les barbares s'emparèrent de l'étendard des Hérules et des Bataves et dansèrent autour avec des trépignements de triomphe. Dagalaif fut envoyé de Paris pour réparer ce désastre mais il traîna, alléguant que les barbares étaient trop divisés pour lui permettre de frapper un coup décisif. Il fut remplacé par Jovin. Ce dernier, surprenant à Scarponne le plus fort des trois groupes de barbares, l'extermina. Ce succès, obtenu sans perte, exalta l'ardeur de ses troupes. Il sut en profiter pour écraser le deuxième groupe. Avançant avec précaution, il apprit qu'une grosse division de barbares se reposait au bord du fleuve. Il poursuivit silencieusement sa marche jusqu'à voir les ennemis occupés, les uns à se baigner, les autres à lisser leur blonde chevelure à la mode de leur pays, et le plus grand nombre à boire. Il se jeta sur ces brigands qui tombèrent sous nos lances et nos épées, sauf un petit nombre qui put s'enfuir par des sentiers détournés. Jovin se porta aussitôt contre le troisième groupe qu'il trouva près de Châlons. Le combat dura jusqu'à la nuit. La valeur de nos soldats s'y déploya et ils auraient recueilli presque sans perte le fruit de leurs efforts si le tribun Balchobaude, moins brave en actes qu'en paroles, ne s'était honteusement retiré à la nuit. Cela aurait entraîné la déroute si le reste des cohortes avait suivi son exemple. Mais la troupe tint ferme et tua six mille hommes à l'ennemi et lui en blessa quatre mille tandis qu'il n'y eut de notre côté que deux mille hommes hors de combat. A l'aube on vit que l'ennemi avait profité des ténèbres pour s'enfuir. Jovin revenait sur ses pas quand il apprit qu'un détachement de lanciers qu'il avait envoyé par un autre chemin piller les tentes des Alamans, avait pris leur roi et l'avait mis au gibet. Il voulut sévir contre le tribun qui avait pris sur lui un tel acte d'autorité mais l'officier prouva que l'emportement des soldats ne lui avait pas laissé le temps d'intervenir. Jovin reprit la route de Paris. La satisfaction de Valentinien était à son comble car il venait de recevoir de Valens l'hommage de la tête de Procope. A cette époque, à Pistoia, en Toscane, un âne monta à la tribune et se mit à braire. Ce prodige ne tarda pas à s'expliquer. Térence, un boulanger natif de cette ville, ayant accusé l'ex-préfet Orfite, obtint en récompense l'administration de la province. Il s'y montra aussi insolent que brouillon et périt de la main du bourreau, convaincu de prévarication. A Rome, Apronien avait eu pour successeur Symmaque, homme instruit et modeste. Jamais les subsistances et la tranquillité ne furent mieux assurées. Symmaque fut remplacé par Lampade, administrateur intègre et habile. Excédé par le peuple qui réclamait en faveur de tel ou tel favori des largesses imméritées, il distribua aux pauvres de grosses sommes pour montrer à la fois sa libéralité et son mépris des jugements populaires. Quand nos princes dotaient la ville d'un édifice, il y inscrivait son nom comme fondateur. Une fois, la populace manqua incendier sa maison. Il voulait construire de nouveaux édifices et, au lieu d'en payer la dépense, quand il avait besoin de fer, de plomb ou de cuivre, il envoyait ses agents s'emparer de ces matériaux. Ces exactions répétées finirent par soulever ses victimes et on aurait fait au préfet un mauvais parti s'il n'était parti. Vivence, son successeur, un pannonien, était intègre et mesuré. Son administration fit régner l'abondance mais fut secouée par une terrible discorde. Damase et Ursin se disputaient le siège épiscopal et le fanatisme de leurs partisans alla jusqu'à l'effusion du sang. Damase finit par l'emporter. Cent trente-sept cadavres furent trouvés le lendemain dans une basilique où les chrétiens tiennent leurs assemblées. Quand on réalise l'éclat de cette dignité, on n'est pas surpris de cette animosité entre les rivaux. Celui qui l'obtient est sûr de s'enrichir. Ces prélats seraient mieux inspirés si, au lieu de se faire un prétexte de la grandeur de la ville pour justifier leur luxe, ils prenaient exemple sur leurs collègues de province que leur ordinaire frugal et leurs mœurs pures recommandent aux fidèles. Pendant ce temps la Thrace était le théâtre de nouveaux combats. Valens, poussé par son frère, venait de déclarer la guerre aux Goths qui avaient soutenu Procope. Après la défaite de celui-ci, Victor, maître de la cavalerie, fut envoyé chez eux pour savoir ce qui avait pu pousser cette nation amie à aider un usurpateur. Les Goths, pour se justifier, montrèrent une lettre où Procope prouvait qu'il était du sang de Constantin et ajoutèrent que, s'ils s'étaient trompés, ils étaient pardonnables. Victor transmit l'excuse à Valens qui, la jugeant insuffisante, vint, au printemps, camper avec ses forces près de la forteresse de Daphné. Un pont fut jeté sur le Danube. Le prince put parcourir le pays sans trouver personne à combattre. Les Goths s'étaient retirés dans les montagnes des Serres. Valens fit battre le pays par Arinthée, maître de l'infanterie, qui s'empara d'une partie des familles des ennemis. Ce fut le seul fruit de cette campagne dont le prince revint sans avoir essuyé de perte mais sans avoir produit grand effet. L'année suivante, l'empereur fut arrêté par une crue du Danube. Il campa tout l'été près du bourg des Carpis et revint passer l'hiver à Marcianopolis. Valens persévéra. L'année suivante, un pont fut jeté à Novidunum. Il atteignit la tribu des Greuthungues et chassa devant lui Athanaric, un de leurs chefs, qui s'était cru assez fort pour lui tenir tête. La présence prolongée du prince dans leur voisinage inquiétait les Goths et l'interruption du commerce les gênait beaucoup. Ils implorèrent la paix, l'empereur accepta. Il fallait trouver un lieu de conférence. Athanaric allégua le serment qu'il avait fait de ne jamais mettre le pied sur le sol romain. De son côté, l'empereur aurait dérogé en se rendant près de lui. On ménagea une rencontre au milieu du fleuve, sur des bateaux. Valens prit des otages et revint à Constantinople. Le sort y amena plus tard Athanaric lui-même, chassé de sa patrie. Il y mourut, et fut inhumé suivant le rite romain. Pendant ce temps, Valentinien tomba malade. Des Gaulois de sa garde parlèrent d'élever à l'empire Rusticus Julianus, garde des archives. D'autres pensaient à Sévère, maître de l'infanterie. Mais l'empereur se rétablit et éleva au pouvoir son fils Gratien. Tout fut fait pour y préparer l'armée. Il le fit venir et, montant avec lui sur une tribune, entouré des grands personnages de sa cour, il prit par la main le jeune prince et le recommanda à l'assemblée. Ce fut bien accueilli et Gratien fut proclamé empereur. En conférant le titre d'Auguste et non celui de César à son frère et à son fils, Valentinien mit le sentiment de famille au-dessus des usages. Quelques jours après, Mamertin, préfet du prétoire, fut accusé de concussion par Avitien, ex-lieutenant d'Afrique. Il fut remplacé par Vulcace Rufin, homme qui ne laissait passer aucune occasion de gain quand il pouvait en profiter sans scandale. Rufin sut obtenir le rappel d'Orfite et la restitution des biens de l'exilé. Valentinien, au début, avait fait des efforts pour maîtriser ses colères. Mais l'explosion, longtemps contenue, n'en fit que plus de dégâts. Parmi les victimes de sa cruauté, Dioclès, trésorier en Illyrie, expira sur le bûcher pour une faute légère. La peine de mort fut infligée à Diodore, intendant d'Italie, et à trois appariteurs parce que le comte s'était plaint de ce que Diodore lui avait intenté un procès et que les appariteurs lui avaient ordonné de répondre devant la justice. Les chrétiens de Milan honorent la mémoire de ces victimes. L'empereur, une autre fois, avait ordonné de mettre à mort les décurions de trois villes pour avoir, sur réquisition d'un juge, exécuté un nommé Maxence. Mais Eupraxe l'encouragea à la modération parce que ceux qu'il faisait périr comme criminels, les chrétiens en faisaient des martyrs. Valentinien allait d'Amiens à Trèves quand il reçut de mauvaises nouvelles de Bretagne. Les barbares affamaient le pays. Ils avaient tué le comte Nectaride et fait tomber le duc Fullofaud dans une embuscade. Valentinien chargea le comte Sévère de remédier au mal. Puis il le remplaça par Jovin qui, à peine arrivé, demanda qu'on lui envoie une armée. De plus en plus inquiet, l'empereur choisit finalement Théodose et lui confia l'élite des légions. Les Pictes formaient à cette époque deux peuples, les Dicalydons et les Verturions, qui, avec les Attacottes et les Scots, ravageaient tout. Dans les parties de l'île proches de la Gaule, les Francs et les Saxons opéraient des descentes sur les côtes. Théodose débarqua à Rutopie. De là, suivi des Bataves, des Hérules, des Joviens et des Victorins, il gagna l'ancienne cité de Londres, appelée depuis Augusta. Il divisa sa troupe en plusieurs corps et, tombant sur les partis ennemis chargés de butin, les défit et leur enleva les hommes et le bétail qu'ils avaient pris. Il rentra ensuite en triomphe dans la ville. Il sembla à Théodose que le plus sûr, en fonction du nombre des nations auxquelles il avait affaire, était d'agir par surprise. Les aveux des prisonniers et les renseignements des transfuges le confirmèrent dans cette opinion. Il promit l'impunité aux déserteurs qui reviendraient et rappela les soldats en congé. Presque tous rejoignirent au premier avis. L'Afrique était aussi désolée par les barbares. Les maux du pays, dus au relâchement de la discipline, étaient aggravés par la cupidité du comte Romain. Haï pour sa cruauté, cet homme l'était plus encore pour sa façon de devancer les ravages de la guerre et de mettre ensuite ses vols au compte de l'ennemi. Il était protégé par son parent Rémige, maître des offices, qui avait l'art de présenter à Valentinien sous un jour favorable la condition de l'Afrique. Un des torts de Valentinien est d'avoir favorisé l'arrogance de l'armée. Impitoyable pour les soldats, il fermait les yeux sur les vices des chefs. A cette époque, des bandes d'Isauriens désolaient la Pamphylie et la Cilicie sans trouver de résistance. Cela émut le lieutenant d'Asie, Musonius. Il rassembla des éléments de la milice connue sous le nom de Diogmites. Mais il ne put éviter une embuscade où tous périrent avec lui. Cela tira enfin nos troupes de leur torpeur. On fit justice d'un certain nombre des brigands et les autres furent relancés dans leurs repaires, si bien que, ne trouvant plus ni repos ni subsistance, ces barbares, sur le conseil des habitants de Germanicopolis, demandèrent la paix. Ils livrèrent des otages, après quoi ils restèrent longtemps calmes. Rome était alors sous l'excellente administration de Prétextat. Son autorité mit fin au schisme qui divisait les chrétiens. Ursin fut expulsé. La tranquillité régna dès lors dans la ville. Le préfet fit disparaître les usurpations de la voie publique, purgea les temples des constructions parasites, établit dans tout son ressort l'uniformité de poids et mesure, seul moyen d'empêcher les exactions et les fraudes dans le commerce. Pendant une absence de Valentinien, un prince alaman nommé Rando s'introduisit dans Moguntiacum. C'était le jour d'une grande fête chrétienne. Le barbare fit de nombreux prisonniers et s'empara d'un riche butin. Tous les moyens étaient mis en œuvre pour nous débarrasser du fils de Vadomaire, Vithicab, qui soulevait contre nous ses compatriotes. Il finit par succomber, à notre instigation, sous les coups d'un de ses domestiques. Sa mort freina quelque temps les hostilités mais l'assassin se réfugia sur le territoire romain. Une campagne contre les Alamans allait s'ouvrir. Nos soldats étaient fatigués d'être perpétuellement tenus sur le qui-vive par cette nation. Le comte Sébastien reçut l'ordre de participer avec les troupes qu'il commandait en Italie et en Illyrie et, dès la fin de l'hiver, Valentinien et son fils franchirent le Rhin. On s'avança en carré, les deux empereurs au centre, les généraux Jovin et Sévère sur les deux ailes. Plusieurs jours se passèrent ainsi et, ne trouvant rien à combattre, on incendiait les maisons et les cultures. L'empereur continua sa marche jusqu'à un lieu nommé Solicinium. Là il s'arrêta, averti par ses éclaireurs que l'ennemi était en vue. Les barbares avaient compris que leur seule chance de salut était de reprendre l'offensive et s'étaient postés sur la montagne. Nos lignes, sur ordre de l'empereur, se tinrent immobiles. Sébastien occupa le revers septentrional de la montagne, manœuvre qui lui livrait les fuyards si les Germains avaient le dessous. Gratien, trop jeune, resta à l'arrière-garde. Valentinien passa l'inspection des troupes puis renvoya son escorte et courut reconnaître le terrain. Mais il s'égara dans un marécage et faillit tomber dans une embuscade. Dès que l'armée eut pris quelque repos, le signal fut donné. Deux jeunes guerriers d'élite devancèrent leurs bataillons, invitant leurs compagnons à les suivre. Le gros de l'armée parvint sur leurs traces, à travers les buissons et les rochers, à gagner les hauteurs. Alors la lutte s'engagea. Les barbares se troublèrent en voyant notre front de bataille les enfermer dans ses deux ailes. Ils continuèrent à se battre mais l'ardeur romaine l'emporta. Les ennemis voulurent fuir mais furent rejoints par les nôtres. Ce fut un massacre. Parmi ceux qui quittèrent le champ de bataille vivants, une partie se heurta à Sébastien qui les attendait au pied de la montagne et fut taillée en pièces. Le reste se réfugia dans la forêt. Nous eûmes des pertes sensibles. Après cette victoire chèrement achetée, on reprit les quartiers d'hiver, l'armée dans ses cantonnements, les deux empereurs à Trèves. Vulcace Rufin venait de mourir. On appela à la préfecture du prétoire Probus, recommandé par ses richesses, bien ou mal acquises. Après la mort de Julien et le honteux traité qui l'avait suivie, une apparente concorde régna quelque temps entre nous et le roi de Perse. Mais il ne tarda pas à fouler aux pieds ce pacte comme s'il cessait d'être valable avec la mort de Jovien et il étendait la main sur l'Arménie, employant tour à tour la ruse et la violence. Parvenu à attirer le roi Arsace dans un festin, il lui fit crever les yeux. Relégué dans un fort, Arsace fut finalement tué. Sapor ne s'en tint pas là. Il chassa Sauromace, qui tenait de nous le sceptre d'Ibérie, et le remplaça par Aspacuras. Pour comble d'insolence, il conféra l'autorité sur l'Arménie entière à deux transfuges, l'eunuque Cylace et Arrabanne, leur ordonnant de détruire Artogérasse, ville forte où était enfermés la veuve, le fils et le trésor d'Arsace. Le siège commença. Mais le site de la place et le climat rendaient les opérations impraticables en hiver. Cylace, en sa qualité d'eunuque, savait s'y prendre avec les femmes. Arrabanne et lui se présentèrent devant la ville et purent entrer. Ils tentèrent d'effrayer la reine et la garnison en insistant sur la violence de Sapor et sur la nécessité de le fléchir par une prompte soumission. Mais ces négociateurs, touchés par les larmes de la reine, voyant peut-être de ce côté de plus grandes récompenses, changèrent de plan et nouèrent une secrète entente avec les assiégés. On convint d'une sortie nocturne de la garnison contre le camp et ils retournèrent dire à l'armée que les assiégés demandaient deux jours pour délibérer. La nuit, une troupe se glissa dans le camp et y fit un grand carnage. Le ressentiment de Sapor s'accrut lorsqu'il apprit l'évasion de Papa, fils d'Arsace, et l'accueil fait au fugitif par Valens, l'empereur lui ayant assigné pour résidence la ville de Néocésarée dans le Pont. Cylace et Arrabanne envoyèrent une députation à Valens. Ils demandaient Papa pour roi et des secours. Les secours furent refusés mais le duc Térence eut mission de ramener Papa en Arménie pour y exercer le pouvoir, sans prendre le titre de roi pour éviter le reproche d'infraction au traité. Cette transaction exaspéra Sapor qui se mit à ravager l'Arménie. A son approche Papa s'enfuit avec Cylace et Arrabanne et gagna les montagnes qui séparent l'empire du territoire lazique. Pendant cinq mois ils déjouèrent les poursuites. Sapor comprit qu'il perdait son temps. Il incendia les arbres fruitiers, plaça des garnisons dans tous les forts qu'il contrôlait et revint vers Artogérasse qu'il emporta et brûla. La femme d'Arsace et ses trésors tombèrent en son pouvoir. Cela détermina l'envoi d'une armée avec Arinthée pour chef pour secourir l'Arménie au cas où les Perses y recommenceraient les hostilités. Mais Sapor travaillait à circonvenir Papa par ses émissaires. Il le grondait avec une bienveillance hypocrite sur l'ascendant excessif qu'il laissait prendre à Cylace et à Arrabanne. Le crédule prince donna tête baissée dans le piège, fit mettre à mort ses deux ministres et envoya leurs têtes à Sapor en signe de soumission. Mais les Perses étaient été intimidés par l'approche d'Arinthée. Ils envoyèrent une ambassade à l'empereur pour lui demander, aux termes du traité conclu avec Jovien, de ne pas intervenir. Cette demande fut repoussée et Térence, avec douze légions, alla replacer Sauromace sur le trône d'Ibérie. Le prince arrivait au fleuve Cyrus lorsque Aspacuras, son cousin, vint le supplier d'accepter qu'ils règnent ensemble. Il appuyait sa proposition sur l'impossibilité pour lui, dont le fils était otage chez les Perses, de faire cause commune avec les Romains. L'empereur jugea qu'il était prudent de ne pas envenimer la querelle et accepta le partage de l'Ibérie. Le Cyrus fut fixé comme frontière. Sauromace régna sur les Lazis et le territoire limitrophe de l'Arménie, Aspacuras sur celui qui confine à l'Albanie et à la Perse. Sapor, considérant le pacte rompu, se prépara à entrer en campagne. Pendant ce temps, les massacres recommençaient à Rome. Maximin, vicepréfet Rome, était né à Sopiana, en Valérie. Son père était greffier et venait de la nation des Carpis que Dioclétien avait fait transporter en Pannonie. Après une éducation médiocre, il avait été administrateur de la Corse, de la Sardaigne puis de la Toscane. De là il fut appelé aux fonctions de préfet des subsistances à Rome. Trois choses le tinrent en bride au début. D'abord, son père lui avait prédit qu'il parviendrait au poste le plus élevé mais qu'il mourrait de la main du bourreau. Ensuite, il était lié à un magicien sarde qui savait évoquer les mânes des suppliciés et la crainte d'une indiscrétion le força, tant que celui-ci vécut, à se montrer humain. Enfin il tenait du serpent et, comme lui, savait ramper jusqu'au moment de s'élancer sur ses victimes. Une plainte pour empoisonnement avait été portée devant le préfet Olybrius par Chilon, lieutenant d'Afrique, et Maxima, sa femme, contre le luthier Séricus, le maître d'escrime Asbolius et l'haruspice Campensis. Les prévenus avaient été arrêtés mais, l'infirmité du préfet faisant traîner l'affaire, les plaignants obtinrent qu'elle soit attribuée au préfet des subsistances. La férocité de Maximin se révéla alors. Des aveux obtenus par la torture compromirent quelques noms illustres. Un rapport exagéré fut aussitôt fait à Valentinien qui décréta que la torture pourrait être appliquée à tous. On donna à Maximin l'intérim de la préfecture et on lui adjoignit Léon, un brigand pannonien. Le signal des meurtres judiciaires était donné. Parmi les condamnations, il y en eut d'atroces. L'avocat Marin fut condamné à mort sans débats pour avoir usé de pratiques illicites afin d'obtenir la main d'une femme. Le sénateur Céthégus, sur un soupçon d'adultère, eut la tête tranchée. Alypius, jeune homme de noble famille, paya de l'exil une peccadille. D'autres moins distingués furent remis au bourreau. Une disette étant apparue à Carthage, le proconsul Hymétius avait ouvert aux habitants les greniers affectés à l'approvisionnement de Rome et avait ensuite profité d'une bonne récolte pour rétablir une quantité de grains égale à celle qu'il avait prise. Comme le froment avait été livré à un écu d'or les dix boisseaux et racheté à un écu les trente, l'opération présentait au profit du trésor une différence qu'il y fit verser. Il fut pourtant soupçonné de détournement et une partie de ses biens fut confisquée. Une coïncidence aggrava la chose. L'haruspice Amantius était traduit en justice sur une dénonciation anonyme comme ayant été appelé en Afrique par Hymétius pour faire un sacrifice dans des vues criminelles. Une perquisition fit découvrir un écrit de la main d'Hymétius où l'haruspice était invité à employer les formes religieuses de supplications pour adoucir à son égard les deux empereurs. Mais l'écrit se terminait par des commentaires sur l'avarice de Valentinien. Les juges en référèrent au prince et reçurent en retour l'ordre de pousser l'enquête. Frontin, conseiller d'Hymétius, convaincu d'avoir aidé à la rédaction de la pièce, fut relégué en Bretagne. Amantius fut condamné à mort. On regardait l'accusé comme perdu mais le droit qu'il fit valoir d'être jugé par l'empereur le sauva. Valentinien le renvoya devant le sénat qui examina l'affaire sans passion et ne prononça contre lui qu'un simple exil en Dalmatie, ce qui mit le prince en fureur. Le sénat supplia l'empereur de rétablir la juste proportion entre les délits et les peines. Valentinien cria à la calomnie. En quoi il fut contredit par Eupraxe, dont le courage fit reculer le prince. Maximin fit le procès du jeune Lollien, fils de l'ex-préfet Lampade, coupable d'avoir copié un recueil de formules magiques. Sa tête tomba. Les femmes n'était pas épargnées. Plusieurs périrent sous l'imputation d'adultère ou d'inceste, dont Claritas et Flaviana. La première fut conduite au supplice nue. Deux sénateurs, Paphius et Cornélius, qui avouèrent s'être mêlés de maléfices, furent exécutés. Le procurateur de la monnaie eut le même sort. Séricus et Asbolius, furent assommés à coups de balles de plomb attachées à des lanières. Maximin, pour obtenir d'eux des révélations, leur avait garanti que le fer ni le feu ne serait utilisé contre eux. Mais il livra aux flammes l'haruspice Campensis. Maximin n'était encore que préfet des subsistances que son audace allait jusqu'à braver l'autorité de Probus, le préfet du prétoire. Aginace, vexé de s'être vu préférer Maximin par Olybrius pour la direction des enquêtes, prit parti pour Probus et insinua qu'il fallait réprimer un subalterne insolent. Probus eut peur et dit tout à Maximin. La rage de celui-ci fut extrême. Une occasion se présentait pour perdre Aginace, il en profita. Après la mort de Victorin, Aginace, qui était un de ses héritiers, menaça d'un procès sa veuve, Anepsia. Celle-ci, pour s'assurer la protection de Maximin, lui fit croire que son mari avait fait en sa faveur un legs de trois mille livres. La cupidité de Maximin s'enflamma et il réclama la moitié de l'héritage. Mais c'était trop peu. Il s'avisa d'un moyen pour s'approprier la plus grosse part de ce patrimoine, ce fut de demander en mariage pour son fils une fille qu'Anepsia avait eue d'un premier lit et l'affaire fut bientôt conclue. Voilà quel spectacle donnait à Rome cet homme dont le nom seul fait frémir. Maximin fut appelé à la cour pour être nommé préfet du prétoire. Ses victimes n'y gagnaient rien. Il tuait comme le basilic, à distance. Ursicin, son successeur, inclinait à la douceur. Scrupuleux observateur des formes légales, il voulut en référer à l'empereur sur l'affaire d'Esaias et de plusieurs autres, accusés d'adultère sur la personne de Rufina, et qui, de leur côté, intentaient contre Marcellus, le mari de cette dernière, une accusation de lèse-majesté. La circonspection d'Ursicin fut traitée de faiblesse. On mit à sa place Simplicius, un conseiller de Maximin. Il commença par faire mourir Rufina et tous ceux qu'atteignait l'accusation d'adultère. On le vit ensuite procéder contre une infinité d'autres prévenus. Il se faisait un point d'honneur de dépasser Maximin dans la destruction des familles patriciennes. Cela faisait si peur qu'une dame noble nommée, pour se dérober à une accusation, se suicida. L'opinion désignait deux hommes, Eumène et Abiénus, comme ayant entretenu un commerce illicite avec Fausiana. Ils tremblèrent en voyant arriver Simplicius et se cachèrent en apprenant qu'on avait condamné Fausiana. Abiénus fut trahi par un esclave. Des appariteurs allèrent aussitôt arracher ces infortunés à leurs retraites et Abiénus, sous l'imputation aggravante d'un nouvel adultère avec Anepsia, fut envoyé à la mort. Celle-ci, pour se sauver, déclara que c'était par des sortilèges et chez Aginace que cela s'était passé. Aussitôt Simplicius le rapporta à l'empereur. Maximin était là. Le favori obtint facilement du prince un ordre de mort. Mais comme Simplicius avait été son conseiller, la peur qu'on ne fasse remonter jusqu'à lui responsabilité d'une condamnation prononcée contre un patricien empêcha un moment Maximin de se dessaisir du décret impérial. Il trouva un certain Doryphorien, un Gaulois, qui prit tout sur lui. Maximin lui confia le décret. Il gagna Rome et chercha comment ôter la vie à un sénateur sans recourir à l'autorité locale. Aginace était gardé dans sa maison de campagne. Doryphorien décida qu'Anepsia et lui comparaîtraient en sa présence de nuit, quand l'esprit se trouble plus aisément. Uniquement préoccupé d'accomplir sa tâche, le juge, ou plutôt le brigand, dès qu'Aginace fut amené devant lui, fit torturer ses esclaves. Une servante laissa échapper quelques mots équivoques. Ce fut assez pour motiver l'ordre de traîner Aginace au supplice. Anepsia eut le même sort. Maximin paya son insolence de sa tête, sous le règne de Gratien. Simplicius fut massacré en Illyrie. Quant à Doryphorien, le prince ne tarda pas à le faire périr. Valentinien fortifia le cours du Rhin de la Rhétie à l'océan Germanique, jetant même çà et là sur l'autre rive des ouvrages avancés. Un de ces forts, situé sur les bords du Nicer, lui paraissant menacé par les eaux. Aussitôt les ingénieurs furent appelés et une partie de l'armée fut employée à détourner la rivière. Valentinien distribua ensuite l'armée dans ses quartiers d'hiver et revint s'occuper du gouvernement. Convaincu que son système de défense devait comprendre le mont Pirus, situé en territoire barbare, il décida d'y construire un fort. Et comme la rapidité était pour beaucoup dans la réussite, il fit donner par le notaire Syagrius l'ordre au duc Arator de s'emparer de ce point avant que le projet soit éventé. Le duc alla immédiatement sur place mais, au moment où il commençait les terrassements, arriva Hermogène qui le remplaça. Au même instant parurent des notables alamans, les pères des otages que nous avions reçus en gage de paix. Ils supplièrent les nôtres de ne pas violer la foi jurée. Mais leur protestation fut vaine. Voyant qu'on ne les écoutait pas, ils se retirèrent, pleurant d'avance la mort de leurs enfants. A peine avaient-ils disparu qu'un corps de barbares tomba sur nos soldats et les massacra tous. Il ne resta pour porter la nouvelle que Syagrius. La Gaule fourmillait de bandits. Loin de là, les habitants de Maratocypre, près d'Apamée, désolaient la Syrie. Une troupe de ces scélérats, déguisés en officiers du fisc, un faux magistrat en tête, entra un soir dans la demeure d'un notable et se jeta sur le propriétaire. Surpris, les domestiques ne songèrent même pas à se défendre. Les brigands en tuèrent un certain nombre et disparurent avant le jour, emportant du logis ce qu'il contenait de plus précieux. Sur ordre de l'empereur, ils furent encerclés et détruits jusqu'au dernier. On n'épargna pas même les enfants, de peur qu'ils ne suivent l'exemple de leurs pères. Théodose repartit de Lundinium. Sa présence rétablissait notre situation en Bretagne. Il savait s'assurer l'avantage du terrain et se montrait intrépide soldat autant que capitaine habile. Partout il dispersa les barbares et il eut bientôt rétabli les forts construits en d'autres temps pour assurer la tranquillité de l'île. Il se tramait cependant contre lui un complot qui aurait été funeste s'il ne l'avait étouffé dans son germe. Un certain Valentin, né en Pannonie Valérienne, et beau-frère de Maximin, avait été exilé en Bretagne pour crime. Il considérait Théodose comme un obstacle à ses projets. Il essaya de séduire les exilés et les soldats par des promesses mais, au moment où la conspiration allait éclater, Théodose, instruit de ces menées, ordonna au duc Dulcitius de le tuer avec quelques-uns de ses complices. Il comprit que pousser plus avant les recherches serait réveiller des troubles assoupis. Ce péril surmonté, Théodose se livra aux réformes qu'exigeait l'état du pays. Il reconstruisit les villes, établit des camps retranchés et protégea les frontières. La province était rendue à sa domination légitime et prit le nom de Valentia qui donnait au prince l'honneur de ces résultats. Théodose expulsa les Arcani, dont l'institution remonte à nos ancêtres. Ils avaient trahi plus d'une fois le secret de nos mesures tandis que leur rôle était au contraire de nous avertir des mouvements de l'étranger. Après cela un ordre de la cour rappela Théodose. Il fut bientôt rendu près de l'empereur qui, après l'avoir félicité, lui conféra la maîtrise de la cavalerie où il remplaça Valens Jovin. A Rome, la préfecture d'Olybrius fut tranquille. Il mettait soin à ne blesser personne. Jamais calomniateur ne trouva grâce devant lui. Il rogna de son mieux les ongles du fisc, sut se montrer habile autant qu'intègre et adoucir la condition des subordonnés. Il était cependant trop livré au goût des spectacles et au plaisir des sens. Après lui vint Ampélius, natif d'Antioche, homme de mérite. Plus de fermeté lui aurait valu la gloire d'avoir réformé l'intempérance publique et le penchant de la population à la gourmandise. Les Saxons franchirent l'Océan et massacrèrent des sujets romains. Le comte Nanniénus soutint le premier choc. Mais les barbares se battaient en désespérés. Il perdit beaucoup de monde. Blessé lui-même et trop affaibli pour tenir longtemps, il en informa l'empereur qui envoya Sévère, maître de l'infanterie, à son secours. L'arrivée de ce général effraya l'ennemi qui implora le pardon. On hésita avant d'accepter mais on reconnut enfin que c'était à notre avantage. Une trêve fut conclue et les Saxons, après nous avoir livré une partie de leur jeunesse, retournèrent d'où ils étaient venus. Cependant un détachement d'infanterie les devança et alla prendre une position d'où on pouvait les accabler. L'embuscade se montra trop tôt et prit la fuite sans avoir pu se former. Les nôtres auraient succombé si leurs cris n'avaient attiré un escadron de cataphractes. L'ennemi fut passé au fil de l'épée. En stricte justice, un tel acte s'appelle déloyauté. Mais comment faire un crime à Rome d'avoir saisi l'occasion d'écraser un nid de bandits ? Valentinien voulait humilier les Alamans et le roi Macrien dont les incursions tenaient l'empire en alarme. Cette nation avait, malgré ses échecs, tellement augmenté qu'elle semblait avoir eu de plusieurs siècles de paix. L'empereur décida de jeter contre eux les Burgondes. Une correspondance discrète eut lieu avec les rois de ceux-ci. Valentinien promettait de passer le Rhin et de prendre à revers les Alamans. Les Burgondes n'avaient pas oublié leur origine romaine. Ensuite ils avaient avec les Alamans des démêlés touchant leurs frontières et la propriété de certaines salines. Ils s'avancèrent donc jusqu'au Rhin. L'empereur n'était pas au rendez-vous. Les Burgondes lui envoyèrent une députation, demandant que leur retraite soit protégée contre un retour des Alamans. On mit à leur répondre des lenteurs qui équivalaient à un refus. Les députés se retirèrent indignés et leurs rois, furieux, rentrèrent chez eux après avoir fait massacrer leurs captifs. Le nom des rois chez ce peuple est Hendinos. La coutume veut qu'ils soient déposés si la chance les abandonne à la guerre ou si la récolte vient à manquer. Chez les Burgondes le grand prêtre s'appelle Sinistus. Le sacerdoce est à vie. Cette diversion, quoi qu'il en soit, avait produit chez les Alamans une frayeur dont Théodose profita. Il les attaqua du côté de la Rhétie, leur tua beaucoup de monde et fit des prisonniers qui, sur ordre de l'empereur, furent dirigés sur l'Italie et constitués en colonie dans les campagnes arrosées par le Po. XIII - Affaires de Tripolitaine En Tripolitaine, les Austoriani, redoutable tribu barbare, avait repris ses pillages. Un des leurs, nommé Stachao, convaincu de menées pour livrer la province à ses compatriotes, avait été condamné à être brûlé vif. Sous prétexte de le venger, ils se répandirent hors de leurs frontières. Jovien régnait encore à cette époque. L'invasion respecta la ville de Leptis mais les environs furent pillés. Les Austoriani égorgèrent les paysans, brûlèrent ce qu'ils ne purent emporter et repartirent chargés de butin. Les Leptitains demandèrent du secours au comte Romain qui venait d'être nommé à la tête de l'Afrique. Celui-ci vint mais refusa d'entrer en campagne avant qu'on ait mis à sa disposition des vivres et quatre mille chameaux. Les Leptitains protestèrent de leur impuissance, ruinés comme ils l'étaient, à remplir cette condition. Le comte séjourna quarante jours chez eux puis repartit. C'était la session du conseil provincial de Leptis qui s'assemble une fois l'an. On y désigna deux députés, Sévère et Flaccien, chargés d'offrir à Valentinien, comme don de joyeux avènement, des figurines de la Victoire en or et de lui exposer les souffrances de la province. Le comte, informé, envoya un courrier à Rémige, maître des offices, son parent et complice, lui demandant de faire en sorte que la connaissance de l'affaire soit attribuée à lui, Romain. Les députés remirent au prince un mémoire. Comme il contredisait les renseignements du maître des offices, on remit à plus ample informé la décision de l'affaire qui dut passer par tous les atermoiements par lesquels les intermédiaires du pouvoir ont coutume d'endormir sa justice. Les Tripolitains attendaient avec anxiété. Là-dessus, de nouvelles bandes leur tombèrent dessus. Les campagnes de Leptis et d'Oéa furent ravagées. L'invasion ne rencontra pas d'obstacle car les pouvoirs militaires venaient d'être dévolus à Romain. Une relation de ce nouveau désastre parvint au prince et lui causa une vive émotion. Il envoya aussitôt le tribun Pallade avec la double mission d'acquitter la solde due aux cantonnements d'Afrique et d'enquêter sur ce qui s'était passé en Tripolitaine. Les Austoriani revinrent, tuèrent ceux qui ne purent fuir assez vite, emportèrent le butin dont ils n'avaient pu se charger lors des précédents pillages et coupèrent les arbres et les vignes. Un notable nommé Mychon fut surpris dans sa maison de campagne. Une infirmité l'empêchant de fuir, il se jeta dans un puits sec d'où les barbares le tirèrent. Ils le traînèrent jusque sous les murs de la ville et sa femme paya une rançon. Alors on le hissa sur le rempart avec une corde. Les brigands attaquèrent même Leptis. Le siège dura huit jours puis les assaillants, voyant qu'ils perdaient inutilement du monde, se retirèrent. La position des habitants n'en était pas moins critique. Sans nouvelles des députés, ils chargèrent Jovin et Pancrace de prévenir le prince. A Carthage, ils rencontrèrent leurs prédécesseurs qui dirent qu'ils étaient renvoyés devant le comte. Les nouveaux commissaires poursuivirent leur voyage. Pallade arriva en Afrique. Romain envoya aussitôt un de ses hommes aux chefs de corps, leur conseillant de lui faire des cadeaux sur les fonds de la solde. La manœuvre réussit. Pallade, empochant l'argent, s'achemine vers Leptis et se fit accompagner d'Erechthius et d'Aristomène, magistrats de la ville, sur le théâtre des dévastations. Il vit de ses yeux toutes les misères de la province et déclara qu'il dirait la vérité au prince. Alors Romain le menaça d'un rapport sur les détournements de solde à son profit. Pallade, de retour près du prince, lui dit que les Tripolitains se plaignaient sans raison. Il fut renvoyé en Afrique avec Jovin, seul membre restant de la seconde députation, pour statuer sur la nouvelle demande. Valentinien ordonna aussi qu'Erechthius et Aristomène aient la langue coupée pour les propos tenus devant Pallade. Celui-ci se rendit à Tripoli où Romain, bien informé, envoya un agent avec son conseiller Caecilius, originaire de la province. Ils surent si bien circonvenir les membres du conseil qu'ils se tournèrent contre Jovin, prétendant que celui-ci n'avait reçu aucune mission. Jovin fut obligé, pour sauver sa tête, de dire qu'il avait menti. Au retour de Pallade, l'empereur prononça la peine capitale contre Jovin, Célestin, Concordius et Rurice. Celui-ci subit sa peine à Sétif. Les autres furent exécutés à Utique. Les soldats accablèrent Flaccien d'injures et faillirent le massacrer. Ils lui criaient que si les Tripolitains étaient restés sans défense, ils ne devaient s'en prendre qu'à eux-mêmes. L'infortuné fut jeté en prison. Mais tandis que l'empereur hésitait sur ce qu'on devait faire de lui, il s'évada. La malheureuse province ne put que se résigner. Mais vint la vengeance. Pallade, disgracié, était rentré dans l'ombre quand Théodose fut envoyé en Afrique pour réprimer la révolte de Firmus. Une enquête ordonnée par le général fit découvrir dans les papiers de Romain une lettre d'un certain Métère où il était dit que la destitution de Pallade était due à ses mensonges sur l'affaire de Tripoli. La lettre fut envoyée à la cour et Valentinien fit arrêter Métère. Pallade se pendit, profitant de l'absence de ses gardiens qui étaient à l'église pour une grande fête chrétienne. Erechthius et Aristomène sortirent de leurs cachettes. Valentinien étant mort, ils dirent tout à l'empereur Gratien, furent renvoyés devant le proconsul Hespérius et le lieutenant Flavien et trouvèrent cette fois l'intégrité. La torture arracha à Caecilius l'aveu d'avoir dicté aux membres du conseil de Tripoli l'accusation de fraude contre leurs députés. Tout fut mis au grand jour. Romain se rendit à la cour pour accuser les enquêteurs de partialité. Il sollicita la comparution de plusieurs témoins à sa dévotion mais ceux-ci déposèrent de façon à se mettre hors de cause. Quant à Rémige, un nœud coulant mit fin à ses jours. Au printemps, Sapor entra en campagne. Le comte Trajan et Vadomaire, ex-roi des Alamans, marchèrent contre lui mais leurs instructions étaient de s'en tenir à la défensive. En conséquence, arrivés à Vagabanta, ils reculèrent, évitant l'effusion du sang ennemi afin que la violation du traité ne puisse leur être imputée. Contraints finalement d'accepter le combat, la victoire leur resta. Le reste de la saison se passa en escarmouches puis une trêve fut conclue. Sapor alla hiverner à Ctésiphon et Valens revint à Antioche. Là, il faillit succomber sous les coups d'ennemis de l'intérieur. Fortunatien, trésorier du domaine privé, menait une enquête sur les intendants Anatole et Spudase. Un nommé Procope leur mit en tête de se défaire de lui. Fortunatien l'apprit. Il livra aussitôt au préfet du prétoire un certain Pallade, soupçonné d'être l'empoisonneur à gages de ses ennemis, et le tireur d'horoscope Héliodore. Mais, sous la torture, Pallade affirma que l'exprésident Fiduste, de concert avec Pergame et Irénée, était parvenu, par des conjurations, à connaître le nom du successeur de Valens. Fiduste fut arrêté. Il reconnut avoir eu des entretiens sur l'héritier du trône avec les devins Hilaire et Patrice. Ils avaient cru trouver dans Théodore la bonne personne. Il était issu d'une illustre famille des Gaules et avait reçu une éducation brillante. Doux, sage et modeste, il s'était toujours montré au-dessus des emplois qu'on lui avait confiés et s'était fait bien voir de ses supérieurs et de ses subordonnés. Fiduste, torturé, ajouta qu'il en avait fait part à Théodore par l'entremise d'Eusère qui avait récemment administré l'Asie comme lieutenant des préfets. Eusère fut aussitôt emprisonné. La férocité de Valens s'enflamma. Le pire flatteur était Modeste, préfet du prétoire, qui poussa un jour l'adulation jusqu'à affirmer que l'empereur n'avait qu'à le vouloir pour faire comparaître les astres devant lui. Théodore fut arrêté à Constantinople. A son arrivée, le procès commença. Les jours de Valens avaient déjà été menacés. Voilà sans doute ce qui le justifierait de s'être armé contre la trahison mais qui n'excuse pas ce désir immodéré de vengeance qui lui fit confondre les innocents et les coupables. La précipitation fut poussée au point que souvent on délibérait encore sur la culpabilité que déjà le prince avait déterminé la peine. La cruauté de Valens était renforcée par sa cupidité. D'où cette foule d'innocents dont le patrimoine allait grossir le trésor de l'Etat ou l'épargne impériale. Le premier entendu fut Pergame qui accusait Pallade d'avoir lu l'avenir. Il se mit à révéler une série interminable de soi-disant complices. Comme sa déposition compliquait démesurément l'affaire, il fut mis à mort pour en finir. Quelques autres furent expédiés avec lui dans la même journée. C'était pour en venir plus vite à Théodore. Salia, ex-trésorier de Thrace, que l'on venait chercher pour subir son interrogatoire, mourut de peur. Patrice et Hilaire furent introduits. On les tortura et on leur présenta le trépied dont ils s'étaient servis pour leurs opérations magiques. Confondus, ils promirent une confession sans réserve. Hilaire raconta comment ils avaient fabriqué un trépied comme celui de Delphes et, après avoir récité des paroles et accompli les rites du cérémonial de consécration, ils s'en étaient servis pour lire l'avenir. On purifie la maison par des parfums d'Arabie, on place le trépied au centre et on met dessus un plateau rond sur le bord duquel sont gravées les lettres de l'alphabet. Une personne vêtue de lin et tenant à la main un rameau de verveine invoque le dieu de la divination. Elle tient suspendu au-dessus du plateau un anneau de fil de lin consacré suivant des rites mystérieux qui, en se balançant, s'arrête successivement sur les lettres. Cela forme des réponses aux questions posées. A leur question sur le nom du successeur à l'empire, l'anneau forma theo. Aussitôt l'un d'eux avait pensé à Théodore. Hilaire ajouta, à la décharge de Théodore, que tout s'était fait à son insu. On introduisit ensuite plusieurs accusés et on permit enfin à Théodore de s'expliquer. Il dit que plusieurs fois il avait voulu tout révéler à l'empereur mais qu'Eusère l'en avait détourné. Celui-ci confirma. Mais on produisit des lettres écrites par Théodore à Hilaire. Elles montraient qu'il avait confiance dans la prédiction et qu'il était impatient de sa réalisation. L'empereur réunit tous les accusés dans une même sentence de mort. Ils eurent la tête tranchée en présence d'une foule immense qui manifesta son horreur pour ce spectacle. II y eut une exception pour Simonide dont le courage avait exaspéré son juge qui le condamna au feu. On rassembla les livres et les cahiers trouvés dans diverses maisons et on les brûla comme traitant de sujets illicites. C'était essentiellement des ouvrages sur le droit ou les arts libéraux. Peu après Maxime, dont les leçons avaient tant contribué à l'éducation scientifique de l'empereur Julien, fut accusé d'avoir connu la prédiction. Il en convint mais affirma avoir dit que tous ceux qui avaient interrogé le sort périraient du dernier supplice. Il n'en fut pas moins conduit à Ephèse, sa patrie, pour y avoir la tête tranchée. Une accusation mensongère toucha également Diogène. Il avait été longtemps recteur de Bithynie. On le tua pour prendre ses richesses. Il n'y eut pas jusqu'au lieutenant honoraire de Bretagne, Alypius, le plus inoffensif des hommes, que la tyrannie n'alla chercher dans sa retraite. On l'accusa de magie sur l'unique déposition d'un nommé Diogène que la torture fit parler comme il plaisait au prince et qu'on brûla ensuite. Alypius, dépouillé de ses biens, fut envoyé en exil et son fils, sans raison, condamné à mort. Le hasard seul le sauva. Ainsi ce Pallade semait le deuil et les larmes. Dès qu'une dénonciation était lancée, des agents glissaient dans les affaires des prévenus quelque amulette de vieille femme, quelque recette pour préparer des philtres, autant de pièces à conviction devant des tribunaux qui ne distinguaient pas la réalité de la fraude. Partout, en Orient, on jetait ses livres au feu tant la peur était grande. Le notaire Bassien fut accusé d'avoir utilisé la divination. Il eut beau prouver ne l'avoir fait que pour connaître le sexe de l'enfant que portait sa femme, son patrimoine fut confisqué et il n'échappa à la mort que grâce au crédit de sa famille. L'associé de Pallade était Héliodore le mathématicien. Son effronterie redoubla lorsque le titre de chambellan lui ouvrit l'accès du gynécée. En sa qualité d'avocat, il aidait Valens à tourner ses phrases. Il alla jusqu'à intenter aux respectables frères Eusèbe et Hypace, alliés autrefois de l'empereur Constance, l'accusation de viser à l'empire. Héliodore disait qu'Eusèbe s'était déjà fait faire un costume impérial. Cette déposition excita la rage du despote. Aussitôt le procès fut entamé. L'innocence des accusés fut prouvée mais le calomniateur n'en fut pas moins honorablement traité par la cour. Quand Héliodore mourut, une foule de notables, convoqués exprès, dont Eusèbe et Hypace, suivirent son convoi. On obtint que l'empereur n'y participe pas mais il exigea que ce soit nue-tête et pieds nus que l'on escorte le cercueil de ce misérable. Encore un trait pour achever le caractère de Valens. Le tribun Numérius fut convaincu d'avoir éventré une femme enceinte et d'avoir arraché son enfant afin d'évoquer les mânes de l'enfer et de surprendre le secret de la succession à l'empire. Or, l'empereur n'eut pour lui que bienveillance et ce monstre se retira absous. La fatalité amena en Orient un certain Festus de Trente, ancien camarade de Maximin. Cet homme avait été administrateur en Syrie puis secrétaire des commandements et s'était fait dans ces postes une réputation de douceur et de respect des lois. Il devint ensuite proconsul d'Asie et jusque-là semblait destiné à n'attacher à son nom que de bons souvenirs. Le bruit des persécutions exercées par Maximin était venu jusqu'à lui et il blâmait cette conduite mais il vit que c'était ainsi que ce monstre s'était acquis des titres. Dès lors il n'eut qu'un désir, obtenir le même avancement par les mêmes voies. Il condamna à mort le philosophe Coeranius dont le crime était d'avoir écrit à sa femme une lettre qui finissait par un proverbe grec qui signifiait qu'il allait lui arriver quelque chose d'important. Il fit périr comme magicienne une pauvre vieille qui prétendait calmer la fièvre par le chant et que lui-même avait fait venir pour soigner sa fille. Une perquisition avait fait découvrir dans les papiers d'un notable un horoscope de Valens. Le malheureux eut beau dire que c'était celui d'un frère défunt qui s'appelait aussi Valens, Festus le fit mettre à mort. Un jeune homme qu'on avait vu au bain porter alternativement chaque doigt des deux mains sur sa poitrine en récitant les sept voyelles grecques, et qui croyait trouver dans cette pratique un remède aux maux d'estomac, mourut de la main du bourreau, après avoir subi la torture. En Gaule, Maximin avait la préfecture du prétoire. Sa présence fit que Valentinien donna libre cours à sa férocité naturelle. Un page qui avait lâché trop tôt un chien de chasse fut tué. Un ouvrier qui lui avait apporté une superbe cuirasse et s'attendait à une récompense fut mis à mort parce que l'armure était trop légère à son goût. Il envoya au supplice un prêtre chrétien pour avoir caché le proconsul Octavien qui était recherché. Il fit lapider Constancien qu'il avait envoyé en Sardaigne recevoir des chevaux et qui en avait remplacé quelques-uns de son autorité. L'avocat Africanus demandait son changement au terme de son administration dans une province. L'empereur répondit qu'on lui déplace la tête, et ce fut l'arrêt de mort d'un homme qui n'avait d'autre tort que d'avoir voulu de l'avancement. Les officiers Claude et Salluste furent accusés d'avoir dit du bien de Procope. Salluste fut exécuté et Claude exilé. Deux ourses étaient nourries de chair humaine dans des loges placées près de sa chambre à coucher. Mais on ne saurait contester la capacité de Valentinien. II aurait fait moins pour la sûreté de l'Etat par plusieurs victoires que par ce rempart qu'il opposa aux barbares. L'ennemi ne pouvait faire un mouvement sans être vu d'une forteresse et aussitôt refoulé. Sa préoccupation était le roi Macrien qui se sentait assez fort pour se poser en ennemi. Valentinien se renseigna puis, en tenant son projet secret, il jeta un pont sur le Rhin. Sévère, avec l'infanterie, s'avança jusqu'aux Aquae Mattiacae où il s'arrêta, inquiet de son isolement. Il fit tuer des marchands qui trafiquaient avec l'armée de peur qu'ils ne révèlent sa marche. L'arrivée du reste des troupes le rassura et on reprit la marche. L'échec vint des soldats que l'empereur ne put empêcher de piller. Les gardes de Macrien, réveillés par le bruit, disparurent avec lui dans les montagnes. Valentinien, frustré du succès qu'il escomptait, ravagea le territoire ennemi et revint à Trèves la rage au cœur. Là, il remplaça Macrien par Fraomaire comme roi des Bucinobantes, peuple alaman voisin de Mogontiacum. Plus tard, il l'envoya en Bretagne avec le grade de tribun et le mit à la tête d'un corps de ses compatriotes. Il donna aussi des commandements à deux autres chefs barbares, Bithéride et Hortaire. Plus tard, une correspondance de ce dernier avec Macrien fut surprise et il fut brûlé vif. XIV – Mort de Valentinien Nubel, principal roi de Mauritanie, venait de mourir, laissant plusieurs enfants. Zammac, un de ses fils qui avait la faveur du comte Romain, fut tué par son frère Firmus, ce qui causa la guerre. Roman fit à l'empereur des rapports venimeux contre Firmus. Le Maure finit par s'en apercevoir et prit le parti de se révolter. On envoya en Afrique le maître de la cavalerie Théodose. Parti d'Arles, il débarqua à Igilgili, en Maurétanie Sitifienne. Il y rencontra par hasard le comte Romain qu'il chargea d'organiser des postes avancés en Mauritanie Césarienne. Mais, dès que Romain fut parti, Théodose ordonna à Gildon, frère de Firmus, et à Maxime d'arrêter son lieutenant Vincent, complice de ses crimes. Dès que le corps expéditionnaire fut réuni, Théodose se rendit à Sitifis, où il enjoignit aux gardes de lui répondre de la personne de Romain. Firmus lui écrivit pour solliciter l'oubli de ce qui s'était passé. Il avait été poussé à la défection par une injustice. Théodose accepta, promit de négocier dès que Firmus aurait livré des otages et partit pour Pancharia où il avait donné rendez-vous aux légions d'Afrique. Il revint ensuite à Sitifis où il réunit toutes les forces du pays et, impatient des délais de Firmus, entra en campagne. Il avait supprimé toute fourniture de vivres aux troupes par la province, déclarant que les soldats ne devaient compter que sur les magasins de l'ennemi. Et il tint parole, à la grande satisfaction de tous. Théodose partit pour Tubusuptum, au pied du mont Ferratus, où il refusa de recevoir une ambassade de Firmus qui se présentait sans otages. De là il marcha contre les Tyndenses et les Massissenses que commandaient Mascizel et Dius, frères de Firmus. Le ravage de la région fut la suite de notre victoire. Le domaine de Pétra notamment, à qui Salmaces, un des frères de Firmus, avait donné presque les proportions d'une ville, fut détruit de fond en comble. Le vainqueur, après ce premier succès, s'empara de la ville de Lamfoctensis et y rassembla des approvisionnements. Mascizel, qui était parvenu à recruter chez les tribus voisines, s'attaqua de nouveau à nous et fut repoussé. Firmus voulut encore négocier. Des évêques vinrent de sa part implorer la paix et livrer des otages. Pour répondre au bon accueil qui leur fut fait, ils promirent des vivres et obtinrent une réponse favorable. Le prince maure vint lui-même, avec des présents, parler avec le général. Frappé par nos étendards et l'aspect martial de Théodose, il se prosterna, confessa ses torts et implora son pardon. Théodose le releva et l'embrassa. Firmus livra pour otages un certain nombre de ses parents et se retira, promettant de rendre tous ses prisonniers. Deux jours plus tard, il remit la ville d'Icosium et restitua en même temps tout le butin qu'il avait fait. Théodose fit son entrée à Tipasa. De là il se rendit à Césarée, autrefois opulente mais ne montrant plus que des décombres. Il y établit la première et la seconde légion, avec ordre de déblayer les ruines. Théodose acquit la certitude que Firmus voulait surprendre l'armée. Il quitta Césarée et occupa la petite ville de Sugabar, à mi-côte du mont Transcellensis. Il s'y trouvait des archers de la quatrième cohorte qui avaient combattu dans les rangs du rebelle. Le général se contenta de les renvoyer à Tigavia où il relégua également une partie de l'infanterie constantienne et ses tribuns, dont l'un avait placé son collier en guise de diadème sur la tête de Firmus. Sur ces entrefaites arrivèrent Gildon et Maxime, amenant avec eux Belles, un chef Mazive, et le préfet Férice qui avaient fait cause commune avec l'auteur des troubles. Il demanda à l'armée ce que méritaient les traîtres. Comme tous demandaient leur mort, il livra les déserteurs constantiens au glaive des soldats. Quant aux archers, leurs chefs eurent les mains coupées et les autres furent mis à mort. Théodose fit mourir aussi Belles et Férice. De là il gagna le fort de Tingis et tomba sur les Mazices. Le terrain fut bientôt jonché de leurs cadavres. Le reste tourna le dos et fut taillé en pièces dans sa fuite. Un petit nombre parvint à s'échapper et plus tard obtint l'amnistie. Avec la confiance inspirée par ses succès, Théodose se porta contre les Musones, tribu de pillards du parti de Firmus. Près d'Addense, il apprit que se formait contre lui une coalition de peuples que lui suscitait Cyria, sœur de Firmus. Il n'avait que trois mille cinq cents hommes et c'était risquer sa perte que d'affronter une telle multitude. Il opéra un mouvement en arrière que changea bientôt en retraite l'impétuosité des masses qu'il avait devant lui. Les barbares le poursuivirent et il dut accepter le combat. C'en était fait de lui quand tout à coup les rangs ennemis s'ouvrirent à l'approche d'un corps d'auxiliaires mazices précédés de quelques soldats romains. Théodose put ainsi gagner le domaine de Mazuca où il fit encore un exemple de quelques déserteurs. Les uns furent brûlés vifs, les autres eurent les mains coupées. En février suivant, il était devant Tipasa. Il y resta longtemps, attendant le moment favorable pour tomber sur l'ennemi. Ses émissaires parcouraient le pays des Baiures, des Cantauriens, des Avastomates, des Cafaves, des Bavares, employant pour obtenir leur concours l'argent, les menaces et la promesse de pardon. Firmus vit alors sa perte imminente. Ne se fiant plus à ses forteresses, il abandonna ses hommes pour se réfugier dans les monts Caprariens. Sa disparition entraîna la dispersion de ses troupes et la prise de son camp. Le vainqueur, à mesure qu'il traversait le territoire d'une tribu, laissait derrière lui l'autorité dans des mains sûres. Le rebelle s'enfuit presque seul. Théodose ne fit de quartier à aucun de ceux qui tombèrent entre ses mains. Il battit sans peine les Caprariens et les Abannes. Il apprit que l'ennemi avait pris position sur des crêtes peu accessibles. Il dut reculer et les barbares profitèrent de ce répit pour tirer des renforts des peuplades éthiopiennes voisines. Ils se ruèrent alors sur les nôtres. Théodose, trop prudent pour accepter le combat dans de telles conditions, se contenta d'appuyer de côté en bon ordre et occupa la ville de Contensis que Firmus avait choisie pour en faire un dépôt de prisonniers. Averti que Firmus était chez les Isaflenses, il entra sur leur territoire. Une rencontre sanglante eut lieu. Les barbares montrèrent une telle furie que Théodose recourut à l'ordre de bataille circulaire. Les Isaflenses furent vaincus. Firmus ne dut la vie qu'à son cheval. Son frère Mazuca, blessé, fut pris. On voulait l'envoyer à Césarée mais il parvint à se donner la mort en élargissant lui-même sa plaie. Sa tête fut montrée aux habitants de la ville qui la virent avec joie. Le vainqueur fit ensuite payer à la nation sa résistance. Le riche Evasius, son fils Florus et quelques autres, convaincus d'avoir favorisé l'agitateur, périrent sur le bûcher. Théodose attaqua ensuite la tribu des Iubaleni, berceau du roi Nubel, père de Firmus. Mais il trouva sur son chemin de hautes montagnes et se replia sur la place forte d'Auzia. Les Iesalenses se soumirent et offrirent des secours en hommes et en vivres. Enfin Théodose voulut faire un dernier effort pour s'emparer du rebelle. Pendant un arrêt à Mediana, il apprit qu'il était retourné chez les Isaflenses. Alors, sans se laisser arrêter par ses premières craintes, il se porta contre eux. Un roi, nommé Igmacen, se présenta devant lui et lui demanda ce qu'il venait faire là. Théodose répondit qu'il était un des comtes de Valentinien, souverain de l'univers, qui l'envoyait le débarrasser d'un brigand. Et il lui ordonna de le livrer sans délai. Igmacen, à ces mots, se répandit en injures. Le lendemain, les deux armées s'ébranlèrent. Les barbares étaient presque vingt mille hommes et avaient des corps de réserve pour envelopper les nôtres. Ils comptaient même comme auxiliaires un assez grand nombre de ces Iesaleni qui nous avaient promis leur aide. Les Romains n'avaient à leur opposer qu'une poignée d'hommes. Ils serrèrent leurs rangs, unirent leurs boucliers en tortue et présentèrent un front inébranlable. Pendant le combat, qui se prolongea tout le jour, on ne cessa de voir Firmus sur un cheval, criant à nos soldats de lui livrer le tyran Théodose. Les uns n'en furent que plus animés à combattre, mais il y en eut qui lâchèrent pied. Aussi, à la nuit, Théodose en profita pour se retirer au poste fortifié d'Auzia. Là il passa son monde en revue et fit périr les soldats qui s'étaient laissé entraîner par les exhortations de Firmus. Certains eurent les mains coupées, d'autres furent brûlés vifs. Plusieurs attaques tentées dans l'ombre par les barbares furent repoussées. De là Théodose se porta du côté où il était le moins attendu contre les Iesalenses, dévasta leur pays puis retourna, par la Maurétanie Césarienne, à Sitifis où il fit brûler Castor et Martinien, deux complices de Romain. La guerre reprit avec les Isaflenses qui perdirent un monde considérable. Igmacen s'émut devant ce désastre. Il s'échappa furtivement de son camp et vint en suppliant se présenter devant Théodose qu'il pria de lui envoyer Masilla, un des chefs mazices, pour s'entendre avec lui. Théodose y consentit. Des pourparlers s'ouvrirent et Masilla lui fit savoir de la part d'Igmacen qu'il n'y avait qu'un moyen d'obtenir ce qu'on attendait de lui, c'était de pousser les hostilités avec vigueur et de réduire par la crainte sa nation qui n'avait que trop de tendance à favoriser le rebelle. L'avis cadrait bien avec le caractère de Théodose. Il porta de tels coups aux Isaflenses que la nation entière en vint à fuir comme un troupeau. Firmus aurait pu s'évader si Igmacen ne l'avait fait arrêter. Alors il comprit qu'il ne lui restait d'autre ressource que de se suicider. Une nuit, après s'être enivré, il se pendit. Cela contraria Igmacen qui s'était flatté de le conduire vivant au camp romain. Il fit néanmoins charger le cadavre sur un chameau. Le corps fut montré à Théodose qui en reçut l'hommage avec joie. Après cela, il revint à Sitifis et y fut reçu aux acclamations de la population entière. Pendant ce temps, un soulèvement éclata chez les Quades, nation qui, à voir sa faiblesse actuelle, laisse mal deviner quel fut jadis son esprit belliqueux. Valentinien, sitôt sur le trône, voulant fortifier la frontière, avait étendu ses travaux au-delà du Danube jusque sur le territoire quade, comme s'il appartenait aux Romains. Leur sentiment national en fut blessé. Maximin, qui ne cherchait qu'à nuire, taxa Equitius, qui commandait alors en Illyrie, de mollesse parce que les ouvrages n'étaient pas encore terminés. Son fils Marcellien fut nommé duc de Valérie et reprit les travaux suspendus. Gabinius, roi des Quades, le conjura de ne pas pousser les choses plus loin. Marcellien feignit de se radoucir et invita le roi à un festin. Mais, au mépris des droits les plus sacrés, il fit assassiner son hôte au moment où il se retirait. La nouvelle de ce guet-apens se répandit chez les Quades et les nations voisines. Leurs bandes, franchissant le Danube, tombèrent sur la population de l'autre rive occupée à la moisson, tuèrent plusieurs habitants et emmenèrent chez eux les autres, avec le bétail. La fille de l'empereur Constance, fiancée à Gratien et que l'on conduisait à son époux, faillit être enlevée à Pistrense. Mais Messala, recteur de la province, la fit monter dans son char et franchit avec elle les vingt-six milles qui les séparaient de Sirmium. La peur gagna la ville où résidait alors Probus en tant de préfet du prétoire. L'idée lui vint de fuir mais il n'en fit rien. La population aurait, à son exemple, cherché d'autres retraites et la ville, privée de défenseurs, serait tombée aux mains de l'ennemi. Revenu de sa frayeur, il fit déblayer les fossés, réparer les murailles et venir une cohorte d'archers pour défendre la ville en cas de nécessité. C'était assez pour ôter aux barbares l'idée d'un siège. Ils préférèrent poursuivre Equitius qui, selon les prisonniers, s'était enfui au fond de la Valérie. Ils le croyaient responsable de la trahison dont leur prince avait été victime. On envoya contre eux deux légions, la Pannonienne et la Mésiaque, bonnes troupes qui l'auraient emporté si elles avaient agi de concert. Mais une dispute mit la discorde entre elles Les Sarmates s'en aperçurent. Ils tombèrent sur la légion Mésiaque, lui tuèrent un grand nombre de soldats puis, enhardis, fondirent sur la légion Pannonienne qui fut presque anéantie. Pendant ce temps Théodose le Jeune, duc de Mésie, qui s'illustra depuis sur le trône, livrait des combats heureux aux Sarmates libres qu'on désigne ainsi pour les distinguer de leurs esclaves rebelles. Les survivants implorèrent la paix. Une trêve leur fut accordée et la présence d'un corps de Gaulois, envoyé pour renforcer l'Illyrie, contribua à la leur faire respecter. Pendant ce temps, le Tibre grossi par les pluies inonda Rome. Les collines seules dépassaient. Beaucoup seraient morts de faim si on n'avait organisé un service de bateaux pour leur porter la nourriture. Tandis qu'en Europe on assassinait le roi des Quades, l'Orient assistait à une trahison du même genre sur la personne de Pap, roi d'Arménie. Les actes de ce prince étaient travestis auprès de Valens par les gens qui exploitent les malheurs publics comme le duc Térence qui fut toute sa vie un fauteur de troubles. Il s'était associé à quelques malfaiteurs arméniens. Il présenta à l'empereur le gouvernement du prince comme une tyrannie, si bien que Pap fut convoqué à Tarse. Là, en affectant de le traiter en roi, on le retint, sans qu'il puisse voir l'empereur, ni obtenir aucune explication sur le motif qui rendait sa présence nécessaire. Enfin, il apprit que Térence disait à l'empereur qu'il fallait donner à l'Arménie un autre roi. Pap vit qu'on l'avait joué. Il choisit parmi ses hommes trois cents cavaliers et partit avec eux. On lança une légion sur ses traces. Pap fit volte-face avec ses cavaliers et envoya une volée de flèches en l'air qui suffit pour la mettre en déroute. Après deux jours, la troupe, arriva au bord de l'Euphrate. Personne ne savait nager. On se procura dans les maisons voisines des lits sous lesquels on assujettit des outres. Les nobles arméniens et le roi se risquèrent sur ces lits, tirant après eux leurs chevaux. Ils gagnèrent ainsi l'autre rive. Les autres passèrent à cheval et à la nage. Tous réussirent et continuèrent leur route. L'empereur fut consterné de cette évasion. Il mit en campagne le comte Daniel, Barzimère et mille archers avec ordre de lui ramener le fugitif. Ces deux officiers connaissaient bien le pays et, tandis que Pap perdait du temps, ils le devancèrent et lui tendirent une embuscade. Le hasard déjoua leur plan. Un voyageur voulut éviter les Romains et tomba au milieu des Arméniens. Conduit au roi, il lui dit ce qu'il avait vu. Pap envoya aussitôt un cavalier vers la droite, avec ordre de préparer des logements. Dès qu'il fut parti, il en dirigea vers la gauche un autre qui ne savait rien de la mission du premier. Cela fait, il s'engagea avec les siens, guidé par le voyageur, dans le sentier par où celui-ci était venu et laissa derrière lui ses ennemis qui, ayant capturé les deux hommes envoyés pour donner le change, croyaient n'avoir qu'à tendre les bras. Pendant qu'ils restaient à l'attendre, Pap rentrait dans ses Etats. Il y fut reçu avec joie et continua d'observer notre alliance avec fidélité. Un déluge de sarcasmes tomba sur Daniel et Barzimère à leur retour. Pour atténuer leur faute, ils prétendirent que Pap pratiquait la magie. Trajan commandait nos forces dans le pays. On lui confia la mission de tuer le roi d'Arménie. Il mit alors tout en œuvre pour le circonvenir, lui faisant lire des lettres rassurantes et prenant parfois place à sa table. Finalement, il l'invita à dîner. Pap vint. Le festin était somptueux, la salle retentissait de musique et les libations commençaient à échauffer les convives lorsque le maître du logis s'absenta. Alors un homme assassina le jeune prince. C'est ainsi que fut trahie l'hospitalité que respectent les barbares du Pont-Euxin eux-mêmes. Le coup fut ressenti par Sapor qui avait travaillé à se faire un allié de Pap. Il envoya Arsace à Valens comme ambassadeur et proposa d'effacer de la carte le nom d'Arménie, sujet éternel de discorde. Ou alors il demandait à l'empereur, si cela lui répugnait, la réunion de l'Hibérie en un seul royaume et la reconnaissance d'Aspacures, créature du roi de Perse, comme souverain de tout le pays qui devait être évacué par les troupes romaines. L'empereur répondit qu'il ne permettrait jamais une dérogation au pacte conclu et il crut bien faire en envoyant en Perse Victor, maître de la cavalerie, et Urbicius, duc de Mésopotamie, avec un ultimatum disant que si au printemps les troupes promises par Valens à Sauromaces rencontraient le moindre obstacle, il emploierait la force. Jusque-là rien que de légitime. Mais les ambassadeurs outrepassèrent leur mandat et prirent possession en Arménie de petites portions de territoire qui leur furent offertes. A leur retour arriva le Suréna, second pouvoir en Perse après le roi, qui venait proposer à l'empereur la concession du même territoire que les ambassadeurs avaient pris sur eux d'accepter. On lui fit une magnifique réception mais on le congédia sans qu'il ait rien obtenu et on se prépara à la guerre. L'empereur était décidé à entrer en Perse au printemps et négociait pour obtenir la coopération des Scythes. Sapor, furieux, ordonna au Suréna de reprendre les districts que s'étaient permis d'occuper les ambassadeurs et d'intercepter les troupes romaines envoyées à Sauromaces. Nous ne pûmes rien faire, les Goths venant d'entrer en Thrace. A cette époque, la Justice divine vengea les députés de Tripoli. Rémige, le complice du comte Romain, vivait près de Mogontiacum, son pays natal. Le préfet Maximin lui faisait subir toutes les vexations possibles. Rémige s'étrangla de ses propres mains. L'année suivante Valentinien s'occupait à bâtir le fort de Robur, près de Bâle, quand il reçut le rapport où Probus l'instruisait de la désolation de l'Illyrie. L'empereur voulait se rendre sur place mais on était à la fin de l'automne et tout le monde le suppliait d'ajourner l'expédition jusqu'au printemps. Les chemins durcis par les glaces, le manque de fourrage et de tout ce qui est indispensable à une armée s'opposaient à ce qu'on se mette en marche. Et puis on aurait laissé la Gaule face aux Alamans. Ces avis finirent par convaincre Valentinien. Macrin, qui semblait disposé à négocier, fut invité à un rendez-vous près de Mogontiacum. Au jour dit, on le vit se poser sur la rive, entouré des siens qui faisaient un fracas effroyable de leurs boucliers. L'empereur, monté sur des barques avec une escorte, s'approcha du bord. Lorsque les barbares eurent cessé leur tumulte, la conférence s'ouvrit et se termina par le serment réciproque d'observer la paix. Ce roi, jusque-là si hostile, sortit de cette entrevue notre allié et fut loyal jusqu'à la fin de sa vie. Valentinien alla ensuite prendre ses quartiers d'hiver à Trèves. En Orient, la cour travaillait à empêcher Valens d'intervenir dans la justice, les grands sentant bien que c'en aurait été fait de leur liberté. Modeste, préfet du prétoire, dévoué à la faction des eunuques, parlait en ce sens plus haut que tous les autres. Valens en vint à se persuader que la justice n'était instituée que pour rabaisser le pouvoir. Dès lors il s'abstint d'examiner les procès et ouvrit ainsi la porte aux rapines. Plus d'obstacles désormais à la collusion des avocats et des juges qui se frayent un chemin aux honneurs et à la fortune en vendant les intérêts des petits à l'oppression des grands. Valentinien, parti de Trèves au début du printemps, atteignait la frontière quand une députation de Sarmates vint le supplier d'épargner ceux qui n'avaient pas pris part à la révolte. Il répondit qu'il aviserait sur place. Il se rendit ensuite à Carnuntum, en Illyrie. La sévérité du prince tenait tout le monde en émoi. On s'attendait à le voir exiger des comptes des autorités dont l'incurie avait laissé la Pannonie sans défense. Il n'en fut rien. Aucune recherche n'eut lieu sur le meurtre du roi Gabinius. En fait, Valentinien n'était dur qu'avec les simples soldats. Il ne pouvait cependant pas souffrir Probus. Celui-ci, récemment nommé préfet du prétoire, voulait le rester et il préféra la bassesse à l'honneur. Sachant le prince sans scrupules, lui-même prit la fausse route. De là cette oppression. Les plus grands noms furent réduits à s'expatrier ou poussés au suicide. Valentinien voulait de l'argent. Il sut trop tard ce qu'il en coûtait à la Pannonie. La province d'Epire, contrainte comme les autres à envoyer à l'empereur ses remerciements, confia cette mission au philosophe Iphiclès. Comme le prince voulait savoir si c'était sincère, il répondit que c'était en gémissant. Valentinien, pour sonder son interlocuteur sur la conduite de Probus, lui demanda dans sa langue des nouvelles de tel ou tel notable. Or untel s'était pendu, tel autre était en exil, tel autre encore avait péri sous la torture. Valentinien entra dans une colère effroyable que Léon, maître des offices, eut grand soin d'attiser. L'empereur mit l'été à préparer un expédition, attendant l'occasion pour fondre sur les Quades. C'est à Carnuntum que Faustin, neveu du préfet Vivence, fut condamné à mort par Probus. Son crime était d'avoir tué un âne pour, disait l'accusation, une opération magique, en fait pour se faire un remède contre la calvitie. Valentinien, précédé par l'infanterie de Mérobaud qu'il chargea, avec Sébastien, de mettre à feu et à sang les bourgades barbares, transporta son camp à Acincum. Là un pont fut construit mais ce fut un autre point qu'on choisit pour passer chez les Quades. Ceux-ci suivaient les mouvements de l'armée du haut des montagnes où ils s'étaient réfugiés. Valentinien, par une marche rapide, surprit et massacra une partie de la population, incendia ses demeures et revint à Acincum sans avoir perdu un homme. L'automne s'achevait. Il fallait songer aux quartiers d'hiver et les choisir en fonction du climat de ces contrées. Aucune autre localité que Savaria ne paraissait offrir les conditions de séjour. Mais elle n'était pas tenable au point de vue militaire. Valentinien la quitta à regret et, longeant le fleuve, arriva à Brigetio où se trouvait un camp retranché en bon état. Durant son séjour dans cette ville, il eut des présages de sa fin prochaine. Avant son arrivée, des comètes avaient annoncé quelque catastrophe. Lorsqu'il était encore à Sirmium, la foudre avait détruit le palais impérial, la curie et une partie du forum. Pendant son séjour à Savaria, un hibou perché sur les bains de l'empereur fit entendre des cris funèbres. Au moment où le prince avait quitté cette ville, il avait voulu sortir par la porte qui avait servi à son entrée pour en tirer le présage d'un prompt retour en Gaule. Mais le passage fut fermé par la chute d'une porte de fer. Il dut sortir par ailleurs. La nuit qui précéda sa mort, il vit en songe sa femme assise en habit de deuil. Le lendemain matin, on le vit sortir plus sinistre que de coutume et, comme le cheval qu'il allait monter se cabrait, le prince donna l'ordre de couper la main droite de l'écuyer. Le malheureux n'y aurait pas échappé si Céréalis, tribun de l'écurie, n'avait, à ses risques et périls, pris sur lui d'en différer l'exécution. Une députation de Quades vint implorer la paix. Elle s'engageait à fournir des recrues. La raison conseillait de leur accorder la trêve qu'ils demandaient car le temps ni les approvisionnements ne permettaient de continuer les hostilités. Ils furent donc reçus. Ils dirent que c'était à l'insu des chefs que la paix avait été enfreinte, ajoutant que c'était la prétention d'élever un fort sur leur territoire qui avait exaspéré certains. L'empereur commençai une sortie véhémente sur leur ingratitude mais, tout à coup, il demeura suffoqué et le visage en feu. Une sueur froide inonda ses membres. On le mit au lit, respirant à peine. Une congestion était imminente et exigeait une saignée mais on ne put trouver de médecin. Ils étaient tous occupés à combattre une épidémie parmi les troupes. Enfin il en vint un qui ouvrit la veine à plusieurs reprises sans pouvoir tirer une goutte de sang. Après une longue agonie, Valentinien expira à cinquante-six ans et dans la douzième année de son règne. Gratien l'ancien était né à Cibalae en Pannonie d'une famille obscure. Il était devenu tribun puis comte à l'armée d'Afrique. Il avait quitté ensuite le service, soupçonné de détournements, et n'avait été employé de nouveau que plus tard en Bretagne. Dans sa retraite, il avait encouru de la part de Constance la confiscation de ses biens pour avoir donné l'hospitalité à Magnence. Son fils Valentinien avait reçu la pourpre impériale à Nicée et associé à son pouvoir son frère Valens. Aussitôt après son avènement, il avait inspecté les fortifications puis s'était rendu en Gaule livrée aux Alamans dont la mort de Julien réveillait l'ardeur. Il avait su se faire redouter. Alors que Valentinien venait de partager le trône avec son fils Gratien, un roi alaman, Vithicabius, fils de Vadomaire, remuait son peuple et poussait les autres tribus à la guerre. Valentinien le fit assassiner. A Solicinium, où il pensa périr dans une embuscade, il écrasa leur armée. Son adresse brilla contre les Saxons. Ces pirates avaient pénétré dans l'intérieur des terres. Valentinien les détruisit à leur retour en leur arrachant leur butin. Ravagée par les ennemis, la Bretagne était aux abois. Il extermina jusqu'au dernier ces brigands et la province retrouva le repos. Il ne fut pas moins heureux contre Valentin, un pannonien qui tentait d'y faire renaître les troubles. Il mit fin à la tourmente qui déchirait l'Afrique lorsque Firmus leva l'étendard de la révolte, entraînant les Maures avec lui. Il aurait sans doute aussi tiré vengeance du ravage de l'Illyrie si la mort ne l'avait surpris. L'exploit dont il aurait tiré le plus d'honneur aurait été la capture de Macrin vivant et la déception de voir échouer son entreprise fut encore plus amère quand il apprit que les Burgondes, qu'il avait tout fait pour opposer aux Alamans, avaient donné asile au fugitif. Valentinien était violent. Il ne sut jamais contenir la répression dans de justes bornes. Il ne connaissait d'autre justice que l'emploi du fer ou du feu. La volonté d'amasser de l'argent par n'importe quelle moyen emplissait son esprit et s'accrut avec l'âge. Après la désastreuse expédition de Perse, il recourut à des mesures d'exaction, feignant d'ignorer que ce qui est possible n'est pas toujours permis. Il ne pouvait souffrir que l'on soit bien vêtu, instruit ou noble. Il voulait qu'il n'y ait de supériorité que la sienne. Il méprisait le manque de courage. Lui-même cependant se laissait aller parfois aux plus chimériques terreurs. Le maître des offices, Remige, connaissait ce faible de son maître. Aussi ne manquait-il pas, dès qu'il le voyait s'irriter, de parler d'agitation chez les barbares et il voyait le monarque s'adoucir sous l'effet de la peur. Valentinien ne choisit jamais volontairement de mauvais juges mais, une fois qu'il les avait nommés, même détestables, il les approuvait. A côté de cela, il ménagea les provinces en allégeant les impôts. On lui doit la création d'une admirable défense des frontières. Il aurait mérité le titre de restaurateur de la discipline militaire si, tout en punissant les moindres fautes chez le soldat, il n'avait montré une tolérance inexcusable pour les chefs. De là les troubles de Bretagne, le soulèvement de l'Afrique et le désastre de l'Illyrie. Observateur rigide de la pureté des mœurs, il fut chaste dans sa vie privée comme dans sa vie publique et mit par son exemple un frein à la licence de la cour. Ce fut d'autant plus efficace qu'il ne ménageait pas même ses parents. Il fit exception pour son frère mais en l'associant à sa puissance il obéissait à la nécessité du moment. Il portait une grande attention au choix de ses délégués. Sous son règne on ne vit ni banquier gouverneur de province, ni charge vendue à l'encan si ce n'est peut-être au début. A la guerre, il joignait à la prudence un esprit fécond pour l'attaque ou pour la défense, avec un discernement sûr de ce qu'il fallait faire ou éviter et l'attention la plus scrupuleuse aux détails du service. Il écrivait bien et savait peindre et modeler. Il y a des armes de forme nouvelle dont il a donné le dessin. Sa mémoire était excellente. Il parlait peu mais sa parole était vive. Il n'était pas ennemi de la table mais il voulait du choix et non de la profusion. Il sut tenir une balance exacte entre les sectes différentes et n'imposer à personne le dogme vers lequel il inclinait. Il était musclé, avait les cheveux blonds, le teint frais, les yeux bleus, le regard dur. La dignité de sa taille répondait à la majesté de son rang. Le corps fut envoyé à Constantinople. L'expédition fut suspendue et on était inquiet sur les dispositions des cohortes gauloises dont la fidélité est souvent arbitre des choix. Les circonstances paraissaient se prêter à quelque mouvement car Gratien était à Trèves où son père lui avait dit d'attendre. Les chefs de l'armée décidèrent alors de rompre le pont et d'ordonner à Mérobaud de la part de Valentinien, comme s'il était encore en vie, de se rendre au quartier général. Mérobaud devina ce qui se passait ou peut-être en fut-il instruit par le messager. Comme il se défiait des milices gauloises, il feignit d'avoir reçu l'ordre de les ramener sur le Rhin pour observer les barbares et il donna une mission lointaine à Sébastien, porté par la faveur militaire. A l'arrivée de Mérobaud, il fut décidé que Valentinien, fils du défunt empereur, qui n'avait que quatre ans, serait élevé à l'empire. L'enfant était avec sa mère Justine dans le domaine de Murocincta, à cent milles. Céréalis, oncle du jeune empereur, fut chargé de l'amener au camp. Six jours après la mont de son père il fut salué Auguste dans les formes. On craignait que Gratien n'en soit offensé mais ce prince prit soin de protéger son frère et de veiller à son éducation. XV - Défaite d'Andrinople (378) Les Huns firent irruption sur les terres des Alains Tanaïtes, en tuèrent beaucoup et s'allièrent au reste. Puis ils tombèrent sur les riches bourgades d'Ermenrich qui essaya de résister puis se suicida. Vithimer, élu à sa place, résista quelque temps, soutenu par d'autres Huns qu'il avait pris à sa solde. Mais, après plusieurs défaites, il fut vaincu et mourut. Alathée et Safrax se retirèrent avec son jeune fils Vidérich jusqu'aux rives du Danaste, fleuve qui coule entre l'Hister et le Borysthène. Athanaric, chef des Tervinges, décida de tenir ferme si l'invasion l'atteignait. Il établit son camp au bord du Danube et envoya Munderich en reconnaissance. Mais les Huns, trompant le corps d'observation, se placèrent entre lui et le gros de l'armée. De nuit, ils passèrent le fleuve et fondirent sur Athanaric, le forçant à se réfugier dans la montagne. Athanaric, redoutant un plus grand désastre, fit élever une muraille qui joignait les rives du Gérase et du Danube et longeait le territoire des Taïfales. Mais les Huns arrivèrent et il aurait été surpris si leur butin ne les avait ralentis. Le bruit se répandit parmi les Goths de l'apparition d'une race d'hommes inconnue qui anéantissait tout. Ceux qui reconnaissaient l'autorité d'Athanaric avaient déserté ses drapeaux, ne trouvant plus de quoi vivre, et cherchaient un établissement hors de portée des nouveaux venus. Ils pensèrent à la Thrace fertile et protégée par le Danube. Les GothsTervinges arrivèrent donc, sous la conduite d'Alaviv, sur la rive gauche du fleuve et envoyèrent une députation à Valens, sollicitant son admission sur l'autre bord avec promesse d'y vivre paisiblement et de lui servir d'auxiliaire. La nouvelle s'était répandue que la région qui va du pays des Marcomans et des Quades jusqu'au Pont-Euxin était inondée de populations barbares qui, poussées par des peuples inconnus, couvraient toute la rive du Danube. D'abord on accorda chez nous peu d'attention à ces rumeurs. Le bruit reçut confirmation par l'arrivée de l'ambassade qui venait implorer pour les peuples expulsés leur admission en deçà du fleuve. La première impression fut favorable. Les courtisans exaltèrent le bonheur du prince à qui arrivaient des recrues. L'incorporation de ces étrangers dans notre armée allait la rendre invincible et, converti en argent, le tribut que les provinces devaient en soldats accroîtrait les ressources du trésor. On envoya donc des agents chargés de procurer des moyens de transport à ces hôtes. On veilla à ce qu'aucun des futurs destructeurs de l'empire ne reste sur l'autre bord. On dut renoncer à les recenser. Alaviv et Fritigern furent transportés les premiers. L'empereur leur fit donner des vivres et leur assigna des terres. Il aurait fallu que notre armée ait des chefs expérimentées or Lupicin, comte de Thrace, et Maxime étaient brouillons. Leur cupidité fut à l'origine de tout. La disette qui accablait les immigrés leur suggéra une spéculation. Ils firent ramasser des chiens et les vendirent aux affamés au prix d'un esclave la pièce. Des chefs en furent réduits à livrer leurs enfants. Dans le même temps, Vitheric, roi des Greuthunges, arrivé sur les bords de l'Hister, sollicitait lui aussi le passage. Cette fois, l'intérêt de l'Etat dicta un refus qui jeta les barbares dans la perplexité. Athanaric, redoutant la même réponse, préféra s'abstenir. Il se rappelait l'obstination qu'il avait montrée à l'égard de Valens lorsqu'il négociait la paix avec lui. Il conduisit son monde à Caucalanda et en expulsa les Sarmates. Les Tervinges avaient pu passer le fleuve mais erraient sur ses bords, retenus par le manque de vivres dû aux manœuvres des officiers impériaux. Ils menaçaient d'appeler aux armes. Lupicin employa toutes ses forces pour les forcer à partir. Les Greuthunges, ne voyant plus de barques sur le fleuve pour empêcher le passage, en profitèrent. ils le franchirent en radeau et placèrent leur camp loin de celui de Fritigern. Ce chef, qui devinait ce qui allait arriver, tout en obéissant à l'empereur, mettait dans sa marche une lenteur calculée pour se ménager un puissant renfort en laissant aux nouveaux venus le temps de le joindre. Il n'arriva donc tard à Marcianopolis. Là se passa une scène déterminante. Lupicin avait invité Fritigern et Alaviv à un festin mais un cordon de troupes interdisait aux autres l'entrée de la ville et ce fut en vain que les barbares demandèrent à acheter des vivres. Les esprits s'échauffèrent. Les émigrants massacrèrent un poste. On en avisa Lupicin qui fit arrêter la garde des deux chefs. La nouvelle se répandit. La foule, croyant ses chefs prisonniers, voulut les venger. Fritigern s'écria que le seul moyen d'éviter un malheur était de le laisser sortir, lui et les siens, se faisant fort de calmer tout le monde. On les laissa partir et ils s'éloignèrent, décidés à tenter le sort des armes. La nouvelle enflamma les Tervinges. Des bandes armées ravagèrent la campagne. Lupicin marcha à l'ennemi. Nos bataillons furent anéantis et Lupicin s'enfuit. Après cela, les barbares se répandirent de tous côtés. Deux chefs Goths, depuis longtemps accueillis, Suéride et Colias, observaient une parfaite neutralité dans les cantonnements qu'on leur avait assignés près d'Andrinople. Tout à coup arriva une lettre de l'empereur leur enjoignant de passer l'Hellespont. Ils demandèrent des moyens de transport, des vivres et un délai de deux jours. La prétention fut jugée exorbitante par le premier magistrat de la ville qui avait une rancune personnelle contre eux. Il arma le peuple et dit aux Goths de s'exécuter immédiatement. Poussés à bout, ils se rangèrent sous le drapeau de Fritigern. Et cette foule vint assiéger la ville. Ils s'y obstinèrent longtemps. Enfin Fritigern renonça à prendre la place mais laissa sous ses murs assez de forces pour la bloquer. Les Goths se répandirent en Thrace. Tout fut mis à feu et à sang. Valens ordonna à Victor, maître de la cavalerie, de négocier avec les Perses. Lui-même se disposa à aller à Constantinople et fit prendre les devants à Profuturus et à Trajan qui déployèrent devant l'ennemi les légions tirées d'Arménie. Nos soldats acculèrent les Goths sous les escarpements de l'Hémus et prirent position à l'entrée des gorges pour les réduire par la faim et donner le temps d'arriver aux légions pannoniennes et transalpines que Frigérid amenait sur l'ordre de Gratien. Celui-ci envoyait aussi de Gaule Richomer à la tête de quelques cohortes dont l'effectif avait en partie déserté à l'instigation de Mérobaud qui craignait que la Gaule ne puisse plus garder le Rhin. Frigérid eut en chemin un accès de goutte, si bien que le commandement unique revint à Richomer. Celui-ci rejoignit Profuturus et Trajan près de Saules. Une foule de barbares était retranchée derrière des chariots rangés en cercle. Les chefs romains calculaient que les Goths ne tarderaient pas à chercher un autre campement et que ce serait le moment de tomber sur leur arrièregarde. Mais ils furent trahis et les Goths non seulement ne bougèrent pas, mais ils ordonnèrent à ceux qui battaient la campagne de se rassembler. Les Romains veillèrent toute la nuit. Ils étaient moins nombreux mais comptaient sur la justice de leur cause. Au jour, la trompette donna le signal. Les barbares gravirent les hauteurs pour prendre de l'élan. Quand nos soldats virent la manœuvre, chacun joignit son manipule et s'y tint ferme. Les deux armées d'abord avancèrent avec précaution. Des deux côtés on se mesurait. Les Romains alors lancèrent ce cri appelé barritus qui commence par un murmure et se termine en éclat de tonnerre. Les barbares, pour y répondre, entonnèrent un chant à la louange de leurs ancêtres. Bientôt les deux lignes s'abordèrent. Les barbares jetèrent sur les nôtres des massues durcies au feu puis parvinrent à enfoncer notre aile gauche. Heureusement un corps d'auxiliaires accourut la soutenir. Un carnage affreux s'ensuivit. La nuit seule mit fin à la boucherie. Les deux partis regagnèrent leurs tentes. Dans cette lutte où une poignée de Romains était aux prises avec des milliers d'ennemis, nous fîmes de grosses pertes. Les nôtres se replièrent sous les murs de Marcianopolis et les Goths, réfugiés derrière leurs chariots, restèrent sept jours sans donner signe de vie. Les Romains en profitèrent pour pousser le reste de ces bandes dans les gorges de l'Hémus qu'ils fermèrent par des levées de terre. On espérait qu'ils y mourraient de faim, les vivres ayant été transportés dans des places que les barbares n'avaient pas même eu l'idée d'attaquer. Richomer repartit pour la Gaule afin de ramener des renforts. On arrivait en automne. De son côté Valens, sur le rapport qu'on lui fit du combat et de l'état de désolation de la Thrace, envoya Saturnin porter secours à Trajan et à Profuturus. Les barbares avaient tout dévoré en Mésie et en Scythie et, poussés par la faim, brûlaient de forcer les barrières qu'on avait fermées sur eux. A plusieurs reprises ils essayèrent et, repoussés chaque fois, ils finirent par s'associer quelques bandes d'Alains et de Huns en leur faisant miroiter un immense butin. A la nouvelle des renforts reçus par l'ennemi, Saturnin se retira. Il était temps. Dès que nos troupes eurent quitté l'ouverture des gorges, le mont vomit dans la plaine toute cette foule. La Thrace en fut inondée. Des rives de l'Hister aux cimes du Rhodope et jusqu'au détroit qui forme la jonction des deux mers, ce ne fut que pillage, meurtre et incendie. Les barbares arrivèrent près de Dibaltum où ils trouvèrent le tribun Barzimérès et les Cornutes. Ils les anéantirent. Les Goths considéraient Frigérid comme le seul qui puisse les arrêter et ne songeaient qu'à le détruire. Ils savaient qu'il s'était retranché près de Béroé d'où il observait les événements. Les Goths se hâtèrent mais Frigérid, qui n'était ni novice, ni prodigue du sang de ses soldats, gagna l'Illyrie où il arriva réconforté par un succès inespéré. En se repliant, il avait surpris la bande de Farnobe, un chef goth, à laquelle s'était joints des Taïfales. Il les avait en partie détruits. Il avait ensuite assigné des terres aux survivants vers Modène, Parme et Rhégium. Chez les Taïfales, les adolescents doivent se prostituer aux hommes mûrs et nul ne peut y échapper avant d'avoir capturé un sanglier ou un ours. Tel était le tableau que présentait la Thrace à la fin de l'automne. Les Alamans Lentiens, voisins de la Rhétie, commençaient, au mépris des traités, à menacer nos frontières. Un homme de ce pays, qui servait dans les gardes de Gratien, y fit un voyage privé. Il apprit à ses compatriotes que Gratien portait ses forces en Orient et que les deux armées impériales allaient se combiner pour repousser une invasion. Cela inspira les Lentiens qui traversèrent en février le Rhin gelé. Ils furent repoussés mais, certains que la majeure partie de l'armée d'Occident était en Illyrie, leur ardeur se ranima. Ils mirent sur pied quarante mille hommes et fondirent sur le territoire romain. Gratien fit reculer les cohortes déjà arrivées en Pannonie, appela la réserve laissée en Gaule et donna le commandement de cette armée à Nannien et Mallobaude, roi des Francs. Nannien voulait temporiser, Mallobaude voulait combattre. Tout à coup, près d'Argentaria, un bruit annonça la présence des barbares. Les Romains, voyant à quelle multitude ils avaient affaire, gagnèrent un terrain boisé et s'y maintinrent jusqu'au moment où la garde de l'empereur vint prendre part au combat. Son arrivée intimida les barbares qui tournèrent le dos. Ils furent si maltraités qu'il ne s'en échappa que cinq mille. Leur roi Priarius périt. L'armée, après cet exploit, reprit sa marche vers l'Orient puis, tournant tout à coup vers la gauche, franchit le fleuve. Les Lentiens ne purent que gagner des hauteurs et se battre en désespérés. De notre côté, on choisit pour donner l'assaut les cinq cents soldats les plus aguerris de chaque légion. Cette troupe, animée par la présence du prince au premier rang, fit les plus grands efforts pour gravir les cimes. Cependant, commencé à midi, le combat durait encore à la nuit. La garde de l'empereur, trop visible, souffrit beaucoup des projectiles. Gratien décida de prendre les barbares par la faim. Ceux-ci, dont l'obstination n'était pas moindre que la nôtre, et qui connaissaient mieux le terrain, occupèrent des pics plus élevés encore. L'empereur saisit ce moment pour reprendre l'offensive et mit tout en œuvre pour se frayer accès jusqu'à eux. Cette fois les Lentiens capitulèrent et, après avoir livré l'élite de leur jeunesse qui vint se fondre dans nos nouvelles levées, obtinrent la liberté de retourner chez eux. Ce fait d'armes eut le résultat de tenir l'Occident en respect. Dans Gratien, la nature avait réuni l'éloquence, la sagesse, la clémence et la bravoure. Mais un malheureux penchant à se donner en spectacle l'entraîna à imiter l'empereur Commode, dont le plaisir était de tuer des bêtes féroces dans l'amphithéâtre, et à négliger les affaires sérieuses. Après avoir tout disposé pour la sécurité de la Gaule et tiré vengeance du soldat dont l'indiscrétion avait trahi sa marche sur l'Illyrie, Gratien se dirigea par Felix Arbor et Lauriacum. Pendant ce temps, Frigérid fortifiait le pas de Sucques pour empêcher les bandes qui battaient la campagne de se répandre dans les provinces septentrionales de l'empire. Tout à coup on lui envoya pour successeur le comte Maurus, un homme vénal et indécis. C'était lui qui avait vaincu l'hésitation de Julien à accepter la couronne en lui posant sur la tête son propre collier. Ainsi, au milieu d'une crise, on écartait un homme d'action. Valens quitta Antioche et se dirigea lentement vers Constantinople où il ne fit que passer car une sédition sans conséquence suffit pour le chasser. Il avait rappelé d'Italie Sébastien qu'il investit de la maîtrise de l'infanterie, précédemment confiée à Trajan. Il se rendit à Mélanthiade, maison de plaisance impériale où il s'attacha à gagner le cœur des soldats, puis donna l'ordre de marche et arriva à Nicé où il apprit par ses éclaireurs que les barbares, chargés de butin, se dirigeaient sur Andrinople. Ceux-ci, apprenant que l'empereur marchait de ce côté, rejoignirent des compatriotes retranchés dans les environs de Nicopolis et de Béroé. L'empereur confia à Sébastien trois cents hommes de chacun des corps de l'armée. Sébastien partit avec cette troupe pour Andrinople. Il en ressortit le lendemain et, le soir, aperçut les bandes des Goths sur les bords de l'Hèbre. Il s'avança doucement et, quand il jugea la nuit assez noire, fondit sur eux. Il n'en échappa que le petit nombre qui put courir assez vite et le butin qu'on leur reprit fut si considérable que la ville ne suffisait pas à le contenir. Fritigern était consterné. Il rassembla tout son monde près de Cabylé et s'éloigna au plus vite vers des campagnes découvertes où il n'aurait ni disette ni surprise à redouter. Pendant ce temps Gratien, qui venait d'informer son oncle de sa victoire sur les Lentiens, faisait partir ses bagages par la route de terre et lui-même, descendant le Danube avec ses plus légères troupes, débarquait à Bononia et gagnait Sirmium. Bien que fiévreux, il n'y séjourna que quatre jours et se rendit ensuite, par la même voie, au lieu nommé le Camp de Mars. Il essuya dans ce trajet une attaque des Alains, qui tuèrent quelques hommes de sa suite. La double nouvelle de la défaite des Alamans et du succès obtenu par Sébastien mit Valens dans une agitation extrême. Le camp de Mélanthiade fut levé. Il lui tardait d'opposer quelque beau fait d'armes à la renommée de son neveu. Il disposait d'une armée où les vétérans entraient dans une forte proportion. Il s'y trouvait aussi plusieurs personnes de marque comme l'exgénéral Trajan. On apprit bientôt par les éclaireurs que l'ennemi cherchait à couper les communications avec les points où étaient les vivres. Aussitôt des archers, soutenus par un escadron de cavalerie, occupèrent les défilés, ce qui suffit à faire échouer leur projet. Le troisième jour, les barbares furent signalée. Ils n'étaient plus qu'à quinze milles d'Andrinople. Leur nombre ne passait pas dix mille, selon les éclaireurs. Aussitôt l'empereur marcha à leur rencontre. Arrivé au faubourg d'Andrinople, il se retrancha. Il vit arriver Richomer qui lui remit une lettre de Gratien annonçant son arrivée. Il priait son oncle d'attendre et de ne pas s'exposer seul. Valens soumit cette lettre à son conseil. Quelques membres, dont Sébastien, étaient d'avis de livrer bataille sur-le-champ. D'un autre côté, Victor, maître de la cavalerie, prudent bien que Sarmate, voulait attendre l'autre empereur. L'obstination de Valens l'emporta. Les flatteurs qui l'entouraient l'avaient persuadé qu'il fallait brusquer l'événement afin de n'avoir pas à en partager l'honneur. On se préparait au combat lorsqu'un évêque arriva au camp avec une lettre de Fritigern qui demandait pour les siens, chassés de leurs foyers par des nations sauvages, la concession de la Thrace, promettant la paix en échange. Ce chrétien était porteur d'une autre lettre, confidentielle, dans laquelle le chef barbare insinuait qu'il n'y avait, pour adoucir la férocité de ses compatriotes, d'autre moyen que de leur montrer de temps à autre les armes romaines. La seule présence de l'empereur leur ôterait l'envie de combattre. Cette ambassade fut sans résultat. Le 5 des ides d'août l'armée s'ébranla à l'aurore, laissant les bagages sous les murs d'Andrinople. Le préfet et les membres civils du conseil restèrent avec le trésor et les ornements impériaux dans la ville. Vers midi on n'avait encore fait que huit milles par de mauvais chemins sous un soleil brûlant quand les éclaireurs annoncèrent qu'ils avaient vu l'ennemi. Les généraux romains prirent leurs dispositions pendant que les barbares, selon leur coutume, poussaient des hurlements. L'aile droite de la cavalerie était en tête, soutenue par l'infanterie. L'aile gauche, qui n'observait l'ordre de marche qu'avec difficulté, pressa le pas pour se mettre en ligne. Tandis qu'elle se déployait, le bruit des boucliers que nos soldats frappaient de leurs piques effraya les Goths, d'autant plus qu'Alathée et Safrax n'étaient pas encore arrivés. Une députation barbare vint proposer la paix mais l'empereur demanda des négociateurs d'un rang plus élevé. Un délai s'ensuivit. Les Goths cherchaient des subterfuges pour laisser à leur cavalerie le temps d'arriver tandis que nos soldats étaient dévorés par la soif. Bêtes et gens souffraient également de la disette. Fritigern, qui aurait préféré ne s'en pas remettre au hasard d'une bataille, nous envoya un de ses hommes comme porteur de caducée. Contre quelques notables livrés comme otages, il s'offrait à prendre parti pour nous et à nous fournir ce qui nous manquait. Cette ouverture fut accueillie avec empressement. Le tribun Equitius, parent de l'empereur, fut désigné comme garant de notre parole mais il refusa parce que, ayant été prisonnier des Goths et s'étant évadé, il avait tout à craindre. Richomer alors s'offrit de lui-même et partit. Mais avant qu'il ait atteint le camp ennemi, nos archers étaient déjà aux prises avec l'ennemi. Cette échauffourée rendit sans effet le dévouement de Richomer. Au même instant la cavalerie des Goths, Alathée et Safrax en tête, et renforcée par un corps d'Alains, arriva, renversant tout sur son passage. De notre côté on commença à plier. Les armes de l'ennemi creusaient des vides dans nos rangs. Notre aile gauche avait percé jusqu'aux chariots et serait allée plus loin si on l'avait soutenue. Abandonnée par le reste de la cavalerie, elle fut accablée par les barbares. L'infanterie se trouva alors dégarnie. Impossible de reculer en bon ordre. Les légionnaires frappaient en désespérés sur tout ce qui se trouvait devant eux. Le sol disparaissait sous les morts et les blessés. Les Romains furent enfin réduits à fuir. L'empereur parvint à se réfugier parmi des Lanciers et des Mattiaires qui avaient jusquelà soutenu le choc. Trajan s'écria que tout était perdu si le prince ne trouvait pas protection parmi ses auxiliaires. Le comte Victor voulut rassembler les Bataves que Valens avait placés en réserve mais, ne trouvant personne, il ne songea plus qu'à fuir. Richomer et Saturnin en firent autant. Une nuit sans lune mit seule un terme au désastre. L'empereur tomba le soir, frappé d'une flèche, et on ne retrouva pas son corps. On dit qu'il se retira avec quelques Gardes Blancs dans une maison de paysan. Les barbares survinrent. Reçus à coups de flèches, ils mirent le feu à la maison. Un des Gardes Blancs, pris par eux, leur apprit quelle occasion ils avaient perdue de prendre l'empereur vivant. C'est de cet homme, qui parvint à s'échapper, que l'on tient ces détails. On comptait parmi les plus illustres victimes de cette journée Trajan, Sébastien, Valérien, Equitius et trente-cinq tribuns. Un tiers à peine de l'armée survécut à cette boucherie et nulle part, si on excepte la bataille de Cannes, les annales ne parlent d'un tel désastre. Telle fut la fin de Valens qui atteignait sa cinquantième année, après un règne de quatorze ans. Il était ami fidèle, prompt à réprimer l'intrigue et gardien de la discipline et des lois. Il freina l'ambition de ses parents et fut circonspect pour conférer les emplois. Administrateur équitable des provinces, il veillait sur leurs intérêts comme sur les siens, ne permettant aucune aggravation des impôts, dont les arrérages même n'étaient recouvrés qu'avec ménagements. La corruption des juges n'avait aucune indulgence à attendre de lui et sous ce rapport l'Orient n'a jamais été mieux gouverné. Il était libéral dans une juste mesure. Lorsqu'un courtisan sollicitait un bien vacant, l'empereur commençait par écouter les contestations. La concession n'était accordée qu'à la condition de voir arriver, en partage du bénéfice, trois ou quatre hommes également favorisés sans avoir fait aucune démarche. Cette perspective d'une concurrence refroidissait la convoitise. Mais il était aussi avide et cruel. Son éducation avait été nulle. Il montrait une joie malsaine quand une accusation prenait les proportions du crime de lèsemajesté. Les tribunaux étaient les instruments de ses caprices et il était accessible à toute accusation vraie ou fausse. Sa physionomie était lourde et paresseuse. Il était brun de teint. Un de ses yeux avait une taie. Il était de taille moyenne, avait les jambes arquées et le ventre un peu gros. Au jour les vainqueurs s'élancèrent contre Andrinople. Ils savaient par des transfuges que s'y trouvaient les chefs de l'Etat avec les ornements impériaux et le trésor de Valens. Beaucoup de soldats et de valets de l'armée n'avaient pu entrer en ville. Adossés aux fortifications, ils se défendirent énergiquement jusqu'à la neuvième heure. Trois cents fantassins qui voulaient se rendre furent massacrés. Il n'y eut plus dès lors aucune tentative de désertion. Enfin le ciel envoya une pluie torrentielle, accompagnée de tonnerre, qui dispersa cette multitude et la força à chercher l'abri de ses chariots. Sa présomption toutefois n'en était pas diminuée car on nous envoya un député porteur d'une lettre menaçante. Celui-ci n'osa pas mettre le pied en ville et chargea un chrétien de son message. La lettre fut traitée avec mépris. Les assiégés consacrèrent la nuit entière à travailler. Les portes furent bloquées de grosses pierres et les murs renforcés. On plaça des machines et on établit des réserves d'eau à portée car les soldats avaient souffert de la soif. Les Goths, voyant leurs pertes, eurent recours à une ruse. Des Gardes blancs déserteurs proposèrent d'entrer dans la ville en se donnant pour évadés et de mettre le feu à un quartier. Ce devait être le signal d'un assaut. Les assiégés, occupés à l'éteindre, laisseraient le rempart sans défenseurs. Les Gardes blancs se présentèrent au bord du fossé. On les reçut sans difficulté mais le soupçon vint quand, interrogés sur les Goths, ils hésitèrent dans leurs réponses. La torture leur ayant arraché l'aveu de leur trahison, ils eurent tous la tête tranchée. Les barbares se ruèrent contre les portes de la ville mais les habitants, jusqu'aux gens de service du palais, se joignirent à la garnison pour les repousser. Au milieu de cette masse, aucun coup n'était perdu. On s'aperçut que les barbares nous renvoyaient les traits que nous avions lancés. Aussitôt l'ordre fut donné de couper, avant de se servir des flèches, le cordeau qui fixe le fer au bois. Ce qui fit que, sans perdre de leur effet, elles se démontaient quand que le coup tombait à faux. Une pierre énorme partie d'un scorpion se brisa en tombant à terre et causa tant de stupeur aux barbares qu'ils firent mine de s'enfuir. Mais leurs chefs firent sonner la charge et l'assaut reprit. Aucun des projectiles romains n'était lancé en vain. A la nuit, les Goths rentrèrent sous leurs tentes, s'accusant mutuellement d'aveuglement pour n'avoir pas su profiter du conseil que leur avait donné Fritigern de ne pas s'exposer aux dangers d'un siège. Au jour, les barbares tinrent conseil. Ils décidèrent de prendre Périnthe et les villes où des richesses étaient enfermées. Les renseignements ne leur manquaient pas grâce aux transfuges. Ayant ainsi tracé la marche qui leur parut la plus profitable, ils avancèrent à petites journées, dévastant tout sur leur passage, sans trouver de résistance. La population réfugiée à Andrinople, dès qu'elle fut rassurée, quitta la ville avec ce qu'elle avait pu sauver. Les uns allèrent à Sardique, d'autres vers la Macédoine. Leur espoir était de rencontrer Valens car on ignorait sa mort. Les Goths, renforcés des Huns et des Alains que Fritigern avait su s'attacher par des promesses, vinrent camper dans les environs de Périnthe. Ils se contentèrent d'en ravager les environs. Les trésors de Constantinople enflammaient surtout leur convoitise et c'était pour cette cité qu'ils réservaient leurs efforts. Ils s'y rendirent en hâte. Leur furie déjà se déchaînait contre les défenses de la ville quand un incident survint qui décida leur retraite. La garnison de la ville avait été renforcée d'un corps de Sarrasins. Ceux-ci, à l'approche de la colonne ennemie, coururent à sa rencontre et il s'engagea entre les deux partis une bataille longtemps indécise. Un trait inouï de férocité donna l'avantage aux barbares d'Orient. L'un d'eux se lança, poignard en main, avec des cris de bête fauve, au milieu des rangs ennemis et suça avidement le sang des plaies d'un adversaire. Les barbares du Nord frémirent à ce spectacle. Leur confiance fut ébranlé. Enfin le courage les abandonna tout à fait en voyant l'étendue des murailles de la ville et son innombrable population. Ils détruisirent leur appareil de siège après avoir perdu plus d'hommes qu'ils n'en avaient tué et tournèrent à la débandade vers les provinces du nord qu'ils traversèrent jusqu'au pied des Alpes Juliennes. A la nouvelle des événements de Thrace, un coup fut frappé par Jules, qui commandait au-delà du Taurus. Beaucoup de Goths avaient été transportés précédemment dans ces provinces. Jules organisa un massacre général de ces barbares en les convoquant sous promesse d'un paiement de solde. Cette mesure, accomplie avec discrétion et célérité, préserva de malheurs plus grands nos provinces orientales.