UNIVERSITE PAUL SABATIER Faculté de Médecine Rangueil ENSEIGNEMENT DE MEDECINE INTERNE MODULE 14 ITEM N° 319 : Orientation diagnostique devant une hypercalcémie (avec le traitement) Ph. ARLET M. LAROCHE L. SAILLER Objectifs : Devant une hyper calcémie, argumentez les principales hypothèses diagnostiques et justifiez les examens complémentaires pertinents. - Identifiez les situations d’urgence et planifiez leur prise en charge. Introduction : l’hypercalcémie est une anomalie biologique , qui est assez souvent de découverte fortuite, car il est rare d’y penser devant des symptômes qui sont souvent assez banals ; de plus, l’hypercalcémie n’est pas une situation biologique de rencontre très fréquente, elle est même rare si l’on se place dans le domaine de la médecine générale ambulatoire. Elle est un peu plus fréquente si l’on se place dans le cadre de la médecine d’urgence ou de la médecine hospitalière. Les étiologies sont assez diverses, ce qui permet de comprendre que cette question est volontiers l’apanage de plusieurs types de spécialistes : les néphrologues, les rhumatologues, les endocrinologues, et les internistes. P. ARLET M. LAROCHE L. SAILLER /HYPERCALCEMIES/nov. 2002 1 I Rappel sur la régulation de la calcémie. Le taux de la calcémie est très stable chez l’adulte, entre 2,25 -2,50 mMol / l, et le système hormonal incluant l’hormone parathyroïdienne et la vitamine D permet cet équilibre malgré des apports alimentaires en calcium très variables et un turnover osseux qui amène du calcium dans le sang. Tous les jours 4 à 6 mM de calcium sont échangés entre le calcium absorbé par l’intestin, fixé libéré par l’os, et excrété par le rein. Cette quantité représente donc la calciurie des 24 heures. L’hormone parathyroïdienne agit directement et par l’intermédiaire de la formation de la 1 25 hydroxy-vitamine D pour stimuler l’absorption intestinale du calcium, stimuler l’ostéolyse ostéoclastique au niveau du tissu osseux, et favoriser la réabsorption tubulaire rénale du calcium. Elle agit également sur la régulation de la phosphorémie. La parathormone est une hormone hyper-calcémiante et hypo-phosphorémiante. Elle est soumise à un système de régulation de type feed-back, de telle manière que l’hypercalcémie freine la sécrétion de parathormone et l’hypocalcémie la stimule. P. ARLET M. LAROCHE L. SAILLER /HYPERCALCEMIES/nov. 2002 2 II Les mécanismes de l’hypercalcémie On peut comprendre que l’hypercalcémie va se produire dans trois grands types de circonstances : - Production anormale d’hormone parathyroïdienne : la plupart du temps il s’agit de l’hyper- parathyroïdisme primaire (adénome et hyperplasie parathyroïdienne) - Destruction accélérée et anormale de l’os : il s’agit d’une tumeur maligne en général métastase osseuse ou myélôme - Excès de vitamine D : il s’agit soit de l’intoxication par des apports excessifs d’origine iatrogène, soit de la formation dérégulée de la 1 25 hydroxyvitamine D au cours des granulomatoses en particulier la sarcoïdose . III Les situations cliniques 1) L’hypercalcémie peut être parfaitement asymptomatique, surtout si elle est modérée. Elle peut être aussi responsable de signes très banals tels que asthénie, anorexie, nausées, troubles dépressifs mineurs. Lorsqu’elle est très importante, elle peut entraîner des troubles de conscience avec obnubilation, coma, déshydratation et parfois même convulsions. Autant dire que devant toutes ces situations, et même devant une asthénie lorsqu’elle n’est pas expliquée et P. ARLET M. LAROCHE L. SAILLER /HYPERCALCEMIES/nov. 2002 3 qu’elle persiste, il faut doser la calcémie pour diagnostiquer des hypercalcémies. 2) Si les situations de découverte d’hypercalcémie sont souvent fortuites, il existe des situations pathologiques où on doit rechercher l’hypercalcémie, car on pense à des diagnostics pouvant s’associer à ce symptôme. On doit donc doser la calcémie pour rechercher une hypercalcémie devant : - une suspicion de myélome - une suspicion de métastase osseuse - une décalcification et donc suspicion d’hyperparathyroïdisme - une anomalie sur des radiographies osseuses à type de destruction, ou de remaniement - une colique néphrétique - une néphrocalcinose La gravité des conséquences cliniques de l’hypercalcémie dépend de l’importance de l’hypercalcémie, de la vitesse de son augmentation, de la susceptibilité du malade (antécédents neurologiques ou cardiaques). IV Démarche diagnostique Devant une hypercalcémie, les hypothèses diagnostiques seront évoquées en fonction d’éléments cliniques et biologiques, mais le contexte clinique est un élément important, car il permet d’emblée de séparer les hypercalcémies en situation chronique et peu inquiétantes et les hypercalcémies en situation de relative gravité : coma, altération de l’état général, douleurs osseuses multiples… P. ARLET M. LAROCHE L. SAILLER /HYPERCALCEMIES/nov. 2002 4 1) Certains examens simples devront être faits immédiatement car ils permettent de débrouiller la recherche étiologique , il s’agit de : - la créatininémie - la phosphorémie - les phosphatases alcalines sériques - la calciurie des 24 heures - l’électrophorèse des protéines. Avec ces examens et l’approche clinique on pourra dans la majorité des cas énoncer sans grand risque d’erreur les principales hypothèses diagnostiques : - le patient a des antécédents de coliques néphrétiques, on retrouve la notion d’une hypercalcémie sur des examens d’il y a plusieurs mois ou années, il y a une hypophosphorémie, nous sommes là devant un très probable hyper-parathyroïdisme primaire. - Le patient a une hyper-calcémie avec des douleurs osseuses et une altération de l’état général sans hypophosphorémie et on doit s’orienter d’emblée soit vers des métastases osseuses, soit vers un myélome, l’électrophorèse des protéines permettant la plupart du temps de faire la part entre ces deux diagnostics. - L’interrogatoire du patient, de son entourage et de ses médecins doit permettre d’évoquer les hypothèses iatrogènes, intoxication par la vitamine D ou par ses dérivés. - Les diagnostics de granulomatose (sarcoïdose, tuberculose…) sont souvent plus difficiles à évoquer, mais ils seront également faciles à évoquer devant une P. ARLET M. LAROCHE L. SAILLER /HYPERCALCEMIES/nov. 2002 5 hypercalcémie sans hypo-phosphorémie chez un patient présentant des adénopathies superficielles ou médiastinales sur le cliché du thorax ou une sarcoïdose connue. 2) D’autres examens seront faits ensuite en seconde intention pour confirmer le diagnostic, soit pour faciliter l’approche thérapeutique, soit pour préciser le diagnostic étiologique. 2.1 Certains examens seront faits de manière quasiment systématique pour confirmer ou infirmer le diagnostic d’hyper-parathyroïdisme : Clairance du phosphore (elle est élevée dans l’hyperparathyroïdie primaire) Dosage de la parathormone sanguine (les méthodes actuelles permettent d’avoir un examen d’une excellence sensibilité et spécificité) Echographie de la région thyro-parathyroïdienne, examen simple qui permettra dans certains cas de mettre en évidence un probable adénome lorsqu’il est volumineux, et qui permettra d’être un examen central d’orientation morphologique avant et après une chirurgie parathyroïdienne. 2.2 D’autres examens permettront soit d’orienter vers des pathologies fréquentes, et donc tumorales, soit d’apporter des arguments vers des pathologies plus difficiles de diagnostic ou plus rares : P. ARLET M. LAROCHE L. SAILLER /HYPERCALCEMIES/nov. 2002 6 - le dosage de la TSH doit être systématique pour écarter l’ hyper-thyroïdie qui est une cause non exceptionnelle d’hyper-calcémie. - le dosage de l’enzyme de conversion de l’angiotencine, et de la 1 25 hydroxyvitamine D seront intéressants lorsqu’ils sont élevés, avec une hypercalciurie des 24 heures, pour orienter vers une origine sarcoïdosique ou autre granulomatose. Les radiographies du crâne, du rachis, du bassin de face, des humérus et des fémurs, ainsi que l’index d’excrétion du calcium à jeun, seront faits à la recherche de pathologies ostéolytiques type métastases osseuses ou myélôme responsables d’hypercalcémies. Lorsqu’on fait des radiographies osseuses dans une hypercalcémie, on peut également demander des radiographies des mains de face pour rechercher les petits signes classiques de l’hyperparathyroïdisme primaire : résorption de la houppe des phalanges distales. L’index d’excrétion du calcium à jeun (index de Nordin) sera élevé en cas d’ostéolyse, en particulier d’ostéolyse maligne. Il sera utile aussi pour le diagnostic des rares cas d’hypercalcémie- hypocalciurie familiale dont le diagnostic sera aidé également par l’enquête familiale (rechercher d’autres cas d’hypercalcémies modérées dans la famille). 2.3 D’autres examens, peuvent être faits, bien sûr lorsque le diagnostic est difficile, puisque les étiologies sont nombreuses, certaines étiologies plus anecdotiques peuvent être citées : hypercalcémie au cours de l’immobilisation prolongée, hypercalcémie des diurétiques thiazidiques, hypercalcémie de certaines endocrinopathies, en particulier l’acromégalie et l’insuffisance surrénale aigüe, l’hypercalcémie au cours de certaines insuffisances rénales P. ARLET M. LAROCHE L. SAILLER /HYPERCALCEMIES/nov. 2002 7 aigües organiques. Dans le domaine endocrinologique, il faut citer deux situations rares : l’hyper-parathyroïdisme para-néoplasique avec hypo-phosphorémie et présence dans le sang d’un taux élevé de PTHrp ; d’autre part, l’hyperparathyroïdisme dans le cadre des poly-adénomatoses endocriniennes (N.E.M. de type 1 et 2). Enfin, le syndrome de BURNETT (syndrome des buveurs de lait) est devenu exceptionnel. 2.4 Les éléments biologiques du diagnostic d’hypercalcémie peuvent être perturbés et donc difficiles à interpréter lorsqu’il y a une insuffisance rénale. En effet l’insuffisance rénale entraîne très rapidement une élévation franche de la phosphorémie, et une situation d’hyperparathyroïdisme secondaire avec élévation importante également du taux de parathormone circulante. Il faut donc être prudent dans l’interprétation des éléments biologiques lorsque la créatininémie n’est pas normale. Enfin, de très nombreux examens paracliniques ont été utilisés ou inventoriés, ou étudiés, au cours des hypercalcémies. Un certain nombre d’entre eux doivent être abandonnés dans la grande majorité des cas du fait d’une meilleure connaissance de la question, et de certains examens qui n’existaient pas il y a une vingtaine d’années en particulier le dosage de la parathormone sérique. La ponction biopsie ostéo-médulaire qui était autrefois assez largement utilisée pour le diagnostic d’hyperparathyroïdisme sera faite actuellement beaucoup moins souvent pour le diagnostic des hyper-calcémies. Cependant, elle peut être d’une bonne utilité dans le cas de diagnostic P. ARLET M. LAROCHE L. SAILLER /HYPERCALCEMIES/nov. 2002 8 difficile car elle permet à la fois de préciser des éléments du diagnostic d’hyper-para-thyroïdisme, mais aussi pour le diagnostic des hémopathies lymphoïdes, du myélôme, des métastases osseuses, et même parfois des granulomatoses. 2.5 Dans des cas rares, on peut être amené à doser le calcium ionisé pour savoir s’il existe vraiment une hypercalcémie, en particulier lorsqu’on recherche une hyperpare thyroïdie. Dans certains centres expérimentés, l’imagerie IRM ou la scintigraphie au M.I.B.I. sont utilisées pour localiser un adénome parathyroïdien. En aucun cas cependant, leur normalité ne peut exclure le diagnostic. 2.6 La phosphorémie permet souvent de faire la part entre hyper-parathyroïdisme primaire qui s’accompagne d’hypo-phosphorémie, et les autres causes où le phosphore est souvent plutôt élevé. Cependant une pathologie exceptionnelle doit être citée : l’hyper-parathyroïdisme para-néoplasique (sécrétion de PTH « like » dans certains cas de cancers) V Les situations d’urgence Il ne faut pas confondre les situations d’urgence qui existent réellement dans le cadre de l’hypercalcémie, avec la découverte d’une hypercalcémie au service d’accueil des urgences. En effet, la découverte d’une hypercalcémie peut impliquer une démarche étiologique, et pas forcément une démarche thérapeutique urgente, la plupart des P. ARLET M. LAROCHE L. SAILLER /HYPERCALCEMIES/nov. 2002 9 hypercalcémies étant bien supportées et ne nécessitant pas de traitement immédiat. Lorsque la calcémie atteint des niveaux importants,(3, 5mMol / l), elle est susceptible d’entraîner des troubles métaboliques qui risquent de compromettre rapidement le pronostic vital. Il s’agit du diabète calcique qui par le même mécanisme que le diabète sucré donne une polyurie et une déshydratation de type extra-cellulaire la plupart du temps, qui va contribuer à une auto-aggravation du tableau clinique rapide. Il faudra donc évaluer ces éléments devant la découverte d’une hyper-calcémie, non seulement par le chiffre même de la calcémie, mais surtout par l’examen clinique, si le patient est omnubilé, à fortiori dans le coma, s’il a des signes cliniques de déshydratation, il faudra dans l’urgence apprécier les fonctions vitales, respiration, hémodynamique, recueillir la diurèse et la surveiller, analyser le bilan électrolytique et le retentissement sur la fonction rénale, mettre en place une voie veineuse permettant la perfusion rapide de sérum, et la plupart du temps il s’agit de sérum salé isotonique qu’il convient de perfuser en quelques heures pour rétablir l’équilibre de l’homéostasie hydrominérale. La réhydratation du patient hypercalcémique est l’élément primordial de la prise en charge. Elle permet de rompre le cercle vicieux de l’auto-aggravation du syndrome. Si l’hypercalcémie parait très évolutive, si le patient présente des signes neurologiques importants, si le taux de calcémie est inquiétant, on peut mettre en route très rapidement, dans les toutes premières heures de la prise en charge, une perfusion de biphosphonate (palmidronate, clodronate , ou plus récemment le zoledronate), qui sont des thérapeutiques efficaces pour juguler pendant quelques jours l’hypercalcémie, ce qui permettra ensuite de faire le P. ARLET M. LAROCHE L. SAILLER /HYPERCALCEMIES/nov. 2002 10 diagnostic et le traitement étiologique. Lorsque la cause de l’hypercalcémie est connue, et en particulier lorsque on est en contexte néoplasique, on peut faire aussi dans l’urgence une perfusion de corticostéroïdes, à la dose de 1 à 2 mg / kg, qui a un bon effet, en particulier dans le myélôme et les lymphoproliférations malignes. Ce patient hypercalcémique, avec un retentissement métabolique et neurologique doit donc être pris en charge en urgence, surveillé cliniquement et biologiquement plusieurs fois par jour, car on doit le remettre dans une situation stable et sans risque vital en l’espace de 24 à 48 heures. VI Le traitement En dehors de la situation d’urgence que nous venons de définir, la prise en charge thérapeutique de l’hypercalcémie est fonction de l’étiologie. Lorsque l’hypercalcémie n’a pas de retentissement clinique important, et pas de retentissement sur l’équilibre hydro-minéral, il n’y a pas à mettre en route de thérapeutique particulière tant que l’on n’a pas fait le diagnostic étiologique. Le traitement sera ensuite fonction de l’étiologie : - L’hyperparathyroïdisme primaire est la plupart du temps à traiter chirurgicalement. - Les pathologies iatrogènes sont à traiter par l’arrêt des thérapeutiques responsables. - Myélôme et lymphome doivent être traités rapidement par une chimiothérapie conventionnelle car l’hypercalcémie est un signe de gravité et d’évolutivité de ces maladies. P. ARLET M. LAROCHE L. SAILLER /HYPERCALCEMIES/nov. 2002 11 - Les corticostéroïdes peuvent être utilisés dans certaines indications, en particulier lorsqu’ils sont efficaces sur la pathologie causale comme dans la sarcoïdose, d’autant plus qu’ils sont également efficaces sur le mécanisme de l’hypercalcémie puisqu’ils agissent en freinant l’absorption intestinale du calcium. Ils sont intéressants aussi dans les hémopathies lymphoïdes, le myélôme, les néoplasies. Les bisphosphonates sont très efficaces sur les hypercalcémies de toutes origines, particulièrement en perfusion intraveineuse. Leur effet est également intéressant par voie orale mais beaucoup moins puissant. Leurs indications ne sont par encore parfaitement codifiées, et méritent d’être discutées au cas par cas, en particulier lorsqu’on n’a pas de médicament suffisamment efficace sur le mécanisme causal (néoplasie, hyper-para-thyroïdisme primaire que l’on ne peut pas opérer, …) L’apport des nouveaux bisphosphonates a donc transformé le problème du traitement des hypercalcémies. On peut donc « oublier » certaines thérapeutiques telles que phosphore, calcitonines, diurétiques, dialyse… ********** P. ARLET M. LAROCHE L. SAILLER /HYPERCALCEMIES/nov. 2002 12